Test Bank For Economics 2nd Edition by Hubbard Obrien ISBN 013600332X 9780136003328

Download as pdf or txt
Download as pdf or txt
You are on page 1of 36

Test Bank for Economics 2nd Edition by Hubbard Obrien ISBN 013600332X

9780136003328
Full link download:
Test Bank:
https://testbankpack.com/p/test-bank-for-economics-2nd-
edition-by-hubbard-obrien-isbn-013600332x-
9780136003328/
Solution Manual:
https://testbankpack.com/p/solution-manual-for-economics-2nd-edition-by-
hubbard-obrien-isbn-013600332x-9780136003328/
Economics, 2e Updated (Hubbard/O'Brien) - Testbank 2
Chapter 2 Trade-offs, Comparative Advantage, and the Market System

2.1 Production Possibilities Frontiers and Opportunity Costs

1) Scarcity
A) stems from the incompatibility between limited resources and unlimited wants.
B) can be overcome by discovering new resources.
C) can be eliminated by rationing products.
D) is a bigger problem in market economies than in socialist economies.
Answer: A
Diff: 2 Page Ref: 38/38
Topic: Production Possibilities Frontier and Opportunity Costs
Skill: Conceptual
Objective: LO1: Use a production possibilities frontier to analyze opportunity costs and trade-offs
AACSB: Reflective Thinking
Special Feature: None

2) In 2002, BMW made a tactical decision to use a robot to attach the gearbox to the engines of its vehicles
instead of using two workers as it had done previously. The robot method had a higher cost but installed
the gearbox in exactly the right position. In making this decision, BMW A)
faced no trade-offs because the robot method increased efficiency.
B) faced a trade-off between higher cost and lower precision (in installing the gearbox in exactly the
right position).
C) adopted a negative technological change because it replaced workers with robots.
D) eroded some of its competitiveness in the luxury car market because of its increased cost
of production.
Answer: B
Diff: 2 Page Ref: 36/36
Topic: Production Possibilities Frontier and Opportunity Costs
Skill: Analytical
Objective: LO1: Use a production possibilities frontier to analyze opportunity costs and trade-offs
AACSB: Analytic Skills
Special Feature: Chapter Opener: Managers Making Choices at BMW

3) The principle of opportunity cost is that


A) in a market economy, taking advantage of profitable opportunities involves some money cost.
B) the economic cost of using a factor of production is the alternative use of that factor that is given up.
C) taking advantage of investment opportunities involves costs.
D) the cost of production varies depending on the opportunity for technological application.
Answer: B
Diff: 2 Page Ref: 38/38
Topic: Production Possibilities Frontier and Opportunity Costs
Skill: Conceptual
Objective: LO1: Use a production possibilities frontier to analyze opportunity costs and trade-offs
AACSB: Reflective Thinking
Special Feature: None

1
Copyright © 2009 Pearson Education, Inc.
4) The production possibilities frontier shows
A) the various products that can be produced now and in the future.
B) the maximum attainable combinations of two products that may be produced in a particular time
period with available resources.
C) what an equitable distribution of products among citizens would be.
D) what people want firms to produce in a particular time period.
Answer: B
Diff: 2 Page Ref: 38/38
Topic: Production Possibilities Frontier and Opportunity Costs
Skill: Conceptual
Objective: LO1: Use a production possibilities frontier to analyze opportunity costs and trade-offs
AACSB: Reflective Thinking
Special Feature: None

5) The production possibilities frontier model shows that


A) if consumers decide to buy more of a product its price will increase.
B) a market economy is more efficient in producing goods and services than is a centrally
planned economy.
C) economic growth can only be achieved by free market economies.
D) if all resources are fully and efficiently utilized, more of one good can be produced only by
producing less of another good.
Answer: D
Diff: 2 Page Ref: 38/38
Topic: Production Possibilities Frontier and Opportunity Costs
Skill: Conceptual
Objective: LO1: Use a production possibilities frontier to analyze opportunity costs and trade-offs
AACSB: Analytic Skills
Special Feature: None

6) The production possibilities frontier model assumes all of the following except
A) labor, capital, land and natural resources are fixed in quantity.
B) the economy produces only two products.
C) any level of the two products that the economy produces is currently
possible. D) the level of technology is fixed and unchanging.
Answer: C
Diff: 2 Page Ref: 38/38
Topic: Production Possibilities Frontier and Opportunity Costs
Skill: Conceptual
Objective: LO1: Use a production possibilities frontier to analyze opportunity costs and trade-offs
AACSB: Reflective Thinking
Special Feature: None

2
Copyright © 2009 Pearson Education, Inc.
7) The attainable production points on a production possibility curve
are A) the horizontal and vertical intercepts.
B) the points along the production possibilities frontier.
C) the points outside the area enclosed by the production possibilities
frontier. D) the points along and inside the production possibility frontier.
Answer: D
Diff: 2 Page Ref: 38/38
Topic: Production Possibilities Frontier and Opportunity Costs
Skill: Conceptual
Objective: LO1: Use a production possibilities frontier to analyze opportunity costs and trade-offs
AACSB: Reflective Thinking
Special Feature: None

8) The unattainable points in a production possibilities diagram are


A) the points within the production possibilities frontier.
B) the points along the production possibilities frontier.
C) the points of the horizontal and vertical intercepts.
D) the points outside the production possibilities
frontier. Answer: D
Diff: 2 Page Ref: 38/38
Topic: Production Possibilities Frontier and Opportunity Costs
Skill: Conceptual
Objective: LO1: Use a production possibilities frontier to analyze opportunity costs and trade-offs
AACSB: Reflective Thinking
Special Feature: None

3
Copyright © 2009 Pearson Education, Inc.
Another document from Scribd.com that is
random and unrelated content:
persistait encore. Fanny comprit un peu de tout cela, et referma
doucement la porte.
Elle trouva sa sœur à table, solidement installée devant son assiette.
—Te voilà! cria-t-elle. Je croyais que tu n’allais pas «dîner»
aujourd’hui. Si ça a du bon sens, tout ça! Assieds-toi, tiens!
Fanny s’assit, les yeux pleins de questions, mais sans oser se fier à sa
voix. Et elle commença son misérable repas.
Toute la gaîté du monde riait sous la fenêtre ouverte. Une odeur de
boudin grillé venait de la rue. Des enfants débridés de l’école criaient.
On sentait le jardin pâmé de joie sous le soleil. La table, nappée de frais,
était chargée d’un plat savoureux de poule au riz, que l’étrange cuisinière
accommodait au mieux. Berthe remplit l’assiette de sa sœur.
—Mange, j’ai faim.
Le symbole même de leur vie fraternelle parut exprimé. Et le joug
était si bien incrusté dans les faibles épaules, l’obéissance accourait
tellement au-devant de l’ordre, et puis, après tout, un tel parfum montait
du plat pour séduire la bête vorace de l’appétit, que Fanny mangea.
Elles ne parlèrent de rien à table, mais, dès qu’elles furent au jardin
dans l’allée ombragée de noisetiers qui bordait le potager, Fanny
demanda d’une voix tremblante:
—Qu’est-ce qu’il a dit?
Depuis le départ de Silas, la question était entre elles; et ce ne fut
qu’une simple formalité pour l’une de le dire, pour l’autre de l’entendre.
Pourtant, la réponse toute prête ne tomba pas aussitôt. Berthe hésita un
moment avant de parler.
—Il n’a rien dit...
—Rien?
—Rien.
Fanny serra ses mains l’une contre l’autre. Elle sentait qu’elle venait
de perdre une des choses précieuses de sa vie: le silence de son fiancé.
Ce silence qui n’était rien, rien, en effet, pour quelqu’un d’autre, comme
elle aurait su l’interpréter! Et puis l’hostilité de Berthe le dénaturait peut-
être encore... Tant de choses, tant de choses dans la façon dont une tête
se relève ou s’abaisse, dont une main se crispe, et puis les yeux qui
parlent toujours avant qu’on les fasse taire...
—Oh! dit-elle avec angoisse, tu as bien vu ce qu’il pensait!
Berthe se pencha pour enlever un gros escargot qui montait à l’assaut
d’un chou. Et Fanny perdit ainsi la première lecture de ce visage qui
n’aurait pas su, non plus, se fermer tout de suite.
—Il n’a rien dit sur le coup. Il baissait la tête, il avait les yeux en bas,
l’air dur. Enfin, il s’est remis; il a fait: «Je vous remercie, mademoiselle
Bernage, de la confiance que vous me témoignez. Vous avez bien fait de
compter sur moi. Je vous suis tout dévoué.»
Elle savourait, en les répétant, les paroles qui s’adressaient à elle, et
n’en cédait rien à celle qui en était le sujet.
Fanny reprit après un silence:
—Enfin, quand il a su que je... que Félix... mon malheur, il a bien
laissé voir quelque chose?
—Pour sûr qu’il n’avait pas l’air très content. Il est devenu blanc. Et
puis ça lui a passé. Après, il n’a plus fait mine de rien.
Chaque parole perfide entrait dans l’âme à vif.
Elle demanda encore:
—Et qu’est-ce qu’il va faire?
Berthe dit vivement:
—Pour Félix? Il a dit: «Ne vous tourmentez pas. Vous me demandez
conseil? Partez pour la ferme que vous avez du côté de Villebonne.»
—«A la Hêtraye? que je lui ai fait.»—«Oui, qu’il m’a dit. Vous y avez
gardé un pied-à-terre, eh bien, allez-y tout de suite. Je me charge du
gars.»
Elle s’arrêta net comme quelqu’un qui a encore quelque chose à dire
et qui le retient. Et, à regret, elle ajouta:
—Et il a dit: «Mais il faut que je sache ce que votre sœur veut faire
vis-à-vis de lui.»
—Il a dit ça, il a dit ça?
Et elle reprocha humblement:
—Tu disais qu’il n’avait rien dit.
—Laisse-moi le temps, toujours! cria Berthe, hargneusement. Alors,
j’ai répondu: «Ma sœur veut, comme moi, s’en débarrasser.»
—Débarrasser, oh! Berthe!
—Quand tu répéteras: «Oh! Berthe!» c’est tout de même ça que nous
voulons! C’est pour ça que nous sommes allées à Paris. C’est pour ça
que nous avons appelé M. Froment à notre secours.
Fanny dit faiblement:
—Je ne voulais pas.
—Tu ne veux pas, d’abord, et puis tu profites de ce que je fais.
Heureux que je suis là pour mener la barque. Où irais-tu sans moi, ma
pauvre fille?
Elles se turent. La chaleur devenait insupportable. Berthe se dirigea
vers la maison. Fanny marchait derrière elle.
—C’est tout ce que vous avez dit?
Berthe ne se retourna pas.
—Oui, dit-elle sèchement, c’est tout et c’est bien assez.
Dans le vestibule frais, elle s’arrêta pour s’éponger.
—Alors, on va suivre son conseil. Puisque le gars reste là, on va
encore lui fausser compagnie.
Fanny restait songeuse, le front plissé, les yeux pleins de chagrin.
—Est-ce mieux? Est-ce qu’il le croit, vraiment?
Elle ouvrit la porte et regarda par la fenêtre qui donnait sur la rue.
Le soldat était là qui faisait les cent pas sous le soleil implacable de
deux heures.
Elle se rejeta en arrière.
—Pauvre Félix! murmura-t-elle tout bas, comme il a chaud!

IX
Quand Berthe poussa ses volets, le soleil mangeait déjà le brouillard.
Les nuages de vapeurs condensées sur la Seine pendant la nuit
débordaient à présent d’une mousse laiteuse la large coupe verte de
l’estuaire.
La Hêtraye, village, église et mare, se dressait à l’extrémité de la
plaine que terminait la ferme accrochée au rebord du plateau et
surplombant la vallée profonde où siège Villebonne, entre son cirque
romain, son clocher gothique et sa tour féodale. Villebonne ceinturée de
la verdure affolée par l’humus des falaises et prolongée sans fin par les
marais où fuit, vers le sud, tout droit depuis deux mille ans, la chaussée
de Jules César.
Il était de fondation dans la famille Bernage, depuis qu’elle avait
quitté son berceau de la Hêtraye, de garder un pied-à-terre à la ferme.
Elle possédait une assez jolie maison d’habitation à un étage, remplie de
vieux meubles d’héritage, et plantée au milieu d’un clos de pommiers
vénérables. Les fermiers logeaient plus loin, dans une chaumière,
petitement et humblement, à la mode de jadis.
Cette fois encore, les sœurs étaient parties à la brune dans une voiture
réquisitionnée chez l’oncle Nathan absent. Et aucune ombre suspecte ne
s’était mêlée aux commères de la route, extasiées de curiosité sur ce
nouveau départ.
Sur sa porte, l’instituteur fumait une cigarette. Il les salua gravement,
mais Fanny ne put voir dans l’ombre l’expression de ses yeux.
Ce matin-là, elle dormait d’un sommeil accablé après une longue
insomnie dans laquelle ses soucis avaient pris le grossissement
accoutumé. Pourtant, elle ouvrit les yeux, dès que Berthe la toucha.
—Qu’est-ce qu’il y a? demanda-t-elle en s’asseyant, lucide et prête à
souffrir.
—Il y a, il y a... viens voir ce qu’il y a...
Elle la prit sous le bras. Encore engourdie, Fanny se mit à bas du lit.
Berthe la tirait vers la fenêtre. Elle se frotta les yeux, où le sommeil
persistait.
—Regarde! dit Berthe dans un souffle.
Elle regarda et, rouge et bleu sur le paysage embrumé, elle vit le
soldat adossé à la haie du clos, et qui considérait la maison.
Quand elle ouvrit les yeux après le demi-évanouissement où elle
venait de sombrer, elle vit Berthe, debout devant elle, droite, grande,
sévère et comme pleine de résolution.
—Ah! c’est passé? fit-elle. Je peux m’en aller, à cette heure?
—Où? questionna Fanny.
—Lui parler, à la fin des fins, à ce gars-là, et tu vas voir si je vais me
faire écouter!... Tu trembles tout le temps, toi; il le voit bien. Mais
attends qu’il trouve quelqu’un en face de lui et tu verras!
Déjà elle semblait en route pour la bataille. Fanny, des deux mains,
l’arrêta.
—Ne fais pas ça! Lui parle pas mal! Te fâche pas! Qu’est-ce qu’on
fera s’il crie des choses?...
Violemment, Berthe s’arracha.
—Qu’est-ce que ça me fait! Et sa persécution, crois-tu que ça ne nous
compromet pas?
Elle était dans l’escalier. Fanny la perdit de vue. Les verrous
glissèrent, la clef grinça; puis, dans l’herbe noyée de rosée, elle l’aperçut
qui passait, laissant un sillage plus foncé derrière elle. Chaussée de
sabots, elle levait haut les pieds, marchant redoutablement vers le petit
soldat immobile.
Fanny vit l’abordage. Haute et vaste, plus grande que le garçon,
Berthe le lui cachait. Le dos véhément de sa sœur, vêtu d’une camisole
bleu foncé à pois, faisait une grande tache dans le pré, où le soleil
commençait de glisser obliquement mille rayons que renvoyaient dix
mille gouttes de rosée. Et cette chose un peu grotesque, un dos de grosse
femme en déshabillé, qui bougeait dans la lumière du matin, lui
paraissait décider de son avenir.
Elle tremblait comme une fiévreuse. «Qu’est-ce qu’il va dire? Pauvre
malheureux, tout de même! Si je pouvais faire quelque chose pour lui?»
Et toute sa volonté disait au dos qui tachait le pré lumineux:
«Pas si fort! Il me ressemble peut-être, au fond, et ça fait si mal, la
brutalité!»
Par moments, elle était secouée de la terreur de le voir se dresser en
colère contre sa sœur et lever la main, peut-être, ou tirer son coupe-
choux.
Et soudain elle revit le visage de Berthe, qui reprenait le chemin
marqué de sombre sur la cour miroitante. Elle revenait vers la maison, et,
à grandes enjambées paisibles d’homme de la terre, le gars la suivait.
Affolée, elle se dit: «Le voilà! le voilà! Je vais le voir!» sans démêler si
elle se désespérait ou si elle se réjouissait. Elle fit sa toilette avec des
gestes d’automate. Pourtant, au dernier moment, sa pâleur la frappa, dans
le miroir à col de cygne du lavabo d’acajou.
«Il va me trouver vilaine!» songea-t-elle.
Et, pour la première fois de sa vie, elle fit un geste de coquette pour se
frotter les joues d’une serviette rêche.
Le gars était dans la cuisine, où la mère Laurent, la fermière qui aidait
les sœurs quand elles venaient seules, allumait la cuisinière et tournait le
moulin à café. Berthe devait finir sa toilette dans sa chambre. Il fallait
donc, seule, prendre une attitude, choisir, agir. Elle baissa les yeux.
Avant tout, il fallait empêcher son amour maternel captif et torturé de se
montrer par là.
—Bonjour, dit-elle doucement.
—Bonjour, dit le gars.
Sa figure pointue portait un air de ruse satisfaite. On le sentait apaisé
pour le moment, comme l’est un méchant chien en train de lécher un os.
Encore cette fois, la mère sentit son cœur entr’ouvert se rétracter.
Aussitôt, un nouveau souci lui vint. Qu’avait dit Berthe à la fermière?
Mais déjà la loquacité de la vieille femme lui venait en aide.
—Alors, c’est le neveu de c’te pauv’ Marthe, comme ça? fit-elle en
affirmation-interrogation, car la mode paysanne aime à greffer une
conversation sur une branche solide.
C’était une petite vieille que l’âge tassait. Sa figure de fin ivoire mille
fois creusé sertissait deux malins yeux d’agate. Elle était la première à
poser à Fanny la question redoutée.
—Son neveu, répéta celle-ci en écho, heureuse de ne pas trop mentir.
Berthe entrait justement. Sans doute n’avait-elle pas osé laisser
longtemps sa sœur privée de soutien dans la dangereuse entrevue.
Pourtant, elle paraissait bien ajustée dans sa robe grise du matin, avec un
petit tablier à carreaux bleus et jaunes en mouchoirs du pays; et ses joues
luisaient de savon sous la torsade magnifique de ses cheveux de blé mûr.
—Oui, mère Laurent, il nous est tombé du ciel, Félix.
La mère Laurent plaça:
—Félix Leplay, comme Marthe?
Berthe resta court un instant, puis elle se remit:
—Les neveux ne s’appellent pas toujours comme la tante! Une
nombreuse famille qu’elle avait, Marthe, n’est-ce pas?
Elle regarda le gars comme pour le presser de venir à l’aide. Déjà, ils
étaient complices.
—Non, fit-il avec calme. Elle n’avait «pas» qu’une sœur.
—Donnez-moi le moulin, cria Berthe. Dépêchons-nous. J’ai faim,
moi!
Elle poussait la mère Laurent vers l’armoire et c’était comme si, en
même temps, elle poussait ses questions hors du chemin.
En un instant, la table de chêne lavé et poli par cinq générations de
Bernages fut couverte d’assiettes à coq et à roses, de bols et de cuillères.
Une livre de beurre tout frais moulé y prit le milieu avec le lait fumant et
le café qui finissait de passer.
Ils s’assirent tous, sauf la mère Laurent, pressée de retrouver son
homme. Le gars Félix atteignit son couteau en poussant un soupir
retentissant de contentement.
—On n’est pas mal ici, fit-il.
Et, coupant à la miche une énorme tranche, il entama le beurre.
Ils mangèrent sans parler, puisqu’il devenait évident que le soldat
possédait la religion des repas. Fanny le regardait à la dérobée, anxieuse,
troublée, un peu heureuse et très triste. Qu’il était épais et rustaud!
Comme tous ceux de la vallée, elle exagérait la distance qui les sépare
des paysans. Avec effort, elle détourna les yeux de lui, se contraignant à
les tenir sur son assiette.
Néanmoins elle les releva bientôt, tant le silence lui causait de
malaise: quelque chose de subtil flottait dans l’air, sans qu’elle pût le
localiser. Et, tout à coup, en regardant Berthe, elle comprit: il n’y avait
plus d’hostilité sur le visage, sur la personne tout entière de sa sœur.
«Qu’est-ce qu’elle a pu lui dire, tout à l’heure, dans la cour?» songea-
t-elle.
D’ailleurs, ce ne fut qu’un éclair, une de ces intuitions certaines qui
sont comme des ponts jetés sur l’avenir. Et elle retomba dans son
incertitude, tandis que la voix de Berthe s’élevait plus aigre que jamais.
—Ils vous ont donné une bien longue permission au régiment, Félix?
«Elle l’appelle Félix, songea Fanny avec attendrissement. Comme ça
doit lui coûter!»
Il réfléchit un peu avant de répondre.
—Ça tire à sa fin!
—Ah! dit seulement Berthe.
Et personne n’ajouta rien, tant chacun sentait les mots prochains
difficiles à manier.
Berthe se leva avec décision.
—On va se mettre au ménage, ma sœur et moi. Allez vous promener,
mon garçon. Il y a de quoi voir dans la campagne «du moment».
—Et dans la propriété, ajouta le gars presque spontanément.
Après quoi, il serra les lèvres comme pour les empêcher de lâcher
d’autres paroles trop pleines de signification.
Berthe fit la moue.
—Oh! la propriété!
Elle n’ajouta rien. Entre eux venait de tomber le mot décisif: la
propriété, l’argent, le bien, l’appât qui, de si loin, attirait ici le gueux
renié, comme une charogne attire les bêtes puantes.
De la journée, il ne rentra à la maison. Après avoir rejoint le père
Laurent aux champs, où il coupait du seigle, il dut fraterniser avec lui et
le journalier qu’il employait, car les sœurs le virent de loin qui faisait
«mézienne», endormi sous une haie. Le soir, il rentra avec les hommes,
les outils sur l’épaule, de la marche lente et lourde des fins de journée.
Elles étaient devant la porte, à regarder le soleil s’enfoncer dans
l’estuaire lointain, jouissant comme jouissent les gens de la terre de cette
beauté dans laquelle ils baignent sans vouloir l’exprimer.
Le gars arriva par le sentier de l’est. Tournées vers le couchant, elles
ne le voyaient pas, et il resta là, à deux pas d’elles, immobile, attentif et
muet.
Ce fut Fanny qui l’aperçut la première. Elle sursauta et faillit crier,
comme s’il l’avait surprise dévêtue. Berthe le regarda tranquillement.
—Vous voilà, mon garçon. On a soupé, nous. Va falloir que vous
alliez avec le père Laurent.
Le gars eut un mince sourire assuré.
—J’ vas manger la soupe avec eux, toujours, fit-il.
D’une seule pièce, à la paysanne, il se tourna et partit.
Quand il eut fait quelques pas, Berthe cria:
—L’ père Laurent vous prendra avec lui, à l’écurie, pour coucher!
Le gars se retourna. Elles aperçurent sa figure soudain convulsée,
haineuse, ses yeux durcis. Il ouvrit la bouche, la referma. On vit sa
volonté lutter avec sa colère et la dompter. Il répéta:
—Avec les chevaux, bon.
Et il reprit sa marche.
Quand il fut au bout de la cour, Berthe dit orgueilleusement:
—Il n’y a qu’à savoir lui parler.
—Oh! souffla Fanny, tu me fais trembler!
—Quoi! parce que je lui cause dur? D’abord, depuis quand qu’ c’est
une honte pour un domestique de ferme de coucher avec les chevaux?
—Pourtant...
—Pourtant, ça lui a pas plu! Mais c’est justement. Ça lui fait voir
qu’on ne le supporte que jusqu’à un certain point.
Elle se tut. Sa figure rayonnait positivement sous la clarté immense du
couchant. Malgré la victoire évidente que leur parti venait de remporter,
Fanny regardait sa sœur avec appréhension.
Berthe se tut un instant, puis elle reprit:
—Et je sais le faire parler aussi. Il m’a dit comment qu’il nous a
retrouvées. Car, enfin, c’était drôle, après toutes les précautions que
maman avait prises.
Elle s’arrêta, mais Fanny ne dit rien.
—Ça ne te semble pas drôle, à toi? Non? Il n’est pas sorcier, pourtant!
J’ m’étais promis de lui tirer ça d’abord, pendant qu’il est pas encore trop
«hardi». Eh bien, c’est ton voyage, ma pauv’ fille, ta belle idée d’aller à
Bures, y a dix ans.
«Je m’en doutais bien. Mais je me suis trouvée «dupe» quand il me
l’a avoué. Oui. L’ fermier Malandain, qui nous a reconduites, connaissait
le chef de gare qui lui a dit où que nous allions. Tout ça, mis avec les
rapports de la femme du greffier, notre course à Londinières, l’a
renseigné. Tout de même, il est pas sot!
Fanny ne s’arrêta pas à songer que ce n’était pas elle, en ce jour
lointain, qui avait été prendre les billets pour Beuzeboc à la petite gare,
au lieu de retourner couvrir leurs traces à Dieppe. Elle ne portait pas un
cœur de créancière, et, pour elle, les moyens employés dans cette
patiente chasse à la mère lui importaient peu. Son fils l’avait trouvée
parce qu’il devait la trouver. Il ne pouvait pas disparaître de sa vie, elle le
voyait bien maintenant. Le voyage à Paris, cette résolution désespérée et
la fuite à La Hêtraye, rien ne réussissait à le dépister.
Un peu plus tard, debout en robe de nuit, derrière sa fenêtre
entr’ouverte, Fanny regardait au fond de la cour le bâtiment, l’écurie où
son fils, toute la nuit et les nuits suivantes, allait dormir dans l’haleine
chaude et la forte odeur des chevaux de ferme.
Elle spéculait sur le passé. «Si papa avait vécu, jamais cette chose-là
ne serait arrivée... jamais il ne m’aurait laissé arriver du mal... jamais il
n’aurait caché la lettre... jamais il n’aurait consenti à ce que j’abandonne
mon enfant... il l’aurait aimé.» Et elle reconstruisait ainsi sa vie sur une
seule donnée, puisque c’est là la consolation suprême de ceux qui l’ont
manquée. Mais son remords montait en elle, formidable, accru, en
réalité, de toutes ces années où il avait dormi en elle, alors qu’elle le
croyait apaisé, tandis qu’elle regardait l’étable à cause de celui qui y
dormait avec la haine au cœur.
«Mon Dieu, priait-elle, mon Dieu, pardonne-moi, j’ai péché en
l’abandonnant, je le vois maintenant, tout en obéissant comme il est dit,
j’ai péché.»
Elle revoyait son père, ce bon huguenot, et son grand-père qu’elle
avait connu, et les aïeux dont il lui parlait quelquefois, ces rocs au milieu
de la tourmente des siècles de persécution et de folie. Mais la foi baissait,
le siècle reprenait le dessus, le siècle, c’est-à-dire la complaisance au
péché qui devient le péché et puis le vice lui-même. Mais comment
savoir où est le péché? «Pour maman, se disait-elle, c’est ce petit enfant
né de ma faute qui n’en était pourtant pas une. Et, vraiment, le péché,
c’est de l’avoir abandonné. O mon petit, mon petit, j’aurais fait un bon
garçon de toi! Je t’aurais tant aimé qu’il aurait bien fallu que tu le
deviennes.»
Et elle s’arrêtait devant le sentiment de l’irréparable comme devant un
mur.

Une pluie fine se tendait devant le paysage comme la chaîne sur le


métier, lorsque les sœurs descendirent, le lendemain. Aussi, le gars se
trouvait-il dans la cuisine avec l’air désœuvré des paysans contrariés par
le temps en pleine saison. Il exhalait une odeur appréciable d’écurie.
Berthe fit une grimace qu’il saisit au vol sans maladresse.
—Ça sent son fruit, dit-il. Ah! je n’ai pas d’effets de rechange, ici, et
l’écurie, ça tient bon.
Berthe dit rudement:
—C’est pas nos affaires. A vous de vous arranger.
Elle paraissait butée, ce matin, à se montrer intransigeante, autant, la
veille, elle avait laissé voir une singulière bonne volonté. Le gars pâlit un
peu sous son hâle de paysan.
—Si, c’est vos affaires, dit-il d’une voix sourde en ne regardant que la
cadette.
Elle vint en face de lui, à le toucher; les poings aux hanches, dans sa
terrible attitude de combat.
—Ah! c’est nos affaires? Eh bien, combien qu’ ça va durer, dites un
peu, combien de temps que vous allez rester à la Hêtraye?
Le gars ne répondit pas tout de suite. Il recula, se détourna et s’assit.
Puis il se coupa du pain, et alors il parla:
—Ma permission finit dans huit jours. En convalescence que j’ suis.
Fanny fit un pas et un cri.
—En convalescence?
Le gars la regarda comme s’il venait seulement de l’apercevoir depuis
son entrée dans la chambre.
—Oui, dit-il, une «purésie» qu’ j’ai eue. Un chaud et froid que j’avais
pris, qui m’a tombé sur «l’estomac».
—Une pleurésie? C’est grave, ça, fit-elle sans réfléchir.
Il leva les yeux, qu’il avait baissés sur la tartine qu’il confectionnait.
Un peu de surprise y luisait.
—L’ major a dit que j’avais un bon coffre.
Il réfléchit un peu et ajouta:
—Mais que fallait faire attention.
Berthe avança entre eux et, se tournant pour poser le lait sur la table,
jeta à Fanny un regard impérieux comme un ordre.
—Déjeunons, dit-elle. Eh bien, mon garçon, puisque vous êtes là
encore pour huit jours vous allez demander au père Laurent de vous
prêter un pantalon de toile et une chemise.
Le gars et Fanny restèrent bouche bée, littéralement, et Berthe se
rengorgea devant leur étonnement:
—Faut ce que faut, dit-elle. Dans huit jours vous partirez...
Il y eut un de ces silences où l’on sent s’amasser les paroles
importantes, comme la pause dans l’orage annonce la décharge de la
foudre... Et elle ajouta:
—Et on ne vous reverra peut-être jamais.
Fanny songea passionnément:
«S’il avait du cœur, il se lèverait et s’en irait. Oh! comme je l’aimerais
s’il faisait ça!»
Et elle entendit encore la voix de Berthe qui ajoutait ces mots
indifférents dans lesquels il faut toujours noyer les autres comme la pluie
noie le tonnerre et l’éclair:
—On peut bien faire ça: un pantalon et une chemise, c’est pas une
affaire... En mémoire de not’ pauv’ Marthe.
Le cœur en suspens, Fanny regarda son fils. Il riait d’un rire
silencieux, et sa figure épanouie lui parut l’image même de la bassesse.

X
Silas Froment montait la côte de la Hêtraye. Le train quitté à la gare
de Villebonne, il avait traversé la petite ville braisillante dans sa chaude
vallée, suivi l’interminable route encaissée où les «fabriques» n’arrivent
pas à enlaidir la verdure souveraine, et qui s’élève enfin par larges lacets
enserrant la coupe de l’un de ces petits monts de l’estuaire, cariatides
formidables du plateau de Caux.
Il marchait du long pas cadencé des infatigables, sans s’arrêter et sans
se presser, avec un air de grande réflexion. Quand il émergea au sommet,
midi éclatait à tous les clochers; et celui de la Hêtraye, plus proche,
cognait ses volées à tous les peupliers de la route.
A la barrière, les deux sœurs le regardaient venir. Berthe lui tendit
franchement la main. Fanny, livide, attendait. Quand il eût répondu à
Berthe, il se pencha et, sans un mot, prit la main froide de l’aînée, et la
serra avec douceur et tendresse.
Ils pénétrèrent dans le petit bosquet d’ormes taillés qui formait un
croissant derrière la maison. Et Berthe, pressée de parler, commença:
—Nous nous sommes permis de vous écrire de venir, monsieur
Froment. Excusez la démarche. Vous allez mal nous juger. Pardonnez-
nous. Qu’est-ce que vous allez penser de nous?...
Silas coupa ses pléonasmes d’un geste courtois.
—Je vous l’ai déjà dit, je n’ai pas de plus grand désir que de vous être
utile. Ce ne sont pas des mots: c’est l’expression d’une réalité bien vive,
croyez-le.
Comme toujours, même dans les moments les plus graves, il
s’écoutait un peu parler par habitude professionnelle, par goût aussi.
Berthe reprit avec difficulté, car l’expression de la reconnaissance est
une tâche ardue pour la hauteur normande:
—Bien de la bonté de votre part. Mais nous sommes des femmes
seules et c’est une position...
Il y eut un silence, et l’instituteur dit plus vite, comme pour en finir:
—Alors, où en êtes-vous? Je ne sais plus rien depuis votre départ.
Ce fut comme si cette simple question enlevait enfin la bonde des
paroles.
—Ah! monsieur Froment, dit Berthe, nous en sommes à la raison. Il
est là depuis huit jours et il part ce soir, mais je vous jure que j’en ai
assez. Moi, toujours! termina-t-elle en regardant Fanny avec rancune.
—Oui, oui, dit M. Froment. Quelle attitude a-t-il?
Berthe leva des bras tragiques:
—Quelle attitude? Quelle attitude?
Elle réfléchit un peu.
—Peut-être pas d’attitude du tout, mais des façons de tout regarder, de
tout soupeser, des façons d’espion ou de maître: on ne sait pas.
—Mais comment?
—Tenez, hier au soir, il a demandé quand finit le bail du père Laurent,
comme si, vraiment, ça le regardait... Enfin, c’est trop fort!
Elle se démenait sur le banc comme une chatte qui se fouette les
flancs pour amener sa colère au diapason voulu. Et Fanny se faisait toute
petite entre sa furie et l’attention brûlante de Silas, qu’elle sentait
attachée à elle. Et elle n’arrivait pas à comprendre le ressort caché de ce
grand jeu. Elle n’aurait pas voulu que Silas vint la voir dans son
tourment, et l’idée de le mêler à leur embarras lui était intolérable. Elle
écouta la voix grave qui la prenait aux entrailles, si fort, parfois.
—Voyons, sait-il?... Sait-il laquelle?
Et Berthe répondit très vite comme si elle attendait la question depuis
le commencement:
—C’est incroyable, mais il n’a pas l’air de savoir que c’est Fanny...
La phrase resta inachevée, car certains mots ne pouvaient être dits,
même par celle qui ne ménageait rien.
L’instituteur se leva. Il parut très grand dans le sentier couvert de la
charmille.
—Voici mon avis, dit-il: ne rien lui apprendre. Il se lassera en voyant
qu’on ne veut rien lui dire... C’est une situation qui ne peut s’éterniser...
Il le comprendra. Tout homme de bon sens le comprendrait.
Il s’échauffait un peu aussi, tandis que, singulièrement, Fanny se
refroidissait. Depuis que les paroles s’amassaient contre son fils honni—
et celles mêmes de celui-ci qu’elle croyait un juste—elle n’était plus si
certaine de voir en lui l’ennemi dont il fallait se débarrasser.
Les sœurs se levèrent aussi, et ils se dirigèrent tous vers la maison.
Dans l’allée étroite, Berthe frôlait Silas de sa large hanche, et Fanny
venait derrière, seule, mince et muette.
Sur le seuil ils virent de loin le gars qui attendait. Alors, Berthe se
tourna et, dans la figure de l’instituteur, elle jeta:
—Vous lui parlerez. C’est vous qui nous en débarrasserez.
Il n’eut pas le temps de répondre. Le gars les avait vus et se dirigeait
vers eux.
Ce fut un singulier repas. Aucun mot n’avait été prononcé en
présentation. Mais le gars, avec son flair puissant de rustre, sentait
visiblement l’ennemi. Il se renfrogna, jetant des regards sournois et
mangeant à plein sans parler. Berthe trouvait moyen de faire marcher la
conversation, de paraître à son aise entre ces convives jugulés par
l’angoisse, ou la crainte, ou l’embarras. Et la chère de la fermière
affriandait tant l’appétit, aiguisé par l’air déjà salé du plateau, qu’un peu
de détente permit tout de même d’arriver au dessert sans encombre.
Après le café, Berthe se leva.
—Allez faire un tour dehors, dit-elle. Moi et Fanny, on a à s’occuper
un moment.
Elle hésita et ajouta:
—Félix vous montrera la propriété.
Les deux hommes sortirent. Fanny les regarda s’éloigner avec crainte.
Tout la blessait: les choses et leur contraire, ce qu’elle désirait et ce
qu’elle redoutait. Cette conversation entre ces deux hommes auxquels sa
chair et son cœur étaient attachés, elle eût voulu l’entendre, et elle ne
savait comment en fuir le récit.
Le ménage était terminé depuis longtemps lorsque les hommes
arrivèrent.
Assises sur le banc devant la porte, les sœurs les regardaient
approcher: la grande taille de Silas s’élevant à côté du petit gars comme
un chêne auprès d’un arbuste.
Fanny songea à la fois: «Comme il est grand et fort!» et: «Comme il
est chétif!» Et le coup de stylet maternel trancha à vif dans son orgueil
d’amoureuse. Berthe dit à demi-voix:
—C’est-il bête que ce soit l’instituteur, qui ne se sert que de sa tête,
qui soit si fort et que ce malheureux qui a besoin de ses bras n’en ait
point.
La réponse de Fanny vint comme un réflexe:
—Le père Laurent dit qu’il est plus fort qu’il n’en a l’air.
Les hommes arrivaient près d’elles. M. Froment se laissa tomber sur
le banc. Félix s’assit un peu à l’écart, à portée de la voix cependant,
comme décidé à garder sa place, cette fois. Et la conversation ne fut que
de lieux communs.
A la collation, qu’on hâta pour que M. Froment, qui avait annoncé son
intention de regagner Beuzeboc à pied, pût se mettre en route à temps, le
gars ne démarra point de la pièce, avec une sorte d’obstination, visible à
la manière dont il restait tassé sur sa chaise. Et, dans ses yeux aigus, tour
à tour fixés sur ceux qui parlaient, luisait l’âpre curiosité paysanne
intéressée.
Pourtant, sur l’ordre de Berthe, il dut aller chercher du cidre au cellier
contigu, mais il fut si vite de retour qu’elle n’eut pas le temps d’amorcer
la conversation qu’elle désirait.
Enfin, M. Froment se leva pour partir. Il alla à Berthe et lui tendit la
main:
—Merci, mademoiselle, dit-il, de cette excellente journée.
Il appuya sur l’adjectif.
Il se tourna vers le gars et le salua avec une politesse distante:
—Au revoir, monsieur.
Puis, la voix haute et claire:
—Venez-vous me conduire, Fanny?
Pour les deux qui restaient ce fut inattendu comme un mauvais rêve.
Les fiancés étaient dehors qu’ils n’arrivaient pas à se rendre compte des
paroles étonnantes et du coup d’audace qui les suivait.
Cependant, le couple s’éloignait dans la grande lumière dorée de
l’après-midi. Silas n’avait pas osé offrir son bras comme il y songeait. Ils
marchaient côte à côte, proches et, pourtant, séparés par l’éclat nouveau
de ce coup d’Etat. Et il leur semblait qu’ils n’avaient plus rien à se dire.
Ils allèrent ainsi jusqu’à la barrière. Silas l’ouvrit, et ils furent sur la
route blanche du plateau que l’instituteur allait suivre pour gagner
Beuzeboc au plus court.
On aurait dit qu’une impossibilité physique les empêchait de parler
l’un et l’autre. Enfin, Silas commença d’une façon incohérente qui
n’était pas la sienne:
—Il ne sait pas.
Et Fanny, sans hésiter, elle qui hésitait toujours, répondit:
—Ah! il ne sait pas?
Ils marchèrent encore quelques pas, puis elle reprit:
—Mais ce n’est pas possible!
Silas dit sans la regarder:
—C’est que vous avez l’air si jeune!
—Oh! répéta-t-elle, c’est pas possible.
Ils traversaient la longue rue du village. Leur conversation pouvait
être épiée; elle l’était: ils connaissaient trop les us des campagnes pour
n’en être pas certains. Fanny continua, l’air indifférent:
—Il ne se doute pas, vous êtes sûr?
M. Froment affirma:
—Non. Il pencherait plutôt de l’autre côté.
—Berthe?
—Oui, affirma-t-il. Par moments, on dirait qu’il croit que c’est elle.
Elle ne répondit pas à cela. Elle venait de songer à ce premier jour où
sa sœur était allée comme une Furie vers le soldat planté au bas du pré, et
à ce qu’elle avait pu lui dire et dont elle ne lui avait jamais parlé, à elle, à
cet air adouci qui paraissait parfois sur sa figure.
Sa mère? Non, non, même pour tout savoir, jamais Berthe n’aurait
consenti à lui faire supposer cela. Elle se perdait dans ses pensées
confuses. Et ce fut Silas qui reprit:
—Je l’ai questionné doucement, mais de façon à ce qu’il comprenne
que vous m’aviez tout dit. Il n’est pas sot. Il a compris.
—N’est-ce pas? dit Fanny, avec une lueur de joie.
—C’était difficile à expliquer. Cela s’est fait à demi-mot et très
rapidement. «Mon ami, lui ai-je dit, je suis ici pour aider ces dames.
Vous tombez dans leur vie sans crier gare.»
«Il m’a répondu: «Oui, je sais bien, mais, moi aussi, j’en ai une
situation qui n’est pas drôle. (Il a dit: «qu’est rêvable.») Que celle qui me
doit quelque chose vienne m’établir. J’ai l’âge.»
—Il a dit ça?
—A peu près, c’est le sens.
Elle répéta:
—«Qu’elle vienne m’établir...»
—Oui. Et il le pense. Je crois qu’on ne gagnera rien à ruser, à
temporiser avec une nature comme celle-là; c’est un roc.
Elle pensa: «Comme maman.» Et, tout haut, elle dit:
—Alors?
—Et c’est tout. Aucun nom n’a été prononcé, c’est à des indices que
j’ai vu qu’il croyait que c’était votre sœur...
Il se tut. Le village dépassé, quelques fermes bordaient encore un des
côtés du sentier qu’ils prirent pour couper vers la plaine. Des hêtres,
alignés sur le talus, une fraîcheur descendait, qui les surprit, après
l’haleine embrasée de la route crayeuse. D’un commun accord, ils
s’arrêtèrent pour s’adosser au talus herbeux contre lequel tous les
amoureux du village devisaient. Et l’instituteur reprit:
—J’ai eu l’impression qu’une somme, une somme raisonnable, bien
entendu...
Fanny étendit la main:
—Oh! non, non, plus d’argent entre nous! Il y en a eu trop, déjà!
M. Froment rougit jusqu’aux yeux. Fanny en eut honte pour lui.
—Vous ne pouvez pas savoir, se hâta-t-elle de dire, perdant sa réserve
coutumière, tant elle se pressait de s’excuser, mais c’est l’argent qu’on a
donné, déjà, qui a tout perdu. Et l’argent n’arrange rien.
—Quelquefois, dit l’instituteur qui s’était remis. C’est une question de
délicatesse. Il est évident qu’il n’est revenu, qu’il n’est entré dans votre
vie que pour cela.
Elle détourna la tête.
—Oh! pardon, je vous blesse, mais il faut porter le fer dans la plaie,
voyez-vous, le fer rouge.
Il répéta, content de son image et la poussant encore:
—Le fer rouge à blanc.
Elle ne disait rien, la tête toujours détournée. Alors, il insista avec
douceur et fermeté:
—Voyons, réfléchissez vous-même. Il est venu réclamer quelque
chose, n’est-ce pas? Eh bien, quoi? Sinon ce qu’un homme élevé comme
lui peut réclamer?
Comme elle ne répondait toujours rien, il se pencha et, stupéfait, vit
qu’elle pleurait.
—Oh! fit-il, avec cet air à la fois mécontent et surpris des hommes
lorsqu’ils voient le monument solide de leur argumentation battu en
brèche par la marée des larmes féminines.
Elle bégaya:
—Elevé comme lui, c’est justement!
«Il n’aurait pas dû être élevé comme ça! C’est moi, c’est moi...»
Elle ne put achever, les sanglots l’étouffaient. Sa pensée désolée lui
disait: «Tu as perdu ta vie, perdu ton fils, et tu perds maintenant celui-ci
qui te restait.» Elle savait qu’elle ne pouvait plus être touchante sous les
larmes, que ce temps-là était passé pour elle. Et pourtant, elle pleurait
toujours.
Par discrétion, il se détourna.
—Remettez-vous, je vous prie.
Il fit quelques pas sur le sentier. Alors, comme elle sentait la tempête
diminuer, elle fit les gestes automatiques des femmes qui se rajustent et
essuient sur leur visage la trace passionnée que personne ne doit voir.
Sans mot dire, elle vint à côté de lui, et ils reprirent le sentier.
Mas ils ne savaient ni l’un ni l’autre où renouer la chaîne des paroles.
Toutes celles qu’ils venaient de manier les brûlaient encore. Enfin, Fanny
commença:
—Je vous ennuie: je... je suis ridicule...
Il protesta du geste.
—Oh! je trouve cela si naturel! C’est un si grand désarroi pour vous,
pauvre amie!
Le joli mot inusité la fit frémir.
—Oui, dit-elle, un remords surtout.
Il s’arrêta au milieu du chemin vert criblé de rayons obliques:
—Non, ne dites pas cela. Il ne faut pas. Vous n’avez pas de remords à
avoir. A travers ce que votre sœur m’a dit, j’ai compris. Vous avez été
forcée, forcée à tout. Il n’y a pas de remords à avoir.
Il parlait avec fermeté et noblesse. Une sorte de sensation de certitude
accompagnait ses paroles dans l’entendement de Fanny. Et elle ne trouva
rien à répondre.
Ils marchèrent encore un peu, puis il reprit, continuant sa pensée:
—Pas de remords non plus à employer le seul moyen possible.
Comprenez bien ceci, Fanny: ce n’est pas une réparation en... affection
qu’il est venu vous demander aujourd’hui; c’est une réparation...
Il se tourna vers elle:
—Endurcissez-vous à l’entendre: en argent. Et c’est pourquoi je vous
parlais d’une somme raisonnable...
Fanny marchait toujours, bercée par cette voix profonde qui devait
avoir raison. Oui, c’était cela sans doute qu’il fallait faire, dans l’intérêt
de tous, c’était même peut-être le devoir...
Elle dit, enfin:
—Vous croyez vraiment qu’il accepterait, et que je dois le faire?
—Mais, c’est certain, dit-il avec emphase, c’est l’évidence même.
Ils arrivaient à l’extrémité des fermes, et le chemin rural se changeait
en sentier bordé de champs. Fanny s’arrêta.
—Il va falloir que je m’en retourne. Mais, il part ce soir. Comment
m’y prendre?
Silas lui tendit la main.
—Laissez-moi tous vos ennuis. Je le ferai, moi.
Elle le regarda avec appréhension.
—Mais, comment?
—Ne dites rien, ce soir. Qu’il parte. Il a une intention; celle de revenir
vous persécuter, sans doute. Je lui écrirais pour vous.
—Merci, dit-elle avec embarras. Vraiment, je voudrais bien, si ce
n’était pas trop de dérangement.
—Pouvez-vous croire, Fanny! demanda-t-il avec chaleur. C’est dit, je
lui écrirai.
Il lui serra plus fort la main.
—A bientôt, dit-il. C’est entendu. A Lisieux, au 200ᵉ d’infanterie.
Oui. Naturellement, je ne fixerai pas de somme, cela viendra ensuite. Au
revoir.
Il ne lui donna point de baiser. Quelque chose entre eux les séparait,
ou quelqu’un. Il s’en alla dans la coupure que faisait le sentier entre un
champ de blé roux et un champ d’avoine blonde.
Immobile, elle le suivait des yeux, et le vit se retourner. Il la regarda,
parut hésiter, et revint enfin.
Quand il fut devant elle, il lui sembla qu’il était plus pâle. Il ouvrit la
bouche sans trouver de mots. Et il finit par dire:
—Et comment, comment l’adresser?
Elle ne comprit pas.
—Comment l’adresser?
—Oui, le nom.
—Eh bien, M. Félix, M. Félix...
Atterrée, elle s’interrompit.
—Oui, Félix...
Son regard se chargea d’épouvante et tout l’opprobre du monde tomba
sur ses épaules. Elle venait seulement de comprendre qu’elle ne savait
pas le nom de son fils.
TROISIEME PARTIE

I
Depuis que leur résolution était prise, une sorte de tranquillité venait
aux sœurs. Les hésitations, les tourments ressentis par l’une et par
l’autre, bien qu’à des degrés différents de tonalité et d’intensité,
s’apaisaient momentanément dans une certitude.
C’est le soir même du départ de Félix qu’elles comprirent qu’il fallait
définitivement quitter Beuzeboc pour la Hêtraye.
Après leur entretien, Fanny quitta Silas, toute honte bue, sans trouver
un mot à ajouter. Et le chemin du retour fut vraiment son chemin de
croix. Un petit fait pourtant, qui n’était pas nouveau et qui ne changeait
rien à l’état des choses, que cette ignorance de l’état civil de son fils.
Pour elle, il dépassait tous les autres en importance, en signification, en
résultats.
Une honte nouvelle l’avait accablée quand elle s’était retrouvée en sa
présence. Elle n’osait plus le regarder: il lui semblait que son fils lisait,
cette fois, sur sa figure, un remords d’une autre qualité.
Ils avaient dîné silencieusement. Berthe boudait Fanny depuis sa
sortie avec Silas, et le gars mangeait, comme toujours, avec conviction.
Enfin, il s’était levé:
—Faut que j’ m’en aille. L’ train est à dix heures, à Villebonne.
Fanny remarqua qu’il était lavé, astiqué et frotté. Et elle dit:
—Tout est-il prêt?
Elle n’osait dire tu, ni vous. C’est pourquoi elle ne s’adressait jamais
à lui, directement. Mais, cette fois, ce fut, malgré elle, la mère dont le
fils, millionnaire ou mendiant, gagne le régiment, qui parla:
—Oui, dit-il, j’en ai pas lourd!
Il se balançait d’un pied sur l’autre. On voyait les paroles s’amasser
sans trouver d’issue. Enfin, il dit:
—Je vous remercie. C’est un agrément d’être ici.
Personne ne répondit. Alors, il parut s’enhardir et prononça:
—Vous auriez besoin...
Il s’arrêta, comme pour juger de l’effet de ce début. Puis il reprit:
—D’un bon domestique.
Ce fut le tonnerre éclaté aux pieds des sœurs. On eût dit qu’elles en
restaient assourdies. La première, Berthe se remit:
—Et alors? dit-elle avec quelque insolence.
—Et alors, je connais le métier, tout le monde vous le dira. Vous
n’avez qu’à vous informer...
Fanny songea: «Sans nom!»
Berthe réfléchissait sans répondre. Elle semblait peser des choses.
Enfin, elle dit:
—Vous rêvez, mon garçon! Nous n’avons pas besoin d’un
domestique. Nous «n’occupons» pas, nous demeurons à Beuzeboc.
Les yeux bruns du gars eurent un vif regard sur lequel il tira aussitôt
le rideau de ses paupières.
—Vot’ bail va finir, dit-il, vous pourriez bien reprendre la ferme à vot’
compte.
—Par exemple, comme vous arrangez ça! fit la grosse fille, suffoquée.
Fanny pensa douloureusement: «Il sait tout ce qui concerne nos
intérêts, tout. Mais il ne sait pas laquelle est sa mère.»
—C’est une bonne ferme, reprit le gars. J’ai regardé les terres. Y’a
plus mauvais. L’ père Laurent est vieux. I’ s’ mettra chez sa fille...
—Vous êtes au courant! fit Berthe avec ironie.
Le gars eut un sourire qui éclaira soudain sa figure impénétrable d’un
rayon d’intelligence. Il continua:
—Elle ne rapporte pas c’ qu’elle pourrait, c’te ferme-là. Ils sont trop
vieux... De l’argent, qu’on en tirerait!
Berthe l’écoutait attentivement, toute ironie disparue. Elle répéta:
—De l’argent...
Avec un art consommé de roublard, il rompit les chiens.
—Faut que j’ m’en aille, dit-il. A revoir!
Il tendit la main, sa main durcie de paysan-soldat. Et Fanny, pour la
première fois, remarqua sa petitesse, qu’il tenait d’elle.
Berthe la serra mollement en réfléchissant toujours. Fanny la prit en
tremblant. C’était la première fois qu’elle touchait son fils. Une langueur
l’envahit tout entière. Que c’était doux!
L’étreinte se desserra. Elle restait tremblante, oppressée, les yeux
mouillés. Le gars regardait Berthe.
Alors, comme frappée d’une idée subite, celle-ci dit avec décision:
—On vous écrira.
Le gars enregistra gravement:
—Bon.
Il alla vers la porte. Fanny étendit la main. Voilà. Le moment était
venu:
—Berthe! cria-t-elle.
Berthe la regarda étonnée. Que pouvait-elle avoir à demander? On
arrangeait tout pour elle.
Fanny comprit si complètement, cette fois, que tout son courage
défaillit. Eh bien, oui, après tout, accepter cela encore; le laisser partir
sans savoir son nom; ne pas lutter, ne pas même intervenir.
—Rien, rien, dit-elle en se passant la main sur le front d’un air un peu
égaré.
Ce fut pourtant comme si cette pensée fulgurante avait jailli de son
cerveau dans celui de sa sœur, car Berthe se retourna vers le soldat:
—Mais, à propos, comment l’adresser?
Du seuil, il se retourna:
—Au 200ᵉ de ligne, 6ᵉ bataillon, 3ᵉ compagnie, à Lisieux.
—Oui, mais...
A son tour, elle hésitait, arrêtée devant l’obstacle monstrueux que
toute sa ruse n’avait pas prévu.
Et le soldat, la main sur la clenche, faisait une figure de surprise
évidente.
Sa ruse à lui était dépassée.
—Qu’est-ce que c’est? demanda-t-il enfin.
Pour la première fois de leur vie, Fanny vit sa sœur embarrassée. Les
yeux détournés, elle cherchait le mot nécessaire sans le trouver.
Le silence devint pesant. Enfin, Berthe dit avec difficulté:
—Toute l’adresse, c’est comment?
Le gars la regardait toujours sans comprendre. Puis, comme s’il eût
enfin pris son parti d’obéir, il ânonna:
—Malandain Félix, au 200ᵉ d’infanterie, 4ᵉ bataillon, 2ᵉ compagnie,
Lisieux.
—Ah! cria Fanny.
Mais Berthe fit un pas en avant pour la cacher, et elle dit, avec une
indifférence forcée, sonnant singulièrement dans sa voix qu’elle forçait
afin de couvrir celle de sa sœur:
—C’est ça, c’est ça. Bien, au revoir, mon garçon.
Il les regardait toujours, et quelque chose du mystère qui s’agitait là
parut filtrer jusqu’à lui. Il eut un mince sourire.
—On m’appelle comme ça, fit-il.
Et son regard acheva la phrase si nettement que tous crurent
l’entendre dire: «Mais ce n’est pas mon nom.»
Le silence dura un peu trop pour ne pas devenir dangereux. Enfin,
Félix ajouta tout haut:
—Parce que je suis resté longtemps avec les Malandain.
Il se mit à rire niaisement, de la façon la plus inattendue.
—C’est un «surpiquet», un surnom, qu’ils appellent. Je suis «dit
Malandain».
Il s’arrêta de rire et ajouta avec une sorte de solennité:
—Mon nom, c’est...
Et, se ravisant tout à coup, il termina:
—Vous avez pas qu’à mettre: Félix, dit Malandain, «ils» me
trouveront bien.
Il toucha du doigt son képi qui n’avait pas quitté sa tête, et passa la
porte.
Arrivé au bas des marches, il se retourna et, voyant qu’elles n’avaient
pas bougé et le regardaient toujours, il leur jeta:
—Un bon domestique qu’il vous faut ici.
Et il s’en alla pour de bon.
C’est alors qu’elles virent qu’il n’y avait qu’à céder, et qu’elles
décidèrent de s’installer à la Hêtraye, temporairement tout au moins. Il y
a des forces qu’on ne discute pas. En Félix, les sœurs en reconnaissaient
une avec laquelle il fallait compter.
Ce fut Berthe qui l’exprima la première. A l’indicible étonnement de
Fanny, elle ne fit ni lamentations, ni reproches. Elle paraissait céder à la
nécessité, mais en bonne joueuse. L’aînée songea: «Elle a toujours aimé
la campagne.» Et elle accumula toutes les objections comme si,
puisqu’elles devaient être invoquées et que Berthe ne s’en chargeait pas,
la tâche lui en revint. L’étonnement de leurs amis et du monde devant
cette décision soudaine; l’opposition certaine de l’oncle Nathan; les
difficultés matérielles de ce changement d’existence: leur confort, leur
commodité abandonnés avec la maison de la vallée... Mais Berthe allait
au-devant de tout et, une fois de plus, Fanny accepta le joug commode
qui descendait sur elle, et auquel elle n’aurait plus qu’à obéir.

Quand elles rentrèrent, deux jours plus tard, Beuzeboc cuisait au fond
de sa cuvette, sous le soleil d’août. Leur absence n’avait duré que dix
jours. Elles se virent complimentées sur leur courage:
«Rentrer ici quand vous étiez si bien à respirer là-haut!»
La bonne Mme Gallier usait son tablier de moire à leur exprimer son
étonnement.
—Tant qu’à faire, il fallait rester plus longtemps.
Ainsi, les sœurs rentraient dans le lit ordinaire de leur vie que de leurs
mains, il allait falloir défaire. Car cette chose incroyable arrivait qu’elles
allaient quitter la ville ronronnante et les rues aux pavés bossus, et leur
maison où chacun de leurs mouvements avait son aire prévue et sa portée
certaine, et l’église, debout comme une douairière qui attend ses invités
du haut de son perron, et les rues qui regardent par leurs fenêtres abritées
sous les paupières des rideaux, et les ruelles mortes, pleines d’amoureux,
toute la ville, enfin, de toute leur vie, pour gagner ce plateau d’où leur
famille était descendue un jour d’autrefois.
Berthe profita de ces paroles d’accueil pour amorcer la chose. Oui,
elles s’étaient plu à la Hêtraye, tellement qu’elles y retourneraient
bientôt, ayant d’ailleurs à s’occuper de leur ferme dont le bail expirait à
Pâques. Elle hasarda qu’elles pourraient avoir à y passer l’automne
entière car la maison nécessitait des réparations et que Fanny, surtout, se
portait bien là-haut et y dormait mieux.
Elle plaçait soigneusement ses allusions, ses raisons, comme un
alpiniste place son pied, sans rien laisser au hasard parmi les nouvelles
qu’on lui demandait sur le voyage à Paris.
Les amis disaient entre eux:
—Elle rajeunit, Berthe!
Et quelque chose en elle semblait, en effet, s’épanouir, un espoir ou
une certitude.
L’oncle Nathan rentra de la Manche deux jours après. Il arriva au soir
chez ses nièces, et les trouva au jardin. Fanny essayait de se ressaisir, car
le tourbillon qui l’entraînait depuis la rencontre du chemineau lui faisait
perdre la notion de la réalité et, rejetée de Félix à Silas et du chemineau à
Ludovic, promenée dans les souvenirs de Bures, de Paris et de la
Hêtraye, elle dérivait au fil des événements terrifiants dont elle se
trouvait témoin et acteur.
Et, depuis son retour, la maison d’école était fermée. Sans doute n’y
avait-il là rien d’extraordinaire, puisque l’époque des vacances venait
d’arriver. Mais ce départ sans un avertissement la frappait comme un
nouveau malheur. Non, ils n’avaient pas dit un mot de cela à la Hêtraye
pendant cet étrange repas, ni plus tard, au cours de cette conversation
dont le souvenir encore la frappait d’un coup au cœur.
Une cendre d’or tombait de la coupole enflammée quand le grand
vieillard arriva. Sa face d’oiseau de proie, entourée de l’argent pur de ses
cheveux, resplendissait. Il s’assit sans rien dire, puis s’informa des
santés, des poules, parla du terrain. Enfin, il dit, comme à regret:
—Comme ça, vous êtes allées à Paris?
Berthe prit avec empressement les rênes de la conversation.
—Oui, on voulait toujours: on s’est décidé.
Le long nez austère du vieillard qui contredisait sa bouche curieuse
parut vouloir réduire celle-ci au silence. Il y eut une pause.
—C’est beau, murmura Berthe.
—Oui, dit-il. Il y a à voir.
—Sûr, approuva-t-elle.
—Plus qu’ici.
D’un commun accord, ils se donnèrent trêve afin de ramasser de
meilleures armes pour le combat, dont les préparatifs avaient lieu entre le
rusé vieillard et Berthe qui ne laisserait filtrer son butin de nouvelles que
goutte à goutte.
Fanny se leva. Une lassitude lui venait d’avance.
—Je vais vous faire du thé, dit-elle.
L’oncle approuva avec vivacité: un repas supplémentaire gratuit ne lui
était jamais désagréable.
Elle s’en alla vers la maison environnée du parfum que le soir
arrachait aux fleurs. Elle songeait avec amertume à la conversation qui
commençait derrière elle. Toute sa vie, toute sa vie livrée à ces mains
cruelles qui auraient pu être douces. Demain, ce seraient celles des
étrangers, peut-être, qui arracheraient avec sa chair le vêtement secret
que chacun serre si fort contre soi...
Pourtant, ses craintes furent encore une fois dépassées par la réalité.
Malgré les surprenantes confidences reçues, l’oncle n’y fit aucune
allusion. Il but et mangea en parlant des affaires qu’il avait faites dans le
Cotentin. Seulement, quand il partit, il adressa à Berthe un signe
d’intelligence qu’elle surprit. Et il dit à Fanny, comme en réfléchissant:
—A la Hêtraye, à la Hêtraye, que tu veux aller?
Elle le regarda avec surprise.
—Oui, dit-elle d’un ton craintif, nous croyons que c’est le mieux.
Il la fixa encore d’un air goguenard et attentif et fit un geste qu’elle ne
comprit pas. Berthe s’était détournée avec affectation. Fanny regarda
profondément le vieillard. Voilà. C’était lui qui représentait toute leur
famille, surtout les hommes, puisqu’elles ne possédaient ni père, ni
frères, ni maris. En ce quart d’heure que Berthe avait si bien employé, il
venait d’apprendre avec ces nouvelles du passé (le message du
chemineau et sa mort, l’arrivée du fils abandonné), cette nouvelle du
présent: les fiançailles de Fanny et l’entrée de l’instituteur dans sa vie. Et
tout cela ne valait pas un mot, une allusion... Elle se sentait à la fois
allégée et frustrée, car l’indifférence est quelquefois comme une insulte.
Elle réfléchit longtemps là-dessus ce soir-là. Maintenant, toutes ces
choses qu’il fallait qu’elle fît étaient comme un rocher sur sa route.
Enorme, il barrait son horizon et elle se disait: «Jamais je n’arriverai à le
remuer.»
Comment supposer, par exemple, qu’elles réussiraient à faire passer
pour naturelle leur soudaine retraite à la Hêtraye? Et comment si, déjà,
on n’avait jasé de la présence du soldat, n’en jaserait-on point? Et
comment, encore, prendrait-on cette nouvelle attitude de Silas auprès
d’elles? Silas. Lui seul, de son bras d’homme fort aurait pu faire vaciller
le rocher. Fanny l’avait presque cru, en l’entendant la revendiquer
comme sienne, l’autre jour, à la Hêtraye. Oui, mais il était parti. Parti
sans rien dire. Lui aussi, à la onzième heure, il l’abandonnait.
Le lendemain, dimanche, les sœurs se rendirent au temple. Un orage
avait éclaté dans la nuit. La ville et les bois brillaient, vernis de neuf,
sous un soleil rafraîchi. Les demoiselles montèrent à la tribune. Le
lecteur, qui remplaçait toujours l’instituteur pour les vacances, lisait la
Bible. C’était un petit homme avec de grosses moustaches grises et des
paupières sanguinolentes. Il psalmodiait complaisamment sa lecture. Par
le vitrail ouvert, on voyait une rose-thé se balancer au bout d’une longue
tige sur le mur voisin. Fanny ne pouvait s’empêcher de suivre la fleur des
yeux et il lui semblait qu’elle ne retrouverait jamais son ancienne
ferveur. Son cœur paraissait dévasté, aride, vide comme le vaste édifice
clair dénudé de la voix de Silas, de la voix sonore, caressante, savante de
Silas! Les assistants arrivaient, gagnaient leurs places dans les bancs que
leur famille occupait depuis l’origine du temple. Le culte se déroulait
selon la liturgie immuable; tout ici était fixe et solide. Le malheur d’une
vie ne pouvait cependant pas se consommer dans l’ombre de ces choses
éternelles!
Elle ferma les yeux pour mieux poursuivre un raisonnement qui se
brisait. Elle les rouvrit tout à coup; la basse veloutée de l’instituteur
montait d’en bas jusqu’à elle comme tous les dimanches. Elle crut rêver
et attendit le dernier cantique où, de nouveau, la voix s’éleva. Pourtant, il
n’était ni à la tribune, ni au banc du consistoire. Et ce ne fut qu’à la sortie
qu’elle vit qu’elle ne rêvait point, car il était là, vraiment, en face de la
porte, qui la cherchait des yeux.
Ce fut comme un miracle ou plutôt comme un signe qui lui était
destiné. Elle songea à l’arc-en-ciel après le déluge, à la manne au désert.
Mais, tant de regards étaient sur eux qu’elle n’osa aller vers lui et passa.
Berthe, d’ailleurs, avait déjà pris les devants et Fanny dut courir pour la
rattraper, et mener le même train jusqu’à la maison. Elles trouvèrent
l’oncle Nathan assis à la table, la serviette nouée derrière le cou.
—Allons, cria-t-il, y’a temps pour tout! J’ai été au temple à Saint-
Antoine, et me v’là.
—Avec vot’ cheval qui va comme l’enfer, c’est pas drôle! fit Berthe
qui tamponnait sa figure rouge et suante.
—Pourquoi se presser tant? osa demander Fanny qu’un fil invisible
avait tiré en arrière tout le long du chemin.
L’oncle et l’autre nièce échangèrent un regard plein de signification.
—On t’expliquera tout à l’heure, mangeons, dit le vieillard.
Fanny sentit s’amasser un de ces orages lourds de paroles et
d’exhortations qui crevaient si souvent sur elle depuis quelque temps, et
le bon déjeuner dominical du père Oursel fut gâté pour elle.
M. Le Brument commença avec le dessert:
—Alors, ma fille, dit-il en s’adressant à Fanny, comme ça, tu veux
aller à la Hêtraye?
L’entretien se renouait au point exact où il s’était rompu. C’était de
bon protocole normand.
Elle dit en hésitant:
—Je veux, c’est-à-dire nous croyons que ça vaut mieux pour le
moment.
Il opina, débonnairement, de toutes ses petites boucles d’argent.
—Oui, c’est sûr.
Et il laissa aux paroles de Fanny le temps de vivre et de mourir dans
l’air avant d’en ajouter d’autres.
—Vous croyez, reprit-il, vous croyez, mais si c’est pour le monde...
C’est-il pour le monde?
—Bien sûr! fit Berthe complaisamment en commère qui place une
réplique.
—Eh bien, ça étant, tu n’as peut-être pas raison.
—Comment? demanda Fanny, déroutée.
Il eut l’air de réfléchir et son grand nez en bec de rapace s’inclina vers
la nappe. Puis il dit lentement:
—Faudrait que ça soit toi qui y ailles, à la Hêtraye avec ce gars, pour
l’apaiser.
—Moi? Comment, moi?
—Oui, toi, toute seule.
—Sans Berthe? cria-t-elle avec une véhémence si inaccoutumée qu’un
instant ils lui livrèrent leurs yeux surpris, tels qu’ils étaient.
—Oui, sans Berthe. Comme ça, on n’aurait pas à trouver drôle que
vous laissiez votre maison d’ici, car ça le semblera, drôle!
Elle restait abasourdie. Jamais cela ne s’était présenté à son esprit. Et,
marquant son avantage, le vieillard continua:
—Et puis, toute seule, c’est «bien de révisé» si tu n’arrives pas à le
dompter, le gars! Il y en a d’aucuns qui sont ambitionnés à ne pas céder
devant un autre que leur maître. J’ai vu des chevaux comme ça!
Le ridicule de la comparaison ne frappa même pas Fanny. Elle songea
seulement avec désespoir: «Dompter quelqu’un! Comme si je le
pouvais!»
Et, tout de suite, un souci lui revint:
—Et Berthe?
Le bonhomme gratta son grand nez sec.
—Elle restera ici, je te dis. Elle...
Il s’interrompit, comme s’il se trouvait devant des mots trop lourds à
prononcer. Et, instinctivement, Fanny, si peu perspicace, mais si
sensitive, fut certaine que tout ce qui avait été dit jusque-là n’était rien et
que tout n’avait été dit que pour en venir là. Et elle reprit, d’un ton
machinal, comme si le dernier mot eût été un levier pour soulever les
autres:
—Elle...?
Le père Oursel entra avec le café. Avec ses mouvements d’automate,
il posa la cafetière—car on n’avait jamais pu l’habituer à l’usage du
plateau—et il disparut sans qu’une fois son regard eût croisé celui des
autres.
M. Le Brument dit à mi-voix à Berthe:
—Toujours de d’ même, l’ père Oursel! En v’là un qui s’occupe pas
du tiers et du quart! Quel bonhomme! Je suis sûr qu’il sait seulement pas
ce qui se passe sous son nez!
Berthe dit, dédaigneusement:
—L’ père Oursel? Rien, c’est rien.
En Fanny les pensées cheminaient comme sur un vent d’ouest. Elle
était sûre qu’on allait lui parler de l’instituteur, sans deviner comment.
Enfin le vieillard commença:
—M. Froment, votre voisin, il est parti, d’apparence?
—Il est revenu, dit Fanny: nous l’avons vu au temple, tout à l’heure.
—Revenu! Sa maison était fermée pour les vacances. Comment?
Personne ne répondit. Il reprit:
—Comment? C’est bien drôle, ça!
Pour la première fois depuis le début de la conversation, il paraissait
sincère.
Il y eut un silence, puis il continua:
—C’est peut-être quelque chose qu’il avait oublié.
Il regardait Berthe. Elle dit seulement:
—Ouat!
Elle semblait agitée et anxieuse. Fanny songea:
«Ça la contrarie qu’il soit revenu. Elle ne veut pas que je le revoie.»
Le bonhomme poursuivit, comme s’il prenait enfin une résolution:
—Faut te faire une raison, Fanny, ma fille. Faut te faire une raison.
Cette fois, il la regardait. Elle essaya de saisir quelque chose dans les
froids yeux bleus, si pareils à ceux de sa mère, ces yeux qui avaient glacé
sa vie. Mais, comme toujours, elle y fut impuissante.
D’ailleurs, le moment favorable était passé. Il se leva, après avoir plié
méthodiquement sa serviette et secoué ses miettes.
—Puisque c’est comme ça, faut que j’ m’en aille. Il est temps.
Berthe se leva et alla lui chuchoter quelques mots à l’oreille. Il fit:
«Oui» de la tête. Puis, prenant son chapeau:
—Fais-toi une raison, ma fille, dit-il, c’est ton intérêt.
Fanny écoutait désespérément. Elle sentait que quelque chose était
résolu contre elle qu’elle ne savait pas. Et elle ne comprit que lorsqu’elle
vit l’oncle entrer par la petite porte de la cour d’école.
Pâle jusqu’aux lèvres, elle se retourna. Berthe la guettait. Alors un
peu de courage lui vint. Qu’est-ce qu’ils avaient décidé? La question dut
être si clairement écrite dans ses yeux que Berthe répondit avec une
espèce d’arrogance qui masquait autre chose:
—Faut bien en finir!
Fanny mit sa main à sa gorge.
—Finir quoi?
Une expression nouvelle parut sur la grosse figure de la cadette. Elle
posa la main sur le bras de sa sœur.
—Allons, allons! dit-elle avec une espèce de bonhomie, si ça a du bon
sens!
Elle l’attira dans la pièce.
—Quitte cette fenêtre. Qu’est-ce que ça te donne de guetter la route?
Elle continua pendant un instant à prononcer des phrases
insignifiantes, qui déjà agissaient par cette vertu lénifiante des mots de
tous les jours dans les situations graves. Machinalement, Fanny obéissait
et c’était le commencement de sa reddition.
Berthe la fit asseoir. Elle s’assit elle-même, et puis elle commença:
—Ecoute...
Elle se recueillit quelques secondes et détourna les yeux de la pâle
figure hallucinée de Fanny.
—Tu vois bien toi-même que ça ne peut pas durer comme ça. Il faut
prendre un parti. Sur le coup, on ne se rend pas compte. Mais le monde
ne comprendrait pas que nous allions toutes les deux nous enterrer à la
campagne. Il faut une raison pour que tu partes, puisque c’est toi qui doit
partir: une raison... importante... qui nous oblige à nous séparer. Tu
comprends?
Les yeux de Fanny répondirent éloquemment que non.
Berthe reprit, avec une sorte de patience appliquée:
—Il n’y a qu’une raison qui puisse nous y forcer. Vois-tu ça?

You might also like