Etude de Cas Et SC Soc
Etude de Cas Et SC Soc
Etude de Cas Et SC Soc
(1997)
Étude de cas
et sciences sociales
Un document produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay, bénévole,
Professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi
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Jacques HAMEL
Courriel : [email protected]
Alain BIHR
sociologue, département de sociologie, Université de Montréal
ÉTUDE DE CAS
ET SCIENCES SOCIALES.
[2]
Jacques Hamel
Étude de cas et sciences sociales
Collection Outils de recherche
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55, rue St-Jacques, Montréal
Canada,
H2Y 1K9
1 (514) 286-9048
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[3]
Jacques Hamel
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L’Harmattan
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75005 Paris France
Jacques Hamel, Étude de cas et sciences sociales. (1997) 8
[4]
Collection
Outils de recherche
[5]
Quatrième de couverture
Introduction : L’étude de cas : une définition [7]
Chapitre 1. Bref rappel historique de l'étude monographique en sociologie et en
anthropologie [13]
L'étude de cas dans la sociologie française : les monographies de famille de
Frédéric Le Play [13]
La monographie et l'observation participante en anthropologie : Bronislaw
Malinowski [26]
L'École de Chicago et l'étude de cas [30]
[7]
INTRODUCTION
L'étude de cas : une définition
1 Madeleine Grawitz, Méthodes des sciences sociales, Paris, Dalloz, 1964, (9e
édition, 1993).
Jacques Hamel, Étude de cas et sciences sociales. (1997) 14
[13]
Chapitre 1
Bref rappel historique
de l’étude monographique
en sociologie
et en anthropologie
8 Frédéric Le Play, Ouvriers des deux mondes : études publiées par la Société
d'Économie Sociale à partir de 1856 sous la direction de Frédéric Le Play,
tome 1, Thomery, À l'enseigne de l'arbre verdoyant Éditeur, 1983, p. 123.
Jacques Hamel, Étude de cas et sciences sociales. (1997) 20
et séjourne pendant trois ans aux îles Trobriand. Cet exil volontaire est
rapidement l'occasion, pour l'anthropologue qu'il aspire à être, de
premières observations de cette population locale, d'us et coutumes
étrangers extérieurs à sa propre personne qui, notés avec soin, donne-
ront lieu à une série d'ouvrages réputés dont Argonauts of the Western
Pacific.
Cette enquête de terrain de Malinowski donne naissance en fait à
l'anthropologie moderne et l'observation participante connaît enfin son
heure de gloire. Suivant la perspective de l'anthropologie de l'époque,
Malinowski se donne pour tâche d'inventorier dans ses moindres traits
la culture de la société placée sous observation. Par culture, Mali-
nowski entend, comme le veulent les premiers anthropologues tel Ty-
lor, « le tout complexe comprenant à la fois les sciences, les
croyances, les arts, la morale, les lois, les coutumes et les autres facul-
tés et habitudes acquises par l'homme dans l'état social 15 ». En
d'autres mots, la culture consiste en l'ensemble des comportements,
des croyances et des rituels qui marquent la vie d'une société dans ses
diverses manifestations. La culture peut certes être perçue par l'obser-
vation attentive des comportements des acteurs de la société étudiée et
des rituels qu'ils partagent, mais cette observation ne saurait suffire.
En effet, l'étude de la culture sous-entend que soit compris le sens que
les acteurs attribuent eux-mêmes à leurs comportements, à leurs
croyances et aux rituels propres à leur société. L'observation doit donc
être participante, au sens où la [28] mise en évidence d'une culture
requiert la participation d'informateurs de terrain qui, par la descrip-
tion qu'ils font de leurs propres comportements, permet d'en com-
prendre précisément le sens. Elle est participante, de surcroît, du fait
que l'observateur prend part lui-même aux comportements et rituels
qu'il observe à titre d'anthropologue.
La définition de l'observation participante est, suivant la perspec-
tive inaugurée par Malinowski, fort simple. Selon lui, il suffit à l'ob-
servateur de s'insérer progressivement au sein de la population locale,
au gré de contacts réguliers s'étalant sur un long laps de temps, de se
mêler à sa vie ordinaire et ses coutumes, en évitant de les perturber
par sa présence ou par les exigences de ses observations. Le recours à
des informateurs clés, avec lesquels un contact étroit est établi, con-
les frais par ricochet, en même temps que diminue le prestige dont
jouit l'École de Chicago depuis le début du siècle dans l'arène de la
sociologie américaine.
Jacques Hamel, Étude de cas et sciences sociales. (1997) 38
[37]
Chapitre 2
Le conflit des méthodes
et la critique de l’étude de cas
[38]
L'enquête statistique a néanmoins gagné du terrain en sociologie,
principalement à l’Université Columbia de New York, sous l'impul-
sion de Franklin H. Giddings et de ses étudiants 24, dont William Og-
burn. La rivalité apparaît rapidement entre cette institution et l'École
de Chicago, rivalité dont l'enjeu porte précisément, mais non exclusi-
vement, sur les méthodes. En effet, si les méthodes statistiques étaient
parfaitement autorisées dans le cadre de l'étude monographique, ce
n'était qu'à titre d'outils de recensement utiles pour décrire l'objet étu-
dié. Le développement de ces méthodes à Columbia va faire d'elles
une batterie de techniques visant de façon impérieuse l'explication
proprement dite, donnant lieu au surplus à une prévision.
La contestation à propos de la pertinence de l'étude de cas se mani-
feste à Columbia mais aussi, assez étrangement, au sein même de
l'École de Chicago puisqu'en 1927, William Ogburn, élève de EH.
Giddings et partisan avoué des méthodes statistiques, y est engagé
pour faire connaître l'utilité des statistiques aux étudiants diplômés en
sociologie. Les vertus des méthodes statistiques y sont alors claire-
ment exposées, avec une insistance particulière sur leur capacité de
vérifier une idée théorique au même titre que les sciences expérimen-
tales, capacité sans laquelle la sociologie ne saurait prétendre au titre
de science. L'allocution qu'il prononce en 1930, à titre de président de
l'American Sociological Society, annonce ouvertement cette préfé-
rence : selon lui, « pour avoir une valeur scientifique, une idée doit
être formulée de façon à pouvoir être démontrée ou prouvée [...]. Dans
cette étape future de la sociologie scientifique, la vérification sera vé-
nérée presque comme un fétiche [...]. On ne doit jamais [39] oublier
que la science se développe par accrétion, par accumulation de petits
morceaux de nouvelles connaissances ». Cela exige « que tout socio-
logue [soit] statisticien 25 ».
sans aucun doute relatif à l'apparition, durant les années 1930, des
premières théories générales dans la sociologie américaine, principa-
lement celle de Talcott Parsons, dont la mise à [43] l'épreuve consacre
en quelque sorte les vertus scientifiques de cette discipline. Les pré-
tentions acquises de ce point de vue font en sorte que la sociologie
devient abstraite, détachée du contexte empirique, du terrain, peu en-
cline à y baser ses modèles statistiques. Paul Lazarsfeld, illustre repré-
sentant des enquêtes statistiques faites à Columbia, va jusqu'à dire
qu'« il peut passer des heures à jouer avec des modèles mathéma-
tiques », que « les données en elles-mêmes ne l'intéressent guère » et
que, du reste, « l'intérêt, c'est de les manipuler par des instruments sta-
tistiques 29 ». L'accent est donc mis sur la capacité de ces modèles à
vérifier les théories en vue d'éprouver leur valeur de généralité.
L'étude de cas n'a pas de telles vertus, du moins au premier abord
puisqu'elle s'édifie sur la base d'un cas particulier, elle peut difficile-
ment mesurer la valeur de généralité d'une théorie, si ce n'est à l'aune
du cas lui-même. Les partisans de l'étude de cas, y compris ceux de
l'École de Chicago, en viennent à mesurer la valeur d'une étude mo-
nographique selon qu'elle satisfait ou non aux exigences de la vérifica-
tion des méthodes statistiques. Dans de telles conditions, l'étude de cas
est progressivement envisagée, « dans la meilleure des hypothèses,
comme une étude heuristique préscientifique et non plus comme une
forme de connaissance valide en elle-même, telle que considérée au-
paravant à Chicago 30 ».
L'étude de cas connaît donc son heure de gloire dans la sociologie
américaine avec l'École de Chicago. Le conflit des méthodes qui
éclate entre les partisans de cette école et ceux des méthodes statis-
tiques aboutira à lui faire perdre de son intérêt, et ce dès le début des
années 1940. Cette contestation, comme d'ailleurs celle des méthodes
[44] qualitatives dans leur ensemble, semble se dérouler au nom d'une
rigueur qui serait mieux assurée par la mise en œuvre des méthodes
statistiques. Si, effectivement, le conflit des méthodes se rattache à
cette question, il se déroule sur un terrain proprement politique où le
L'étude de cas est mise en procès au nom des vertus dont sont
pourvues les études statistiques et qui, par comparaison, lui font cruel-
lement défaut. Le tableau qui suit permet de les résumer.
Il importe de mettre en perspective ces deux griefs au vu même des
études monographiques qui se réclament de l'École de Chicago.
Jacques Hamel, Étude de cas et sciences sociales. (1997) 45
L’École de Chicago
et les études du Canada français
31 Id., ibid., p. 4.
Jacques Hamel, Étude de cas et sciences sociales. (1997) 46
32 Ibid., p. 6.
33 Id., ibid.
Jacques Hamel, Étude de cas et sciences sociales. (1997) 47
nion qu'une famille donnant à son enfant un prénom français est une
famille française 34 ».
L'ouvrage renferme quantité d'autres exemples de changements
que Hughes apporte à la forme des données, qu'elles soient statistiques
ou non, afin de mettre au jour [49] l'objet qu'il se propose d'étudier, à
savoir la différenciation ethnique et, d'une manière plus large, les dif-
férences de culture qui marquent la localité choisie. Ses propres ob-
servations sur les rapports entre les groupes ethniques en présence, en
l'occurrence les Canadiens d'expression française et anglaise, s'éche-
lonnent en fonction d'un fil conducteur qui conduit à la pierre angu-
laire de son explication : la famille. En effet, la culture canadienne-
française en est fortement imprégnée, faisant ainsi de la famille le pi-
vot de la société rurale désormais confrontée à une urbanisation qui
croît comme en serre chaude. Cette dernière se complique de surcroît
d'un problème ethnique du fait qu'elle tient à « l'arrivée des nouvelles
industries [qui] représentant] une invasion par des agents armés du
capital et des techniques des centres financiers et industriels anciens
de Grande-Bretagne et des États-Unis. Ainsi le Canadien français de-
venu ouvrier et citadin se trouve en face d'un patron étranger 35 ».
Orientée d'après ce fil conducteur, la description de la différencia-
tion de la culture canadienne-française acquiert tout son relief. Celui-
ci se révèle quand il s'agit d'emboîter des extraits d'entrevues afin de
mettre en évidence la différenciation de la famille que suscite l'expé-
rience de l'entreprise anglaise qu'en font les Canadiens français. Au-
trefois, dans leur esprit, l'entreprise rurale devait pourvoir à l'unité de
la famille, de sorte que peu de différences se manifestaient dans le
rôle et l'importance de chacun de ses membres : entre eux existait une
relative égalité. Il en va autrement dans les entreprises anglaises où,
par exemple, la division poussée du travail ne manque pas de faire
naître des différences hiérarchiques propres à briser cette égalité so-
ciale.
Au début de leur implantation, les « grandes entreprises anglaises »
ont peine à embaucher des Canadiens [50] français à titre de contre-
maîtres. Les entrevues recueillies sur le sujet en font preuve. « Nous
avons tenté d'avoir des contremaîtres canadiens-français, explique à
34 Ibid., p. 101.
35 Ibid., p. 20.
Jacques Hamel, Étude de cas et sciences sociales. (1997) 49
Hughes l'un de leurs dirigeants, mais ça n'a pas marché. Ils font trop
de cas de leurs parents et de leurs amis. » « Ils sont si jaloux les uns
des autres, rapporte cet autre, qu'ils ne veulent pas se soumettre à
l'autorité de l'un des leurs. » « Ils ont tant de parents et d'amis qu'ils ne
peuvent éviter le favoritisme. 36 »
La forme que donne Hughes au contenu des entrevues s'établit
donc en fonction d'une « interprétation » dont la « famille » est la clef
de voûte. Cette dernière jette un vif éclairage sur le sens de ce qui est
dit dans les entrevues, mais plus largement sur ce que Hughes observe
directement dans la localité pour circonscrire et décrire l'objet de son
étude. C'est un fait que l'ensemble des données de terrain se situent
dans cette ligne de mire.
La famille constitue pour Hughes le pivot de l'explication. L'inter-
prétation à laquelle donne corps sa monographie de Drummondville
permet de conclure en ce sens. La « famille » y est vue par conséquent
comme la source de l'explication de la transition qu'est en train de
connaître le Canada français. C'est par l'intermédiaire de la famille
que se règle la différenciation de cette société dont l'industrialisation
et l'urbanisation sont le fait de la « rencontre » avec un « autre
monde », en l'occurrence anglo-saxon.
Or, assez étrangement, la critique dont fait l'objet pareille entre-
prise monographique semble ignorer
36 Ibid., p. 102.
Jacques Hamel, Étude de cas et sciences sociales. (1997) 50
37 William Foote Whyte, « Postface », dans Street Corner Society, Paris, Édi-
tions La Découverte, 1996, p. 384.
Jacques Hamel, Étude de cas et sciences sociales. (1997) 51
[53]
Chapitre 3
Les études de cas contemporaines
L'intervention sociologique
d'Alain Touraine
39 Les titres des ouvrages relatant les diverses interventions sociologiques me-
nées par Alain Touraine et son équipe en indiquent clairement la teneur :
Alain Touraine et al, Lutte étudiante, Paris, Seuil, 1978 ; La prophétie anti-
nucléaire, Paris, Seuil, 1980 ; Le pays contre l'État, Paris, Seuil, 1981 ;
Le mouvement ouvrier, Paris, Fayard, 1984.
40 Alain Touraine, « Introduction à la méthode de l'intervention sociologique »,
dans La méthode de l'intervention sociologique, Paris, Cadis, 1982, p. 18-
19.
41 Alain Touraine, François Dubet et Michel Wieviorka, « Une intervention
sociologique avec Solidarnosc », Sociologie du travail, vol. XXIV, n° 3, p.
280.
Jacques Hamel, Étude de cas et sciences sociales. (1997) 53
pratique qui découle des dires des acteurs puisque, de fait, « c'est là le
seul matériau disponible 48 ». En effet, le matériau dont dispose la so-
ciologie pour saisir son objet reste dans tous les cas les propos des
acteurs imprégnés, en dernière analyse, de la conscience pratique de
l'action sociale.
Si cette conscience en reste l'intermédiaire, il n'en demeure pas
moins que le sens le plus élevé de l'action se fait jour grâce à la théo-
rie sociologique « parce que l'acteur n'a qu'une conscience limitée [du
sens] de son action », car [59] « les dimensions du système social ou
les conditions de l'action [...] échappent à la conscience des acteurs
sociaux 49 ». En vue de remédier à cela, l'intervention sociologique
propose sur un plan méthodologique la réunion d'acteurs sociaux en
un groupe qui offre « la figure du mouvement social, avec ses mul-
tiples significations et ses configurations plus ou moins stables 50 ».
48 Ibid., p. 13.
49 Ibid., p. 17.
50 Michel Wieviorka, « L'intervention sociologique », dans Marc Guillaume
(dir.), L'État des sciences sociales en France, Paris, La Découverte, 1986, p.
160.
51 Id., ibid.
52 Alain Touraine, Qu'est-ce que la démocratie ?, Paris, Fayard, 1994.
Jacques Hamel, Étude de cas et sciences sociales. (1997) 57
Le stade de la conversion
et la construction de l’explication sociologique
[66]
L’auto-analyse provoquée
et accompagnée de Pierre Bourdieu
[67]
64 Ibid., p. 916.
65 Pierre Bourdieu et Loïc Wacquant, Réponses, p. 57.
Jacques Hamel, Étude de cas et sciences sociales. (1997) 66
Outre le fait que chaque cas est conçu comme représentatif d'une
figure donnée de la misère dans une société comme la France, l'ou-
vrage peut être envisagé comme une expérimentation audacieuse de la
méthodologie qualitative en sociologie puisqu'il entend, par sa cons-
truction, montrer à l'œuvre l'analyse sociologique. À cette fin, chaque
chapitre comporte un entretien qui porte témoignage d'une figure de la
misère. Chacun d'eux se compose : a) de notes détaillées sur le con-
texte et le déroulement de l'entretien, b) de sa retranscription et c) de
l'interprétation sociologique qui découle du témoignage. Les lecteurs
peuvent donc saisir au vol le passage des témoignages donnés par les
interviewés à leur définition sous forme d'une explication de nature
sociologique. La publication de leur retranscription ne doit pas laisser
croire que les informations recueillies constituent d'emblée une expli-
cation sociologique, c'est-à-dire l'explication mise au point par les so-
ciologues en fonction de la rigueur scientifique. En effet, Bourdieu
s'empresse de souligner que « les témoignages que des hommes et des
femmes nous ont confiés à propos de leur existence et de leur difficul-
té d'exister [ont] été organisés en vue d'obtenir... un regard aussi com-
préhensif que celui que les exigences de la méthode scientifique nous
imposent, et nous permettent de [71] leur accorder 66 ». En d'autres
mots, par leur témoignage, la contribution des acteurs sociaux à la dé-
finition de la théorie sociologique ne doit pas servir à escamoter les
exigences du travail auquel s'astreint la sociologie. C'est grâce à ce
travail que chaque témoignage débouche sur une explication sociolo-
gique, bien que les individus qui les ont livrés aient voix à ce cha-
pitre : cette explication se fonde sur les témoignages reçus et en est
l'interprétation. Sous cet angle, l'ouvrage fait montre d'audace dans la
mesure où ce travail est présenté de telle manière que tout un chacun
peut en prendre fait et acte. Chaque entretien est organisé en fonction
de sa retranscription et de notes sur son déroulement qui éclairent
l'interprétation sociologique qui en est tirée. Leur « organisation »
sous cette forme est destinée à illustrer la transformation du point de
tique est engagée selon l'évidence par laquelle elle est le fait
d'« individus, de groupes, de réalités substantielles ». Sur cette lancée,
des nuances se font jour quant à la définition que Bourdieu attribue à
la rupture épistémologique. En effet, le sens dont sont communément
pourvus les témoignages des acteurs sociaux n'est désormais plus en-
visagé comme fausse conscience, mais comme des routines de la con-
naissance qui tendent à traduire l'action sociale comme le fait d'indi-
vidus ou de groupes plutôt que de la situer sur le plan de « relations
objectives » constituant l'objet même de la théorie sociologique. Seul
le travail que suscite cette théorie permet de « conquérir », de « cons-
truire » l'action des individus sur le plan des relations objectives puis-
qu'elle vise ce but.
76 Id., ibid., p. 8.
77 Ibid.
Jacques Hamel, Étude de cas et sciences sociales. (1997) 72
Si elle prête flanc à la critique, il n'en demeure pas moins que l'ac-
cent placé par Bourdieu sur l'écriture vient rappeler l'importance de
son office et, surtout, sa fonction épistémologique. Cela a tout son in-
78 Ibid., p. 922.
79 Nonna Mayer, « L'entretien sociologique selon Pierre Bourdieu. Analyse
critique de La misère du monde », Revue française de sociologie,
vol. XXXVI, n° 2, 1995, p. 369.
Jacques Hamel, Étude de cas et sciences sociales. (1997) 73
térêt face à l'étude de cas. L'anathème est souvent jeté sur elle du fait
qu'elle semble, au premier abord, une description rédigée sur la base
du vocabulaire que renferment les informations et témoignages re-
cueillis, sans toutefois se coordonner au vocabulaire théorique propre
à constituer une explication digne de ce nom en science.
Jacques Hamel, Étude de cas et sciences sociales. (1997) 74
[79]
Chapitre 4
Sur le statut de la description
plicité. Les études élaborées dans ce sillage 88 ont rattaché cette caté-
gorie de « famille élargie » à la notion de l'anthropologie contempo-
raine de « rapports de parenté », entendue au sens large de rapports de
descendance et d'alliance.
L'univocité ainsi acquise a permis d'insérer la description proposée
par Hughes au sein de la théorie de l'anthropologie économique vou-
lant que les « rapports de parenté fonctionnent comme rapports so-
ciaux de production 89 », c'est-à-dire constituent les rapports sociaux
en vertu desquels la société se produit et reproduit. La « famille »,
placée dans ce giron théorique, est alors transposée en fonction des
procédés opératoires dont est dotée la catégorie théorique, pour ne pas
dire le concept, de rapports de parenté. En effet dans [86] cette veine,
la famille, alias les rapports de descendance et d'alliance, est doréna-
vant vue comme le tendon d'Achille où se fixent la propriété, la pro-
duction, la circulation et la distribution des biens matériels conçues
comme pierre angulaire de P« économie », au sens large de la produc-
tion de la société.
La famille, catégorie pratique du langage, à laquelle ont maintes
fois recours les informateurs de terrain, est accolée à la catégorie
« rapports de parenté » dotée en ce sens de la vocation explicative as-
signée à la sociologie ou à l'anthropologie.
On voit donc sans peine que si on le rend univoque, le langage —
de par l'écriture — se rattache à des charges et des procédés opéra-
toires qui marquent l'office de la description et, ultimement, de qui
l'effectue en qualité de sociologue ou d'anthropologue. Les catégories
produites par ses soins se prêtent d'emblée à des opérations qui dispo-
sent la description établie par leur moyen à la construction d'une ex-
plication. Elle en est l'amorce et cela doit être porté à son crédit.
Reconnaissons cependant que les charges et procédés opératoires
propres à la description ne sont pas toujours formulés explicitement,
sous la forme d'une méthode. De ce fait, c'est à l'écriture qu'est laissée
la charge de les exprimer. Si l'on doit souligner la valeur de son office
à cet égard, en contrepartie, il faut en reconnaître les limites. Sous son
[88]
La démonstration est d'autant plus lumineuse que ces méthodes
peuvent être accolées sans difficulté à d'autres cas, manipulés selon
des procédés parfaitement réglés. Elle donne de ce fait une touche de
généralité à l'explication née de leur application. Le mot « vérifica-
tion » trouve ainsi sa raison d'être et son juste titre.
L'épistémologie contemporaine rappelle dans cette voie que « la
vérification scientifique consiste en une mise à l'épreuve, le plus sou-
vent médiate, d'un parti-pris de représentation des événements 90 ».
Sans vouloir nier la pertinence des méthodes mathématiques et leur
valeur opératoire, il est raisonnable de se demander si le langage peut
correctement relever ce parti-pris de manière à penser que la vérifica-
tion trouve par son moyen son droit d'exister. Il nous semble en effet
que s'il comporte des qualités d'univocité, il peut remplir cet office de
façon acceptable. Si on le rend univoque, le langage peut certainement
[91]
Chapitre 5
L'étude de cas : mode d'emploi
Qu'est-ce d'abord qu'un cas ? Qu'est-ce qui peut être qualifié de cas
propre à faire l'objet d'une étude du genre ? Son histoire a révélé qu'un
cas ne se réduit pas à une localité physique ou géographique comme a
pu le laisser entendre la tradition des études de villages en anthropo-
logie. Il correspond davantage à un observatoire, à l'image de l'expé-
rience qui a droit de cité en science expérimentale. À ce titre, il doit
être envisagé comme un dispositif par le moyen duquel un objet peut
être étudié. Il l'est de surcroît dans des conditions idéales puisqu'il est
choisi, sinon déterminé de façon stratégique à cette fin. La localité de
Drummondville sélectionnée par Everett Hughes remplit cet office et
lui apparaît idéale dans la mesure où, par son intermédiaire, la diffé-
Jacques Hamel, Étude de cas et sciences sociales. (1997) 85
et met sur la piste de son explication qui s'élabore sur le plan théo-
rique du continuum folk-urban society.
Il est sans doute utile de marquer la différence entre ce point de
vue théorique et l'objet d'étude proprement dit. Dans cette foulée, il est
opportun de distinguer l’objet d'étude de ce qu'on peut qualifier d'ob-
jet de recherche. Pour être bref et clair, l'objet d'étude est le « phéno-
mène » ou le « problème » à partir duquel s'amorce l'étude, l'étude du
cas choisi pour le mettre en évidence. Il est de nature concrète, pour
ne pas dire empirique, au sens où il se formule selon les catégories
qu'on utilise pour évoquer ce problème ou phénomène sur le terrain.
En l'occurrence, chez Hughes, l'objet de son étude a trait aux rapports
entre francophones et anglophones. Cet objet se teinte déjà d'une cou-
leur « théorique » — la différenciation ethnique — mais c'est quand
l'auteur évoque le continuum folk-urban society que se dégage enfin
l'objet de recherche qui est, quant à lui, de nature proprement théo-
rique. Ce dernier désigne donc la formulation du phénomène ou du
problème à l'origine de l'étude selon le point de vue qu'épouse son au-
teur en sa qualité de sociologue ou d'anthropologue. L'objet d'étude
s'établit alors en fonction de la visée de la discipline à laquelle il sous-
crit. Sociologue, Hughes prend pour objet de recherche les rapports
sociaux entre francophones et anglophones que met en scène Canton-
ville, c'est-à-dire la transition de la société traditionnelle à la société
moderne dont ils sont le moteur. S'il avait été anthropologue, il eût
placé l'accent sur les cultures en présence pour bien souligner son
obédience. Reconnaissons que la différence entre ces deux [95] disci-
plines est loin d'être nette et évidente. Cependant s'il avait été polito-
logue ou historien, son objet de recherche aurait été tout autre.
Sur le plan pratique, il est donc impératif de définir son objet
d'étude en fonction de la visée de sa discipline, c'est-à-dire l'angle
qu'adopte cette dernière pour expliquer tout phénomène ou problème.
L'objet d'étude est alors habité par un point de vue, celui de la disci-
pline préconisée, et, en conséquence, doit se formuler dans les termes
qui l'expriment et de façon irrécusable.
La différenciation ethnique envisagée en termes de rapports so-
ciaux se démarque d'une conception où la culture est mise en vedette.
Cela étant, l'objet d'étude engage la recherche vers un but précis qui
n'est autre, en fait, que celui de la discipline en question. C'est pour-
quoi objet de recherche est le terme qui convient pour désigner cette
Jacques Hamel, Étude de cas et sciences sociales. (1997) 88
Le choix du cas
et l'explicitation de ses qualités
dans son sillage le cas choisi. Les qualités du cas, de même que l'objet
de recherche qui le voit naître, sont sujets à discussion de qui veut les
mettre à l'épreuve puisqu'elles sont offertes à son regard.
Le choix de Drummondville dans le but d'étudier la différenciation
ethnique, autrement dit, les différences culturelles qui surgissent d'une
transition sociale liée à la domination d'une minorité, répond aux qua-
lités qu'E. C. Hughes y décèle et qu'il souligne d'entrée de jeu : « On
peut considérer comme le prototype des localités du Québec encore à
peine atteinte par [cette transition], la paroisse très rurale décrite par
Horace Miner dans son Saint-Denis, A French Canadian Parish. 94
Montréal, la métropole, représente l'autre [97] extrême. Le livre que
voici traite surtout d'une localité située entre ces deux extrêmes, une
petite ville récemment animée et troublée par l'installation d'un certain
nombre de grandes industries toutes mises en marche et dirigées par
des anglophones envoyés là dans ce but. Les faits, les relations so-
ciales et les changements découverts dans cette localité se rencontrent
aussi dans un grand nombre d'autres. » Il prend soin d'ajouter :
« Toutes ensemble, ces petites villes industrielles constituent le front
animé où les recrues des paroisses rurales font face, pour la première
fois, à la vie industrielle et urbaine moderne ; où les Canadiens fran-
çais de classe moyenne, bien assis et déjà urbains, doivent affronter
une classe de gérants anglophones dont la mentalité et les façons de
travailler sont différents des leurs ; et où, finalement les institutions
traditionnelles du Québec traversent des crises provoquées par la pré-
C'est par la somme des qualités qui lui sont reconnues que se fonde
la représentativité du cas. On conçoit donc sans peine que celles-ci
doivent être largement explicitées. Elles doivent l'être de manière à ce
qu'on puisse prendre note de l'imagination méthodologique qui est à
l'œuvre pour rendre raison — pour expliquer — l'objet étudié. En des
mots plus austères, l'explicitation des qualités du cas laisse deviner les
tactiques méthodologiques choisies pour expliquer par son intermé-
diaire le problème ou le phénomène qui est l'objet d'étude. Ces tac-
tiques sont certes d'ordre méthodologique, mais elles donnent du corps
à la « théorie » qui préside à la constitution de la description et, à sa
suite, de l'explication. Elle doit être envisagée comme une théorie en
acte. Par ces mots, on signifie une théorie qui prend forme au fil des
motifs, des choix et des tactiques qu'inspire le cas à la personne qui
couvre l'étude en sa qualité de sociologue ou d'anthropologue, ou à
tout autre chercheur qui veut l'expliquer au nom de sa discipline.
Les qualités reconnues en prennent la couleur. C'est pourquoi un
cas ne revêt pas les mêmes qualités sous le regard sociologique par
rapport à celui des anthropologues, des historiens ou des politologues.
Pour peu qu'en soient largement et précisément explicitées les quali-
tés, la représentativité du cas se fait jour dans la foulée de la « théo-
rie » dont on peut prendre acte des tenants et aboutissants.
Jacques Hamel, Étude de cas et sciences sociales. (1997) 92
La construction de l'explication
105 Gilles-Gaston Granger, Gilles Gaston Granger, « Peut-on assigner des fron-
tières à la connaissance scientifique », op. cit., p. 13.
Jacques Hamel, Étude de cas et sciences sociales. (1997) 101
[112]
Jacques Hamel, Étude de cas et sciences sociales. (1997) 103
[113]
En manière de
conclusion
l'étude de cas est-elle une méthode ?
108 Voir Clifford Geertz, Ici et Là-bas. L’anthropologue comme auteur, Paris,
Éditions Métailié, 1996. Version française de Works and Lives : the Anthro-
pobgist as Author, Stanford, Stanford University Press, 1988.
109 Jean-Claude Passeron, « Anthropologie et sociologie », Raison présente,
n° 108, 1993, p. 8 et 10.
Jacques Hamel, Étude de cas et sciences sociales. (1997) 105
[116]
[117]
Bibliographie
sur l'étude de cas
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Bibliographie thématique
[124]
Fin du texte