de ce que vous écrivez[1]. » — On le voit, Mme de Sévigné avait été avertie par l’exquise justesse de son jugement : elle ne connaît pas le texte des lettres d’Héloïse et d’Abélard, et elle veut être indulgente à « l’amusement » du galant auteur de l’Histoire amoureuse des Gaules ; mais elle a senti que sa traduction est « au-dessus, » c’est-à-dire à côté de l’original, et elle demeure en défiance[2].
La traduction de Bussy-Rabutin est restée néanmoins, pendant plus d’un siècle, le modèle de tous les imitateurs, prosateurs et poètes[3]. « Je n’ai point suivi l’original latin, dit M. de Beauchamps, dans la Préface de sa traduction, réimprimée trois fois en vingt ans, « les savants le trouvant mauvais ; je leur dirai sans chercher à m’excuser, qu’en 1687, M. le comte de Bussy, et en 1695, M. *** ne s’y sont point assujettis et qu’ils s’en sont bien trouvés. Les Lettres d’Héloïse et d’Abailard ne sont guère connues que de ceux qui les ont lues dans ces auteurs. Les produire sous une autre idée, ce serait les défigurer, et je ne sais si l’on serait bien reçu à le faire. Au reste, comme ces messieurs ont suivi leur imagination, j’ai cru pouvoir suivre la mienne. La poésie donne encore plus de liberté que la prose..... » Une fois dans cette voie, chacun s’y met à l’aise. On sépare les Lettres amoureuses des Lettres de direction. On supprime presque les dernières, on bouleverse l’ordre des autres, sans tenir compte des époques et de la succession des sentiments ; on mutile le texte, on le développe, on le commente, on le traite, comme s’il n’existait pas. Savait-on bien au juste qu’il existât ? En 1723, dom Gervaise parait surpris lui-même d’avoir retrouvé le manuscrit de la bibliothèque de François d’Amboise[4], et sa bonne fortune est pu-
- ↑ Correspondance de Roger de Habulin, comte de Bussy, édition L. Lalanne. Lettres 2336-2338.
- ↑ Cette traduction a été insérée dans le Recueil de lettres, publiées après la mort de Bussy 1693.
- ↑ Histoire d’Héloïse et d’Abélard, avec la lettre passionnée qu’elle lui écrivit, traduite du latin, in-12, à La Haye, 1687 ; rééditée en 1693, 1695, 1696, 1697, sous le même titre ; en 1720, sous un titre différent : Lettres d’Abélard et d’Héloïse, ou Amour et infortunes d’Abélard et Héloïse ; en 1722, sous cet autre titre : Nouveau recueil contenant la vie, les amours, les infortunes, les lettres d’Abélard et Héloïse, etc. — Histoire des Amours et infortunes d’Abélard et d’Héloïse, par Dubois, La Haye, 1711, in-18. — Recueil de lettres galantes et amoureuses d’Abélard et d’Héloïse, Amsterdam, 1704, in-12, réimprimé à Anvers, 1720, à Amsterdam, 1725. — Lettres d’Héloïse et d’Abélard mises en vers français, par M. de Beauchamps, 1714, etc., etc.
- ↑ Les véritables lettres d’Héloïse et d’Abailard. tirées d’un ancien manuscrit latin trouvé dans la bibliothèque de François d’Amboise, conseiller d’État ; traduites par l’auteur de leur vie, avec des notes historiques et critiques très-curieuses, 1722-23, 2 vol. in-12. Paris ; réimprimées en 1796 par Delaulnaye. Paris — D. Gervaise, avait publié, en 1720, la Vie de Pierre Abeillard, abbé de Saint-Gildas de Ruys, et celle d’Héloïse, son épouse, 2 vol. in-12.