Interzone, une histoire de musique et d’amitié

Serge Teyssot-Gay et Khaled AlJaramani forment le groupe Interzone. © EarFish

Cela va faire vingt ans maintenant que le duo Interzone est sur la route. À l’heure de la sortie de l’album Waslat, (5ème jour), retour sur cette rencontre fertile entre le guitariste Serge Teyssot-Gay et le joueur de oud syrien Khaled Aljaramani. Où l’on parle d’une amitié profonde, d’un son particulier, et d’un instrument emblématique du Moyen-Orient.

Cinq années sont passées par là, mais c’est comme s’ils ne s’étaient pas quittés. Pour le guitariste français Serge Teyssot-Gay et le joueur de oud syrien Khaled Aljaramani, le duo Interzone est devenu un véritable point d’ancrage qu’ils retrouvent souvent en concert. « Il y a énormément de choses qui sont indicibles. Tu ne sais pas pourquoi, mais un jour, tu rencontres quelqu’un qui n’est pas de ta culture, et tu as envie de passer du temps avec lui », dira l’ex-Noir Désir.

Le coup de foudre amical remonte à plus de 22 ans maintenant. Il a eu lieu à Damas, en Syrie, au détour de la dernière tournée de Noir Des’ ; il a donné lieu depuis à des disques paraissant régulièrement.

Waslat est le cinquième album d’Interzone, et il faut traduire son titre par « suite » en français. Il s’agit de longs morceaux en mi, la, ré et sol, qui se répondent, formant un grand tout qui est dans le monde arabe le « waslat » : la suite.

Si on parle toujours d’un mélange instrumental entre la musique classique orientale et le rock, le chant s’y invite souvent. C’est la voix de Khaled Aljaramani, qui s’élève pour dire ses textes, les poèmes du Persan Hafez de Chiraz ou du Syrien Abul-Ala Al Mari.

Une amitié profonde

Il suffit de questionner les deux hommes à distance pour réaliser combien leurs échanges reposent sur une amitié profonde. « Cela a marché rapidement avec Sergio. On vient de deux mondes très différents. Mais je me suis intéressé à sa personne, avant sa guitare, et c’est pareil de son côté », confirme Khaled Aljaramani.

Du guitariste, le musicien syrien apprécie particulièrement son écoute, sa capacité à « être le reflet des pensées » de ses partenaires de jeu, comme sa façon de « digérer » les idées qu’on lui amène.

« Avec Khaled, j’ai appris tellement de choses ! J’aime sa pensée musicale, j’aime là où ça m’amène. J’ai découvert la poésie arabe, j’ai voyagé au Moyen-Orient, et cela m’a permis de rencontrer plein d’autres gens qui ne sont pas de ma culture. Je suis devenu meilleur en tant qu’humain », sourit Serge Teyssot-Gay.

Le guitariste avait même imaginé un temps s’installer en Syrie dans les premières années du duo, tant il s’y était senti accueilli. Mais c’est finalement Khaled Aljaramani qui s’est exilé en France en 2011, après le début des Printemps arabes et juste avant la guerre civile qui a touché le pays.

Leur rencontre a poussé les deux musiciens vers des rythmes impairs et sur la voix de cette musique instrumentale, où le oud attaqué sec répond aux éclairs de vibrato, à la guitare jouée en slide, avec un archet ou une baguette de batterie de Mister Teyssot-Gay. Cette fusion peut se faire contemplative (Surface, Abysses), plus électrique (Saqui, Battement), ou même quasi mystique.

« En dehors des parties harmoniques et rythmiques, j’adapte le timbre de ma guitare à celui du oud. C’est comme insecte qui va dans une forêt et prend la couleur d’une feuille. En plus, c’est une marque de respect, de protection. Si je me fonds dans son timbre, je fais résonner le oud plus fort », s’enthousiasme Serge Teyssot-Gay. 

Des recherches constantes

Le guitariste, âgé de 60 ans, est un gros bosseur qui peut passer des jours entiers sur une idée. Il a élaboré avec sa Stratocaster bricolée, son ampli Vox AC-30, et à peine quelques effets, des paysages sonores à la lumière paradoxale. Alors que l’on est dans des nuances de gris, on en ressort rempli.

À propos de la musique qu’il compose avec Interzone, de son groupe de rap/rock Zone Libre et des performances qu’il enchaîne sur scène dans différents domaines (musiques improvisées, danse, peinture, littérature), Serge Teyssot-Gay parle de musique « en réaction » à notre société et « pensée contre... », particulièrement contre le capitalisme.

Volontiers à la marge de ce qu’il appelle « le monde marchand », Interzone a sans aucun doute permis à des rockeurs de découvrir la musique orientale et de se familiariser avec le oud, ce luth emblématique du Moyen-Orient. « Chez nous, dans le sud de la Syrie, il y en a un dans chaque maison, constate Khaled Aljaramani. C’est à la fois un instrument très populaire, mais aussi très intime. C’est comme un carnet de notes dans lequel on écrit ses pensées. On peut transmettre beaucoup d’idées, d’émotions, de rêves. » Facile à apprendre, mais difficile à apprivoiser, le oud peut s’adapter à la fête autant qu’à la musique classique arabe.

Avec ce « 5ème jour » qui s’achève par le morceau ouvrant le tout premier disque d’Interzone, le duo pourrait bien clore un chapitre. Alors, il est bien possible qu’on retrouve très régulièrement Serge Teyssot-Gay et Khaled Aljaramani sur scène, car ils n’en ont certainement fini de leurs fructueux échanges.

Interzone Waslat - 5ème jour (Intervalle Triton / L'Autre distribution) 2024

En concert le 20 juin à l'Institut du Monde arabe à Paris dans le cadre du festival Arabofolies 

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