Cheikh Anta Diop

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 14

1

CHEIKH ANTA DIOP,


LE RÉVEIL DE LA PHILOSOPHIE DE L’HISTOIRE
AFRICAINE

Eugenio Nkogo Ondo

J’aimerais d’abord remercier les éditions Menaibuc et ses


représentants de l’honneur qu’ils m’ont fait de m’avoir convié
officiellement à ce 5e Colloque international, consacré à Aimé Césaire, le
plus grand poète du XXIe siècle. Il s’avère difficile de parler de nos grands
maîtres en moins de trente minutes. Aussi, en raison de l’étendue du sujet,
mon exposé sera divisé en quatre parties : la première porte le titre de « De
l’éveil des consciences de la négritude césairienne au réveil diopien de la
philosophie de l’histoire africaine » ; la deuxième s’énonce « Le grand
muntu à la face du ‹ barrage des mythes › historiques ; la troisième est :
« Le retour à la rationalité primordiale africaine, source première du savoir
philosophique et scientifique hellène et universel » ; et enfin la quatrième :
« La voie d’une nouvelle approche herméneutique de l’histoire et du savoir
universel. »

1. De l’éveil des consciences de la négritude césairienne au réveil diopien


de la philosophie de l’histoire africaine.

En effet Aimé Césaire était le plus grand poète du XXIe siècle, il était
vraiment l’Orphée noir, comme le reconnut Jean-Paul Sartre en soutenant :
« Je nommerai ‹ orphique › cette poésie parce que cette inlassable descente
du nègre en soi-même me fait songer à Orphée allant réclamer Eurydice à
Pluton1. »
On sait que l’existentialiste radical français a connu de près, dans le
Quartier latin, la naissance de la négritude, et qu’il s’est rendu compte que
l’action néfaste du colonialisme n’était que la négation du nègre lui-même,
et la négation de sa culture. Et que, s’opposant à ses conséquences
désastreuses, le nègre serait poussé à la révolte, parce qu’il devait affirmer
son être nègre pour effacer le masque blanc qu’on lui avait mis dans la tête.
Cela nous rappelle logiquement le titre de Peau noire, masques blancs de
Frantz Fanon, le rationaliste de la violence révolutionnaire. On avait
tellement dit au nègre qu’il appartenait à la race de « ceux qui n’ont inventé
ni la poudre ni la boussole, ceux qui n’ont jamais su dompter ni la vapeur

1. Jean-Paul Sartre, Situations, III. Lendemains de guerre, Gallimard, 1949, p. 242 ; réédité en 1976,
p. 262.
2

ni l’électricité, ceux qui n’ont exploré ni les mers ni le ciel », que, en


revanche, ayant découvert par lui-même qu’il était à la fois l’héritier de ces
hommes « sans qui la terre ne serait pas la terre », il se devait d’appeler ou
d’exhorter ses frères à prendre conscience d’eux-mêmes. C’est pourquoi
Aimé Césaire devint ce que vous avez souligné dans ce 5e Colloque
international, « juste de voix, grand éveilleur de conscience ». Ainsi notre
poète universel nous a légué ce message libérateur :

« Ma négritude n’est pas une pierre,


sa surdité ruée contre la clameur du jour
ma négritude n’est pas une taie d’eau morte sur l’œil mort de la terre
ma négritude n’est ni une tour ni une cathédrale,
elle plonge dans la chair rouge de son sol
elle plonge dans la chair ardente du ciel
elle troue l’accablement opaque de sa droite patience2. »

Par opposition au matérialisme courant et dominant des cultures et de


la civilisation occidentales, qui traverse, qui envahit la réalité humaine, la
négritude est l’affirmation de la puissance intérieure du nègre : c’est la
force de son esprit, son élan psychophysique, la détermination irréversible
de pousser jusqu’au bout tout ce que le caractérise, qui n’élimine ni ne
s’identifie avec la matérialité inerte qui l’entoure, mais qu’il sait vivre avec.
En employant une terminologie heideggerienne, la négritude « c’est l’être-
dans-le-monde du nègre3 ».
Du point de vue idéologique, la négritude, comme tant d’autres
mouvements de la pensée, était un projet théorique et pratique qui oscillait
entre deux pôles, l’un culturel et l’autre politique. Il nous faudrait rappeler
que la négritude est née dans une époque où la légitime défense, qui croyait
que la révolution politique devait précéder la révolution culturelle, était
anéantie. Or la négritude qui affirmait la primauté de la culture, puisque
pour elle la politique devenait une dimension culturelle, a eu la chance de
développer son activité, parce qu’elle ne supposait aucune menace pour les
autorités françaises. À cet égard, celui qui vous adresse la parole doit vous
avouer ses ‹ confessions ›, non pas comme saint Augustin, l’un des grands
philosophes africains du Moyen Âge, mais comme une simple déclaration
de principe. Étant un adepte du consciencisme de Kwame Nkrumah, j’ai
expliqué à maintes reprises les doctrines de penseurs africains dans mes
livres : El problema humano, Sobre las ruinas de la República de Ghana,
Síntesis sistemática de la filosofía africana, dont je dois assumer moi-
même la publication de la version française : Synthèse systématique de la
philosophie africaine. Je suis aussi l’auteur de La pensée radicale, où

2. Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, Présence africaine, 1983, p. 46-47.
3. Jean-Paul Sartre, Situations, III, ouvr. cité, p. 262.
3

figurent parmi d’autres les penseurs révolutionnaires africains ; c’est une


œuvre qui n’a pas été et ne peut pas être promue par le capital… D’une
manière explicite, je voudrais vous dire qu’à présent je laisse de côté les
critiques qu’on a faites généralement à la théorie de la négritude…

D’après les circonstances de sa création, la négritude visait à mener,


sans doute, une révolution culturelle. Et comme une colombe la négraille
devait prendre son vol et monter haut, vers les étoiles, parce qu’elle avait
retrouvé « dans son sang répandu le goût amer de la liberté4 ».
Muni de cette liberté, son créateur devait mettre l’humanité en garde
contre les méthodes d’exploitation du colonialisme. Pour parler de la
colonisation, il fallait en principe « convenir de ce qu’elle n’est point; ni
évangélisation, ni entreprise philanthropique, ni volonté de reculer les
frontières de l’ignorance, de la maladie, de la tyrannie, ni élargissement de
Dieu, ni extension du droit; d’admettre une fois pour toutes, sans volonté
de broncher aux conséquences, que le geste décisif est ici de l’aventurier et
du pirate, de l’épicier en grand et de l’armateur, du chercheur d’or et du
marchand, de l’appétit et de la force, avec, derrière, l’ombre portée,
maléfique, d’une forme de civilisation qui, à un moment de son histoire, se
constate obligée, de façon interne, d’étendre à l’échelle mondiale la
concurrence de ses économies antagonistes5 ».
Le poète nous laisse stupéfaits, sans trouver d’autre mot à ajouter à
sa réflexion. On pourrait dire cependant que, par son action coloniale,
l’Europe n’a fait que transférer aux autres continents les crises issues des
contradictions internes de ses divers systèmes de production, comme dirait
Karl Marx. Ayant trouvé des ressources abondantes dans ce nouveau
monde, ses défenseurs administratifs, politiques, économiques, etc. étaient
chargés de renforcer tous les mécanismes poussant l’exploitation à ses
limites. Cette action coloniale, qui régnait en maître sur place dans les
colonies, était bien systématisée et prônée, comme s’il s’agissait d’un
dogme, par son armée des chiens de garde derrière lesquels se rangaient
tous les spécialistes : historiens, romanciers, psychologues, sociologues,
théologiens, etc., dont le seul but était de dénier aux autres races, aux
nègres, tout ce qui signifiait le mérite de leur capacité intellectuelle, en les
classant définitivement dans la catégories des ‹ primitifs › dont la pensée
demeurait toujours prélogique par les lois immuables de la nature. La
fausse objectivité de soi-disant spécialistes est devenue un piège contre
eux-mêmes. Leurs raisonnements devenaient si simplistes qu’ils ne
méritaient pas d’en parler. De toute évidence, Aimé Césaire nous rappelle :
« Je ne m’étendrai pas sur le cas des historiens, ni sur celui des historiens
de la colonisation, ni sur celui des égyptologues : le cas des premiers étant

4. Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, ouvr. cité, p. 61-62 et 65.
5. Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, Présence africaine, 1989, p. 8-9.
4

trop évident, dans le cas des seconds, le mécanisme de leur mystification


ayant été définitivement démonté par Cheikh Anta Diop, dans son livre
Nations nègres et culture – le plus audacieux qu’un nègre ait jusqu’ici écrit
et qui comptera, à n’en pas douter, dans le réveil de l’Afrique6. »
Certes l’envie du poète de la négritude est enfin satisfaite, il est en
pleine euphorie. Il vient de découvrir l’œuvre d’un auteur qui symbolise le
réveil de l’Afrique. Il va de soi qu’ici, dans mon énoncé : « Cheikh Anta
Diop, le réveil de la philosophie de l’histoire africaine », j’ai emprunté le
mot réveil à Aimé Césaire.

2. Le grand muntu face au ‹ barrage des mythes › historiques.

Le terme ‹ muntu ›, dans la langue bantu-rwandaise, signifie


‹ personne ›, le pluriel étant bantu, les personnes. Cheikh Anta Diop était
un gand muntu, une grande personne, un grand homme. S’il était dèjà
universellement renommé, c’est Andrew Young, en tant que maire
d’Atlanta, Georgia, qui, profitant de l’occasion de son séjour aux États-
Unis, l’honore « comme le reconnu ‹ pharaon › des études africaines », et
proclame le 4 avril 1985, un an avant sa mort, comme ‹ le jour du
Dr Cheikh Anta Diop7 ›. Notre philosophe de la philosophie de l’histoire
africaine avait acquis ‹ une formation scientifique solide alliée à une
pluridisciplinarité. “Armez-vous de science jusqu’aux dents”, aimait-il à
répéter aux jeunes chercheurs africains. C’est cette pluridisciplinarité qui
déconcerte ses adversaires et force l’admiration de ses disciples8. » Oui,
nous sommes tous disciples de Cheikh Anta Diop. Ayant employé lui-
même avec plaisir le terme bantu de ‹ personne ›, il nous avertissait que
seule la recherche scientifique nous permet de comprendre de bonne source
les fondements des théories et des pratiques de l’ensemble des toutes nos
connaissances, nous permet « de restituer tout leur sens et de les classer à
leur véritable place dans l’évolution spirituelle de l’Afrique. Ainsi
seulement le démon sera exorcisé, le muntu sera dépassé au lieu d’être
vainement nié, ou ignoré ; ainsi seulement le fantôme ne viendra plus
hanter le rêve du philosophe armé de la connaissance de son passé
culturel9. » Le maître nous a armé de sa science, il nous a légué une
colossale philosophie de l’histoire, non seulement africaine, mais aussi
universelle, au fur et à mesure qu’à partir de la première on doit

6. Aimé Césaire, idem, p. 33-34.


7. Great African Thinkers, Cheikh Anta Diop, Dr Ivan van Sertima, editor, Transaction Books New
Brunswick (USA) and Oxford (UK), Journal of African Civilizations Ltd., Inc., 1986, p. 321.
8. Doue Gnonsea, Cheikh Anta Diop, Théophile Obenga: combat pour la Re-naissance africaine,
L’Harmattan, 2003, p. 51.
9. Cheikh Anta Diop, Civilisation ou barbarie, Présence africaine, 1981, p. 407.
5

nécessairement contempler la deuxième. Comme héritiers de sa


philosophie, il nous éclaire sur ce qu’est la philosophie de l’histoire.
D’après Raymond Aron, celle-ci peut être définie « non pas comme
une vision panoramique de l’ensemble humain, mais comme une
interprétation du présent ou du passé rattachée à une conception
philosophique de l’existence, ou comme une conception philosophique qui
se reconnaît inséparable de l’époque qu’elle traduit et de l’avenir qu’elle
pressent10 ».
On constate qu’il s’agit d’abord d’une interprétation philosophique
de l’histoire, et ensuite que cette interprétation appartient à une conception
du monde ou à une philosophie concrète qui, à partir de son époque, peut
pressentir l’avenir ; par conséquent, il y aura des modèles divers de
philosophie de l’histoire. Cela nous permet de préciser le donné de notre
recherche. Si l’on prend le discours de Ortega y Gasset, le créateur de la
philosophie contemporaine espagnole, on pourra sans doute compléter
l’essence de la nouvelle discipline. Pour lui, « l’histoire est un système,
système des expériences humaines qui constituent une chaîne inexorable et
unique, d’où le fait que rien ne peut être vraiment clair en histoire tant
qu’elle-même n’est pas tout à fait claire. Il est impossible de bien
comprendre qui est cet homme ‹ rationaliste › européen si on ne sait pas ce
que signifie être chrétien ; on ne comprendra pas non plus ce que signifie
être chrétien sans savoir qui était le stoïque, et ainsi de suite11. »
Tout cela nous montre à l’évidence que la philosophie de l’histoire se
propose de présenter rationnellement la connexion systématique qui existe
entre les phénomènes sous-jacents dans l’histoire. Autrement dit, c’est la
recherche et l’explication rationnelle des causes motrices de l’histoire, afin
de les rendre plus intelligibles, qui fait que cette histoire devient un
système, celui des expériences humaines.
La pensée contemporaine, voire celle du XXe siècle, nous a expliqué
que la temporalité était l’une des dimensions essentielles de la réalité
humaine. Nous avons appris que, quoique cette réalité soit toujours née à
un moment donné, dans un milieu déterminé par ses propres condition-
nements, son existence ne se renferme pas dans les limites circonstancielles
de son époque. C’est pour cela qu’on a soutenu que l’être humain vit dans
le présent, il vient du passé et se projette dans l’avenir. Ainsi le muntu
dynamique des Africains, le Dasein (être-là) heideggerien, le pour-soi
sartrien, ne sont que des réalités historiques.
Comme je viens de le faire remarquer plus haut, il y aura des
modèles divers de philosophie de l’histoire : le modèle idéaliste, dont

10. Raymond Aron, Introduction à la philosophie de l’histoire, essai sur les limites de l’objectivité
historique, nouvelle édition revue et annotée par Sylvie Mesure, Gallimard, 1938 et 1986, p. 14.
11. José Ortega y Gasset, Historia como sistema y otros ensayos de filosofía, Revista de Occidente en
Alianza Editorial, Madrid, 1981, p. 48.
6

Hegel est le défenseur par excellence ; le modèle positiviste, d’Auguste


Comte ; le modèle réaliste ; Karl Marx ; etc. Il y aura toujours des
mélanges aussi divers. C’est le réalisme qui caractérise la philosophie de
l’histoire des Africains, une position opposée radicalement à l’idéalisme et
à la fantaisie des historiens de la colonisation, qui ont toujours eu une
conception typiquement mythologique de l’Afrique. Comme vous le savez,
le mythe en lui-même n’a pas le sens négatif que l’on trouve ici. Le mythe,
d’après Artistote, c’est quelque chose d’admirable, puisqu’il « ne se
compose que d’éléments merveilleux et surprenants ». C’est pourquoi le
philósophos, celui qui est ami de la sagesse, est à la fois philómûthos, c’est-
à-dire ami du mythe12. Ainsi Martin Heidegger, ce philosophe allemand
que j’ai moi-même qualifié de Grec qui a eu la chance de vivre au
e
XX siècle, a pu reconnaître que « mûthos veut dire ‹ la parole distante ›.
Dire, c’est, pour les Grecs, rendre manifeste, faire apparaître… Lógos dit la
même chose » ; et les deux termes « ne s’écartent l’un de l’autre et ne
s’opposent l’un à l’autre que là où ils ne peuvent garder leur être
primitif13 ». En synthèse, le mythe et le lógos ne sont que des catégories qui
expliquent les choses telles qu’elles sont. En tant que parole distante, le
mythe est plus libre que le lógos, mais devient faux lorsqu’il falsifie les
choses. C’est justement ce que les idéalistes et les chiens de garde du
colonialisme ont fait de l’Afrique : ils ont mystifié, voire falsifié son
histoire. Pour Hegel, ce continent n’a pas été capable de sortir de son état
de sauvagerie ou de la barbarie ; ainsi déclarait-il, en 1830, dans son Cours
sur la philosophie de l’histoire, que « l’Afrique n’est pas une partie
historique du monde… Sa partie septentrionale appartient au monde
européen ou asiatique ; ce que nous entendons précisément par l’Afrique
est l’esprit a-historique14. » On constate que l’idéalisme hégélien n’était
même pas censé expliquer l’histoire européenne. D’après Karl Marx, Hegel
pensait à une histoire céleste, impossible de descendre du ciel à la terre. Et
Schopenhauer, avec une critique impitoyable, affirmait que « Schelling
traînait derrière lui une créature philosophique ministérielle, Hegel,
estampillée d’en haut grand philosophe, dans un but politique d’ailleurs
mal calculé, charlatan plat, sans esprit, répugnant, ignorant, qui, avec une
effronterie, une déraison et une extravagance sans exemple, compila un
système qui fut trompeté par ses adeptes vénaux comme étant la sagesse
immortelle, et fut pris réellement pour telle par les imbéciles, ce qui
provoqua un chœur admiratif tel qu’on n’en avait pas encore entendu15 ».

12. Aristote, La métaphysique, Pocket, 1991, p. 45-46.


13. Martin Heidegger, Was heisst Denken ? Fünfte, durchgesehene Auflage, Max Niemeyer Verlag,
Tübingen, 1997, p. 6-7. Martin Heidegger, Qu’appelle-t-on penser ? traduction de l’allemand par Aloys
Becker et Gérard Granel, Quadrige–Presses universitaires de France, 1959 et 1999, p. 29.
14. Joseph Ki-Zerbo, Histoire de l’Afrique noire, Hatier, Paris, 1978, p. 10.
15. Arthur Schopenhauer, Fragments sur l’histoire de la philosophie, Alcan, Paris, 1912, p. 113-114.
7

Étant accablé de faiblesses irrémédiables, Hegel marchait à l’aventure sur


la voie imaginaire de l’histoire de l’Afrique.
Suivant le modèle hégélien, Coupland, dans son manuel sur
l’Histoire de l’Afrique orientale, écrivait en 1928 que « jusqu’à
Livingstone, on peut dire que l’Afrique proprement dite n’avait pas eu
d’histoire. La majorité de ses habitants étaient restés, depuis des temps
immémoriaux, plongés dans la barbarie. »
En 1957, Gaxotte écrit dans la Revue de Paris que « ces peuples
(vous savez de qui il s’agit…) n’ont rien donné à l’humanité… Ils n’ont
rien produit… » Et Charles-André Julien intitule « L’Afrique, pays sans
histoire », un paragraphe de son œuvre, Histoire de l’Afrique, où il soutient
que « l’Afrique noire, la véritable Afrique, se dérobe à l’histoire ». « Mais
que des hommes cultivés, des historiens par surcroît, aient pu écrire sans
broncher des inepties de ce calibre » a amené l’historien africain à
renfermer toutes leurs idées dans ce qu’il a appelé ‹ le barrage des
mythes16 ›. Les mythes de l’ignorance, des préjugés, qui non seulement leur
fermaient les yeux, mais aussi rendaient inutile leur effort intellectuel, en
les faisant réellement devenir des historiens a-historiques.
Curieusement, ‹ le barrage de mythes › a fait écho récemment de son
expiration. Il faudra se rapprocher de la capitale sénégalaise, Dakar, et de
sa prestigieuse université Cheikh Anta Diop, où le président de la
République française, M. Nicolas Sarkozy, prononça un discours, le
26 juillet 2007, dont le contenu nous indique que chacune de ses idées
fondamentales mérite un autre discours. Par exemple, il réaffirme que
« l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Le paysan
africain… vit avec les saisons… », etc. Évidemment, ce discours a reçu la
réponse qu’elle méritait, dans une œuvre brillante, L’Afrique répond à
Sarkozy, 480 pages, parue aux éditions Philippe Rey, à laquelle ont
collaboré plus d’une vingtaine de grands intellectuels africains tels que
Makhily Gamassa, Demba Moussa Dembélé, Mamoussié Diagne, Louise-
Marie Maes Diop, Djibril Tamsir Niane, Théophile Obenga, etc. pour
réfuter cette essai de résurrection des mythes épuisés. C’est le combat que
nous avons appris de notre grand maître Cheikh Anta Diop, comme l’a
constaté le poète de la négritude, après la découverte de Nations nègres et
culture. Dans son œuvre, l’égyptologue wolof, en démontant les
mécanismes de la mystification de notre histoire, avait démontré que
l’Afrique, berceau de l’humanité, était en même temps le berceau de
l’histoire universelle. Du sol africain sont partis les premières grandes
migrations qui, suivant les bords du Nil, menèrent les nègres jusqu’à
Kemit, où ils fondèrent les premiers et plus florissants empires qui furent
toujours gouvernés par 31 dynasties de pharaons nègres, parmi lesquels se

16. Joseph Ki-Zerbo, Histoire de l’Afrique noire, ouvr. cité, p. 10-11.


8

trouvent Narmer ou Menès, qui unifia la Haute et la Basse-Égypte pour la


première fois ; Chéphrèn, de la IVe dynastie (Ancien Emprire) ; Chéops, de
la même dynastie, constructeur de la grande pyramide qui porte son nom,
dont la figure rappelle le type camerounais actuel (je crois qu’il était un
Bëti) ; Mentouhotep Ier, de la XIe dynastie (Moyen Empire) ; Sesostris Ier,
fils d’Amenemhat Ier, fondateur de la XIIe dynastie ; Toutmosis ou
Toumès III, fils d’une Soudanaise, qui fonda la XVIIIe dynastie et inaugura
l’ère de l’impérialisme égyptien (on l’appelle parfois ‹ le Napoléon de
l’Antiquité › ; Toutankhamon, de la XVIIIe dynastie aussi (Nouvel
Empire) ; Seti Ier, père de Ramsès II, dont les coiffures sont identiques à
celles des Tutsis actuels, de Rwanda-Burundi, ce qui met en évidence qu’ils
appartenaient à cette ethnie ; Taharqa ; etc.17. Le long déclin des empires
égyptiens, joint aux conquêtes des peuples étrangers tels que les Perses, les
Macédoniens avec Alexandre… provoquèrent d’autres grosses vagues
migratoires où les nègres, abandonnant définitivement l’Égypte, retour-
nèrent vers les habitats où ils se trouvent aujourd’hui. Leur diversité
culturelle, philosophique et linguistique garde encore son lien essentiel de
parenté avec celle de l’Égypte pharaonique18. Toutes ces découvertes nous
renvoient à la troisième partie.

3. Retour à la rationalité primordiale africaine, source première du savoir


philosophique et scientifique hellène et universel

L’œuvre diopienne est un horizon illimité ouvert au monde entier, où


l’on doit contempler l’étendue du savoir universel. Pour le grand muntu,
l’Afrique, son continent, n’est pas seulement berceau de l’humanité, mais
aussi berceau de systèmes philosophiques, politiques et religieux. Les
Africains installés en Kemit ont su développer toutes sortes de disciplines
intellectuelles, au sommet desquelles se placent la philosophie et les
sciences. Les Grecs, en y arrivant, se sont rendu compte ensuite que ses
habitants étaient Aithíopes, étaient nègres ; ainsi la nommèrent-ils
Aithiopía, pays des Nègres19. Et, par une transformation de l’onomatopée
du mot Khi-khu-Phtah (le temple de l’âme du dieu Phtah, dont les murs
étaient couverts de représentations de moutons, entre autres animaux),
Aithiopía devint Aíguptos, l’Égypte20. Ce pays était pour tous les Grecs le
berceau du savoir universel.
Concernant la philosophie, la recherche du grand muntu nous a
souvent expliqué qu’en cosmogonie théogonique les Égyptiens croyaient

17. Cheikh Anta Diop, Nations nègres et culture I, Présence africaine, 1979, p. 50, 74-102.
18. Cheikh Anta Diop, Nations nègres et culture II. La lecture de tout le volume est recommandée.
19. Alain Bourgeois, La Grèce antique devant la négritude, Présence africaine, 1971, p. 20.
20. Cheikh Anta Diop, Nations nègres et culture II, ouvr. cité, p. 382.
9

qu’avant tout il y avait le Noun, la matière chaotique incréée, éternelle, ou


se trouvaient à l’état potentiel les archétypes de tous les êtres futurs
possibles, et à la fois cette même matière contenait le Khepra, le principe
du devenir, représenté en hiéroglyphe par le signe du scarabée qui, en
agissant sur elle, l’ordonna « à travers le temps pour qu’elle engendre le
monde et les différentes espèces, en actualisant ses virtualités ». De cette
activité déployée par le Khepra au sein du Noun est né le premier être, le
dieu Râ, le véritable démiurge du monde. « Avec son apparition, la matière
prend conscience d’elle-même pour la première fois. Il est connaissance. Il
crée le monde par le verbe, sa parole qui est acte, lógos (ka(ou)). Le ka(ou)
est ainsi la raison universelle immanente à toute chose et qui rend le monde
intelligible à l’esprit : il est le lógos des Grecs, d’Héraclite, l’esprit objectif
de Hegel21. »
Avant d’établir la liaison nécessaire entre la philosophie africaine et
la philosophie grecque, remarquons que le dieu Râ, le démiurge, fils unique
du père éternel Noun, a reçu de lui l’ordre de procéder à la création du
monde et de commencer immédiatement et sans délai. Ainsi il avait émis
Schou (l’air) et craché Tefnout (l’eau, l’humidité), en configurant de cette
façon la première supertrinité. « Schou et Tefnout donnèrent naissance à
Geb ou Seb (la terre) et Nout (le ciel, la lumière, le feu). Seb et Nout
donnèrent naissance à Osiris, à Harkhentimiriti, à Set, à Isis et à Nephtys ;
l’un après l’autre, ils donnèrent naissance à des enfants qui se multiplièrent
sur cette terre22. »
Si le dieu Râ, joint à ses fils les plus immédiats, Schou et Tefnout,
composent la première trinité, ces deux derniers, joints à leurs fils Seb et
Nout et leur descendance jusqu’à Nephthys, composent l’ennéade de la
progression théogonique égyptienne. Signalons enfin que dans l’essence du
père éternel Noun, de son fils, le dieu Râ, et les devenirs de ses devenirs,
c’est-à-dire les deux couples Schou et Tefnout, Seb et Nout, se trouve toute
la métaphysique du monde classique grec. Suivant la doctrine fonda-
mentale de cette cosmogonie, Thalès de Milet, le premier philosophe grec
qui voyagea en Égypte, soutient que toutes choses sont faites d’eau (le
Tefnout) ; pour Anaximène, le principe de tout, c’est l’air (le Schou) ; et
pour Anaximandre, c’est l’apéiron, l’Infini (rappelant l’essence du Noun).
Pour Pythagore de Samos, celui qui, d’après ses biographes, Porphire et
Jamblique, séjourna pendant 22 ans dans les temples égyptiens, l’origine de
tout ce qui existe c’est le Nombre, le 10 étant celui par excellence,
représenté par le célèbre tetractys, dont la graphie était un triangle de base
quatre, qui n’est autre chose qu’un symbole de la base quadrangulaire sur
21. Cheih Anta Diop, Antériorité des civilisations nègres, mythe ou réalité historique ? Présence
africaine, 1967 et 1993, p. 216.
22. Cheikh Anta Diop, Civilisation ou barbarie, Présence africaine, 1981, p. 413 ; et Émile Amélineau,
Prolégomènes à l’étude de la religion égyptienne, essai sur la mythologie de l’Égypte, Ernest Leroux,
éditeur, Paris, 1908, p. 154-156.
10

lesquelles reposent les pyramides égyptiennes. Pour Héraclite d’Éphèse,


tout était en mouvement régi par le lógos (le kaou), et c’est le feu éternel
(Nout) qui est l’origine de tout. En Élée, Parménide croyait que l’être n’a
pas de commencement, qu’il était un, éternel, immuable (une autre version
grecque du Noun). Pour Empédocle, il n’y a que quatre éléments
fondamentaux, et leurs propriétés, le chaud du feu (nout), le froid de l’air
(Schou), l’humidité de l’eau (Tefnout) et le sec de la terre (Seb). Et
Anaxagore remplace le ‹ n › du Noun égyptien par le ‹ s › pour obtenir le
Nous grec, l’Intelligence, cause ordonnatrice de l’univers. Les plus grands
métaphysiciens du monde grec, Aristote et Platon, ont évidemment fondé
leurs théories sur la philosophie de l’Égypte de la négritude. Pour le
premier, Aristote, il n’y a que trois substances, la première étant éternelle
(elle reproduit l’éternité du Noun), et les deux autres physiques (elles
seraient le composant des quatre éléments d’Empédocle).
Chez Platon nous trouvons le double monde : celui des idées, qui est
éternel, et celui de la réalité sensible, soumis au devenir, au mouvement, et
au milieu desquels se place le démiurge. Néanmoins le démiurge
platonicien n’est pas un créateur de l’univers, comme le dieu Râ ; il est
simplement un ordonnateur mathématique ou géométrique, qui arrive
soudain sans origine et sans avoir été chargé d’une mission. Or, à la
recherche de la composition de l’âme de l’univers, il fait un mauvais
emploi, voire arbitraire ou anarchique, autant de la supertrinité que de
l’ennéade de la cosmogonie égyptienne. Après avoir pris « l’être indivisible
et qui reste toujours le même et l’être divisible qui devient dans les corps »,
il obtint une troisième sorte d’être ; et de nouveau, en ce qui concerne le
Même et l’Autre, il forma un troisième composé et, finalement, prenant la
nature du Même et de l’Autre, il forma une troisième nature. Ces trois
mélanges sont nommés par Luc Brisson « être intermédiaire », « même
intermédiaire » et « autre intermédiaire ». Malgré tout, nous nous trouvons
devant des êtres amorphes, dont l’ensemble, c’est-à-dire leur dernier
mélange, fut enfin divisé en sept parties :
« D’abord il retrancha une seule part sur le tout ; après celle-ci, il en
retrancha une seconde, double de la première ; et encore une troisième qui,
valant une fois et demie la seconde, était le triple de la première ; une
quatrième, double de la seconde ; une cinquième, triple de la troisième ;
une sixième, valant huit fois la première ; et une septième, valant vingt-sept
fois la première23… » On déduit de cette division les termes de deux
progressions géométriques : la première de raison 2 (1, 2, 4, 8) et la
deuxième de raison 3 (1, 3, 9, 27). « Le démiurge recombine ces deux
progressions pour en former une troisième (1, 2, 3, 4, 9, 8, 27) dans
laquelle, détail significatif, inexpliqué jusqu’ici, le démiurge, d’après

23. Platon, Timée, Critias, présentation et traduction par Luc Brisson, GF Flammarion, 2001, p. 124 et
annexe 1, p. 282.
11

Platon, a interverti l’ordre des termes 8 et 9 sans en dire la raison24 »,


s’exclame le philosophe africain.
D’après ma modeste interprétation, il s’ensuit que, si le 9 précède le
8, cela signifie qu’il y a une primauté absolue des nombres impairs sur les
nombres pairs. En effet, si l’on extrait les nombres pairs de cette dernière
progression, c’est-à-dire les nombres 2, 4 et 8, on obtient 1, 3, 9 et 27, ce
qui serait exactement égal à la deuxième progression géométrique de raison
3. Si Platon lui-même n’a pas su s’expliquer, il va de soi qu’aucun autre
philosophe, aucun autre chercheur de la civilisation occidentale n’ont été
capables d’expliquer jusqu’à présent la raison de ce changement. Pour
résoudre l’enchevêtrement, il faudrait recourir à la philosophie africaine, et
spécialement à la philosophie classique des Woyos, un groupe ethnique qui
habite le sud de la région du Katanga, dans la République démocratique du
Congo et le nord de la Zambie. Ceux-ci ont employé les mêmes
progressions géométriques pour expliquer l’évolution du changement de
l’ordre cosmique, où la substitution d’une filiation patrilinéaire à une autre
matrilinéaire s’était accomplie sous l’intervention d’une puissance
mystique censée « prendre possession de neuf divinités trois fois, ce qui fait
27 », un chiffre qui pour eux « correspond en quelque sorte à une
supertrinité de l’énnéade égyptienne25 ».
Ces explications relèvent l’état actuel de la recherche philosophique
et nous confirment que, pour comprendre la philosophie occidentale, il faut
d’abord comprendre la philosophie africaine.
Concernant les sciences, il faut jeter un coup d’œil sur le Papyrus
égyptien, dont la recherche constitue un nouveau domaine, la papyrologie
égyptienne. C’est Gaston Maspero (1846-1916) qui fit un recueil des
Papyrus égyptiens dans un volume intitulé Les contes populaires de
l’Égypte ancienne. Mais ici, pour la recherche scientifique, il convient de
citer seulement le Papyrus de Moscou et le Papyrus Rhind, écrits plus ou
moins vers 2600 av. J.-C., à l’époque de la construction des pyramides ; le
Papyrus médical Adwin Smith, écrit plus ou moins vers 1400 av. J.-C. ; le
Papyrus démotique Carlsberg 1 à 9, vers 144 apr. J.-C., et le Carlsberg 9.
Ces documents nous expliquent en détail les découvertes
scientifiques les plus anciennes et les plus importantes de l’histoire du
savoir universel menées en Égypte de la négritude. Mais ce qui semble
étrange aujourd’hui, c’est que ces découvertes ont été et sont encore
attribuées aux philosophes et aux savants grecs. Le papyrus de Moscou est
composé de 14 problèmes, parmi lesquels le philosophe de la philosophie
de l’histoire africaine nous a traduit le texte intégral du problème nº 10, où
se trouve la formule ou la méthode pour calculer la surface exacte d’une
demi-sphère et, en même temps, de la sphère elle-même. La valeur de pí

24. Cheikh Anta Diop, Civilisation ou barbarie, ouvr. cité, p. 440.


25. Cheikh Anta Diop, Civilisation ou barbarie, p. 402.
12

découverte jusqu’alors était 3,16, assez proche de 3,14, sa valeur actuelle.


Le problème nº 14 traite du calcul du volume d’une pyramide et d’un cône,
dont Archimède avait attribué la découverte à Eudoxe, deux mille ans plus
tard, après s’être attribué le reste. Ainsi, dans son traité De la méthode,
dédié à son ami le géomètre Ératosthène, il lui assure que son procédé
mécanique de pesée des figures géométriques était la seule « source cachée
de ses découvertes ». Même si on aperçoit l’influence décisive des
découvertes égyptiennes sur ses œuvres De la sphère et du cylindre et De
la mesure du cercle, en calculant la valeur de pi = 3,14, il ne fait nulle part
allusion à la valeur égyptienne très voisine de 3,16. Et dans De l’équilibre
des plans ou de leur centre de gravité, il pose le problème de l’équilibre du
levier, un problème très ancien vécu au jour le jour par les Égyptiens et
maîtrisé par leurs géomètres pour la construction des pyramides depuis
2600 av. J.-C. Archimède a été accusé de malhonnêteté intellectuelle26 une
fois que fut dévoilée la ruse par laquelle il « aurait effacé soigneusement la
trace » des sources égyptiennes.
Le Papyrus Rhind est le plus étendu parmi ceux qui nous concernent
ici ; il comprend une grande variété de découvertes scientifiques
égyptiennes. Par exemple, il montre, dans la figure 46, que le théorème
faussement attribué à Pythagore de Samos avait été inventé en Égypte
presque trois millénaires avant Jésus-Christ. À mon avis, ayant consacré
quelque temps à l’étude de la pensée égyptienne ancienne, j’ai pu
remarquer que la conception de l’univers des Égyptiens était déduite de son
équilibre et constitué de divers ordres. Du point de vue strictement
cosmique, c’était l’équilibre des forces des devenirs de Râ et le
renversement d’Apâp, l’équilibre de la terre fertilisée par l’eau et du ciel
étoilé, l’équilibre de la lumière et des ténèbres, du bien et du mal ; et, du
point de vue géographique, c’était l’équilibre de la division de leur pays,
l’Égypte, un équilibre susceptible d’être représenté ou symbolisé par une
figure géométrique dont les parties seraient exactement égales les unes aux
autres. Par exemple, en traçant un diamètre vertical dans un cercle, on a
logiquement deux demi-cercles égaux. Cela représenterait l’Égypte
traversée par le Nil. Et en traçant une fois encore un autre diamètre
horizontal dans le même cercle, on y obtient quatre segments égaux qui
symboliseraient le nord-ouest et le nord-est de la Basse-Égypte et le sud-
ouest et le sud-est de la Haute-Égypte. Mais cette fois cet équilibre était
représenté par l’intermédiaire d’un triangle rectangle, parce que « les
Égyptiens paraissaient s’être figuré le monde sous forme du triangle, de
même que Platon, dans sa Politique, semble l’avoir employé comme
symbole de l’union matrimoniale. Ce triangle, le plus beau des triangles, a
son côté vertical composé de 3, la base de 4 et l’hypoténuse de 5 parties, et

26. Paul Ver Eeke, Les œuvres complètes d’Archimède, Albert Blanchard, Paris, 1960, p. XLIX, cité par
Cheikh Anta Diop, Civilisation ou barbarie, ouvr. cité, p. 293 et 298.
13

le carré de celle-ci est égal à la somme des carrés des cathètes. Le côté
vertical symbolise le mâle, la base la femelle, et l’hypoténuse la
progéniture des deux27. » Dans ce même Papyrus on trouve tous les
problèmes concernant la géométrie moderne.
Le Papyrus médical Adwin Smith, outre les problèmes mathé-
matiques posés par d’autres Papyrus, nous présente les premières
recherches « des fonctions du cerveau qui remontent à 1400 avant
Démocrite d’Abdère, à qui on les avait attribuées en Grèce ; et, en même
temps, il développe 48 cas de chirurgie osseuse et de pathologie externe,
dont on peut citer les suivants : « luxation de la mâchoire, d’une vertèbre,
de l’épaule ; perforation du crâne, du sternum ; fracture du nez, de la
mâchoire, des clavicules, de l’humérus, des côtes, du crâne sans rupture des
méninges, avec écrasement d’une vertèbre cervicale, etc. », et toutes les
autres techniques bien connues et pratiquées 2 000 ans avant Hippocrate28.
Le Papyrus démotique Carlsberg 1 à 9 établit les méthodes du
diagnostic et leur adaptation ultérieure en Grèce par Hippocrate et, à la fois,
le développement extraordinaire de la science astronomique qui aboutit à
l’établissement du premier calendrier, dont la mesure divisait l’année en
36 décades ou période de dix jours, ce qui faisait 360 jours. Et enfin
l’invention du dernier calendrier civil de 365 jours, qu’on emploie encore
de nos jours et, comme le déclara Neugebauer dans ses Vorlesungen über
Geschichte der antiken mathematischen Wissenchaften, c’est « le seul
calendrier intelligent qui ait jamais existé dans l’histoire humaine ». Le
Carlsberg 9 décrit les méthodes de détermination des phases de la lune,
basées exclusivement sur les sources les plus anciennes de l’astronomie
égyptienne.
Outre toutes ces disciplines, les Égyptiens se montrèrent grands
maîtres dans beaucoup d’autres domaines de la sagesse, tels que la chimie
et la métallurgie du fer, et inaugurèrent une architecture dont la perfection
n’a jamais été atteinte par les techniques les plus sophistiquées du
e
XXI siècle. Ce petit parcours à travers la papyrologie égyptienne amène le
grand muntu à nous faire une dernière remarque :
« Loin de nous l’idée qu’Archimède ou les Grecs en général, qui sont
venus trois mille ans après les Égyptiens, ne sont pas allés plus loin qu’eux
dans les différents domaines du savoir ; nous voulons seulement dire qu’en
bons savants ils auraient dû chaque fois faire la part des choses en
indiquant nettement ce qu’ils avaient hérité de leurs maîtres égyptiens et ce

27. Plutarque, Isis et Osiris, CLVI, TE Peet, The Rhind Mathematical Papyrus, University Press of
Liverpool, 1923, pl. QR, p. 78, 80-82, 93-94 et 121-122 ; Ferdinand Hoefer, Histoire des mathématiques,
Librairie Hachette, Paris (4e éd.), p. 99, 129-130 ; cités par Cheikh Anta Diop, Civilisation ou barbarie,
ouvr. cité, p. 324, 326-331, 335 et 340-345.
28. Gustave Lefebvre, La médecine égyptienne, p. 39 ; Jean Vercoutter, « Rubrique », dans La science
antique et médiévale, PUF, Paris, 1957, p. 50 ; cités par Cheikh Anta Diop, Civilisation ou barbarie,
ouvr. cité, p. 362.
14

qu’ils ont réellement apporté. Or ils ont presque tous failli à cette règle
élémentaire d’honnêteté intellectuelle29. »
Ce plagiat commis par les élèves grecs met en cause leur savoir et
réclame une nouvelle approche de l’herméneutique actuelle. Eh oui ! C’est
le premier volume d’une recherche consacrée à la réhabilitation de
l’histoire et de la sagesse des cultures nègres qui a été exalté par le créateur
de la négritude contemporaine comme le livre le plus audacieux qu’un
nègre ait jusqu’ici écrit.

4. La voie d’une nouvelle approche herméneutique de l’histoire et du


savoir universel.

Nous sommes parvenus jusqu’ici, guidés par la lumière du jour jetée


par le grand muntu. Il nous a ouvert les portes et nous a mis en mouvement
vers la rencontre de notre essence, de notre histoire et de notre sagesse
primordiale. Même s’il existe encore des ‹ peaux noires masques blancs ›,
en revanche il nous a fait devenir des bantus dotés d’un esprit fort et libre.
Si l’herméneutique a été définie, depuis Schleiermacher, comme la science
de l’interprétation, ce nouvel apport de la connaissance humaine exige la
correction de l’histoire universelle et de la pensée, pour rendre à l’Afrique
et à ses inventions le mérite qui à l’origine leur correspond.

León, le 27 juin 2008.

Copyright © Eugenio Nkogo Ondó 2008

29. Cheikh Anta Diop, Civilisation ou barbarie, p. 310.

Vous aimerez peut-être aussi