Advanced Apple Debugging Reverse Engineering Exploring Apple Code Through LLBD Python and Dtrace 3Rd Edition Raywenderlich Tutorial Team
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"I would like to thank my wife, Brittany, for all her love and support
while I silently wept in the fetal position trying to get this book out
the door."
— Derek Selander
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que je vous fasse voir plus avant, je vous dirai ce que mon bisaïeul
avait coutume de me dire quand j’étais enfant, et ce qu’il prétendait
avoir lui-même entendu dire à son père ;
« Son père le tenait d’un autre, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’on
remontât à celui qui l’avait entendu raconter par l’artiste qui avait
peint, sans pinceaux, toutes ces peintures, blanches, bleues ou
rouges que vous voyez là ; le peintre, en montrant au roi Pharamond
le château, arrivé à ce rocher d’Ischia que je viens de vous faire voir,
lui dit ce que je vais vous répéter.
« Il lui dit que, du brave chevalier qui le défendait avec tant
d’ardeur, et qui semblait mépriser le feu qui de tous côtés l’entourait
jusqu’au phare, devait naître en ces temps ou à peu près — et il lui
dit l’année et le mois — un chevalier, qui surpasserait tous ceux qui
jusqu’alors avaient existé au monde.
« Nirée avait été moins beau, Achille moins brave, Ulysse moins
hardi, Lada moins léger à la course, Nestor moins prudent, lui qui
sut tant de choses et qui vécut si longtemps, César moins libéral et
moins clément, que ne devait être celui qui naîtrait dans l’île
d’Ischia, et qui devait dépasser toute la renommée de ces grands
hommes.
« Et si l’antique Crète se glorifia d’avoir donné naissance au petit-
fils de Célus ; si Thèbes fut fière de Bacchus et d’Hercule ; si Délos
s’enorgueillit des deux jumeaux, cette île pourra aussi se réjouir et
se dresser fièrement sous le ciel, quand naîtra dans son sein le
grand marquis envers lequel le ciel se montrera si prodigue de
faveurs de toute sorte.
« Ainsi lui dit Merlin, et il lui répéta à plusieurs reprises que ce
héros devait naître à l’époque où l’empire romain serait le plus
opprimé, pour qu’il lui rendît la liberté. Mais comme je vous
montrerai par la suite plusieurs de ses hauts faits, je n’ai pas à vous
en parler d’avance. — » Ainsi il dit, et il revint à l’histoire où se
voyaient les merveilleuses prouesses de Charles.
« — Ici — disait-il — Ludovic se repent d’avoir fait venir Charles
en Italie, car il l’avait appelé pour combattre son ancien rival et non
pour le chasser lui-même. Il s’allie aux Vénitiens, et, devenu son
ennemi, il veut le faire prisonnier au retour. Mais le vaillant roi
abaisse sa lance et s’ouvre un chemin à travers ses nouveaux
ennemis.
« Mais ceux des siens qu’il a laissés à la garde du nouveau
royaume éprouvent un sort bien différent. Ferrante, grâce à l’aide
que lui prête le seigneur de Mantoue, revient si vivement à la
charge, qu’en peu de mois, sur terre et sur mer, il n’en laisse pas un
vivant. Mais la perte d’un de ses plus vaillants compagnons,
traîtreusement frappé, l’empêche de ressentir toute la joie de sa
victoire. — »
Ainsi disant, il montre le marquis Alphonse de Pescaire, puis il
ajoute : « — Celui-ci, après avoir brillé comme un rubis en mille
entreprises, succombe sous la trahison ourdie contre lui par un
double traître d’Éthiopien ; le meilleur chevalier de cette époque
tombe le cœur percé d’une flèche. — »
Puis il montre l’endroit où l’on voit Louis XII, après avoir passé
les Alpes, chasser le Môre, et planter la fleur de lys sur la terre des
Visconti. Marchant sur les traces de Charles, il veut jeter un pont sur
le Carigliano, mais il voit ses gens rompus, dispersés, périr engloutis
dans le fleuve.
« Voyez dans la Pouille un non moindre carnage de l’armée
française, mise en déroute. C’est l’Espagnol Ferdinand de Gonzague,
qui deux fois l’a prise comme dans une souricière. Mais autant la
Fortune s’était en cette circonstance montrée rebelle à Louis, autant
elle lui est favorable dans les riches plaines que baigne l’Adriatique,
et que le Pô divise en deux parties égales du côté de l’Apennin et du
côté des Alpes. — »
Ainsi disant, il s’accuse lui-même d’avoir oublié ce qu’il aurait dû
dire tout d’abord. Il retourne sur ses pas, et montre un chevalier qui
vend le château dont son maître lui avait confié la garde. Il montre
le Suisse perfide faisant prisonnier celui-là même dont il touche la
solde. Ces deux trahisons donnent la victoire au roi de France, sans
qu’il ait besoin d’abaisser sa lance.
Puis il montre César Borgia s’élevant en Italie par la faveur de ce
roi. Tout baron de Rome, tout seigneur qui s’oppose à lui, est envoyé
en exil. Puis il montre le roi qui, après avoir expulsé la Scie de
Bologne, y fait entrer les Glands. Il montre les Génois révoltés, mis
en fuite et leur cité soumise.
« — Voyez — dit-il ensuite — la campagne de Giaradadda
couverte de morts. Toutes les villes ouvrent leurs portes au roi ;
Venise seule résiste à peine. Voyez comme, après avoir franchi les
frontières de la Romagne, il chasse le pape de Modène, qu’il enlève
au duc de Ferrare. Il ne s’arrête point là ; il veut lui enlever ce qui lui
reste de ses États.
« Il lui enlève Bologne, et y fait rentrer la famille des Bentivoglio.
Voyez l’armée des Français mettre Brescia à sac, après qu’il l’a
reprise. D’un même coup, il secourt Felsina et met le désordre dans
le camp du pape. Les deux armées se concentrent ensuite à forces
égales sur les basses plages de Chiassi :
« D’un côté l’armée française, de l’autre les troupes espagnoles
considérablement accrues, et grande est la bataille. De part et
d’autre les gens d’armes jonchent la terre et la rougissent. Chaque
fossé semble plein de sang humain. Mars balance pour savoir à qui il
donnera la victoire. Enfin, grâce à la valeur d’un Alphonse, on voit
l’armée française rester maîtresse du terrain, et l’Espagnol céder.
« Ravennes est saccagée. Le pape se mord les lèvres de douleur ;
il fait descendre des Alpes, comme une tempête, une tourbe
d’Allemands qui chassent au delà des monts les Français incapables
de leur tenir tête, et qui vengent le Môre en déracinant les Lys d’or
implantés dans son jardin.
« Voici que les Français reviennent de nouveau ; les voici mis en
déroute par les Suisses infidèles que le jeune duc a appelés
imprudemment à son aide, bien qu’ils aient fait prisonnier et vendu
son père. Voyez plus loin l’armée que la Fortune avait mise sous sa
roue, conduite par le nouveau roi, lequel se prépare à venger la
honte de Novare.
« La voici qui revient encore sous de meilleurs auspices. Voyez le
roi François, qui s’avance à sa tête et qui met les Suisses en une
telle déroute, qu’il s’en manque de peu qu’il ne les ait détruits. Ces
soudards brutaux perdent à jamais le titre usurpé par eux de
dompteurs de princes et de défenseurs de l’Église chrétienne.
« Là, malgré la Ligue, François prend Milan et la donne au jeune
Sforce. Là, Bourbon défend la ville pour le roi de France contre la
fureur tudesque. Plus loin, pendant que le roi François s’apprête à
tenter de nouvelles entreprises et qu’il ignore l’orgueil et la cruauté
déployés par ses soldats, voici que la ville lui est enlevée.
« Voici un autre François qui ressemble non seulement de nom,
mais par le courage à son aïeul. Il chasse les Français, et avec l’aide
des États de l’Église, reconquiert son domaine paternel. Les Français
reviennent encore ; mais ils n’avancent que prudemment, sans
parcourir l’Italie à vol d’oiseau comme ils avaient jusque-là coutume.
Le brave duc de Mantoue leur ferme le passage, et les arrête sur le
Tessin.
« Frédéric, dont les joues sont encore embellies des premières
fleurs de la jeunesse, acquiert une éternelle gloire en défendant avec
la lance, mais plus encore par son activité et son génie, Pavie
menacée par la fureur française, et en déjouant les projets du Lion
de la mer. Voyez ces deux marquis, la terreur de nos soldats et
l’honneur de l’Italie.
« Tous deux sont du même sang, tous deux sont nés au même
nid. Le premier est fils de ce marquis Alphonse dont vous avez vu le
sang rougir la terre, par suite de la trahison du Nègre. Voyez comme
à diverses reprises les Français sont chassés d’Italie d’après ses
conseils. L’autre, d’un aspect si doux et si joyeux, est seigneur de
Guast et s’appelle Alphonse.
« C’est le brave chevalier dont je vous ai parlé quand je vous ai
montré l’île d’Ischia, et sur lequel Merlin avait prophétisé de si
grandes choses à Pharamond, en lui annonçant qu’il devait naître à
l’époque où l’Italie affligée, l’Église et l’Empire auraient le plus besoin
d’aide contre les insultes des Barbares.
« Avec son cousin de Pescaire, et l’aide de Prosper Colonna,
voyez-le faire payer cher la Bicoque aux Français et aux Suisses.
Mais voici que de nouveau les Français se préparent à réparer leurs
échecs successifs. Leur roi descend en Lombardie avec une armée,
tandis qu’il en envoie une autre pour s’emparer de Naples.
« Mais celle qui fait de nous ce que le vent fait de la poussière
aride lorsqu’après l’avoir soulevée dans les airs jusqu’au ciel, il la
laisse retomber en un instant sur la terre où il l’a prise, la Fortune
fait que le roi croit avoir rassemblé autour de Pavie plus de cent mille
hommes. Après les grandes sommes qu’il a dépensées, il ne sait pas
si son armée a diminué ou s’est accrue.
« Aussi, par la faute de ministres avares, et grâce à la bonté du
roi qui s’est fié à eux, les gens d’armes se rangent-ils peu nombreux
sous les bannières, quand, la nuit, le camp assailli crie : Aux armes !
Car il se voit assaillir jusque dans ses retranchements par les rusés
Espagnols, qui, sous la conduite des deux d’Avalos, se frayent un
chemin audacieux vers le ciel et vers l’enfer.
« Voyez la fleur de la noblesse de France étendue par la
campagne ; voyez de combien de lances, de combien d’épées le
vaillant roi est entouré ; voyez-le tomber sous son destrier, sans que,
pour cela, il se rende ou se déclare vaincu. Cependant, c’est sur lui
seul que l’armée ennemie dirige ses efforts, c’est sur lui seul qu’elle
se rue, et personne ne vient à son secours.
« Le roi vaillant se défend à pied et se baigne dans le sang
ennemi. Mais enfin le courage cède a la force. Voici le roi pris ; le
voici en Espagne. Il s’est rendu au chevalier de Pescaire, qui ne le
quitte plus. C’est à ce du Guast que sont dues la déroute de l’armée
française et la prise du grand roi.
« Pendant qu’une des deux armées est mise en déroute à Pavie,
voyez l’autre, qui était en route pour attaquer Naples, s’arrêter
soudain, comme s’arrête la lampe à laquelle l’huile vient à manquer.
Mais le roi laisse ses fils en otage dans la prison espagnole et
retourne dans ses États. Le voici qui porte la guerre en Italie, en
même temps que les autres envahissent son propre domaine.
« Voyez le meurtre et le pillage remplir Rome de deuil ; voyez les
choses divines et profanes devenir également la proie de l’incendie
et du viol. L’armée de la Ligue peut voir de son camp voisin les
ruines amoncelées, et entendre les gémissements et les cris. Alors
qu’elle devrait marcher en avant, elle revient sur ses pas, et laisse
prendre le successeur de saint Pierre.
« Le roi envoie Lautrec avec de nouvelles troupes, non plus pour
tenter la conquête de la Lombardie, mais pour arracher à des mains
impies et dévastatrices la tête et les membres de l’Église. Il est
retardé dans sa marche, de sorte qu’il ne trouve plus le saint-père
privé de sa liberté. Il va alors assiéger la ville où est ensevelie la
Sirène, et soulève tout le royaume.
« Voici l’armée impériale qui s’avance pour secourir la ville
assiégée ; voici Doria qui lui barre le chemin et la jette dans la mer,
après l’avoir taillée en pièces. Voici également la Fortune, jusque-là
si propice aux Français, qui change de fantaisie, et qui les détruit
non par la lance, mais par les fièvres ; de sorte que, sur dix mille,
pas un ne retourne en France. — »
Toutes ces histoires, et beaucoup d’autres qu’il serait trop long de
raconter, étaient peintes dans cette salle avec des couleurs belles et
variées, et avec une clarté telle qu’on les comprenait sur-le-champ.
Les convives repassent devant elles à deux ou trois reprises et
semblent ne pouvoir en détacher leurs yeux. A plusieurs reprises, ils
lisent ce qui est écrit sous ces belles œuvres.
Les belles dames et les autres assistants, après avoir longtemps
regardé et raisonné entre eux, furent conduits dans les
appartements où ils devaient prendre du repos, par le châtelain lui-
même, désireux de faire honneur à ses hôtes. Voyant tous ses
compagnons déjà endormis, Bradamante va se coucher la dernière.
Mais elle a beau se retourner sur l’un et l’autre flanc, elle ne peut
dormir.
Cependant, à l’approche de l’aube, elle ferme un instant les yeux,
et il lui semble voir son Roger, qui lui dit : « — Pourquoi te
consumes-tu de chagrin, et donnes-tu créance à ce qui n’est pas la
vérité ? Tu verras plutôt les fleuves remonter à leur source, que de
me voir porter ma pensée à d’autres qu’à toi. Si je ne t’aimais pas, je
ne pourrais aimer mon propre cœur ni les pupilles de mes yeux. — »
Et il lui semble qu’il ajoute : « — Je suis venu ici pour me faire
baptiser et faire tout ce que je t’ai promis. Et si je suis en retard,
c’est une autre blessure que celle de l’amour qui m’a retenu. — » En
ce moment le sommeil la fuit, et elle ne voit plus que Roger qui
disparaît avec son rêve. La damoiselle recommence alors à pleurer et
se parle ainsi à elle-même :
« — C’est un vain songe qui est venu me procurer ce plaisir, et
c’est, hélas ! la réalité qui me torture pendant que je veille. Le songe
a été prompt à s’enfuir, mais ce n’est point un songe que mon âpre
et cruel martyre. Pourquoi, éveillée, n’entends-je plus, ne vois-je
plus ce qu’endormie, ma pensée semblait entendre et voir ? pourquoi
mes yeux, quand ils sont clos, voient-ils le bien, et voient-ils le mal
quand ils sont ouverts ?
« Le doux sommeil m’a fait espérer la paix ; mais la veille amère
me replonge dans la guerre. Le doux sommeil a été menteur, mais,
hélas ! la veille amère ne me trompe point. Si le vrai me pèse et si le
faux me plaît, que jamais plus je n’entende ou ne voie la vérité sur
la terre. Si le sommeil me donne la joie, si la veille m’apporte la
souffrance, puissé-je dormir sans me réveiller jamais !
« Heureux les animaux à qui un lourd sommeil tient, pendant six
mois, les yeux fermés ! Je ne veux pas dire qu’un semblable sommeil
ressemble à la mort, et qu’une semblable veille ressemble à la vie,
car, contrairement aux autres êtres, je me sens mourir quand je
veille, et je me sens vivre quand je dors. Mais si un sommeil de cette
nature ressemble à la mort, viens sur l’heure, ô Mort, me clore les
yeux ! — »
Le soleil rougissait les bords extrêmes de l’horizon ; les nuages
s’étaient dissipés, et le jour qui commençait paraissait devoir être le
contraire du jour précédent. Bradamante, s’étant éveillée, revêtit ses
armes et se remit en chemin, après avoir remercié le châtelain de la
bonne hospitalité et de l’honneur qu’elle en avait reçus.
Elle retrouva la messagère qui était sortie de la Roche, avec ses
deux damoiselles et ses écuyers, et qui avait rejoint l’endroit où
l’attendaient les trois chevaliers. C’étaient ceux que la lance d’or
avait, la veille, jetés bas de leurs destriers, et qui avaient, à leur
grand déplaisir, supporté toute la nuit la pluie, le vent et l’orage.
Ajoutez à cela qu’eux et leurs chevaux étaient restés à jeun,
battant des dents et des pieds dans la boue. Leur mauvaise humeur
s’augmentait encore de la crainte de voir la messagère raconter dans
leur pays qu’ils avaient été abattus par la première lance qui s’était
trouvée sur leur chemin en France.
Résolus à mourir ou à tirer sur-le-champ vengeance de l’outrage
qu’ils ont reçu, afin que la messagère, appelée Ullania — j’avais
oublié de vous la nommer — revienne sur la mauvaise opinion
qu’elle pourrait peut-être avoir conçue de leur courage, ils défient au
combat la fille d’Aymon, dès que celle-ci se montre hors du pont-
levis.
Ils ne se doutent en aucune façon qu’elle est une damoiselle, car
rien dans ses allures ne le dénote. Bradamante, en personne pressée
de continuer sa route et qui ne veut point s’arrêter, refuse le combat.
Mais ils la pressent tellement qu’elle ne peut refuser plus longtemps
sans encourir le blâme. Elle abaisse sa lance, et, en trois coups, elle
les envoie tous les trois à terre. C’est ainsi que finit le combat.
Puis, sans se retourner, elle leur montre de loin les épaules. Les
chevaliers, qui étaient venus de pays si lointains pour conquérir l’écu
d’or, se relèvent sans prononcer un mot, car ils ont perdu la parole
en même temps que toute hardiesse. Ils semblent stupéfaits
d’étonnement, et n’osent plus lever les yeux vers Ullania.
Pendant toute la route, ils s’étaient beaucoup trop vantés auprès
d’elle de ce qu’aucun chevalier ni paladin ne pourrait résister au
moindre d’entre eux. La dame, pour leur faire encore davantage
baisser la tête, et pour les rendre à l’avenir moins arrogants, leur fait
savoir que ce n’est point un paladin, mais bien une femme qui les a
enlevés de selle.
« — Puisqu’une femme vous a si facilement abattus — dit-elle —
vous devez penser ce qu’il vous adviendrait de lutter avec Renaud ou
Roland, tenus, et pour cause, en si grand honneur. Si l’un d’eux
possède jamais l’écu, je vous demande si vous serez contre celui-là
de meilleurs champions que vous ne l’avez été contre une dame. Je
ne le crois pas, et vous ne le croyez pas non plus vous-mêmes.
« Que cela vous suffise ; il n’est pas besoin d’une preuve plus
éclatante de votre valeur, et celui de vous qui, dans sa témérité,
voudrait tenter en France une nouvelle expérience, s’exposerait à
ajouter un grand dam à la honte dans laquelle il est tombé hier et
aujourd’hui ; à moins qu’il n’estime utile et honorable de mourir de la
main de si illustres guerriers. — »
Quand Ullania eut bien assuré les chevaliers que c’était une
damoiselle qui avait rendu leur renommée, jusque-là si belle, plus
noire que de la poix ; quand ils eurent entendu confirmer son dire
par plus de dix personnes, ils furent sur le point de tourner leur
armes contre eux-mêmes, tellement ils furent saisis de douleur et de
rage.
Saisis de honte, furieux, ils se dépouillent de toutes les armes
qu’ils ont sur le dos ; ils détachent l’épée qu’ils portent au côté et la
jettent dans le fossé. Ils font serment, puisqu’une dame les a
vaincus et leur a fait mesurer la terre, qu’ils resteront une année
entière sans endosser aucune arme, afin d’expier une si grande
faiblesse.
Pendant tout ce temps, ils iront à pied, que la route soit en
plaine, qu’elle descende ou qu’elle monte. De plus, l’année expirée,
ils ne monteront à cheval, ils ne revêtiront de cotte de mailles ou
toute autre armure, que s’ils ont enlevé par force, en un combat, le
cheval et les armes d’un chevalier. C’est ainsi que, pour punir leur
propre faiblesse, ils s’en vont à pied et sans armes, pendant que
leurs compagnons poursuivent leur route à cheval.
Le soir de ce même jour, Bradamante arrive près d’un castel situé
sur la route de Paris. Là, elle apprend que Charles et son frère
Renaud ont mis Agramant en déroute. Là elle trouve bonne table et
bon gîte. Mais cela, comme tout le reste, lui importe peu, car elle
mange à peine, elle dort peu, et, loin de songer à se reposer, elle ne
pense qu’a changer de lieu.
Mais tout ce que j’ai à vous dire sur elle ne doit pas m’empêcher
de revenir à ces deux chevaliers qui, d’un commun accord, avaient
attaché leurs destriers près de la fontaine solitaire. Le combat qu’ils
vont se livrer, et que je vais vous raconter, n’a point pour but
d’acquérir des domaines ou le suprême pouvoir. Ils se battent afin
que le plus vaillant puisse posséder Durandal et chevaucher Bayard.
Sans que la trompette ou qu’un autre signal leur annonce qu’il
est temps d’agir ; sans qu’un maistre de camp vienne leur rappeler
de frapper ou de parer, et leur remplisse l’âme d’une belliqueuse
fureur, ils tirent l’un et l’autre le fer d’un même mouvement, et en
viennent aux mains, agiles et vigoureux. Les coups commencent à
se faire entendre rudes et nombreux, et à leur échauffer l’ire.
Je ne connais pas deux autres épées, éprouvées pour leur
solidité et leur dureté, qui ne se fussent rompues au bout de trois
des coups hors de toute mesure que se portaient les deux
champions. Mais celles-ci étaient d’une trempe si parfaite, elles
avaient passé par tant d’épreuves, qu’elles auraient pu se rencontrer
mille coups et plus sans se briser.
Renaud, bondissant de côté et d’autre avec une grande habileté,
évite très adroitement Durandal, qui retombe avec grand fracas ; il
sait bien comment elle brise et tranche le fer. Le roi Gradasse frappe
de plus grands coups, mais presque tous s’éparpillent au vent.
Lorsque parfois il touche son adversaire, il l’atteint à un endroit où le
coup ne saurait être dangereux.
L’autre manœuvre son épée avec plus de succès, et à plusieurs
reprises il engourdit le bras du païen. Il le frappe tantôt aux flancs,
tantôt à l’endroit où la cuirasse se relie au casque ; mais partout il
rencontre une armure dure comme le diamant, de sorte qu’il ne peut
en rompre une seule maille. Cette armure avait été faite par
enchantement ; c’est ce qui la rend si forte et si dure.
Sans prendre de repos, tous deux étaient restés un grand
moment absorbés par leur combat, et, les yeux fixés l’un sur l’autre,
ils n’avaient pas songé à regarder à leurs côtés ; soudain ils furent
détournés de leur lutte furieuse par une querelle d’un autre genre.
Un grand strépitement d’ailes leur fit retourner à tous deux la tête,
et ils virent Bayard en grand péril.
Ils virent Bayard aux prises avec un monstre plus grand que lui,
et qui ressemblait à un oiseau. Son bec était long de plus de trois
brasses ; le reste de son corps était celui d’une chauve-souris. Ses
plumes étaient noires comme de l’encre ; ses serres étaient grandes,
aiguës et rapaces. De ses yeux pleins de feu s’échappait un regard
féroce. Il avait de grandes ailes qui semblaient deux voiles.
C’était peut-être un oiseau ; mais je ne sais où ni quand il a pu en
exister un pareil. Je n’ai jamais vu, ailleurs que chez Turpin, la
description d’un animal ainsi fait. Je serais porté à croire que cet
oiseau était quelque diable de l’enfer évoqué sous cette forme par
Maugis, afin d’arrêter le combat.
Renaud le crut aussi, et il eut plus tard à ce sujet une grande
contestation avec Maugis. Ce dernier ne voulut jamais se reconnaître
coupable, et pour écarter le soupçon d’un tel acte il jura par la
lumière du soleil que le fait ne devait pas lui être imputé. Qu’il fût
oiseau ou démon, le monstre fondit sur Bayard et le saisit dans ses
serres.
Le destrier, qui était très vigoureux, rompt immédiatement ses
rênes ; plein de colère et d’indignation, il lutte contre l’oiseau avec
les pieds et avec les dents. Mais celui-ci, plus agile, remonte dans les
airs, et revient à la charge, les serres prêtes à saisir, et battant des
ailes tout autour de Bayard, lequel, ne pouvant éviter ses attaques,
se décide enfin à prendre la fuite.
Bayard fuit vers la forêt prochaine, où il cherche les fourrés les
plus épais. La bête ailée le suit de près tant que le chemin lui est
propice. Mais le brave destrier s’enfonce de plus en plus dans la
forêt, et finit par se cacher sous une grotte. L’oiseau, ayant perdu sa
trace, retourne dans les airs, et cherche une nouvelle proie.
Renaud et le roi Gradasse, qui voient s’enfuir l’objet de leur
combat, restent d’accord pour différer la querelle, jusqu’à ce qu’ils
aient délivré Bayard des griffes de l’oiseau qui l’a forcé de se réfugier
dans la forêt. Ils conviennent que celui des deux qui le rejoindra, le
ramènera à cette même fontaine, où ils termineront ensuite leur
querelle.
Ils s’éloignèrent de la fontaine, suivant les herbes nouvellement
foulées. Mais Bayard est déjà loin d’eux, car ils ne peuvent le suivre
que lentement. Gradasse, qui avait l’Alfane tout près de là, saute sur
lui, et laisse au milieu de ces bois le paladin triste et plus mécontent
que jamais.
Au bout de quelques pas, Renaud perdit les traces de son
destrier. Celui-ci avait fait un étrange chemin, cherchant dans les
ravins, à travers les arbres et les rochers, les endroits les plus
hérissés d’épines, les plus sauvages, afin de se mettre à l’abri des
griffes de cet oiseau qui, tombant du ciel, était venu l’assaillir.
Renaud, après s’être vainement fatigué à chercher, retourna
l’attendre à la fontaine,
Espérant que Gradasse l’y conduirait, comme cela était convenu
entre eux. Mais voyant qu’il attendait en vain, il s’en alla à pied à
travers champs et fort dolent. Revenons à Gradasse, auquel il arriva
tout le contraire de ce qui était arrivé à Renaud. Son heureuse
destinée, plutôt que ses recherches, lui fait entendre tout près de lui
le hennissement du brave destrier ;
Il le retrouve dans une caverne profonde, encore si tremblant de
la peur qu’il avait eue, qu’il n’osait plus sortir. Le païen, l’ayant en
son pouvoir, se rappelle très bien la promesse qu’il a faite de
retourner avec lui à la fontaine. Mais il n’est plus disposé à observer
cette promesse, et il se tient en soi-même ce langage :
« — Que celui qui voudra disputer et batailler pour l’avoir,
dispute et bataille ; pour moi, je suis plus désireux de le posséder
pacifiquement. D’un bout à l’autre de la terre, je suis venu jadis dans
l’unique but de me rendre maître de Bayard ; maintenant que je le
tiens en mes mains, bien fou celui qui croirait que je consentirais à
m’en défaire. Si Renaud veut le ravoir, qu’il vienne lui aussi dans
l’Inde, comme je suis venu moi-même jadis en France.
« La Séricane ne sera pas un séjour moins sûr pour lui que la
France ne l’a déjà été deux fois pour moi. — » Ainsi disant, il s’en
vint à Arles par la voie la plus facile et y rejoignit l’armée. Puis, ayant
en sa possession Bayard et Durandal, il partit sur une galère
espalmée. Mais je vous parlerai de lui une autre fois, car je dois
quitter Gradasse, Renaud et la France.
Je veux suivre Astolphe qui, avec la selle et le mors, dirigeait
l’hippogriffe par les airs, comme il eût fait d’un palefroi. Il le faisait
aller d’une course plus rapide que le vol de l’aigle et du faucon.
Après qu’il eut parcouru d’une mer à l’autre, des Pyrénées au Rhin,
tout le pays des Gaules, il se dirigea vers le Ponant, du côté de la
chaîne de montagne qui sépare la France de l’Espagne.
Il passa en Navarre et de là en Aragon, laissant tous ceux qui le
voyaient en grande stupeur. Il laissa bien loin à sa gauche
Tarragone, Biscaglia à sa droite, et arriva en Castille. Il vit la Gallicie
et le royaume de Lisbonne ; puis il dirigea sa course vers Cordoue et
Séville, parcourant les rivages de la mer, l’intérieur des terres,
jusqu’à ce qu’il eût visité toute l’Espagne.
Il vit le détroit de Gadès et les bornes qu’Hercule posa pour les
premiers navigateurs. Il se disposa ensuite à courir çà et là en
Afrique, de la mer d’Atlante aux confins de l’Égypte. Il vit les
fameuses Baléares, et Iviça qui se trouva droit sur son chemin. Puis,
tournant bride, il se dirigea vers Arzilla assise sur la mer qui la
sépare de l’Espagne.
Il vit Maroc, Fez, Oran, Hippone, Alger, Bougie, toutes ces
superbes cités qui ont autour d’elles comme une couronne d’autres
cités, couronne d’or et non de feuillage ou de verdure. Puis, il piqua
vers Biserte et Tunis. Il vit Cabès et l’île de Gerbi, Tripoli, Bérénice,
Ptolémaïs, et parvint jusqu’aux lieux où le Nil se jette en Asie.
Il vit toute la contrée située entre la mer et les croupes boisées
du fier Atlas. Puis, tournant le dos aux monts de Carène, il prit sa
route au-dessus des Cirénéens. Traversant les immenses déserts de
sable, il arriva sur les confins de la Nubie, à Albaiada, et laissa
derrière lui les ruines de Battus et le grand temple d’Ammon,
aujourd’hui détruit.
De là, il atteignit une autre Trémisène qui suit la loi de Mahomet.
Puis il tourna les ailes de son coursier vers les autres Éthiopiens qui
sont situés au delà du Nil. Il suivit le chemin de la cité de Nubie,
filant dans les airs entre Dobada et Coallé. Quelques-uns de ces
peuples sont chrétiens, les autres musulmans, et ont constamment
les armes à la main sur leurs frontières respectives.
Sénapes, empereur d’Éthiopie, qui a une croix pour sceptre,
règne sur de nombreux vassaux. Il possède des cités et de l’or en
grande quantité, et son pouvoir s’étend jusqu’à l’embouchure de la
mer Rouge. La foi qu’il professe est presque semblable à la nôtre, et
peut suffire pour sauver de l’exil éternel. C’est là, si je ne fais erreur,
qu’on fait usage du feu pour baptiser.
Le duc Astolphe descendit dans la capitale de la Nubie, et visita
Sénapes. Le château qu’habite le chef de l’Éthiopie est beaucoup
plus riche que fort. Les chaînes des ponts et des portes, les gonds et
les serrures, et finalement tous les ouvrages qui chez nous sont en
fer, sont là-bas en or.
Bien que ce précieux métal y soit en si grande abondance, il n’y
est pas moins fort estimé. Les appartements de cette royale
demeure sont soutenus par des colonnes de cristal limpide. Sous les
balcons, divisés en espaces proportionnés, les rubis, les émeraudes,
les saphirs et les topazes projettent leur froide lumière, aux rayons
rouges, blancs, verts, azurés et jaunes.
Sur les murs, sur les toits, sur les pavés, les perles et les pierres
gemmes sont parsemées. Là naît le baume, et, en comparaison,
Jérusalem n’en produit qu’une très petite quantité. C’est de là que le
musc nous arrive, ainsi que l’ambre et les autres produits exotiques.
En somme, les choses qui ont tant de valeur dans nos pays viennent
de là.
On dit que le soudan, roi d’Égypte, paye tribut au roi d’Éthiopie
et s’en reconnaît vassal, de crainte qu’il ne détourne le cours du Nil,
et n’affame ainsi d’un seul coup le Caire et toute la contrée. Ses
sujets l’appellent Sénapes, et nous le nommons, nous, Presto ou
Presteianni [12] .
De tous les rois qui existèrent jamais en Éthiopie, il fut le plus
riche et le plus puissant. Mais, malgré toute sa puissance et tous ses
trésors, il avait misérablement perdu la vue. Et c’était encore là le
moindre de ses tourments. Ce qui l’accablait et le faisait le plus
souffrir, c’était d’être torturé par une faim perpétuelle, lui qu’on
nommait le plus riche des hommes.
Lorsque le malheureux, poussé par le besoin, s’apprêtait à
manger ou à boire, l’infernale troupe des Harpies vengeresses
surgissait soudain. Les monstrueuses Harpies, brutales et
malfaisantes, de leurs griffes et de leurs ongles crochus,
renversaient les vases et saisissaient les mets ; ce que leur ventre
affamé n’engloutissait pas, restait souillé et contaminé par leur
attouchement.
Et cela, parce que dans sa jeunesse, enivré par les honneurs, les
richesses qui le mettaient au-dessus de tous les autres mortels, fier
de sa force et de son courage, il devint, comme Lucifer, orgueilleux
au point de songer à faire la guerre à son Créateur. A la tête de son
armée, il marcha droit au mont d’où sort le grand fleuve d’Égypte.
Il avait entendu dire que sur ce mont sauvage, qui s’élève au
delà des nues et monte jusqu’au ciel, était situé le paradis que l’on
appelle terrestre, où habitèrent jadis Adam et Ève. Suivi de
chameaux, d’éléphants et d’une armée de fantassins, l’orgueilleux
s’avançait avec l’intention de soumettre à sa loi les habitants de cet
heureux séjour, si toutefois il y en avait.
Dieu réprima sa téméraire audace. Il envoya au milieu de ces
bandes un de ses anges qui en fit périr plus de cent mille, et le
condamna lui-même à une nuit éternelle. Puis, il ordonna aux
horribles monstres des grottes infernales de venir à sa table enlever
et souiller tous les aliments sans les lui laisser goûter ni toucher.
Et pour qu’il ne lui restât aucun espoir, il lui avait été prophétisé
que ses tables ne seraient débarrassées de la bande voleuse et de
leur odeur nauséabonde, que lorsqu’on verrait venir par les airs un
chevalier sur un cheval ailé. Ce miracle lui paraissant chose
impossible, il vivait dans la tristesse, privé de toute espérance.
Lorsque, à la grande stupeur des gens, on vit arriver le chevalier,
planant sur les murs et les tours élevées, on courut aussitôt en
prévenir le roi de Nubie qui se rappela la prophétie. Oubliant dans sa
joie de prendre son fidèle bâton, il vint les mains étendues et en
tâtonnant au-devant du chevalier volant.
Astolphe, après avoir décrit de grands cercles, était descendu à
terre sur la place du château. Le roi ayant été conduit devant lui,
s’agenouilla et, joignant les mains, lui dit : « — Ange de Dieu,
nouveau Messie, je ne mérite point de pardon pour une si grande
offense ; considérez pourtant que, s’il est de notre nature de pécher
souvent, il est de la vôtre de pardonner toujours à qui se repent.
« Conscient de mon erreur, je ne te demande pas, je n’oserais
pas te demander de me rendre la lumière, bien que tu aies le
pouvoir de le faire, car tu es au nombre des bienheureux que Dieu
chérit. Contente-toi de mettre fin au grand martyre que je ne puis
voir, et qui consiste à me faire consumer de faim. Chasse au moins
les Harpies, afin qu’elles ne viennent plus me ravir la nourriture.
« Et je promets de te faire construire, dans la partie la plus
élevée de mon palais, un temple de marbre dont les portes et le toit
seront tout en or, et dont l’intérieur sera orné de pierreries. Ce
temple portera ton saint nom, et l’on y gravera le miracle accompli
par toi. — » Ainsi parla le roi privé de la vue, cherchant en vain à
baiser les pieds du duc.
Astolphe répondit : « — Je ne suis pas l’ange de Dieu, je ne suis
pas un nouveau Messie, et je n’arrive pas du ciel. Je suis, moi aussi,
mortel et pécheur, et indigne d’une telle grâce. Je ferai tout ce que
je pourrai pour débarrasser, par leur mort ou par leur fuite, ton
royaume de ces monstres malfaisants. Si j’y parviens, ce n’est pas
moi, mais Dieu seul qu’il te faudra louer, car c’est lui qui a dirigé mon
vol ici pour venir à ton aide.
« Adresse tes vœux à Dieu ; c’est à lui qu’ils sont dus ; c’est à lui
qu’il te faut bâtir les églises et élever les autels. — » Ainsi parlant,
ils allaient tous les deux vers le château, entourés d’illustres barons.
Le roi ordonna à ses serviteurs de préparer sur-le-champ le banquet,
espérant que, cette fois, les mets ne lui seraient pas enlevés des
mains.
Aussitôt, un banquet solennel est préparé dans une riche salle.
Le duc Astolphe s’y asseoit seul avec Sénapes, et l’on apporte les
mets. Soudain, voici que dans les airs on entend un bruit strident,
produit tout alentour par d’horribles ailes ; voici venir les Harpies
monstrueuses et malfaisantes, attirées des profondeurs du ciel par
l’odeur des viandes.
Elles étaient sept en une seule bande. Elles avaient toutes un
visage de femme, pâle, décoloré, amaigri, exténué par un long
jeûne, et plus horrible à voir que la mort. Elles avaient de grandes
ailes informes et rugueuses ; les mains rapaces armées d’ongles
aigus et recourbés ; le ventre énorme et fétide ; la queue longue,
noueuse et tordue comme celle du serpent.
On les entend venir dans l’air et presque en même temps on les
voit s’abattre toutes sur la table, s’emparer des mets et renverser les
vases. Leur ventre laisse échapper une liqueur tellement infecte,
qu’on est obligé de se boucher le nez, car il serait impossible de
supporter la puanteur qu’elles répandent. Astolphe, saisi de colère,
tire son épée contre les oiseaux gloutons.
Il les frappe, l’un au cou, l’autre sur le dos, celui-ci à la poitrine,
celui-là sur l’aile ; mais il semble que le fer atteigne un sac
d’étoupes ; le coup est amorti et ne produit aucun résultat. Les
Harpies ne laissèrent ni un plat ni une coupe intacts ; elles ne
quittèrent pas la salle avant d’avoir tout dévoré ou gâté.
Le roi avait conçu la ferme espérance que le duc chasserait les
Harpies. Maintenant qu’il n’a plus d’espoir, il soupire, gémit et reste
accablé. Le duc se souvient alors du cor qu’il porte, et qui vient à
son aide dans les cas périlleux. Il pense que ce moyen est le meilleur
pour chasser les monstres.
Avant de s’en servir, il fait boucher avec de la cire les oreilles du
roi et de ses barons, afin que, lorsque le cor retentira, ils ne
prennent point la fuite hors de la ville. Il saisit la bride de
l’hippogriffe, saute sur les arçons et prend le cor enchanté. Puis il
fait signe au maître d’hôtel de faire remettre la table et les mets.
On apprête une autre table et d’autres mets, et soudain
apparaissent les Harpies, qui se livrent à leur besogne accoutumée.
Astolphe souffle aussitôt dans le cor, et les oiseaux, qui n’ont point
l’oreille bouchée, ne peuvent résister au son ; saisis de peur, ils
fuient, et n’ont plus souci de nourriture ni d’autre chose.
Le paladin pique des éperons derrière eux ; il sort du palais sur
son destrier volant, et, laissant la grande cité, il chasse les monstres
devant lui dans les airs. Astolphe continue à sonner du cor, et les
Harpies s’enfuient vers la zone torride, jusqu’à ce qu’elles soient
arrivées sur le mont élevé où le Nil a sa source, si tant est qu’il ait sa
source quelque part.
Presque à la base de la montagne, une grotte profonde se creuse
sous terre. On donne comme certain que c’est la porte par laquelle
doit passer quiconque veut descendre aux enfers. C’est là que la
troupe dévastatrice s’est réfugiée, comme en une retraite sûre ; elle
descend jusque sur la rive du Cocyte et même plus profond, afin de
ne plus entendre le son du cor.
Arrivé devant l’infernale et ténébreuse ouverture où commence le
chemin vers les lieux privés de lumière, l’illustre duc arrête l’horrible
sonnerie, et fait replier les ailes à son destrier. Mais avant que je le
conduise plus loin, et pour ne me point départir de mes habitudes,
je veux, ma page étant remplie de tous les côtés, finir ici ce chant,
et me reposer.
CHANT XXXIV.