François, comment vous sentez-vous avant ces Mondiaux ?
Je me sens de mieux en mieux. Avant de partir, j’ai fait un dernier
test. Je suis descendu sous la minute au kilomètre. A
Saint-Quentin-en-Yvelines, on est vraiment au niveau de la mer.
Donc, en quelque sorte, c’est un record du monde, puisque personne
n’est jamais descendu sous la minute au niveau de la mer. Ça montre
que je suis en forme, c’est très bon signe !
C’est d’autant plus important que vous avez un programme chargé
à Cali avec le keirin (jeudi), le kilomètre (vendredi) et la
vitesse individuelle (samedi-dimanche)…
Ça ne fait pas peur. L’année dernière, à Apeldoorn, j’avais couru
les cinq jours et j’ai terminé avec trois médailles. J’ai prouvé
que j’étais capable d’enchaîner.
C’était votre choix de ne pas participer à la vitesse par
équipes ?
Oui. Mes collègues d’entraînement n’avaient pas forcément montré le
signe d’une grande forme. Et vu que j’avais la possibilité de
prendre part à toutes les épreuves, j’ai décidé de privilégier
celles où je pouvais être champion du monde.
C’est votre objectif ?
Oui (ferme). Je compte être champion du monde sur les trois
épreuves. J’ai des ambitions. Trois médailles d’or ce serait le
top. Si je garde mon titre sur le kilomètre, et que je monte sur le
podium en keirin et en vitesse, ce sera le minimum pour moi.
Mes séjours au Japon m’ont fait énormément de bienAprès vos
records du monde en décembre (200m lancé, kilomètre), vous vous
sentez plus fort que jamais ?
Mon premier titre de champion du monde, l’année dernière, m’a
beaucoup aidé. Mes records du monde il y a deux mois m’ont permis
de me rendre compte de ce que j’étais capable de faire. Je pense
que je pars favori de mes trois épreuves. La pression, ce n’est pas
moi qui l’ai. Ce sont mes adversaires. Moi, je pars très
serein.
Vous aimez cette position d’homme à battre ?
C’est plaisant. Quand tu es au départ d’une course, si tes
adversaires ont peur de toi, alors que toi tu n’as pas peur d’eux,
tu as quasiment gagné ton sprint. Pour le kilomètre, je me bats
contre le chrono. Mais en vitesse individuelle, c’est du
un-contre-un. Quand tu sais que tu tombes sur un mec qui est plus
fort que toi, physiquement ou tactiquement, tu pars déjà perdant.
Ce ne sera pas mon cas.
Comment expliquez-vous que vous atteignez votre maturité à 29
ans ?
Le physique, je l’avais. C’est le mental qui m’avait manqué jusqu’à
présent. Mais mes séjours au Japon m’ont fait énormément de bien,
ça a changé ma vie. J’ai progressé énormément. Là-bas, les sprints
sont tellement durs ! C’est lancé de très loin, avec de gros
braquets, avec un rendement inférieur à ce que je peux avoir avec
un vélo en carbone, parce là-bas on court sur un vélodrome en
béton, avec un vélo en acier et des roues à rayons, et du vent en
prime car les vélodromes sont découverts. Donc quand je retrouve
une piste en bois, de 250 mètres, couverte, chauffée, avec mon vélo
tout en carbone, je me sens voler !
Je n’ai pas eu de primes pour mes records du mondeOn évoque
souvent votre cas pour illustrer les difficultés financières des
pistards. Est-ce que vos records du monde ont changé quelque
chose ?
Médiatiquement parlant, oui. Je n’ai pas arrêté depuis mes records
du monde. Mais financièrement, je n’ai pas eu de primes. Je n’ai
pas de primes de courses de prévues avec mes partenaires privés. Et
il n’y en a pas non plus avec l’UCI ou avec la Fédération. On va
dire que j’ai fait ça pour la beauté du sport…
Et pour les Mondiaux, y a-t-il des primes de
prévues ?
Oui, la Fédération prévoit un tableau. Par exemple, l’année
dernière j’ai été champion du monde j’ai touché 2 000 euros. T’es
champion du monde, t’as 2 000 euros, tu ne vas pas loin avec ça…
Mais de toute façon, je ne cours pas pour l’argent, juste pour me
faire plaisir…
Vous n’êtes pas du tout amer par rapport à cela ?
Amer, quand on voit tout l’argent dépensé dans le sport, je peux
l’être. Mais c’est comme ça, je n’ai pas le choix. Je fais avec…
Mais c’est sûr que quand on mène vie comme on mène et qu’à côté on
ne cotise pas pour sa retraite, et on ne gagne pas assez d’argent
pour en mettre de côté, notre avenir, après notre carrière
sportive, est inquiétant. Je crois qu’on ne mérite pas ça. Quand on
rapporte des titres de champions du monde et des médailles
olympiques à la France, je pense qu’on mérite mieux…
Est-ce qu’un titre olympique à Rio changerait quelque
chose ?
Forcément. C’est reconnu aux yeux du grand public, pas que dans le
cyclisme. Avec cette reconnaissance, on touche des partenaires
beaucoup plus facilement.
Si on n’est pas capable de se remettre en question, on sera
toujours deuxième ou troisièmeCes derniers temps, vous avez tout de
même eu une bonne nouvelle, avec l’inauguration du Vélodrome
national, à Saint-Quentin-en-Yvelines…
Enfin ! Ca faisait longtemps qu’on attendait une telle
infrastructure. Jusqu’à présent, on était à l’Insep (où la piste
ne mesure que 160m, ndlr). Maintenant, on a de vraies
conditions d’entraînement. Cela fait partie du protocole pour aller
chercher un titre de champion olympique. Mais ça ne suffit pas. Il
faut aussi travailler le matériel, il faut avoir du staff compétent
pour nous entourer. Mais ça aussi, ça coûte énormément d’argent, et
la Fédération n’a pas forcément les moyens.
Pourtant, avec le Vélodrome et des athlètes performants, la base
y est…
On a des résultats. Maintenant, on espère en avoir encore plus.
Mais sans staff, et sans faire progresser le matériel, on a vu la
trempe qu’on s’est prise aux Jeux Olympiques à Londres. Le matériel
a énormément joué. Si on n’est pas capable de se remettre en
question, de trouver des financements pour faire progresser le
matériel, on sera toujours deuxième ou troisième.
Et cette remise en question n’a pas eu lieu ?
Ça fait bientôt deux ans depuis les Jeux, et on n’est toujours pas
passé en soufflerie. La soufflerie, on sait que c’est important. On
a changé de partenaire vestimentaire, donc il faut retravailler les
combinaisons, les tissus… (Il marque une pause) Moi, je ne sais
pas, ça fait 15 ans que je cours avec les mêmes roues. Il y a des
questions à se poser. Mais je ne peux pas faire grand-chose. Nous,
on est demandeurs. Après c’est à la Fédération de tout mettre en
œuvre pour aller chercher l’or olympique. Mais je sais que c’est
difficile, vu le manque de moyens…