Treatment of Cerebral Palsy and Motor Delay 5th Sophie Levitt All Chapter Instant Download

Download as pdf or txt
Download as pdf or txt
You are on page 1of 34

Treatment of Cerebral Palsy and Motor

Delay 5th Sophie Levitt


Go to download the full and correct content document:
https://ebookgrade.com/product/treatment-of-cerebral-palsy-and-motor-delay-5th-sop
hie-levitt/
More products digital (pdf, epub, mobi) instant
download maybe you interests ...

Delay and Disruption in Construction Contracts 5th Edition

https://ebookgrade.com/product/delay-and-disruption-in-construction-
contracts-5th-edition/

ebookgrade.com

Motor Learning and Performance

https://ebookgrade.com/product/motor-learning-and-performance/

ebookgrade.com

From Learner to Earner by Sophie Milliken Sophie Milliken

https://ebookgrade.com/product/from-learner-to-earner-by-sophie-
milliken-sophie-milliken/

ebookgrade.com

Delay Analysis in Construction Contracts

https://ebookgrade.com/product/delay-analysis-in-construction-
contracts/

ebookgrade.com
Cerebral Ischemia Molecular and Cellular Pathophysiology

https://ebookgrade.com/product/cerebral-ischemia-molecular-and-
cellular-pathophysiology/

ebookgrade.com

Introduction to Time Delay Systems Analysis and Control

https://ebookgrade.com/product/introduction-to-time-delay-systems-
analysis-and-control/

ebookgrade.com

Freakonomics A Rogue Economist Steven D. Levitt; Stephen


J. Du Steven D. Levitt; Stephen J. Dubner

https://ebookgrade.com/product/freakonomics-a-rogue-economist-steven-
d-levitt-stephen-j-du-steven-d-levitt-stephen-j-dubner/

ebookgrade.com

Wastewater Engineering Treatment and Resource Recovery 5th


Edition

https://ebookgrade.com/product/wastewater-engineering-treatment-and-
resource-recovery-5th-edition/

ebookgrade.com
Another random document with
no related content on Scribd:
The Project Gutenberg eBook of Jeanne d'Arc
et l'Allemagne
This ebook is for the use of anyone anywhere in the United States
and most other parts of the world at no cost and with almost no
restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it
under the terms of the Project Gutenberg License included with this
ebook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the
United States, you will have to check the laws of the country where
you are located before using this eBook.

Title: Jeanne d'Arc et l'Allemagne

Author: Léon Bloy

Release date: March 29, 2024 [eBook #73282]

Language: French

Original publication: Paris: Georges Crès, 1915

Credits: Laurent Vogel (This file was produced from images


generously made available by The Internet
Archive/American Libraries.)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK JEANNE D'ARC ET


L'ALLEMAGNE ***
LÉON BLOY

JEANNE D’ARC
ET
L’ALLEMAGNE
Dieu premier servi !
Jeanne d’Arc.

PARIS
COLLECTION « LES PROSES »
GEORGES CRÈS ET Cie, ÉDITEURS
116, Boulevard Saint-Germain, 116

MCMXV
DU MÊME AUTEUR

Le Révélateur du Globe (Christophe Colomb et sa Béatification future). Préface


de J. Barbey d’Aurevilly. Épuisé.
Propos d’un Entrepreneur de démolitions. Épuisé.
Le Pal, pamphlet hebdomadaire (les 4 numéros parus). Épuisé.
Le Désespéré, roman.
Christophe Colomb devant les Taureaux, Épuisé.
La Chevalière de la Mort (Marie-Antoinette).
Le Salut par les Juifs (Crès, éd.).
Sueur de Sang (1870-1871), avec un portrait de l’auteur en 1887 (Crès, éd.).
Léon Bloy devant Les Cochons. Épuisé.
Histoires désobligeantes (Crès, éd.).
La Femme Pauvre, épisode contemporain.
Le Mendiant Ingrat (Journal de Léon Bloy).
Le Fils de Louis XVI, avec un portrait de Louis XVII, en héliogravure.
Je m’accuse… Pages irrespectueuses pour Émile Zola et quelques autres.
Curieux portrait de Léon Bloy. (Bibliothèque des lettres françaises.)
Exégèse des lieux communs.
Les Dernières Colonnes de l’Église (Coppée. — Le R. P. Judas. — Brunetière. —
Huysmans. — Bourget, etc.).
Mon Journal (Dix-sept mois en Danemark), suite du Mendiant Ingrat.
Quatre ans de Captivité à Cochons-sur-Marne, suite du Mendiant Ingrat et de
Mon journal. Deux portraits de l’auteur.
Belluaires et Porchers. Autre portrait (Stock, éd.).
L’Épopée Byzantine et G. Schlumberger. Épuisé.
La Résurrection de Villiers de l’Isle-Adam. Épuisé.
Pages Choisies (1884-1905). Encore un portrait.
Celle qui pleure (Notre-Dame de la Salette), avec gravure.
L’Invendable, suite du Mendiant Ingrat, de Mon Journal et de Quatre ans de
Captivité à Cochons-sur-Marne. Deux gravures.
Le Sang du Pauvre.
Le Vieux de la Montagne, suite du Mendiant Ingrat, de Mon journal, de Quatre
ans de Captivité à Cochons-sur-Marne, et de l’Invendable. Deux gravures.
Vie de Mélanie, Bergère de la Salette, écrite par elle-même. Introduction de
Léon Bloy. Portrait de Mélanie.
L’Ame de Napoléon.
Exégèse des Lieux communs (Nouvelle série).
Sur la Tombe de Huysmans (Laquerrière, éd.).
Le Pèlerin de l’Absolu, suite du Mendiant Ingrat, de Mon Journal, de Quatre
ans de Captivité à Cochons-sur-Marne, de l’Invendable et du Vieux de la
Montagne.

Les ouvrages sans désignation d’éditeur se trouvent à la librairie du Mercure de


France, rue de Condé, 26.
CE LIVRE A ÉTÉ TIRÉ A DEUX MILLE DEUX
CENTS EXEMPLAIRES, SOIT : 15 EXEMPLAIRES
JAPON IMPÉRIAL (DONT 5 HORS COMMERCE)
NUMÉROTÉS DE 1 A 10 ET DE 11 A 15 ; 37
EXEMPLAIRES VÉLIN DE RIVES (DONT 12 HORS
COMMERCE) NUMÉROTÉS DE 16 A 40 ET DE 41
A 52 ; 2.148 EXEMPLAIRES SUR VÉLIN TEINTÉ
(DONT 183 HORS COMMERCE) NUMÉROTÉS DE
53 A 2017 ET DE 2018 A 2200.

No

Copyright by Georges Crès et Cie, 1915.

Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés


pour tous pays.
A Thérèse Brou du Lys
arrière-petite-nièce de Jeanne d’Arc

Ce livre, ma chère enfant, a été écrit pour vous. Il


vous rappellera, chaque jour, que vous avez le devoir
de devenir une sainte et — si Dieu l’exige — une
martyre, à l’exemple de votre Parente merveilleuse
qui donna sa vie pour sauver la France.

Vous avez l’honneur et le privilège incomparables


de cette ascendance qui fait de vous beaucoup plus
qu’une princesse, en vous imposant l’obligation de la
plus haute vertu.

Dieu premier servi ! répondait Jeanne d’Arc à ses


accusateurs. Ces trois mots auraient pu être sa
devise. Faites-en la vôtre, ma chère Thérèse, et
soyez ainsi son héritière.

Léon Bloy.
Février 1915.
Introduction.

Jeanne d’Arc est née dans la nuit de l’Épiphanie, le 6 janvier


1412. On dit que, cette nuit-là, les coqs du pays chantèrent avec une
persistance inaccoutumée et que les habitants eurent la sensation
inexplicable d’une grande joie. D’autres merveilles ont été racontées,
mais ce chant des coqs, ce cantus gallorum paraît avoir un sens
prophétique d’une précision singulière.
Le coq de l’Évangile est, en même temps, l’annonciateur de la
Rédemption et du Reniement. Il est difficile de ne pas être saisi de
cette similitude mystérieuse, quand on pense à la vocation
infiniment unique de la Pucelle.
Cette jeune fille de dix-neuf ans sauve la France, la nation élue,
le peuple de Jésus-Christ. Elle sauve la France à elle toute seule, on
peut le dire. Aussitôt après, elle est reniée, condamnée, suppliciée
horriblement par les chefs spirituels et tremblant de peur de cette
nation délivrée.
Aujourd’hui, près de cinq siècles s’étant écoulés, on découvre
enfin qu’elle était une sainte et qu’il est expédient de la mettre sur
les autels. Mais le décret de canonisation est retardé faute de
miracles dans le cours de cette vie ou après cette vie la plus
grandiosement miraculeuse qu’on ait jamais vue. Messieurs les
Docteurs continuent et le supplice continue aussi, en une manière.
Moi, simple laïque, je demande où est son cœur. Après l’affreuse
combustion de la place du Vieux-Marché, la stupéfaction du
bourreau fut extrême en constatant que le cœur et les entrailles de
la martyre n’avaient pas été consumés. Il fallait cependant que le
corps entier fût réduit en cendres pour être jeté dans la Seine, en
accomplissement de l’ordre formel des chefs anglais qui ne voulaient
pas que ses reliques pussent être recueillies. Vainement le misérable
exécuteur essaya de détruire ces restes indiciblement précieux par le
moyen de l’huile, du soufre et des charbons incandescents. Il fallut y
renoncer et les précipiter dans le fleuve, du haut du pont de
Mathilde, pêle-mêle avec les cendres et les ossements calcinés, sous
les yeux attentifs des préposés du Cardinal d’Angleterre.
Ce cœur « encore plein de sang » et qui n’avait peut-être pas
cessé de palpiter, qu’est-il devenu ? Ce cœur, le plus noble et le plus
généreux qui fût au monde, où est-il ? Le feu n’avait pu le détruire.
Que pouvait contre lui l’eau de la Seine et même la durée des
siècles ? Jeanne qui a toujours dix-neuf ans à la droite de Jésus-
Christ, depuis cinq siècles qu’elle brûle dans le Paradis, nous dira
peut-être où il se trouve, quand il lui sera permis de parler. Mais
alors, quel reliquaire pour le contenir et quelle basilique pour
l’abriter !
L’étonnement donné par Jeanne d’Arc à tous ses contemporains
ne sera rien en comparaison de l’étonnement du monde chrétien qui
l’a si longtemps ignorée, quand le Surnaturel intégral de cette
prodigieuse destinée lui sera enfin révélé !

II
Sans doute je n’ai pas été honoré d’une telle mission, mais un
catholique français qui met la France au-dessus de tout et qui
donnerait sa vie pour elle très volontiers, a certainement le droit,
sinon le devoir, de regarder cette mère en face et de lui parler
amoureusement.
Après Israël qui fut, par privilège insigne, nommé le Peuple de
Dieu, il n’y en a pas un sur la terre qu’il ait autant aimé que la
France. L’expliquera qui pourra. Dire qu’elle est la plus belle ou la
plus généreuse des nations — ce qui, d’ailleurs, est incontestable —
ne sert de rien puisque cette chevance divine doit être précisément
l’apanage de la Préférée. Les prédilections de Dieu ne peuvent se
justifier que par son bon plaisir qui est parfaitement et adorablement
inscrutable.
« La France », ai-je dit ailleurs, « est tellement le premier des
peuples que tous les autres, quels qu’ils soient, doivent s’estimer
honorablement partagés quand ils sont admis à manger le pain de
ses chiens. » Il en est ainsi, voilà tout, et telle fut, au quinzième
siècle, l’unique raison d’être et d’apparaître de la Pucelle.
Jésus-Christ, unique monarque légitime et suzerain de tous les
monarques de boue et de cendre, ne pouvait avoir d’autre royaume
terrestre que celui de France. On ne l’imagine pas roi d’Espagne ou
d’Angleterre et le dernier étage de la démence ou du ridicule serait,
par exemple, de le supposer régnant sur la Prusse ou la Bulgarie. Le
monde est comme une vaste demeure où ne se trouverait qu’une
seule chambre royale et une seule couche voluptueuse pour le Roi
de France crucifié, les autres prétendus rois étant désignés pour
coucher par terre dans la poussière des antichambres ou l’ordure
des écuries. Il est vrai que, depuis longtemps, il paraît y avoir
renoncé, la puanteur des derniers Valois, des Bourbons surtout,
l’ayant dégoûté ; mais la Maison n’a pas cessé de lui appartenir et ce
n’est pas le feu qui lui manquera pour la purifier un jour. Le bûcher
de Rouen n’est pas éteint et quelques étincelles suffiraient pour tout
incendier. Au besoin, la crépitante sottise de nos catholiques le
rallumerait, et nous avons tout près d’ici un chapeau rouge qui s’y
emploierait volontiers.
A Rouen, il y eut, pour le monstrueux procès, un évêque infâme
parmi les infâmes et une foule de théologiens et de docteurs triés
avec soin parmi les lâches et les ambitieux, en vue d’obtenir, par
quelque moyen que ce fût, la condamnation de l’héroïne. La
haineuse Angleterre avait besoin ou croyait avoir besoin de cette
condamnation d’une prétendue sorcière pour invalider le sacre de
Charles VII. Elle avait surtout le désir féroce de se venger d’avoir été
vaincue par une enfant et, aussitôt après l’inique sentence, elle se
satisfit à la manière des démons, en infligeant à sa victime la forme
la plus horrible de l’épouvantable supplice du feu.
Le bûcher ordinaire des malheureux ou des malheureuses était
peu élevé au-dessus du sol. On se contentait de placer les fagots et
les bois autour du pieu auquel on avait attaché le patient. Souvent
même, sinon presque toujours, il y avait la miséricorde affreuse du
retentum, qui autorisait le bourreau à étrangler le condamné avant
les premières atteintes des flammes.
Les Anglais voulurent pour Jeanne cette innovation atroce d’un
massif de maçonnerie et de plâtre en haut duquel fut dressé le
poteau où le bourreau eut beaucoup de peine à l’attacher, sans qu’il
lui fût permis de la tuer, difficulté qui prolongea les préliminaires
souffrances de la martyre.
Frère Martin Ladvenu a fourni au procès de Réhabilitation les
détails les plus précis sur ce mode inusité de combustion et sur la
cruauté des Anglais, — celle qui avait vu « la grande pitié qui était au
royaume de France », n’en devant trouver aucune pour elle-même. Il
affirma avoir ouï dire au bourreau, le jour même du supplice, que la
Pucelle avait dû souffrir beaucoup plus que ne souffraient d’ordinaire
les autres condamnés, et cela « par la manière cruelle de la lier et
afficher ; car les Anglais firent faire un haut eschesfault de plastre et
il ne la pouvoit bonnement ne facilement expédier ne acteindre à
elle, de quoy il estoit fort marry et avoit grant compassion de la
forme et cruelle manière par laquelle on la faisoit mourir ».
III

Le supplice de Jeanne d’Arc continue, ai-je dit. Il continue par la


sottise et la dégoûtante sentimentalité de ses admirateurs
catholiques, absolument incapables de comprendre la mission réelle
de cette fille de Dieu. Sans doute ils blâment le bûcher, mais
l’horreur qu’ils en pourraient éprouver est mitigée fort heureusement
par l’imagerie bondieusarde qui les console. Il en est du bûcher de la
Pucelle comme de la Croix de velours où Jésus sans doute a dû peu
souffrir. Tout se passe dans l’extrême douceur et rien n’est plus facile
pour les dévotes confortables que de suivre en autos leur
Rédempteur couronné d’épines. On m’a montré une petite Jeanne
d’Arc en simili-bronze agenouillée dans son armure sur un prie-Dieu
capitonné emprunté à Sainte-Clotilde ou à Saint-Thomas d’Aquin.
L’art prétendu chrétien exige ces profanations et ces idioties.
L’extrémité de la Souffrance est devenue inconcevable autant que la
plénitude de la Foi, et le clergé mondain n’approuve pas l’excessive
configuration des Martyrs.
Que pourrait comprendre à Jeanne d’Arc cette populace de la
piété, mille fois inférieure à ces gens du pauvre peuple qui
sanglotaient en voyant mourir la Sainte de France ? Ceux-là
comprenaient au moins qu’une chose inouïe s’accomplissait, que
quelqu’un venu de Dieu expirait pour eux dans d’épouvantables
tourments et qu’il n’y avait pas moyen de s’en consoler.
Ah ! sans doute, en ces lointains jours, on ne savait pas
exactement ce que signifiait le mot de patrie qui, d’ailleurs, existait à
peine. Le régime féodal, déchu de sa primitive grandeur, avait
tellement émietté la terre et chaque pied d’arbre, pour ainsi dire,
était si continuellement revendiqué par des compétiteurs étrangers,
qu’il fallait quelque chose comme une révélation pour que la France
prît conscience d’elle-même. Jeanne d’Arc précisément avait apporté
de son Barrois et de sa Lorraine cette révélation qui allait changer la
face du monde. Sans pouvoir comprendre, les humbles gens,
toujours broyés sous les pieds des hommes de guerre, le sentaient
confusément. Puis, Jeanne était une vierge merveilleuse et Jésus,
vrai Roi de France, saignait devant elle en sa Croix.
Elle avait vu la misère excessive de Charles VII, le fils d’Isabeau,
qui devait si odieusement l’abandonner, et c’est à cause de lui, sans
doute, qu’elle avait parlé de « la grande pitié qui était au royaume de
France ».
Tout le monde sait qu’à aucune époque la France ne fut aussi
près de périr. Neuf années avant l’apparition de la Pucelle, le traité
de Troyes avait été ou paru être le coup sans rémission. L’odieuse
Allemande Isabeau, abusant de la démence de son époux, avait
déshérité et renié le dauphin Charles, son fils, au profit du pirate
anglais Henri V, devenu ainsi roi de France et d’Angleterre.
Cette honte extrême, il est vrai, n’avait pas été acceptée. Autour
de l’inerte héritier de Philippe-Auguste et de saint Louis, il y avait
encore quelques combattants redoutables tels que Saintrailles et
surtout La Hire, l’Ajax des batailles désespérées ; mais depuis le
désastre de Verneuil, on pouvait bien croire qu’il n’y avait plus de
bénédiction. Charles VII sans armée, sans argent et sans courage,
doutant même, en fils de prostituée, de son extraction royale,
pensait déjà à se retirer en Espagne ou en Écosse pour y vivre en
prince dépossédé…
Les choses de ce monde étant ordonnées infailliblement, il est
impossible et déraisonnable de conjecturer en histoire. Imaginer ce
qui aurait pu advenir sans la Pucelle est aussi parfaitement vain que
de supposer une bataille de Waterloo qui n’aurait pas été perdue. Il
n’y a pas, dans toute l’histoire, une prédestination aussi évidente,
aussi manifeste que celle de Jeanne d’Arc et, par là, se trouve
indiscutablement corroborée la miraculeuse vocation de la France.
Il s’agissait alors du royaume, du royaume seulement, et c’était à
peu près une instauration. Les prédécesseurs plus ou moins grands
de Charles VII, sans excepter saint Louis, avaient été rois de France,
mais non pas de « toute France », comme l’entendait Jeanne, et il fut
donné à cet avorton de commencer. A partir de lui, l’arbre
magnifique ne cessa de grandir jusqu à ce que fût réalisée l’unité
parfaite de la Nation incomparable. Ce résultat obtenu, la royauté
dynastique et fictive qui en avait été le moyen, devait naturellement
finir tel qu’un vieux rouvre épuisé de sève, éventré par le tonnerre,
mutilé par les ouragans, rongé par les bêtes et ne donnant plus que
des rejetons sans vigueur.

IV

La France intégrale, homogène, la France géographique, telle


qu’on la voit depuis trois cents ans, était nécessaire à Dieu, parce
que, sans elle, il n’eût pas été et ne serait pas complètement Dieu.
Quels que soient ses infidélités ou ses crimes, quelque affreuse que
doive être l’expiation, il ne permettra pas qu’elle succombe, ayant
besoin d’elle pour sa propre Gloire, et les luthériens fétides qui la
mutilèrent, il y a près d’un demi-siècle, seront flagellés avec une
rigueur inimaginable.
Le plus sale peuple de la terre a osé porter la main sur la patrie
même de Jeanne d’Arc, sur la Lorraine, et c’est une des preuves les
plus accablantes de la patience divine qu’il n’ait pas encore été
châtié pour cet attentat. La belle vierge de Domremy avait, sans
doute, le pressentiment de ces choses et de beaucoup d’autres, car
une Mission aussi extraordinaire que la sienne ne paraît pas
séparable de la divination prophétique.
On lit dans l’étonnante vie du Curé d’Ars qu’à l’époque de sa
petite enfance, le saint mendiant Benoît Labre reçut l’hospitalité
dans la maison de son père et qu’il laissa en partant une bénédiction
merveilleuse. On peut croire que quelque chose de semblable dut se
passer à Chinon entre Jeanne d’Arc et Louis XI qui n’est
certainement pas devenu un saint, mais qui devait être, par décret
divin, le bâtisseur de la France monarchique.
Il avait alors six ans et Jeanne d’Arc dut regarder cet enfant avec
une attention très particulière. Elle dut le fixer de ces mêmes yeux
qui avaient contemplé saint Michel et les saintes Auxiliatrices. Un
pan de la nappe du bleu de France qui enveloppait divinement la
prédestinée tomba sans doute sur cette petite créature innocente
encore et sommeillant dans les rideaux de la foudre…
Ce que fut exactement le successeur de Charles VII, il n’est pas
facile de le dire, même aujourd’hui. C’est d’autant moins facile qu’on
ne comprend plus du tout ce qu’était, il y a cinq siècles, la
monarchie de droit divin et la force mystérieuse de ce préjugé
sublime. Les ennemis de Louis XI, les domestiques des grands
abattus par lui, ont voulu passionnément qu’il fût un parricide, un
fratricide, un tyran perfide et cruel, un hypocrite, un bourreau. Les
historiens modernes l’ont voulu aussi et la légende est puissamment
accréditée.
Mais il fut donné à ce grand homme de parachever l’œuvre de
Jeanne qui n’était pas seulement de mettre les Anglais « hors de
toute France », mais de réaliser vraiment le Royaume de Jésus-
Christ, la Lieutenance, ainsi qu’elle disait, une France une et
compacte, des Pyrénées aux Flandres et de l’Océan aux Alpes et au
Rhin.
La divine histoire de ce royaume est comme un Bréviaire dont les
Matines ont trois nocturnes : les Mérovingiens, temps des ruches
épiscopales et de la christianisation du monde barbare ; les
Carolingiens, temps des cellules rigoureuses de la Féodalité pour la
formation de cette chevalerie de fer qui fit les Croisades ; les
Capétiens devant aboutir, après quatre cents ans de péché,
d’héroïsme intermittent et de douleurs infinies, au Miserere
formidable de Louis XI que Jeanne d’Arc désigne pour chanter à sa
manière les Laudes de la Monarchie, en amalgamant pour toujours
les races et les provinces empilées sous son terrible pressoir. Enfin,
quatre nouveaux siècles s’étant écoulés encore, c’est l’immense
Cantique des Enfants de France dans la fournaise de Napoléon. On
en est aujourd’hui aux petites Heures, en attendant les Vêpres qui
seront ce que Dieu voudra… le Grand Soir peut-être.
Au résumé : De Clovis à Charlemagne, le chaos barbare au seuil
de l’étable où naissait l’Église du Fils de Dieu, et rien ; de
Charlemagne à Hugues Capet, la charpente féodale au chant lugubre
des litanies de la même Église invoquant le Christ et tous ses saints
contre la fureur des païens normands déchaînés, et rien de plus ; de
Hugues Capet à Louis XI, les famines enragées, la conquête de
l’Angleterre, les Croisades, l’Interdit de Philippe-Auguste, la prière de
saint Louis, l’énorme grandeur du Treizième Siècle, la peste noire, la
guerre de Cent ans et la Pucelle pour en finir ; de Louis XI à
Napoléon, l’ignominie des derniers Valois, la puanteur inexprimable
des Bourbons, et la Guillotine. Mais la place de Jeanne d’Arc est
inouïe.

Sans elle, tout est impossible, avant comme après, puisque tout
porte sur elle. C’est la clef de voûte.
« Une femme a perdu le royaume, une fille le sauvera », disait-
elle, avant de quitter son village. La femme, évidemment, c’était
Isabeau, la chienne du traité de Troyes, et la fille, c’était elle-même.
Mais infiniment au delà des mots et de leur application immédiate, il
y a leur sens intérieur et prophétique. « Ce qu’Ève a perdu, Marie le
sauve. » L’époque était encore au mysticisme et c’est quelque chose
de semblable que les contemporains durent entendre. Les paroles de
la petite visionnaire de Domremy dépassaient assurément sa propre
pensée. La « femme », sans doute, pouvait être supposée
vulgairement la France des deux ou trois siècles horribles qui avaient
précédé, et la France à venir pouvait aussi être annoncée et
préfigurée par la Vierge de Domremy. Ah ! il y avait bien autre
chose !
Au sens mystique le plus profond, la vraie femme, l’unique
femme est nécessairement la Vierge, et la Virginité parfaite est le
tabernacle du Saint-Esprit. Le royaume abominablement profané du
Fils de Dieu ne pouvait, au quinzième siècle, être sauvé que par une
vierge. Pour parler exactement, pour tout dire, il était nécessaire
qu’une vierge l’enfantât, car ce royaume n’existait encore que dans
la Pensée divine.
La Vocation de la Pucelle apparaît alors comme le prodige des
siècles, le plus haut miracle depuis l’Incarnation. Cela, en raison de
la prééminence infinie du nouveau peuple de la promission
chrétienne.
La première femme venue est déjà tout un mystère, puisqu’on ne
trouve pas mieux que le Paradis terrestre pour la symboliser. Elle
centralise tellement toutes les convoitises et concupiscences
humaines ! Mais la Vierge est l’objet de la concupiscence divine et
l’Esprit-Saint qui est l’Amour même n’y résiste pas. Elle peut donc
engendrer par Lui et c’est toute l’histoire de la mystérieuse Jeanne
d’Arc donnant à Dieu un royaume qui n’existait pas visiblement avant
elle et qui, sans elle, n’aurait pas pu naître.
Dès le commencement tout est promis à la Femme et c’est par la
Femme que tout doit être accompli. Entre elle et le Saint-Esprit il y a
une telle affinité qu’on peut humainement les confondre et qu’il est
difficile de ne pas imaginer, avec certains Mystiques, le Troisième
Règne, c’est-à-dire le triomphe du Paraclet, procuré par Celle dont il
est dit qu’elle « rira au Dernier Jour ».
Il est dangereux et à peine licite à des chrétiens de s’arrêter à
une telle pensée qui appartient au domaine que Dieu s’est réservé et
dont il ne confie la clef à personne. Cependant, lorsqu’on est à
genoux et tout en larmes, lorsqu’on est pantelant de désir et que le
cœur brûlant ne sait plus où aller, comment ne pas voir ou ne pas
entendre l’Immaculée qui pleure là-bas, sur cette montagne du
Dauphiné, et qui parle à son peuple comme le Père céleste seul
pourrait parler ? Comment ne pas sentir, en un tel moment,
l’énormité du Mystère et la présomption sublime de quelque
péripétie surnaturelle au delà de l’entendement humain, où la
Femme par excellence, le Vase insigne, se manifesterait enfin dans
une gloire inimaginable, pour tout accomplir ?
VI

Jeanne d’Arc est la préfiguration très sensible de cette victorieuse


des hommes et des démons, et il n’y en a pas d’aussi précise dans
aucune histoire. Ses contemporains le devinèrent confusément. Bien
souvent il lui fallut toute sa candeur de bergère du Paradis et toute
la force de son invincible foi pour résister à l’enthousiasme inouï des
simples âmes qui voyaient en elle une émanation de la Divinité.
Pleine de l’Esprit-Saint, comme sa vie et surtout sa mort l’ont
démontré, absolument seule au milieu des foules, elle était
apparentée au Feu, symbole visible et redoutable de l’Amour, en la
même sorte que, plus tard, Napoléon fut affilié au Tonnerre, et c’est
une fête pour la pensée d’oublier, un instant, les siècles
intermédiaires, en rapprochant l’une de l’autre ces deux destinées
incomparables : Jeanne créant le royaume très particulier de Jésus-
Christ, et Napoléon dilatant prodigieusement ce royaume pour y
instaurer l’image grandiose du futur Empire de l’Esprit-Saint !
Mais qui peut avoir une telle vision ? L’Histoire ainsi regardée
ressemble à un gouffre, immense comme tous les espaces, où des
tourbillons de ténèbres alternent continuellement avec les tourbillons
de la Lumière pour l’éblouissement du spectateur épouvanté.
Quelque impavide qu’on puisse être, on envie, en de tels
moments, la simplicité des tout petits à qui Jésus déclare que ces
choses, si profondément cachées aux sages et aux prudents, seront
révélées un jour par son Père qui est dans les cieux.

26 juillet 1914.
Méditation préliminaire.

5 novembre. — Après trois mois, Je peux enfin reprendre ce livre


brutalement interrompu par la guerre allemande, guerre injuste et
cruelle, s’il en fut jamais, guerre de races, comme au quinzième
siècle, mais avec une exorbitance apocalyptique.
Au temps de Jeanne d’Arc, les plus fortes armées, anglaises ou
françaises, ne dépassaient guère vingt mille combattants et le sort
d’un empire se décidait en quelques heures. Aujourd’hui, des
millions de soldats sont affrontés sur des étendues immenses, les
batailles durent des semaines et les fleuves, comblés de cadavres,
débordent. La population de vingt grandes villes, déjà, n’égalerait
pas le total des morts depuis trois mois. La guerre des Mercenaires,
il y a plus de deux mille ans, fut appelée inexpiable. Quel nom
faudra-t-il donner à celle-ci ? Il ne s’agit même plus de conquêtes,
c’est l’extermination qui est commandée, la totale et irréparable
extermination des hommes et des choses.
Dès le premier jour, il fallut que la France n’existât plus ou que
l’Empire allemand fût anéanti. Nul accommodement possible. Les
haines ont trop dépassé toute mesure et l’Europe, craignant de voir
tarir toutes ses sources, intervient avec fureur. La monstrueuse
expansion germanique est combattue à la fois par la France, la
Russie, l’Angleterre. Douze ou quinze millions d’images du Dieu
vivant se détruisant dans le crépuscule de toute civilisation, du
ponant à l’extrême orient ! Vision de Patmos ! Un ange même
pourrait-il dire la fin de ces choses ?
La Lorraine de Jeanne d’Arc était, depuis 1870, sous les pieds des
brutes, profanation intolérable à Dieu et aux hommes. Où est-elle
maintenant, la sainte fille ? Qu’est-elle devenue après 483 ans ? Elle
mourait alors cruellement pour avoir délivré la France des Anglais.
Entendrait-elle aujourd’hui des Voix pour débarrasser des Allemands
notre République sans Dieu ? Et quelles Voix ? La Vierge des vierges,
Elle-même, n’a pu obtenir qu’on l’écoutât ! Elle pleurait, pourtant, la
Douloureuse, et son peuple à Elle, c’était tous les peuples signifiés
par la seule France. Jeanne d’Arc avait peut-être entrevu cela dans le
demi-jour prophétique, sans aucune autre aperception immédiate
que le pauvre royaume de son temps et la « grande pitié qui était en
ce royaume ». C’était tout pour elle et il n’a pas fallu davantage, au
quinzième siècle, pour que s’accomplît le plus étonnant miracle de
l’Histoire.
Il est indispensable de se rappeler que ce vieux siècle était
chrétien, non plus, il est vrai, des Catacombes ni des Arènes, mais
de la misère noire et de la tristesse infinie. De l’enthousiasme
religieux qui avait fait les Croisades, il lui restait encore cependant
assez de foi pour considérer les Plaies du Christ et, par là, il était
capable de porter le vin de l’Espérance qui fait germer les vierges
fécondes.
Maintenant que reste-t-il, sinon comme parle Isaïe, « deux ou
trois olives à l’extrémité d’un rameau, tout au plus quatre ou cinq à
la plus haute cime de l’arbre, quand il a été fortement secoué » ?
Avec cela, l’alliance avec la protestante Angleterre qui fit brûler
Jeanne d’Arc avant d’assassiner Napoléon et l’alliance avec la
schismatique Russie que la visionnaire de Dulmen voyait, il y a cent
ans, comme une contrée immense enveloppée de ténèbres
impénétrables !
L’orgueilleuse et féroce Allemagne est visiblement condamnée,
mais les convulsions de ce monstre et les cataractes de sang !…
Comment espérer une arche sur un tel déluge ? Et où sont les élus
de Dieu pour y être préservés ? Sans doute la France a des
promesses, étant l’unique d’entre les nations à qui tout puisse être
pardonné ; mais elle a des comptes à rendre aussi hauts que les
colonnes du firmament, et c’est effrayant de penser à ce qu’il lui
faudra souffrir ! Les carnages et les agonies de l’heure présente sont-
ils autre chose qu’une école d’entraînement pour les martyrs futurs,
c’est-à-dire pour les chrétiens capables encore de sentir la
prédestination de leur baptême ? Aucune autre explication d’un si
prodigieux déchaînement n’est acceptable.
La destruction de la cathédrale et de la ville de Reims
bombardées par la surdité criminelle de son archevêque, membre du
Sacré Collège, contempteur et persécuteur de la Mère de Dieu qui
avait pleuré contre lui sur la montagne de la Salette ; cette
abominable immolation de la capitale de Jeanne d’Arc, le 68e jour
anniversaire de la célèbre Apparition, à la même heure où s’était
accompli le Miracle et dans les mêmes circonstances liturgiques, ne
serait-elle pas le signe d’une Colère que rien n’est plus capable
d’endiguer ?
Il y avait là une modeste et fragile statue de l’Héroïne, autour de
laquelle l’ouragan des obus a tout détruit, sans pouvoir l’atteindre —
jusqu’à cet instant — comme si la Pucelle de France avait encore
quelque chose à faire ! Demain, peut-être, apprendrons-nous qu’elle
a été pulvérisée à son tour par la désobéissance implacable de ce
pontife. Religio depopulata.
I
Le Lieutenant de Jésus-Christ.

L’an de grâce 1422, le 21 octobre, jour des Onze mille Vierges,


jour périlleux, selon les idées du Moyen Age, trépassait à Paris, en
son hôtel de Saint-Paul, Sa Majesté très-chrétienne et très déchue,
le roi Charles VI. Deux ans plus tôt, ce monarque détraqué, oubliant
qu’il avait un fils apte à lui succéder, avait abdiqué de fait au profit
du roi d’Angleterre en le constituant son héritier, extravagance inouïe
voulue par l’Allemande infâme qui partageait avec lui la royauté,
depuis trente-cinq ans, et lui avait donné douze enfants de
provenance incertaine.
Le successeur intrus, décédé quelques semaines auparavant, lui
avait sans doute fait un signe du fond de sa tombe, car il dut y avoir
une connexité mystérieuse entre ces deux potentats du songe et du
mensonge promis aux mêmes vers et appelés au même jugement.
L’Allemande, réservée au tribunal des prostituées infanticides, devait
traîner quatorze ans encore sa vieillesse ignominieuse.
La débauche princière assaisonnée de quelques massacres en
Flandre et ailleurs, puis trente-trois années de démence, tel avait été
le triste règne de Charles VI. Ce roi de France, jadis magnifique,
rendit l’âme dans un palais presque désert. Le chancelier de France,
le premier chambellan du roi, son confesseur, son aumônier, puis
quelques rares subalternes : tels furent les témoins de ses derniers
moments. On déploya pour ses funérailles la même pompe
matérielle que pour Henri d’Angleterre. Mais aucun prince du sang
ne parut à ces fastueuses cérémonies. Le 10 novembre suivant, le
corps embaumé fut d’abord porté à Notre-Dame, puis à Saint-Denis.
Immédiatement après le char, dans le trajet de Saint-Paul à la
cathédrale, marchait seul, à pied, Jean, duc de Bedfort. Venaient
ensuite les autorités et une multitude de peuple.
Dans son ignorante et surnaturelle affection, le peuple fut plus
fidèle à ce roi que les princes. Paris, dès le quatorzième siècle, était
déjà ce qu’il a toujours été depuis : une métropole d’opposition et la
capitale française de la raillerie. Vainement, sous ses yeux, Charles
VI le fou devint le jouet des partis, le butin du vainqueur. Vainement,
durant son règne et à l’ombre de son trône, tous les désordres, tous
les fléaux, toutes les misères, y compris la honte du joug étranger,
vinrent-ils s’appesantir sur la ville et sur le royaume. Jamais le
pauvre roi ne rencontra l’ironie ou l’insulte. La plus humiliante et la
plus dérisoire des infirmités n’altéra pas un seul jour, en sa personne
vénérée, le culte de la monarchie.
Le jour de sa mort, on ne vit point, au chevet de l’époux
expirant, Isabeau de Bavière, reine de France. Au jour des
funérailles, Philippe le Bon, duc de Bourgogne, était absent. Pas un
fils, pas un parent. Mais la multitude des petites gens — que ce roi
avait écrasées — inondait la capitale. « Et tout le peuple qui estoit en
my les rues et aux fenestres, pleuroit et crioit, comme si chacun vît
mourir la chose que plus aimât. » Ce jour-là, semble-t-il, il dut y
avoir quelque étonnement dans la nature.
Pourtant ces larmes d’un peuple malheureux, ce n’était pas la
première fois qu’il les répandait en accompagnant au sépulcre un de
ses maîtres impitoyables. La pauvre multitude croyait peut-être
pleurer le défunt. En réalité, ces humbles croyants pleuraient de voir
disparaître une des Épines de la Couronne douloureuse de Jésus-
Christ, devinant ou pressentant confusément en leurs cœurs que le
nombre en était compté et qu’à la fin le Fils de Dieu n’aurait plus de
couronne sur la terre.
Seul, de tous les rois, celui de France pouvait être nommé son
Lieutenant. Quelque indigne qu’il fût ou parût être, il était
l’intérimaire indiscutable du Christ, étant assis sur son trône pour
chasser les diables. Il semblait guérir les aveugles, les muets, les
sourds, les lépreux, les paralytiques et ressusciter les défunts,
certaines images des anciens vitraux ayant paru l’attester,
quelquefois, dans de très obscures chapelles. On ne doutait pas qu’il
eût le pouvoir de marcher sur les eaux, s’il l’avait voulu, l’ayant vu
souvent, sur son cheval de guerre, cheminer dans le sang des morts.
En tout cas, il multipliait admirablement le pain de douleur et, quand
il donnait un ordre terrible, on croyait entendre une parabole de
l’Évangile.
Lieutenant de Jésus-Christ ! comme l’entendait Jeanne, précisant
ainsi le sentiment universel en ce déclin du Moyen Age. Quelqu’un
s’est-il avisé d’expliquer par la Loi Salique cette magnifique
Lieutenance, apanage exclusif et inaliénable de nos rois ? Jésus étant
le vrai Capitaine, il ne se pouvait pas qu’une femme le remplaçât
dans ce magistère tout divin dont le plus saint et le plus victorieux
chevalier n’eût pas été digne. Les âmes simples et fidèles
comprenaient cela et ne voyaient presque plus un mortel dans le roi
de France le moins estimable.
Toutes ces choses sont loin. C’était alors l’adolescence. A défaut
de joies terrestres, il y avait les délices de l’intimité avec Dieu que ne
connaissent plus les peuples modernes qui ont greffé sur l’arbre de
la Science le sauvageon de la Mort. Mais le souvenir de ce printemps
n’est pas complètement effacé, et quand un poète l’exprime, les
larmes de l’ancien amour jaillissent encore de quelques cœurs
solitaires…
Henri V mort et son fils ayant à peine dix mois, le duc Jean de
Bedfort était régent de France. Ce prince anglais inique, impur et
brutal, autant qu’un Prussien du vingtième siècle, avait été désigné
par la Providence infaillible pour être l’adversaire toujours
malheureux de Jeanne d’Arc dont il ne put se débarrasser qu’en
l’assassinant. Mais avant l’apparition miraculeuse de cette
missionnée de Dieu, il n’avait devant lui que le lamentable fruit de
Charles VI et de son Allemande. Et encore c’était une question de
savoir si le défunt roi l’avait engendré lui-même. Il fallut une
révélation de la Sainte pour dissiper cette incertitude.
Quelle situation pour cet héritier du trône de France que ses
ennemis nommaient dérisoirement, mais avec exactitude, le roi de
Bourges ! Pas de soldats, pas d’argent, moins encore de caractère,
« de petit courage », dit Chastelain, « et toujours en crainte de mort
violente », ne montrant de vivacité que pour le plaisir et une sorte
d’hébétement en face des affaires et des périls. Les Anglais étaient
maîtres de la Normandie et d’une grande partie de la France
occidentale, le duc de Bourgogne régnant sur les Flandres et le plus
traître des seigneurs, Georges de la Trémouille régnant sur sa
volonté. L’insuccès de Cravant et surtout le désastre de Verneuil
l’accablèrent. Vainement, n’étant encore que dauphin, il avait
approuvé, sinon commandé, l’assassinat de Jean sans Peur, assassin
lui-même, usurpateur violent du pouvoir et fauteur de la guerre
civile ; qui n’avait pas craint, en 1416, de traiter à Calais avec Henri
V, vainqueur d’Azincourt, déchaînant ainsi sur le royaume la honte et
le fléau de l’invasion. Cette exécution d’un scélérat audacieux, à
laquelle manqua seulement la forme judiciaire, avait achevé de
compromettre le jeune prince, en délivrant le roi d’Angleterre de son
plus formidable compétiteur, et donné lieu à l’exécrable traité de
Troyes qui faisait la France anglaise.
Cent ans plus tard, en 1521, François Ier, passant par Dijon,
visita la Chartreuse, antique cimetière de la maison ducale de
Bourgogne. Ce roi de France, descendant de Louis, duc d’Orléans,
frère de Charles VI, assassiné en 1407, voulut contempler à nu la
dépouille mortelle de Jean sans Peur, l’assassin de son aïeul, qui,
depuis la boucherie du pont de Montereau, y avait été transportée. A
l’aspect de l’effrayante crevasse qui entaillait le crâne du duc Jean,
François Ier, expert en coups d’estoc et de taille, se récria sur
l’énormité de la blessure. « Sire, lui dit le chartreux qui
l’accompagnait, c’est par ce trou que les Anglais sont entrés en
France. »
S’il peut y avoir une excuse à la débilité d’âme de Charles VII qui
fut nommé le Victorieux, parce que d’autres — et quels autres ! — lui
avaient reconquis son royaume ; cette excuse cardinale,
hyperbolique, à la stagnation la plus révoltante et à l’ingratitude la
plus noire, il faut la chercher d’abord dans son origine d’enfant de
fou et de prostituée, puis dans le tourbillon sanglant des
incohérences monstrueuses qui l’environnèrent dès le berceau.
Né le 21 février 1403, en l’hôtel royal de Saint-Paul, le prince
enfant eut tout de suite son appartement ou quartier d’habitation
très près de là, en l’hôtel du Petit-Musc — ou Pute-y-muce — dont le
nom seul est suffisamment évocateur. Le petit comte de Ponthieu, —
tel fut son titre jusqu’au jour où la mort de ses aînés le fit Dauphin
— vécut donc ses premières années enveloppé d’une atmosphère
d’orgies élégantes dont il garda le souvenir et pratiqua les leçons
dans son ignoble vieillesse. Mais d’autres images furent offertes à
son enfance.
Assurément il ne vit pas l’égorgement ou, pour mieux dire, la
charcuterie de son oncle d’Orléans, haché vif par l’ordre de Jean
sans Peur, mais il dut entendre la clameur énorme qui s’ensuivit et
l’affreux orage de la guerre civile qui en fut la conséquence.
Assistant ou spectateur intéressé de l’épouvantable rivalité des
Armagnacs et des Bourguignons, il vit, de loin ou de près,
l’abomination des Cabochiens précurseurs des horribles tueurs de
septembre 92, et l’abomination plus grande de l’invasion de son
héritage par les Anglais qui arrivaient comme des corbeaux, ivres
encore de l’énorme carnage d’Azincourt.
Devenu grand et pour inaugurer son adolescence, il fait
assassiner à Montereau le duc de Bourgogne, en représailles peut-
être du récent massacre des Armagnacs, mais certainement pour en
finir avec les palinodies de ce mauvais homme qui pouvait, d’un
moment à l’autre, livrer la France aux étrangers. Alors il se trouva en
présence d’Henri V, de Bedfort et de son effrayante mère. Vision
panique !
Soutenu quand même par l’audace militaire de quelques
impavides tels que Dunois le grand Bâtard, Richemont, d’Alençon,
Poton de Saintrailles et le fabuleux Étienne de Vignolles surnommé
La Hire, tant il était redoutable, il se traîna misérablement jusqu’à
l’arrivée de Jeanne d’Arc, laquelle se vit forcée de le traîner à son
tour, comme un cadavre, jusqu’à la dernière marche du trône de
France où elle le contraignit de monter. Rien de pareil ne s’était vu ni
ne se reverra, très probablement. Il était trop avorton pour cette
grande fille du peuple et l’héroïque Moyen Age finissait trop en sa
personne.
Lorsqu’il fallut faire marcher ce roi stagnant à qui rien n’était
demandé que le sacrifice momentané de ses divertissements
imbéciles, sans qu’il eût à faire un geste de combattant, ce fut pour
Jeanne le commencement du martyre. Même après la levée
miraculeuse du siège d’Orléans, après Patay, après Troyes, après le
prodigieux fait de son sacre, alors qu’il n’avait plus qu’à étendre la
main pour prendre Paris et devenir le maître en France, il affecte
encore d’être incertain, prend conseil de deux ou trois scélérats qu’il
méprise et retourne à son bourbier.
Lorsque Jeanne, hideusement trahie, est enfin captive de ceux
que son nom seul faisait trembler, Charles VII qui aurait pu la
délivrer, en usant un peu de l’ascendant énorme qu’il devait aux
exploits de la merveilleuse enfant ; ce roi fabriqué par elle avec de la
boue, qu’un atome de chevalerie aurait dû précipiter pour elle aux
tentatives les plus audacieuses, ne fit pas un pas et continua de
croupir sous son La Trémouille jusqu’au jour tardif où il lui fallut
consentir à l’immolation de ce suborneur de vomissement et
d’opprobre.
Georges Chastelain, le pompeux historiographe des ducs de
Bourgogne, ennemi, d’ailleurs, de Jeanne d’Arc et de la France, a
fait, en trois mots, le portrait de Charles VII. « Il avait », dit-il, « trois
défauts : muableté (inconstance), diffidence (méfiance) et envie ».
Peu importe qu’il lui prête en compensation certaines qualités. Cela
suffit pour le déshonneur d’un prince. Imaginez seulement ces trois
vices chez un laboureur ou un cordonnier et vous aurez la donnée
d’un méchant homme. S’il vous plaît d’ajouter à cela un orgueil
immense, le goujat deviendra soudain Guillaume II. Dispositions

You might also like