Cheikh Anta Diop
Cheikh Anta Diop
Cheikh Anta Diop
En effet Aimé Césaire était le plus grand poète du XXIe siècle, il était
vraiment l’Orphée noir, comme le reconnut Jean-Paul Sartre en soutenant :
« Je nommerai ‹ orphique › cette poésie parce que cette inlassable descente
du nègre en soi-même me fait songer à Orphée allant réclamer Eurydice à
Pluton1. »
On sait que l’existentialiste radical français a connu de près, dans le
Quartier latin, la naissance de la négritude, et qu’il s’est rendu compte que
l’action néfaste du colonialisme n’était que la négation du nègre lui-même,
et la négation de sa culture. Et que, s’opposant à ses conséquences
désastreuses, le nègre serait poussé à la révolte, parce qu’il devait affirmer
son être nègre pour effacer le masque blanc qu’on lui avait mis dans la tête.
Cela nous rappelle logiquement le titre de Peau noire, masques blancs de
Frantz Fanon, le rationaliste de la violence révolutionnaire. On avait
tellement dit au nègre qu’il appartenait à la race de « ceux qui n’ont inventé
ni la poudre ni la boussole, ceux qui n’ont jamais su dompter ni la vapeur
1. Jean-Paul Sartre, Situations, III. Lendemains de guerre, Gallimard, 1949, p. 242 ; réédité en 1976,
p. 262.
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2. Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, Présence africaine, 1983, p. 46-47.
3. Jean-Paul Sartre, Situations, III, ouvr. cité, p. 262.
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4. Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, ouvr. cité, p. 61-62 et 65.
5. Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, Présence africaine, 1989, p. 8-9.
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10. Raymond Aron, Introduction à la philosophie de l’histoire, essai sur les limites de l’objectivité
historique, nouvelle édition revue et annotée par Sylvie Mesure, Gallimard, 1938 et 1986, p. 14.
11. José Ortega y Gasset, Historia como sistema y otros ensayos de filosofía, Revista de Occidente en
Alianza Editorial, Madrid, 1981, p. 48.
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17. Cheikh Anta Diop, Nations nègres et culture I, Présence africaine, 1979, p. 50, 74-102.
18. Cheikh Anta Diop, Nations nègres et culture II. La lecture de tout le volume est recommandée.
19. Alain Bourgeois, La Grèce antique devant la négritude, Présence africaine, 1971, p. 20.
20. Cheikh Anta Diop, Nations nègres et culture II, ouvr. cité, p. 382.
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23. Platon, Timée, Critias, présentation et traduction par Luc Brisson, GF Flammarion, 2001, p. 124 et
annexe 1, p. 282.
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26. Paul Ver Eeke, Les œuvres complètes d’Archimède, Albert Blanchard, Paris, 1960, p. XLIX, cité par
Cheikh Anta Diop, Civilisation ou barbarie, ouvr. cité, p. 293 et 298.
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le carré de celle-ci est égal à la somme des carrés des cathètes. Le côté
vertical symbolise le mâle, la base la femelle, et l’hypoténuse la
progéniture des deux27. » Dans ce même Papyrus on trouve tous les
problèmes concernant la géométrie moderne.
Le Papyrus médical Adwin Smith, outre les problèmes mathé-
matiques posés par d’autres Papyrus, nous présente les premières
recherches « des fonctions du cerveau qui remontent à 1400 avant
Démocrite d’Abdère, à qui on les avait attribuées en Grèce ; et, en même
temps, il développe 48 cas de chirurgie osseuse et de pathologie externe,
dont on peut citer les suivants : « luxation de la mâchoire, d’une vertèbre,
de l’épaule ; perforation du crâne, du sternum ; fracture du nez, de la
mâchoire, des clavicules, de l’humérus, des côtes, du crâne sans rupture des
méninges, avec écrasement d’une vertèbre cervicale, etc. », et toutes les
autres techniques bien connues et pratiquées 2 000 ans avant Hippocrate28.
Le Papyrus démotique Carlsberg 1 à 9 établit les méthodes du
diagnostic et leur adaptation ultérieure en Grèce par Hippocrate et, à la fois,
le développement extraordinaire de la science astronomique qui aboutit à
l’établissement du premier calendrier, dont la mesure divisait l’année en
36 décades ou période de dix jours, ce qui faisait 360 jours. Et enfin
l’invention du dernier calendrier civil de 365 jours, qu’on emploie encore
de nos jours et, comme le déclara Neugebauer dans ses Vorlesungen über
Geschichte der antiken mathematischen Wissenchaften, c’est « le seul
calendrier intelligent qui ait jamais existé dans l’histoire humaine ». Le
Carlsberg 9 décrit les méthodes de détermination des phases de la lune,
basées exclusivement sur les sources les plus anciennes de l’astronomie
égyptienne.
Outre toutes ces disciplines, les Égyptiens se montrèrent grands
maîtres dans beaucoup d’autres domaines de la sagesse, tels que la chimie
et la métallurgie du fer, et inaugurèrent une architecture dont la perfection
n’a jamais été atteinte par les techniques les plus sophistiquées du
e
XXI siècle. Ce petit parcours à travers la papyrologie égyptienne amène le
grand muntu à nous faire une dernière remarque :
« Loin de nous l’idée qu’Archimède ou les Grecs en général, qui sont
venus trois mille ans après les Égyptiens, ne sont pas allés plus loin qu’eux
dans les différents domaines du savoir ; nous voulons seulement dire qu’en
bons savants ils auraient dû chaque fois faire la part des choses en
indiquant nettement ce qu’ils avaient hérité de leurs maîtres égyptiens et ce
27. Plutarque, Isis et Osiris, CLVI, TE Peet, The Rhind Mathematical Papyrus, University Press of
Liverpool, 1923, pl. QR, p. 78, 80-82, 93-94 et 121-122 ; Ferdinand Hoefer, Histoire des mathématiques,
Librairie Hachette, Paris (4e éd.), p. 99, 129-130 ; cités par Cheikh Anta Diop, Civilisation ou barbarie,
ouvr. cité, p. 324, 326-331, 335 et 340-345.
28. Gustave Lefebvre, La médecine égyptienne, p. 39 ; Jean Vercoutter, « Rubrique », dans La science
antique et médiévale, PUF, Paris, 1957, p. 50 ; cités par Cheikh Anta Diop, Civilisation ou barbarie,
ouvr. cité, p. 362.
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qu’ils ont réellement apporté. Or ils ont presque tous failli à cette règle
élémentaire d’honnêteté intellectuelle29. »
Ce plagiat commis par les élèves grecs met en cause leur savoir et
réclame une nouvelle approche de l’herméneutique actuelle. Eh oui ! C’est
le premier volume d’une recherche consacrée à la réhabilitation de
l’histoire et de la sagesse des cultures nègres qui a été exalté par le créateur
de la négritude contemporaine comme le livre le plus audacieux qu’un
nègre ait jusqu’ici écrit.