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Anthropologie numérique

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L'anthropologie numérique, parfois appelée anthropologie digitale en référence au terme anglais, est l'étude de la relation entre l'Homme et la technologie de l'ère du numérique. À la croisée des domaines de l'anthropologie et de la technologie, ce nouveau champ de recherche, encore en construction, regroupe une variété de dénominations marquant des angles d'attaque différents : l'ethnographie numérique[1], techno-anthropologie[2], l'anthropologie virtuelle[3], anthropologie visuelle, cyber-anthropology[4]

Différentes approches de l'anthropologie numérique

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Un terrain de recherche sur l'humain (ethnographie numérique, du virtuel)

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Pour certains anthropologues le cyberespace en lui-même peut être considéré comme constitutif de nouveaux terrains de recherche anthropologique. L'ethnographie de ces terrains permettrait l'observation, l'analyse et l'interprétation de phénomènes socioculturels qui surgissent dans cet espace interactif qu'est internet. Un certain nombre d'anthropologues universitaires ont mené des ethnographies des mondes virtuels, par exemple les études de Bonnie Nardi sur World of Warcraft[5], et de Tom Boellstorff sur Second Life[6]. Internet est alors appréhendé en terrain auto-suffisant nécessitant la création d'outils de conceptualisation et de représentation notamment pour la sociologie des communautés virtuelles et de la cyberculture. À l'inverse Internet peut être intégré à l'enquête anthropologique d'un champ social plus large et plus complexe où Internet innerve l’ensemble de la quotidienneté des acteurs sociaux et peut provoquer des transformations importantes, y compris là où une minorité de gens est reliée à Internet[7],[8]. Ainsi, grâce à la technologie numérique, un certain nombre de communautés nationales et transnationales, pouvant être géographiquement limitée, font émerger un ensemble de normes et pratiques sociales. L'anthropologie numérique étudie par exemple diverses communautés construites autour des logiciels libres et ouverts. L'anthropologue américaine, Gabriella Coleman a fait un important travail ethnographique sur la communauté du logiciel Debian, les groupes de consommation collaborative et des groupes plus politiquement motivés comme Anonymous[9] ou Wikileaks.

Un regard sur les orientations technologiques (techno-anthropologie)

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Les techniques traditionnelles de l'anthropologie comme l'ethnographie, l'observation participante, l'entretien et la prise en compte de la réflexivité peuvent fournir des informations utiles pour les concepteurs afin d'adapter et d'améliorer la technologie. Ces informations peuvent également être utilisées par les décideurs (politiques, d'agences de développement, économiques...) pour optimiser et faciliter l'implantation et les usages des technologies numériques. L'anthropologie numérique s'inscrit alors dans un cadre plus large d’anthropologie engagée[10] où l'intervention de l'anthropologue contribue à articuler les dimensions sociales et techniques pour inscrire les TIC dans un contexte plus global. Les Fab Lab, par exemple, représentent un terrain de recherche intéressant en anthropologie numérique en raison de leurs potentiels d'innovation à la fois social et technique.

Des technologies utilisées dans l'activité de recherche

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Pour la plupart des anthropologues[11], la technologie a maintenant une présence tangible au stade de la recherche pour le travail de terrain (enregistrement des données, blogg...), d'analyse (logiciels de statistique...) et pour le processus de publication[12] (revue en ligne[13], contenu multimédia...).

Un champ d'étude des interactions humain-technologie (cyber-anthropology)

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Certains universitaires concentrent leurs études sur les aspects culturels des interactions entre les êtres humains et la technologie (systèmes cybernétiques). Les interactions étudiées incluent les tentatives visant à fusionner les artefacts technologiques avec l'homme et d'autres organismes biologiques, la société humaine avec un environnement culturellement façonné.

Débats actuels

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Méthodologie

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En termes de méthodologie, il y existe un désaccord entre les partisans des enquêtes exclusivement réalisées en ligne et ceux qui considèrent que l’enquête ne sera complète que si les sujets sont étudiés de manière holistique, à la fois en ligne et hors ligne. Tom Boellstoff a mené une recherche de trois ans en tant qu'avatar dans le monde virtuel de Second Life. Il défend la première approche, affirmant qu'il est non seulement possible mais nécessaire de s'engager avec des sujets « dans leurs propres termes ». D'autres chercheurs, comme Daniel Miller ou Monique Selim, défendent une vision plus holistique où l'enquête ethnographique ne devrait pas exclure l'examen de la vie du sujet à l'extérieur de l'Internet.

Post-humain

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Théoriquement, le débat porte sur ce que c'est que d'être humain, un problème qui est au cœur de la démarche anthropologique. Cette approche, issue de la théorie postmoderne, a été contestée par l'argument que l'Internet n'a pas créé la "virtualité" puisque la culture elle-même joue le rôle de médiateur dans notre compréhension du monde.

Formations universitaires

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De nombreuses universités proposent des modules qui couvrent le domaine de l'anthropologie numérique, et certaines universités proposent, sous divers noms, des cursus spécialisés en anthropologie numérique: Université Lumière Lyon-II, Université du Québec à Montréal, UCLouvain, Université Rennes 2 et École des hautes études en sciences sociales, University College London, Kansas State University, Binghamton University, Aalborg University.

Notes et références

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  1. Underbergl, Tom Natalie M et Elayne Zorn, Digital Ethnography : Anthropology, Narrative, and New Media, Austin: University of Texas Press,
  2. « Techno-Anthropology - Copenhagen Aalborg University » (consulté le )
  3. Weber, Tom Gerhard W et Bookstein, Virtual Anthropology : A Guide to a New Interdisciplinary Field, Wien; London: Springer,
  4. Knorr Weber et Alexander, Cyberanthropology, Wuppertal: Hammer,
  5. (en) Bonnie Nardi, My life as a night elf priest : an anthropological account of World of warcraft, Ann Arbor, University of Michigan Press University of Michigan Library, , 236 p. (ISBN 978-0-472-07098-5 et 978-0-472-05098-7, OCLC 760718590, BNF 42475285, lire en ligne)
  6. (en) Boellstorff Tom, Coming of Age in Second Life : An Anthropologist Explores the Virtually Human, I, Princeton University Press,
  7. Madeleine Pastinelli, « Pour en finir avec l'ethnographie du virtuel ! Des enjeux méthodologiques de l'enquête de terrain en ligne », Anthropologie et Sociétés, Département d’anthropologie de l’Université Laval, vol. 35, nos 1-2,‎ , p. 35-52 (ISSN 1703-7921, DOI 10.7202/1006367ar, résumé, lire en ligne)
  8. Monique Selim, « La production numérique du réel, perspectives anthropologiques », Variations. Revue internationale de théorie critique, Les amis de Variations, no 16,‎ (ISSN 1968-3960, lire en ligne)
  9. (en) Gabriella Coleman, « Our Weirdness Is Free: The logic of Anonymous — online army, agent of chaos, and seeker of justice », Triple Canopy,‎ (lire en ligne, consulté le )
  10. Engager l’anthropologie pour le développement et le changement social
  11. Voir / DANG, the Digital Anthropology Group of the American Anthropological Association
  12. https://cleo.openedition.org est une initiative publique à but non lucratif, soutenue par des institutions françaises de recherche et d’enseignement supérieur.
  13. http://lodel.org/est un logiciel d’édition électronique simple d'utilisation et adaptable à des usages particuliers. Il appartient à la famille des gestionnaires de contenus (en anglais, Content management system, CMS) et s’est spécialisé dans l’édition de textes longs et complexes, s’inscrivant dans un environnement éditorial très structuré.

Bibliographie

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  • Pierre Lévy, L'Intelligence collective : pour une anthropologie du cyberspace, Paris, La Découverte/Poche, , 245 p. (ISBN 978-2-7071-2693-1)
  • Joël Vacheron, Le Cyberespace comme alibi: Genèse d'un imaginaire contemporain, Mémoire de maîtrise en Sciences sociales, Université de Lausanne, 1999.
  • Christine Barats, Manuel d'analyse du Web en sciences humaines et sociales, Paris, A. Colin, , 258 p. (ISBN 978-2-200-28627-9, BNF 43534263)
  • Nicolas Nova, Figures mobiles : une anthropologie du smartphone. Anthropologie sociale et ethnologie, thèse Université de Genève, 2018, 313p.
  • (en) Bella Dicks, Bruce Mason, Amanda Coffey et Paul Anthony Atkinson, Qualitative research and hypermedia ethnography for the digital age, London Thousand Oaks, Calif, SAGE Publications, (ISBN 978-0-7619-6097-3)
  • (en) Heather Horst et Daniel Miller, Digital anthropology, London New York, Berg, , 328 p. (ISBN 978-0-85785-290-8)
  • (en) Natalie Underberg et Elayne Zorn, Digital ethnography : anthropology, narrative, and new media, Austin, University of Texas Press, , 117 p. (ISBN 978-0-292-74433-2, BNF 43610990)