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Mais, quand l’aventure commence fin 1971, ils ne sont qu’un laborieux groupe de reprises de rythm’n blues composé de Johnny Thunders (d’abord tenté par la guitare basse, mais à qui un copain, Sylvain Sylvain, a appris à jouer de la guitare), Bill Murcia à la batterie, Arthur Kane à la basse et de son ami d’enfance Rick Rivets à la guitare, tous issus de quartiers modestes de New York et avides de reconnaissance et de gloire. Rapidement rejoints par « David Jo » Hansen, fan de soul, au chant, ils prennent alors le nom d’un atelier de réparation sis au coin de la 63 ème rue, au grand étonnement de Sylvain Sylvain, de retour d’un voyage en Europe, puisque le New-York Doll Hospital est très proche du magasin tenu par son oncle (certains critiques parlent, de façon peu convaincante, d’une allusion au nom de pilules hallucinogènes, ou au titre d’un film de Russ Meyer). Ce qui n’empêche pas Sylvain Sylvain de rejoindre le groupe en remplacement de Rick Rivets, tout en s’entendant dire par un Johnny Thunders reconnaissant « ok, la lead guitare c’est moi, toi tu fais les rythmiques ».
Or leur nouveau chanteur, sosie plus lippu encore, si c’était possible, de Mick Jagger, (que le futur clône de la série, Steven Tyler d’Aerosmith, singera, en édulcorant toutefois le tableau, sans vergogne, en profitant pour lui piquer aussi au passage son épouse), le sexy David, fréquente assidûment l’underground arty new yorkaise et plus particulièrement son avant-garde théâtrale : le Ridiculous Theater. Fréquentations qui lui allaient lui inspirer les extravagants débordements vestimentaires sur lesquels les New York Dolls allaient construire leur légende. (« J’ai rencontré Charles Ludlam, directeur du Ridiculous Theater, une troupe fascinante. Ils adoraient se parer de paillettes, de faux diamants, c’est avec eux que j’ai appris l’art de monter un spectacle »).
Alors, maquillage outrancier, débauche de mascara et de rouge à lèvres, coiffures peroxydées, garde-robe féminine, tutus en cellophane, bottes de chantier roses et ahurissantes platform-boots, androgynie et homosexualité (David Johansen déclarait être « trisexuel ») célébrées avec un mauvais goût chahuteur et une inénarrablement classieuse vulgarité, vont désormais défrayer la chronique, installer le groupe sur la ligne de faîte d’une aussi subversive que corrosive autodérision, et leur ouvrir les portes du fameux Mercer Arts Center du Lower Manhattan, où leurs frénétiques et restées légendaires prestations attirent de plus en plus nombreux et enthousiastes adeptes.
Mais si une mise en scène à ce point provocatrice qu’elle synthétisait quasiment à elle seule toutes les outrances d’un rock ultérieurement qualifié de décadent, si un aussi violent coup de pied dans les fesses d’une Amérique toujours aussi moralisatrice et peu encline à laisser piétiner ses valeurs fondamentales, relevaient d’une attitude pour le moins courageuse à qui voulait percer dans le rock, (dont les circuits n’étaient pas aussi sclérosés que maintenant, certes, mais tout de même, rappelons qu’à l’époque aux states, le travestissement est explicitement interdit par la loi, et les New York Dolls regardés par la grande majorité des américains comme des bêtes dangereuses), une si méritoire et décoiffante entorse aux règles en vigueur n’aurait pas suffi à faire d’eux ce groupe essentiel, si elle n’avait été le parfait « habillage » d’une formule musicale lui allant comme un gant, et vouée elle, à rester dans les mémoires, d’encore plus prégnante façon.
Car les New York Dolls sont d’abord et avant tout un formidable groupe de rock, inventant un gros hard-rock bordélique et foutraque, moins chaotique que celui des MC5, moins violents que celui des Stooges (dont les brûlots survivront peut être mieux à l’usure du temps), mais plus balancé, plus entraînant et plus résolument primitif, assumant, comme le feront les punk, avec effronterie, un évident minimalisme technique, et donc le rejet de toute forme de virtuosité. (David Johansen dans une récente interview de préciser : « Le rock ne swingue pas, le rock’n’roll oui. Les Dolls ont toujours fait du rock’n’roll », en écho à de plus anciens propos : « Nous détestions les solos de 20 minutes, nous préférions Little Richard capable de déclencher une explosion atomique en moins de 20 minutes », Sylvain Sylvain renchérissant : « Nous nous rebellions contre ce rock de stade qui avait perdu le sens de la danse »).
Sur les bourrasques des deux guitares cisaillant sans relâche, (Johnny Thunders, dans la lignée d’un Chuck Berry ou d’un Keith Richards, est le roi de la fuzz tronçonneuse, et Sylvain Sylvain excelle à distiller d’incisives rythmiques fleurant souvent bon le rockabilly), la bonne grosse batterie de Nolan et la basse explosive de « killer » Kane, les Dolls balancent donc à qui-mieux-mieux, avec la désinvolture gouailleuse et maniérée d’un David Johansen survolté, de séminales et énergiques vignettes, plus d’une fois inspirées des glauques et salvatrices excentricités des déviants de la nuit new yorkaise. Ceux à qui il importe d’abord et avant tout, au mépris de toutes les castratrices conventions, de vivre et de vivre vite.
Ce que ne manqueront pas, bien évidemment de mettre en pratique, tous les membres du groupe, avec l’extrémisme jusqu’au-boutiste de jeunes apprentis rock-stars.Tout allait alors aller très vite, après une tournée en Angleterre qui voit le décès de leur premier batteur, un contrat arraché à une Mercury plus que réticente, quelques mémorables concerts en Californie où Iggy Pop fait découvrir l’héroïne à Johnny Thunders, une nouvelle tournée européenne fracassante émaillée de scandales plus tonitruants les uns que les autres (entre autres exploits : arroser de vomi une impatiente assemblée de journalistes, ce qui n’est quand même pas donné à tout le monde), les New-York Dolls sortent presque coup sur coup deux fabuleux albums qui seront autant de flagrants échecs commerciaux. Démoralisé et déstabilisé par l’incompréhension du public toujours accaparé par la vague progressive, miné de l’intérieur par la dope, le groupe n’est plus bientôt que l’ombre de lui-même, et ce n’est pas la nauséabonde tentative de sauvetage d’un jeune et ambitieux manager rencontré à Londres, Malcom Mac Laren, au marketing plus que douteux, qui les empêcheront de s’enfoncer définitivement dans l’ornière. Pouvait-t-on réellement espérer que de jouer devant un pseudo drapeau bolchévik, en tenue de cuir écarlate, au cours de plus en plus improbables tournées, pouvait, dans une amérique toujours aussi anti-communiste, suffire à enfin lancer leur carrière ?
Précipitée par les récurrents problèmes de dépendance, la débandade intervient rapidement ; pour les New York Dolls, à un dernier soubresaut près, c’est terminé. Leur fieffé et ultime manager regagne Londres en loucedé, où l’exemple des poupées new yorkaises a laissé d’incurables stigmates. Cette fois-ci il n’allait pas rater son coup.