LETTRE HUITIÈME
ABÉLARD À HÉLOÏSE
SOMMAIRE
Déjà j’ai satisfait, dans la mesure de mes forces, à la première de vos demandes ; il me reste à m’occuper de la seconde, avec la grâce de Dieu, pour répondre à vos désirs et à ceux de vos filles spirituelles.
Je dois, selon l’ordre de vos vœux, vous tracer et vous envoyer un plan de vie qui soit comme la règle de votre profession. Vous pensez que des instructions écrites vous seront un meilleur guide que la coutume. Pour moi, voici ce que je me propose de faire. Je prendrai comme bases, d’une part, les meilleures coutumes, d’autre part, les instructions des saintes Écritures, et j’en ferai un corps de doctrine. Vous êtes le temple spirituel du Seigneur, j’ai à le décorer ; je le revêtirai, pour ainsi dire, de peintures de choix ; de plusieurs œuvres imparfaites, je chercherai à composer une œuvre qui réalise la perfection. Je m’efforcerai de faire, pour un temple spirituel, ce que le peintre Zeuxis a fait pour un temple de pierre. Les habitants de Crotone l’avaient appelé, rapporte Cicéron dans sa Rhétorique, pour orner des plus belles peintures un temple qu’ils avaient en grande vénération. Afin de mieux remplir cette tâche, Zeuxis choisit les cinq plus nobles vierges de la ville, pour les faire poser devant lui et pour travailler à reproduire leur beauté avec son pinceau. Deux raisons vraisemblablement le firent agir