0% ont trouvé ce document utile (0 vote)
160 vues17 pages

Le Maghreb Dans Les Relations Internationales - Le Maghreb Et Son Sud - L'enjeu Économique Africain - CNRS Éditions

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1/ 17

28/12/2021 20:18 Le Maghreb dans les relations internationales - Le Maghreb et son Sud : l’enjeu économique africain - CNRS Éditions

CNRS
Éditions
Le Maghreb dans les relations internationales
 | Khadija Mohsen-Finan

Le Maghreb et son
Sud : l’enjeu
économique
africain
Abdelmalek Alaoui
p. 277-290

Texte intégral
1 Rarement étudiée, la relation du Maghreb avec le reste du
continent africain, voire avec son voisinage méridional
direct, est pourtant importante pour cerner la place occupée
par le Maghreb dans le monde et comprendre comment cette
région se projette dans son avenir. Il convient donc

https://books.openedition.org/editionscnrs/22776 1/17
28/12/2021 20:18 Le Maghreb dans les relations internationales - Le Maghreb et son Sud : l’enjeu économique africain - CNRS Éditions

d’analyser les stratégies de projection économique des pays


maghrébins en Afrique.

Évolution économique du continent


depuis la crise
2 Avant de se pencher sur la projection des économies
maghrébines en Afrique, il convient d’examiner avec
attention les dernières tendances économiques du continent,
tant ces dernières influencent les stratégies poursuivies par
les principaux pays du Maghreb. En effet, de nombreux
économistes, au cours de l’année 2009 puis début 2010, ont
affirmé que l’Afrique avait été épargnée par la crise
mondiale, en raison notamment de sa prétendue
déconnexion du système financier international. Cette
assertion couvre en fait une réalité beaucoup plus disparate.
3 La croissance africaine s’est stabilisée autour de 2,6  %
en  2009 (2,5  % selon le Fonds monétaire international
[FMI], 2,8  % selon la Banque africaine de développement
[BAD]), ce qui constitue un net recul par rapport à  2007
(5,7 %) et 2008 (6 %). Bien entendu, derrière ces chiffres se
cache une réalité hétérogène en raison de plusieurs facteurs
de «  contamination  » de la crise mondiale en direction du
continent.
4 Au niveau de l’appareil productif et des échanges
commerciaux, les importations occidentales accusent une
nette baisse, combinée à une chute significative des prix des
matières premières. Ce double mécanisme a des effets
collatéraux sur nombre d’indicateurs des pays africains,
notamment la réserve en devises, la balance des paiements
ou le déficit. Seuls rescapés de ce tableau globalement
négatif  : l’or et le cacao. Concernant le métal jaune, son
statut de valeur refuge a entraîné une hausse des cours de la
bourse, favorisant les pays où il est extrait. Pour le cacao,
c’est la crise ivoirienne qui a créé un effet levier et permis le
maintien des cours. En termes de recettes budgétaires, il y a
là un véritable réservoir de croissance pour les économies
maghrébines, les États et gouvernements à court de
liquidités (short on cash) étant plus enclins à accélérer leur
https://books.openedition.org/editionscnrs/22776 2/17
28/12/2021 20:18 Le Maghreb dans les relations internationales - Le Maghreb et son Sud : l’enjeu économique africain - CNRS Éditions

programme de privatisation, les télécoms ou les ports étant


en première ligne. Les grands groupes français impliqués
dans l’industrie portuaire se sont d’ailleurs montrés très
offensifs depuis le déclenchement de la crise.
5 Au niveau financier, l’Afrique dans sa grande majorité est
déconnectée du reste du monde, exception faite de quelques
pays connectés au système financier international, ou ceux
ayant connu une forte libéralisation financière. Ainsi,
l’Égypte, l’Afrique du Sud, le Kenya, le Nigeria, l’île Maurice,
ou encore le Botswana ont vu leurs bourses dévisser. Autre
point commun, les anciennes colonies britanniques encore
fortement connectées à Londres, et ayant reproduit un
système financier assez similaire à celui de la Grande-
Bretagne, sont celles qui ont accusé le plus grand contrecoup
financier. Enfin, la baisse des transferts des migrants depuis
le déclenchement de la crise en 2007, de l’ordre de 1 milliard
d’euros (sur 20 milliards de dollars US [MdsUSD]) pour les
transferts formels, auquel il faut ajouter la baisse des
transferts informels – près de 400  millions d’euros sur 5
MdsUSD – ont sensiblement affecté la consommation
interne africaine, et altéré la capacité de rebond des
populations. Cette tendance s’est poursuivie courant 2010,
l’augmentation du chômage en Europe touchant en premier
lieu les populations immigrées, entraînant de facto une
baisse de la capacité de transfert.
6 La volatilité des prix et des flux entraînée par la crise
mondiale a eu de sérieuses répercussions sur le continent.
Les économies africaines, fragiles et dépendantes des cours
du pétrole et des denrées alimentaires, souffrent désormais
de l’impossibilité d’effectuer des prévisions, ce qui pousse les
responsables des budgets à privilégier des initiatives court-
termistes ou opportunistes, qui peuvent s’avérer sur le
moyen terme très coûteuses. La baisse des crédits octroyés
par les filiales locales des banques européennes a également
contribué à mettre en péril les flux et à plonger dans la
précarité un certain nombre d’acteurs économiques
confrontés à des besoins de trésorerie. De manière plus
profonde, la crise financière mondiale a révélé une crise de

https://books.openedition.org/editionscnrs/22776 3/17
28/12/2021 20:18 Le Maghreb dans les relations internationales - Le Maghreb et son Sud : l’enjeu économique africain - CNRS Éditions

gouvernance au niveau des institutions bancaires –


notamment européennes –, qui ont tenté d’appliquer en
Afrique des normes comptables et de crédit qui ne peuvent
s’accommoder des pratiques locales, au risque de faire
imploser l’économie.
7 Enfin, le quatrième facteur de contamination est
psychologique. En effet, l’Afrique a désormais en grande
partie accès aux médias internationaux, à travers lesquels les
populations ont vécu la crise financière mondiale quasiment
au même rythme que les pays développés. Cela a surtout
influencé les comportements  : les acteurs économiques ont
privilégié une posture attentiste, sauf quelques exceptions.
Les acteurs publics ont également voulu se positionner au
niveau de l’aide internationale octroyée par les grandes
institutions internationales, parfois même alors qu’il n’y
avait pas d’urgence budgétaire réelle. Néanmoins, cette
réserve d’argent frais à des taux relativement cléments a
permis d’induire une certaine relance de l’économie dans les
zones concernées au dernier trimestre 2010, qui devrait
avoir un effet positif sur la consommation.
8 Face à cette quadruple dynamique, le chercheur Philippe
Hugon2 estime qu’il est possible de diviser les pays africains
en six catégories distinctes, ce qui permet d’appréhender les
dynamiques possibles. Les critères pris en compte pour ce
découpage superposent les «  driving forces  » aux données
structurelles, ainsi que les attitudes des gouvernements.
9 À cette combinaison sont ensuite ajoutés les facteurs de
vulnérabilité issus des grands rapports internationaux
consacrés aux politiques économiques.
10 C’est donc à travers le croisement de trois données
structurelles (économies agro-exportatrices, régimes miniers
et pétroliers extravertis, et régimes mixtes d’accumulation)
et des trois situations financières (état des déficits, de la
dette et contrainte financière) que nous pouvons aboutir à
une représentation fidèle de la réalité des situations
économiques en Afrique (tableau 4).
Tableau 4  : Diversité des vulnérabilités des pays
africains à la crise mondiale.
https://books.openedition.org/editionscnrs/22776 4/17
28/12/2021 20:18 Le Maghreb dans les relations internationales - Le Maghreb et son Sud : l’enjeu économique africain - CNRS Éditions

Régimes Économies agro- Régimes Régimes


d’accumulation/Contraintes exportatrices rentiers mixtes
financières miniers et accumulation
pétroliers
extravertis
Congo-
Éthiopie, Côte d’Ivoire
Déficit extérieurs
Brazzaville,
Économies sous
Contrainte extérieure forte
RDC, Zambie,
perfusion Burundi, Afrique du
Déficit public
Mauritanie,
Ghana, Kenya, Burkina Sud
Poids élevé de la dette Congo-
Faso, Madagascar,
publique Brazzaville,
Sénégal
Tchad
Botswana, île
Pays pétroliers
Pas de contrainte Maurice,
Liberia, Tanzanie (Algérie,
financière forte Maroc,
Angola, Nigeria)
Tunisie

Source  : P. Hugon, «  La crise mondiale et l’Afrique  :


transmission, impacts, enjeux  », Afrique Contemporaine.
Afrique et développement, no 232, 2009.
11 Répartis dans les grands groupes de pays présentés dans le
tableau 4, les pays du Maghreb ont adopté des stratégies
d’expansion économique assez différentes qui sont la
résultante d’une triple combinaison  : le poids de l’histoire,
les stratégies opportunistes poursuivies par certains grands
opérateurs, ainsi que le besoin de trouver de la croissance
qui est «  confisquée  » par ailleurs, comme dans le cas du
Maroc et de l’Algérie, dont les deux économies, pourtant
parfaitement complémentaires, sont mal intégrées. Devant
la difficulté d’obtenir des chiffres fiables pour la Mauritanie,
et le peu d’engagement économique de la Libye sur le
continent, il a été décidé de concentrer l’analyse de la
projection économique du Maghreb sur le Maroc, la Tunisie
et l’Algérie, afin d’identifier les stratégies poursuivies par
chacun de ces pays et de déterminer s’il existe ou non un
« modèle maghrébin ».

La Tunisie en embuscade
12 Durant la période 1960-2000, la Tunisie a investi de
manière relativement modeste le continent africain ; hormis
quelques exceptions dans le secteur financier et
l’«  agribusiness  », quasiment aucun groupe tunisien n’était
présent à l’échelle continentale à l’orée du nouveau siècle.
Une situation qui, déjà en  1979, faisait dire au politologue
Mohsen Toumi, doué d’un sens certain de la formule : « Il y
https://books.openedition.org/editionscnrs/22776 5/17
28/12/2021 20:18 Le Maghreb dans les relations internationales - Le Maghreb et son Sud : l’enjeu économique africain - CNRS Éditions

a vingt ans, la Tunisie était le seul pays du Maghreb à mener


en Afrique une action diplomatique d’envergure.
Aujourd’hui, il est pratiquement le seul qui n’en mène pas
une3.  » La Tunisie affiche néanmoins dès le début des
années  2000 une ambition renouvelée pour le continent et
intensifie ses exportations de fils et de câbles, de pâtes
alimentaires, ainsi que d’huile végétale en direction de
l’Afrique subsaharienne. Il faut néanmoins attendre la crise
financière internationale de  2008 pour que la Tunisie
prenne véritablement conscience que l’Afrique présente pour
elle un enjeu économique de taille. En effet, l’économie
tunisienne effectuant près de 80  % de ses échanges avec
l’Europe, la crise de croissance du Vieux Continent a un
impact considérable sur les carnets de commandes des
entreprises tunisiennes, qui doivent donc se tourner vers de
nouveaux réservoirs de croissance. L’État accompagne cette
démarche en accélérant le calendrier des accords de libre-
échange avec l’Union économique et monétaire ouest-
africaine (UEMOA)4, qui représente un marché de
80  millions de personnes, et avec la Communauté
économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC).
Ces initiatives de coopération multilatérale s’accompagnent
de multiples manifestations économiques, tels le Forum
économique tuniso-camerounais à partir de  2007 et le
Forum économique tuniso-africain en  2010. L’État tunisien
s’emploie à marquer de sa présence les grandes instances
multilatérales. Cette tendance est confirmée par le discours
officiel, puisque Abdelwaheb Abdallah, ministre des Affaires
étrangères en  2009, affirmait lors d’une conférence
nationale consacrée à la relation Tunisie-Afrique5 que son
pays participe pleinement « à toutes les instances régionales
et continentales ».
13 Cette réorientation dans le cadre d’une démarche «  top-
down6  » a eu un impact certain, comme en témoigne le
mouvement haussier des échanges au premier trimestre
2010, avec plus de 15 % d’augmentation des exportations en
direction de l’Afrique subsaharienne, là où les échanges avec
l’Europe reculaient de 17  %, selon des sources officielles

https://books.openedition.org/editionscnrs/22776 6/17
28/12/2021 20:18 Le Maghreb dans les relations internationales - Le Maghreb et son Sud : l’enjeu économique africain - CNRS Éditions

tunisiennes. Il faut ici également souligner que les chambres


de commerce tunisiennes ont joué un rôle non négligeable,
avec en tête de file la chambre de commerce de Tunis,
présidée par Mounir Mouakhar. Ce dernier, dans une
interview accordée en juin 2009 à l’hebdomadaire Les
Afriques7, précise la nature des objectifs poursuivis  : «  Le
coton, le café, le cacao, le bois et l’industrie halieutique pour
l’UEMOA, le textile-vêtement, l’industrie de moyenne
technologie et les produits issus de l’industrie halieutique
pour la Tunisie, feront l’objet de ces échanges.  » À noter
également que la prospection décentralisée n’est pas en reste
puisque la chambre de commerce et d’industrie de Sfax a
organisé des missions vers le Mali, la Côte d’Ivoire et le
Burkina en 2009. Cependant, c’est sans conteste le Centre de
promotion des exportations (CEPEX)8 qui se montre le plus
offensif, réorientant sa stratégie vers l’Afrique et multipliant
les visites de prospection à la tête de groupes d’hommes
d’affaires. Le secrétaire d’État au Commerce extérieur,
Chokri Mamoghli, s’est également beaucoup investi,
entreprenant des tournées dans plusieurs pays d’Afrique afin
d’expliquer le modèle tunisien.
14 À cet égard, Douala serait envisagée comme principal relais
de la stratégie africaine de la Tunisie, les opérateurs
nationaux plaidant pour que les compagnies aériennes
ouvrent de nouvelles lignes en direction du Cameroun,
considéré comme une tête de pont potentielle pour leurs
entreprises.
15 Un examen attentif de la stratégie tunisienne indique
également qu’il y aura bientôt des zones de compétition avec
le grand rival marocain. En effet, la Tunisie affiche
désormais ses ambitions dans l’exportation de services  : le
groupe de BTP Soroubat a déjà décroché le contrat de
l’autoroute Abidjan-Yamoussoukro en  2009, et la Société
tunisienne de l’électricité et du gaz (STEG) s’occupe
d’électrification rurale au Rwanda ou encore au Burkina.
Selon toute vraisemblance, cette rivalité économique
marocco-tunisienne sur le continent est appelée à
s’intensifier, les deux pays étant concurrents sur les mêmes

https://books.openedition.org/editionscnrs/22776 7/17
28/12/2021 20:18 Le Maghreb dans les relations internationales - Le Maghreb et son Sud : l’enjeu économique africain - CNRS Éditions

segments d’activité, bien que le Royaume chérifien ait en ce


domaine une longueur d’avance.

Le « bilatéralisme économique » actif


du Maroc
16 Absent de l’Union africaine depuis bientôt trente ans, peu
présent dans les instances régionales, le Maroc aurait pu
connaître la même trajectoire qu’au début du xixe  siècle,
marquée par l’isolationnisme et le protectionnisme. De
surcroît, doté d’un voisin oriental qui désire l’« insulariser »
et avec lequel les échanges économiques sont quasiment
nuls, il aurait pu être tenté d’opter pour le repli. Néanmoins,
les observateurs s’accordent à reconnaître que la doctrine
marocaine de diplomatie économique, mêlée à une sorte de
« bilatéralisme actif », a permis l’émergence d’un modèle de
conquête économique du continent africain que lui envient
les puissances régionales. Ce phénomène s’explique par des
causes historiques comme par des raisons purement
conjoncturelles. Parmi les raisons historiques, la sécularité
des liens avec l’Afrique et l’aura religieuse du Royaume
chérifien constituent un point d’ancrage sur lequel les
Marocains peuvent s’appuyer pour servir leurs ambitions
internationales. Pour illustrer la force de ce lien, le
chercheur sénégalais Bakary Sambe a cette formule
lumineuse  : «  L’histoire semble révéler que le destin du
Maroc est tellement lié à celui de l’Afrique subsaharienne
qu’il a toujours fallu un élément catalyseur pour perpétuer le
contact. Il peut être conflictuel, fraternel, mais toujours
passionnel9. » Ce lien « passionnel » a toute son importance
dans un contexte où la non-intégration du Maghreb a obligé
le Maroc, dépourvu d’hydrocarbures, à retrousser ses
manches et à se projeter au sud afin de trouver la croissance
économique qui agira comme un «  amortisseur  » des
tensions sociales et lui permettra d’accéder aux précieux 6 %
de croissance nécessaires à l’éradication de la grande
pauvreté10.
17 Dès la fin des années  1990, les responsables marocains
commencent à utiliser le terme «  diplomatie économique  »
https://books.openedition.org/editionscnrs/22776 8/17
28/12/2021 20:18 Le Maghreb dans les relations internationales - Le Maghreb et son Sud : l’enjeu économique africain - CNRS Éditions

pour qualifier leur stratégie à l’égard du continent africain,


terme qui n’est pas employé dans les rapports Sud-Nord ou
Est-Ouest. Mélange d’agressivité économique, de promotion
de champions nationaux dans les télécoms (Maroc Telecom),
la finance (Attijariwafa Bank ou la Banque marocaine du
commerce extérieur [BMCE]), le BTP (groupes Chaabi et
Addoha), ou encore l’énergie et l’assainissement (Office
national de l’eau [ONE] et Office national de l’eau potable
[ONEP]), la diplomatie économique marocaine traduit
également la solidarité – régulièrement témoignée – du
Royaume à l’égard du continent africain, le Maroc étant
souvent le plus prompt à intervenir lors de catastrophes
naturelles (sécheresse, inondations, etc.).
18 Lors de la seconde moitié de la décennie 2000, le Maroc a
investi massivement dans la « diplomatie économique » avec
l’idée – affichée – d’en faire son arme principale pour
promouvoir son plan d’autonomie pour le Sahara occidental.
19 D’un point de vue conjoncturel, le déplacement du centre de
gravité de la diplomatie médicale de l’Afrique francophone –
passé du Val-de-Grâce de Paris à l’Hôpital militaire
d’instruction Mohammed V de Rabat – a constitué un
événement important pour le Royaume chérifien en termes
de projection de puissance et de stratégie d’influence.
Certains événements récents illustrent ce basculement en
faveur de Rabat : Edith Bongo y est décédée en mars 2009,
Moussa Dadis Camara y a été hospitalisé en décembre 2009
à la suite de la tentative de coup d’État à son encontre et y a
reçu plusieurs visites privées de son successeur Sékouba
Konaté. Cette nouvelle tendance concerne, bien entendu, les
chefs d’État africains mais également leurs états-majors, le
monde économique ou les décideurs publics, pour lesquels
Rabat est devenue une escale médicale incontournable. Ce
mouvement a été intensifié par la médiatisation de l’affaire
des biens mal acquis (BMA)11 en France, qui a achevé
d’augmenter la défiance des dirigeants africains à l’égard de
la France et de ses juges. Il faut également souligner qu’une
nouvelle génération de décideurs africains ayant étudié au
Maroc est en train d’arriver aux affaires. Des liens très forts

https://books.openedition.org/editionscnrs/22776 9/17
28/12/2021 20:18 Le Maghreb dans les relations internationales - Le Maghreb et son Sud : l’enjeu économique africain - CNRS Éditions

ont été conservés avec le Royaume, puisqu’une seconde


génération est actuellement en formation sur les bancs des
universités et écoles marocaines. Cela est vrai dans le monde
civil, mais également dans le monde militaire. Grâce, en
partie, à cette «  communauté de destin médicale et
universitaire  », le Royaume du Maroc est en train de
construire son grand dessein économique africain, comme
l’atteste la réussite de ses entreprises en Afrique depuis un
peu plus d’une décennie. Ainsi que le souligne le journaliste
burkinabé Aziz Ouedraogo, « le Royaume est à la recherche
d’opportunités et d’investissements. À la différence de
l’Europe, de la Chine ou encore des États-Unis, il joue la
carte de la proximité géographique et culturelle. […] On le
voit dans le secteur des télécommunications, des nouvelles
technologies, de la formation, de l’aéronautique, etc.12  ».
Cependant, les succès récents du Maroc en Afrique ne
doivent pas faire oublier ses échecs, qui ont contribué à
ternir, dans une certaine mesure, l’image du Royaume
chérifien. Le différend – qui a failli dégénérer en crise
majeure – ayant opposé la Royal Air Maroc (RAM) au
Sénégal13 pour moins de 30  millions de dollars US est un
exemple éloquent. Un autre facteur, beaucoup plus
important, peut faire craindre un mouvement de repli
paradoxal. En effet, le Maroc est en passe de devenir un
acteur continental, ce qui modifie la dimension de ses
adversaires économiques. Opposé à France Télécom plus
d’une fois, Maroc Telecom doit désormais faire face à des
géants des télécommunications chaque fois qu’elle répond à
un appel d’offres pour l’obtention d’une licence. En outre, le
Maroc commence à être visible. L’évolution de la
composition des délégations officielles accompagnant le chef
de l’État lors de ses voyages à l’étranger en témoigne ; que ce
soit à travers des prises de participation au capital des
entreprises africaines et/ou le montage de filiales, les
investissements marocains en Afrique s’orientent vers
presque tous les secteurs. La Chine, dont le nouveau terrain
de chasse est indubitablement le continent africain, ne s’y est
d’ailleurs pas trompée : dans une dépêche de son agence de

https://books.openedition.org/editionscnrs/22776 10/17
28/12/2021 20:18 Le Maghreb dans les relations internationales - Le Maghreb et son Sud : l’enjeu économique africain - CNRS Éditions

presse officielle Xinhua, elle reconnaît que «  le marché


africain pourrait constituer un champ de manœuvre
stratégique pour les entreprises marocaines, compte tenu de
sa taille potentielle. Les exemples de réussite de coopération
bilatérale ne manquent pas. Parmi l’éventail d’entreprises
ayant enregistré des avancées, il convient de signaler la
présence des groupes marocains Chaabi et Tazi, actifs en
Côte d’Ivoire, au Mali, au Sénégal et en Guinée. Outre la
présence marocaine de plus en plus visible dans les secteurs
de la pêche et de l’irrigation, des entreprises bancaires
marocaines ont activement intégré le marché africain à
l’instar des banques BMCE et Attijariwafa Bank14  ». D’un
point de vue psychologique, la pénétration du Maroc sur le
marché économique africain devrait prendre une autre
dimension si le pays, grâce en grande partie à son opérateur
historique Maroc Telecom, arrive à assortir la route
transsaharienne d’un axe technologique Tanger-Dakar à
haut débit. Le lancement de la mise en place d’une ligne de
fibre optique suit en réalité le développement continental de
Maroc Telecom au fur et à mesure que l’entreprise acquiert
de nouvelles licences en télécommunications (Burkina Faso,
Gabon, Mali, Mauritanie). Ainsi, si la fibre optique a d’abord
été déployée dans les provinces du Sud marocain, elle
passera ensuite par la Mauritanie, permettant le
désenclavement technologique de l’axe Nouakchott-
Nouadhibou, avant d’emprunter le chemin du Mali, autre
axe prioritaire pour l’opérateur chérifien, sans oublier le
Burkina Faso. Ce maillage technologique continental doit
permettre au Maroc d’obtenir un avantage compétitif
important basé sur la technologie. Néanmoins, cette
croissance n’est pas sans risque : du fait de leur haut niveau
actuel, les investissements en Afrique des entreprises
marocaines ont gagné en visibilité, faisant du pays une cible
pour des concurrents plus puissants tels que la France, les
États-Unis, ou encore la Chine.

L’Algérie à la recherche d’un modèle

https://books.openedition.org/editionscnrs/22776 11/17
28/12/2021 20:18 Le Maghreb dans les relations internationales - Le Maghreb et son Sud : l’enjeu économique africain - CNRS Éditions

20 À la différence de la Tunisie et du Maroc, l’Algérie investit en


Afrique pour des raisons plus politiques, dans les secteurs de
l’énergie et des méga-infrastructures ; ses investissements ne
prennent que très rarement la forme de participations
directes. Ainsi, on ne voit quasiment jamais une entreprise
algérienne répondre à un appel d’offres continental, que ce
soit dans les télécommunications, le bâtiment, la banque ou
les services. Seule la Sonatrach, première entreprise
algérienne, a commencé à s’ouvrir timidement en  2005,
prenant des participations dans son cœur de métier, la
prospection pétrolière, dans différents blocs au Mali et en
Mauritanie. Les grands projets économiques de l’Algérie en
Afrique sont donc orientés vers l’énergie, comme en
témoignent le projet NIGAL15 et le pipeline transsaharien.
Ces projets sont coûteux, et correspondent au premier chef à
l’agenda politique du pays, centré sur le domaine
énergétique (technologie Gas to Liquids [GTL], etc.). Ces
mégaprojets sont d’ailleurs régulièrement reportés au motif
que les financements nécessaires ne sont pas encore réunis.
La véritable raison de ces retards accumulés se situe en fait
au niveau du prix actuel du gaz, jugé trop bas pour
rentabiliser un tel investissement. En réalité, il faut analyser
la présence économique algérienne en Afrique à l’aune des
contingences de la structure économique du pays et de
l’insuffisance des savoir-faire développés en interne. En
effet, l’Algérie n’a jamais orienté son économie vers la
conquête des marchés étrangers, qu’ils se situent au Sud ou
au Nord. L’échec de la politique des «  industries
industrialisantes  » des années  1970 ajouté à la difficulté de
voir émerger des «  champions nationaux  » marocains ou
tunisiens a encore aggravé le mal originel. La lutte contre le
terrorisme durant les années  1990 a achevé d’étouffer les
velléités d’expansion continentale des opérateurs
économiques algériens, et un net repli s’est opéré. À la fin
des années  2000, après une brève période de libéralisation
de l’économie, on assiste à une ferme reprise en main de
cette dernière par les pouvoirs publics à travers la loi de
finances complémentaire (LFC)16, qui vise à réduire le

https://books.openedition.org/editionscnrs/22776 12/17
28/12/2021 20:18 Le Maghreb dans les relations internationales - Le Maghreb et son Sud : l’enjeu économique africain - CNRS Éditions

volume  d’importations et impose aux investissements


étrangers des conditions jugées drastiques par la plupart des
experts. La LFC 2010 touche également le volet des
exportations, à travers l’interdiction d’exporter le cuir et le
liège jusqu’à l’élaboration d’un cahier des charges actualisé
par l’État, et suspend sine die l’exportation de métaux
ferreux et non ferreux. De surcroît, elle instaure une taxe sur
les superprofits, le texte précisant que « cette taxe est assise
sur les marges exceptionnelles par application d’un taux qui
varie de 30 % à 80 %17 ».
21 Autre élément ayant freiné la projection économique de
l’Algérie en Afrique, notamment selon la thèse développée
par Akram Belkaïd18  : le surinvestissement de la diplomatie
algérienne dans le dossier du Sahara, qui est probablement
le facteur ayant le plus contribué à son déclin à la fin des
années  1970 et au début des années  1980. Par un jeu de
vases communicants, le lobbying exercé par le Maroc pour
promouvoir son projet d’autonomie pour le Sahara
occidental a coupé l’Algérie de certains de ses partenaires
économiques potentiels, ces derniers étant souvent acculés à
choisir l’un ou l’autre des frères ennemis du Maghreb. C’est
donc naturellement que les pays qui entretenaient une
communauté de pensée forte avec l’Algérie sont devenus des
alliés économiques privilégiés, aux premiers rangs desquels
on retrouve le Nigeria, l’Afrique du Sud et, dans une
moindre mesure, l’Angola. Sans surprise, ces pays font partie
de l’axe politique Alger-Lagos-Luanda-Pretoria, qui
témoigne d’un alignement stratégique évident et d’une
convergence de positions sur une majorité de sujets, dont le
Sahara occidental.
22 Il s’agit donc d’un dossier déterminant et porteur de
discorde, qui oblige un certain nombre de pays africains à
dessiner les contours de leur coopération économique avec
l’Algérie et le Maroc à l’aune de leur position sur le conflit
saharien. Cette situation a eu un effet négatif sur la
projection économique algérienne sur le continent, car elle
n’a pas permis la libération des initiatives économiques en
direction de pays qui ne sont pas sur la même ligne politique

https://books.openedition.org/editionscnrs/22776 13/17
28/12/2021 20:18 Le Maghreb dans les relations internationales - Le Maghreb et son Sud : l’enjeu économique africain - CNRS Éditions

qu’Alger. À l’opposé, le souhait du Maroc de trouver de


nouveaux alliés l’a poussé à aller voir au-delà de son terrain
de chasse « naturel » – l’Afrique de l’Ouest francophone – et
à investir de nouveaux territoires.

Une rivalité opportune ?


23 Après examen de la projection économique du Maghreb en
Afrique, on constate trois mouvements majeurs :

la Tunisie, qui s’était jusque-là montrée plutôt timorée


en Afrique, a, depuis le déclenchement de la crise
financière internationale, consenti un effort important
afin de trouver de nouveaux débouchés continentaux, et
commence à rattraper son retard sur le Maroc,
historiquement mieux implanté ;
le Maroc est en passe de devenir un acteur économique
important sur le continent, et devra réadapter son
modèle, désormais trop étriqué et trop conjoncturel
pour pleinement servir une stratégie économique
continentale qui pourrait répondre aux besoins de
croissance actuels du royaume chérifien ;
l’Algérie est, semble-t-il, toujours victime du
«  syndrome hollandais  », et mise encore beaucoup sur
les hydrocarbures pour pouvoir déployer une stratégie
économique africaine ambitieuse.

24 L’absence de grands groupes nationaux privés se fait sentir à


cet égard  ; seul un aggiornamento de la doctrine
économique actuelle pourrait permettre d’inverser la
tendance.
25 Ce triptyque doit être appréhendé à l’aune de la faiblesse
structurelle des échanges économiques intermaghrébins,
régulièrement pointée du doigt et tenue pour responsable de
la perte de près de deux points de croissance pour chacun
des acteurs de la région. De surcroît, le dossier du Sahara
occidental a eu un impact non négligeable sur les deux pays,
obligeant le Royaume chérifien à développer une stratégie de
conquête du continent qui place l’économique au service du

https://books.openedition.org/editionscnrs/22776 14/17
28/12/2021 20:18 Le Maghreb dans les relations internationales - Le Maghreb et son Sud : l’enjeu économique africain - CNRS Éditions

stratégique, là où l’Algérie veut utiliser ses alliances


politiques comme soutien à son économie.
26 Ce coût du non-Maghreb pèse sur un autre domaine
essentiel, celui de la sécurité. Les différences de perception
empêchent les pays maghrébins de prendre la pleine mesure
de la menace qui se développe à leurs frontières sud et qui
les concerne tous : l’émergence d’une zone grise sahélienne19.

Notes
2. Directeur du Centre spécialisé en économie du développement et de la
transition (université Paris X-Nanterre).
3. M. Toumi, «  La politique africaine de la Tunisie  », Annuaire de
l’Afrique du Nord, Centre national de la recherche scientifique (CNRS),
Centre de recherches et d’études sur les sociétés méditerranéennes
(CRESM), Paris, CNRS Éditions, 1979, p. 113-169.
4. Accord sur la levée des barrières douanières qui devait être signé
courant 2010, mais qui a été reporté à une date ultérieure étant donné
les circonstances internes.
5. Conférence nationale «  La Tunisie dans son espace africain  :
rapprochement civilisationnel et partenariat solidaire », 5 mai 2009.
6. Littéralement «  du haut vers le bas  », processus économique où
l’impulsion vient du sommet de la hiérarchie.
7. « Tunisie : l’accord de partenariat avec l’UEMOA est en bonne voie »,
Les Afriques, 9 juin 2009.
8. Structure en charge du commerce extérieur, placée sous la tutelle du
ministère du Commerce et de l’Artisanat. Voir son site Cepex.nat.tn.
9. B. Sambe, Islam et diplomatie  : la politique africaine du Maroc,
Rabat, Éditions Marsam, juin 2010.
10. Selon une estimation de la Banque mondiale en  2007, réitérée
en 2008 puis en 2009.
11. Campagne médiatique lancée par les mouvements d’opposition visant
à révéler au grand public les achats immobiliers effectués par certains
chefs d’État africains dans la capitale française.
12. A. Ouedraogo, « Le Maroc en stock (options) en Afrique de l’Ouest »,
L’Événement, 16 mai 2007, disponible sur Evenement-bf.net.
13. Fin 2007, l’État sénégalais annonce vouloir prendre le contrôle
complet de la compagnie Air Sénégal International (ASI), créée en 2000
par la RAM (qui détient 51 % du capital) et l’État sénégalais (propriétaire
à 49 %), arguant qu’elle aurait été mal gérée par la RAM. Début 2009, la
RAM menace l’État sénégalais de se retirer de la gestion de la compagnie

https://books.openedition.org/editionscnrs/22776 15/17
28/12/2021 20:18 Le Maghreb dans les relations internationales - Le Maghreb et son Sud : l’enjeu économique africain - CNRS Éditions

si celui-ci n’applique pas rapidement sa décision de reprise. Finalement,


un accord sera signé en juin 2009, portant sur la création, sous
l’impulsion de l’État sénégalais et avec le concours actif de la RAM, d’une
nouvelle compagnie aérienne dont le capital sera majoritairement détenu
par le secteur privé sénégalais.
14. «  Les entreprises marocaines à la conquête du marché des pays
subsahariens », Agence de presse chinoise Xinhua, 29 août 2006.
15. Gazoduc devant relier le Nigeria à l’Algérie, baptisé Trans-African gas
pipeline, et devant mesurer près de 4 500 kilomètres de long.
16. La première version de la LFC a vu le jour en  2009  ; une autre
version a été adoptée en  2010 – la LFC 2010 – et a été publiée au
Journal officiel algérien le 6 septembre 2010.
17. «  La loi de finances complémentaire 2010 entre en application en
Algérie  », Econostrum, 8 septembre 2010, disponible sur
Econostrum.info.
18. A. Belkaïd, «  La diplomatie algérienne à la recherche de son âge
d’or », Politique étrangère, vol. 74, no 2, été 2009, p. 337-344.
19. Voir dans cet ouvrage la contribution d’Alain Antil.

Auteur

Abdelmalek Alaoui

Consultant, associé-gérant du
cabinet Global Intelligence
Partners à Rabat (Maroc).
© CNRS Éditions, 2011

Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540

Référence électronique du chapitre


ALAOUI, Abdelmalek. Le Maghreb et son Sud  : l’enjeu économique
africain In  : Le Maghreb dans les relations internationales [en ligne].
Paris  : CNRS Éditions, 2011 (généré le 28 décembre 2021). Disponible
sur Internet  : <http://books.openedition.org/editionscnrs/22776>.
ISBN  : 9782271129840. DOI  :
https://doi.org/10.4000/books.editionscnrs.22776.

Référence électronique du livre


https://books.openedition.org/editionscnrs/22776 16/17
28/12/2021 20:18 Le Maghreb dans les relations internationales - Le Maghreb et son Sud : l’enjeu économique africain - CNRS Éditions

MOHSEN-FINAN, Khadija (dir.). Le Maghreb dans les relations


internationales. Nouvelle édition [en ligne]. Paris : CNRS Éditions, 2011
(généré le 28 décembre 2021). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/editionscnrs/22683>. ISBN  :
9782271129840. DOI  :
https://doi.org/10.4000/books.editionscnrs.22683.
Compatible avec Zotero

Le Maghreb dans les relations


internationales
Ce livre est cité par
Abourabi, Yousra. (2015) Le Maroc au présent. DOI:
10.4000/books.cjb.1086

https://books.openedition.org/editionscnrs/22776 17/17

Vous aimerez peut-être aussi