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« J’ai pensé toucher le sol de France avec pour prétexte une guitare... Ça sera juste un aller et retour, vingt-quatre heures pour m’y rendre, vingt-quatre heures pour me faire descendre, vingt-quatre heures pour revenir. Je suis donc parti sans bagages, sans rien... », Félix Leclerc (1950).
Félix Leclerc voit le jour le 2 août 1914 à La Tuque (en Haute-Mauricie), deuxième plus grande ville, en superficie, du Québec. Il vagit donc dans une famille de onze enfants (il porte la casaque numéro six), menée par Léonidas Leclerc et Fabiola, née Parrot. Son père, négociant en bois, est considéré comme un faiseux de villages. Félix grandit dans les trois étages d’une grande maison de bois, où s’agitent durant l’hiver plus d’une dizaine de bûcherons. Durant sa scolarité, ses années de pensionnat développent son goût pour la solitude, et son caractère rêveur.
Ses études universitaires à Ottawa (belles lettres, et rhétorique) sont interrompues par la Dépression de 1929 qui, en provenance des Etats-Unis, atteint le pays par un phénomène de cascade : en 1933, Leclerc est ouvrier agricole sur les terres de ses parents.
Dans le posteInstallé dans la ville de Québec, Félix Leclerc compose sa première chanson (« Notre Sentier ») et devient alors animateur de radio, puis auteur dramatique pour le compte de Radio Canada (1934-1937). Il élargit ses connaissances musicales grâce à la discothèque de la radio.
En 1937, inquiet quant à son avenir, il revient sur ses terres, employé comme bœuf-man (gardien de vaches) par son père. Mais l’écriture s’avère son authentique vocation : il se partage dès cette époque entre ses différentes passions, interprétant et écrivant des séries radiophoniques, fondant une troupe théâtrale (Les Compagnons de Saint-Laurent), devenant à l’occasion comédien et s’essayant même à la chanson à partir de 1940. Mais son public reste dans ce domaine confidentiel : les citadins s’avèrent peu passionnés par ces odes campagnardes. Alors, Félix survit grâce à de petits boulots, comme celui…d’assistant embaumeur.
Le 1er juillet 1942, il épouse Andrée Vien, qui lui donnera un petit Martin. En 1946, il publie un premier roman, puis s’envole avec sa troupe aux Etats-Unis, pour y jouer Les précieuses ridicules et Le malade imaginaire.
Paris l'a pris dans ses brasEn 1950, l’imprésario et découvreur de talents Jacques Canetti est saisi par son charme, après l’avoir entendu interpréter « Le Train du nord ». Il lui fait enregistrer dans l’urgence (il repart le lendemain en France) ses premières chansons (une douzaine de mélodies) et organise sa première tournée en France. Félix Leclerc donne son premier concert parisien à l’ABC, le 29 décembre 1950, en première partie des Compagnons de la Chanson : il y reste à l’affiche plus de trois semaines. Il occupe ensuite la scène du cabaret des Trois Baudets durant… quatorze mois.
Il devient en 1951, et pour la première fois, lauréat de l’Académie Charles-Cros, grâce à un tout premier album (incluant « Moi mes souliers », « Bozo » et « Le Petit bonheur »).
Après trois années triomphales dans l’Hexagone et en tournée en Europe et au Proche Orient, Félix Leclerc retrouve son pays en 1953 : il y est célébré comme le premier chansonnier de langue française au Canada. Il laisse en France une impression durable, impressionnant des jeunes pousses comme Jacques Brel (qui s'enflamme : « L’idée de chanter m’est venue après avoir assisté au tour de chant de Leclerc à Bruxelles ») ou Georges Brassens.
Vedette internationaleEn 1955 est publié Moi, Mes Souliers, cette fois titre d’un récit autobiographique. Parallèlement à sa carrière d’auteur, compositeur, interprète, il poursuit ses activités radiophoniques et théâtrales. En 1958, il est de nouveau distingué par l’Académie Charles-Cros, avec un album comprenant « Attends-moi ti gars ». La même année, son roman poétique Le fou de l’île est publié à Paris, avant de l'être au Québec.
Il s’engage en 1959 dans une tournée européenne de plus de huit mois, et enregistre son troisième album (« Tirelou »…).
Il publie en 1961 un premier recueil de pensées, Le Calepin d’un flâneur. En 1962, Félix, son père et son frère sortent miraculeusement indemnes d’un très grave accident automobile. Le chanteur se rend ensuite à Paris, où il enregistre pour le compte d’un nouvel album, la chanson « Ton visage » de Jean-Pierre Ferland.
En 1963, les Québécois répondent sans ambiguïté par son nom à un sondage interrogeant : quel est le plus important écrivain canadien français ? En 1964, il réenregistre d’anciennes chansons et grave de nouvelles compositions, dont « Premier amour ». En 1965, son père disparaît et il rompt ses liens avec Jacques Canetti. Après l’échec de sa comédie Les Temples (1966), Félix Leclerc quitte le Québec pour la Celle Saint-Cloud, en Suisse. Mais un nouveau triomphe parisien à Bobino provoquera la nostalgie de ses racines.
Il divorce en 1968 et épouse Gaëtane Morin, avec laquelle il a un garçon et une fille, puis voit paraître le livre Chansons Pour Tes Yeux. En 1969 est édité l’un de ses albums les plus salués : J’Inviterai l’Enfance.
RadicalisationEn 1970, il s’installe sur une terre achetée à l’Île d’Orléans, l’un des plus anciens lieux de peuplement de la Nouvelle-France, séparée de Québec par un pont et y bâtit lui-même sa demeure. Le 17 octobre, l’assassinat du ministre Pierre Laporte par le Front de Libération du Québec et l’instauration de l’état d’urgence, provoque une profonde crise institutionnelle dans la province francophone du Canada.
Les évènements infléchissent considérablement le sentiment de Félix Leclerc sur la politique de son pays : « J’ai marché pendant trop longtemps dans les sentiers fleuris et embaumés. Il est plus que temps que j’emprunte des sentiers plus fréquentés, les chemins trop souvent piégés sur lesquels marchent six millions de mes frères ». Le chanteur devient farouchement indépendantiste. La résultante en sera l’enregistrement de deux de ses plus célèbres chansons, « L’alouette en colère » et « 100 000 façons de tuer un homme ».
En 1971 naît son fils Francis, qui devient réalisateur (Une fille à la fenêtre, 2001). Félix Leclerc commence à souffrir de problèmes de santé, qui souvent le confinent à l’Île d’Orléans. Il assure néanmoins une série de récitals au théâtre Bobino de Paris, une tournée en Europe et à Madagascar.
En 1973, il reçoit pour la troisième fois le Grand Prix du disque de l’Académie Charles-Cros.
Statue du CommandeurLe 13 août 1974, la Superfrancofête accueille sur les plaines d’Abraham de Québec plus de 120 000 personnes : Gilles Vigneault, Robert Charlebois et Félix Leclerc y sont acclamés dans un spectacle historique, qui donnera lieu à l’édition d’un double album qui ne l’est pas moins, intitulé J’ai Vu le Loup, le Renard, le Lion. En 1975, le spectacle qu’il interprète sept semaines durant à Paris a pour titre générique Merci la France.
Il collabore également avec l’arrangeur François Dompierre (« Mon Île ») et enregistre sa version de la « Complainte du phoque en Alaska » de Beau Dommage. En 1976, c’est à Paris et en compagnie des chanteurs Raymond Lévesque et Pauline Julien, qu’il célèbre la victoire du Parti Québecois aux élections. En 1977 se déroule son ultime tournée française. Il enregistre également une douzaine de chansons en compagnie de Beau Dommage, encore aujourd’hui inédites. En 1978, il publie un nouveau recueil de pensées et maximes, Le petit livre bleu de Félix et enregistre un ultime album, Mon Fils.
Retraite et hommagesEn 1980, il devient docteur honoris causa de l’Université du Québec. Le 4 avril 1983, le Printemps de Bourges rend hommage à Félix Leclerc en une soirée où se retrouvent, entre autres, Maxime le Forestier et Yves Duteil. En 1985, il est décoré de l’Ordre national des Québécois. En 1986, il est fait Chevalier de la Légion d’Honneur. Le chanteur Jacques Bertin lui consacre une biographie (Le Roi Heureux).
En 1987, des problèmes cardiaques provoquent son hospitalisation trois semaines durant. Félix Leclerc s’éteint dans son sommeil, le 8 août 1988, à l’Île d’Orléans. Il était âgé de soixante-quatorze ans. Ses obsèques sont célébrées dans l’intimité, en l’église Saint-Pierre-de-L’Île-d’Orléans. Ses cendres sont dispersées dans sa ville d’adoption. L’année suivante, un monument à sa mémoire y a été érigé.
Les récompenses de la chanson québécoise s’appellent désormais les Prix Félix. En 2003, François Béranger a consacré tout un album au répertoire de Félix Leclerc. Hugues Aufray en a fait de même en 2005.
Cent quarante chansons et autant de petits bouts d’humanité : l’homme des grands bois aura rendu universelle son inspiration, épaisse et dense comme la pesanteur des jours qui meurent. Dans une rare économie de moyens, il a su prendre son public par la main et lui fredonner de drôles d’histoires d’amour et de mort à l’oreille. Plus que chanteur, Félix Leclerc reste un homme de mots, et de paroles et incarne un pont jeté entre deux peuples. Grâce à lui, les Français se sentent désormais un peu chez eux au Québec. Souhaitons que la réciproque soit vraie.