Épitaphe de François Rabelais
ÉPITAPHE
de François Rabelais.
Si d’un mort qui pourri repose
Nature engendre quelque chose,
Et si la generation
Est faicte de corruption :
Une vigne prendra naissance
De l’estomac et de la pance
Du bon Rabelais, qui boivoit
Toujours ce pendant qu’il vivoit.
Car d’un seul traict sa grande gueule
Eust plus beu de vin toute seule
(L’epuissant du nez en deux cous)
Qu’un porc ne hume de lait dous,
Qu’Iris de fleuves, ne qu’encore
De vagues le rivage more.
Jamais le Soleil ne l’a veu
Tant fust-il matin, qu’il n’eust beu,
Et jamais au soir la nuit noire
Tant fust tard, ne l’a veu sans boire.
Car alteré, sans nul sejour
Le gallant boivoit nuit et jour.
Mais quand l’ardante Canicule
Ramenoit la saison qui brule,
Demi-nus se troussoit les bras,
Et se couchoit tout plat à bas
Sur la jonchée entre les taces :
Et parmi des escuelles grasses
Sans nulle honte se touillant,
Alloit dans le vin barbouillant
Comme une grenouille en la fange :
Puis yvre chantoit la louenge
De son ami le bon Bacus,
Comme sous luy furent vaincus
Les Thebains, et comme sa mere
Trop chaudement receut son pere,
Qui, en lieu de faire cela
Las ! toute vive la brula.
Il chantoit la grande massue,
Et la Jument de Gargantüe,
Le grand Panurge, et le pays
Des Papimanes ébais :
Leurs loix leurs façons et demeures
Et frere Jean des antoumeures,
Et d’Episteme les combas :
Mais la mort qui ne boïvoit pas
Tira le beuveur de ce monde,
Et ores le fait boire en l’onde
Qui fuit trouble dans le giron
Du large fleuve d’Acheron.
Or toy quiconques sois qui passes
Sur sa fosse répen des taces,
Répen du bril, et des flacons,
Des cervelas, et des jambons,
Car si encor dessous la lame
Quelque sentiment a son ame,
Il les aime mieux que des Lis
Tant soyent ils fraichement cueillis.