Microeconomics 6th Edition Hubbard Test Bank 1
Microeconomics 6th Edition Hubbard Test Bank 1
Microeconomics 6th Edition Hubbard Test Bank 1
1) When the federal government orders firms to use particular methods to reduce pollution, it is said to
be using
A) command-and-control policies.
B) strong-arm tactics.
C) global initiatives.
D) market-based policies.
Answer: A
Diff: 1 Page Ref: 6/e, 147
Topic: Cap-and-Trade
Learning Outcome: Micro-5: List ways in which governments intervene in markets and explain the consequences of
such intervention.
AACSB: Analytic thinking
Special Feature: Chapter Opener: Can Economic Policy Help Protect the Environment?
1
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Special Feature: Chapter Opener: Can Economic Policy Help Protect the Environment?
3) Conceptually, the efficient level of carbon emissions is the level for which
A) the marginal benefit of reducing carbon emissions is maximized.
B) the marginal cost of reducing carbon emissions is minimized.
C) the marginal benefit of reducing carbon emissions is equal to the marginal cost of reducing carbon
emissions.
D) the marginal benefit of reducing carbon emissions is minimized and the marginal cost of reducing
carbon emissions is maximized.
Answer: C
Diff: 1 Page Ref: 6/e, 147
Topic: Cap-and-Trade
Learning Outcome: Micro-20: Apply the concepts of opportunity cost, marginal analysis, and present value to make
decisions.
AACSB: Analytic thinking
Special Feature: Economics in Your Life: What's the "Best" Level of Pollution?
2
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4) An externality is
A) a benefit realized by the purchaser of a good or service.
B) a cost paid for by the producer of a good or service.
C) a benefit or cost experienced by someone who is not a producer or consumer of a good or service.
D) anything that is external or not relevant to the production of a good or service.
Answer: C
Diff: 1 Page Ref: 6/e, 148
Topic: Externalities
*: Recurring
Learning Outcome: Micro-22: Explain how externalities affect market efficiency.
AACSB: Analytic thinking
10) Which of the following represents the true economic cost of production when firms produce goods
that cause negative externalities?
A) the private cost of production
B) the social cost of production
C) the external cost of production
D) the explicit cost of production
Answer: B
Diff: 1 Page Ref: 6/e, 149
Topic: Negative Externality
*: Recurring
Learning Outcome: Micro-22: Explain how externalities affect market efficiency.
AACSB: Analytic thinking
4
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12) What is a "social cost" of production?
A) the cost of the natural resources used up in production
B) the total costs of producing a product, both implicit and explicit costs
C) the sum of all costs to individuals in society, regardless of whether the costs are borne by those who
produce the products or consume the product
D) the cost of the environmental damage created by production
Answer: C
Diff: 2 Page Ref: 6/e, 149
Topic: Social Cost
*: Recurring
Learning Outcome: Micro-22: Explain how externalities affect market efficiency.
AACSB: Analytic thinking
13) If you burn your trash in the backyard in spite of regulations against it, then you are
A) acting economically irrationally and creating a social cost.
B) avoiding the private costs associated with disposing your trash some other way and creating a social
cost.
C) acting rationally and creating a positive externality.
D) saving landfill space and creating a social benefit.
Answer: B
Diff: 2 Page Ref: 6/e, 148
Topic: Private Cost
*: Recurring
Learning Outcome: Micro-22: Explain how externalities affect market efficiency.
AACSB: Analytic thinking
5
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chasseur endurci.
Certes, ce serait un grand péché devant Allah, que de jeter les yeux
sur l’épouse de son fils! Mais Mouley Hassan ne sait pas refréner ses
désirs, et, peut-être, croit-il à des droits d’exception, pour un personnage
tel que lui...
Qui blâmerait la prudence de Mouley Abdallah, possesseur d’une
perle si rare, à l’éclat merveilleux?
—O Puissant! que de négresses, que de vierges! s’exclame la petite
Cherifa. Mouley Hassan se rend à Fès chaque fois qu’arrive un convoi
d’esclaves et il en ramène les plus belles. Lella Fatima Zohra montre
bien de la patience! Et que ferait-elle, la pauvre? Mouley Hassan l’a
rejetée comme un vieux caftan... Sais-tu, continue-t-elle, les yeux
brillants, que, malgré sa barbe blanche, il veut encore épouser une jeune
fille!
—Un jour, Lella Fatima Zohra m’en a parlé, mais j’ignore même le
nom de celle qu’il choisit.
—C’est Lella Oum Keltoum, ta voisine de terrasse, tu dois la
connaître?
Lella Oum Keltoum! La sombre fillette que ne peuvent distraire les
splendeurs du couchant ni la réunion des femmes bavardes...
—Pourquoi le Chérif la convoite-t-il ainsi? Elle n’est pas même
jolie... Il ne manque pas à Meknès de vierges plus attirantes.
—Oui, me répond Lella Meryem, mais il ne saurait trouver, dans tout
le pays, une héritière aussi fortunée. Or, Mouley Hassan aime les réaux
d’argent autant que les jouvencelles, et il veut épouser Lella Oum
Keltoum bien qu’elle se refuse obstinément à ce mariage.
—Depuis quand, ô ma sœur, les vierges sont-elles consultées sur le
choix de leur époux? Voici des années que je vis parmi les Musulmanes,
et, de ma vie, je n’entendis parler de ceci.
—O judicieuse! telle est en effet notre coutume, et les adolescentes
sont mariées par leur père ou leur tuteur, sans avoir jamais vu celui
qu’elles épousent... Alors comment donneraient-elles leur avis, et qui
songerait à le leur demander!... Par Allah, ce serait inouï, et bien
malséant! Mais, pour ce qui est de Lella Oum Keltoum, les choses sont
différentes.
»C’est une étrange histoire entre les histoires:
»Son père, Sidi M’hammed Lifrani—Dieu l’ait en sa Miséricorde,—
était un cousin de Mouley Hassan. Il a laissé d’immenses richesses.
Combien de vergers, de terres, d’oliveraies, de silos pleins de blé, de
pressoirs d’huile! Et des moutons, des négresses, des sacs de douros
empilés dans les chambres!... Quand il mourut, à défaut d’héritier mâle,
une partie de ses biens retournèrent au Makhzen, et Lella Oum Keltoum,
son unique enfant, eut le reste. C’était encore la moitié du pays.
»Or, il y avait eu, du temps de son père, une rivalité entre les deux
cousins: Mouley Hassan détestait Sidi M’hammed Lifrani, plus riche et
plus puissant que lui... On dit qu’il essaya, par des cadeaux au grand
vizir, de remplacer son cousin qui était Khalifa du Sultan. Il n’y parvint
pas. Plus tard, une réconciliation étant intervenue, Mouley Hassan
prétendit, pour l’assurer, faire un contrat de noces avec Lella Oum
Keltoum. Elle perdait à peine ses petites dents!
»Sidi M’hammed chérissait sa fille, la seule enfant qu’Allah lui eût
conservée. Il refusa de la donner à son cousin, disant que ce serait un
péché de marier, à un homme déjà vieux, une fillette à peine oublieuse de
la mamelle. Mais à partir de ce moment, il eut peur... Quand il sentit
ployer ses os, il fit venir les notaires, et arrangea toutes ses affaires.
»Et voici pour Lella Oum Keltoum: il déclara dans son testament, par
une formule très sacrée, qu’elle désignerait elle-même son époux, fût-il
chrétien, fût-il juif,—hachek[25]!—pourvu qu’il se convertit à l’Islam. Et
que son consentement devrait être donné par elle devant notaires, et
inscrit dans un acte, pour que son mariage pût être célébré.
»Le Cadi fut très scandalisé d’une pareille volonté, si contraire à nos
usages. Mais la clause était valable, inscrite dans un testament conforme
à la loi, et Sidi M’hammed y avait également inséré, par prudence, un
legs important au Cadi. En sorte qu’il ne pouvait annuler ce testament
sans se léser lui-même.
—Alors, que peut faire Mouley Hassan? Lella Oum Keltoum n’a qu’à
choisir un époux de son gré.
—C’est justement ce qu’avait voulu son père, mais le meilleur cheval,
quand il est mort, ne saurait porter un caillou... Mouley Hassan chercha,
tout d’abord, à faire annuler le testament. Le Cadi s’y refusa. Il voulut
ensuite ramener Lella Oum Keltoum à Meknès. Elle était restée à Fès
comme au temps de son père, et elle échappait mieux, ainsi, aux desseins
du Chérif.
»Le tuteur, un homme juste et craignant Dieu, essaya de s’opposer à
ce retour; il connaissait les convoitises de Mouley Hassan. Alors celui-ci
demanda sa révocation. Certes, il dut payer beaucoup, car il l’obtint. Un
autre tuteur fut nommé, et commencèrent les tourments de Lella Oum
Keltoum. Elle vit entourée d’ennemis. Sa mère, Marzaka, est la plus
mauvaise; une esclave ne saurait avoir qu’un cœur d’esclave. Mouley
Hassan acheta sa complicité par des cadeaux. C’est Marzaka elle-même
qui a traîné sa fille à Meknès, malgré sa résistance.
—Et si Lella Oum Keltoum désignait un autre homme!
—Elle l’a voulu. Par défi, elle prétendait épouser un nègre affranchi.
Mouley Hassan interdit aux notaires d’aller recevoir sa déclaration, et
Marzaka battit sa fille jusqu’à ce que la peau s’attachât aux cordes...
Quant au nègre, on ignore ce qu’il devint, et les gens disent en parlant de
lui:—«Qu’Allah l’ait en sa miséricorde!» comme pour un mort...
—S’il plaît à Dieu! m’écriai-je, Lella Oum Keltoum finira par
l’emporter sur tous ces perfides!
—Qui le sait! Nul n’échappe à son destin. Tu connais l’histoire de ce
marchand trop prudent: pour éviter les voleurs, il coucha dans un
fondouk. Or la terrasse était vieille et s’écroula sur lui... Sa mort était
écrite cette nuit-là.
—Ne crains-tu pas, si Mouley Hassan parvient à épouser Lella Oum
Keltoum, qu’il ne se venge de ses refus?
—Allah!... Tu ne connais pas les hommes! Il se réjouira d’elle parce
qu’elle est jeune, et de ses biens, puisqu’elle est riche. Et sa résistance,
qui l’irrite à présent, il la jugera tout à fait excellente, quand elle sera sa
femme. Une vierge pudique et bien gardée ne saurait agir autrement à
l’égard de l’homme qu’elle doit épouser, même si le mariage la réjouit
secrètement. Certes Lella Oum Keltoum hait Mouley Hassan à la limite
de la haine, car il fut cause de tous ses maux. Mais il a bien trop
d’orgueil pour le croire...
Lella Meryem se tait, lasse d’avoir si longtemps parlé d’une même
chose... et soudain, l’esprit occupé d’un sujet tout aussi passionnant, elle
s’écrie:
—O ma sœur!... le brocart que Lella Maléka portait, dit-on, aux noces
de sa nièce, le connais-tu? sais-tu où l’on en peut avoir?... Pour moi, on
l’a cherché en vain à toutes les boutiques de la Kissaria... Dans ma
pensée, elle l’aura fait venir de Fès.
20 décembre.
Trois fumeurs de kif rêvent au coin de la place devant l’échoppe du
kaouadji[26].
Le jour s’achève, triste et sombre: quelques feuilles d’un vert flétri
jonchent le sol. Elles ne savent pas mourir en beauté. L’automne est une
apothéose pour notre vieux monde, le suprême éclat des choses
finissantes, plus exquises d’être à l’agonie. L’Afrique ne connaît que
l’ivresse ardente du soleil; dès qu’il disparaît, elle s’abandonne,
lamentable.
Mais les fumeurs échappent à la mélancolie des saisons: un
chardonneret chante au-dessus de leurs têtes, dans une cage suspendue à
l’auvent de la boutique; un pot de basilic, placé devant leurs yeux,
arrondit sa boule verte, et le kif s’évapore lentement, fumée bleuâtre, au
bout des longues pipes ciselées et peintes.
Ils ont ainsi toutes les chansons, toute la verdure et tout le soleil...
Ce sont deux jeunes hommes et un vieillard. Leurs yeux vagues
larmoient, perdus dans le mystère d’une extase; ils ne bougent pas,
respirent à peine. Leurs visages doux et béats s’alanguissent en une
même torpeur voluptueuse.
Le vieillard murmure des paroles sans lien, d’une étrange voix
chantante et suave:
—Viens, Lella!...
... ô ma gazelle!
... mon petit œil!
... mon petit foie!
... Viens, ô ma dame! ma chérifa!...
... viens!
Le jour s’éteint.
Les fumeurs de kif continuent à contempler le vide.
Mollement, un mûrier trempe ses branches dans la nuit, et ses feuilles
tombent silencieuses, comme à la surface d’un étang.
3 janvier 1916.
Les demeures mystérieuses n’ont plus de secret pour moi, je connais
leurs splendeurs et leurs trésors si bien cachés. Je sais les noms, les
coutumes et les grâces de celles autour de qui furent élevées les hautes
murailles. Je m’initie aux intrigues et aux drames de leur existence:
Lella Maléka et Lella Zohra co-épouses de Sidi M’hammed El
Ouazzani, se consolent, avec leurs esclaves, des privations imposées par
un vieux mari... Une haine farouche divise au contraire toutes les
femmes et toutes les négresses du voluptueux Si Larbi El Mekki, car il
leur distribue ses faveurs inégalement, sans souci du châtiment qui
l’attend au jour de la Rétribution[27].
10 janvier.
Ma voisine de terrasse—la farouche, l’inquiète, la chevrette noire et
soupçonneuse—ne s’enfuit plus à mon approche. Lella Meryem dut lui
faire savoir que je serais une alliée.
Parce que les tourments sont trop lourds à supporter dans l’isolement,
parce que sa mère et les autres femmes du logis la trahiront pour
quelques réaux, c’est à moi l’étrangère, la Nazaréenne, que Lella Oum
Keltoum découvre sa détresse... Un soir, elle osa m’appeler, et, depuis
lors, au moghreb, comme toutes les Marocaines et tous les oiseaux
babillards, perchée sur le mur qui sépare nos terrasses, elle bavarde
inlassablement.
Mais, à mesure que le crépuscule assombrit le monde, Lella Oum
Keltoum sent épaissir les ténèbres de son cœur et noircir la fatalité.
Étrange enfant, mauvaise, irascible, sans beauté ni grâce, et cependant
attachante en sa révolte désespérée. Elle lutte, elle se cabre, elle brave sa
mère, son tuteur, les notaires et le Cadi, tous vendus au Chérif pour la
livrer comme une proie. Elle crie sous les coups, a des ruses puériles,
répond à la violence par de fausses promesses, mais jamais ses lèvres ne
prononcent l’acceptation solennelle qu’imposa la prudence du père.
L’entêtement de cette fillette l’emporte sur le superbe Mouley Hassan et
déjoue ses profonds desseins.
Lella Oum Keltoum exècre sa mère, ses négresses et les parentes de
son entourage. Elle les maudit, par derrière, d’effroyables malédictions.
—Puissent les punaises rouges te dévorer tout entière.
—Puisse ta langue enfler dans ta bouche et t’étouffer.
—Puisse ton ventre se couvrir de lèpre!
—La cécité dans tes yeux, s’il plaît à Dieu!
Elle affirme son autorité sur les esclaves comme une enfant rageuse,
leur jette ses babouches au visage, les humilie et les frappe
haineusement.
Lella Oum Keltoum éprouve une joie mauvaise en me contant les
tourments qu’elle leur inflige. Ses veux de chatte, vifs et perçants, luisent
de cruauté...
Chaque jour cependant approche le terme de son malheur. Qui saurait
modifier les arrêts d’Allah?
—Pourquoi, lui dis-je, refuses-tu d’épouser Mouley Hassan. Il est
riche, noble et grand parmi les grands!... Combien de vergers, de terres et
de belles demeures il possède! Il te donnerait beaucoup de présents.
—Il est vieux, réplique-t-elle d’une voix irritée, il a trois femmes, et
moi je veux mon cousin Mouley El Fadil...
—Quoi, ce jouvenceau qui étudie à la mosquée?
—Oui! sa barbe est encore toute petite... nous avons joué ensemble
quand nous étions enfants. C’est lui que je préfère.
—Sais-tu seulement s’il te veut pour épouse?
—Par Allah! qui donc refuserait mes biens? riposte la fillette en se
rengorgeant. Mais Mouley Hassan est puissant et le fils de mon oncle a
peur... Moi, je ne crains personne, ajoute-t-elle avec un rire acide.
Sa brusque expansion s’arrête, son regard s’éteint... et j’aperçois sa
mère, la grosse négresse mielleuse, qui s’approche, tout épanouie
d’affabilité. Ses hanches trop lourdes la font osciller de droite et de
gauche, tel un kemkoum[29] de hammam. Elle exhale un parfum de roses
et d’huile rance.
Nous échangeons d’innombrables politesses et nos sourires les plus
suaves.
—Puisses-tu, ajoute enfin Marzaka la négresse, raisonner un peu cette
folle! Je n’ignore pas ton entendement et les gens louent ta prudence.
—Il ne saurait y avoir meilleurs conseils que ceux d’une mère,
répondis-je, afin de ne point éveiller sa méfiance. Les jeunes ont tout
avantage à consulter leurs devanciers.
Je craignis, un instant, de m’attirer, par ces paroles, la rancune de
Lella Oum Keltoum. Mais, habituée aux ruses, elle sut deviner la
mienne, car elle insista pour que je vinsse, le lendemain, sur l’invitation
que m’en faisait la négresse.
Bien que nos demeures soient mitoyennes, il me fallut faire un long
détour afin d’arriver chez mes voisines. Leur porte se terre au fond d’une
impasse, à laquelle on n’accède que par un dédale de ruelles sombres et
ruinées.
Le palais de Sidi M’hammed Lifrani se dégrade aussi lamentablement
que les masures d’alentour. De longues crevasses, d’où s’échappent des
herbes et des résédas sauvages, lézardent ses murailles; les pluies ont
raviné sa façade. La somptuosité du patio, pavé de marbres noirs et
blancs, proteste contre l’incurie des habitantes. Une lèpre jaunâtre ronge
les ciselures des stucs; les colonnes s’effritent; les mosaïques, arrachées
aux murs, y ont laissé de petits trous poussiéreux; les précieuses
peintures et les ors des boiseries meurent sous les infiltrations de l’hiver.
Dans les salles négligées traînent de vulgaires ustensiles; les esclaves
roulent le couscous et allument des canoun sur les tapis... Les sofas n’ont
pas même la décence de leur misère; de larges déchirures baillent à
travers leurs brocarts où les arabesques d’or n’ont laissé que des traces
jaunâtres. Les taches de bougie maculent toutes les étoffes. Des
mousselines, salies et trouées, protègent de flasques coussins, dont les
esclaves ont dérobé la laine.
Lella Oum Keltoum, à qui toutes choses appartiennent, n’est encore
qu’une faible petite fille. Par l’appui de Mouley Hassan et la
complaisance du tuteur légal, Marzaka, la négresse, règne seule en cette
demeure. Elle domine toutes les femmes et ne sait les diriger.
Après la mort de Sidi M’hammed Lifrani, son premier soin fut de
vendre les esclaves, ses compagnes, dont la peau trop claire
assombrissait la sienne. Ce ne sont plus, à présent, que faces de nuit où
luisent des yeux et des dents.
Le teint bronzé de Lella Oum Keltoum y gagne un éclat imprévu. Au
milieu de cet étonnant entourage, elle semble vraiment une souveraine.
Pauvre petite sultane ployée sous la tyrannie maternelle et plus esclave
que ses esclaves!
Ses révoltes augmentent le malaise qui plane en ce logis. On y sent
des intrigues, des convoitises, des haines.
Nous échangeons de vagues politesses, tout en buvant du thé.
Marzaka, assise auprès de moi sur le sofa, épuise les compliments. Lella
Oum Keltoum garde un silence maussade et son visage devient plus dur
lorsque sa mère l’en réprimande. Chacune m’épie, les paroles se font
rares.
... De la rue, à travers les murs, parvient une mélopée dont le sens
m’échappe. Mais les femmes ont reconnu cet appel, car toutes, sans plus
se soucier de ma présence, elles se précipitent vers le vestibule.
Seule, Lella Oum Keltoum reste avec moi. Son visage aussitôt se
détend:
—O chérie, me dit-elle, tu rafraîchis mon cœur. En te voyant, j’oublie
mes peines si cuisantes... Ce matin, on voulait chercher les notaires pour
entendre mon consentement. J’ai dit «Non!» et l’esclave m’a battue.
—Quelle esclave osa frapper Lella Oum Keltoum?
—Ma mère, ce charbon, cette truie!
Le retour des femmes interrompt l’enfant. Deux bédouines les
accompagnent, sordides et belles en leurs haillons drapés. La plus jeune,
une superbe créature au profil rigide, couverte de tatouages, svelte et
musclée, étend sur le sol du sable divinatoire...
L’excitation est extrême parmi les négresses; toutes interrogent à la
fois. Lella Oum Keltoum réclame, avec insistance, des prédictions!
—O Allah! dit la devineresse, tout est noir autour de moi, je ne
distingue rien... Apportez quelque chose de blanc, afin de m’éclairer...
Mazurka lui glisse une piécette d’argent, qu’elle saisit avidement. Sa
vision devient plus nette:
—«Lella Oum Keltoum, reprend-elle d’une voix chantante, tu m’es
envoyée par le Seigneur et son Prophète. Sur lui, la bénédiction et le
salut!
En toi, je vois le désir d’une chose qui ne fut pas écrite au livre de ta
destinée.
Laisse-la!
En une chose proche sera pour toi le bien.
Cet homme est celui qui t’apportera la félicité.
Il t’aime. Et toi, tu dis un jour «oui» et l’autre «non».
Il faut te conformer aux desseins du Puissant.
Contente-toi de peu, en attendant qu’il te donne beaucoup.
Car alors,—s’il plaît à Dieu!—rosira ton visage, et jaunira celui de
tes ennemis.»
La fillette écoute avec émotion. Elle ne songe point que sa mère et les
esclaves ont reçu les sorcières dans le vestibule... Elle ne s’étonne pas de
la précision de son horoscope et de l’obscurité de tous les autres.
«Il t’est venu un gros pain, dont tu mangeras ainsi que les tiens,
disent les bédouines à Marzaka.
Celui qui goûtera ce pain se réjouira.
Les autres pleureront.»
Et à moi:
«Tu tiens entre tes mains ta destinée comme un oiseau captif.
Une parole a été prononcée,
Une autre suivra,
Ce qui doit s’accomplir
Bientôt s’accomplira.»
Chacune découvre ce qui lui plaît dans le jargon des devineresses, et,
bien que les femmes aient influencé l’oracle d’Oum Keltoum, il leur
semble qu’il se passe là quelque chose de grave, de religieux, d’évident.
Leurs cervelles primitives accueillent l’extraordinaire avec simplicité.
Ces bédouines en haillons, dont on excite le verbe par des piécettes,
savent, à n’en point douter, tous les secrets du temps.
13 janvier.
Rêve écroulé d’un grand prince, cité trop vaste et déchue, Meknès
somnole dans l’engourdissement de l’Islam.
Seules, désormais, les cigognes hantent les palais de Mouley
Ismaïl[30]. Parmi les ruines, des rosiers escaladent les citronniers, les
grenadiers, les orangers, et mêlent leurs fleurs aux fruits éclatants que
nul ne cueille.
Les cimetières sont des jardins où l’on s’assemble, sous les
micocouliers aux lourdes ramures, pour contempler, à l’heure du
moghreb, l’horizon des montagnes lointaines derrière les tombes.
J’aime en Meknès les contrastes de gloire et d’agonie.
Quelques bourricots, silhouettes minuscules et brunes, traversent
l’immense place el Hedim. Des autruches à demi sauvages règnent sur
l’Aguedal, destiné au déploiement des armées chérifiennes. Les rues
enchevêtrent leur labyrinthe, coupé de soleil et d’ombre, des gamins,
échappés à la Médersa, troublent parfois leur quiétude... Un grave
Chérif, dont les passants baisent dévotement le burnous, frôle la
poussière de ses draperies... Des femmes voilées heurtent à un seuil,
s’engouffrent silencieuses et gauches, par la porte entr’ouverte. Un
notable trottine sur sa mule, suivi d’esclaves noirs et luisants. Les
muezzins jettent leurs invocations du haut des minarets... et la vie
s’écoule monotone, calme, heureuse, facile, à l’ombre des treilles et des
vieux murs.
Pourtant, chaque année, vers cette époque du Mouloud, Meknès sort
de sa léthargie pour devenir la plus frénétique cité de l’Islam.
Depuis deux jours, ses fils, frappés d’une subite et sanguinaire folie,
se sont mués en Aïssaouas aux regards hallucinés, aux cris rauques, aux
trépidations épileptiques.
De tout le pays accourent, par bandes, les membres de la Confrérie:
maigres Sahariens, élancés, vigoureux et bruns; habitants des rivages et
des villes, dont le démence passagère secoue la nonchalance; pâtres,
cultivateurs, guerriers; Berbères aux vêtements grossiers et aux traits
rudes; Algériens et même Tunisiens, que la longueur du trajet ne
détourna pas du pèlerinage au tombeau de leur très saint patron, Sidi ben
Aïssa.
Mais les lettrés jugent et déplorent leurs pratiques, si contraires aux
enseignements de Notre Seigneur Mohammed, Envoyé d’Allah.
Certes, Sidi ben Aïssa fut un homme sage, ennemi du désordre. Il
n’avait pas prévu les excès auxquels ses disciples se livreraient en son
nom, et s’en fût assurément fort affligé. Il prêchait la prière et le
renoncement devant Allah, qui surpassent tous les biens de ce monde.
Le sultan qui régnait alors imprimait sur Meknès le sceau de sa gloire.
Il voulait en faire une cité colossale et splendide, rivale des plus célèbres
capitales de l’Europe. Des milliers de captifs chrétiens, d’esclaves noirs
venus du Soudan, de prisonniers assujettis pendant les combats,
construisaient, sans relâche, des remparts et des palais. Les plus habiles
artisans, recrutés jusqu’aux confins de l’Empire Fortuné, mettaient leur
art au service du souverain, pour en exécuter les orgueilleuses
conceptions. Une effervescence, un excès d’activité, bouillonnaient dans
toute la ville.
Sidi ben Aïssa voyait avec tristesse que les «serviteurs d’Allah»,
oubliant leurs premiers devoirs, s’employaient uniquement à l’exaltation
du puissant despote. Et comme, par la grâce du Seigneur, il était fort
riche, il se prit à parcourir les souks, chaque matin, à l’heure où se
recrutent les ouvriers, afin d’embaucher, à un prix supérieur, tous ceux
qui désiraient du travail. Puis, il les mettait en prière jusqu’au moghreb,
et les rétribuait suivant ses promesses.
Ainsi, les chantiers se vidèrent peu à peu, à la fureur du Sultan.
Pourtant il n’osa faire mourir son pieux concurrent, et se contenta de le
chasser.
Sidi ben Aïssa, s’éloignant de la ville, suivi de quelques fidèles, passa
près de la demeure de Sidi Saïd, également réputé pour sa sainteté, et dit:
—Celui qui n’a pas de feu en emprunte au voisin.
A ces paroles, Sidi Saïd saisit une outre vide, souffla dedans avec
force et, par un prodige d’Allah, Lui seul est tout-puissant, le ventre du
Sultan se mit à gonfler démesurément, en même temps que l’outre...
Le souverain, affolé, implora son pardon. Il ne l’obtint qu’en
rappelant l’exilé à Meknès et en s’humiliant devant Dieu.
Mais les disciples de Sidi ben Aïssa, frappés par le miracle, voulurent
abandonner leur maître pour se ranger sous la direction de Sidi Saïd.
—Qu’avez-vous à faire de mes conseils? leur demanda celui-ci, votre
cheikh est complet.
Et il les renvoya, persuadés, auprès de lui.
C’est ainsi que Sidi ben Aïssa fut surnommé le «Cheikh el Kamel» (le
cheikh complet), et que sa mémoire demeura jointe à celle de Sidi Saïd,
en une même vénération.
Après la mort de Sidi ben Aïssa, ses disciples donnèrent les marques
d’une excessive douleur.
Depuis lors, ils se réunissent chaque année à Meknès, pour le
Mouloud, emplissant la ville de leurs chants, de leurs musiques et de
leurs danses.
Ceci nous fut conté, un jour, par le cadi, tandis que nous traversions le
pittoresque cimetière où le Saint repose.
A travers les aloès, les hautes herbes et les oliviers aux troncs
difformes, on aperçoit le marabout de Sidi Saïd, émergeant d’un bosquet.
Svelte, et nettement profilé sur l’horizon, un palmier solitaire le
domine.
—Les hommes, avait ajouté mélancoliquement notre compagnon, ne
sont que des hommes, les jours ne sont que des jours, les époques ne sont
que des époques, et l’Univers est au Vainqueur.
15 janvier.
La folie des Aïssaouas envahit toute la ville et la possède jusqu’aux
moelles.
Il n’est plus d’impasses paisibles, de petites places désertes et
solitaires à l’ombre des mûriers, de quartiers silencieux.
Nuit et jour, les bandes d’Aïssaouas parcourent les ruelles, vibrantes
de leurs clameurs. Les esclaves et les femmes du peuple, penchées au
bord des terrasses, y répondent par des yous-yous perçants, tandis que les
autres, celles qui sont éternellement recluses derrière les murs,
frémissent d’angoisse et de plaisir à la pensée des choses qu’elles ne
voient pas.
Des légendes se répètent avec un petit frisson: celle de l’Aïssaoui que
l’on enchaîne chaque année, au moment de la fête, depuis que, hors de
lui, au retour d’une procession, il dévora son propre enfant...
Celle des Juifs qui furent happés et dépecés comme de simples
moutons...
Celle des Sehim, si terribles en leur délire sacré, que l’entrée de la
ville leur est interdite...
Mes amies supputent gravement le nombre de pèlerins accourus «du
monde entier», des Chleuh descendus de la montagne, des agneaux
égorgés et des babouches vendues aux étrangers.
Lella Meryem se passionne aux récits de ses esclaves; une lueur de
volupté trouble ses yeux enchanteurs, pour le massacre d’un mouton...
Toute la maisonnée de Lella Oum Keltoum trépide sur la terrasse. J’ai
vu ma petite voisine, oubliant ses tourments et ses haines, s’agiter en
cadence avec des airs d’exaltation, tandis que la grosse Marzaka, secouée
d’une crise hystérique, se débattait, entre les mains des négresses, afin de
se précipiter dans l’espace, au passage des Aïssaouas.
Ils sont nus, ils sont hagards, ils sont horribles... Leurs mouvements et
leurs cris ont l’implacable continuité de la démence.
Du haut des terrasses, on leur jette une chèvre ou un mouton sur
lequel ils se ruent, en une dégoûtante et sauvage curée.
Des mains frénétiques écartèlent la victime, arrachent les entrailles,
les morceaux de chair pantelante, la toison maculée... Grisés par le sang
dont ils sont couverts, les Aïssaouas poussent des rugissements de plus
en plus effroyables. Leurs yeux se dilatent au fond des orbites, leurs
doigts crispés semblent munis de griffes, leurs gestes se font terriblement
menaçants.
Ce ne sont plus des hommes, mais des fauves: des lions, des loups,
des panthères, des sangliers, suivant le rôle qui leur fut assigné dans la
Confrérie.
Quelques-uns tombent raides, soudainement épuisés; d’autres se
tordent, l’écume aux lèvres, en de hideuses convulsions... Puis les chefs,
à coups de matraque, chassent la troupe hurlante qui s’éloigne, bannières
au veut, et se dirige vers le lieu d’un nouveau carnage.
Appuyées au rebord de ma terrasse, Yasmine et Kenza regardent, avec
passion, avec béatitude. Yasmine en folie; les yeux convulsés, secoue
frénétiquement sa tête et crie:
—Allah! Allah! Allah!
18 janvier.
Les hurlements et la fureur mystique hantent les jours et les nuits.
Nous vivons dans un cauchemar où s’agitent des êtres éperdus...
L’excitation a grandi toute la semaine à travers les maisons et les rues.
Elle atteint son paroxysme aujourd’hui, fête du Mouloud, sur le passage
de l’interminable et fanatique procession, qui se déroule, jusqu’au
crépuscule, entre le marabout de Sidi Ben Aïssa et celui de Sidi Saïd.
Les groupes succèdent aux groupes, animés d’une même démence,
clamant inlassablement le nom d’Allah. Des femmes berbères secouent,
d’un mouvement spasmodique, leurs chevelures sauvages, véritables
crinières de lionnes en fureur.
Des hommes au torse nu, au visage bestial, s’avancent, les bras
enlacés, se prêtant un mutuel appui, comme s’ils étaient ivres. Quelques-
uns agitent leurs draperies sanglantes, d’autres se brûlent avec des
torches, se défoncent la tête à coups de hache, s’enfoncent dans la chair
de longues épines, sans interrompre le rythme implacable qui les
possède.
Le soleil tape sur les crânes en ébullition, arrache des scintillements
aux bijoux, aux poignards et aux harnachements, flamboie sur les
étendards éclatants, embrase tout un peuple d’énergumènes.
Les hurlements se mêlent aux sons exaspérés des flûtes et des
tambours, aux hennissements des chevaux montés par les chefs, aux
clameurs de la foule, aux cris aigus des Marocaines...
Cette contagieuse folie gagne les spectateurs, qui s’écrasent sur tous
les remparts et toutes les terrasses; des femmes, prises de mouvements
convulsifs, tentent d’échapper aux compagnes qui les retiennent, pour se
jeter du haut des murs...
Une angoisse m’étreint au milieu de cette immense hallucination. Il
semble qu’un délire secoue la ville tout entière d’une fantastique et
furieuse frénésie...
19 janvier.
Ce matin, dès l’aube, le pèlerinage s’est disloqué. Les étrangers
s’empressent de regagner, par étapes, leurs villes lointaines; les Chleuh
s’enfoncent dans la montagne; les Meknass retournent à leurs
occupations.
Un «lion» farouche a repris ses pinceaux pour tracer d’étranges
bouquets symétriques sur les boiseries d’une mosquée. Je retrouve un
«sanglier» placidement accroupi au milieu de son échoppe. L’Aïssaoui à
face de brute, barbouillée de sang, dont le souvenir hante comme un
cauchemar, est redevenu un digne bourgeois aux digestions lentes, aux
gestes rares et solennels.
Les femmes emprisonnées retombent dans l’apathie morne de leurs
journées. Lella Oum Keltoum et Marzaka, rapprochées par une
commune démence, un instant, se jettent des regards plus noirs et des
paroles plus amères...
Le trottinement des ânes, le son frêle d’un gumbri[31], les mélopées du
muezzin ébranlent, seuls, les échos des ruelles apaisées.
Les traces sanglantes, peu à peu, s’effaceront sous la poussière...
La paix et le recueillement ont retrouvé leurs droits dans la caduque
cité aux murailles croulantes.
20 janvier.
Des jardins entre les grands murs... Ils ont cette grâce maladive et
touchante des Musulmanes prisonnières. Trop de mosaïques, trop de
fontaines, trop de marbres et trop de splendeurs.
Inconsciente nostalgie de l’espace...
Les fleurs s’étiolent à l’ombre des orangers; les fruits mûrissent avec
peine; un jet d’eau s’élance au-dessus de la vasque, d’un effort désespéré
pour échapper à l’oppressante angoisse du jardin. Mais le ciel est loin,
très haut, par-dessus les vieilles murailles que le regard ne franchit point.
Et la plainte de l’eau raconte une éternelle déception...
Elles prennent le thé sous les arcades, lentement, à petites gorgées, et
elles disent de vaines paroles insignifiantes, sans penser à rien. Elles ont
mis leurs caftans de brocart, leurs sebenias multicolores et leurs turbans
les plus volumineux. Mais elles sont de trop noble caste pour monter aux
terrasses et les voisines n’envieront pas ces parures.
Un merle sautille dans les branches en les contemplant de son petit
œil jaune et rond qui s’étonne. Pourquoi ces lourdes soieries ramagées
d’or, ces fards, ces bijoux somptueux, puisque nul ne doit les contempler
que le maître, toujours le même, un vieillard détaché des choses de ce
monde!... Le saint homme est parti dès l’aube, à la mosquée, faire ses
dévotions.
Elles étalent les plis de leurs caftans et s’immobilisent, les mains,
rougies au henné, rigidement posées sur leurs genoux. Elles se sentent
belles;—c’est la fête. Elles en ont parlé depuis bien des jours et
l’attendaient avec impatience.
Mais les heures sont lentes à passer... Elles ne s’ennuient pas; elles ne
savent pas ce que c’est que l’ennui. Leur vie n’est qu’un immense
ennui...
Un repas très copieux appesantit leur esprit; elles ne bougent plus, le
regard vague et doucement bestial.
Enveloppée de son haïk, une esclave pénètre dans le jardin, elle
s’avance vers les belles recluses, leur baise l’épaule avec componction et
s’accroupit à quelque distance. Elle donne des nouvelles de sa maîtresse,
une parente, et présente ses vœux pour la fête. Les politesses
s’échangent, traditionnelles, à voix indifférentes et lasses. Puis la
messagère rajuste ses voiles et s’en va.
Un chardonneret, de sa cage peinte et dorée, lance d’étourdissantes
roulades inutiles; le jet d’eau redouble vainement ses efforts; les fleurs
haussent leurs calices vers le soleil qui lèche à peine les hautes parois.
Elles restent toujours impassibles, aucun sourire n’illumine leurs
visages aux longs yeux peints, mais une secrète joie agite leurs cœurs,
car Mabrouka la négresse les a vues, et elle pourra dire:
—Pour le Mouloud, Lella Zohra portait un caftan neuf en brocart
jaune, à six réaux la coudée, et Lella Maléka avait une «sebenia de
balance[32]» qui lui tombait jusqu’à la taille!
4 février.
El Mâati, le mokhazni, envoie sa fille passer la journée avec Yasmine
et Kenza. Sans doute dans l’espoir qu’apitoyés par le dénuement de
Rabha, nous donnerons de l’argent ou des vêtements. La petite grelotte,
un mince caftan plaqué sur son corps d’oiseau. Des traces de coups,
longues et bleuâtres, rayent ses jambes et ses reins.
—Qui t’a fait cela?
—Mon père. Il m’a battue l’autre jour, répond-elle.
Rabha n’a pas peur de nous. Elle aimerait à demeurer ici, comme ces
petites filles bien habillées, qui mangent à leur contentement et boivent
du thé très sucré. Leurs maîtres sont généreux, ils ne ménagent rien!
S’il plaît à Dieu nous l’élèverons, elle aussi, dans notre maison.
Toute confiante, Rabha me raconte son histoire:
—Tu sais, ma mère était du Sous. Elle fut répudiée et partit. Mon père
prit une autre femme, une veuve qui avait une fille. Celle qui n’a plus sa
mère s’écrie: «Je suis orpheline!» Arrive une belle-mère, elle pleure des
larmes de sang... El Mâati n’est pas méchant, mais, quand il se met en
colère, il ne mesure pas les coups. On le craint! L’autre jour, la fille de
cette femme a cassé la théière. Mon père rentre: «Qui l’a brisée?» dit-il.
»Elle répondit: «C’est Rabha.»
»J’étais innocente, mais la femme dit aussi: «C’est Rabha», et j’ai
mangé du bâton... Je me tus et cherchai en ma tête. Ce matin, quand mon
père revint, je lui appris: «Écoute, ces femmes se moquent de toi! En ton
absence, elles font venir des hommes et se réjouissent avec eux. Il en
reste toujours un, à la porte, pour signaler ton retour, c’est pourquoi tu ne
les surprends jamais.» A ces mots, l’œil de mon père devint rouge. Il a
battu la femme et la fille jusqu’à ce que son bras fût fatigué... Alors, j’ai
dit: «C’est bien! Vous m’aviez fait battre pour une faute que je n’avais
pas commise, je vous ai fait battre pour ce que vous n’aviez pas fait.»
Mon père a ri extrêmement!...
—Mais ces femmes, ô pauvrette, ne pensais-tu pas à leur rancune?
—Qu’importe! Maintenant elles me craignent, et, si je reste ici, qu’ai-
je à faire avec elles?
Rabha jubile encore de sa ruse!... C’est une toute petite fille, frêle et
douce, qui paraît six ans à peine.
6 février.
Rabha gazouille tout le jour, de sa petite voix grêle. Ses chansons se
répètent indéfiniment, sur un obsédant mode plaintif, et ne signifient pas
grand’chose:
O huile d’argan!
O huile!
O notre huile à nous!
O notre huile bénie!
O huile d’argan!
O huile!
10 février.
Vrais joyaux des Mille et Une Nuits, les bijoux des Marocaines sont
lourds et somptueux. Ils s’harmonisent avec les soieries trop
magnifiques, les fards trop violents, les parfums trop enivrants, les
demeures trop luxueuses.
Ils éclipsent la beauté des femmes, ils éblouissent, ils accablent... Les
khelkhall, qui s’entrechoquent au moindre pas, pèsent aux fines chevilles
qu’ils enserrent. Les anneaux meurtrissent et déforment les oreilles,
malgré la chaînette qui les soutient sur la tête. Les énormes pierreries
jettent un éclat dont la brutalité blesse et déconcerte.
Dans les demeures en fête, il y a des femmes vêtues de brocarts et
plus étincelantes que des idoles.
Des bracelets d’or ciselé chargent leurs bras; des rangs de perles fines
encerclent leurs cous bruns; les cabochons précieux font d’étranges
saillies sur leurs bagues; les ferronnières enrichies de diamants brillent
au milieu des fronts, sous l’échafaudage compliqué des turbans rehaussés
de broderies et de plumes. Quelques-unes portent de hauts diadèmes où
les pierreries jettent des lueurs vertes et rouges parmi les entrelacs du
métal. D’autres ont la tête ceinte d’un souple bandeau en perles, d’où
tombent les longs glands en rubis. Les nattes noires, encadrant le visage,
sont piquées d’agates et d’améthystes. Des émeraudes scintillent sur les
boucles de ceinture, délicatement ouvrées.
Étincelante d’or et de gemmes précieuses, la Marocaine tout entière
est un joyau, dont on ne perçoit que le resplendissement.
Sur l’ordre de Lella Fatima Zohra, les esclaves ont apporté ses
coffrets. La vieille Cherifa, en femme de traditions, résiste aux nouvelles
coutumes. Ce ne sont point des boîtes européennes, vulgaires et
prétentieuses, selon le goût d’aujourd’hui, mais d’anciennes cassettes
peintes, rehaussées de clous aux dessins réguliers, incrustées d’ivoire ou
de nacre.
Elle en tire d’invraisemblables bijoux: des colliers en grosses perles
de filigrane, d’où pendent trois rosaces d’or, constellées de pierreries;
des plaques précieuses et lourdes, d’une allure toute byzantine; des
émaux rutilants comme des flammes figées; des boucles d’oreilles dont
le chaton d’émeraude se ferme d’un petit couvercle en or perforé, afin
qu’on y puisse enclore les parfums qui tomberont goutte à goutte sur les
épaules.
Est-ce croyable? Tant de parures, et si merveilleuses, à une vieille
femme, dédaignée de son époux, et qui ne les porte jamais!... Un trésor
où la perfection du travail rivalise avec la valeur des pierres.
Lella Fatima Zohra me fait constater leur splendeur désuète.
—Ce sont, ô ma fille, de très vieilles choses, passées de mode. Elles
appartinrent à la sultane Aïcha Mbarka, aïeule de Mouley Hassan. J’en
fus parée moi-même dans ma jeunesse, et s’il plaît à Dieu, je t’en
prêterai lorsque tu iras à des fêtes, car certains de ces colliers restent
encore appréciables...
»Regarde ces perles, continua-t-elle en s’animant, ne dirait-on pas des
gouttes de lune? Et ces bagues, excellemment ciselées, réjouissantes à
l’infini!... Ce bandeau, que brodent ces émeraudes plus transparentes et
vertes que les ailes de sauterelles, me couronnait au jour de mes noces...
Et ces bracelets me furent donnés en présent par Mouley Hassan, alors
que j’étais son unique épouse.
Le voix de la vieille cherifa s’est insensiblement altérée.
Émoi des souvenirs évoqués, des années où elle fut jeune et peut-être
charmante?...
Regret d’un amour qu’elle aurait éprouvé pour l’inconstant mari?...
Ou, plus simplement, volupté des bijoux, toujours palpitante au cœur
des femmes?...
Lella Fatima Zohra resserre les cassettes et les bijoux merveilleux.
Son visage n’a point changé.
Il garde son secret sous une constante et sereine expression d’apathie.
1ᵉʳ mars.
Étrange isolement des harems, si bien à l’écart que les tragiques
convulsions du monde n’y parviennent même pas en échos assourdis...
Des milliers de petites vies se déroulent derrière les murs, paisibles,
insouciantes et monotones, affairées à de petites choses, assombries de
petits soucis, éclairées de petites joies, sans percevoir le râle formidable
des peuples...
Douce ignorance, quiétude parfaite de la pensée, tandis que nous
haletons d’horreur et d’angoisse dans le même temps, nous qui ne
voyons pas davantage, mais qui savons!...
2 mars.
Une avenue descend de la ville vers les remparts, large et d’un aspect
inhabituel. Les murs d’une mosquée s’élèvent à droite, un palmier les
dépasse qui semble regarder dans la rue. De l’autre côté s’alignent les
échoppes où travaillent des Juifs: bijoutiers, fabricants de lanternes et de
babouches, tisseurs de galons, marchands d’épices. Tout au bout, une
porte s’ouvre sur le Mellah, le lieu salé. C’est là que, jadis, les Juifs,
désignés aux besognes nauséabondes, tannaient les peaux de bêtes et les
salaient. Lorsqu’un Sultan revenait d’une expédition, il leur envoyait
aussi les têtes des rebelles, pour être préparées dans la saumure. Ensuite
elles étaient fichées le long des enceintes afin de marquer les exploits du
souverain, tout en médusant ses ennemis d’un grand effroi... Cuites et
recuites au soleil d’été, puis lamentables sous les pluies diluviennes, elles
restaient des mois à fixer le bled, de leurs yeux morts, vidés par les
rapaces.
Aujourd’hui les remparts n’arborent plus de sinistres trophées, et la
vie s’écoule en besognes familières dans la cité d’Israël, petite ville
bleue, d’un caractère spécial et inaltéré, enclose à côté de la grande
Meknès musulmane.
Mouchi Soutrit prétend y avoir découvert un ancien tapis de Rabat. Il
nous entraîne à travers les ruelles aux murs badigeonnés d’outremer.
Quelques Juifs nous suivent, dégingandés et blêmes dans leurs vêtements
noirs. Ils ont de longs nez tristes, des barbes frisottantes et d’admirables
yeux aux regards sournois.
La marmaille grouille; des femmes se penchent aux fenêtres; trois
aveugles déambulent, l’un derrière l’autre, en se tenant par les épaules.
Le premier s’agrippe à la queue d’un âne qui conduit ainsi le trio.
Nous pénétrons avec notre guide en une pauvre maison où flotte un
parfum d’égout. Des femmes accroupies confectionnent les
passementeries dont les Musulmans ornent leurs caftans. Les ustensiles
les plus divers traînent autour d’elles; un marmot piaille sur son petit pot;
des guirlandes d’oignons et de piments sèchent, accrochées aux murs.
Une fillette gît dans un coin, chétive et pâle, si pâle qu’on dirait une
moribonde. Des essaims de mouches voltigent et la tourmentent. Ses
yeux en sont cernés comme d’un kohol répugnant. Personne ne s’occupe
d’elle, mais une tasse ébréchée, pleine de liquide, a été mise à portée de
sa main.
—Elle est bien malade! disons-nous.
—Ce n’est rien, répond une femme, elle a enfanté il y a quelques
jours...
Mon mari marchande le tapis, un vieux Rabat, aux points serrés,
d’une harmonieuse décoration. Il est beaucoup plus grand que la
chambre, et il faut le déployer dans la cour.
Depuis des années, explique la Juive, le Musulman, qui l’a mis en
gage chez mon père, ne paye plus les intérêts; nous voulons vendre ce
tapis.
—Combien en demandes-tu?
—Cinquante réaux.
—C’est trop! Fais un prix raisonnable.
—Par l’Éternel! il nous garantissait de cette somme.
Une discussion s’engage. Obséquieuse, mais tenace, la Juive ne veut
pas lâcher un réal... Après bien des pourparlers, un arrangement se
conclut pourtant.
Dehors, nous retrouvons notre escorte qui s’est beaucoup augmentée.
Un gros homme ventripotent, ceint d’une écharpe en soie bariolée, nous
sollicite: «Ferons-nous au rabbin l’honneur de visiter sa maison?»
A notre réponse condescendante, Tôbi ben Kiram se redresse. Il nous
entraîne à travers les ruelles les plus encombrées; je le soupçonne de
vouloir exhiber sa bonne fortune à toute la Communauté. On se bouscule
dans le souk, des gens font la queue devant les étaux de bouchers qui
s’ornent de poumons rosâtres et mous. Une fade odeur de sang se mêle
aux relents d’ordures dont on est poursuivi; des trognons de choux, des
légumes écrasés gisent à terre; les individus exhalent une senteur
caractéristique. Des vieilles promènent leurs jupes couvertes de
broderies, et leurs châles d’un vert malsain; de malingres fillettes, aux
cheveux embroussaillés, plient sous le poids des couffes trop remplies;
des adolescents, des vieillards coiffés du traditionnel foulard jaune, des
femmes chargées de marmots morveux, se poussent et se dépassent...
Il n’y a pas ici de ces quartiers paisibles qui s’endorment dans le
soleil. Une population trop dense étouffe entre les murs dont elle ne
saurait déborder. Et, bien que les maisons soient construites en hauteur,
avec plusieurs étages, la place manque. Des familles s’entassent et
végètent dans les logis trop étroits. Celui de notre hôte, un des plus
riches du Mellah, s’offre le luxe d’un assez large patio. Il est très propre
et clair, à cause des fenêtres qui donnent au dehors. La chambre longue
où l’on nous reçoit, s’orne, comme une pièce arabe, de sofas et de
coussins. Des tentures de mousseline flottent devant la porte; des
chandeliers en cuivre étincelant, des plats de Chine, des verroteries et des
fleurs sous globe, s’alignent, au-dessus de boiseries peintes. Le thé est
élégamment disposé sur une table, à la mode européenne.
Le rabbin nous présente sa femme, une pâle Juive aux yeux bleus,
dont les cheveux apparaissent en bandeaux châtains qu’enserre la
sebenia. Elle semble jeune encore, malgré sa corpulence. Il y a vingt-
cinq ans que ses noces furent célébrées, alors qu’elle atteignait sa
septième année... Son visage garde certain charme de douceur, mais la
silhouette accuse des rotondités excessives, on dirait trois courges posées
l’une sur l’autre. Un rang d’émeraudes brutes et de perles s’enfouit dans
les replis du cou gras; des bracelets d’or très massifs encerclent ses
poignets.
Une fillette, vêtue à l’européenne, aide sa mère à servir le thé, les
confitures de tomates, les pâtisseries, les meringues blanches et
crémeuses. Isthir s’acquitte de sa tâche avec une aisance pudique de très
bon goût. Elle parle un français sans accent, car elle fréquente l’école et
prépare son certificat d’études.
—Ma fille a treize ans, dit le rabbin, elle se mariera bientôt. Nos
coutumes ont bien changé depuis quelques années. De mon temps, les
fillettes ne dépassaient pas huit ans avant que soient célébrées leurs
noces. Aujourd’hui, on les laisse grandir chez leurs parents.
Le fiancé est ce jeune Israélite en bottes et veston, très francisé, assis
sur une chaise, alors que nous sommes tous accroupis selon les anciennes
mœurs.
Après le mariage, le couple compte aller en France faire du
commerce.
—Cela ne vous ennuie-t-il pas de quitter Meknès? demandé-je à la
fillette.
—Oh! non, madame, je serai contente de voyager.
Dans dix ans, ils feront, à Paris, un ménage très sortable; leurs enfants
flirteront dans les salons et suivront des conférences à la Sorbonne.
Trop longtemps et durement opprimés, les Juifs marocains s’élancent
à présent vers la liberté. Malgré l’abjection d’une race pourrie par tous
les vices, les débauches, l’ivrognerie, les mariages précoces et
consanguins, la plus basse des servitudes, ils ont gardé l’intelligence et
les qualités essentielles de leur peuple. Ils nous apparaissent très voisins,
tellement aptes à s’assimiler nos habitudes, notre civilisation!
Ces Juives fades et blondes nous ressemblent. Ces garçonnets
anémiques, aux visages effilés, qui, le samedi, délaissent les
traditionnelles djellabas de cotonnade noire et se promènent très fiers de
leurs costumes marins, auront vite fait de dépouiller à jamais toute
orientale apparence, pour se muer en hommes d’action dans nos
capitales.
Le Mellah crève de toute part, et, ne pouvant s’épandre à son gré sur
le bled musulman, il déborde en Europe.
Pourquoi les Juifs regretteraient-ils un pays où ils furent des esclaves,
des parias, des maudits? Il n’y a pas longtemps encore, que tous les
égouts de la ville déversaient en leur quartier des flots immondes, et que
les Musulmans y faisaient jeter leurs ordures... Interdiction absolue de
s’en débarrasser! Lorsque l’amoncellement devenait trop ignoble, que les
odeurs empuantissaient les rues à l’excès, une délégation d’Israélites s’en
allait solliciter le pacha, humblement, et obtenait, contre une forte
somme, la permission de nettoyer...
Leur existence n’était qu’une perpétuelle terreur. Toutes les révoltes,
quelle qu’en fût la cause, aboutissaient à un pillage du Mellah. Car on les
savait riches, malgré leur servitude, et les Juives ont une douce peau
blanche...
Ils furent épargnés une seule fois, en 1911, lors de la dernière
incursion berbère. Le cheikh de la kasbah voisine de Berrima, un vieux
coupeur de routes, avait une réputation de bravoure. Les notables
israélites vinrent se mettre sous sa protection en immolant devant lui
deux taureaux. Cheikh Ahmed ne pouvait se dispenser de les défendre. Il
le fit avec tant de vaillance que le Mellah et Berrima furent les seuls
quartiers préservés.
Je contemple nos hôtes: ceux du passé qui gardent encore le calot noir
et la lugubre djellaba; qui connurent les plus humiliantes interdictions:
défense de monter à cheval ou à mule, de revêtir des étoffes de couleur,
de chausser des babouches, de passer devant une mosquée autrement
qu’à quatre pattes, comme des chiens. Puis mes regards se reportent sur
ceux du présent, les fiancés qui préparent l’avenir. Isthir est une belle
fille vigoureuse; elle aspire à s’échapper vers une plus large destinée.
Malgré son aspect débile, Haroun rumine de vastes projets. Il doit être
persévérant, intelligent et débrouillard, comme tous ceux de sa race; il a
sans doute en lui l’envergure d’un négociant ou d’un banquier. Une
certaine gêne les paralyse encore tous les deux, tels ces derniers relents
qui s’attardent au Mellah, malgré les travaux d’assainissement. Mais
leurs manières ont déjà perdu presque toute servilité. Demain ils
relèveront la tête.
Les vieux gardent une attitude obséquieuse, une tendance à s’aplatir
devant le hakem.
Isthir et Haroun me semblent déjà plus près de nous que de leurs
parents.
12 mars.
Deux paons se promènent dans un beau jardin.
Nonchalants et fiers, ils s’en vont à petits pas étudiés, comme ceux
d’une belle. Et le bout de leur queue balaye le sol qui reluit, fraîchement
lavé.
Des profonds parterres, les arbres et les fleurs jaillissent, pleins de
sève. Jamais émondés, livrés à leur fantaisie et mêlés de plantes
sauvages, ils croissent au hasard dans leur rigide encadrement de
mosaïques. Par caprice ornemental, plutôt que pour séparer le jardin du
reste de la cour, Si Ahmed Jebli le fit entourer de balustrades en bois
tournés et peints, à travers lesquelles s’évadent quelques branches.
Une touffe de bananiers agonise en un enchevêtrement de palmes
jaunes que le vent froisse; un poirier, tendrement fleuri, abrite leur déclin
de son triomphant renouveau; des oranges éclairent la sombre masse de
leurs arbres; d’invisibles violettes exhalent leur odeur.
Allégresse des fleurs dans la lumière et dans l’azur!... des rameaux
très blancs, balancés par la brise, qui papillonnent sur le ciel!... des
boiseries multicolores, des treillages, des petits pavillons aux couleurs
vives, des superbes oiseaux dont la somptuosité s’unit si parfaitement à
celle du décor, et qui réussissent,—comme ce palais,—à faire de la
beauté avec de trop insolentes splendeurs!
Savent-ils, ces paons, qu’ils sont bleus, au paroxysme du bleu, du
même bleu que les balustrades extrêmement bleues, et que l’incroyable
bleu profond du ciel? Ont-ils conscience de leur harmonie, en ce beau
jardin artificiel et passionné, lorsqu’ils vont boire aux bassins cerclés de
mosaïques et qu’ils font la roue, sous les arcades, auprès des portes où
miroitent autant d’ors et de rayonnantes magnificences que les leurs?
Savent-elles, ces belles recluses, chargées de bijoux et de soieries,
accroupies dans l’ombre des salles, savent-elles, ces négresses qui
circulent, portant à bras tendus les corbeilles de fruits ou les plateaux de
cuivre, l’accord qu’elles forment avec toutes choses de leur demeure?
Et celui qui voulut cet ensemble, qui mit ces femmes et ces oiseaux
dans le jardin, qui allia le désordre des parterres à la précieuse recherche
des boiseries et des vasques, Si Ahmed Jebli, sait-il quel chef-d’œuvre il
réalisa?
Non, sans doute... Les Mauresques, les paons, les esclaves, les
fontaines et les fleurs ne raisonnent point.
Ni le riche marchand aux conceptions d’artiste, ni ses frères
musulmans qui, sans cesse, créent de la beauté, qui sont eux-mêmes de la
beauté.
Mais d’instinct, et d’autant plus intensément, ils en vivent.
20 mars.
C’était au grand soir des noces, dans une des plus riches familles de
Meknès.
La mariée, accroupie sur une haute estrade dressée au milieu du patio,
présidait, comme une sultane, la cour de ses femmes en vêtements
somptueux. Quatre d’entre elles portaient l’izar, luxe suprême, draperie
de gaze formant une sorte de peplum impondérable et chatoyant, qui
amortit l’éclat du caftan de brocart.
Aussi les avait-on installées sur des sièges élevés, garnis de coussins.
Elles s’y tenaient très raides, recueillies et scintillantes, toutes pénétrées
de leur importance; car la parure devient en cette occasion une chose
grave, d’un caractère rituel, presque religieux. Et les autres invitées,
simplement accroupies sur les sofas, ne s’étonnaient pas de ce que les
plus belles fussent mises ainsi en évidence, puisque telle est la coutume.
Des passantes, attirées par la fête, occupaient, anonymes, enveloppées
de leurs haïks, un autre coin du patio. Elles contemplaient la mariée,
fantôme voilé d’or et de pourpre; les fillettes portant des cierges; les
invitées aux atours merveilleux, et surtout les quatre idoles immobiles.
Deux d’entre elles voilaient leurs caftans sombres d’un izar en
mousseline jaune. La troisième, une négresse fort noire, l’air bestial et
satisfait, avait un izar blanc sur un caftan rose à ramages. La quatrième,
la plus splendide, était revêtue d’un caftan émeraude, broché d’or, et
d’un izar géranium. Sa volumineuse coiffure ceinte de bandeaux d’or se
couronnait d’un turban de plumes. Une ferronnière de diamants brillait
au milieu de son front, d’énormes anneaux d’oreilles enrichis
d’émeraudes, des colliers de perles et de pierreries aux longues
pendeloques, la paraient d’une manière somptueusement barbare, et,
hiératique, elle pensait:
—Oh! que cette coiffure me fait mal!... Je voudrais tant remuer un
peu... Cette fête a un caractère étonnant! Voilà bien les Mille et Une
Nuits!... Ces vêtements m’écrasent, je n’en peux plus... il faut cependant
rester jusqu’au bout.
Pendant ce temps, la neggafa[33], aux pieds du fantôme doré de la
mariée, faisait la présentation des cadeaux:
—Allah!... psalmodiait-elle d’une voix chantante,
Allah soit avec ma maîtresse, ma bénédiction!
Allah soit avec Lella Fathma
Qui a jeté ce caftan broché
En faveur de la mariée.
Et que cela lui soit rendu avec le bien!
S’il plaît à Dieu!
23 mars.
Un petit terrah[35], portant ses pains au four, s’attarde à bavarder
devant une porte. Je dérange son aventure, car c’est justement là que je
me rends, et une tête ronde, noire, crépue, disparaît à l’instant où je
m’engage dans l’impasse. Au fond du vestibule, je retrouve Minéta, la
petite négresse bavarde et coquette. Elle me sourit de toutes ses dents et
de ses yeux d’émail mauve.
Ce n’était que moi!... elle se rassure. J’ai, dans les harems, la
réputation d’être discrète. Minéta ne craint pas que je la dénonce, elle
regagne la porte avec une tranquille impudeur.
Lella Lbatoul buvait le thé, entourée de femmes. Elle m’accueillit par
des reproches:
—Qu’est-ce que cette absence? Tu oublies tes amies pour les
abandonner ainsi? Nous ne t’avons point vue depuis combien de jours?
—Pardonne-moi, lui dis-je, j’étais invitée aux noces de Lella Henia,
fille d’El Ouriki, j’y ai passé toute la semaine.
—Ah! s’écrie une inconnue, esclave en visite dans la maison, c’est toi
la femme du hakem! Que tu es heureuse d’avoir un tel époux!... Il ne te
ménage pas les parures. On m’a répété qu’à ce mariage tu portais un
caftan de brocart vert et un izar splendide qui valait au moins trois réaux
la coudée.
J’ai gagné beaucoup dans l’estime des Musulmanes, depuis que je
rivalise de luxe avec elles. Lella Lbatoul me regarde encore plus
amicalement. Il faut que je lui décrive mes toilettes successives dans
leurs moindres détails.
—Habille-toi ainsi, pour venir me voir.