Avec Internet, des espaces de parole alternatifs se sont ouverts aux féministes. Crédits : INA.
Hélène Breda est maître de conférences en Sciences de l’information et de la communication à l’Université Sorbonne Paris Nord (USPN) et chercheuse au Laboratoire des Sciences de l'Information et de la Communication (LabSIC). Ses travaux portent sur les représentations médiatiques des identités culturelles et sur les mobilisations militantes en ligne (féministes, queer, LGBT+). Après avoir étudié́ le cinéma et réalisé une thèse sur les séries télévisées, elle s’intéresse aujourd’hui aux expressivités féministes, mais aussi aux études de fans ou « fan studies ». Pour l’INA, elle raconte ce que le numérique a apporté aux luttes et revendications féministes.
INA - Qu’apporte Internet aux revendications, luttes et à l’activisme féministe ?
Hélène Breda – Le sous-titre du livre, « Lutter entre anciens et nouveaux espaces médiatiques », est important : s’il ne s’agit pas d’une lutte entre les anciens et nouveaux médias, Internet apporte une autre approche de l’actualité et des phénomènes de sociétés de la part de personnes qui n’ont pas de voix dans les médias traditionnels. Ce phénomène a déjà été étudié, notamment par le sociologue Dominique Cardon, pour d’autres formes de revendications.
Des études récentes montrent qu’il existe encore de grandes disparités de genre dans les médias traditionnels (télévision, presse écrite et radio). Cela se voit dans les représentations, au sein des rédactions, et même dans les écoles de journalisme où une certaine logique sexiste règne parfois. Internet offre donc une tribune a des personnes pour remettre en cause la façon dont l’actualité est présentée. Cela leur permet d’une part d’être dans le débat public et de porter des revendications, mais aussi d’être exposées à des connaissances qui les touchent au premier chef.
INA - Ces revendications sont-elles les mêmes qu’hier ?
Hélène Breda – Elles sont dans le prolongement de choses qui existaient déjà pour les générations précédentes. Le harcèlement de rue par exemple était déjà pris en compte par les féministes de la deuxième vague (fin des années 60). Tout ce qui concerne les agressions sexuelles existait déjà dans les vagues précédentes. Il y a donc une continuité. Les réflexions sur la maternité, la conjugalité, les disparités dans l’espace domestique vont exploser avec l’arrivée d’Internet. La technologie est surtout un catalyseur.
INA – Comment cela se manifeste ?
Hélène Breda – Il y a énormément de formes d’expression. Il y a différents moyens et différents degrés d’investissement. Internet permet à des structures qui préexistent (collectifs, associations) d’avoir des plateformes pour faire connaître plus largement leurs revendications et leurs actions que ne le permettaient les médias féministes des générations antérieures. Sans être rallié à un collectif, on peut aussi naviguer, notamment sur les réseaux sociaux et les blogs, liker, diffuser un post et lui donner de l’ampleur. On trouve donc aussi bien un militantisme actif et investi que quelque chose de l’ordre de l’engagement sans être du militantisme à proprement parler.
INA – Le féminisme passe par la parole mais aussi par l’image, par la représentation des corps...
Hélène Breda – Absolument. Les corps étaient déjà utilisés par les générations précédentes. Cependant, les principes de publications propres à Internet vont multiplier cet effet. Parfois même jusqu’à concurrencer les représentations du corps féminin dans la presse féminine ou la publicité. On assiste aussi à une logique de création, de DIY (do it yourself), comme la fabrication de mèmes (image virale) ou un retravail d’images. Les formes sont donc extrêmement diverses.
INA – Les féminismes sont légion. Comment s’organisent ces communautés sur Internet ?
Hélène Breda – Ce n’est pas une doxa uniforme et il existe des lignes de fractures à l’intérieur des féminismes. Il y a des effets de bulles. Et ces bulles s’entrechoquent avec parfois des affrontements très vifs. L’union des luttes reste donc complexe. En ce moment, la question de la transidentité et le port du voile sont au cœur des débats.
INA- Quelles sont les limites de cet activisme en ligne ?
Hélène Breda – Ce n’est pas propre au numérique, mais il existe un risque du maintien d’un entre-soi et des difficultés à convaincre. Les détracteurs vont aussi utiliser les ressources d’Internet pour harceler, voire à pousser certaines militantes à arrêter.
INA - Et la place des hommes dans tout ça ?
Hélène Breda – Certaines militantes sont très attachées à la non-mixité et pensent que le féminisme est une affaire de femmes. Pour autant, toute cette diffusion d’idées, de concepts, de théories influent sur les mentalités. Dans certains cercles, cela va engendrer des modifications des standards d’acceptabilité, de conduites, ou de propos. Beaucoup d’hommes sont conscients de ces problématiques liées à la masculinité. À l’inverse, cela peut avoir des effets pervers. Certains hommes peuvent se créer une façade de bon allié et tirer profit de cette posture pour mieux cacher leurs harcèlements.