détrompé[1]. » Il se consolait pourtant de ces déboires et il se disait, lui le vrai philosophe, que ce sont là vices unis à l’humaine et irascible nature des écrivains : « Je suis très accoutumé, écrivait-il à Morellet, aux espèces d’accès auxquels les gens de lettres sont sujets ; je ne m’en offense jamais, parce que je sais que ce sont de petits défauts inséparables de leurs talents ». Ces défauts-là sévissaient particulièrement au dix-huitième siècle ; ce n’est pas assez de dire qu’alors les idées avaient devancé les institutions et les lois ; elles n’étaient pas moins en avance sur les mœurs, et nous entendons par là : non-seulement les mœurs du public, mais les mœurs même des philosophes ; les idées sont plus libres que jamais ; les mœurs sont restées monarchiques. Ainsi ils proclament, plus qu’ils ne pratiquent, la tolérance ; Malesherbes « trouvait mauvais à sa manière, c’est-à-dire en souriant avec ironie, que les manœuvres de ce grand édifice littéraire (l’Encyclopédie), sous prétexte de commander impérieusement la tolérance, fussent devenus les plus intolérants des hommes[2]. » Il s’agit pour eux, on le sait, non de conquérir la liberté de la presse, mais d’avoir l’oreille d’un ministre, et cette prétention se comprend encore, puisque c’est le ministre qui donnera la permission d’imprimer leurs œuvres ; mais ils veulent, de plus, censurer eux-mêmes, c’est-à-dire, faire condamner les ouvrages de leurs adversaires. Par exemple, Diderot est nommé par Sartine censeur de Palissot ; il avait déjà, dans un mémoire à ce même Sartine sur le Commerce de la librairie, affirmé bien haut qu’il était « un des plus zélés partisans de la liberté prise dans l’acception la plus étendue ; je souffre de voir le dernier des talents gêné dans son exercice[3] ». Et l’on a vu plus haut, comment il respectait chez les autres cette liberté qu’il aimait tant en théorie.
Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/234
Apparence