Arbres des Premiers ministres français
Les arbres des Premiers ministres sont, en France, des arbres que les Premiers ministres plantent dans le jardin de leur résidence officielle, l'hôtel de Matignon, après y avoir été en poste plus de six mois. Cette tradition de la vie politique française est apparue en avec Raymond Barre et a perduré jusqu'à aujourd'hui, à l'exception de Jacques Chirac en . Cette coutume vise à symboliser l'enracinement et la continuité de l'État à travers le temps, tout en laissant une trace durable du passage de chaque Premier ministre.
Histoire
[modifier | modifier le code]La tradition est inaugurée par Raymond Barre en . Malgré l'alternance portée par les élections législatives de , son successeur Pierre Mauroy perpétue la tradition en plantant un chêne de Hongrie lors du deuxième anniversaire de son arrivée à Matignon[1].
La seule rupture dans la tradition est due à Jacques Chirac, qui n'en plante pas lorsqu'il devient Premier ministre de la première cohabitation[2] entre et . Gilles Boyer interprète ce refus comme un manque de temps, ou alors, comme le signe de la volonté de Jacques Chirac de ne pas rester à Matignon mais d'être élu président de la République au plus vite[3]. Chirac laisse tout de même une trace de son passage dans le jardin de Matignon en y plantant des rosiers[4],[5].
En , Lionel Jospin décide de planter un orme offert par l'Institut national de la recherche agronomique (INRA)[6]. À l'occasion de la couverture de l'évènement par le Le Figaro et Le Parisien, Le Monde écrit en que pour « tout premier ministre [...], pour peu qu'il fasse la preuve de sa longévité, six mois de Matignon sont exigés par un code non écrit » pour planter un arbre[7].
Plusieurs des arbres ont dû être abattus, comme le chêne de Hongrie de Pierre Mauroy, qui a tenu trois ans. Chaque arbre tombé a été replanté sur ordre du Premier ministre[8],[9]. En particulier, près de 30 ans après avoir planté en tant que Premier ministre un copalme qui n'a pas survécu, Michel Rocard en replante un lui-même à l'invitation de Manuel Valls, son ancien conseiller devenu à son tour Premier ministre[10],[11].
Le , François Hollande est le premier président de la République à faire de même dans le jardin de sa résidence officielle, le palais de l'Élysée : après avoir visité le Salon de l'agriculture, il plante un chêne offert par l'Office national des forêts (ONF) pour le 50e anniversaire de sa création[12],[13].
Gabriel Attal, qui remet sa démission quelques jours avant ses six mois au poste de Premier ministre, devient le deuxième Premier ministre à ne pas avoir planté d'arbre dans le jardin de Matignon[14]. Il finit par en planter un dans la nuit du , dans un contexte particulier, étant démissionnaire depuis cinquante jours[15].
Liste des arbres
[modifier | modifier le code]Photo | Premier ministre | Nom vernaculaire[16] | Nom scientifique[17] | Date | Temps écoulé depuis le début du mandat | |
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1 | Raymond Barre | Érable à sucre | Acer saccharum | 2 ans, 9 mois et 13 jours depuis le | ||
2 | Pierre Mauroy | Chêne de Hongrie | Quercus frainetto | 2 ans et 2 jours depuis le | ||
3 | Laurent Fabius | Chêne des marais | Quercus palustris | 1 an, 7 mois et 25 jours depuis le | ||
Chêne de Bourgogne | Quercus cerris | (replantation) | ||||
Jacques Chirac | — | — | — | — | ||
4 | Michel Rocard | Copalme d'Amérique | Liquidambar styraciflua | ??? depuis le | ||
(replantation) | ||||||
5 | Édith Cresson | Arbre aux quarante écus[18] | Ginkgo biloba | 9 mois et 26 jours depuis le | ||
6 | Pierre Bérégovoy | Tulipier de Virginie | Liriodendron tulipifera | ??? depuis le | ||
7 | Édouard Balladur | Érable argenté | Acer saccharinum | 11 mois et 10 jours depuis le | ||
8 | Alain Juppé | Katsura - arbre caramel | Cercidiphyllum japonicum | ??? depuis le | ||
9 | Lionel Jospin | Orme de Lutèce | Ulmus clone 762 INRA | 8 mois et 10 jours depuis le | ||
10 | Jean-Pierre Raffarin | Parrotie de Perse - arbre de fer | Parrotia persica | ??? depuis le | ||
11 | Dominique de Villepin | Chêne pédonculé[19] | Quercus robur | 5 mois et 25 jours depuis le | ||
12 | François Fillon | Cornouiller des pagodes[20],[21] | Cornus controversa ‘Variegata’ | 6 mois et 20 jours depuis le | ||
13 | Jean-Marc Ayrault | Magnolia à grandes fleurs[22] | Magnolia grandiflora ‘Mont Blanc’ | 6 mois et 14 jours depuis le | ||
14 | Manuel Valls | Chêne fastigié[23] | Quercus robur ‘Fastigiata Koster’ | 8 mois et 15 jours depuis le | ||
15 | Bernard Cazeneuve | Magnolia de Kobé[24],[25] | Magnolia kobus | 3 mois et 16 jours depuis le | ||
16 | Édouard Philippe | Pommier « claque pépin » | Malus domestica | 6 mois et 13 jours[26] depuis le | ||
17 | Jean Castex | Frêne commun[27] | Fraxinus excelsior ‘Alténa’ | 6 mois et 1 jour[28] depuis le | ||
18 | Élisabeth Borne | Chêne vert[29] | Quercus ilex | 6 mois et 12 jours[29] depuis le | ||
19 | Gabriel Attal | Érable cannelle[15] | Acer griseum | 7 mois et 24 jours depuis le |
Symbolique
[modifier | modifier le code]Présence ministérielle et affirmation de l'existence politique
[modifier | modifier le code]Dans leur livre L'Heure de vérité, Édouard Philippe et Gilles Boyer font remarquer que, outre le portrait qui figure dans le grand livre du premier étage, l'arbre est « la seule trace visible qui restera de leur passage [à l'hôtel Matignon] »[30]. Le Monde ironise : « Raymond Barre fut le premier, en , à marquer, ainsi, son territoire »[7].
Marque d'un programme politique
[modifier | modifier le code]Roland Dumas et François Dessy remarquent la symbolique de l'arbre dans la mythologie politique française, remontant au chêne de Saint-Louis[31] au bois de Vincennes. Le chêne est l'arbre qui a été le plus choisi, avec cinq arbres (Pierre Mauroy, Laurent Fabius, Dominique de Villepin, Manuel Valls et Élisabeth Borne), du fait de sa symbolique de longévité[32].
Dans un article de titré « Du chêne à l'orme », le journal Le Monde écrit que Michel Rocard penche d'abord pour un orme : « il s'agit de montrer [...] que, face à la “maladie des ormes” qui décime ces arbres, on ne baisse pas les bras. C'est, en somme, à l'échelon végétal, l'affirmation du combat de la vie »[33],[34]. Quelques mois plus tard, il opte finalement pour un copalme. Jean Amadou rapporte que le choix de cet arbre peu connu avait pour but d'étonner ses visiteurs et de marquer sa culture. Il aurait déclaré que « Mitterrand, qui prétend s'y connaître en arbre, ne sait rien sur le copalme. Ça vous situe le personnage ! »[35].
Le Monde, couvrant la plante du ginkgo biloba d'Édith Cresson en , remarque que la Première ministre avait insisté, en le plantant, sur le fait que les seuls arbres qui avaient résisté aux bombardements atomiques d'Hiroshima et de Nagasaki au Japon étaient des ginkgo biloba, afin de témoigner de sa propre résistance face aux heurts du poste de Premier ministre[36], qu'elle quitte cependant moins d'un mois plus tard.
Le journal souligne aussi que le choix de Lionel Jospin pour un orme en est dû à ce que l'arbre « était en voie de disparition en France avant que les chercheurs de l'INRA ne le sauvent »[7]. Il explique ainsi son choix : « J'avais envie que ce soit un arbre qui avait pu disparaître et qui revit ». Libération y voit un symbole de sa destinée, lui qui pensait arrêter la politique en pour devenir diplomate, avant de finalement être nommé Premier ministre après les élections législatives de , et de sa volonté de voir la gauche continuer sur cette voie aux élections régionales de qui ont lieu un mois plus tard[37].
En , Édouard Philippe choisit un pommier en hommage à l'un des slogans de campagne de Jacques Chirac à l'élection présidentielle de [32].
Le frêne de Jean Castex en est présenté par le ministre comme « un bois qui tient bien au feu, qui est très résistant, solide, qui s'abîme peu », en écho à la difficile situation sanitaire relative à la pandémie de Covid-19[28]. En , il est en très mauvais état, atteint par la chalarose[38], et doit être remplacé[39].
Autres
[modifier | modifier le code]L'origine géographique de l'arbre peut également faire allusion au fief politique du Premier ministre.
Ainsi, en , Jean-Marc Ayrault choisit le magnolia grandiflora car cette espèce, venue d'Amérique, a été transportée pour la première fois par le port de Nantes, dont il a été maire.
De même, le pommier planté par Édouard Philippe en vient de Normandie, où il a été maire du Havre[32].
Postérité
[modifier | modifier le code]La plantation de chaque arbre est couverte par les médias depuis les années 1980[1],[33].
Les arbres plantés par les Premiers ministres sont devenus des symboles de la passation de pouvoir entre Premiers ministres. Ils apparaissent dans diverses œuvres de fiction, comme Le Maître d'hôtel de Matignon de Gilles Boyer en [3], Les Derniers Jours de la Cinquième République de Christian Salmon en 2014[40], Article 36 d'Henri Vernet en 2019[41], ou encore La Mort nomade d'Ian Manook en [42].
Références
[modifier | modifier le code]- A. R., « Les Bucoliques de M. Mauroy », Le Monde, no 12184, , p. 8 (lire en ligne ) [lire en ligne].
- « Qu'est-ce que Matignon, lieu symbolique de la politique française? », Le Journal du dimanche, (consulté le ).
- Gilles Boyer, Le Maître d'hôtel de Matignon, Paris, J.-C. Lattès, , 205 p. (ISBN 978-2-7096-5669-6 et 978-2-7096-5653-5, lire en ligne).
- « La petite histoire de l’arbre de Matignon », sur info.gouv.fr, .
- Florian Gazan, « Nouveau premier ministre : pourquoi les chefs de gouvernement plantent-ils un arbre à Matignon ? », sur RTL, (consulté le ).
- Barbara Victor (d) (trad. de l'anglais par Carole Zalberg-Reyes et Ginou Richard), Le Matignon de Jospin, Paris, Flammarion, , 479 p. (ISBN 978-2-08-067475-3), p. 87–88 [lire en ligne (page consultée le 2020-11-17)].
- Pierre Georges, « L'orme pluriel » , Le Monde, (consulté le ).
- Bruno Jeudy, « Auprès de son arbre, Fillon vit heureux à Matignon », Le Figaro, (consulté le ).
- Baptiste Giroudon, « Huit jours avec Manuel Valls », Paris Match, 16 au 22 juin 2016, p. 60–67.
- « Valls : "Michel Rocard m’a appris le goût de la vérité" », Europe 1, .
- « Valls : "Rocard savait rêver le monde" », Le Journal du dimanche, .
- Adrienne Sigel, « Hollande plante un chêne dans les jardins de l'Élysée », BFM TV, .
- Sophie Dubois-Collet, 1 001 secrets très bien gardés de l'Élysée, Paris, les Éditions de l'Opportun, , 311 p. (ISBN 978-2-38015-347-7 et 978-2-38015-348-4, lire en ligne).
- Marcelo Wesfreid, « Second tour des législatives : Gabriel Attal prêt à démissionner… et à prendre date », Le Parisien, .
- Pauline Théveniaud, « « Il a organisé ça en catastrophe » : avant de quitter Matignon, Gabriel Attal a planté son arbre », Le Parisien, (consulté le ).
- « Le jardin de Matignon », sur info.gouv.fr, .
- « Projet de plantation de l'arbre du Premier ministre Monsieur Gabriel Attal : Parc de l'hôtel de Matignon » [PDF], sur documentation-administrative.gouv.fr, Direction des services administratifs et financiers, Sous-direction des sites historiques, Bureau de l'exploitation des sites de Matignon, Section jardins et developpement durable, .
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- « Un chêne français dans les jardins de Matignon », Libération, .
- AP, « François Fillon aura son cornouiller des pagodes à Matignon », Le Nouvel Observateur, (version du sur Internet Archive).
- « François Fillon a planté son arbre à Matignon », sur politique.net, (version du sur Internet Archive).
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- Alexandre Boudet, « Manuel Valls plante un arbre à Matignon: quand les premiers ministres jouent au jardinier », sur HuffPost, .
- Freddy Mulongo, « Bernard Cazeneuve a planté un "Magnolia kobus" à Matignon ! », sur blogs.mediapart.fr, Mediapart, .
- « "Un arbre fragile en apparence, mais extrêmement robuste" », sur info.gouv.fr, (consulté le ).
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- « Perpétuant la tradition, Jean Castex a planté un arbre à Matignon », BFM TV, (consulté le ).
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- Christian Salmon, Les Derniers Jours de la Cinquième République, Paris, Fayard, , 240 p. (ISBN 978-2-213-68563-2 et 978-2-213-68542-7, lire en ligne).
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- Ian Manook (pseudonyme de Patrick Manoukian), La Mort nomade, Paris, Albin Michel, , 428 p. (ISBN 978-2-226-32584-6 et 978-2-226-42148-7, lire en ligne).