Pervis: « On ne mérite pas ça »

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Deux mois après ses records du monde à Aguascalientes, François Pervis aborde les Mondiaux de Cali avec un objectif simple: ramener l’or en keirin, sur le kilomètre, et en vitesse individuelle. A 29 ans, le Mayennais, qui se sent plus fort que jamais, garde la foi malgré les difficultés de son sport, en manque cruel de moyens.

François, comment vous sentez-vous avant ces Mondiaux ?
Je me sens de mieux en mieux. Avant de partir, j’ai fait un dernier test. Je suis descendu sous la minute au kilomètre. A Saint-Quentin-en-Yvelines, on est vraiment au niveau de la mer. Donc, en quelque sorte, c’est un record du monde, puisque personne n’est jamais descendu sous la minute au niveau de la mer. Ça montre que je suis en forme, c’est très bon signe !

C’est d’autant plus important que vous avez un programme chargé à Cali avec le keirin (jeudi), le kilomètre (vendredi) et la vitesse individuelle (samedi-dimanche)…
Ça ne fait pas peur. L’année dernière, à Apeldoorn, j’avais couru les cinq jours et j’ai terminé avec trois médailles. J’ai prouvé que j’étais capable d’enchaîner.

C’était votre choix de ne pas participer à la vitesse par équipes ?
Oui. Mes collègues d’entraînement n’avaient pas forcément montré le signe d’une grande forme. Et vu que j’avais la possibilité de prendre part à toutes les épreuves, j’ai décidé de privilégier celles où je pouvais être champion du monde.

C’est votre objectif ?
Oui (ferme). Je compte être champion du monde sur les trois épreuves. J’ai des ambitions. Trois médailles d’or ce serait le top. Si je garde mon titre sur le kilomètre, et que je monte sur le podium en keirin et en vitesse, ce sera le minimum pour moi.

Mes séjours au Japon m’ont fait énormément de bienAprès vos records du monde en décembre (200m lancé, kilomètre), vous vous sentez plus fort que jamais ?
Mon premier titre de champion du monde, l’année dernière, m’a beaucoup aidé. Mes records du monde il y a deux mois m’ont permis de me rendre compte de ce que j’étais capable de faire. Je pense que je pars favori de mes trois épreuves. La pression, ce n’est pas moi qui l’ai. Ce sont mes adversaires. Moi, je pars très serein.

Vous aimez cette position d’homme à battre ?
C’est plaisant. Quand tu es au départ d’une course, si tes adversaires ont peur de toi, alors que toi tu n’as pas peur d’eux, tu as quasiment gagné ton sprint. Pour le kilomètre, je me bats contre le chrono. Mais en vitesse individuelle, c’est du un-contre-un. Quand tu sais que tu tombes sur un mec qui est plus fort que toi, physiquement ou tactiquement, tu pars déjà perdant. Ce ne sera pas mon cas.

Comment expliquez-vous que vous atteignez votre maturité à 29 ans ?
Le physique, je l’avais. C’est le mental qui m’avait manqué jusqu’à présent. Mais mes séjours au Japon m’ont fait énormément de bien, ça a changé ma vie. J’ai progressé énormément. Là-bas, les sprints sont tellement durs ! C’est lancé de très loin, avec de gros braquets, avec un rendement inférieur à ce que je peux avoir avec un vélo en carbone, parce là-bas on court sur un vélodrome en béton, avec un vélo en acier et des roues à rayons, et du vent en prime car les vélodromes sont découverts. Donc quand je retrouve une piste en bois, de 250 mètres, couverte, chauffée, avec mon vélo tout en carbone, je me sens voler !

Je n’ai pas eu de primes pour mes records du mondeOn évoque souvent votre cas pour illustrer les difficultés financières des pistards. Est-ce que vos records du monde ont changé quelque chose ?
Médiatiquement parlant, oui. Je n’ai pas arrêté depuis mes records du monde. Mais financièrement, je n’ai pas eu de primes. Je n’ai pas de primes de courses de prévues avec mes partenaires privés. Et il n’y en a pas non plus avec l’UCI ou avec la Fédération. On va dire que j’ai fait ça pour la beauté du sport…

Et pour les Mondiaux, y a-t-il  des primes de prévues ?
Oui, la Fédération prévoit un tableau. Par exemple, l’année dernière j’ai été champion du monde j’ai touché 2 000 euros. T’es champion du monde, t’as 2 000 euros, tu ne vas pas loin avec ça… Mais de toute façon, je ne cours pas pour l’argent, juste pour me faire plaisir…

Vous n’êtes pas du tout amer par rapport à cela ?
Amer, quand on voit tout l’argent dépensé dans le sport, je peux l’être. Mais c’est comme ça, je n’ai pas le choix. Je fais avec… Mais c’est sûr que quand on mène vie comme on mène et qu’à côté on ne cotise pas pour sa retraite, et on ne gagne pas assez d’argent pour en mettre de côté, notre avenir, après notre carrière sportive, est inquiétant. Je crois qu’on ne mérite pas ça. Quand on rapporte des titres de champions du monde et des médailles olympiques à la France, je pense qu’on mérite mieux…

Est-ce qu’un titre olympique à Rio changerait quelque chose ?
Forcément. C’est reconnu aux yeux du grand public, pas que dans le cyclisme. Avec cette reconnaissance, on touche des partenaires beaucoup plus facilement.

Si on n’est pas capable de se remettre en question, on sera toujours deuxième ou troisièmeCes derniers temps, vous avez tout de même eu une bonne nouvelle, avec l’inauguration du Vélodrome national, à Saint-Quentin-en-Yvelines…
Enfin ! Ca faisait longtemps qu’on attendait une telle infrastructure. Jusqu’à présent, on était à l’Insep (où la piste ne mesure que 160m, ndlr). Maintenant, on a de vraies conditions d’entraînement. Cela fait partie du protocole pour aller chercher un titre de champion olympique. Mais ça ne suffit pas. Il faut aussi travailler le matériel, il faut avoir du staff compétent pour nous entourer. Mais ça aussi, ça coûte énormément d’argent, et la Fédération n’a pas forcément les moyens.

Pourtant, avec le Vélodrome et des athlètes performants, la base y est…
On a des résultats. Maintenant, on espère en avoir encore plus. Mais sans staff, et sans faire progresser le matériel, on a vu la trempe qu’on s’est prise aux Jeux Olympiques à Londres. Le matériel a énormément joué. Si on n’est pas capable de se remettre en question, de trouver des financements pour faire progresser le matériel, on sera toujours deuxième ou troisième.

Et cette remise en question n’a pas eu lieu ?
Ça fait bientôt deux ans depuis les Jeux, et on n’est toujours pas passé en soufflerie. La soufflerie, on sait que c’est important. On a changé de partenaire vestimentaire, donc il faut retravailler les combinaisons, les tissus… (Il marque une pause) Moi, je ne sais pas, ça fait 15 ans que je cours avec les mêmes roues. Il y a des questions à se poser. Mais je ne peux pas faire grand-chose. Nous, on est demandeurs. Après c’est à la Fédération de tout mettre en œuvre pour aller chercher l’or olympique. Mais je sais que c’est difficile, vu le manque de moyens…

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