PDF Model Predictive Control System Design and Implementation Using MATLAB (R) Wei Zhi Download
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—Un «individu», bien sûr!... Mais un jeune homme gentil et bien
élevé, qu'est-ce que cela fait?... C'est chameau et bête, les hommes,
mais ce n'est guère méchant, je vous en réponds... On en fait ce
qu'on veut... Au fond, ils sont bien plus intimidés que nous, dans ces
aventures-là...
—Je vous répète!...
Cady poussa un éclat de rire aigu.
—Non, ne répétez pas, j'ai bien entendu... Inutile d'user votre
tapette.
Elles arrivèrent au jardin, et Cady musa longuement à l'entrée, sous
des prétextes, l'œil aux aguets, bavardant sans penser à ce qu'elle
disait. Enfin, un éclair de triomphe brilla dans ses yeux, elle rit sans
cause, une ardeur passionnée répandue en toute elle.
Elle avait aperçu le jeune homme de naguère, descendant du second
convoi.
—Venez dans la serre mademoiselle Armande!...
Et, parvenue à la palmeraie, la jeune fille suggéra:
—Peut-être préférez-vous vous asseoir ici, pendant que j'irai visiter
les perruches, là, auprès?... Vous savez qu'elles font un horrible
tapage...
Mlle Armande accepta avec empressement, en s'emparant d'un
fauteuil.
—Oui, c'est cela!... Je vous attends.
Cady s'élança vers la sortie; puis, au lieu de gagner la porte de
gauche, qui conduisait au hall des perroquets, elle rebroussa
vivement vers la droite et rentra dans la grande serre par une galerie
latérale.
Le jeune homme s'y promenait, une cigarette non allumée à la
bouche.
Il sourit en apercevant Cady, et parut surpris en reconnaissant
qu'elle se dirigeait résolument vers lui.
Arrêtée devant lui, un sourire hardi entr'ouvrant ses lèvres, les yeux
bridés par les paupières demi-closes, un peu pâle—car, malgré tout
son aplomb, une vive et délicieuse émotion l'étreignait—elle lui
tendit les doigts:
—Bonjour, Charley! fit-elle d'une intonation à la fois moqueuse et
caressante.
Il prit la petite main, avec un regard autour d'eux.
—Je ne m'appelle pas Charley, remarqua-t-il en souriant.
—Ça va pourtant à votre genre de beauté... Alors, comment?
—Maurice... Et vous?
—Charlotte, répondit-elle sans hésitation.
Il examinait de nouveau les entours avec appréhension:
—Où est votre amie?
—C'est mon institutrice, pas mon amie. Ne vous tourmentez pas, elle
est assise là-bas et ne bougera pas.
Il ramena les yeux sur elle, avec une autre inquiétude:
—Ecoutez, fit-il, contrarié, c'est de la folie!... Vous êtes une enfant...
Quel âge avez-vous?
Cady posa la main sur sa main à lui, désignant un banc à l'abri des
grandes fougères arborescentes, qui dressaient leur dentelle d'un
vert intense dans l'air humide et tiède, au milieu de la paix
extraordinaire de ce lieu clos, à la lumière tamisée d'aquarium.
—Venez là un instant, dit-elle à voix basse, câline. Vous pouvez bien
perdre cinq minutes à causer avec moi, quand même je ne serais
qu'un baby...
Avec une singulière angoisse, elle sentait qu'elle perdait l'influence
fugitivement acquise sur cet inconnu, et elle voulait impérieusement
le reconquérir, passionnée à ce jeu de félin qui est l'essence même
de la femme... Du moins de celle élevée comme la fille de Mme
Darquet.
Il céda avec un malaise. Cette étrange petite créature l'attirait
invinciblement; et, néanmoins, son âme simple de snob pas du tout
pervers lui suggérait des révoltes.
—Mon garçon, tu t'embarques dans une aventure idiote, pensait-il,
perplexe, et pourtant docile aux vouloirs mystérieux de la femme-
enfant qui s'emparait de lui.
Assise, gardant la main du jeune homme dans la sienne comme pour
l'empêcher de fuir, Cady l'interrogeait, ses yeux le scrutant
profondément.
—Qu'est-ce que vous êtes?... Officier, je parie?...
Il acquiesça.
—En effet... Et vous?
Elle repartit, gouailleuse:
—Dame, il y a des chances pour que je ne sois pas militaire, moi!...
Il sourit.
—Vos parents?...
Elle mentit effrontément:
—Je suis la fille de Mme X...
Elle nomma une personnalité parisienne très connue: théâtreuse et
demi-mondaine.
Le jeune homme la regarda avec étonnement:
—Comment, elle a une fille?... Et de votre âge?... C'est impossible!...
Cady comprit qu'il n'était pas assez informé pour qu'elle ne pût
risquer le petit roman soudain surgi dans sa cervelle.
—Probable, qu'elle a une fille, puisque je vous dis que c'est moi!...
Elle ne me sort qu'auprès des intimes, naturellement... Je ne la
rajeunis pas... bien que je ne paraisse guère mon âge... Dix-sept
ans, la prochaine fois...
Il hocha la tête, acceptant la fable. Après tout, bien que fluette,
cette enfant avait des yeux et des allures de jeune fille—sinon de
femme!...
L'idée de son état social l'enhardit.
Il retira sa main prisonnière des doigts de Cady, et se mit en devoir
d'allumer sa cigarette.
—Ah! ah! vous êtes Mlle X...
Cady, choquée de cette désinvolture, fit tomber allumette et
cigarette, d'une chiquenaude adroitement appliquée.
—On ne fume pas ici, monsieur Maurice!... Et puis, ce n'est pas poli,
vous savez!...
Il s'inclina avec un respect ironique:
—Toutes mes excuses, mademoiselle Charlotte... Je ne vous aurais
pas cru si susceptible!...
Elle rougit, dépitée par le ton goguenard de son interlocuteur.
—Brute, imbécile, lourdaud! pensa-t-elle rageusement... Attends, je
vais te faire marcher!...
Et, possédée du besoin de se venger en excitant chez son partenaire
des désirs qui devaient être frustrés, elle velouta son regard et sa
voix, comédienne accomplie, se rapprochant du jeune homme d'un
mouvement onduleux.
—Pourquoi nous avez-vous suivies?
Il répondit, sincère, étudiant d'yeux soudain troublés la grâce
inexprimable de cette petite fille, de qui semblaient émaner des
effluves passionnels:
—Ma foi, je serais bien embarrassé de le dire!...
—Quelle blague!... C'est mon institutrice qui vous intéresse?
Il fit un geste de protestation:
—Je n'ai même pas vu sa figure!...
—Alors c'est moi?
Il se pencha:
—Vous savez parfaitement qu' oui.
Elle se recula.
—Naturellement... Mais, alors, pourquoi prétendiez-vous que vous ne
saviez pas dans quel but vous nous accompagniez?
—Parce que c'est vrai... Votre visage m'a intrigué et m'a plu... Je suis
venu sans réfléchir pourquoi... Et, en réalité, c'est idiot. J'ai une
affaire urgente, avenue de la Grande-Armée... rendez-vous chez
Hurtu, pour essayer une auto...
Et, pris d'une idée subite:
—Tenez, je vous emmène... Oh! avec votre gouvernante cela va sans
dire!... Nous boufferons quelques kilomètres et je vous mettrai chez
vous... Ou, mieux, nous dînerons ensemble à Saint-Germain ou autre
part... Cela va?...
Il pensait:
—Fille d'une grue, déjà demi-grue, cela ira tout seul, et elle est
vraiment excitante, cette enfant...
Il ne lui déplaisait pas, en outre, de devenir le «gendre» de la
célèbre X...
Cady suivait presque nettement ses pensées, moitié irritée, moitié
voluptueusement remuée.
Elle secoua la tête:
—Pas possible.
—Non?
—Non.
—C'est dommage.
D'un coup d'œil rapide, il explora la serre vide, tout au moins à
proximité, et, se courbant, il entoura la taille de la jeune fille de son
bras. Ses lèvres cherchaient les lèvres de Cady, qui se déroba, le
cœur battant avec violence sous cette étreinte vigoureuse de mâle
dont les sens s'échauffaient.
Il l'abandonna, vexé.
—Pourquoi faites-vous la farouche?
Elle répondit, un peu haletante:
—On ne s'embrasse pas en public.
Elle regrettait de n'avoir pas senti la caresse chaude de ces lèvres
frémissantes; et, cependant, elle éprouvait un plaisir aigu et meilleur
encore à aguicher l'homme et à le décevoir.
—Il n'y a pas de public, répondit-il
—Il peut y en avoir.
Il réfléchit, la regarda sournoisement, quasi menaçant, et se leva:
—Venez.
—Où?
—Vous verrez.
—Non... dites?...
—Eh bien, je ne sais pas, moi... Dans quelque restaurant du Bois... A
cette heure-ci, nous serons tranquilles.
Cady éclata de rire.
—Vous êtes toqué!... Et mon institutrice?
—Elle m'a l'air passablement complaisante, hein?...
—Du tout!... Elle est convaincue que je fais manger les perruches.
—Quelles perruches?
—Celles du bâtiment là-bas.
—Et vous ne pouvez pas la semer pendant une heure ou deux?
—Certes non.
Une lueur de contrariété durcit les traits du jeune homme.
—Ce soir, alors?
—Quoi?
—Vous ne devez pas être très surveillée. Venez me rejoindre...
Cady sourit énigmatiquement.
—Peut-être pourrais-je... Mais pourquoi viendrais-je?...
Il sourit d'un air fat:
—Vous devez le savoir!... Car, enfin, si je vous ai suivie, c'est que
vous m'y avez invité... Vous ne direz pas le contraire?...
—Non, je ne mens pas, moi... Je vous ai trouvé gentil, et j'ai désiré
vous voir encore et vous parler.
—Très bien. Alors, nous nous entendrons... Donc, voici ce que nous
allons faire? Vous continuez votre promenade; je vais essayer mon
auto, et, à huit heures tapant, on se retrouve au bureau d'omnibus
de la Madeleine... Je vous conduirai dîner dans un petit restaurant
discret, rue Caumartin... Car je suppose qu'il ne faudrait pas se
risquer chez Durand ou Larue?...
—Pourquoi?
—Vous pourriez y faire des rencontres qui vous embêteraient... Des
amis de votre mère, hein?...
—C'est vrai.
—Pour moi aussi, d'ailleurs, ce ne serait pas sans danger... Cela va?
Elle le regarda dans les yeux:
—Vous devez être très rosse?
—Moi?... Pas du tout, je suis un excellent garçon.
Elle secoua la tête:
—Depuis que nous causons, vous ne m'avez pas dit une chose
gentille, ni même aimable.
Il parut embarrassé.
—Ecoutez!... Je ne suis pas à mon aise... Vous êtes une drôle de
petite bonne femme, vous savez!... Mais vous verrez, quand nous
serons bien chez nous... Je suis très tendre avec les femmes, et,
auprès de vous, je sens que je serai épatant...
—Je vous plais?
Les yeux du jeune homme flambèrent, puis se noyèrent dans une
volupté brève et intense. Ses lèvres se crispèrent.
—Oui, beaucoup, fit-il bas, la voix changée...
Puis il lui serra la main avec une hâte.
—Séparons-nous, cela vaut mieux... vous me bouleversez, ma
petite... A ce soir, c'est entendu?
—Oui.
—Pas de lapin, surtout?
—Non.
—Au bureau de la Madeleine.
Elle inclina la tête:
—C'est dit.
Il se pencha brusquement, effleura le visage de la jeune fille de ses
lèvres brûlantes et se détourna avec un halètement.
—A ce soir.
Et il s'éloigna.
Cady le suivit du regard, et renversa sa tête en arrière, un rire muet
d'ironie joyeuse illuminant sa physionomie:
—Ce qu'il est gourde! murmura-t-elle.
Et, avec des sauts de chèvre, elle regagna la palmeraie.
—Comme vous avez tardé, Cady, remarqua Mlle Armande.
La fillette prit un air innocent:
—Ces perroquets sont des amours!... Il y avait surtout un petit ara
huppé, l'air content de lui!...
Elle s'étouffa dans un éclat de rire.
Mlle Armande se levait.
—Où allons-nous, à présent?
—Voir les sauvages, pardi!...
XVII
Au milieu de la foule grouillante des badauds qui se pressaient dans
la vaste enceinte où s'élevaient les petites cases de plâtre et de
roseaux, les nègres, vêtus d'oripeaux, passaient, affairés ou
nonchalants, de l'allure souple, déhanchée et balancée de grands
félins qui est le propre des races noires.
Réunis sous le nom unique d'une peuplade saharienne, ces individus
ramassés un peu partout sur la terre de feu offraient des types fort
différents: quelques-uns simiesques et hideux; beaucoup d'autres
dressant, au contraire, de superbes statues de bronze, aux formes
parfaites, aux traits d'une esthétique spéciale, mais qui ne manquait
ni de charme ni de beauté.
Cady adorait l'exotisme; moins pour son pittoresque et son imprévu
que par une raison obscure de mystérieuse volupté émanant des
races primitives et ardentes—quasi bestiales—qui grisait son
imagination et faisait tressaillir les fibres profondes de son petit être
surexcité par son milieu, sa vie, ses pensées, et qui vibrait sans
trêve, sans choix, à toutes les ondes passionnelles rencontrées sur
son chemin.
Et quelque chose d'indicible créait immédiatement entre elle et
n'importe quelle peau noire une communion sympathique, une
confraternité tendre, mêlée d'admiration réciproque.
Très sincèrement, Cady n'hésitait pas à placer sur la même ligne le
Parisien le plus cultivé et tel ignorant Sénégalien; car elle avait le
don de pénétrer jusqu'à l'âme des plus inconnus, et le tréfonds de
cette âme mise à nu pour ses yeux clairvoyants lui apparaissait bien
peu différente chez le barbare et chez le civilisé.
Au centre de la piste s'étendait un bassin environné de simili-rocher,
d'une blancheur éblouissante sous le soleil déjà très vif. Pendant
l'été, il servirait aux ébats des négrillons plongeurs; mais, à cette
époque, seul un vieillard noueux, couleur d'ébène, les yeux et les
dents semblant faits du même émail, y évoluait, réclamant des sous
pour ses prouesses nautiques.
Accroupi au fond d'une sorte de batelet rond en peau de bœuf
cousue, armé de deux palettes en bois, il donnait la course aux
canards et aux oies qui, malgré leur fuite à tire-d'aile, étaient bientôt
rejoints et cueillis par le cou, les longs bras du nègre s'allongeant
comme des tentacules vers leur proie.
Cady, enfiévrée, ravie, galopait à travers le village, jetant les sous à
poignée aux enfants et aux négresses, ardente à recueillir les naïfs
témoignages d'admiration qu'elle provoquait chez les mâles adultes.
Enfin, un indigène la captiva plus particulièrement.
Assis, solitaire, dans une case ouverte, il travaillait avec indolence,
mais sans distraction, à des bijoux frustes, bien que d'un art
vraiment original. Il les fabriquait à l'aide de procédés on ne peut
plus primitifs et d'outils grossiers dont il se servait à la fois avec les
mains et ses orteils agiles.
Auprès de lui, dans un trou creusé à même le sol, brûlait un feu où
mijotait on ne sait quelle préparation au fond d'une minuscule
marmite. Il en activait parfois la combustion en manœuvrant un
soufflet de cuir encore revêtu de poils de vache.
Deux pinces, un marteau, une lime, une enclume faite d'un bloc de
fer informe, c'était tout ce dont disposait l'ouvrier bijoutier qui
tordait de l'argent ou du cuivre, sertissait des pierres de couleur et
formait des bracelets, des agrafes, des bagues, des coffrets tout à
fait dignes de l'intérêt d'un artiste.
Demi-accroupi, demi-allongé, il paraissait très grand, d'une maigreur
élégante, les mains fines et délicates. Une chemise de laine grise
trouée, serrée à la ceinture par une écharpe rose prodigieusement
sale, laissait voir le bronze fauve du torse, des bras et des jambes
nus. Une mousseline verte enroulée autour de son front ombrageait
un superbe visage jeune, fier, de coupe anguleuse, à l'expression
dédaigneuse, sournoise et tendre.
Indifférent—plutôt méprisant—du public qui se pressait autour de lui,
il relevait rarement ses paupières qui voilaient d'admirables yeux
sombres. Impassible et lent, il poursuivait sa besogne minutieuse,
comme perdu en des pensées lointaines ou enseveli dans un étrange
néant.
Cady s'était faufilée au premier rang et étudiait, absorbée, le bel
Arabe.
De longues minutes s'écoulèrent; le public se renouvela dix fois
autour de la forge du joaillier, puis devint plus rare: ce nègre
silencieux et dédaigneux ne retenait pas la foule.
Cady demeura presque seule, debout, figée en sa contemplation.
Soudain, comme s'il eût été obscurément averti de cette présence, il
leva la tête, et ses yeux de ténèbres enveloppèrent d'un regard
rapide la silhouette de la jeune fille. Il ne dit mot, rabaissa ses
paupières et se remit à travailler.
Cependant, à plusieurs reprises son regard se releva, s'attacha de
plus en plus longuement au visage, aux yeux de Cady, droite,
silencieuse comme lui et suivant patiemment son travail.
C'était un bracelet composé de deux tors d'argent, terminé aux
extrémités par des boules grossièrement modelées que l'ouvrier
criblait de pierres de couleur en relief, serties en un filigrane délicat.
Subitement il se redressa et fit signe à Cady d'approcher.
—Viens, dit-il d'une voix gutturale. Achète.
Et, étendant le bras, il saisit la jeune fille au poignet, l'attira et lui
glissa le bijou encore chaud de son contact à lui.
Elle rit, montrant ses dents, une lueur caressante en ses yeux. Et
elle secoua la tête.
—Non, non, je ne peux pas... Je n'ai pas d'argent.
Elle mentait, pour amener l'homme au cadeau qui lui affirmerait la
réalité de l'impression qu'elle faisait sur lui.
Il reprit le bijou qu'elle lui rendait, un désappointement répandu sur
ses traits à la fois virils et candides.
—Pas d'argent?... Mais si, toi riche.
Ses yeux inspectaient la toilette de la jeune fille. Elle affirma de
nouveau:
—Non, je n'ai plus un sou.
Il lui tendit le bracelet avec entêtement.
—Toi prendre... demain apporter de l'argent.
Elle rit.
—Demain non plus, je n'aurai pas d'argent!
—Après, plus tard... n'importe, j'attendrai.
Cady se laissa choir sur le sol, assise comme lui, les jambes
ramenées sous elle.
—Non, dit-elle sérieusement, je suis pauvre et je ne peux pas
acheter ton bijou.
Il l'étudia avec attention et proféra, l'accent monotone et naïf, tandis
que ses yeux intelligents scrutaient profondément la jeune fille:
—Ton mari donnera l'argent.
Elle riait.
—Je n'ai pas de mari.
—Ton papa?
—Non, non, mon papa n'est pas généreux!
Il reprit le bracelet, le frotta, fit briller l'argent et les pierres, et le
tendit encore.
—Joli! fit-il admirativement.
Cady affecta un air pensif et chagrin.
—Certainement, il est très joli et je l'aimerais bien, mais je ne peux
pas l'acheter.
Il argua:
—Pas cher, vingt francs... A Biskra, je vends plus cher.
—Tu es de Biskra?
—Non, Ouargla... mais je travaille à Biskra.
Et, quelque chose lui paraissant défectueux dans le bijou, il prit une
énorme tenaille, une lime cassée et retailla, rogna avec soin.
Quand il eut fini, ses yeux s'attardant sur Cady immobile et
attentive, il posa le bracelet sur ses genoux.
—Prends, dit-il laconiquement.
Et appelant un badaud qui passait, il lui demanda impérieusement:
—Cigarette!
L'autre ayant donné l'objet en riant, l'Arabe ne le remercia même
pas, alluma la cigarette au feu de la forge et se mit à fumer en
silence, son regard insistant ne quittant pas Cady.
Les paupières baissées, un sourire de triomphe courant sur ses
lèvres frémissantes, elle prononça bas:
—Tu me donnes le bracelet?
Il ne répondit pas, immobile, absorbé, une volupté sauvage
répandue sur ses traits.
Ils restèrent ainsi face à face, sans parler, jusqu'à ce que la cigarette
fût consumée. Alors, d'un geste souple, Cady se leva, tenant le
bracelet du bout de ses doigts.
—Tu me le donnes? répéta-telle câlinement.
Il se traîna près d'elle, toujours accroupi, prit le bijou et le passa au
poignet de la fillette, autour duquel il dansait.
—Attends.
Il saisit une pince et imprima adroitement une torsion qui rapetissa
le cercle.
De ses deux mains agiles, il fit monter et descendre le bracelet, ses
doigts caressant l'épiderme velouté du bras de Cady.
Enfin, souriant, en découvrant ses belles dents blanches, il releva les
yeux:
—Toi, jolie. Toi, jamais quitter cela, même pour la mort... Toi,
souvenir de moi.
Cady inclina la tête avec une reconnaissance sincère et attendrie.
—Je te remercie.
Il insista:
—Toi, jamais donner, jamais vendre bijou, hein?... Toujours porter?
—Je te le promets, affirma-t-elle avec gravité, ses doigts menus
caressant le bracelet.
Il se recula et ranima le feu qui s'éteignait.
—Tu viendras encore me voir?
—Oui, promit-elle.
—Toi, Parisienne?
—Oui.
Il soupira.
—Je voudrais voir Paris... Ici, pas moyen sortir, jamais.
Comme Cady allait s'éloigner, il lui tendit la main.
—Toi partir?
—Oui.
—Adieu. Je t'attends demain.
Cady fit un geste espiègle.
—C'est cela, attends-moi!
Il ne se méprit pas à son accent et sourit avec tristesse.
—Toi, méchante... toi, pas revenir.
Et, avisant une épingle tombée des cheveux de Cady, il la ramassa et
la lui tendit.
—Tiens
Une idée de gamine surgit en l'esprit de la fillette.
—Regarde! s'écria-t-elle.
Et s'agenouillant devant le feu, elle posa l'extrémité de l'épingle en
celluloïd sur la braise.
Une flamme jaillit en fusant, accompagnée d'une fumée blanche.
—Oh! s'exclama l'Arabe surpris.
Cady souffla sur l'épingle et la lui tendit.
—Amuse-toi!...
De nouveau, comme un enfant, il enflamma l'objet, l'éteignit, le fit
encore brûler avec des exclamations de plaisir et d'étonnement;
tandis que, de tous côtés, des nègres accouraient en piaillant et en
se bousculant.
Cady s'esquiva et rejoignit Mlle Armande.
—Vite, filons, s'écria-t-elle. Nous allons prendre le thé quelque part,
je meurs de faim!
Mlle Lavernière avisa le bracelet.
—Où avez-vous pris cela?
Cady répondit, innocente:
—Je l'ai acheté, quarante sous. Et comme je voudrais le porter, vous
seriez bien gentille de dire à maman que vous me l'avez donné,
pas?... Ce sera une vieillerie que vous aurez retrouvée dans vos
affaires...
XVIII
La représentation du cirque de la place Blanche touchait à sa fin. Les
derniers artistes se retirèrent et le public commença à se déplacer
tumultueusement pour la séance de cinématographe qui terminait le
spectacle.
Cady se leva, agacée.
—Filons! pas de cinéma, c'est rasant!
Elle adorait le cirque, surtout celui-ci, dont la clientèle du soir,
nullement enfantine, pure crème de Montmartre, l'enveloppait d'une
atmosphère malsaine qui agissait violemment sur ses nerfs
inconsciemment friands de sensations troubles.
Elle jouissait de cette ambiance avec l'âme raffinée d'une enfant
parisienne qui s'assimilait avidement—comme une matière poreuse
absorbe le liquide—tout ce qui flottait de vice, s'exhalant des galeries
bourrées d'ouvriers équivoques et de souteneurs avérés, des
fauteuils où se coudoyaient les petites bourgeoises frissonnantes, les
filles en quête et cette quantité d'hommes de la classe moyenne,
provinciaux et étrangers pour la plupart, qui, chaque soir, s'élancent
brutalement, aveuglément vers le plaisir.
Elle jouissait également—et, cette fois, avec l'âme pareille à celle des
foules romaines—des exhibitions de chair, de force musculaire et
d'adresse physique que le cirque lui offrait, reflet un peu pâli, bien
que néanmoins assez fidèle au XXe siècle des jeux athlétiques des
temps antiques, au moins quant aux émotions charnelles
déterminées chez les spectateurs.
Ses yeux suivaient avec une profonde émotion, où l'art et la
sensualité se confondaient intimement, les formes masculines et
féminines dont l'acrobatie avait accentué les beautés esthétiques
sans les exagérer. Et, chaque effort, chaque prodige d'équilibre, de
souplesse, de sang-froid dans cet art presque constamment
périlleux, faisait courir sous son épiderme un sang plus chaud et plus
rapide.
Une sensation de volupté obscure, indicible, l'emplissait, débordait
en elle, noircissait ses yeux, crispait ses traits, alanguissait et
fouettait en même temps sa chair tout entière.
Sur la place Blanche, dans la nuit de laquelle se croisaient les feux
de l'illumination des cafés, le lent tournoiement hallucinant du
Moulin flamboyant, le va-et-vient incessant des lanternes des
voitures et des autos, Mlle Armande, suprêmement dépaysée et
ahurie, implora:
—Nous rentrons, n'est-ce pas, Cady?
Elle était lasse; un besoin provincial de sommeil piquait ses
paupières.
Mais la fillette, les yeux enfiévrés, secoua la tête.
—Pas encore!... Il faut souper, j'ai très faim.
Elles n'avaient pas dîné, l'estomac mal rempli par du thé, des
sandwiches et des gâteaux.
Mlle Armande s'effara.
—Souper?... Où cela? Pas ici, toujours...
Elle examinait avec terreur les restaurants débordant de monde,
l'avalanche des filles audacieuses, aux allures banalement
provocantes, aux toilettes raccrocheuses et minables, qui entraient
et sortaient, fébriles ou veules, toutes en chasse. La place, les
boulevards, les cafés, les rues avoisinantes semblaient appartenir à
leurs bottines avachies, à leurs dessous fripés de voyante et fausse
élégance qui balayaient la poussière et les crachats de l'asphalte.
Cady jeta un regard d'envie sur les entresols clos et éclairés où une
clientèle plus choisie s'enfermait.
—Non, malheureusement, ce n'est pas possible... Il faudrait un
homme avec nous. Mais on ira à une brasserie que je connais.
—Oh! Cady, une brasserie!
—Puisque je vous dis qu'il n'y a aucun danger!... Ici, oui, on pourrait
tomber sur papa ou des amis, mais pas là-bas.
Sans écouter les supplications de Mlle Lavernière, elle héla un fiacre
et y sauta en jetant:
—Faubourg Saint-Denis, au Faisan doré!
Basse d'étage, à la fois sombre et étincelante, grâce à ses boiseries
foncées et aux glaces renvoyant les lumières à l'infini, la brasserie
s'enfonçait en un long boyau étroit, garnie de banquettes de cuir, de
tables de chêne, comble de consommateurs: commerçants,
représentants, commis-voyageurs de toutes contrées. On jouait
partout, aux cartes, aux dames, au jaquet: manilles bruyantes,
piquets absorbés, jeux étrangers dont les partenaires s'interpellaient
en italien, en allemand, en anglais. Beaucoup de femmes: petits
collages en compagnie de leurs amants, demi-veuves
momentanément séparées de leurs époux intermittents. Vertus qui
s'indignent d'une proposition pour une nuit unique, qui exigent avec
rigueur le nom, l'identité du personnage dont elles accepteront
volontiers l'intimité durant les huit ou quinze jours qu'il passe à Paris,
expliquant leur solitude par le départ de leur «ami» pour ses foyers.
Familiers, bavards, polyglottes et maladroits, les garçons circulaient,
la main aux épaules des clients, transportant les «demis», les
assiettes de choucroute, les craquelins, les œufs durs, causant
volontiers et essuyant indifféremment les tables, les tasses et les
verres avec le même coin de leur tablier.
Et, au-dessus des conversations, des rires, des courses des serveurs,
des récriminations des joueurs mécontents, s'épandait la musique
impérieuse et assourdissante d'un orchestre en smoking écarlate qui
tapait et raclait à tour de bras des cake-walks, des marches, des
refrains de music-halls et même d'impitoyables fragments
wagnériens.
Bondissante et légère, Cady entraînant Mlle Armande dans son
sillage, gagna un coin de table libre près de l'orchestre, et tout en
échangeant des sourires avec les musiciens, elle se laissa tomber sur
le cuir du divan.
—Ah! on est bien ici! s'écria-t-elle en respirant avec délices l'air
lourd, saturé de tabac, d'émanations de bière, de café, de liqueurs,
que des ventilateurs suspendus au plafond brassaient furieusement.
Mlle Armande se récria bas, révoltée par l'attention de l'orchestre:
—Pourquoi ces hommes vous sourient-ils? Est-ce que vous les
connaissez?
—Bien sûr, répondit Cady avec calme. Ce sont les musiciens du thé
Duphot. Seulement, là-bas, on est correct, on ne se dit pas
bonjour... Ici, ça n'a pas d'importance.
Justement le morceau finissait; les smokings rouges se
disséminaient dans la salle, invités de-ci de-là, sauf la contrebasse,
un vieil homme grognon, qui occupait ses loisirs à se battre
sournoisement avec le caniche obèse et galeux de l'établissement.
Le pianiste, un Milanais blond, mince, élégant, la mine obséquieuse
et impertinente, les doigts noueux et malpropres, s'approcha en
souriant de la table de Cady.
—C'est gentil de venir nous voir ici, dit-il d'une voix caressante, où
se mélangeaient curieusement l'accent italien et celui de
Montmartre.
Malgré les protestations mimées de l'institutrice, Cady poussa vers le
jeune homme un bock que le garçon venait d'apporter avec du thé,
des œufs durs et du jambon.
—C'est pour vous.
Il sourit, salua et s'assit prestement.
—Merci.
Puis, ayant bu, les yeux attachés sur la jeune fille avec une
expression de caresse audacieuse, il demanda:
—Vous allez jouer avec nous ce soir?
Cady lança un regard de côté à son mentor.
—Peut-être.
Il atteignit un feuillet de musique.
—Nous avons une nouveauté très bath...
Cady s'empara du papier, qu'elle parcourut.
—Ça paraît joli.
Et, déjà rendue au piano, elle déchiffrait d'un doigt, en sourdine, la
musiquette napolitaine, canaille et langoureuse, d'une volupté
saisissante.
Mlle Armande se dressa, pâlissante.
—Cady, vous êtes folle!... Revenez à votre place!
Le pianiste la saisit au poignet et la fit rasseoir.
—Bah! laissez-la donc, elle s'amuse, cette petite.
—Mais, je ne veux pas! Il ne faut pas qu'elle s'affiche ainsi! balbutia
l'institutrice avec angoisse. C'est une jeune fille du monde,
monsieur!...
Le Milanais sourit.
—N'ayez crainte, on n'est pas des mufles...
Les musiciens revenaient, attirés par la présence de Cady, et
reprenaient gaiement leurs places. Le premier violon, familièrement
penché sur l'épaule de la fillette, jargonnait des paroles que Mlle
Armande n'entendait pas.
Les consommateurs, intrigués par la nouvelle pianiste, tournaient la
tête; les parties de cartes s'arrêtaient.
La ritournelle éclata, précédant la voix chaude et juste, d'une
vulgarité exotique du Milanais.
Mlle Armande suivait, stupéfaite, le jeu assuré de Cady, l'agilité de
ses doigts, le rythme endiablé, la volupté innée de son exécution.
Ignorant l'art musical, elle n'assistait point aux leçons de piano et ne
soupçonnait pas le talent précoce de cette écolière, si rétive et si
paresseuse pour tout le reste de son éducation.
A la fin du morceau, les applaudissements crépitèrent, furieux et
enthousiastes. Cady se leva, souriante, salua imperceptiblement et
s'échappa du cercle complimenteur de l'orchestre pour venir se jeter
aux côtés de Mlle Armande, la poitrine palpitante, les yeux brillants
de fièvre.
—Oh! Cady, quelle folie! Je vous en prie, allons-nous-en, supplia
l'institutrice.
La fillette attira le jambon.
—Attendez que j'aie mangé.
Cependant, elle ne pouvait avaler, la gorge contractée.
Un gros homme blond s'était levé d'une table, et, après un peu
d'hésitation, il s'adressa au pianiste avec un fort accent germanique:
—La demoiselle... Est-ce qu'on peut lui causer?
Mlle Armande gémit:
—Vous voyez!...
Cady jeta un regard autour d'elle; un sourire de triomphe et
d'enivrement monta à ses lèvres en apercevant la meute des
hommes qui la guettaient, le visage diversement convulsé par la
grimace du désir brusque et irrésistible.
—Oui, faut calter, murmura-t-elle avec satisfaction. Payez,
mademoiselle.
Pendant que Mlle Lavernière cherchait de la monnaie, d'une main
hâtive et maladroite, le musicien répondait sèchement à la demande
indiscrète qui lui était posée:
—Non, monsieur, cette demoiselle est ma sœur... et on ne lui cause
pas...
—Ah!... fit l'autre surpris.
Cady se levait, jetait un sourire aux musiciens, et poussait son
institutrice vers la porte, en la pinçant cruellement au gras du bras
et des hanches.
—Au trot!
A la porte, elle arrêta un fiacre:
—Sept bis, rue Pierre-Charron!...
Affalée sur les coussins Mlle Lavernière soupira:
—Enfin, nous rentrons!... Oh! Cady, quelle épouvantable soirée vous
m'avez fait passer!...
L'autre haussa les épaules.
—Qu'est-ce qui vous tourmente?... et quel mal ai-je fait?
L'institutrice eut un élan inattendu de sensibilité.
—Je vous jure, Cady, que je vous plains!... Je comprends que c'est la
faute de votre milieu, de votre éducation, la négligence de votre
mère, qui en sont la cause, mais vous n'êtes pas ce qu'une jeune
fille de votre âge devrait être!... Tout ce que vous dites, tout ce que
vous faites est étrange, malsain... C'est vrai, l'on ne peut pas dire
que vous faites le mal, mais c'est pis... Auprès de vous, il semble
que l'on avance dans du pourri... Je voudrais, oui, je vous assure
que je voudrais de tout mon cœur vous réformer, vous arracher à
cette pente... Mais je ne sais comment m'y prendre.
Surprise par cet accent sincère, Cady sentit brusquement sa griserie
tomber. Elle baissa la tête, pensive,
—Je ne sais pas ce que vous voulez dire, murmura-t-elle.
Le bras de l'institutrice l'enlaça affectueusement.
—Si, vous me comprenez parfaitement, et si vous vouliez m'écouter,
vous redeviendriez bien vite une jeune fille comme il faudrait.
Le corps souple de Cady s'abandonna un instant à cette étreinte.
Puis, la fillette se redressa soudain, avec un éclat de rire aigu.
A ce geste, ce renversement au fond de la voiture, un brusque
rappel lui était venu d'une autre voiture, d'un autre enlacement, du
bras de Cyprien Darquet essayant de rejoindre la taille, les hanches
de Mlle Armande, hypocrite et consentante...
—Ah! ah! jeta-t-elle d'un ton de rancune et de raillerie amère. Pour
prêcher la morale, il faudrait un autre oiseau que vous,
mademoiselle Armande!... l'amie des gros vieux messieurs comme
papa!...
Mlle Lavernière bégaya, frappée de honte:
—Oh! Cady, pouvez-vous dire!...
Le reste du trajet s'acheva dans un silence absolu.
Devant la loge du concierge, sous le porche obscur, Cady cria,
déguisant sa voix, d'un accent enroué:
—Service Darquet!
Et elle gagna le petit escalier desservant les cuisines et le sixième,
faiblement éclairé par du gaz en veilleuse qui brûlait toute la nuit
pour les rentrées tardives des domestiques.
Sur le palier, elle recula devant un petit corps blotti devant la porte.
Mlle Armande tremblait de peur.
—Un homme!
Cady jeta, énervée:
—Hé non! un gosse, tout au plus!...
Puis, penchée, elle eut un cri de surprise et de tendresse angoissée:
—Georges! mon petit Georges!
L'enfant, réveillé, se releva.
—Enfin, Cady, te voilà!
Elle le saisit, ouvrit la porte et le poussa dans l'appartement.
—Que fais-tu là? Qu'est-il arrivé? questionna-t-elle avec inquiétude.
Ils pénétraient dans la chambre de Cady, suivis par Mlle Armande,
qui renonçait à s'étonner.
Le petit gémit plaintivement, des larmes jaillissant de ses beaux
yeux bleus, des sanglots entrecoupant sa voix au ressouvenir des
chagrins récents.
—Oh! Cady!... Ce matin, ils n'ont pas voulu m'emmener, je suis resté
tout seul. Paulette m'a enfermé dans le cabinet de toilette de
maman et elle est partie aussi... Alors, j'ai pleuré, j'ai crié, j'ai tout
cassé sur la toilette... et puis, j'ai brisé la vitre de la porte, et j'ai pu
ouvrir... Je suis venu t'appeler, mais tu étais partie... J'ai bu une
bouteille de champagne et j'ai dormi dans le lit de maman, qui
n'était pas fait. Quand je me suis réveillé, il faisait noir et j'ai eu
peur... J'ai essayé encore de t'appeler et je suis venu à la porte de
service... les domestiques s'en allaient... Maria m'a dit que tu étais
en bombe... Alors, j'ai fait semblant de rentrer, et, quand il n'y a plus
eu personne, je suis revenu sur le palier pour que tu me trouves en
rentrant... J'ai eu froid et j'étais bien mal... Méchante Cady!...
Les bras autour de l'enfant, le berçant avec un attendrissement
maternel, Cady murmura:
—C'est toi, méchant... qui m'as envoyée dinguer ce matin...
Il pleurait, de grosses larmes luisant sur le satin de ses joues.
—Ce n'est pas vrai!... Et puis après, j'ai eu tant de chagrin!...
La voix inquiète de Mlle Armande s'éleva.
—Voyons, mon petit, vous ne pouvez pas rester ici, il faut rentrer
chez vous.
Il sanglota plus fort.
—Je suis tout seul, j'ai peur!
Cady décida avec fermeté:
—Il ne s'en ira pas... Il couchera ici.
—Par exemple! protesta Mlle Lavernière. Et où cela, s'il vous plaît?
Cady fit un geste impératif.
—Prenez mon lit, mademoiselle, nous deux, nous dormirons dans le
vôtre, il est assez grand.
Mlle Lavernière s'affala sur une chaise.
—Il ne manquait plus que cela!... Vous allez coucher avec ce petit
garçon?
Cady haussa les épaules, narquoise.
—Probable! Ce n'est pas la première fois que ça nous arrive.
—Mais...
—Oh! ne nous rasez pas!... parce que, ce que vous dites ou rien!...
Georges, ravi, se pelotonnait contre son amie.
—Oui, oui, Cady, garde-moi!... Cady, ma loute chérie, suppliait-il
câlin, les yeux brillants, sa petite bouche gourmande cherchant la
douceur du cou de la fillette qui se penchait complaisamment pour
goûter ses caresses.
XIX
Ce dimanche matin, Cady refusa obstinément de se lever, arguant de
malaises vagues—plausibles, du reste—et manifestant la volonté
inébranlable de demeurer couchée à se dorloter durant toute la
journée.
Mlle Armande piétinait, furieuse.
—Vraiment, Cady, avec vous on ne sait jamais quelle tuile va vous
tomber sur la tête!... Pour une fois où Mme Garnier consent à vous
garder avec vos cousines et à me procurer une journée de liberté, il
faut que vous inventiez un prétexte pour me contrarier!...
—Ce n'est pas ma faute si je suis malade, grogna la fillette, les yeux
clos, frileusement recroquevillée dans sa couchette.
—L'êtes-vous, malade? C'est ce qu'il faudrait savoir, émit l'institutrice
hargneusement. Qui sait si ce n'est pas une malice, uniquement
pour m'être désagréable!...
Cady ouvrit un œil avec prudence, examina Mlle Armande et la jugea
à point pour la proposition qu'elle glissa aussitôt d'une voix douce.
—Mais je n'ai pas du tout envie de vous empêcher de sortir, et...
—En vérité? interrompit Mlle Armande, outrée. Pourtant, si vous
refusez de vous habiller et d'aller chez vos cousines, ne faudra-t-il
pas que je reste ici auprès de vous?
—Pas du tout, répondit la fillette promptement. Allez où vous
voudrez, je n'ai besoin de personne pour me regarder dormir...
D'ailleurs, Maria ne sort pas aujourd'hui; s'il me faut quelque chose,
elle me le donnera.
Le visage de Mlle Armande s'éclaircit. Pourtant, elle crut devoir
protester.
—Je ne puis pas vous quitter... Ou, au moins, il me faut la
permission de votre mère.
Cady leva les épaules.
—Comme ce serait malin de parler de cela à maman!... Vous savez
bien quels chichis cela causerait... On téléphonerait au docteur
Trajan... et ça ferait un fourbi!...
Mlle Armande faiblit.
—Je le sais bien et cela ne me tente pas plus que vous. Mais aussi,
admettez que Mme Darquet vienne par hasard vérifier si nous
sommes sorties et qu'elle vous trouve seule dans votre chambre...
Que dirait-elle?
Cady s'agita avec mécontentement.
—Oh, là, là! Comme c'est probable!... Il est convenu que nous
déjeunons boulevard Latour-Maubourg; vous ne pensez pas qu'elle
s'occupera de nous avant l'heure du dîner!...
Mlle Armande hocha la tête trois ou quatre fois avec indécision, alla à
la fenêtre et, brusquement séduite par le temps clair et le soleil, elle
jeta:
—Eh bien, c'est dit!... Seulement, vous me promettez d'être sage, de
ne pas bouger de votre lit et d'appeler Maria si vous désirez quelque
chose.
Cady cacha son visage sous ses draps pour dissimuler l'éclair joyeux
de ses yeux et le rire involontaire de sa bouche.
—Oui, oui, oh! comme je vais bien dormir! bégaya-t-elle d'une voix
qui sortait étouffée de dessous les couvertures.
Alerte et satisfaite, Mlle Armande mit à peine un quart d'heure à
s'habiller. Et après plusieurs recommandations banales et un baiser
distrait sur le front de Cady, elle sortit, déclarant:
—Je vais vous envoyer Maria; vous lui expliquerez de quoi il
retourne.
Justement, ce jour-là, la femme de chambre était d'une humeur
charmante. Elle entra en coup de vent chez Cady.
—Qu'est-ce que c'est, ma crotte, t'es claquée? questionna-t-elle avec
sollicitude.
Mais aussitôt elle partit d'un éclat de rire.
—Ah! petite bougresse, je vois que vous avez encore fait grimper la
maîtresse d'école!...
Assise sur son lit, les yeux pétillants, échevelée, Cady se livrait à de
petits bonds sur place qui révélaient une prodigieuse souplesse de
reins et une indéniable bonne santé.
Elle se jeta à la renverse sur son oreiller, la voix câline:
—Ma petite Maria, tu vas être bonne et gentille... mignonne comme
une petite caille rôtie, un petit poulet plumé, un petit derrière de
lapin tout blanc!...
La femme de chambre rit aux éclats:
—Quelle sottise allez-vous me demander?
Cady sauta délibérément hors de son lit.
—Oh! c'est bien simple... Y a Georges qui va à la campagne... Emile,
le chauffeur l'emmène dans l'auto avec Paulette... Alors, j'ai promis
d'aller avec eux... Tu me laisseras filer et tu ne diras rien à personne.
—Oh! ce culot!... se récria Maria gaiement. Merci, pour que vous
vous fassiez pincer, et c'est moi qui ramasserais la tatouille!...
Cady se vêtait rapidement.
—C'est ni maman, ni papa qui peuvent le savoir si tu le dis pas...
Pour Mlle Armande, même si elle apprenait... ben quoi! je la
musellerais.
Maria rit de nouveau:
—Oh! ça, vous y avez la main, pour sûr, bellotte!...
—Alors, vous voulez bien?
—Qu'est-ce que je gagnerai pour ma peine?
La fillette se jeta à son cou.
—Une bise!
La femme de chambre l'embrassa.
—Pardi! jolie monnaie de guenon que tu me donnes!
Cady eut un rire aigu.
—Tu aimerais mieux que ce soit Valentin?
Maria branla la tête avec un dédain.
—Oh, Valentin...
—Ben quoi, ça se décolle, vos amours?
Maria se pencha, et mystérieusement:
—Ecoute, tu ne le diras pas... Mais, y a Clément, le nouveau valet du
second qui est joliment parti sur moi... Un gentil garçon... avec un
amour de petite verrue sur la tempe gauche qu'on croquerait!...
Et, prise d'une inspiration subite:
—Ah! chouette!... Justement, il est de garde aussi... Comme il n'y
aura personne, je vas le faire venir dans ta turne!
Cady dissimula une grimace de mécontentement.
—Te gênes pas!
Mais elle n'insista pas, comprenant qu'il fallait payer la complaisance
de Maria.
Une heure plus tard, l'auto de Mlle de Montigny filait à grande allure
sur la route de Maisons-Laffitte, à travers les bois d'aspect hivernal,
mais que venait égayer un radieux rayon de soleil.
Blottis sur le devant de la voiture, à côté du chauffeur, les deux
enfants se serraient l'un contre l'autre, entortillés dans une
couverture de fourrure, ravis, un peu ivres de vitesse, de vent froid
et de bonnes senteurs pénétrantes émanant de la forêt. Seuls, leurs