Kadeux, la révélation de la musique tchadienne

Le jeune tchadien Kadeux, juin 2024. © RFI/Carol Valade

Propulsé sur le devant de la scène avec le succès de son premier titre Ayéhan, le jeune chanteur confirme son statut de nouvel espoir de la musique tchadienne tout en gardant les pieds sur terre. 

Du haut de ses 20 ans, Kamal Borgoto frappe par trois traits de son caractère : la sincérité, l’humilité et la simplicité. Lorsqu’il prend pour nom de scène Kadeux, ce n’est pas en référence au second plus haut sommet du monde mais pour accoler son chiffre porte-bonheur à la première syllabe de son prénom. 

Empreint d’une grande douceur malgré sa carrure imposante, il affiche le même sourire et ne présente aucun signe de trac lorsque son nom retentit dans les hauts parleurs. Quand les fumigènes se dissipent et le révèlent à la foule, il s’empare du micro et évolue sur scène avec aisance, comme si c’était simplement dans l’ordre des choses.

Pourtant, il y a encore deux ans, rien ne le prédestinait à un tel succès. Il est le premier surpris lorsque début 2023 son titre Ayéhan explose sur TikTok, le réseau social le plus populaire au Tchad. 

"Mon téléphone n’arrêtait pas de vibrer, je pensais que c’était un bug !" confie le jeune homme. J’avais écrit ce texte pour rire, inspiré par un ami qui raconte tout le temps des histoires à dormir debout. C’est le récit d’un "bourreur", un baratineur en argot tchadien. Il ne cesse de se vanter devant ses amis peu crédules qui lui répondent "Ayé han". Interjection que l’on pourrait traduire par "C’est ça, ouais". "Tu sais une fois je me suis battu avec un lion / C’est ça, ouais / Je suis de la même famille que Ronaldo / C’est ça, ouais / D’ailleurs son plat préféré c’est le riz sauté /  C’est ça, ouais".

La vidéo dépasse 20 millions de vues, plus que la population du Tchad. Kadeux n’en revient toujours pas lorsque des hordes d’enfants le poursuivent dans les ruelles en reprenant le refrain de son tube, devenu phénomène social. "Les enfants adorent parce que c’est drôle et quand les enfants aiment, les parents sont obligés d’aimer aussi", s’amuse l’artiste.

La musique pour thérapie

Au fur et à mesure que l’on déambule dans son quartier natal de Paris-Congo, la petite foule qui se forme à sa suite prend de l’âge. Des jeunes femmes sollicitent timidement des selfies en joignant leurs mains pour former un cœur et même quelques mamans prennent la pose pour la photo.

Mais sa bouille de dragueur cache un artiste tourmenté. "Petit j’avais des rêves / Plus grand c’est des cauchemars", dit l’une de ses chansons. "J’ai appris à aimer la solitude" ajoute-t-il en s’asseyant sur le lit du petit studio qu’il loue depuis quelques mois. "C’est ici que je passe le plus clair de mon temps à réfléchir et composer mes textes. Ayéhan est un titre comique mais je l’ai écrit en pleine dépression", confie le chanteur. 

A l’époque, Kamal vient d’avoir son bac et sa mère décide d’investir les économies de la famille pour l’envoyer étudier en Turquie. Mais elle tombe dans les griffes d’un escroc qui s’évapore dans la nature avec tout son argent.

Rongé par la culpabilité d’avoir causé la ruine de sa mère, le jeune homme se replie sur lui-même et abandonne ses rêves d’études. "La musique m’a sauvé", lâche-t-il comme un constat. Elle m’a donné des réponses aux questions et comblé le vide en moi. Quand je provoque des émotions positives chez les autres, ça me donne de l'énergie pour surmonter mes difficultés."

Un temps inquiète à l’idée que son fils sombre dans les excès de la vie d’artiste, sa mère est désormais son plus grand soutien. "Elle m’a dit 'fais ce que tu aimes et fais-le avec le cœur, mais fais toujours attention à toi'. Je garde précieusement ce conseil et c’est le secret de ma force", sourit-il en caressant du bout des doigts l’anneau d’argent pendu à son cou, cadeau de sa maman.

De son père en revanche, il ne dit pas un mot, laissant parler ses textes : "Je suis l’espoir de la famille faut que je taff / Je suis le fils d’une mère qui n’a pas de taff / Et d’un père qui…. [« Tchip » désapprobateur] / Mon Dieu faut pas que j’devienne comme lui / Dans ma tête faut que je l’oublie… "

Entrer dans l’âge adulte, prendre la place du chef de famille… Kadeux confie sans pudeur ses angoisses, se définit comme un "bosseur", un "curieux" armé d’une inextinguible soif d’apprendre et de créer. Car sa quête d’identité est aussi musicale. 

Résilience et solidarité

Après avoir entonné d’une voix grave et profonde Ayéhan sur un rythme hip-hop, il s’est fait ourson de guimauve sur son second titre, Biney, dans la pure tradition du R'n'B romantique. "Le jour où je tombe, bébé relève-moi", susurre-t-il dans un mélange d’arabe tchadien et de sara, une langue du sud du pays.

Kadeux met un point d’honneur à chanter pour toutes les communautés du Tchad. "Ma chance, c’est que ma famille vient à la fois du nord et du sud, j’ai grandi entre les deux cultures, explique-t-il, avec en plus des influences internationales." A la maison, ses grands-parents font tourner les disques de l’immense Tabu Ley Rochereau, monument de la rumba congolaise. Mais la révélation survient lorsqu’il découvre les rappeurs français de Sexion d’Assaut

"La première fois que j’ai entendu Avant qu’elle parte, la chanson qui est un hommage aux mamans, j’ai pleuré ! confie-t-il, d’un air amusé. Je me suis dit : s’ils parviennent à provoquer des émotions aussi fortes en moi, alors j’en serai aussi capable un jour. C’est comme ça qu’ils ont allumé la flamme !"

 

Du rap, il sélectionne soigneusement les codes. Dans ses clips, pas de grosses voitures, de mannequins dénudés ni de bijoux clinquants. "Ce n’est pas la vie que je mène, je veux être sincère avec mon public en montrant les choses telles qu’elles sont", explique-t-il.

Le clip de Biney raconte ainsi l’histoire d’amour entre deux jeunes vendeurs de rue à N’Djamena qui échangent des regards complices et quelques arachides grillées en rêvant de mariage qu’ils n’ont pas les moyens de financer.

"On touche aux problèmes quotidiens des Tchadiens, tout le monde peut s’y reconnaître", s’enthousiasme son producteur Emmanuel Hassan "Fale" Djimtebaye. Réunie dans les locaux du label Fale records, la petite équipe très soudée qui entoure le chanteur le définit comme un artiste "social" et ancré dans les réalités de son pays. "Il chante la résilience, la joie de vivre, la solidarité", poursuit Fale. Et aussi son amour pour N’Djamena dans le titre Samé Samé, une ode à la capitale tchadienne.

Sur un tableau blanc, le producteur note les idées qui nourriront le tournage du prochain clip. La chanson raconte l’histoire d’un jeune qui s’accroche à ses rêves et refuse de se laisser abattre en dépit des épreuves de la vie. Toute ressemblance avec le parcours de l’artiste n’est évidemment pas fortuite… Bien qu’il refuse d’être comparé à un alpiniste malgré son nom de scène, Kadeux est bel et bien en route vers le sommet.

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