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C’est le 13 juillet 1891, à Paris 17ème, que Marguerite Boulc’h, future Fréhel, voit le jour dans une famille bretonne installée dans la capitale. Elle grandit dans les quartiers pauvres du pavé parisien et arrête tôt sa scolarité, exerçant divers métiers pour vivre. Sa vie n’est pas de tout repos, et la jeune adolescente connaît différentes expériences pénibles avant de réussir, au culot, à intégrer le milieu du Music-Hall.
Sur les scènes de PanameVendeuse au porte-à-porte de produits de beauté, elle profite, en 1906, de son métier pour rencontrer dans sa loge la Belle Otero, chanteuse vedette de l’époque. Séduite par la voix, le physique et l’audace de la jeune fille, la Belle Otero décide de lui donner un coup de pouce et l’introduit dans le milieu de la chanson. Marguerite, âgée de quinze ans, débute dans diverses salles parisiennes sous le nom de Pervenche. En référence à ses origines bretonnes, la jeune chanteuse, pourtant pure parisienne, prend bientôt le pseudonyme de Fréhel, et devient rapidement une vedette de la chanson locale, s’illustrant notamment au Café de l’Univers. Remarquée pour sa forte personnalité, la sensibilité qu’elle apporte au genre de la chanson réaliste et sa capacité à passer du registre sentimental à celui de l’émotion, elle compte bientôt de nombreux admirateurs, mais sa vie privée commence déjà à faire autant parler d’elle que son talent musical. Elle épouse un comédien de Music-Hall et a un enfant de lui, mais son bébé meurt en bas âge et, pour ne rien arranger, son mari la quitte bientôt pour sa collègue Damia. Fréhel, aussi active sur scène que malmenée dans sa vie intime, commence à se soutenir avec l’alcool et la cocaïne.
Destin stupéfiantEn 1910, Fréhel connaît une liaison aussi brève que légendaire avec Maurice Chevalier, alors espoir de la chanson : elle entraîne son compagnon dans la consommation de stupéfiants, Chevalier préférant au final couper court à leur liaison. Vedette numéro un de la scène française, Fréhel multiplie les amours sans lendemain et souffre d’une vie privée particulièrement instable : en 1911, à tout juste vingt ans, elle décide de couper court à sa carrière française et de tenter sa chance à l’étranger. Mais ce déracinement, qui l’emmène en Europe de l’est puis en Turquie, ne lui porte pas chance et la chanteuse s’enfonce encore plus dans l’alcool et la drogue.
En 1923, l’Ambassade de France en Turquie récupère l’ancienne vedette parisienne, dans un triste état, et organise son rapatriement en France. Accueillie par ses amis et admirateurs, Fréhel se requinque quelque peu et remonte sur scène à l’Olympia en 1925. Physiquement marquée par ses années de galère – elle est désormais prématurément vieillie et très empâtée – la star d’avant-guerre connaît une seconde carrière, avec des chansons fournies par des auteurs et compositeurs de talent, comme Vincent Scotto ou Jean Eblinger : « J’ai l’cafard », « A Paris dans la nuit », « Où sont tous mes amants », « La Môme caoutchouc » et surtout, en 1939, « La Java bleue », qui reste comme l’un de ses plus grands succès.
Son physique marqué et son aura lui valent de faire des apparitions au cinéma, ses rôles se limitant souvent à l’interprétation de chansons, mais apportant du cachet aux films : on la voit ainsi notamment dans Pépé le Moko ou Le Roman d’un tricheur. Mais les mauvaises habitudes de vie de la chanteuse reprennent le dessus : incapable de trouver la stabilité, toujours alcoolique, parfois ramassée par la police en pleine rue dans un état lamentable, Fréhel connaît à nouveau une période d’éclipse à partir des années 1940. Sans attaches, elle vit dans des chambres d’hôtel sordides. En 1950, deux admirateurs nostalgiques, les journalistes Robert Giraud et Pierre Mérindol, organisent son retour sur scène, dans la salle parisienne Les Escarpes. Ce sont les dernières apparitions publiques de Fréhel, qui meurt le 3 février 1951, dans la chambre miteuse qu’elle occupait dans un hôtel de passes. Une foule considérable assiste à l’enterrement de l’artiste symbole de la chanson réaliste, légende du Music-Hall français de la première moitié du siècle. Au rayon des destins tragiques et toxiques, les rockers anglo-saxons n’ont rien inventé.