Canada's Population in A Global Context An Introduction To Social Demography 2nd All Chapter Instant Download

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Canada's Population in a Global

Context An Introduction to Social


Demography 2nd
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La femme de chambre apparut au seuil du cabinet de toilette.
C’était une grande pièce claire. Peu de meubles, très simples.
Une longue table-coiffeuse, placée entre deux fenêtres espacées
qui donnaient sur le jardin, montrait son étalage d’instruments
délicats aux manches de vermeil.
La glace inclinée, placée au-dessus, la reflétait. L’encadrement de
cette glace était une guirlande de fleurs de porcelaine, dont les
calices contenaient des ampoules électriques.
Cette pièce était le lieu de prédilection de la jeune fille. C’était là
qu’elle écrivait ou lisait — rarement — quelqu’un des livres à la
charmante reliure verte et or qui garnissaient les tablettes d’une
bibliothèque tournante.
C’était là surtout qu’elle rêvait, et depuis la guerre ressassait ses
ennuis.
Marie jeta un coup d’œil sur le ciel pommelé où des nuages
légers obscurcissaient par moments le soleil.
— C’est un temps entre les deux, mademoiselle. C’est du soleil
qui va chercher la pluie. Faut-il préparer l’habit de cheval ?
— Non, je ne monterai pas ce matin. Donnez-moi une robe
d’intérieur et, pour cet après-midi, mon tailleur bleu à boutons
d’acier.
— Mademoiselle doit se souvenir qu’elle a commandé de rectifier
à la maison son dernier peignoir de lingerie, avec des valenciennes.
— Oui. Eh bien ?
— Je voulais dire à mademoiselle que c’est un ouvrage bien
délicat pour moi. J’ai pensé que si mademoiselle permettait, je
pourrais le donner à faire à la lingère.
— Quelle lingère ?
— Une petite ouvrière qui travaille à la maison depuis l’année
dernière. Mademoiselle n’a pas dû la voir ; elle vient deux fois par
semaine aider aux raccommodages et elle est adroite comme une
fée.
— Eh bien ! donnez-le-lui. Que ce soit vous ou une autre, cela
m’est indifférent. Arrangez-vous.
— Il faudra sans doute essayer. Si mademoiselle permettait que
cette fille travaille dans le cabinet de toilette, cela éviterait de
transporter le peignoir de la lingerie ici. Ces dentelles blanches, c’est
si délicat !
La jeune fille réfléchit une seconde.
— Eh bien ! oui. Quand j’aurai fini ma toilette, dites-lui qu’elle
pourra descendre dans mon cabinet.
— Oh ! elle ne gênera pas beaucoup mademoiselle. C’est une fille
si tranquille, si réservée, elle ne fait pas plus de bruit qu’une souris,
et pour l’honnêteté, mademoiselle peut être tranquille.
— Cela suffit, dit Diane que ce bavardage ennuyait, le bain est-il
prêt ?
Trois quarts d’heure plus tard, Mlle de Trivières s’asseyait devant
le petit bureau de sa chambre.
Elle devait répondre à une invitation et renouveler un
abonnement.
Tout à coup, le souvenir lui revint d’une promesse qu’elle avait
faite à sa mère.
C’était la veille au soir, dans l’auto qui les ramenait de leur soirée
de bridge. Mme de Trivières avait dit :
— Diane, j’ai fait ce soir une promesse ; je me suis engagée pour
toi.
— A quoi donc, maman, envers qui ?
— Envers ton tuteur. Le pauvre homme va être débordé
d’occupations, il n’aura pas un instant à lui pour sa correspondance
particulière. J’ai promis que tu lui servirais de secrétaire.
— Cela me paraît bien compliqué, avait répondu Diane.
— Pas du tout, avait repris la marquise. Je t’aiderai. Moi, je me
charge des lettres d’affaires ennuyeuses, toi, tu écriras à son neveu
Hubert qui est orphelin ; le malheureux n’a pas de famille proche,
sauf ton tuteur, et si son oncle cesse de lui écrire, tu vois qu’il sera
tout à fait abandonné. C’est vraiment une charité de s’en occuper. Et
nous soulagerons cet excellent bon ami qui a tant fait pour nous ! Tu
dois te souvenir de lui ? Il jouait avec vous quand vous étiez enfants,
Hubert de Louvigny…
— Je déteste écrire, vous le savez, maman… et à quelqu’un que
je connais si peu…
— Bah ! en ce temps-ci, on supprime les cérémonies ! Et puis,
avait ajouté l’artificieuse marquise, si tu préfères les lettres
d’affaires, je te les cède volontiers, avec documents à l’appui !
— Ah ! non, merci ! avait répondu Diane, gardons chacune notre
lot. J’aime encore mieux le pauvre orphelin sans famille… J’écrirai.
— C’est bien entendu. J’informerai ton tuteur qu’il peut compter
sur toi ?
— Oui, maman… Mais, grand Dieu ! quelle idée a eue bon ami de
m’infliger cette corvée !
Elle se répétait à ce moment même, devant une feuille de papier
blanc :
« Quelle corvée ! »
Et voici qu’au moment d’écrire, un souvenir la fit arrêter net, la
plume en l’air.
C’était, la veille, son entrée au salon, sa mère et son tuteur
chuchotant à voix basse, la regardant d’un certain air, échangeant
ensuite un regard d’intelligence.
Diane avait surpris tout cela : ce n’avait été qu’une impression,
mais elle la reliait dans son esprit avec le ton dégagé qu’avait eu la
marquise en lui parlant du neveu du général. Elle flairait un mystère.
« Pourquoi, réfléchit-elle, bon ami ne m’a-t-il pas demandé lui-même
d’écrire à son neveu ?… Il ne se gêne pas avec moi… et ma mère
m’avertit de cela comme d’une chose convenue à l’avance… Ce n’est
pas naturel !… Encore un prétendant ! Ce sera le numéro dix-neuf…
Cette histoire de correspondance n’est qu’une invention de mon
tuteur pour nous faire refaire connaissance… Bah ! A quoi cela
m’engage-t-il ? Je lui prédis autant de succès qu’aux dix-huit autres.
Lui aussi, sans doute, connaît le chiffre de ma dot !
Mlle de Trivières eut un sourire désabusé bien étrange sur une
bouche de vingt ans.
Cette triste certitude de ne jamais être recherchée pour elle-
même la rendait d’avance insensible et glacée.
La méfiance, l’habitude de douter des sentiments les plus vrais
s’était peu à peu insinuée en elle, altérant les plus généreux
mouvements de son cœur.
« Tous, se dit-elle, oui, tous ont soupiré pour ma dot. On ne m’a
jamais aimée… L’on ne m’aimera jamais. »
Une petite toux sèche, venant de la pièce voisine, interrompit ses
réflexions.
Diane se pencha en arrière pour regarder dans le cabinet de
toilette dont la porte — une sorte de baie — était large ouverte.
Cependant, il lui semblait que Marie était sortie, son service terminé.
Ce n’était qu’une petite ouvrière, la lingère qui avait apporté le
peignoir et cousait près de la fenêtre sans lever les yeux.
Diane ne l’avait jamais vue : elle la regarda un instant.
C’était une assez gentille fille, bien que d’une figure commune,
avec ce teint pâle, déjà fané des ouvrières parisiennes qui ont
travaillé trop jeunes.
Celle-ci était de taille plutôt petite, mais bien prise dans sa robe
simple en grisaille que recouvrait, devant, le petit tablier luisant de
lustrine noire.
Elle pouvait avoir vingt ans, avec un air modeste, effacé. Les
yeux baissés, elle cousait vite, sans arrêt, même quand sa petite
toux sèche la secouait et mettait une nuance rosée à ses
pommettes.
« Cette fille a l’air poitrinaire, pensa Mlle de Trivières ; je dirai à
ma mère de la renvoyer, cela peut devenir malsain… »
Diane reprit sa plume, et sa pensée se reporta sur celui à qui elle
avait promis d’écrire et dont elle se souvenait très vaguement.
Au physique : grand, assez distingué, bien que trop gros, de
beaux yeux bleus, toujours gais… Au moral, doux, aimable et
causeur.
Le portrait n’avait rien du classique héros de roman fatal ou
chevaleresque, mais, somme toute, il pouvait faire un mari
présentable. « Tout à fait mon vieux bon ami, en plus jeune… Ah ! s’il
pouvait m’aimer vraiment, celui-là ; m’aimer pour moi !… Comme je
serais prête à le lui rendre… Lui ou un autre, quel qu’il soit ! »
La petite toux sèche qui l’agaçait ramena encore son attention
vers le cabinet.
Diane jeta un regard sur l’ouvrière et pensa :
« En voici une qui peut être certaine de ne pas être aimée pour
son argent ! »
Puis une idée bizarre lui vint tout à coup, elle eut un sourire, un
haussement d’épaules, comme pour repousser une chose
impossible, et, enfin, se décidant :
« Pourquoi pas ? Je puis essayer. Ma mère et mon tuteur ont
voulu me prendre au piège, ce serait me venger d’une façon
amusante et si cela réussit… Je serai bien sûre, cette fois, d’être
aimée pour moi-même ! »
Diane de Trivières posa sa plume ; elle se pencha de nouveau
pour mieux examiner la lingère qui continuait à coudre sans
s’apercevoir qu’elle était l’objet de cette observation.
Diane pensa encore :
« Pourquoi refuserait-elle ?… Avec de l’argent on obtient tout ce
que l’on veut de ces gens-là. Allons, je me décide ! Je ne vais plus
m’ennuyer… ce sera très amusant ! »
Et de fait, depuis cinq minutes, Mlle Diane oubliait de s’ennuyer ;
la pensée nouvelle qui l’animait donnait à sa physionomie un entrain
inusité.
Elle appela :
— Dites-moi, ma fille ?
— Mademoiselle m’a parlé ?
L’ouvrière releva la tête, et Diane rencontra son regard.
C’étaient vraiment de jolis yeux d’un bleu clair, nuancés de gris,
avec de longs cils bruns. Une couronne de cheveux follets entourait
le front d’innombrables frisettes qui remuaient au moindre
mouvement de tête.
Cette physionomie très douce ne manquait pas d’intelligence.
Par instants, une flamme sautillante passait au fond de ses yeux
gris et les faisait pétiller d’esprit ou de malice.
— Oui, dit Mlle de Trivières, en reprenant le ton hautain dont elle
se servait d’ordinaire avec les domestiques, je vous parle. Comment
vous appelez-vous ?
— Rose, mademoiselle.
— Y a-t-il longtemps que vous venez ici ?
— Un peu plus d’un an, mademoiselle. Deux fois par semaine, je
vais coudre dans la lingerie. Mais, ce matin, Marie m’a dit que je
pouvais m’installer ici.
— Je l’avais permis… Y voyez-vous assez pour faire les petits
plis ?
— Oh ! oui, mademoiselle. On est si bien ici ! La lingerie est claire,
mais on n’a, en face de soi, toute la journée, qu’un grand mur tout
nu ! Tandis qu’ici… sur le jardin… Ça vous donne du cœur à travailler
avec le beau soleil et le chant des oiseaux !
Diane jeta un regard du côté du jardin, où rien pour l’instant ne
justifiait l’enthousiasme de l’ouvrière, car les nuages cachaient
complètement le soleil, et quant au chant des oiseaux, il fallait avoir
une vive imagination pour suppléer à leur absence.
La jeune fille dit sèchement :
— Il va pleuvoir et il n’y a pas un seul oiseau dans le jardin.
La lingère eut une expression drôlement désappointée en
regardant au dehors sans cesser de tirer l’aiguille.
— Eh bien ! mademoiselle, dit-elle avec un petit rire, ce que c’est
que l’idée tout de même ! Ça vous fait voir des choses ! Il y avait un
rayon de soleil quand je suis entrée dans la chambre ; je l’aurai
gardé dans ma tête ! D’abord, moi, rien que de voir un arbre, des
feuilles qui pourraient être vertes, ça me donne des idées de
printemps, et je vois tout en beau !
Diane écoutait vaguement avec son air impassible.
« Drôle de fille ! » pensa-t-elle.
Après sa longue tirade, Rose posa d’un mouvement instinctif sa
main sur sa poitrine pour s’empêcher de tousser.
— Vous êtes malade ? dit Mlle de Trivières sèchement. Vous
devriez cesser de travailler.
La lingère prit un air aussi étonné que si elle eût entendu :
« Vous devriez cesser de respirer. »
— Ça n’est rien, mademoiselle. C’est un rhume que j’ai pris en
janvier. Ça passera quand mon soldat reviendra…
Diane releva la tête.
C’était l’entrée en matière qu’elle cherchait depuis un moment.
— Ainsi, dit-elle, feignant un vague intérêt, vous avez quelqu’un
des vôtres à la guerre ?
— Quelqu’un ?
A cette question, le visage de la petite ouvrière se couvrit
entièrement d’une couleur rose pareille à ses pommettes ; toutes les
frisettes de son front s’agitèrent d’un même mouvement ; elles firent
surgir à leur appel une quantité de fossettes de tous les coins du
visage illuminé d’un sourire radieux.
Mise en confiance par l’intérêt que semblait prendre à elle cette
demoiselle si fière qu’elle n’avait fait jusqu’alors qu’entrevoir de loin,
comme une créature d’un monde supérieur, Rose répondit,
continuant à faire courir ses doigts lestes dans la dentelle :
— Oui, mademoiselle. J’ai « quelqu’un ». « Il » est fantassin, « il »
a la croix de guerre ! C’est Victor qu’il s’appelle. Il ne faudrait pas
que mademoiselle se fasse des idées de choses qui… qui ne sont
pas… Enfin, je veux dire, on a beau n’être qu’une ouvrière, ça
n’empêche pas d’être honnête fille. Nous devons nous marier quand
il reviendra de la guerre et que nous aurons assez d’argent pour
entrer en ménage. Moi, je ne suis pas ambitieuse, mais lui,
mademoiselle, il voudrait toujours me voir la plus belle… Qu’est-ce
que ça fait, puisqu’il m’aime telle que je suis ? Je mettrais tant de
bonheur dans notre petite chambre, qu’il ne s’apercevra pas qu’elle
est nue, et je peux bien me marier avec ma pauvre robe de laine
comme je suis là, ce n’est pas encore ça qui nous empêchera d’être
heureux… Ah ! oui !… bien heureux !
Une vague sensation d’envie et de tristesse s’insinua dans le
cœur de la riche héritière, en remarquant les yeux humides de
tendresse de la pauvre fille qui exprimait si naïvement son rêve de
bonheur.
— Vous écrivez souvent à… cette personne ?
— Mademoiselle comprendra qu’on n’a guère le temps d’écrire
quand on travaille. Je suis toujours dans la bousculade ! Le matin,
j’ai beau me lever à cinq heures, avant que j’aie fait mon petit
déjeuner, rangé ma chambre et que j’aie passé à l’église — il faut
bien, mademoiselle que je dise ma petite prière pour mon Victor, s’il
lui arrivait malheur, je croirais que c’est de ma faute ! Eh bien ! avec
le temps de mes courses pour me rendre au travail, je n’arrive pas à
prendre la plume… C’est seulement le dimanche que je peux lui
écrire une bonne lettre. Je lui raconte toute ma semaine. Ah ! mais
alors, je lui en dis ! Une vieille demoiselle institutrice qui demeure
dans ma maison m’a dit que j’écrivais autant qu’une dame qu’elle
connaît, une certaine Mme de Sévigné, qui écrivait comme ça à sa
demoiselle… Sans doute, une de ses anciennes patronnes.
Diane ne put s’empêcher de sourire, et toutes les frisettes de
Rose, voyant leur succès, appelèrent à la rescousse les jolies
fossettes qui s’épanouirent de gaieté :
L’ouvrière reprit en s’excusant :
— J’ai peur d’ennuyer mademoiselle avec mon bavardage !… C’est
que je suis si contente de causer !… A la lingerie, c’est joliment triste
quand Marie n’est pas là !
Mlle de Trivières avait repris sa plume et paraissait vouloir cesser
la conversation. Après un silence, elle se décida à parler :
— Rose, j’ai un petit service à vous demander.
— Un service !… A moi, mademoiselle ?
— Oui, c’est même un service assez délicat qu’il ne me
conviendrait point de demander à tout le monde. On m’a dit que
vous étiez discrète et honnête… Je crois que je puis avoir confiance.
Cet exorde était si solennel, que Rose cessa de coudre, et les
frisettes, frappées d’immobilité, parurent écouter avec attention.
Mlle de Trivières reprit :
— Voici ce que c’est. J’ai un ami d’enfance, un très ancien ami qui
est au front. Je voudrais lui écrire sans qu’il sût que cela vienne de
moi. Il faudrait que je puisse signer mes lettres d’un autre nom et lui
donner une autre adresse que celle-ci, afin qu’il puisse m’y
répondre…
Jusque-là, Mlle de Trivières avait parlé les yeux fixés devant elle,
dans le vide ; elle tourna la tête du côté de l’ouvrière et comprit, à
son regard vite abaissé, la pensée secrète de Rose.
Diane rougit légèrement et se hâta d’ajouter :
— Ma mère est au courant de cette correspondance ; c’est même
sur son avis que je l’entreprendrai ; mais c’est une idée à moi
d’intriguer ce jeune homme, en lui laissant ignorer le nom et la
qualité de sa correspondante.
— Je comprends, dit Rose épanouie ; c’est une idée comme ça
qu’a mademoiselle pour s’amuser. Une supposition que ce serait le
1er avril et que mademoiselle voudrait faire une farce ! Oh ! c’est une
bonne idée. Je crois bien que mademoiselle peut se servir de mon
adresse tant qu’elle voudra !… Et je lui rapporterai la réponse…
Comme je reçois déjà des lettres de militaires dans ma maison, on
n’y trouvera rien à redire… Mais pourvu que Victor ne l’apprenne
pas !
C’était vrai. Diane n’avait pas songé à cela. L’idée ne lui était
même pas venue que cette fille pût tenir à sa réputation.
— Vraiment, Rose, cela ne vous contrarie pas ?
— Au contraire, mademoiselle, je serai bien contente de vous
faire plaisir !
Et d’un petit air entendu :
— Je sais bien ce que c’est ! Les hommes, il faut savoir les
prendre ! Il y en a qu’il leur faut du sentiment, d’autres, c’est de la
gaieté… C’est comme nous, pardi, et c’est souvent le plus galant
qu’on aime le mieux !
Toutes les frisettes sonnèrent le carillon pendant qu’un rire clair
fusait dans la chambre.
Mais Rose s’arrêta soudain devant l’air choqué de Mlle de
Trivières.
Elle balbutia, confuse :
— Pardon, mademoiselle !… Excusez. J’aime à rire, c’est pas de
ma faute… Quelquefois, c’est la vie qui est si drôle !
Diane reprit sans faire de réflexion :
— C’est donc entendu, je pourrai me servir de votre adresse, et
quand il arrivera des réponses, vous me les porterez ici même.
Voulez-vous me dire votre nom ? Je vais l’écrire.
L’ouvrière posa son ouvrage.
Elle s’approcha du bureau où Diane préparait une enveloppe.
— Si mademoiselle veut me permettre, dit-elle, j’écrirai mon nom
et mon adresse comme j’ai l’habitude.
— C’est cela. Écrivez.
Sous les yeux de la jeune fille, la main hésitante de l’ouvrière
traça en grosses lettres maladroites :
Mademoiselle Rose Perrin,
183, rue de Longchamp, Paris.

Diane remarqua la maigreur de la petite main à l’index piqué


d’une quantité de trous d’aiguille ; elle vit de près le cerne profond
des yeux, le nez retroussé, drôlet, de l’enfant des faubourgs, pincé
par la phtisie, la fraîcheur factice des joues enfantines, faites pour le
rire, que la terrible maladie marquait de son sceau.
Rose finit avec un beau paraphe et dit en posant la plume :
— Ça sera drôle ! Qui sait si le monsieur va s’y laisser prendre ?
C’est qu’une demoiselle comme mademoiselle, qui a de l’éducation,
qui a fait toutes ses classes, doit écrire autrement qu’une petite bête
comme moi qui ai quitté l’école à dix ans !
Diane eut un petit sourire.
— Vous m’aiderez un peu pour commencer, Rose.
Elle se récria :
— Ah ! ça ! ça serait fort que je montre à mademoiselle à écrire
une lettre ! Mademoiselle, qui a plus d’esprit dans son petit doigt que
moi tout entière, de mes frisettes à mes talons.
Diane se pencha sur le bureau.
Comment allait-elle commencer ?
Cette fille disait vrai dans sa simplicité. Une Diane de Trivières
écrivait autrement qu’une Rose Perrin… Cependant, elle voulait que
l’illusion fût complète.
— Rose ?
— Mademoiselle ?
— Comment dites-vous en commençant, quand vous écrivez à
votre fiancé ?
— Comment je mets, mademoiselle ?
Rose rougit, hésita… sourit, et une demi-douzaine de fossettes
jouèrent à cache-cache autour de sa bouche.
— … Pas toujours pareil… cela dépend des fois. Il y a des jours,
c’est « Mon petit Victor » ; d’autres, « Mon grand poilu »… ou encore
— elle eut un petit rire qui fit envoler les frisettes — je l’appelle
« Mon gros loup chéri ! »
Mlle de Trivières avait vingt ans, son rire fit écho à celui de
l’ouvrière…
— Mais tout ça, dit Rose après avoir toussé, c’est des manières à
nous. Chez nous, on n’a pas les façons du grand monde !
— Supposez, dit Diane en reprenant son sérieux, que vous
écriviez pour la première fois à un monsieur, un officier, comment
diriez-vous ?
— Je dirais… je dirais : monsieur l’officier.
Et Mlle de Trivières, de son écriture ferme et élégante, écrivit :

« Monsieur l’officier,
« Un de mes amis que vous connaissez m’a appris que plusieurs
hommes de votre compagnie manquaient de marraines ; je vous
serais très reconnaissante d’en choisir un et de me l’indiquer, car je
suis à la recherche d’un filleul. Bien que possédant de faibles
ressources, je lui enverrai de temps en temps quelques douceurs et
je serai heureuse si… »
La plume s’arrêta, Diane se relut, puis :
— Aidez-moi, Rose, je ne sais comment finir ma phrase : « … lui
envoyer quelques douceurs, et je serai heureuse, si… »
— Si, dicta Rose, « s’il pense quelquefois à sa petite marraine qui,
de son côté, fera tous les matins pour lui une bonne prière… et pour
vous aussi, monsieur l’officier, afin que vous soyez protégé… parce
que, des braves, il nous en faut pour défendre notre cher pays. »
— Merci.
Diane continua seule.
« Si vous éprouvez vous-même du plaisir, monsieur l’officier, à
continuer à correspondre, j’en serai charmée. Je sais que vous
n’avez plus de famille, si mes lettres doivent rompre l’ennui de votre
solitude, veuillez me le dire, et nous reprendrons cette
correspondance.
« Recevez, monsieur… »
— Rose, comment diriez-vous, pour finir ?
— Pour finir ? Voyons…
« Au revoir, cher monsieur l’officier, je vous envoie mes
respectueuses salutations. »
— Non, dit Diane en souriant, j’ai déjà mis « Recevez, monsieur ».
Ah ! j’y suis ! « mes sincères salutations ».
Elle signa lentement d’une écriture appuyée :
« Rose Perrin ».
… Puis elle écrivit l’adresse lisiblement : « 183, rue de
Longchamp, Paris. »

La lettre relue et cachetée, Mlle de Trivières contempla son


œuvre.
L’enveloppe, adressée au lieutenant H. de Louvigny, 10e régiment
d’infanterie, secteur postal 322, se détachait toute blanche sur le
velours vert du petit bureau.
Maintenant que son idée avait pris corps, Diane jugeait son
action téméraire, hasardeuse ; elle la regrettait presque.
Puis elle eut un geste d’insouciance contraire à ses habitudes, et
elle pensa :
« Qu’importe ! c’est presque anonyme, puisque je ne me suis pas
nommée. Si bon ami me gronde, plus tard, je lui dirai tout,
j’expliquerai mon idée, et je crois qu’il la comprendra. »
Mlle de Trivières s’avisa qu’elle devait bien une récompense à la
modeste fille dont elle venait d’emprunter le nom. Elle prit dans un
tiroir à clef de son bureau un billet de cent francs, et allant elle-
même au cabinet, elle le tendit à l’ouvrière.
— Tenez, ma fille, prenez ceci, vous l’ajouterez à vos économies.
Rose, d’un mouvement indigné, repoussa sa chaise et se leva.
— Oh ! Mademoiselle !… Mademoiselle avait pensé que ça pourrait
être pour de l’argent ? Ah ! non ! par exemple, non ! Rose Perrin ne
prend que l’argent qu’elle a gagné avec ses doigts.
Elle hochait la tête… toutes les bouclettes se soulevaient dans un
mouvement de réprobation… et ses yeux gris devenaient presque
noirs.
Mlle de Trivières avait eu si souvent sous les yeux le spectacle
d’indignations semblables, qui se terminaient par une main tendue,
qu’elle crut devoir insister :
— Allons, Rose, ne faites pas de façons ! Ce sera un petit appoint
pour monter votre ménage.
Mais Rose, la gorge serrée, les larmes aux yeux :
— Merci bien de l’intention, mademoiselle. Oui, je sais qu’une
pauvre fille ne devrait pas être si fière. Mais… si j’acceptais de
l’argent que je n’ai pas mérité, je ne serais plus digne d’être la
femme de mon poilu, et je croirais me manquer à moi-même… Que
mademoiselle excuse ce que je dis… il ne me serait pas possible de
faire autrement… Victor ne m’aimerait plus !
L’accent dont l’ouvrière prononça ces derniers mots était si
pathétique, si sincère, que Mlle de Trivières ne sourit pas ; elle mit
au fond de sa poche le billet bleu et dit doucement :
— Oubliez cet incident, Rose, nous n’en parlerons plus ! Mais je
veux quand même faire quelque chose pour vous, ne serait-ce que
par simple… intérêt (elle avait hésité à dire charité…). Je vous trouve
en mauvais état ; vous toussez et vous ne vous soignez pas. Vous
devez vous soigner.
— Oh ! un simple rhume, mademoiselle ; ça n’en vaut pas la
peine !
— Vous vous soignerez parce que je le veux… et aussi pour me
faire plaisir. Voici ce que vous allez faire…
En parlant, Diane était revenue à son bureau. Elle écrivit
rapidement quelques mots sur une de ses cartes qu’elle mit sous
enveloppe.
— Vous porterez cette carte et vous la présenterez de ma part au
docteur Beauchamp, rue de l’Université. Vous voyez : l’adresse est
dessus. Il vous examinera, et vous n’aurez plus qu’à exécuter son
ordonnance.
— Merci, mademoiselle, dit la lingère d’un air gêné. Seulement…
ces grands médecins, c’est très cher…
— Cette question me regarde, dit Mlle de Trivières de son ton
tranchant. Le docteur ne vous demandera rien ; il vous auscultera et
vous me direz le résultat. Il est bien entendu que je me charge des
remèdes : vous me porterez l’ordonnance.
— Oh ! mademoiselle ! s’écria Rose.
Elle fondit en larmes et saisit la main de la jeune fille qu’elle
couvrit de baisers. Que vous êtes bonne et que vous savez faire la
charité sans blesser ! Ah ! les autres peuvent dire que vous êtes
froide, hautaine et orgueilleuse ? Je sais bien, moi, maintenant, que
vous avez un noble cœur, si pitoyable aux misères des pauvres
gens !
Diane était devenue pâle et elle reculait en retirant sa main
lentement.
Était-ce seulement pour se dérober à cette débordante
reconnaissance ou bien par peur de la contagion ?
Son cœur était remué profondément par une émotion encore
jamais éprouvée.
Elle reprit très vite son empire sur elle-même et dit en se
détournant :
— Allons, ma fille, calmez-vous ! Vous allez encore tousser.
Désormais, vous viendrez travailler ici. Tâchez de finir mon peignoir
aujourd’hui et n’oubliez pas de rectifier la manche gauche, qui est un
peu plus longue que l’autre.
— Oh ! oui, mademoiselle ! Ça sera fait, et bien fait ! Les petits
plis que je vais faire ! Et mon ourlet à jour donc ! Mademoiselle verra.
Ah ! ah ! si je vais m’appliquer !
Rose riait, montrant toutes ses fossettes, cependant que des
larmes roulaient encore sur ses joues.
Ces larmes et ce rire mêlés en ondée d’avril, c’était toute Rose
Perrin…
CHAPITRE IV

C’était la fin du jour au cantonnement. Un cavalier mit pied à


terre devant la maison de paysans la plus cossue du village, qui avait
à ce moment l’honneur d’abriter la popote des officiers de la
compagnie. Grand, fort et blond, l’œil et le teint animés par la
course, il avait un air de jeunesse et d’entrain qui séduisaient au
premier abord.
Comme il sortait de la poche de son dolman un paquet de lettres
et de journaux, les officiers présents tendirent les mains :
— Pour moi ! pour moi ! Louvigny, ici ! ici !
— Il répondit en riant :
— Attrape ! attrape ! Il y en aura pour tout le monde ! Tenez,
Jacquet, pour vous ! Kéravan, mon vieux, c’est ta princesse. Claudal,
deux lettres… Roysel, avec tes armes et ta couronne, lettre du
paternel… Et deux pour moi ! Les journaux, qu’on se les partage !
Une ordonnance vint annoncer au seuil de la maison que « ces
messieurs étaient servis ». Mais ils étaient absorbés par la lecture de
leur courrier ; cela primait tout ; et le cuistot dut faire mijoter encore
un quart d’heure le lapin de garenne qui courait le matin même dans
le petit bois ; un coup de feu de Kéravan, grand chasseur.
Ce dernier, de même que ses camarades, avait reçu une lettre ;
mais, au lieu de la dévorer, il l’avait mise tranquillement dans sa
poche.
De Kéravan était un grand garçon de vingt-sept à vingt-huit ans,
aux cheveux noirs, abondants et lisses, aux yeux bleu foncé qui
étonnaient par leur regard profond, d’une timidité farouche, sur
lesquels s’abaissaient très vite les paupières, sur un heurt, une
parole vive. Kéravan appartenait à la vieille souche bretonne. De sa
race, il tenait la volonté énergique, l’endurance à la peine,
l’obstination têtue, les convictions religieuses, le courage simple… et
rarement — quelques privilégiés, seuls — apercevaient en lui une
très fine et très ombrageuse sensibilité. Certains hommes de sa
compagnie aussi le connaissaient sous ce jour — généralement les
plus déshérités, les malheureux. Ces derniers le nommaient entre
eux affectueusement : « le petit père Kéravan ».
Lorsqu’un soldat allait mourir, c’était lui parmi les autres officiers
qu’on allait prévenir. Lui seul était capable de recevoir les dernières
recommandations, les souvenirs, les bouts de lettres maculés de
terre et de sang qu’il fallait envoyer aux familles avec un mot ému,
des délicatesses pour annoncer les tristes nouvelles…
Kéravan était encore le seul qui savait dire, sans livre, les prières
des agonisants, quand le prêtre ne pouvait venir. Lui seul trouvait, à
la minute suprême, les paroles qui réconfortent.
On avait confiance en lui.
Si, au moment des attaques, les regards se portaient avec
ensemble sur le lieutenant de Louvigny, commandant de compagnie,
les plus faiblards pensaient :
— Le petit père Kéravan est là, à côté, quand on y sera (dans la
tranchée ennemie) il se battra avec nous.
Et ils se redressaient… rassurés.
C’était, à cette popote, devant le lapin sauté du cuistot Bertrand,
un joyeux quintette, tous anciens de l’École, sauf Jacquet et Claudal.
Le premier avait passé par les rangs et monté rapidement en
grade depuis les premiers jours de la guerre où il s’était distingué
sur la Marne.
De Roysel, irréprochable, astiqué comme à la parade, ce qui ne
l’empêchait pas, disaient ses hommes, d’en « mettre un coup »
quand il le fallait.
Claudal, avocat, beau parleur, détonait un peu dans ce milieu de
soldats.
Et enfin Louvigny, plus jeune que les autres, et déjà commandant
de compagnie en remplacement des anciens, tués.
Il avait fait la Marne, il s’était battu dans la Somme, dans l’Aisne,
et maintenant en Champagne, n’attrapant jamais que des blessures
insignifiantes pour lesquelles il refusait de se faire évacuer.
Il avait gagné sa Croix de guerre et sa Légion d’honneur à force
de bravoure entraînante et de mépris de la mort.
Malgré son air sérieux, Kéravan montrait dans l’intimité joyeuse
de ces repas en commun une pointe d’esprit qui souvent frappait
juste ; il avait une manière à lui de jeter son mot piquant dans la
conversation quand il était en belle humeur.
Alors ses camarades déclaraient :
— Voilà l’homme sérieux qui s’émancipe !
A cause de la distribution des lettres, on parla de Paris, de ses
plaisirs… presque tous en étaient ou y avaient vécu, ils
s’intéressaient avec passion à ce qui s’y passait, revoyant toujours
dans leurs souvenirs le Paris d’avant guerre, pimpant, bruyant et
lumineux.
Entre ces cinq hommes de conditions diverses, la guerre avait fait
disparaître l’inégalité des positions sociales.
Dans la vie civile, Jacquet pouvait être le fils d’un gros directeur
d’usine ; Claudal, l’avocat élégant des causes parisiennes ; Kéravan,
modeste propriétaire provincial de vieille famille sans éclat, et Roysel
et Louvigny des jeunes gens riches et titrés appartenant à la plus
haute société. Ici, dans ce trou de village, à six kilomètres des
Boches, ils n’étaient que cinq camarades que les dangers affrontés
en commun et la vie hasardeuse avaient unis, plus que l’eussent fait
vingt ans de vie civile, parmi les conventions et les barrières
sociales.
C’était vraiment l’union sacrée, dans toute sa beauté.
Louvigny, bavard, amusant, présidait, découpait, servait, sans
oublier de soigner son robuste appétit.
— Tu es gai, tu as reçu de bonnes nouvelles ? lui dit de Kéravan.
— Deux lettres, l’une de mon vénéré oncle, le général, l’autre
d’une belle inconnue.
— Belle, fit Jacquet, puisqu’elle est inconnue, tu le supposes ?
— C’est pourquoi rien ne m’interdit de l’imaginer aussi belle que
Vénus !
— Que te dit ton oncle ? s’informa Kéravan. Comment se porte-t-
il ? Quel brave homme c’était de mon temps ! Je me demande s’il se
souviendrait de moi ?
— Comment donc ! Il se souvient de tous ! Une mémoire ! Et
solide pour son âge… droit comme un piquet ! C’est un beau
vieillard ; je vous en souhaite à tous autant !
Roysel laissa tomber du haut de son cou :
— Peu probable, mon cher, que ces messieurs d’en face nous
permettent d’en arriver là.
Louvigny reprit :
— Mon oncle est parti en tournée d’inspection. Il m’avertit qu’il
m’écrira à peine deux ou trois fois… Trop occupé, mais !… Suivez-moi
bien : le cher homme m’annonce qu’il sera avantageusement
remplacé par une certaine personne dont je dois reconnaître le nom,
car je l’ai connue dans ma prime jeunesse.
— Au maillot ?
— Il paraît que nous avons joué ensemble ! Il m’engage à
répondre dans le plus bref délai à la personne en question ; il espère
que notre correspondance deviendra des plus actives et ajoute qu’il
ne peut en sortir pour moi rien que d’excellent et d’agréable…
Maintenant, messieurs, les paris sont ouverts : est-ce un homme ?
est-ce une femme ?
— Tu n’as pas la plus légère idée ?
— Pas la moindre !
— C’est un cachottier, ton vieil oncle, dit Jacquet ; il l’est presque
autant que notre petit père Kéravan qui dissimule dans sa poche le
dernier poulet de sa princesse.
Kéravan changea de visage ; il prit un air gêné et ennuyé qui fit
dire à Louvigny, toujours prêt à défendre son ami :
— Laisse-le donc tranquille avec sa princesse, puisqu’il ne veut
pas en parler !
Kéravan, pour rompre les chiens, sourit au jeune lieutenant et lui
demanda :
— Et toi, Hubert, tu nous as annoncé deux lettres. Que te dit la
belle inconnue ?
Louvigny fredonna : « Un ange, une femme inconnue », en
sortant de sa poche une enveloppe froissée sur laquelle s’étalait une
écriture droite et élégante.
— Voici : « Monsieur l’officier. »
— Une femme du monde, plaisanta Roysel.
— Une ouvrière, dit Claudal.
— « Un de mes amis, que vous connaissez… » Elles commencent
toujours par là, seulement l’ami, on le connaît, c’est la petite
annonce de trois lignes que j’ai fait paraître, il y a quinze jours, dans
l’Œuvre des marraines du poilu ; elle tombe mal, tous mes hommes
sont déjà pourvus. Mes amis, la jeune demoiselle est en quête d’un
filleul…, qui en veut ? Qui en veut ?
Le jeune homme élevait la lettre en l’air et la tendait aux autres
convives qui refusaient en souriant, d’un : « Occupé ! occupé ! »
Kéravan, le dernier, la prit et, pendant qu’il la parcourait, son ami
lui dit à demi-voix :
— Il y a dans le milieu une phrase sur la prière de tous les
matins… c’est gentil ! Tu sais, Hervé, je crois que cette petite
marraine-là ferait bien ton affaire !
— Mais c’est à toi qu’elle écrit, protesta l’officier, ton adresse est
très bien mise. Pourquoi ce qu’elle te dit ne serait-il pas vrai ?
— En effet ! s’écria Claudal, frappé d’un trait de lumière, ne
serait-ce point la personne mystérieuse que t’annonce ton oncle ?
— Tu oublies que je dois reconnaître son nom, or, je n’ai jamais
même entendu celui-ci.
Kéravan regarda au bas de la lettre.
— Un petit nom tout simple, dit-il, « Rose Perrin ».
— Rose Perrin, répéta Louvigny, cherchant dans ses souvenirs,
non, je n’ai jamais entendu ce nom-là… Occupe-t’en, Kéravan !
Le Breton mit la lettre dans sa poche en disant :
— En tout cas, il est facile de lui procurer un filleul ; plusieurs
hommes de ma compagnie se sont fait inscrire…
— Ne l’offre pas au grand Plisson, Victor, il en a quatorze, ce
mâtin-là, les colis pleuvent sur lui, et déjà trois d’entre elles l’ont
demandé en mariage !…
Après une dernière tournée d’inspection, Kéravan remonta dans
la chambre du premier étage qu’il partageait avec Louvigny.
En fait de meubles, deux étroites couchettes sans matelas, une
table à trois pieds qui tenait contre le mur par un miracle d’équilibre
et deux chaises dépaillées.
En guise d’ornements, Louvigny avait eu l’idée de recouvrir les
murs de gravures découpées dans des journaux illustrés, ce qui
produisait une galerie de portraits et des effets de couleur
saisissants.
Ils se sentaient là chez eux, bien que jamais sûrs d’y revenir
après chaque voyage à l’avant.
Qu’importe !
Ils y dormaient, sans souci des marmites, de lourds sommeils
d’enfants.
Louvigny s’était couché de bonne heure, après une partie de
piquet avec Roysel ; il dormait déjà quand Hervé rentra, fatigué.
Mais avant de s’étendre sur ses fils de fer, le sous-lieutenant vint
s’asseoir devant la table.
C’était le moment qu’il avait attendu pour prendre connaissance
de sa mystérieuse missive, celle de « sa princesse ». Penché sur un
grossier papier de cuisine, l’officier déchiffra péniblement cette épître
dont nous corrigeons l’orthographe :

« Monsieur Hervé,
« C’est pour vous dire que Mme la baronne va bien. Je lui donne
des œufs à la coque, ça passe toujours. Nous avons des nouvelles
poules sur le balcon, elles vont bien. L’autre soir, on a rapporté à
Mme la baronne qu’on s’était battu en Champagne et j’ai été mettre
un cierge à Notre-Dame-des-Victoires à votre intention.
« Rien d’autre à vous mander, monsieur Hervé ; madame vous fait
répéter qu’elle n’a besoin de rien et que tout va bien.
« Elle vous embrasse, et moi, cher monsieur Hervé, cher enfant
que j’ai vu naître, je vous dis que le bon Dieu vous préserve et vous
ramène bientôt.
« Votre fidèle servante,
« Corentine. »
« P. S. — Madame n’a pas payé le loyer, mais la propriétaire ne
nous tourmente pas. »

Kéravan sourit, content, tout allait bien. Ce loyer arriéré, il s’en


occuperait à sa prochaine permission.
Il revit en pensée le modeste salon de l’avenue Malakoff avec ses
vieux meubles de province, son petit piano droit devant lequel il
avait passé tant d’heures heureuses, et la tapisserie ancienne qu’il
avait fait porter de Kirvanac’h en s’installant à Paris : Anne de
Bretagne et Charles VIII fiancés… Il avait senti le besoin, chez lui, de
ce rappel de sa Bretagne.
Il revit encore, devant la porte-fenêtre du balcon où picoraient
les poules, la chère aveugle, assise dans sa bergère, cherchant le
soleil et levant son visage ridé aux paupières fermées, vers les
rayons du jour qu’elle ne voyait plus.
C’était afin que son aïeule, sa dernière et plus proche parente, —
avec ses trois sœurs, toutes mariées, — afin que l’infirme fût
environnée d’air et de lumière que le jeune homme avait choisi, en
arrivant à Paris, ce petit appartement de l’avenue Malakoff, bien
exposé, assez confortable et d’un prix modéré.
Ils n’étaient pas riches, tirant toutes leurs ressources de leur
domaine de Kirvanac’h, en Morbihan, tout l’argent liquide dont les
enfants avaient hérité de leur père, disparu en mer dix ans
auparavant, ayant servi à doter Mlles de Kéravan, qui auraient couru
grand risque de rester filles.
Elles étaient bien mariées, heureuses dans leur Bretagne, où
elles élevaient des nichées d’enfants ; elles s’intéressaient de loin au
succès de leur unique frère, parti à Paris pour compléter sa
préparation à Saint-Cyr.
La baronne douairière de Kéravan avait tenu à accompagner son
petit-fils.
Pour la sainte femme, Paris représentait la Babylone moderne où
les garçons sans foyer perdent irrémédiablement leur foi, leur âme
et leur santé.
Elle s’était décidée, non sans peine, à quitter son manoir et la
baie d’où elle avait vu partir pour la dernière fois son fils, le père
d’Hervé, que l’Océan n’avait jamais rendu.
Depuis, lentement, la cataracte s’était étendue sur ses pupilles
qui avaient trop pleuré et pour la pauvre femme, l’éternelle nuit avait
commencé.
Telle qu’elle était, âgée, faible, aveugle, Mme de Kéravan s’était
sentie de force à lutter contre les enchantements pernicieux de la
capitale.
Et de fait, durant ses années d’école, son petit-fils n’avait point
goûté de plaisir plus vif que celui qu’il prenait auprès d’elle, les
dimanches, lorsqu’il lui faisait la lecture, ou l’obligeait dans les beaux
jours à sortir dans les avenues, à s’en aller à son bras, à petits pas,
jusqu’au bois de Boulogne.
C’étaient les jours de fête de l’aveugle. Et aussi de ce grand
garçon qui savait qu’il était la joie, les yeux, la vie de l’infirme.
A cause d’elle, il s’était tenu à l’écart des tentations de la vie
parisienne et il avait gardé intacte son âme bretonne, inaccessible
comme le granit de ses grèves, sentimentale et poétique comme ses
vieilles légendes.
Ayant lu la lettre hebdomadaire de la servante, les yeux d’Hervé
tombèrent sur l’autre enveloppe qu’il avait sortie en même temps…
C’était la lettre de la personne qui demandait un filleul.
Il la relut avec soin, quelque chose dans le style simple, dans
l’écriture souple, hardie, l’attirait.
Il voyait tous ses camarades s’amuser à entretenir des
correspondances plus ou moins sérieuses avec des soi-disant
marraines, et l’idée ne lui était point venue de les imiter.
Par principe, il s’écartait de ce qui pouvait devenir une occasion
de dépense…
Ce n’était pas tout que de correspondre. On faisait souvent
connaissance au temps des permissions, et il devenait difficile de ne
pas se laisser entraîner par ces marraines si séduisantes.
Pourtant, celle-ci paraissait modeste… Le milieu de la lettre avec
sa phrase naïve et pieuse le rassurait… cela ne lui paraissait pas si
effrayant…
— Si j’essayais ? murmura-t-il.
Un mouvement derrière lui le fit retourner.
Il vit Hubert, assis sur son lit, qui le regardait.
— Tu es rentré tard !… fit-il en bâillant, que dit-elle, ta princesse ?
— Que tout va bien. Mais, dis… mon vieux, parlons d’autre
chose ; cela ne te contrarie pas de me céder cette lettre que tu as
reçue ce soir ?
— Qu’est-ce que tu veux que ça me fasse ? Toi ou un autre ? Est-
ce que je la connais, cette Blanche Perrin ?
— Rose… Rose Perrin !
— Rose ou Blanche, je m’en moque ! Écris-lui donc, on verra qui
c’est.
— Ce qui m’ennuie, c’est que sa première phrase indique bien
que c’est à toi qu’elle s’adresse, et il est fort possible que, voyant
que tu ne lui réponds pas, toi, Louvigny… elle ne réponde pas non
plus…
— Eh bien ! c’est très facile : signe de mon nom !
— Oh ! quelle idée, mon cher ; cela ne se fait pas !
— Mon pauvre Hervé, tu ne seras jamais de ton temps !… Quand
je te regarde, je cherche toujours où tu as posé ton armure. Sois
jeune, que diable ! Penses-tu que ces choses-là ont une grande
importance ?… Une personne qu’on ne connaît pas !… Que tu ne
verras sans doute jamais. C’est dit ! Tu vas lui écrire, tout de suite !…
Et si tu crains qu’elle ne réponde pas, signe carrément de mon nom !
A cette distance, elle n’y verra que du feu ! Tu sais… pour les
dangers que tu lui feras courir… Ah ! mon vieux, tu ne t’emballes
pas, toi ! non…
Hervé se fit encore prier, mais comme il avait, dans le fond,
bonne envie d’écrire, il se décida et dit tout à coup :
— Voyons, toi qui es au courant ? Dirons-nous madame ou
mademoiselle ?
— Mademoiselle. Si c’est une jeune fille, ça tombera bien, si c’est
une vieille dame, ça la flattera.
Hervé écrivit :

« Mademoiselle,
« Je suis charmé de la bonne pensée que vous avez eue de vous
adresser à moi pour vous aider à choisir un filleul.
— « Il s’agirait cependant de s’entendre, souffla Hubert de son lit,
et de savoir ce que vous désirez : si c’est un filleul des pays envahis,
j’en aurai quelques-uns à vous proposer, très dignes d’intérêt, si,
comme certaines expressions de votre lettre me le font supposer,
vous cherchez un correspondant… »
— Tu ne trouves pas que c’est aller bien vite ?…
— Tiens ! tu me fais hausser les épaules !… arrange-toi !
« … c’est-à-dire un combattant sans famille, privé de recevoir de
temps à autre un mot de sympathie, continua Hervé, j’avoue,
mademoiselle, que je suis moi-même dans ce dernier cas, et je me
mettrai volontiers sur les rangs… trop heureux, si… »
— Aide-moi, Hubert, « trop heureux, si… »
— Ah ! tu vois, tu ne t’en tires pas ! Marche :
« … Trop heureux, si vous consentez à vouloir bien faire de moi le
plus dévoué et le plus reconnaissant des filleuls…
« Agréez, mademoiselle, mes respectueux hommages.
— Et signe : « H. de Louvigny. »

— C’est fait.
— Attends, dit Hubert, il faut penser à tout. Ajoute : « Au cas où
vous consentiriez à m’agréer comme correspondant, ayez
l’obligeance de me donner sur vous-même quelques précisions. Je
répondrai volontiers aux questions que vous voudrez bien
m’adresser… »
— Après cela, est-ce tout ?
— Après cela, mon vieux, tu peux souffler la chandelle qui coule,
et je te souhaite une bonne nuit ! dit le comte de Louvigny en se
retournant du côté du mur.
CHAPITRE V

« Lieutenant Hubert de Louvigny,


Secteur postal 322.
« Monsieur l’officier,
« C’est avec grand plaisir que je vous accepterai comme filleul.
« Je vois que vous avez compris tout de suite quelle sorte de
correspondant je désirais.
« C’est très aimable à vous d’avoir répondu si vite à une petite
jeune fille inconnue, très insignifiante, alors que vous devez recevoir
d’autres lettres bien plus attrayantes ; cependant, je veux espérer
que vous lirez les miennes sans trop de déplaisir et que vous y
répondrez.
« Vous me demandez des précisions ?
« J’imagine que cela signifie : Comment est ma marraine ? Jeune
ou vieille ? Brune ou blonde ? Laide ou jolie ? Quelle est sa situation
dans le monde ? Son genre de vie ? et peut-être vous demandez-
vous davantage encore ?…
« Je veux bien satisfaire votre curiosité jusqu’à un certain point,
mais je vous demanderai, en échange, la même confiance.
« Voici mon portrait : au physique… Eh bien ! non ! Je ne vous le
dirai pas ! Quand vous saurez que votre correspondante est brune,
élancée, qu’elle a les yeux comme ceci, la bouche comme cela, me
connaîtrez-vous davantage ?
« Je vous laisse libre d’imaginer une marraine suivant votre
fantaisie ; c’est la meilleure manière d’être certain qu’elle vous plaira.
« Quant à son caractère, à ses idées, vous en jugerez par ces
lettres, où je veux vous parler non comme à un inconnu, — l’état de
guerre autorise un peu plus de sans-façon — mais un ami ou un
confident.
« J’ai entendu faire votre éloge par une personne qui vous
connaît beaucoup, je sais donc que je puis me fier à votre honneur
et à votre discrétion.
« Mais continuons à « préciser ».
« Ma condition sociale est modeste, ma fortune nulle, cependant
j’ai reçu une certaine instruction.
« J’aurais peut-être pu la prolonger par quelques lectures, mais la
lecture m’ennuie, et du reste… »
— Comment dites-vous cela, Rose ?
« … Étant obligée de travailler pour vivre, il ne me reste pas
beaucoup de temps pour mes distractions… »
(Rose dictant) : « … excepté le cinéma où je vais quelquefois le
dimanche. »
— Oh ! non, Rose, pas cela ! Cherchez autre chose.
— Oui, mademoiselle… voilà :
« Je cultive les fleurs qui sont sur ma fenêtre. Quand mes
résédas seront sortis, je vous en enverrai un brin, et je serai
heureuse désormais de les soigner en me disant qu’ils vous
porteront un peu de la pensée de votre petite amie… Elle n’a pas
grand’chose à donner, mais c’est de bon cœur !… et si vous avez
besoin de quelque chose, livre ou journal, qu’il soit en mon pouvoir
de vous procurer, dites-le-moi tout simplement, et vous l’aurez !
« Votre nouvelle amie vous souhaite bonne chance.
« Au revoir, monsieur le lieutenant, et à bientôt une lettre.
« Rose Perrin. »

« Mademoiselle Rose Perrin,


« 183, rue de Longchamp, Paris.
« Bonjour, petite amie Rose ! Vous permettez, n’est-ce pas ?
Mademoiselle est sous-entendu.
« Voulez-vous que nous laissions de côté les mots encombrants
de marraine et filleul pour nous en tenir à ces appellations si
douces : « Ami »… « Amie » ?
« Voulez-vous que, sans nous être vus, nous essayions de nous
bien connaître et d’ébaucher une de ces amitiés entre homme et
femme qui sont d’autant plus précieuses qu’elles sont rares ?
« Merci de la confiance si touchante que vous me témoignez… Je
vous réponds de suite et je dois avouer que je suis déjà très
enthousiaste de mon amie et correspondante. »
Après avoir lu par-dessus l’épaule d’Hervé, Hubert de Louvigny :
— Tu aurais dû mettre « emballé », tu ne sais rien dire de neuf !
— Écoute, mon vieux, tu me donneras ton avis quand je te le
demanderai… Enthousiasme me plaît, à moi ! Me l’as-tu cédée ; oui
ou non ?
— Là !… là ! ça va bien ! Je ne te dirai plus rien !
Hervé continue :
« Vous voudrez bien alors, puisque cette idée charmante vient de
vous, petit à petit, dans chacune de vos lettres, m’apporter un
élément nouveau qui me permette de préciser, au fur et à mesure,
l’image très vague encore de la jeune Parisienne prénommée Rose,
qui cultive avec amour le réséda et que la lecture ennuie.
« De moi, que vous dirai-je ?
« L’ami auquel vous faites allusion, — cet ami que vous vous
refusez à nommer m’intrigue passablement ! — cet ami a dû, du
moins, vous faire mon portrait physique… Je ne m’y étendrai donc
point.
« Comme âge… »
— A propos, Hubert, quel âge as-tu, au juste ?
— Ça ne te regarde pas, ni ta demoiselle non plus ! Il me plaît à
moi de ne pas le dire !
— Idiot, va !
Un haussement d’épaules et Kéravan continue :

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