La Crise Des Ressources Et Guerre en RDC
La Crise Des Ressources Et Guerre en RDC
La Crise Des Ressources Et Guerre en RDC
ABSTRACT
The core question of our research is the following: how to implement the responsibility of States and
their leaders for the illegal exploitation of natural resources of a foreign State in times of armed conflict?
To answer this question, our study is divided into two parts. The first is devoted to the definition of
basic concepts, the description of the object of our study and a systematic review of the primary rules
regulating the international protection of natural resources of a foreign State during an armed conflict. The
second part focuses on the issues of responsibility for illegal exploitation of natural resources of a foreign
State during an armed conflict. The main result can be summarized as follows : when the exploitation of
natural resources of a foreign State is at the origin or is used as a means of pursuing an international
or internationalized armed conflict, the illegality of this exploitation essentially consists in the violation
of obligations erga omnes , that is, obligations owed to the international community as a whole, or in
the violation of obligations erga omnes partes, that is, obligations owed to a group of States, which are
established for the protection of a collective interest of the group. Therefore, in cases where the victim
of the illegal exploitation of natural resources cannot enforce its rights, including the right to reparation
against the State responsible for the wrongful act, the way is open for an actio popularis, which means an
action in defense of common interest, brought by the States other than the injured State in the interes...
Kambale Mahuka, Pigeon. L'exploitation illicite des ressources naturelles d'un Etat étranger en cas de
conflit armé : étude sur la responsabilité des Etats et de leurs dirigeants. Prom. : Gautier, Philippe http://
hdl.handle.net/2078.1/141055
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Membres du Jury :
INTRODUCTION GENERALE
Parmi les causes et/ou les conséquences des conflits armés qui ont déchiré -
ou continuent de déchirer- le continent africain figure, entre autres, l’exploitation illicite
des ressources naturelles. Tel est le cas des conflits armés en Namibie, en Angola, au
Libéria, en Sierra Leone, en Côte d’Ivoire et en République démocratique du Congo, qui
serviront de champs d’illustration de notre étude.
Les acteurs de cette exploitation illicite des ressources naturelles sont des
Etats, des groupes armés, des entreprises multinationales et également des personnes
physiques1.
Comme la Cour internationale de Justice l’a déclaré dans son arrêt Barcelona
Traction, « [l]a responsabilité est le corollaire nécessaire du droit »2. En d’autres termes,
la violation du droit engage la responsabilité de son auteur et, le cas échéant, celle de ses
coauteurs ou complices. Dès lors, l’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat
entraîne la responsabilité de son auteur et celle de ceux qui participent à cet acte illicite.
1
Le cas de l’exploitation illicite des ressources naturelles de la République démocratique du Congo est une
éloquente illustration de l’implication d’une pluralité d’acteurs dans l’exploitation illicite des ressources
naturelles d’un Etat étranger en cas de conflit armé. Cf. Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation
illégale des ressources naturelles et autres richesses de la République démocratique du Congo, S/
2001/357, du 12 avril 2001, pp. 19-20 ; 21-27 et 49-50. Voir également la résolution 1457 du Conseil de
sécurité, S/RES/1457 (2003), 24 janvier 2003, §§ 11-13.
2
Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited, arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 33, § 36.
3
dans l’exploitation illicite des ressources naturelles d’Etats africains sont domiciliées ou
établies aux Etats-Unis, au Canada et dans l’Union européenne, notamment en Belgique3.
3
Cf. Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses
de la République démocratique du Congo, Op. cit, pp. 49-50.
4
- Au niveau international, quels sont les organes dont les actes sont
attribuables aux Etats en cas d’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat
étranger en période de conflit armé ?
4
« Les deux Parties ont soumis à la Cour une abondante documentation. Au nombre des documents
produits par les Parties à l’appui de leurs versions respectives des faits figurent des résolutions du Conseil
de sécurité des Nations Unies, des rapports du rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme,
des rapports et notes d’information de l’OUA, des communiqués de chefs d’Etat, des lettres adressées par
les Parties au Conseil de sécurité, des rapports du Secrétaire général sur la MONUC, des rapports du
groupe d’experts des Nations Unies sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres formes de
richesses de la République démocratique du Congo (dénommés ci-après les ‘‘rapports du groupe d’experts
des Nations Unies’’), le livre blanc rédigé par le ministère congolais des droits humains, le rapport de la
commission Porter, le livre blanc de l’Ouganda relatif au rapport de la commission Porter, des ouvrages,
des rapports émanant d’organisations non gouvernementales et des articles de presse » (Activités armées
sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p.
201, § 60).
6
des informations fournies à l’époque des événements par des personnes ayant eu de ceux-
ci une connaissance directe. Elle prêtera une attention toute particulière aux éléments de
preuve dignes de foi attestant de faits ou de comportements défavorables à l’Etat que
représente celui dont émanent lesdits éléments (Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J.
Recueil 1986, p. 41, par. 64). La Cour accordera également du poids à des éléments de
preuve dont l’exactitude n’a pas, même avant le présent différend, été contestée par des
sources impartiales. La Cour relève par ailleurs qu’une attention particulière mérite
d’être prêtée aux éléments de preuve obtenus par l’audition d’individus directement
concernés et soumis à un contre-interrogatoire par des juges rompus à l’examen et à
l’appréciation de grandes quantités d’informations factuelles, parfois de nature
technique. Elle tiendra donc compte comme il convient du rapport de la commission
Porter, qui a suivi cette méthodologie. Elle relève encore que la crédibilité de ce rapport,
qui a été reconnue par les deux Parties, n’a, depuis sa publication, jamais été
contestée »5.
5
Ibidem, p. 201, § 61.
6
Ibidem, p. 206, § 78.
7
« La Cour observe que, pour étayer ses allégations, la RDC s’est prévalue des rapports du groupe
d’experts des Nations Unies et du rapport de la commission Porter. La Cour s’est déjà prononcée sur la
valeur probante que revêtent en général les matériaux émanant de cette commission (voir paragraphe 61 ci-
dessus) et considère que tant le rapport de celle-ci que les rapports du groupe d’experts des Nations Unies,
pour autant que ceux-ci se soient par la suite révélés probants, fournissent des éléments de preuve suffisants
et convaincants pour lui permettre de déterminer si l’Ouganda s’est ou non livré à des actes de pillage et
d’exploitation illégale des ressources naturelles de la RDC » (Ibidem, p. 249, § 237).
7
qui est des rapports des ONG, elle a reconnu la crédibilité d’un rapport de Human Rights
Watch (HRW) sur la situation en Ituri, en République démocratique du Congo8. Ceci
nous permet d’accorder cette même crédibilité aux autres rapports d’ONG internationales
(FIDH, Global Witness, Partenariat Afrique Canada,…) et nationales qui contiennent des
informations concordantes, qui sont corroborées par des rapports d’organismes officiels,
généralement réputés pour leur impartialité, notamment les organes des Nations unies.
Nous avons puisé les données factuelles sur la base des rapports qui
répondent à ces critères fixés par la Cour (crédibilité des auteurs des rapports et des
personnes interrogées, preuves directes et soumises au contradictoire, absence de
contestations, etc.). Nous avons vérifié que ces conditions étaient remplies sur la base de
la qualité des experts des Nations unies, qui sont recrutés par le Secrétaire général en
fonction « [des] plus hautes qualités de travail, de compétence et d’intégrité »9
(généralement des ambassadeurs de hauts rangs, des scientifiques qualifiés dans
différents domaines pertinents), de la méthodologie des experts exposée au début de
chaque rapport, et en prenant en compte la période et les circonstances des enquêtes.
Concernant la situation particulière de la République démocratique du Congo, nous nous
appuyons également sur l’arrêt Congo c. Ouganda, qui a lui-même défini et appliqué les
critères pertinents pour évaluer la crédibilité des documents de référence.
8
« […] Les informations susmentionnées sont concordantes dans la présentation des faits, s’étayent les
unes les autres et sont corroborées par d’autres sources crédibles, telles que le rapport de HRW intitulé
«Ituri : Covered in Blood. Ethnically Targeted Violence in Northeastern DR Congo» [Ituri: Le bain de
sang. Violence ethnique ciblée dans le nord-est de la RD Congo], juillet 2003 (disponible sur le site
http://hrw.org/reports/ 2003/ituri0703/) » (Ibidem, p. 241, § 209).
9
Termes utilisés par l’article 101 de la Charte des Nations unies.
8
10
Cf. Y. SANDOZ, CH. SWINARSKI, B. ZIMMERMANN (sous la direction de), Commentaire des
Protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949, Genève, CICR, 1986,
p. 21. Cet ouvrage sera ultérieurement désigné par « Protocoles, Commentaire ». Pour ces auteurs,
l’expression « conflits armés » a été préférée, pour son caractère plus objectif, à celle de « guerre » que
comportaient encore, par exemple, le titre des Conventions et leur article 2 commun.
11
Voir par exemple la Convention de La Haye du 14 mai 1954 pour la protection des biens culturels en cas
de conflit armé, son Règlement d’exécution (14 mai 1954) et ses protocoles (1954 et 1999), le Protocole (I)
additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits
armés internationaux, du 8 juin 1977, diverses résolutions de l’AGNU, notamment les résolutions 2673 à
2677 (XXV) et 3318 (XXIX) sur la protection des civils, l’application des droits de la personne, la
protection des femmes et des enfants, qui disposent qu’elles s’appliquent « en cas de conflit armé » ou « en
période de conflit armé » (Cf. E. DAVID, Principes de droit des conflits armés (4e édition), Bruxelles,
Bruylant, 2008, p. 117, § 1. 48). Voir également, par exemple, des résolutions du Conseil de sécurité des
Nations Unies relatives au conflit en RDC, entre autres, les Résolutions 1234 (1999), 1457 (2003),…et
l’article 8 statut de Rome, etc.
9
cette préférence (§1), avant de nous intéresser à la typologie des conflits armés12, en
examinant le conflit armé international (§2), le conflit armé non international (§3) et le
conflit armé interne internationalisé (§4).
12
Voir S. VITE, « Typologie des conflits armés en droit international humanitaire : concepts juridiques et
réalités », disponible sur http://www.icrc.org/fre/assets/files/other/irrc-873-vite-fre.pdf consulté le 16 avril
2012. Nous nous étendrons plus largement aux catégories de conflits armés présentant des liens avec notre
thème de recherche.
13
Sur la classification des guerres, voir J. CAZENEUVE, « Guerre et paix », in Encyclopaedia universalis,
Corpus 11, Paris, Encyclopaedia universalis S.A., 1996, pp. 5-7. Voir également R. ARON, Paix et guerres
entre les Nations, Paris, Calmann-Lévy, 1962.
14
Voir par exemple ARISTOTE, cité par P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit international
public. La responsabilité internationale des Etats à l’épreuve de la guerre, Bruxelles/ Paris,
Bruylant/L.G.D.J., 2002, p. 11. Sans faire office d’historien, nous pouvons citer à titre indicatif les guerres
médiques (499-479 av. J.-C.), la guerre du Péloponnèse (431-404 av. J.-C.), la guerre de cent ans (1337-
1453), la guerre de la succession d’Espagne (1704-1708), la guerre franco-allemande (1870-1871), les deux
guerres mondiales (1914-1918 ; 1939-1945), la guerre de Corée (1950-1953), les guerres israélo-arabes
(1948, 1956, 1967, 1973), les guerres du Golfe (Iran-Irak : 1980-1990, Irak-Koweït : 1990-1991), etc. (Cf.
M. MOURRE, Dictionnaire encyclopédique d’histoire, Paris, Bordas, 1978, p. 2093 et P. D’ARGENT, Les
réparations de guerre en droit international public, Op. cit., pp. 11 et suivantes.
10
conclusion que « la guerre est un phénomène social qui est apparu à un certain stade du
développement de la société humaine, en même temps que se formaient les Etats »15. Ce
faisant, dans son acception classique, la notion de la guerre est inséparablement liée à
celle de l’Etat. Du point de vue politique, « la guerre est une lutte armée entre Etats pour
atteindre leurs buts économiques et sociaux, c’est la continuation de la politique étatique
par des moyens violents »16. Sur le plan juridique, en droit international classique, qui
nous intéresse davantage, la guerre est « un conflit armé entre Etats, entrepris dans le but
de faire prévaloir un point de vue national suivant des moyens réglementés par le droit
international »17. Cette dernière définition met en évidence trois éléments majeurs : la
guerre est un conflit armé « entre Etats » en conformité avec le droit international.
15
I. PAENSON et al., Manuel de la terminologie du droit des conflits armés et des organisations
humanitaires internationales, Bruxelles, Bruylant, et London, Dordrecht, Boston, Martinus Nijhoff
Publishers, 1989, p. 4.
16
Ibidem, p. 4.
17
C. PIGUET, La guerre civile en droit international. Contribution à l’étude de la responsabilité
internationale de l’Etat à raison des dommages éprouvés sur son territoire par des étrangers, du fait du
mouvement insurrectionnel, Lausanne, Imprimerie Vaudoise, 1982, p. 11.
18
TPIY, App., aff. IT-94-1-AR 72, 2 octobre 1995, Tadic, § 70; idem, Chambre II, 7 mai 1997, §§ 561 et
ss. Sans vouloir entraver les mérites du TPIY, relevons en passant que cette définition du conflit armé
présente tout de même l’inconvénient, mineur soit-il, de reprendre le mot conflit armé alors même que c’est
son sens qui est recherché. A notre avis, dans la seconde séquence de la définition, le Tribunal aurait pu
dire, par exemple, « […] ou un recours à la force armée prolongé entre les autorités gouvernementales et
… » ou alors « […] ou une lutte armée prolongée […] ».
11
armée soit entre une entité étatique et une entité non étatique, soit entre une entité
étatique et une faction dissidente, soit entre deux ethnies à l’intérieur d’un Etat19.
19
Cf. P. VERRI, Dictionnaire du droit international des conflits armés, Genève, CICR, 1988, pp. 36-37.
20
Cf. E. DAVID, Principes de droit des conflits armés, Op. cit., p. 117.
21
Texte de l’article 2 commun aux Conventions de Genève de 1949 :
« En dehors des dispositions qui doivent entrer en vigueur dès le temps de paix, la présente Convention
s'appliquera en cas de guerre déclarée ou de tout autre conflit armé surgissant entre deux ou plusieurs des
Hautes Parties contractantes, même si l'état de guerre n'est pas reconnu par l'une d'elles. La Convention
s'appliquera également dans tous les cas d'occupation de tout ou partie du territoire d'une Haute Partie
contractante, même si cette occupation ne rencontre aucune résistance militaire. Si l'une des Puissances en
conflit n'est pas partie à la présente Convention, les Puissances parties à celle-ci resteront néanmoins liées
par elle dans leurs rapports réciproques. Elles seront liées en outre par la Convention envers ladite
Puissance, si celle-ci en accepte et en applique les dispositions ».
22 J. PICTET (sous la direction de), Les Conventions de Genève du 12 août 1949. Commentaire. IV. La
Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, Genève, CICR,
1956, pp. 25-26.
12
Pour Eric David, cette préférence tient d’une raison terminologique et d’une
raison juridique23. D’une part, au niveau terminologique, « la notion de conflit armé
semble recouvrir un plus large spectre de situations que le concept de guerre qui aurait
une signification plus étroite…on a intuitivement tendance à ne voir dans la guerre que
ce grand embrasement social, ce ‘‘sursaut collectif’’ qui requiert ‘‘toutes les énergies’’
et ‘‘rassemble’’ tous les membres de la cité. Ce faisant, on ignore des situations qui sont
en deçà de la belligérance- des actes ‘‘short of war’’- tels qu’incidents de frontière, raids
de bandes armées, rébellions sans contrôle de territoire, etc. »24. D’autre part, « la
raison juridique du choix de l’expression ‘‘conflit armé’’ réside d’abord dans le fait que
les [Conventions de Genève] du 12 août 1949 stipulent en leur art. 2, al. 1er, commun
qu’elles s’appliquent non seulement ‘‘en cas de guerre déclarée’’, mais aussi ‘‘en cas
de… tout autre conflit armé…’’ […], ce qui confirme bien que la notion de conflit armé
est plus large que celle de guerre, mais qu’elle n’en relève pas moins du droit de la
guerre (ou plutôt du droit des conflits armés). En outre, on observe que les instruments
juridiques modernes parlent beaucoup moins de ‘‘guerre’’ que de ‘‘conflit armé’’ »25.
Se penchant à son tour sur cette question, Robert Kolb donne deux raisons
objectives pour lesquelles le terme « droit de la guerre », longtemps privilégié, est
aujourd’hui délaissé26. En premier lieu, le terme « guerre » est devenu suspect à cause du
développement d’un droit international contre la guerre (Ius contra bellum), ce qui
explique les hésitations à maintenir le terme droit de la guerre, qui connote, même de
loin, la permanence d’une conduite interdite (article 2, § 4 de la Charte des Nations
unies)27. En second lieu, explique-t-il, le terme « guerre » a été délaissé après la seconde
guerre mondiale, car il s’est révélé trop étroit et requiert un statut juridique complexe (un
animus belligerendi exprimé par la déclaration de guerre), ce qui n’englobe pas le cas de
recours à la force que la doctrine qualifie de « mesures armées en-deçà de la guerre »
(forcible measures short of war). Kolb se réfère, à l’instar d’Eric David, à la formulation
23
Cf. E. DAVID, Op. cit., p. 115.
24
Ibidem, p.115.
25
Ibidem, pp. 116-117. Pour les exemples d’instruments juridiques, voir note 11.
26
Cf. R. KOLB, Ius in bello. Le droit international des conflits armés, Bâle, Helbing & Lichtenhahn, 2003,
p. 9.
27
Cf. Ibidem, pp. 9-10.
13
de l’article 2 commun aux Conventions de Genève, qui adjoint à la guerre (déclarée) tout
autre conflit armé. Et pour peaufiner sa logique, il évoque même le pas franchi dans le
cadre du droit de la paix en soulignant qu’avant 1945, les textes interdisaient le recours à
la guerre ; dès 1945, avec l’article 2, § 4 de la Charte, c’est la force qui est interdite dans
les relations internationales28. Kolb va même jusqu’à affirmer que « quand les anciens
textes parlent de guerre, comme le font les Conventions de La Haye de 1899 et de 1907,
cela est lu comme signifiant désormais ‘‘conflit armé’’, en ligne avec les Conventions de
Genève »29.
Pour notre part, aux raisons susmentionnées, nous ajoutons le fait que le
terme « guerre » est parfois utilisé dans des expressions qui ne traduisent pas directement
l’usage de la force armée et échappent ipso facto au droit des conflits armés. Il en est
ainsi de la « guerre froide », cet « état de tension politique entre Etats idéologiquement
opposés qui cherchent mutuellement à s’affaiblir, mais sans aller jusqu’à déclencher une
guerre mondiale (expression forgée à la fin de la Seconde Guerre mondiale pour
caractériser la rivalité entre le bloc occidental et le bloc communiste) »30. Il en est de
même de la « guerre économique », qui est « une relation interétatique dans laquelle au
moins l’un des Etats essaye de nuire aux ressources productives et en général à
l’économie d’un ou de plusieurs autres Etats. Cette situation ne relève pas, dans le droit
international contemporain, du principe interdisant le recours à la force, mais du principe
de non intervention »31. Par ailleurs, la « guerre des ondes » ou « guerre médiatique » ne
rentre pas non plus dans le cadre du droit des conflits armés. En effet, il s’agit, en temps
de conflit armé, de l’« utilisation de la radiodiffusion comme moyen de propagande, de
28
Cf. Ibidem, p. 10.
29
Ibidem, p. 78.
30
S. GUINCHARD et G. MONTAGNIER (sous la direction de), Lexique des termes juridiques 2010 (17e
édition), Paris, Dalloz, 2009, p. 362. Parlant de la guerre froide, Francescakis précise du reste qu’elle
échappe par nature à toute discipline juridique. Voir PH. FRANCESCAKIS (sous la direction de),
Répertoire de droit international, Tome II, Paris, Jurisprudence Générale Dalloz, 1969, p. 78.
31
J. SALMON (sous la direction de), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2001,
p. 539. Pour Jean Salmon, « le terme se rapproche du droit des conflits armés, quand il n’est qu’un aspect
particulier d’un conflit armé. ‘‘ Il suffit de constater que la guerre mondiale était dès son début en même
temps une guerre économique, destinée à priver l’ennemi de ressources économiques utiles à la gestion de
la guerre, et à briser ses forces de résistance’’ (C.P.J.I., Mémoire du Gouvernement allemand, affaire
relative à Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise, série C, n°11, vol. I, p. 384) » (J.
SALMON (sous la direction de), Op. cit., p. 539).
14
Un conflit armé interétatique peut être soit une guerre déclarée, soit tout autre
conflit armé, soit une occupation d’un territoire d’un autre Etat sans résistance militaire33.
Par ailleurs, tout conflit armé interétatique autre qu’une guerre déclarée36 est
également un conflit armé international au sens de l’article 2 des Conventions de Genève
de 1949. Cette précision vise à écarter dans le chef d’un Etat au conflit toute possibilité
32
Larousse. Dictionnaire Maxipoche 2010, Paris, Larousse, 2009, p. 655.
33
Robert Kolb distingue trois hypothèses: l’affrontement armé de fait, l’état de guerre déclarée et
l’occupation sans résistance d’un territoire. Voir R. KOLB, Op. cit., pp. 73-74. Tout en nous inspirant de
lui, nous suivons l’ordre et la formulation de l’article 2 commun aux Conventions de Genève.
34
Cf. Ibidem, p. 74.
35
Cf. M. DEYRA, L’essentiel du droit des conflits armés, Paris, Gualino éditeur, 2002, p. 17.
36
L’alinéa 1er de l’article 2 commun aux Conventions de Genève indique que « la présente Convention
s’appliquera en cas de guerre déclarée ou de tout autre conflit armé… ». « Tout autre conflit armé »
renvoie donc à un conflit armé autre qu’une guerre déclarée.
15
d’écarter l’application des règles humanitaires en cas de measures short of war37. Elle
vise également à englober des conflits armés qui, tout en réunissant les caractéristiques
d’une guerre, n’ont pas fait l’objet de déclaration de guerre. Ceci est très fréquent en cas
de « guerre d’agression », qui est « une guerre entreprise par un Etat en violation de ses
obligations internationales »38. Sous l’empire de l’Organisation des Nations unies, il
s’agit précisément de la violation de l’interdiction du recours à la menace ou à l’emploi
de la force par un Etat, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un
autre Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations unies,
consacrée par l’article 2, § 4 de la Charte. Tel fut le cas de l’invasion du Koweït par l’Irak
le 2 août 199039. Il en fut de même des activités armées sur le territoire de la République
démocratique du Congo par l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi40.
Enfin, l’occupation du territoire d’un Etat sans résistance est un conflit armé
international. Si l’occupation se fait après résistance militaire, nous sommes dans l’une
des deux hypothèses susmentionnées (guerre déclarée ou tout autre conflit armé).
L’absence de résistance n’enlève rien au caractère armé du conflit. La puissance
occupante est prête à user des armes. Elle n’attend que la résistance de celle dont le
37
Cf. R. KOLB, Op. cit., p. 72.
38
UNION ACADEMIQUE INTERNATIONALE, Dictionnaire de la terminologie du droit international,
Paris, Sirey, 1960, p. 308.
39
Cf. P. D’ARGENT, « Le fonds et la Commission de compensation des Nations Unies », in R.B.D.I.,
1992/2, p. 485. Pierre d’Argent précise que dans sa résolution 660 du 2 août 1990, le Conseil de sécurité
n’a pas qualifié l’opération militaire iraquienne d’ « acte d’agression »,…préférant condamner « l’invasion
du Koweit par l’Iraq », cause de la « rupture de la paix et de la sécurité internationale ». C’est plutôt la
doctrine qui s’accorde sans trop d’hésitation pour considérer que l’Iraq a commis en l’occurrence un acte
d’agression au sens de l’article 3 (a) de la résolution 3314 (XXIX) de l’Assemblée générale sur la définition
de l’agression. Voir P. D’ ARGENT, Les réparations de guerre en droit international public, Op. cit.,
pp.327-328.
40
La remarque de Pierre d’Argent dans la note précédente mérite d’être reprise ici. En effet, en guise
d’exemple, la résolution 1234 (1999) du Conseil de sécurité, sans parler expressis verbis d’agression,
mentionne : « Préoccupé [ndlr : le Conseil de sécurité] par les informations selon lesquelles les forces
opposées au Gouvernement ont pris dans la partie orientale de la République démocratique du Congo des
mesures violant la souveraineté nationale et l’intégrité territoriale du pays ». De même, dans l’affaire des
Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), la CIJ, sans
utiliser le mot « agression », dit que «[l]’intervention militaire illicite de l’Ouganda a été d’une ampleur et
d’une durée telles que la Cour la considère comme une violation grave de l’interdiction de l’emploi de la
force énoncée au paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies» (Activités armées sur le
territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 227, §
165). Cependant, dans son opinion individuelle, le juge Simma a estimé que le recours à la force par
l’Ouganda devait être qualifié d’acte d’agression (Cf. Ibidem, p. 334-335, § 2). Il en est de même du juge
Elaraby, dans son opinion individuelle (Cf. Ibidem, p. 332, § 18).
16
Pour tout dire, tout conflit armé interétatique est international et exige
l’application du droit des conflits armés internationaux. La question qui se pose est de
savoir dans quelle mesure les Etats non Parties aux Conventions de Genève peuvent être
liés par elles. Deux hypothèses se présentent :
- Deux ou plusieurs Etats non parties aux Conventions sont en conflit armé.
Qu’en est-il si l’Etat non partie n’accepte pas et n’applique pas les
dispositions des Conventions de Genève de 1949 ? Le commentaire de l’alinéa 3 de
l’article 2 commun indique que « si la Convention…prévoit que, dans certaines
conditions, une Puissance contractante peut être légalement dégagée de ses obligations,
son esprit encourage cette Puissance à persévérer dans l’application des règles
humanitaires quelle que soit l’attitude de la Partie adverse »43. Cette position doctrinale
sera confirmée et même étendue par la jurisprudence. En effet, dans son avis relatif aux
armes nucléaires, rendu à la requête de l’AGNU, la CIJ a soutenu que même les Etats
41
Cf. E. DAVID, Op. cit., p. 123.
42
Le commentaire de cet alinéa mentionne que l’acceptation peut être tacite, implicitement contenue dans
une application de fait. Voir J. PICTET (sous la direction de), Les Conventions de Genève du 12 août 1949.
Commentaire. IV. La Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de
guerre, Op. cit., p. 30.
43
Ibidem, p. 30.
17
non Parties aux Conventions de Genève de 1949, du moment qu’ils sont en conflit armé,
sont liés par les règles fondamentales de ces Conventions sur une base coutumière44.
Une guerre de libération nationale est un conflit armé dans lequel un peuple
lutte contre la domination coloniale et l’occupation étrangère et contre un régime raciste
ou d’apartheid dans l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes45. Au titre de
guerres de libération nationale figurent les conflits armés qu’ont connus la Rhodésie du
Sud et la Namibie. Ces conflits armés s’inscrivent non seulement dans le cadre des luttes
contre l’occupation étrangère, mais également dans le cadre de la lutte contre un régime
raciste ou d’apartheid. En effet, la Rhodésie a connu une occupation par des colonies de
peuplement, alors que la Namibie a été l’objet de l’occupation par l’Afrique du Sud suite
au retrait du mandat par l’Assemblée générale des Nations unies. Sur les deux territoires
était établi un système de ségrégation raciale, l’apartheid46. Le conflit armé lié à
l’occupation du Sahara occidental par le Maroc, quant à lui, relève uniquement de la lutte
contre l’occupation étrangère47.
44
« C’est sans doute parce qu’un grand nombre de règles du droit humanitaire applicable dans les conflits
armés sont si fondamentales pour le respect de la personne humaine et pour ‘‘ des considérations
élémentaires d’humanité’’ […] que la convention IV de La Haye et les conventions de Genève ont
bénéficié d’une large adhésion des Etats. Ces règles fondamentales s’imposent d’ailleurs à tous les Etats,
qu’ils aient ou non ratifié les instruments conventionnels qui les expriment, parce qu’elles constituent des
principes intransgressibles du droit international coutumier » (Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes
nucléaires, C.I.J. Recueil 1996, p. 257, § 79). Par ailleurs, la Cour a reconnu l’existence d’une certaine
opinio juris selon laquelle les « principes et règles du droit humanitaire font partie du jus cogens tel que le
définit l’article 53 de la convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 » (Ibidem, § 83).
45
Cf. Article 1er, § 4 du Protocole additionnel (I) aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la
protection des victimes des conflits armés internationaux. Voir également P. VERRI, Op. cit., p. 60. A
propos de la différence entre domination coloniale et occupation étrangère, notons que les peuples en lutte
contre la domination coloniale sont ceux auxquels les NU ont reconnu le droit à l’autodétermination, à
savoir, les peuples des territoires non autonomes et des territoires sous tutelle, en vertu des articles 73 et 76
de la Charte des Nations Unies combinés avec la résolution 1514 (XV) adoptée par l’AGNU le 14
décembre 1960, alors que les peuples en lutte contre l’occupation étrangère sont ceux d’un territoire non
encore pleinement érigé en Etat. Voir E. DAVID, Op. cit., pp. 186-190.
46
Cf. R. KOLB, Op. cit., pp. 76 et 77.
47
Cf. Ibidem, p. 77.
18
48
R. ABI-SAAB, Droit humanitaire et conflits internes, Genève/ Paris, Institut Henry –Dunant / Pedone,
1986, p. 111.
49
Cf. E. DAVID, Op. cit., p. 184.
50
Articles 1er et 55 de la Charte des Nations unies, Résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale du 14
décembre 1960 relative à l’octroi de l’indépendance aux pays et peuples colonisés, résolution 2105 (XX) de
l’Assemblée générale du 20 décembre 1965, article 1er commun aux Pactes internationaux de 1966. Cf. R.
ABI-SAAB, Op. cit., p. 100.
51
« Le droit des conflits armés […] s’applique intégralement lorsque ces conflits sont internationaux et
partiellement lorsqu’ils ne le sont pas » (E. DAVID, Op. cit., p. 115).
52
Voir, par exemple : Résolution 2105 (XX), du 20 décembre 1965, § 10 ; Résolution 2444 (XXIII), du 19
décembre 1968, Préambule, alinéas 2, 3 et 4 ; Résolution 2621 (XXV), du 12 octobre 1970, § 2 et § 6, a) ;
Résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale, du 24 octobre 1970 ; etc.
19
libération nationale » en ces termes : « Les conflits armés où il y a lutte de peuples contre
la domination coloniale et étrangère et les régimes racistes doivent être considérés
comme des conflits armés internationaux au sens des Conventions de Genève de 1949, et
le statut juridique prévu pour les combattants dans les Conventions de Genève de 1949 et
les autres instruments internationaux doit s’appliquer aux personnes engagées dans une
lutte armée contre la domination coloniale et étrangère et les régimes racistes »53. Cette
volonté d’internationalisation de la guerre de libération nationale viendra culminer dans
le Protocole additionnel I. En effet, selon l’article 1er, § 4 de ce protocole, les guerres de
libération nationale sont des conflits armés internationaux.
53
Résolution 3103 (XXVIII), 12 décembre 1973, dispositif, § 3.
54
Cf. P. VERRI, Op. cit., p. 37.
55
Cf. M. CRUCHAGA TACORNAL, « Guerre civile », in A.-F. FRANGULIS (sous la direction de),
Dictionnaire diplomatique, Paris, Académie diplomatique internationale, s.d., p. 1030.
20
partie de son territoire un contrôle tel qu’il leur permette de mener des opérations
militaires continues et concertées et d’appliquer le Protocole II.
Partant de cette définition, Haykel Ben Mahfoudh constate que les conflits
armés non-internationaux selon l’article 1er du Protocole II additionnel de 1977 sont ceux
qui se produisent entre le gouvernement et les insurgés, et non pas les conflits entre des
groupes dissidents, ou entre les insurgés eux-mêmes56. Il se rallie ainsi à l’interprétation
qui en est donnée par Robert Kolb57. Cette interprétation est pertinente du fait que, dans
cet article, la préposition « entre » n’est pas reprise après la conjonction de coordination
« ou ». Ceci signifie que les conflits se déroulent entre les forces armées d’un Etat et des
forces armées dissidentes ou entre les forces armées d’un Etat et des groupes armés
organisés. Les conflits entre groupes armés organisés, y compris des forces dissidentes,
qui échappent au champ d’application du Protocole additionnel II, restent couverts par
l’article 3 commun aux Conventions parce qu’ils demeurent des conflits armés ne
présentant pas un caractère international. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’in fine de la
définition du conflit armé par le TPIY dans l’affaire Tadic que nous avons déjà évoquée :
« un conflit armé prolongé entre […] de tels groupes au sein de l’Etat »58. Cet acquis
prétorien sera récupéré par les rédacteurs du Statut de Rome dont l’article 8, 2 f) vise des
conflits ne présentant pas un caractère international, qui sont des conflits armés qui
opposent de manière prolongée sur le territoire d’un Etat les autorités du gouvernement
de cet Etat et des groupes armés organisés ou des groupes armés organisés entre eux.
Un autre élément important est que les forces dissidentes ou les groupes
armés organisés opposés aux forces armées d’une Puissance contractante (ou, selon la
jurisprudence du TPIY et le Statut de Rome, les groupes armés opposés entre eux)
doivent être sous la conduite d’un commandement responsable. Celui-ci devra veiller au
respect des règles humanitaires.
56
Cf. H. BEN MAHFOUDH, « Acteurs non étatiques et conflits armés non internationaux », in R. BEN
ACHOUR et S. LAGHMANI (sous la direction de), Acteurs non étatiques et droit international, Paris,
Pedone, 2007, p. 221.
57
Cf. R. KOLB, Op. cit., p. 85.
58
TPIY, App., aff. IT-94-1-AR 72, 2 octobre 1995, Tadic, § 70.
21
Par ailleurs, en vertu de l’article 1er, § 1er du Protocole additionnel II, les
groupes dissidents ou les groupes organisés doivent exercer un contrôle territorial qui leur
permette de mener des opérations militaires continues et concertées.
Il sied de noter que ces divers éléments constitutifs d’un conflit armé non
international ont déjà à plusieurs reprises fait l’objet d’une interprétation par la Cour
pénale internationale. Dans l’affaire Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, la Chambre
Préliminaire I a conclu qu’ « en plus du critère des violences devant atteindre une
certaine intensité et s’étant prolongées dans le temps, l’article 1er, alinéa 1 du Protocole
additionnel II requiert que les groupes armés disposent : i) d’un commandement
responsable impliquant une certaine organisation des groupes armés, suffisante pour
concevoir et mener des opérations militaires continues et concertées et pour imposer une
discipline au nom d’une autorité de fait incluant l’application du Protocole; et ii) un
contrôle du territoire suffisant pour pouvoir mener des opérations militaires continues et
concertées »59.
“The Chamber has also highlighted that article 8(2)(f) of the Statute makes
reference to "protracted armed conflict between [...] organized armed groups", and that,
in the view of the Chamber, this focuses on the need for the organised armed groups in
question to have the ability to plan and carry out military operations for a prolonged
period of time. In this regard, the Chamber observes that, to date, control over the
territory by the relevant organised armed groups has been a key factor in determining
whether they had the ability to carry out military operations for a prolonged period of
time”60.
59
ICC-01/04-01/06-803, Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, Décision sur la confirmation des
charges, 29 janvier 2007, § 232.
60
ICC-02/05-01, In the Case of the Prosecutor v. Omar Hassan Ahmad Al Bashir, Decision on the
Prosecution's Application for a Warrant of Arrest against Omar Hassan Ahmad Al Bashir, 4 March 2009,
§ 60.
22
contrôle territorial requis des groupes armés organisés en ces termes : « [L]e Statut
n’exige pas l’élément légal énoncé à l’article 1-1 du Protocole additionnel II, selon lequel
le ou les groupes armés organisés doivent exercer un contrôle sur une partie du
territoire »61. Par voie de conséquence, le Statut de Rome de la Cour pénale internationale
est plus exigeant que le Protocole additionnel (II) : toutes les violations des droits de
l’homme commises par des groupes armés organisés constituent des crimes de guerre, qui
relèvent de la compétence de la Cour.
B. Situations exclues
61
ICC-01/05-01/08-424, Le Procureur c. Jean-Pierre Bemba Gombo, Décision rendue en application des
alinéas a) et b) de l’article 61‐7 du Statut de Rome, relativement aux charges portées par le Procureur à
l’encontre de Jean‐Pierre Bemba Gombo, 15 juin 2009, § 236.
62
P. VERRI, Op. cit., p. 119.
23
ou moins organisés et les autorités au pouvoir. Dans ces situations, qui ne dégénèrent
pas nécessairement en luttes ouvertes, les autorités au pouvoir font appel à de vastes
forces de police, voire aux forces armées pour rétablir l’ordre intérieur »63.
C’est dire que des actes terroristes ou les réponses à ces actes devront être
examinés au cas par cas pour savoir s’ils constituent un conflit armé (interne) ou alors des
situations de tensions ou de troubles intérieurs.
Les conflits armés non internationaux font intervenir uniquement des acteurs
intraétatiques : hostilités entre Etat et acteurs infraétatiques ou entre acteurs non étatiques
entre eux. Pour ce, ils sont, par une certaine doctrine, qualifiés de « conflits armés non
internationaux purs »67, par opposition aux conflits qui à l’origine sont non
internationaux, mais s’internationalisent par l’intervention d’acteurs extérieurs. Ces
derniers sont alors dénommés « conflits armés non internationaux mixtes ou
internationalisés »68 ou « conflits armés non-internationaux internationalisés »69 ou
63
Ibidem, p. 123.
64
Cf. D. MOMTAZ, « Bilan de recherches de la Section de la langue française du Centre d’Etude et de
recherche de l’Académie », in ACADEMIE DE DROIT INTERNATIONAL DE LA HAYE, Les règles et
les institutions du droit international humanitaire à l’épreuve des conflits armés récents, Leiden/ Boston,
Martinus Nijhoff Publishers, 2008, p. 57.
65
Cf. Ibidem, p. 57.
66
Cf. Ibidem, p. 57.
67
Cf. Ibidem, p. 219; R. KOLB, Op. cit., p. 79.
68
H. BEN MAHFOUDH, « Art. cit. », p. 222.
69
R. KOLB, Op. cit., p. 85.
24
encore « conflits armés internes internationalisés »70, ou tout simplement « conflits armés
internationalisés »71.
Robert Kolb, quant à lui, distingue quatre cas de conflits armés non
internationaux internationalisés : le conflit armé non international avec reconnaissance de
belligérance, le conflit armé interne avec sécession réussie, le conflit armé interne avec
l’intervention d’un ou plusieurs Etats et le conflit armé non international avec
intervention d’une Organisation internationale (notamment les Nations unies)73.
70
Cf. P. VERRI, Op. cit., p. 37 ; M. DEYRA, Op. cit., p. 18.
71
D. MOMTAZ, «Art. cit. », p. 29.
72
P. VERRI, Op. cit., p. 37.
73
Cf. R. KOLB, Op. cit., pp. 86- 93.
74
Cf. E. DAVID, Op. cit., p. 151. Au regard d’un conflit armé internationalisé, dans cette énumération
s’insèrent deux « intrus », qui ne méritent plus de commentaire car ils sont déjà précédemment examinés
dans le conflit armé international: le conflit armé interétatique et la guerre de libération nationale.
25
Force est de constater que certains auteurs, comme Robert Kolb et Haykel
Ben Mahfoudh, analysent le conflit armé non international internationalisé ou interne
internationalisé en tant que conflit armé non international75. En revanche, d’autres auteurs
comme Eric David et Djamchid Momtaz l’analysent en tant que conflit armé
international76.
Dans l’un ou l’autre camp, les raisons de ce classement ne sont pas relevées.
Il semble que les premiers insistent sur l’origine interne du conflit non international
internationalisé alors que les seconds mettent l’accent sur le résultat qui est
l’internationalisation du conflit interne. Dans tous les cas, ces auteurs s’accordent sur la
typologie bipartite des conflits armés (internationaux et non internationaux) retenue par
les Conventions de Genève et leurs protocoles additionnels.
D’un autre côté, des auteurs, comme Pietro Verri et Michel Deyra, érigent le
conflit armé interne internationalisé en une catégorie à part entière. On se retrouve ainsi
devant une répartition tripartite des conflits armés : les conflits armés internationaux, les
conflits armés non internationaux ou internes et les conflits armés internes
internationalisés77. Cette subdivision, quoique n’étant pas conforme aux Conventions de
Genève et leurs protocoles additionnels, nous semble la plus réaliste et la plus
pédagogique. Il est fort probable que les concepteurs de ce droit de Genève n’ont pas eu à
l’esprit cette hypothèse des conflits armés internes internationalisés, qui sont pourtant
devenus très fréquents. En effet, à ce jour, il n’existe pas de dispositions internationales
spécifiques à ce type de conflit armé78.
75
Cf. R. KOLB, Op. cit., pp. 79 et 85 ; H. BEN MAHFOUDH, « Art. cit. », pp. 218-222.
76
Cf. E. DAVID, Op. cit., pp. 151 et suivantes; D. MOMTAZ, «Art.cit. », pp. 21, 24- 25 et 29.
77
Cf. P. VERRI, Op. cit., p. 37 et M. DEYRA, Op. cit., pp. 17-19.
78
Cf. P. VERRI, Op. cit., p. 37.
26
Il est tout à fait clair que ce conflit armé dénommé « guerre de sécession » est
originairement interne. Mais il s’internationalise si la sécession est effective pendant que
le conflit perdure, notamment avec la reconnaissance de l’Etat nouveau par l’ancien Etat
79
L’approche est essentiellement doctrinale, faute de règles de droit international régissant la matière.
80
E. DAVID, Op. cit., pp. 157-158.
81
Cf. Ibidem, p. 159. Voir également R. KOLB, Op. cit., p. 86.
82
Cf. R. KOLB, Op. cit., p. 87.
83
E. DAVID, Op. cit., p. 198.
27
Si l’Etat amputé ne reconnaît pas l’Etat nouveau, et que celui-ci n’est pas
encore admis aux Nations unies, il peut se prévaloir de l’application des règles relatives
aux conflits armés non internationaux. Tel fut le cas de la France en Indochine, en 1950,
qui prétendit assimiler ses adversaires Vietminh à des rebelles, faute de reconnaissance
de la République démocratique du Vietnam86. Sur ce point, la doctrine considère
cependant que dès qu’il y a indépendance de fait, on devra appliquer l’ensemble du droit
des conflits armés, c’est-à-dire le droit des conflits armés internationaux, en vertu du
principe d’effectivité87.
84
Cf. R. KOLB, Op. cit., p. 87.
85
Cf. Ibidem, p. 87.
86
Cf. E. DAVID, Op. cit., p. 206.
87
Cf. Ibidem, pp. 206-207 et R. KOLB, Op. cit., p. 87.
88
« Le droit international humanitaire exige…l’existence d’une ou plusieurs parties adverses. L’expression
partie à un conflit armé s’applique généralement à des forces armées ou des groupes armés ayant un certain
niveau d’organisation, plus précisément la capacité d’appliquer le droit international humanitaire… » (D.
MOMTAZ, « Art. cit. », p. 58).
89
Résolution 377, 17 novembre 1950.
90
Résolution 2625, 24 octobre 1970.
28
L’intervention étatique en faveur des insurgés peut s’opérer par l’envoi soit
des troupes combattantes sur le territoire étranger, soit des conseillers techniques ou
militaires, qui prennent part aux hostilités sous l’autorité de leur Etat d’origine, soit des
« volontaires »94. Elle peut également s’opérer par la simple aide financière, technique ou
91
« Comme la Cour l'a indiqué, le principe de non-intervention relève du droit international coutumier. Or
il perdrait assurément toute signification réelle comme principe de droit si l'intervention pouvait être
justifiée par une simple demande d'assistance formulée par un groupe d'opposants dans un autre Etat, en
l'occurrence des opposants au régime du Nicaragua, à supposer qu'en l'espèce cette demande ait été
réellement formulée. On voit mal en effet ce qui resterait du principe de non-intervention en droit
international si l'intervention, qui peut déjà être justifiée par la demande d'un gouvernement, devait aussi
être admise à la demande de l'opposition à celui-ci. Tout Etat serait ainsi en mesure d'intervenir à tout coup
dans les affaires intérieures d'un autre Etat, à la requête, tantôt de son gouvernement, tantôt de son
opposition. Une telle situation ne correspond pas, de l'avis de la Cour, à l'état actuel du droit international »
(Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis
d'Amérique), fond, arrêt, C.I.J.Recueil 1986, p. 126, § 246).
92
Cf. D. MOMTAZ, « Art.cit. », p. 28.
93
Cf. P. DAILLIER et A. PELLET, Droit international public (7e édition), Paris, L.G.D.J., 2002, p. 523.
94
Cf. R. KOLB, Op. cit., p. 88. « Le “volontaire” international est un individu qui s’engage dans une force
étrangère pour participer à ses actions, poussé par des mobiles divers » (P. VERRI, Op. cit., p.128).
29
militaire95. Nous reviendrons sur cet aspect dans le chapitre relatif à la responsabilité des
Etats, précisément en matière d’imputabilité d’actes de particuliers à un Etat.
Dès que les forces d’une Organisation internationale, notamment les Nations
unies, la CEDEAO, interviennent du côté d’une des parties à un conflit armé interne, ce
conflit armé s’internationalise97. Et donc à partir de cette intervention s’applique le droit
des conflits armés internationaux.
95
Cf. R. KOLB, Op. cit., p. 88.
96
Cf. Ibidem, pp. 88-91.
97
Cf. Ibidem, p. 92. Pour Eric David, « la seule présence de forces de maintien de la paix de l’ONU sur le
territoire d’un Etat déchiré par un conflit armé non international ne suffit évidemment pas à
internationaliser le conflit. Comme dans un conflit armé interétatique classique […], on ne devrait pouvoir
parler de conflit armé international que s’il y a affrontement entre les forces de l’ONU et une des Parties au
conflit. Encore faut-il noter que si cet affrontement est constitutif de conflit armé international entre l’ONU
et la Partie adverse, en soi cet affrontement n’implique pas que l’ensemble du conflit armé
s’internationalise, surtout s’il s’agit d’un événement isolé. Ce n’est que dans l’hypothèse où ces
affrontements deviendraient récurrents et prendraient une certaine ampleur que l’on pourrait considérer,
comme dans le cas de l’intervention massive d’un Etat tiers, que l’ensemble du conflit interne
s’internationalise » (E. DAVID, Op. cit. (1999), p. 146. Nous estimons que ce raisonnement devrait
s’appliquer à l’intervention des forces de toute Organisation internationale.
30
23 mars (M23) en 2013. Cependant, il pourrait arriver que les forces d’une organisation
internationale, bien qu’elles ne combattent pas du côté des « insurgés » contre le
gouvernement légal, protègent de facto ceux-là contre celui-ci, notamment dans le cadre
de l’exercice du droit d’ingérence humanitaire, qui, « contrairement au principe de non-
ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat, corollaire de la souveraineté, affirmé par
la charte des Nations unies, […] vise à permettre une action internationale quand un
peuple serait gravement menacé dans sa survie même ».98 A ce stade, on peut citer
l’exemple de l’intervention des forces des Nations Unies en 1992 dans l’ex-Yougoslavie
et en Somalie99.
98
S. GUINCHARD et G. MONTAGNIER (sous la direction de), Op.cit. , p. 274.
99
Cf. Ibidem, p. 274.
100
Cf. A. RYNIKER, « Respect du droit international humanitaire par les forces des Nations Unies.
Quelques commentaires à propos de la circulaire du Secrétaire général des Nations Unies du 6 août 1999 »,
in Revue internationale de la Croix-Rouge, N°836, pp. 795-805, disponible sur http://www.cicr.og , p. 2,
consulté le 14 juillet 2010.
101
Ibidem, p. 2.
102
Dans certains conflits armés (Congo, 1960-1963, Yougoslavie, 1991-1995, Somalie, 1992-1995), les
forces de maintien de la paix ont reçu mandat de recourir à la force en cas de nécessité (Cf. E. DAVID, Op.
31
Pour rappel, notre recherche porte sur l’exploitation illicite des ressources
naturelles d’un Etat étranger par des Etats, des groupes armés, des multinationales et des
personnes physiques. A titre d’hypothèse, nous voulons notamment examiner la
possibilité d’imputer dans ce contexte les actes des multinationales aux Etats dont elles
relèvent (siège, filiale, contrôle). Ce sont donc les conflits armés internationaux et les
conflits armés internationalisés par une intervention étatique qui intéressent
cit. (1999), p. 188). Et effectivement au Congo et en Somalie, ces forces se sont retrouvées dans une
position de partie belligérante (Cf. Ibidem, p. 188). Dans la pratique, l’ONU a depuis un certain temps
affirmé, notamment dans les règlements applicables aux forces de maintien de la paix, dans des accords
entre elle et les Etats qui fournissent des contingents pour des opérations de maintien de la paix, dans des
accords conclus avec les Etats d’envoi des forces, etc. que les membres de ces forces sont « tenus de
respecter les principes et l’esprit des conventions internationales relatives aux opérations du personnel
militaire » (Voir par exemple le Règlement de la FUNU du 20 février 1957, article 44; le Règlement de
l’UNFICYP du 25 avril 1964, article 40; in R.T.N.U., 271, pp. 149, 185 et 555. Voir également Doc. ONU
A/46/185, du 23 mai 1991). En outre, l’applicabilité du droit international humanitaire aux forces des
Nations unies a été réaffirmée par l’article 20 de la Convention sur la sécurité du personnel des Nations
unies et du personnel associé, adoptée à New York, le 9 décembre 1994 (Cf. R.T.N.U., Vol. 2051, I-35457,
pp. 400-458). En pratique, l’ONU demande aux Etats membres qui fournissent des contingents de faire
respecter par ceux-ci les règles du droit international humanitaire (Voir Circulaire du Secrétaire général
relative au « Respect du droit international humanitaire par les forces des Nations Unies », Doc. ONU
ST/SGB/1999/13, du 6 août 1999).
103
Voir, par exemple, P. KOVACS, « Intervention armée des forces de l’OTAN au Kosovo : Fondement de
l’obligation de respecter le droit international humanitaire », in Revue internationale de la Croix-Rouge,
n°837, pp. 103-128.
32
principalement ce travail. La question des obligations des Etats tiers aux conflits par
rapport aux Etats belligérants devra également être examinée. Elle le sera dans le chapitre
afférent aux règles applicables aux Etats. Avant d’y arriver, il convient de définir
l’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat étranger.
Section II. Exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat étranger
Quand les médias, les organisations non gouvernementales, les Etats, les
Organisations internationales…dénoncent l’exploitation « illégale », mieux l’exploitation
illicite des ressources naturelles d’un Etat, de nombreuses personnes pensent
spontanément aux ressources minières (diamant, or, cuivre, cassitérite, etc.). La notion de
« ressources naturelles » est pourtant très complexe et ne se limite pas aux « matières
précieuses », au sens de minerais.
104
- Etats-Unis- Prohibition à l’importation de certaines crevettes et de certains produits à base de
crevettes, WT/DS 58/ AB/ R, 12 octobre 1998, § 130. Cette précision est venu mettre fin à la polémique
autour de la notion de « ressources naturelles épuisables », ainsi qu’il ressort de ce passage du rapport de
l’Organe d’Appel : « Si l'on considère son texte, l'article XX g) ne se limite pas à la conservation des
ressources naturelles ‘‘minérales’’ ou ‘‘non vivantes’’. Le principal argument des parties plaignantes
repose sur l'idée que les ressources naturelles "biologiques" sont "renouvelables" et ne peuvent donc pas
être des ressources naturelles ‘‘épuisables’’. Nous ne croyons pas que les ressources naturelles
‘‘épuisables’’ et ‘‘renouvelables’’ s'excluent mutuellement. La biologie moderne nous enseigne que les
espèces vivantes, bien qu'elles soient en principe capables de se reproduire et soient donc ‘‘renouvelables’’,
peuvent dans certaines circonstances se raréfier, s'épuiser ou disparaître, bien souvent à cause des activités
humaines. Les ressources biologiques sont toutes aussi ‘‘limitées’’ que le pétrole, le minerai de fer et les
autres ressources non biologiques » (Ibidem, § 128). Pour des détails sur les arguments des plaignants, voir
Ibidem, § 127. Pour un commentaire sur cette décision et plus généralement sur l’article XX g) du GATT
33
(1994), voir, entre autres, D. LUFF, Le droit de l’Organisation mondiale du Commerce. Analyse critique,
Bruxelles/Paris, Bruylant/L.G.D.J., 2004, pp. 178-183 et S. MALJEAN-DUBOIS (sous la direction de),
Droit de l’Organisation mondiale du Commerce et protection de l’environnement, Bruxelles, Bruylant,
2003, pp. 31-50.
105
Pour ces différentes conventions relatives à la protection des ressources naturelles, voir M. PRIEUR et
S. DOUMBE-BILLE (sous la direction de), Recueil francophone des traités et textes internationaux en
droit de l’environnement, Bruxelles, Bruylant, 1998 et E. DAVID et C. VAN ASSCHE, Code de droit
international public (2e édition), Bruxelles, Bruylant, 2006.
106
PRIEUR, M. et DOUMBE-BILLE, S. (sous la direction de), Op. cit., p. 232.
34
entrée en vigueur107) définit en son article V, 1 les « ressources naturelles » comme « les
ressources naturelles renouvelables, tangibles et non tangibles, notamment les sols, les
eaux, la flore et la faune, ainsi que les ressources non renouvelables »108.
107
Voir http://au.int/en/sites/default/files/Revised%20-%20Nature%20and%20Natural%20Resources_0.pdf
consulté le 10 novembre 2013.
108
Pour le texte de cette convention, voir http://au.int/en/content/african-convention-conservation-nature-
and-natural-resources-revised-version consulté le 12 mai 2013.
109
Voir Protocole sur la lutte contre l’exploitation illégale des ressources naturelles (Conférence
internationale sur la Région des Grands Lacs), disponible sur
http://www.icglr.org/common/docs/docs_repository/prot_ienr_fr.pdf consulté le 16 avril 2009. Ce
Protocole est entré en vigueur le 21 juin 2008, date d’entrée en vigueur du Pacte sur la sécurité, la stabilité
et le développement dans la Région des Grands Lacs. En effet, l’article 37, § 1 du Protocole dispose que ce
protocole fait partie intégrante du Pacte et ne doit pas être sujet à une signature et à une ratification séparée
des Etats membres. Voir http://www.linternationalmagazine.com/article4782.html consulté le 29 mai 2008.
110
Voir par exemple S/ 2001/49, 16 janvier 2001 ; S/ 2001/357, 12 avril 2001 ; S/2001/1072, 13 novembre
2001 ; S/ 2002/1146, 16 octobre 2002 ; S/ 2003/ 1027, 23 octobre 2003 ; S/ RES/ 1457 (2003), 24 janvier
2003 ; etc. C’est nous qui mettons « illégale » entre guillemets pour des raisons qui seront expliquées
ultérieurement.
35
sens que nous utiliserons ce terme tout au long de la présente dissertation. Ces rapports et
résolutions parlent d’exploitation illégale de ressources naturelles et autres richesses
parce qu’en plus des ressources naturelles, les forces occupantes de la RDC ont pillé des
voitures, de l’argent dans des banques ; elles ont même imposé des taxes illégales,
démonté des usines, etc.111
111
Cf. Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses
de la République démocratique du Congo, Op. cit., pp. 3-5, 9, 14-15. Ce Groupe a travaillé sous la
présidence de Safiatou Ba-N’Daw (Côte d’Ivoire). Pour les autres membres du Groupe, voir p. 3.
112
Larousse 2010. Dictionnaire maxipoche, p. 542.
113
Cf. Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses
de la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 5, § 15.
114
Ibidem, p. 5, § 15.
36
ressources naturelles »115. Les ressources naturelles qui font généralement l’objet
d’exploitation illicite sont les ressources minières, les ressources forestières (bois
tropicaux) et les espèces précieuses de faune sauvage (éléphants, okapis, gorilles, etc.).
Reste alors à savoir comment cette exploitation est illicite.
115
Ibidem, p. 5, § 15.
116
Sur la nette différence entre « illégalité » et « illicéité », voir S. GUINCHARD et G. MONTAGNIER
(sous la direction de), Op. cit., p. 373 : illégalité, caractère de ce qui est contraire à la loi, entendue au sens
formel (textes votés par le Parlement) ; illicéité : caractère de ce qui n’est pas permis, de ce qui est contraire
à un texte de droit (loi, décret, arrêté), à l’ordre public, aux bonnes mœurs.
117
Cf. Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses
de la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 5, § 15.
37
D’autre part, une des règles substantielles du droit international requiert que
le droit interne d’un Etat soit respecté. Ainsi, par exemple, en matière de droits de
l’homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques exige le respect de la
« loi » en cas d’arrestations ou détentions (article 9) ou d’expulsion (article 13). Dans le
même angle, de l’avis du Groupe d’experts, le droit international considère comme illicite
l’exploitation des ressources naturelles faite contrairement aux lois de l’Etat qui exerce la
souveraineté sur ces ressources. Il en est ainsi, notamment, de l’exploitation faite en
violation de la compétence interne d’autorisation. On est en présence d’un test de respect
du droit international par le respect du droit interne.
118
Ibidem, p. 5, § 15.
38
notamment en cas de pillage par un Etat des ressources naturelles d’un Etat étranger en
recourant au travail forcé, à la torture, aux traitements inhumains et autres violations des
droits des populations de l’Etat lésé.
Certes, dans certains cas, l’illicéité peut être encouragée par l’Etat souverain
sur les ressources naturelles. Mais, comme nous le verrons dans la suite de ce travail,
nous visons l’hypothèse dans laquelle l’Etat lésé n’est pas impliqué dans l’exploitation
illicite de ses ressources naturelles. Il s’agit des ressources naturelles exploitées dans les
119
Cf. Sur la violation du droit international humanitaire par des entreprises (multinationales), voir Krupp
and Others, Tribunal militaire international de Nuremberg, 30 juin 1948, I.L.R., Vol. 15, Case n°214, cité
par A.-L. VAURS CHAUMETTE, Op. cit., p. 368, note 70 ; Krauch and Others (I.G. Farben Trial),
Tribunal militaire international de Nuremberg, 29 juillet 1948, T.W.C., Vol. VIII, cité par Ibidem, p. 369,
note 74 ; Alfred Musema (Appelant) c. Le Procureur (Intimé), affaire n° ICTR-96-13-A, arrêt, 16 novembre
2001, Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire n° ICTR-
99-52-T, 3 décembre 2003.
39
zones occupées par des forces étrangères non invitées et par des groupes armés opposés
au gouvernement légitime.
Cette question a déjà fait l’objet d’une abondante littérature qui traite des
accords ou engagements politiques dans la pratique internationale, communément
dénommés ‘‘gentlemen’s agreements’’, « accords informels », ‘‘non binding
agreements’’ou ‘‘non legal norms’’120.
L’expression soft law est utilisée ‘‘to cover instruments which are deprived of
legally binding force and whose legal significance is therefore weaker than legally
binding norms referred to as hard law. Soft law includes not only non-binding
agreements but also non-binding unilateral acts of States, such as declarations,
communiqués, etc (…) or non-binding instruments adopted by international
organizations (…) eg recommendations, declarations, such as the Universal Declaration
of Human Rights (1948), guidelines, codes of conduct’’121.
120
Voir par exemple, P. EISEMANN, « Le gentlemen’s agreement comme source du droit international »,
in J.D.I., 1979, pp. 326 et ss. ; PH. GAUTIER, Essai sur la définition des traités entre Etats : la pratique
de la Belgique aux confins du droit des traités, Bruxelles, Bruylant, 1993, pp. 312- 375 ; A. AUST, ‘‘The
theory and practice of informal international instruments’’, in I.C.L.Q., 1986, pp. 787 et ss. ; O.
SCHACHTER, ‘‘The twilight existence of non binding international agreements’’, in AJIL, 1977, pp. 296
et ss. ; M. BOTHE, ‘‘Legal and non legal norms- a meaningful distinction in international relations ?’’, in
NYIL, 1980, pp. 65 et ss. ; PH. GAUTIER, « Accord et engagement politique en droit des gens. A propos
de l’acte fondateur sur les relations, la coopération et la sécurité mutuelles entre l’OTAN et la Fédération
de Russie, signé à Paris le 27 mai 1997, in A.F.D.I., 1997, pp. 82- 92 ; PH. GAUTIER, ‘‘Non-Binding
Agreements”, in Max Planck Encyclopedia of Public International Law (revised edition), 2008, disponible
sur http://www.mpepil.com/subscriber_article?script=yes&id=/epil/entries/law-9780199231690-
e1444&recno=2&author=Gautier%20%20Philippe consulté le 7 septembre 2010 ; etc.
121
PH. GAUTIER, “Non-Binding Agreements”, “Art. cit.’’, § 4.
40
122
Ibidem, § 14.
123
D. CARREAU, Droit international (10e édition), Paris, Pedone, 2009, p. 202.
124
Cf. Ibidem, pp. 203-205 et PH. GAUTIER, “Non-Binding Agreements”, “Art. cit.”, § 14.
125
Cf. PH. GAUTIER, “Non-Binding Agreements”, “Art. cit.”, § 14.
41
Cela dit, l’article 1er du « Protocole sur la lutte contre l’exploitation illégale
des ressources naturelles » définit ainsi l’« exploitation illégale » : « toute exploration,
développement, acquisition, utilisation de ressources naturelles contraires à la loi, à la
coutume, au principe de souveraineté permanente des Etats sur les ressources naturelles
ainsi qu’aux dispositions du présent protocole ». Précisons en passant que cette
disposition élargit davantage la notion d’exploitation en incluant même une pure et
simple activité d’exploration, laquelle peut ne pas être suivie d’une extraction ou
production. Il y a lieu d’y voir la forte détermination des auteurs de la Convention à lutter
contre l’exploitation illicite des ressources naturelles, qui est devenue un véritable fléau,
surtout dans la sous-région africaine des Grands Lacs.
126
Cf. E. DAVID, Op. cit., p. 781.
42
du pillage constitue une norme de droit international coutumier applicable dans les
conflits armés tant internationaux que non internationaux127. Dans l’affaire des Activités
armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), la
Cour internationale de Justice a reconnu le caractère coutumier de l’article 47 du
Règlement de La Haye de 1907, qui interdit le pillage128.
127
Cf. J.-M. HENCKAERTS et L. DOSWALD-BECK, Droit international humanitaire coutumier, Vol. I.
Règles, traduit de l’anglais par D. LEVEILLE, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 243.
128
Cf. Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt,
C.I.J. Recueil 2005, p. 244, § 219.
129
UNION ACADEMIQUE INTERNATIONALE, Dictionnaire de la terminologie du droit international,
Op. cit., p. 451.
130
P. VERRI, Dictionnaire du droit international des conflits armés, Op. cit., p. 98.
131
J. SALMON (sous la direction de), Dictionnaire de droit international public, Op. cit., p. 831.
132
B. A. GARNER (ed.), Black’s Law Dictionary, Eighth edition, Thomson West, 2004, p. 1185.
43
absolument limiter la notion de pillage aux biens meubles ou faut-il l’étendre aux
immeubles ? Par exemple, si l’on peut aisément parler de pillage de stocks de diamants
dans un entrepôt d’une société, qui sont des biens mobiliers, peut-on de même parler de
pillage d’une mine ou de diamants non encore extraits d’une mine, lesquels sont des
immeubles par nature133 ?
133
Cf. Article 6 de la loi foncière congolaise : « Le sol et les mines sont immeubles par leur nature »
(disponible sur http://www.leganet.cd/Legislation/JO/2004/JO.01.12.2004.pdf consulté le 23 novembre
2013). Voir également Article 518 du Code civil belge : « Les fonds de terre et les bâtiments sont
immeubles par leur nature » (disponible sur http://www.jura.be consulté le 23 novembre 2013).
134
http://www.culture.gouv.fr/documentation/mnr/or1211.htm consulté le 25 novembre 2013. Pour le texte
original en anglais, voir : « Inter-Allied Declaration against Acts of Dispossession committed in Territories
under Enemy Occupation and Control, available at http://www.lootedartcommission.com/inter-allied-
declaration consulted on 25 November 2013.
44
cas de la propriété concernée par l’expropriation qu’il faut mettre en échec, elle peut être
de toute nature. Cette propriété peut donc être individuelle ou collective, privée ou
publique, mobilière ou immobilière, etc. Les transferts ou transactions que la Déclaration
vise à combattre se manifestent sous deux formes principales : soit sous forme de pillage
avoué ou de mise en sac, soit sous une apparence légale. Or, comme on l’a déjà noté, ces
transferts ou transactions, qui peuvent prendre la forme d’un pillage avoué, peuvent être
relative à la propriété de toute nature. Ceci nous amène à croire que, selon cet extrait de
la Déclaration, le pillage peut concerner les (transferts des) biens tant mobiliers
qu’immobiliers.
Par ailleurs, les éléments du crime de pillage commis dans le cadre d’un
conflit armé international consacré par l’article 8-2-b-xvi du Statut de Rome de la Cour
pénale internationale sont ainsi définis :
135
J. PICTET (sous la direction de), Les Conventions de Genève du 12 août 1949. Commentaire. IV. La
Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, Op. cit., p. 244.
45
Un bref commentaire sur les éléments du crime de pillage consacrés par les
points 1 et 2 peut nous permettre d’approfondir la question de l’applicabilité de la notion
de pillage aux biens immobiliers. Tout d’abord, selon le point 1, l’auteur doit s’être
approprié certains biens. A défaut de précision qu’il doit s’agir des biens mobiliers, il y a
lieu de comprendre que cet élément vise indistinctement les meubles et les immeubles. Le
point 2 porte sur l’intention de l’auteur du pillage de spolier le propriétaire des biens et de
se les approprier… La spoliation peut-elle viser les meubles et les immeubles ? Le
Dictionnaire de droit international public précité définit la « spoliation » comme suit :
« Confiscation de propriété sans indemnité. a) Ce terme a été utilisé pour les mesures de
dépossession illégales accomplies par l’ennemi. […] b) Il a quelquefois été employé à
propos de nationalisations sans indemnités […]. c) On le rencontre aussi comme
fondement de la restitution de leurs richesses naturelles aux peuples qui en ont été
dépossédés […] »137. Dans le même ordre d’idées, le Vocabulaire juridique de Gérard
Cornu précise à propos de la spoliation : « 1. Confiscation ou nationalisation non
reconnue parce que contraire au Droit international ou à l’ordre public. 2.
[Spécialement], acte accompli dans les territoires occupés par l’ennemi, sur son ordre ou
sous son inspiration et qui, même d’apparence légale, a eu pour résultat de dépouiller
d’un bien ou d’un droit un national, un allié ou un neutre […]. 3. Parfois [synonyme] de
dépossession violente »138. A partir de ces définitions, l’on constate que la spoliation peut
136
Ces éléments de crimes sont les mêmes que ceux consacrés par l’article 8-2-e-v s’agissant du crime de
pillage commis dans le cadre d’un conflit armé ne présentant pas un caractère international. Pour un
commentaire sur l’article 8 du Statut de la C.P.I., vor M. EUDES, « Article 8. Crimes de guerre », in J.
FERNANDEZ et X. PACREAU (sous la direction de), Statut de Rome de la Cour pénale internationale.
Commentaire article par article, Tome I, Paris, Pedone, 2012, pp. 481-535 (spécialement, p. 253 pour
l’article 8-2-b-xvi).
137
J. SALMON (sous la direction de), Dictionnaire de droit international public, Op. cit., p. 1048.
138
G. CORNU, Vocabulaire juridique (9e édition mise à jour), Paris, P.U.F., 2011, pp. 976-977.
46
s’opérer dans le cadre ou en dehors d’un conflit armé. Dans le contexte de conflit armé, la
spoliation devient un élément constitutif du pillage comme crime de guerre. Par contre,
rien ne nous permet de limiter la notion de spoliation aux biens meubles. S’agissant par
exemple des nationalisations comme mode de spoliation (généralement en dehors de
conflit armé), la pratique montre qu’elles ont le plus souvent porté sur des concessions
minières ou pétrolières, qui sont des immeubles. Par ailleurs, dans le cadre d’un conflit
armé, l’Ordonnance du 12 novembre 1943 du Comité national français sur la nullité des
actes de spoliation accomplis par l’ennemi ou sous son contrôle montre que la spoliation
a concerné les meubles et les immeubles. En effet, le préambule de ce texte énonce que
« [l]a déclaration [de Londres du 5 janvier 1943] […] s'applique à toutes les espèces de
spoliations, depuis la saisie brutale et sans compensation de biens, droits et intérêts, de
toute nature jusqu'aux transactions en apparence volontaires, auxquelles ne manque
aucune des formes légales »139.
139
J.O. du 18 novembre 1943, voir http://www.culture.gouv.fr/documentation/mnr/or1211.htm consulté le
25 novembre 2013.
140
P. VERRI, Dictionnaire du droit international des conflits armés, Op. cit., p. 115.
47
qu’ils soient meubles ou immeubles, privés ou publics - doivent donc être la propriété
d’individus ou d’entités qui se sont alliées ou font allégeance à une partie au conflit qui
est l’ennemie de l’auteur des crimes en cause ou lui est hostile »141. De même, dans
l’affaire Bemba, la Chambre préliminaire II de la CPI « observe que le pillage d’une ville
ou d’un lieu, tel qu’il est visé à l’article 8-2-e-v du Statut, implique l’appropriation sur
une relativement grande échelle de toutes sortes de biens, publics ou privés, meubles ou
immeubles, qui va au-delà de simples actes sporadiques de violation des droits de
propriété »142.
141
ICC-01/04-01/07-717-tFRA, Le Procureur c. Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui, Décision
relative à la confirmation des charges, 30 septembre 2008, § 329 (souligné par nous).
142
ICC-01/05-01/08-424, Le Procureur c. Jean-Pierre Bemba Gombo, Décision rendue en application des
alinéas a) et b) de l’article 61‐7 du Statut de Rome, relativement aux charges portées par le Procureur à
l’encontre de Jean‐Pierre Bemba Gombo, 15 juin 2009, § 317 (italiques ajoutés).
48
143
G. CORNU, Vocabulaire juridique, Op. cit., p. 653.
144
Eléments des crimes de la CPI (2000), article 8, § 2, al. b) xvi et note explicative 47.
49
de l’ennemi sont passés sous le contrôle de l’auteur du crime. Ce n’est qu’à partir de ce
moment que celui-ci est en mesure de ‘‘s’approprier’’ les biens »145.
145
ICC-01/04-01/07-717-tFRA, Le Procureur c. Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui, Décision
relative à la confirmation des charges, 30 septembre 2008, § 330.
146
Cf. GREENPEACE, L’Afrique de l’Ouest : Victime du pillage des pêcheries pirates, Rapport, septembre
2001, pp. 1, 2, 3 et suivantes, disponible sur
http://www.seaaroundus.org/Dakar/scienceDocs/Doc_NGO_04-FR.pdf , Consulté le 9 juin 2009.
147
Cf. P. KAMBALE MAHUKA, « Assiste-t-on à un pillage de ressources halieutiques dans les espaces
maritimes des Etats de l’Afrique de l’Ouest ? », in Parcours et Initiatives, N° 8, 2011, pp. 210 et suivantes.
148
Pour les textes des contrats RDC et entreprises chinoises, consulter les archives du Ministère congolais
des Infrastructures, Travaux publics et Reconstruction, 2007 et 2008.
149
Ainsi par exemple, « [s]elon le Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde (CADTM), les
contrats miniers passés entre la Chine et l'Etat congolais pillent les ressources naturelles de la RDC et
privent les congolais d'une partie de leur richesse » (C’est nous qui soulignons). Voir CADTM, « Les
congolais floués par le contrat RDC-Chine », disponible sur
http://afrikarabia2.blogs.courrierinternational.com/archive/2008/06/27/les-congolais-floues-par-le-contrat-
rdc-chine-selon-le-cadtm.html consulté le 13 mai 2009.
150
« Lorsque, en 2007, Kinshasa a signé avec Pékin une convention prévoyant plus de 6 milliards d’euros
d’investissements chinois en échange de l’accès aux gisements de cuivre, les Occidentaux ont crié au
scandale. Ils accusaient les Chinois de se payer sur la bête, puisque la réfection des routes et des chemins de
fer ou la construction des hôpitaux devaient être financées par les profits réalisés dans le secteur minier. Un
vulgaire troc ? Rien de plus exact. Sauf que, depuis deux ans, de multiples chantiers ont démarré, tandis
50
« pillage » des ressources naturelles de la RDC. Du moment qu’il y a des contrats conclus
en bonne et due forme, quand bien même ils contiendraient des clauses léonines, on ne
saurait à bon droit parler de pillage.
que des compagnies privées continuent sans vergogne à piller le pays. Au Congo comme dans de
nombreux pays africains, misérables en dépit de leurs richesses naturelles » (C’est nous qui introduisons le
caractère italique) (« L’Afrique pillée », in Le Monde, 16.10. 09, consulté sur www.lemonde.fr ).
151
J.-P. TUQUOI, «Au Congo-Kinshasa, les sénateurs mettent au jour le pillage des richesses minières »,
in Le Monde, 15.10. 09, consulté sur www.lemonde.fr
152
Ibidem.
153
FIDH, « Déclaration sur le pillage des ressources naturelles à travers l’exploitation minière », disponible
sur http://www.fidh.org/declaration-sur-le-pillage-des-ressources-naturelles-a-travers-l-13172 consulté le
23 avril 2013.
51
154
Cf. Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses
de la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 8, § 32.
155
Cf. L. GBERIE, Guerre et paix en Sierra Leone : les diamants, la corruption et la filière libanaise,
Ottawa, Partenariat Afrique Canada, 2002, p. 2.
156
Cf. Rapport du Groupe d’experts chargé d’étudier les violations des sanctions imposées par le Conseil
de Sécurité à l’Uniâo nacional para a independência total de Angola (UNITA), S/2000/203, du 10 mars
2000, p.12, § 16.
157
Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de
la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 3, § 4 : « L’exploitation illégale des ressources
minérales et forestières de la République démocratique du Congo se poursuit à un rythme inquiétant. On
peut distinguer deux phases : le pillage systématique et l’exploitation endogène et exogène des ressources
naturelles ». Voir également Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du
Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, pp. 249-252, §§ 237-250. Cette partie de l’arrêt, dans
laquelle la Cour apprécie les actes de pillage de ressources naturelles, porte le titre « Actes d’exploitation
illégale de ressources naturelles : appréciation de la Cour ».
158
Cf. P. KAMBALE MAHUKA, « Art. cit. », p. 224.
52
Ce chapitre entend donner une description des principaux conflits armés que
le phénomène d’exploitation illicite des ressources naturelles a rendus les plus longs et
les plus sanglants sur le continent africain. Il s’agit des conflits armés en Angola (section
I), en Sierra Leone (section II) et en République démocratique du Congo (section III)160.
Nous nous concentrerons plus largement sur les conflits armés en République
démocratique du Congo. En effet, non seulement ces conflits sont les plus significatifs en
termes d’acteurs internationaux, transnationaux et nationaux et de diversité de ressources
naturelles touchées, mais également ils mettent en lumière un problème grave
d’exploitation illicite des ressources naturelles qui n’est pas encore réglé.
159
Cf. S. MARYSSE et C. ANDRE, « Guerre et pillage économique en République démocratique du
Congo », in S. MARYSSE et F. REYNTJENS (sous la direction de), L’Afrique des Grands Lacs. Annuaire
2000-2001, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 308.
160
Cf. Additif au rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres
richesses de la République démocratique du Congo, S/2001/1072, 13 novembre 2001, p. 10, § 36.
53
La guerre de libération nationale a été menée dès 1961 par deux mouvements
nationalistes : le Mouvement populaire de Libération de l’Angola (MPLA), dirigé par
Agostinho Neto et José Eduardo Dos Santos, et le Front national de Libération de
l’Angola (FNLA), dirigé par Roberto Holden162. Dès sa création par M. Jonas Savimbi,
en 1966, l’Union nationale pour l’Indépendance totale de l’Angola (UNITA) s’est
également engagée dans la lutte contre le pouvoir colonial. Plutôt que de constituer une
‘‘union sacrée contre les troupes portugaises’’, les trois mouvements politiques
s’opposaient idéologiquement dès leur origine163.
161
Cf. GLOBAL WITNESS, A Rough Trade. The Role of Companies and Governments in the Angolan
Conflict, London, Global Witness Ltd, 1998, p. 1; R. GOY, « Quelques accords récents mettant fin à des
guerres civiles », in A.F.D.I., Volume 38, 1992, p. 124 et M. K. TSHITENGE LUBABU, « Fin de la guerre
civile en Angola », disponible sur http://www.jeuneafrique.com/Article/LIN30038findealogna0/ consulté le
16 novembre 2011.
162
Cf. R. GIRARD, « L’UNITA, l’Angola et l’Afrique australe : quel rôle pour l’Occident ? », in Politique
étrangère, N°2-1986-51e année, pp. 508 et 512 ; et J.-F. ORRU et al., « Le diamant dans la géopolitique
africaine », in Afrique contemporaine, 2007/1, n° 221, p. 181, note 23.
163
Cf. J.-F. ORRU et al., « Art. cit. », p. 181, note 23.
54
Jonas Savimbi, qui était sûr de la victoire aux élections, a considéré que
« l’UNITA a été évincé du pouvoir en 1975 par un classique coup d’état marxiste »166.
Pour lui, cette confiscation de l’indépendance justifie sa rébellion armée contre le
gouvernement entaché d’illégalité dès sa naissance167.
164
Cf. R. GIRARD, « Art. cit. », p. 509.
165
Cf. Ibidem, p. 512.
166
Ibidem, p. 509.
167
Cf. Ibidem, p. 509.
168
Cf. Ibidem, pp. 505 et 507.
169
Cf. Ibidem, p. 509.
170
Ibidem, p. 512.
171
Cf. Ibidem, pp. 512 et 514.
172
Cf. A.-C. RENAULD, Diamants et conflits, Mémoire de D.E.A. Droit international public et privé,
Université de Nice-Sophia Antipolis, Institut du droit de la Paix et du Développement, 2000-2002, p. 12.
55
173
Cf. R. GIRARD, « Art. cit. », p. 505.
174
Cf. Ibidem, p. 505. D’après Anne-Christine Renauld, les Etats-Unis appliquent une logique
dangereusement manichéenne selon laquelle « les ennemis de mon ennemi sont mes amis » (Cf. A.-C.
RENAULD, Op.cit., p. 17).
175
R. GIRARD, « Art. cit », p. 505.
176
Cf. J.-F. ORRU et al., « Art.cit. », p. 182.
177
Le Conseil de sécurité a ainsi décidé que « tous les Etats empêcheront la vente ou la fourniture, par leurs
nationaux ou depuis leur territoire, ou par l’intermédiaire de navires ou d’aéronefs battant leur pavillon,
d’armements et de matériel connexe de tous types, y compris d’armes et de munitions, de véhicules et
d’équipement militaires et de pièces détachées y afférentes, ainsi que de pétrole et de produits pétroliers,
que ceux-ci proviennent ou non de leur territoire, à destination du territoire de l’Angola autrement que par
des points d’entrée désignés dont le Gouvernement angolais communiquera la liste au Secrétaire général
qui en avisera promptement les Etats Membres de l’Organisation des Nations Unies » (S/RES/ 864 (1993),
15 novembre 1993, § 19).
56
ses bureaux à l’étranger178. Les sanctions contre l’UNITA culmineront en juin 1998 par
l’interdiction de l’achat de ses diamants ou de ceux provenant des zones tenues par
elle179. Aux fins du contrôle du respect de ces sanctions, le Conseil de sécurité a créé, par
sa résolution 1295 (2000), du 18 avril 2000, l’Instance de surveillance de sanctions contre
l’UNITA180.
Pour faire le point sur le soutien reçu par l’UNITA, on peut mentionner qu’en
plus de l’aide de la RSA et des USA (pendant la guerre froide), elle a bénéficié de l’appui
de bien d’autres Etats, notamment le Zaïre, le Maroc, l’Arabie Saoudite, la Côte-d’Ivoire,
le Togo, le Rwanda, le Burkina Faso. L’aide intervenait à des titres divers, selon le cas :
aide financière, aide en armes et matériel militaire connexe, formation militaire, aide pour
contourner les sanctions sur les armes, sur le pétrole et sur les produits pétroliers et les
diamants au bénéfice de l’UNITA décidées par le Conseil de sécurité, notamment dans
ses résolutions 1127 (1997) du 28 août 1997 et 1173 (1998) du 12 juin 1998183. Si l’aide a
dans un premier temps été accordée à l’UNITA dans le cadre de la lutte contre
l’expansion de la puissance soviétique, elle l’a surtout été, après la guerre froide, en
178
Cf. Résolution 1127 (1997), S/RES/1127 (1997), 28 août 1997, p. 2, § 4 et autres résolutions ultérieures
sur la situation en Angola.
179
Cf. Résolution 1173 (1998), S/RES/1173 (1998), 12 juin 1998, p. 3, § 12, b.
180
Cf. Résolution 1295 (2000), S/RES/ 1295 (2000), 18 avril 2000, p. 2, § 3.
181
Cf. M. K. TSHITENGE LUBABU, «Art. cit.», disponible sur
http://www.jeuneafrique.com/Article/LIN30038findealogna0/ consulté le 16 novembre 2011.
182
Cf. J.-F. ORRU et al., « Art.cit. », p. 183.
183
Cf. Rapport du Groupe d’experts chargé d’étudier les violations des sanctions imposées par le Conseil
de Sécurité à l’Uniâo nacional para a independência total de Angola (UNITA), S/2000/203, 10 mars 2000,
p. 11 et ss.
57
contrepartie des diamants bruts ou de l’argent gagné de leur vente. Effectivement, à partir
de 1998, l’UNITA s’est illustrée par une exploitation illicite systématique des diamants.
Le rôle joué par les diamants dans la poursuite des opérations militaires de
l’UNITA leur vaudra la dénomination de « diamants du sang »187. Pour contrer ce
184
Cf. Ibidem, p. 28, § 77.
185
Cf. Ibidem, p. 28, §§ 78-79.
186
Cf. Rapport final de l’Instance de surveillance concernant les sanctions contre l’Angola, S/2000/1225,
21 décembre 2000, pp. 44-45, § 71.
187
« C’est en Angola que le phénomène des « diamants du sang » fut d’abord dénoncé » (J.-F. ORRU et al.,
« Art. cit. », p. 181). Il sera systématiquement étudié à propos du conflit sierra-léonais, qui l’illustre le
mieux, à raison de multiples tueries et mutilations des civils dans les zones diamantifères, qui l’ont
58
a)[…]
Les termes de cet extrait montrent bel et bien que les sanctions, qui se
résument en un embargo sur les diamants et sur le matériel de l’industrie extractive et des
services connexes, ciblaient exclusivement les diamants de l’UNITA. D’après Jean-
François Orru, Rémi Pelon et Philippe Gentilhomme, « c’était une manière claire de
prendre parti. Le Gouvernement en place étant reconnu comme légitime, l’UNITA était
de fait déclarée rebelle. La responsabilité du conflit lui incombait désormais au regard de
la communauté internationale »189.
caractérisé. Par ailleurs, ce témoignage fort éloquent nous laisse croire que les diamants en Angola ont été
moins à l’origine d’écoulement de sang des populations civiles dans les zones tenues par l’UNITA:
« Savimbi a pour premier souci le bien-être des populations contrôlées par l'UNITA. Il fait en sorte qu'elles
souffrent le moins possible de la guerre car il ne croit pas du tout à la possibilité d'une victoire militaire sur
un MPLA soutenu par les Cubains. Sa stratégie est avant tout politique : gagner les populations à sa cause
et obliger le gouvernement de MPLA à négocier et à partager avec lui le pouvoir » (R. GIRARD, « Art.
cit. », p. 510).
188
Résolution 1173 (1998), S/RES/1173 (1998), 12 juin 1998, p. 3, § 12, b et c. L’Angola a d’abord mis sur
pied un système exclusif d’achat des diamants bruts en Angola (Angola Selling Corporation, ASCorp), puis
un système de certification des diamants bruts angolais.
189
J.-F. ORRU et al., « Art. cit. », p. 181.
59
La Côte d’Ivoire a aussi figuré parmi les Etats protecteurs des transactions
relatives aux diamants de l’UNITA, bien que les autorités ivoiriennes aient très
rapidement décidé d’y mettre un terme192. De même, la Namibie a joué un rôle important
dans l’exportation en contrebande des diamants de l’UNITA vers Anvers (Belgique). Le
rapport du Groupe d’experts signale la présence en Namibie d’un certain nombre de
représentants de l’UNITA à cette fin193.
190
Cf. Rapport du Groupe d’experts chargé d’étudier les violations des sanctions imposées par le Conseil
de Sécurité à l’Uniâo nacional para a independência total de Angola (UNITA), Op. cit., pp. 29 et 33-34, §§
82 et 99-103.
191
GLOBAL WITNESS et PARTENARIAT AFRIQUE CANADA, Le riche et le pauvre. Diamants du
développement et diamants de la pauvreté : les possibilités de changement dans les champs alluviaux de
diamants artisanaux en Afrique, Ottawa et Washington, Partenariat Afrique Canada et Global Witness
Publishing Inc., 2004, p. 20.
192
Cf. Rapport du Groupe d’experts chargé d’étudier les violations des sanctions imposées par le Conseil
de Sécurité à l’Uniâo nacional para a independência total de Angola (UNITA), Op. cit., p. 29, § 82.
193
Cf. Ibidem, p. 30, § 84.
60
194
Cf. Ibidem, p. 30, § 85.
195
Cf. Rapport final de l’Instance de surveillance concernant les sanctions contre l’Angola, S/2000/1225,
21 décembre 2000, p. 47, § 182.
196
Cf. Ibidem, p. 47, § 185.
197
Cf. Ibidem, p. 41, §§ 154-155. Pour d’autres détails sur la Cuango Mining Corporation, voir
http://www.historykb.com/Uwe/Forum.aspx/what-if/7427/A-Missile-For-Mobutu-24-Triple-Cross consulté
le 29 novembre 2011.
198
Cf. Rapport final de l’Instance de surveillance concernant les sanctions contre l’Angola, Op. cit., pp.
41-42, §§ 155.
199
Cf. Rapport complémentaire de l’Instance de surveillance concernant les sanctions contre l’UNITA,
S/2002/486, 26 avril 2002, p. 19, §§ 120-121.
61
L’achat des diamants de l’UNITA ou extraits des zones tenues par cette
rébellion était effectué par 16 sociétés, qui avaient toutes des bureaux de vente à Anvers,
même lorsqu’elles n’étaient pas à 100 % belges. Quatre d’entre elles avaient des sociétés
sœurs ou des filiales en Afrique du Sud et trois avaient des sociétés sœurs ou des filiales
en Israël200. Deux sociétés méritent une attention particulière : Limo Diamonds et De
Beers Diamond Trading Company (ci-après dénommée De Beers).
200
Cf. Rapport complémentaire de l’Instance de surveillance concernant les sanctions contre l’UNITA,
S/2001/966, 12 octobre 2001, pp. 38 et 43, §§ 178, b et 205.
201
Rapport complémentaire de l’Instance de surveillance concernant les sanctions contre l’UNITA,
S/2002/486, 26 avril 2002, p. 21, § 137.
202
Cf. Ibidem, p. 21, § 141.
203
Cf. Rapport du Groupe d’experts chargé d’étudier les violations des sanctions imposées par le Conseil
de Sécurité à l’Uniâo nacional para a independência total de Angola (UNITA), Op. cit., p. 33, § 96.
204
Cf. Rapport final de l’Instance de surveillance concernant les sanctions contre l’Angola, Op. cit., p. 41,
§ 153. Pour des détails sur l’implication de De Beers dans le commerce des diamants de l’UNITA ou
provenant des zones tenues par ce mouvement, voir GLOBAL WITNESS, A Rough Trade. The Role of
Companies and Governments in the Angolan Conflict, Op. cit., pp. 3 et 6.
205
Rapport du Groupe d’experts chargé d’étudier les violations des sanctions imposées par le Conseil de
Sécurité à l’Uniâo nacional para a independência total de Angola (UNITA), Op. cit., p. 33, § 96.
62
Beers continuaient d’acheter des diamants de l’UNITA206. Dans cette situation, il n’y a
donc pas de certitude que De Beers avait cessé d’acheter des diamants de l’UNITA,
même après la fermeture de ses bureaux d’achat en Afrique207.
En définitive, les négociants qui étaient disposés à acheter les diamants bruts
de l’UNITA, soumis à l’embargo, avaient la possibilité de faire passer les pierres par
contrebande jusqu’aux centres de taille où ils pouvaient les importer en empruntant des
voies moins surveillées (par exemple, des centres de taille dans les pays où les contrôles
sont moins rigoureux)208.
206
Cf. Rapport final de l’Instance de surveillance concernant les sanctions contre l’Angola, Op. cit., p. 46,
§ 181.
207
Cf. Ibidem, p. 50, § 199.
208
Cf. Ibidem, p. 50, § 197.
209
Cf. Rapport du Groupe d’experts chargé d’étudier les violations des sanctions imposées par le Conseil
de Sécurité à l’Uniâo nacional para a independência total de Angola (UNITA), Op. cit., pp. 31-32, § 91.
210
Ibidem, p. 32, § 92.
211
Rapport final de l’Instance de surveillance concernant les sanctions contre l’Angola, Op. cit., p. 52, §
207.
63
Section II. Conflit armé en Sierra Leone et exploitation illicite des ressources
naturelles
212
Cf. Rapport de la mission du Conseil de sécurité en Sierra Leone, S/2000/992, 16 octobre 2000, p. 6, §
33.
213
Cf. S. SZUREK, « Sierra Leone : un Etat en attente de ‘‘ paix durable’’. La Communauté internationale
dans l’engrenage de la paix en Afrique de l’Ouest », in A.F.D.I., Vol. 46, 2000, p. 176 et A.-C. RENAULD,
Op. cit., p. 34.
214
S. SZUREK, « Art. cit. », p. 176.
215
Economic Community of West Africa States Monitoring Group.
216
Cf. S. SZUREK, « Art. cit », pp. 176 et 177, note 5 ; et A.-C. RENAULD, Op. cit., p. 31.
64
Vexé par cette contribution de la Sierra Leone à son échec, Charles Taylor a,
en mars 1991, commandité la création d’un mouvement de lutte armée contre la Sierra
Leone, dénommé Revolutionary United Front (RUF), à la tête duquel il a placé Foday
Sankoh, un ancien caporal de l’armée sierra-léonaise. Implanté au Libéria, dans la base
arrière de Charles Taylor, le long de la frontière entre le Libéria et la Sierra Leone, le
RUF a lancé plusieurs attaques sur des villes sierra-léonaises217. Profitant de la
désintégration de l’armée sierra-léonaise, ce qui a abouti à un coup d’Etat en 1992218, le
RUF s’est implanté en Sierra Leone et a fini par occuper en 1994 les régions productrices
de diamants et les mines de bauxite et de titanium219. Ainsi que nous le démontrerons par
la suite, l’exploitation des diamants permettra au RUF de financer ses opérations
militaires.
Les Republic of Sierra Leone Military Forces (RSLMF), appuyées par les
milices Kamajor (chasseurs traditionnels) et par l’ECOMOG, n’ont pas pu mettre le RUF
hors d’état de nuire. C’est ainsi qu’en 1995, après avoir tenté, sans succès, de combattre
le RUF par des gardiens de sécurité Gurkha, le National Provisional Ruling Council
(NPRC) a eu recours à une firme privée de sécurité sud-africaine, Executive Outcomes220.
L’intervention de cette société a pu stopper l’avance du RUF à quelques kilomètres de
Freetown. Les régions diamantifères ont été momentanément libérées, ce qui a
sensiblement atténué l’activité des rebelles221.
217
Cf. Ibidem, « Art. cit. », p. 177.
218
En avril 1992, une mutinerie des soldats sierra-léonais non rémunérés s’est transformée en coup d’Etat
contre le Président Joseph Momoh, qui a pris la fuite. Le National Provisional Ruling Council (NPRC),
dirigé par le capitaine Valentine Strasser (âgé de 27 ans), a pris le pouvoir (Cf. I. SMILLIE et al., Le cœur
du Problème. La Sierra Leone, les diamants et la sécurité humaine, Ottawa, Partenariat Afrique Canada,
2000, p. 2).
219
Cf. Ibidem, p. 3.
220
Cf. Ibidem, p. 3.
221
Cf. Ibidem, p. 3.
222
Cf. Ibidem, p. 3.
65
223
Cf. S. SZUREK, « Art. cit. », p. 177.
224
Cf. Ibidem, p. 178.
225
Voir la résolution 1132 (1997), du 8 octobre 1997. Parmi les sanctions imposées en vertu de cette
résolution, il y a lieu de noter l’interdiction aux membres de la junte militaire et des membres adultes de
leur famille de l’entrée ou du passage en transit sur le territoire d’un Etat membre de l’ONU (sauf dans
quelques cas limitativement prévus par la résolution) ; l’embargo sur les armes et autres matériels militaires
et paramilitaires, ainsi que sur les produits pétroliers.
226
Cf. S. SZUREK, « Art. cit. », p. 178.
227
Voir S/1997/824, du 28 octobre 1997, annexe I et annexe II. L’annexe I est un communiqué publié à
Conakry le 23 octobre 1997 à l’issue de la réunion entre les ministres des affaires étrangères du Comité des
cinq de la CEDEAO sur la Sierra Leone et la délégation représentant le major Johnny Paul Koroma.
L’annexe II est, quant à elle, un plan de la CEDEAO pour le rétablissement de la paix en Sierra Leone dans
un délai de six mois (23 octobre 1997-22 avril 1998).
228
Cf. S. SZUREK, « Art. cit. », p. 178 et I. SMILLIE et al., Op. cit., p. 3.
66
229
S/RES/1181(1998), 13 juillet 1998.
230
Cf. Y. MONDY et D. DESCHENES, « Le conflit en Sierra Leone : les diamants du sang », in Le
Maintien de la paix, Bulletin n°52, IQHEI, avril 2001, p. 1.
231
Cf. S. SZUREK, « Art. cit. », p. 180.
232
Cf. Ibidem, p. 181.
233
Cf. Ibidem, pp. 181-182.
234
Ibidem, p. 180.
235
Voir Résolution 1270 (1999) du Conseil de sécurité, S/RES/1270(1999), 22 octobre 1999.
236
Cf. I. SMILLIE et al., Op. cit., p. 3.
237
Cf. S. SZUREK, « Art. cit. », pp. 184-185.
238
Cf. Ibidem, p. 185.
67
Comment le RUF a-t-il pu résister pendant presque toute une décennie contre
le gouvernement sierra-léonais appuyé d’abord par les forces de l’ECOMOG, puis par les
casques bleus ? Plus clairement, quelles ont été les sources de financement et d’armement
du RUF ? Comment le RUF, qui a été façonné par le mouvement rebelle de Charles
Taylor, a-t-il bénéficié de l’appui financier et logistique des Etats et d’autres acteurs non
étatiques ?
Bien des chercheurs et experts qui se sont intéressés au conflit armé sierra-
léonais allèguent que les diamants ont permis au RUF de financer ses activités militaires
et de s’assurer l’appui d’Etats, de sociétés étrangères et d’hommes d’affaires.
239
Cf. A.-C. RENAULD, Op. cit., p. 34.
240
Au moment de l’éclatement du conflit, la vie politique sierra-léonaise était dominée par des élites
créoles, largement minoritaires, qui se caractérisaient par la gabegie, le népotisme et la corruption (Cf. S.
SZUREK, « Art. cit. », p. 177).
241
A.-C. RENAULD, Op. cit., pp. 16-17.
68
1997 »242. Le RUF a mobilisé tous les fonds, moyennant l’exploitation des diamants, pour
maintenir son emprise sur le district de Kono et Tongo Fields, les deux régions
diamantifères les plus importantes de la Sierra Leone243.
242
Cf. Rapport du Groupe d’experts constitué en application du paragraphe 19 de la résolution
1306(2000) du Conseil de sécurité concernant la Sierra Leone, S/2000/1195, 20 décembre 2000, p. 18, §
67. En contrepartie de cette intervention d’Executive Outcomes (EO), le gouvernement sierra-léonais a
accordé à la société canadienne Branch Energy, partenaire d’EO et qui lui avait présenté cette firme de
sécurité privée, des concessions d’or et de diamants pour 25 ans (Cf. A. DENEAULT et al., Noir Canada.
Pillage, corruption et criminalité en Afrique, Montréal, Ecosociété, 2008, p. 185). En plus, en 1997, c’est
également suite à l’obtention de concessions diamantifères du gouvernement sierra-léonais en exil d’A.T.
Kabbah, que Rakesh Saxena, un actionnaire de la société canadienne Global Exploration Corporation,
présente en Sierra Leone, aurait versé 1,5 millions de dollars américains à la firme de sécurité privée
Sandline International pour renverser la junte militaire AFRC et RUF et organiser le retour à Freetown du
Président Kabbah (Cf. A.-C. RENAULD, Op. cit., p. 47).
243
Cf. Rapport du Groupe d’experts constitué en application du paragraphe 19 de la résolution
1306(2000) du Conseil de sécurité concernant la Sierra Leone, Op. cit. , p. 18, §§ 67-68.
244
Traduction française du nom portugais « Sierra Leone » (Cf. Y. MONDY et D. DESCHENES, « Art.
cit. », p. 1).
245
« Les cristaux sont assez gros, ont une grande pureté et une belle couleur » (P. ROBITAILLE, Les
diamants en Sierra Leone. De la mine à la mort, Université du Québec à Montréal, GRAMA, 2004, p. 12).
246
Rapport du Groupe d’experts constitué en application du paragraphe 19 de la résolution 1306 (2000)
du Conseil de sécurité concernant la Sierra Leone, Op. cit., pp. 32-33, § 151.
247
Le Groupe avait pour mandat, notamment, de rassembler des informations au sujet des violations
éventuelles des restrictions imposées aux forces non gouvernementales (dont le RUF) par la résolution
1171 (1998), ainsi que des liens entre le commerce des diamants et le commerce des armements et du
matériel connexe (Voir Rapport du Groupe d’experts constitué en application du paragraphe 19 de la
résolution 1306 (2000) du Conseil de sécurité concernant la Sierra Leone, Op cit., p. 15, § 51).
248
Ibidem, pp. 19-20, § 78.
69
une source importante voire essentielle de revenus pour le RUF et lui suffit largement
pour soutenir son effort de guerre »249.
Tout comme le Groupe d’experts sur la Sierra Leone250, nous nous sommes
naturellement posé la question suivante : Comment les embargos sur le commerce illicite
des diamants bruts et sur les armes décidés par le Conseil de sécurité251 ont-ils été
contournés par le RUF ?
Le financement des conflits armés par les diamants n’a pas laissé indifférente
la Communauté internationale. Celle-ci devait prendre des mesures efficaces pour
combattre non seulement les « diamants de la guerre », mais également tous les diamants
« illicites ». L’on pourrait s’interroger sur la différence entre ces deux qualifications de
diamants et surtout sur la pertinence de la distinction.
249
Ibidem, p. 20, § 80.
250
Cf. 4264e Séance du Conseil de sécurité, Intervention de M. Chowdhury, S/PV. 4264, 25 janvier 2001,
p. 3.
251
Voir, par exemple, la résolution 1306 (2000) du 5 juillet 2000, §§ 1, 5, 9 et 17.
252
Rapport du Groupe d’experts constitué en application du paragraphe 19 de la résolution 1306 (2000)
du Conseil de sécurité concernant la Sierra Leone, Op. cit., p. 31, § 144.
253
Cf. S. SZUREK, « Art.cit. », p. 195.
254
Nous reviendrons sur la question des violations des droits de l’homme dans les zones diamantifères
occupées par le RUF.
70
diamonds’’, en anglais) ou « diamants sales »255. D’aucuns les appellent même des
« diamants de la honte »256. Concernant ces diamants, la société De Beers a estimé qu’en
1999, le volume total des diamants de la guerre représentait environ 255 millions de
dollars, soit moins de 4 % de la production mondiale de diamants bruts, estimée à 6,8
milliards de dollars. Selon cette société, 35 millions de dollars provenaient de la
République démocratique du Congo, 150 millions de dollars de l’Angola et 70 millions
de dollars de la Sierra Leone257.
Les diamants « illicites » sont ceux qui se prêtent à toute une série d’activités
illicites, au niveau de l’extraction ou de la commercialisation (devises officieuses pour les
transactions internationales, blanchiment d’argent, contournement de la législation
nationale ou internationale)258. Il en est ainsi, par exemple, des diamants qui quittent un
territoire national ou y entrent par contrebande ou sous une fausse déclaration, qu’ils
proviennent des zones contrôlées par le Gouvernement ou de celles sous l’emprise des
rebelles ou des forces étrangères illégitimes. C’est également le cas des diamants extraits
en violation des droits de l’homme de part et d’autre. Cependant, dans notre étude, nous
traiterons uniquement des ressources naturelles exploitées dans les zones non contrôlées
par le Gouvernement.
255
Cf. A.-C. RENAULD, Op. cit., p. 13; I. SMILLIE, « Diamants de guerre : pour en finir », disponible sur
http://web.idrc.ca/fr/ev-2531-201-1-DO_TOPIC.html consulté le 20 août 2011.
256
Cf. H. BUZZETTI, « Le retour des diamants de la honte », disponible sur
http://www.penseesnoires.info/2011/08/04/le-retour-des-diamants-de-la-honte/ consulté le 16 novembre
2011.
257
Cf. Rapport du Groupe d’experts constitué en application du paragraphe 19 de la résolution 1306
(2000) du Conseil de sécurité concernant la Sierra Leone, Op. cit., p. 31, § 144.
258
Cf. Ibidem, pp. 31-32, § 146.
71
d’autres Etats peut être sanctionnée pénalement en vertu du droit national, en marge de
l’attribution de leurs faits à l’Etat, qui relève du droit international.
Ceci ne signifie pas que le Conseil de sécurité est insensible aux diamants
illicites produits dans les zones contrôlées par le Gouvernement. Il revient à l’Etat, en
259
Ibidem, p. 32, § 149.
260
Le 6 octobre 2000, le Président du Comité des sanctions contre la Sierra Leone a informé le Conseil de
sécurité de l’établissement d’un régime efficace de certificat d’origine des diamants bruts par le
Gouvernement sierra-léonais (Cf. Ibidem, p. 15, § 55).
72
l’occurrence la Sierra Leone, de mettre sur pied un régime efficace de certificat d’origine
des diamants bruts aux fins d’exclure tous les diamants illicites du commerce
international. Cet effort a été déployé au niveau mondial dans le cadre du Processus de
Kimberley pour la certification des diamants bruts.
La conquête par le RUF des gîtes diamantifères de Kono, les plus riches, lui a
permis de mettre sur pied une structure d’extraction dénommée ‘‘RUFP Mining Ltd’’,
dirigé par des officiers du mouvement rebelle, sous le regard extrêmement vigilant du
Président Charles Taylor265. Les mines de diamants sont devenus des lieux de violations
systématiques des droits de l’homme : travail des enfants, enfants soldats drogués pour le
combat, exécution des combattants et non combattants pris en possession de diamants
non déclarés, amputation des membres des civils voulant se soustraire aux travaux forcés,
viols et violences physiques, privation des populations de besoins vitaux, y compris en
nourriture, refus d’accès aux organismes humanitaires,…266 Les mutilations des civils par
des éléments du RUF ont été tellement dramatiques comme l’atteste cette description
émouvante qu’en fait Sidiki Kaba : « Leurs victimes, pour avoir la vie sauve devaient
choisir entre ‘‘Manches Courtes’’ et ‘‘Manches Longues’’. Expressions atroces pour
261
Cf. P. ROBITAILLE, Op. cit., p. 14.
262
Cf. Rapport du Groupe d’experts constitué en application du paragraphe 19 de la résolution
1306(2000) du Conseil de sécurité concernant la Sierra Leone, Op. cit., p. 18, § 69.
263
Cf. P. ROBITAILLE, Op. cit., p. 14.
264
Cf. Rapport du Groupe d’experts constitué en application du paragraphe 19 de la résolution
1306(2000) du Conseil de sécurité concernant la Sierra Leone, Op. cit., p. 18, § 69.
265
Cf. Ibidem, pp. 68 et 69, §§ 70 et 72.
266
Cf. L. GBERIE, Op. cit., p. 20 ; S. SZUREK, « Art. cit. », p. 176; I. SMILLIE et al., Op. cit., pp. 1-2 ;
Rapport de la mission du Conseil de sécurité en Sierra Leone, Op. cit., pp. 8 et 11.
73
désigner l’usage de la machette par les sinistres miliciens qui coupaient le poignet ou
l’avant bras de leurs victimes »267.
Le commerce de ces diamants du sang a connu une forte implication des Etats
et des entreprises multinationales.
267
S. KABA, La justice universelle en question. Justice des blancs contre les autres ?, Paris, L’Harmattan,
2010, p. 92.
268
L. GBERIE, Op.cit., p. 3.
74
Les transactions sur les diamants du RUF en Sierra Leone étaient effectuées
sous la surveillance d’un représentant du Président Taylor. Les diamants étaient alors
acheminés auprès du Président libérien par des officiers du RUF271. A partir du Libéria,
les exportations, officielles ou non, des diamants extraits en Sierra Leone, étaient le plus
souvent réalisées au su, voire avec la complicité, des hauts fonctionnaires du
Gouvernement libérien272.
269
Rapport du Groupe d’experts constitué en application du paragraphe 19 de la résolution 1306(2000) du
Conseil de sécurité concernant la Sierra Leone, Op. cit., p. 10, § 20.
270
Cf. Ibidem, pp. 10-11, § 23.
271
Cf. Ibidem, p. 21, §§ 85 et 86.
272
Cf. Ibidem, p. 21, §§ 88-89.
273
« Le Ministère libérien des terres, des mines et de l’énergie a informé le Groupe d’experts qu’en 1998,
les exportations officielles de diamants ne se sont élevées qu’à 8 000 carats, d’une valeur totale de 800 000
dollars (soit 100 dollars le carat). La Belgique indique pourtant que, la même année, 26 entreprises ont
importé du Libéria un volume total de 2 560 000 carats s’élevant à 217 millions de dollars, soit 85 dollars le
carat » (Ibidem, p. 28, § 122).
274
Cf. Ibidem, p. 28, § 125.
75
belges des diamants « gambiens », entre 1998 et 2000, tout en soulignant que « tous les
importateurs belges de diamants bruts ‘‘gambiens’’ importent aussi d’un ou plusieurs
pays producteurs de la région, à savoir la Sierra Leone, la Guinée et le Libéria »275.
D’après le rapport du Groupe d’experts sur la Sierra Leone, 90 % des diamants
« gambiens » provenaient de la Sierra Leone276. Vu que les zones diamantifères de la
Sierra Leone étaient sous le contrôle du RUF, il est hors de doute que la plupart des
diamants « gambiens » étaient des diamants sales.
275
Ibidem, p. 29, § 132.
276
Cf. Ibidem, p. 29, § 132.
277
Cf. Ibidem, p. 40, § 197.
278
L’embargo sur les armes à destination du RUF a été décidé par la résolution 1171 (1998), S/RES/1171
(1998), 5 juin 1998, p. 1, § 2. Celui visant les armes à destination du Libéria (hormis celles des forces de
maintien de la paix) a été décidé par la résolution 788(1992), S/RES/ 788 (1992), 18 novembre 1992, p. 3,
§ 8.
279
Le Burkina Faso s’approvisionnait en Ukraine en certifiant qu’il était le destinataire final de la cargaison
et l’utilisateur final des armes. Après la réception des armes, il les introduisait clandestinement en Sierra
Leone, dans le fief du RUF, via le Libéria (Cf. A.-C. RENAULD, Op. cit., p. 41).
280
Rapport du Groupe d’experts constitué en application du paragraphe 19 de la résolution 1306(2000) du
Conseil de sécurité concernant la Sierra Leone, Op. cit., p. 40, § 197.
76
ont échangé des diamants contre des vivres, et parfois contre des armes, en traitant avec
des sous-officiers de l’armée guinéenne qui agissaient pour leur propre compte. […] Il
n’existe toutefois aucune preuve de collusion officielle de la Guinée dans ce
commerce »281. Il nous semble qu’à ce niveau la Guinée aurait manqué à une obligation
de vigilance en ne prenant aucune disposition pour empêcher ce commerce. Nous
pourrons approfondir cette question en temps utile.
Enfin, certains Etats ont été qualifiés par la Belgique de « pays sensibles ». Il
s’agit des pays dont les lots pourraient comporter des diamants produits par l’UNITA, en
Angola, ou par le RUF, en Sierra Leone282. De son côté, la Suisse a établi une liste des
pays dits « à risques », susceptibles de contourner les embargos sur les diamants sales de
l’UNITA ou du RUF. Il est vrai que ces pays requièrent une attention particulière en
raison de leur proximité avec des zones de conflits ou de la complicité de leurs dirigeants
avec les rébellions283. Mais, comme l’indique le rapport du Groupe d’experts sur la Sierra
Leone, cette appellation n’implique pas l’existence de pratiques délictueuses284.
Cependant, les importations de diamants à partir de ces pays devraient être passées au
crible285.
De prime abord, force est de souligner que les termes « pays de transit » et
« pays de destination » des diamants bruts sont pris dans leur sens ordinaire. L’on peut
considérer une situation simple dans laquelle une entreprise qui importe des diamants
bruts à partir d’un Etat A dans un Etat B (pays de destination), qui ne partage pas de
frontière avec l’Etat A, a rempli les formalités pour les faire passer à travers le territoire
d’un Etat C (pays de transit). Aucune confusion entre ces deux termes n’est en principe
281
Ibidem, p. 20, 82.
282
Cf. Rapport final de l’Instance de surveillance concernant les sanctions contre l’Angola, Op. cit., p. 49,
§ 196.
283
A.-C. RENAULD, Op. cit., p. 89.
284
Cf. Rapport du Groupe d’experts constitué en application du paragraphe 19 de la résolution 1306
(2000) du Conseil de sécurité concernant la Sierra Leone, Op. cit., p. 9, note 1.
285
Cf. Ibidem, p. 9, § 11. La liste de ces pays comprend l’Ouganda, la République centrafricaine, le
Ghana, la Namibie, le Congo Brazzaville, le Mali, la Zambie, le Libéria, la Côte d’Ivoire, la Guinée, la
Gambie, le Togo, le Zimbabwe et le Burkina Faso (Voir également A.-C. RENAULD, Op.cit., p. 87).
77
envisageable. Par contre, l’attention mérite d’être attirée sur la distinction entre « pays de
provenance » et « pays d’origine » des diamants bruts. A en croire le Groupe d’experts
sur la Sierra Leone, « le pays de provenance se réfère au dernier pays à partir duquel les
diamants ont été importés tandis que le pays d’origine indique le pays où ils ont été
extraits »286. Il s’ensuit que, sur un marché national ou international, des diamants bruts
ayant un même pays d’origine peuvent avoir été importés en utilisant plusieurs pays de
provenance.
286
Rapport du Groupe d’experts constitué en application du paragraphe 19 de la résolution 1306(2000) du
Conseil de sécurité concernant la Sierra Leone, Op. cit., p. 27, § 115.
287
Cf. Ibidem, p. 27, §§ 115-116.
288
Y. MONDY et D. DESCHENES, « Art. cit. », p. 3.
78
d’un système de certificat d’origine, seul le pays de provenance était pris en compte pour
apprécier la licéité des transactions internationales des diamants bruts289.
A côté du rôle direct joué par certains Etats dans le commerce des « diamants
de la guerre » du RUF, en violation de l’embargo, rôle que nous avons relevé plus haut, il
faut mentionner l’implication des entreprises diamantaires. Sans méconnaître la
participation des sociétés sierra-léonaises au commerce des diamants du RUF290, notre
recherche s’intéresse de préférence aux entreprises étrangères. En guise d’illustration,
nous nous référons aux entreprises impliquées dans le commerce des diamants de Foday
Sankoh après l’accord de Lomé et à celles qui ont importé des diamants à partir du
Libéria. Nous ne pourrons passer sous silence l’attitude de De Beers, la plus grande
société diamantaire du monde.
289
Cf. A.-C. RENAULD, Op. cit., p. 50.
290
La plupart de bureaux d’achats de diamants du RUF en Sierra Leone sont administrés par des Libanais
(Cf. L. GBERIE, Op. cit., p. 18).
291
Rapport du Groupe d’experts constitué en application du paragraphe 19 de la résolution 1306(2000) du
Conseil de sécurité concernant la Sierra Leone, Op. cit., p. 22, § 92.
292
Cf. Ibidem, p. 22, § 93.
293
Cf. Ibidem, p. 22, §§ 94-96.
79
cocontractants étaient codées de façon à ne pas utiliser des mots comme « diamants » et
« or »294.
Le rapport du Groupe d’experts sur la Sierra Leone énumère, sur une liste non
exhaustive, des sociétés et particuliers qui ont importé en 1999 et/ou 2000 des diamants
« libériens »297. La plupart des sociétés mentionnées avaient à cette époque leur siège ou
une filiale à Anvers, en Belgique298. En fait, « Anvers est le centre mondial du diamant
brut. […] C’est aussi le principal ‘‘marché extérieur’’ servant à acheminer plus de la
moitié de tous les diamants bruts qui sont produits dans le monde entier »299. On retrouve
également sur cette liste des sociétés exerçant des activités en Inde (par exemple,
Sunshine Gems), aux Etats-Unis (Shallop Diamonds, Ankur Diamonds, Siddhi Gems,…),
etc.
294
Cf. Ibidem, p. 22, § 93.
295
Voir note 273.
296
Cf. Rapport du Groupe d’experts constitué en application du paragraphe 19 de la résolution
1306(2000) du Conseil de sécurité concernant la Sierra Leone, Op. cit., p. 28, § 122.
297
Cf. Ibidem, p. 29, § 128.
298
Voir, par exemple, Afrostars Diamonds, Ankur Diamonds, Hardwill Diamonds, Omega Diamonds,
Marjan Diamonds, Sima Diamonds, etc.
299
I. SMILLIE et al., Op. cit., p. 3.
300
Cf. A.-C. RENAULD, Op. cit., p. 54 et P. ROBITAILLE, Op. cit., p. 16.
301
Cf. P. ROBITAILLE, Op. cit., p. 16.
80
qui contrôle la qualité, le volume et les prix sur le marché mondial302. La DPA détient des
bureaux pratiquement dans tous les pays producteurs des diamants bruts. La CSO, quant
à elle, se trouve représentée par des bureaux dans tous les pays qui organisent des bourses
de diamants, dont la plus importante est à Anvers, en Belgique303.
La CSO, dont le siège est situé à Londres, achète des diamants extraits des
mines de De Beers et ceux provenant du « marché extérieur », c’est-à-dire des sociétés
autres que ceux du groupe De Beers304. Jusqu’aux années 80, cette « entreprise
incontournable dans l’industrie du diamant » était propriétaire de concessions
diamantifères en Sierra Leone et d’un bureau d’achat de diamants à Freetown305. En dépit
de son retrait de la Sierra Leone, le groupe De Beers a entretenu des relations indirectes
avec la Sierra Leone par l’entremise d’un bureau de négoce de diamants, Polystar, au
Libéria et de deux bureaux d’achat ainsi que d’une des filiales du groupe, Debson, en
Guinée306. Dans ces conditions, étant donné que le Libéria avait toujours appuyé le RUF,
et avait servi, avec la Guinée, de pays de transit des diamants du RUF, « il est peu
raisonnable de penser que De Beers n’a jamais acheté, d’une façon ou d’une autre, des
diamants issus de la contrebande de la Sierra Leone »307.
302
Cf. Ibidem, p. 17.
303
Cf. Ibidem, p. 17.
304
Cf. I. SMILLIE et al., Op. cit., p. 2.
305
Cf. Y. MONDY et D. DESCHENES, « Art. cit. », p. 2.
306
Cf. Ibidem, p. 2 et A.-C. RENAULD, Op. cit., pp. 54-55.
307
Y. MONDY et D. DESCHENES, « Art. cit. », p. 2. Voir également I. SMILLIE et al., Op. cit., p. 3.
308
Cf. A.-C. RENAULD, Op. cit., pp. 55-56. Pour plus d’informations sur cette campagne, lire M.
FLESHMAN, « Contre les ‘‘diamants de la guerre’’. Le Conseil de sécurité mène une campagne contre les
rebelles et les fournisseurs d’armes », in NATIONS UNIES, Afrique Relance, disponible sur
http://www.un.org/french/ecosocdev/geninfo/afrec/vol14no4/diamants.htm consulté le 10 novembre 2011.
81
§1. Contexte des conflits armés et acteurs de l’exploitation illicite des ressources
naturelles
309
Voir, par exemple, J.-C. MASANGU MULONGO, « Postface », in L. MUPEPELE MONTI, L’industrie
minérale congolaise. Chiffres et défis, Tome 1, Paris, L’Harmattan, 2012, p. 299 ; P. COLLIER, The
Bottom Billion. Why the Poorest Countries Are Failing and What Can Be Done About It, Oxford, Oxford
University Press, 2008, pp. 38-39; RFI, « Le Congo : un ‘‘scandale géologique’’ », disponible sur
http://www.rfi.fr/actufr/articles/079/article_44994.asp consulté le 8 août 2011.
310
Cf. N. NZEREKA MUGHENDI, Les déterminants de la paix et de la guerre au Congo-Zaïre,
Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2011, pp. 21-22. Voir également A. MAMPUYA, « responsabilité et
réparations dans le conflit armé des Grands-Lacs au Congo-Zaïre », in R.G.D.I.P., 2004-3, pp. 679-707.
82
congolais dirigé par Laurent-Désiré Kabila et appuyé par des forces angolaises,
ougandaises et rwandaises311. Pour financer les coûts des opérations militaires, ces forces
étrangères et les troupes de l’AFDL ont activement et ouvertement exploité des
ressources naturelles dans les « territoires libérés », avec l’accord du dirigeant de
l’AFDL312. Ce dernier a également conclu avec des sociétés étrangères et des hommes
d’affaires étrangers des contrats d’exploitation des ressources naturelles dans l’est de la
RDC (territoires libérés)313. Cet épisode a pris fin le 17 mai 1997, avec l’entrée
triomphale des forces de l’AFDL et de leurs alliés à Kinshasa. L.-D. Kabila s’est alors
proclamé Chef de l’Etat dont il a changé la dénomination de « Zaïre » en « République
démocratique du Congo »314.
B. Deuxième période (2 août 1998- 2 juin 2003) : un conflit armé international, des
conflits armés internationalisés et des conflits armés internes
311
Cf. Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses
de la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 6, § 23.
312
Cf. Ibidem, p. 6, § 23.
313
Cf. Ibidem, p. 7, § 26.
314
Cf. N. NZEREKA MUGHENDI, Op. cit., p. 22.
315
Cf. GLOBAL WITNESS, S.O.S. Toujours la même histoire. Une étude contextuelle sur les ressources
naturelles de la République démocratique du Congo, Washington, Global Witness Publishing Inc., 2004, p.
10.
83
De son côté, l’Ouganda a profité de cette offensive lancée par le Rwanda pour
faire incursion en RDC. Dans l’affaire Congo c. Ouganda, la RDC a prétendu que les
forces ougandaises ont également participé à l’opération de Kitona, ce que la Cour n’a
pas pu admettre, faute de preuves suffisantes320. Par contre, elle a admis que les forces
ougandaises ont pris les villes de Beni et Butembo, au Nord-Kivu et ont progressé
jusqu’en Province Orientale, en occupant les villes les plus importantes (Bunia, Watsa,
Kisangani,…)321. Le Soudan et le Tchad, qui sont également intervenus du côté du
gouvernement congolais pour combattre les forces ougandaises, ont rapidement retiré
leurs forces322.
316
Cf. CIJ, Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda),
arrêt du 19 décembre 2005, CIJ Recueil, 2005, §§ 29-31 et 49. Nous utilisons le texte disponible sur le Site
Internet de la CIJ (www.icj-cij.org ).
317
Cf. N. NZEREKA MUGHENDI, Op. cit., p. 25.
318
Cf. Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt,
C.I.J. Recueil 2005, p. 192, § 31.
319
Cf. Additif au rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres
richesses de la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 20, § 87.
320
Cf. Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt,
C.I.J. Recueil 2005, p. 192, § 31 et p. 205, § 71.
321
Cf. Ibidem, pp. 206-207, §§ 77-79.
322
Cf. Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses
de la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 6, § 24.
84
Comme on peut déjà le voir à ce niveau, cette deuxième période des conflits
armés en RDC a connu la participation de sept Etats étrangers323. C’est à juste titre que
certains auteurs ont pu considérer ce conflit armé international comme ‘‘la plus grande
guerre d’Afrique’’324 ou encore de la ‘‘Première guerre mondiale africaine’’325.
Ainsi qu’il ressort des lignes suivantes, après la cessation des affrontements
directs des forces rwandaises et ougandaises aux forces congolaises, on est passé d’un
conflit armé international à un conflit armé interne internationalisé opposant les forces
congolaises soutenues par des groupes armés nationaux et étrangers à des mouvements
rebelles congolais appuyés à partir de l’extérieur par des Etats étrangers (Rwanda et
Ouganda). On a également enregistré des conflits armés internes opposant des groupes
armés congolais ne bénéficiant pas (du moins officiellement) d’un appui étatique externe.
Il s’agit en particulier des conflits armés entre divers groupes congolais d’autodéfense
populaire. Cette observation vaut également pour la troisième période des conflits armés
en RDC.
323
Le Rwanda, l’Ouganda, l’Angola, le Zimbabwe, la Namibie, le Soudan et le Tchad. Contrairement à
certains rapports qui classent le Burundi parmi les Etats agresseurs de la RDC (Voir, par exemple,
GLOBAL WITNESS, Op.cit. , p.10), le Groupe d’experts a établi que la présence des forces burundaises
en RDC avait pour objectif d’arrêter les attaques lancées par les groupes rebelles, en particulier les Forces
pour la Défense de la Démocratie (FDD), qui sont basés dans le Sud-Kivu et au Katanga et qu’il n’y avait
aucune preuve d’implication des forces burundaises dans l’exploitation illicite des ressources naturelles de
la RDC (Cf. Additif au rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et
autres richesses de la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 22, § 101). D’ailleurs, force est de
constater que suite au désistement de la RDC, qui a été accepté par le Burundi, l’affaire des Activités
armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Burundi) a été rayée du rôle de la
Cour internationale de Justice (Voir Ordonnance du 30 janvier 2001, p. 4, disponible sur http://www.icj-
cij.org/docket/files/115/8053.pdf consulté le 9 août 2011).
324
N. NZEREKA MUGHENDI, Op. cit., p. 25.
325
F. GERE, cité par Ibidem, p. 25, note 25.
326
Cf. N. NZEREKA MUGHENDI, Op. cit., p. 25.
85
D’autres groupes armés ont vu le jour sous l’influence des forces ougandaises
ou rwandaises et de leurs alliés congolais, particulièrement dans le District de l’Ituri, en
Province Orientale. Il s’agit, notamment, du Front des Nationalistes Intégrationnistes
(FNI), du Front de Résistance Patriotique en Ituri (FRPI), du Parti pour l’Unité et la
Sauvegarde de l’Intégrité du Congo (PUSIC), du Front pour l’Intégration et la Paix en
Ituri (FIPI) et des Forces armées du Peuples congolais (FAPC), proches de l’Ouganda,
327
Cf. GLOBAL WITNESS, Op. cit., p. 10.
328
Cf. Ibidem, p. 10.
329
Cf. Ibidem, p. 12.
330
Cf. Ibidem, p. 13.
86
Qu’il s’agisse des forces étrangères et des rebelles congolais ou des forces
d’autodéfense populaire, l’exploitation illicite des ressources naturelles a joué un rôle
majeur dans l’approvisionnement en matériels militaires, le paiement de la solde,… et a
même fait naître des ambitions d’enrichissement personnel auprès des belligérants.
Plusieurs hauts responsables militaires et personnalités civiles attachées aux forces et
groupes armés ont été individuellement impliqués dans l’exploitation des ressources
naturelles335. Dans ce contexte, le contrôle des zones minières a souvent été la cause de
récurrents affrontements armés. Ainsi, pour ne citer que quelques exemples, la seconde
bataille de Kisangani, ci-haut évoquée, a été dictée par la détermination des forces
331
Cf. Rapport spécial sur les événements d’Ituri (Janvier 2002-décembre 2003), S/ 2004/573, du 16 juillet
2004, pp. 52-54.
332
Cf. Additif au rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres
richesses de la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 27.
333
Cf. Ibidem, p. 27, § 135 et GLOBAL WITNESS, La paix sous tension : Dangereux et illicite commerce
de la cassitérite dans l’est de la RDC, Washington, Global Witness Publishing Inc., 2005, p. 9.
334
Cf. GLOBAL WITNESS, La paix sous tension…, Op. cit., p. 9.
335
Cf. Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses
de la République démocratique du Congo, Op. cit., pp. 19-20.
87
Pour acquérir des moyens financiers, les forces étrangères, les rebelles et
même les forces d’autodéfense locales ont autorisé, sous conditions de paiement de taxes
et redevances, des sociétés étrangères et nationales à exercer des activités minières dans
les zones occupées. Certaines sociétés opéraient déjà légalement en RDC avant le conflit
armé, d’autres, par contre, en ont profité pour s’installer dans les territoires occupés. En
guise d’illustration, la société ougando-thaïlandaise DARA-Forest, qui avait sans succès
sollicité des autorités de Kinshasa une concession forestière en RDC, l’a obtenue des
autorités du RCD-ML, en coopération avec les forces ougandaises338. Même des sociétés
minières étrangères qui ont dûment obtenu l’autorisation du Gouvernement de Kinshasa
ont directement fait allégeance aux forces étrangères, rebelles ou d’autodéfense
populaire, selon le cas. Il y a lieu de noter, par exemple, que la société sud-africaine
AngloGold Ashanti Ltd a tiré bénéfice de ses bonnes relations avec le groupe armé FNI
qui avait le contrôle effectif sur la zone minière de Mongbwalu où elle exploitait de
l’or339. En effet, en contrepartie des avantages matériels et financiers qu’elle accordait au
groupe armé, celui-ci assurait la sécurité de ses agents340. On peut également noter le cas
des sociétés ougandaises Uganda Commercial Impex Ldt et Machanga Ldt, qui ont
exporté de l’or en provenance du Congo sous l’égide de hauts commandants des forces
336
Cf. Rapport final du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres
formes de richesse de la République démocratique du Congo, S/2002/1146, du 16 octobre 2002, p. 19, §
83.
337
Cf. HUMAN RIGHTS WATCH, Le fléau de l’or. République démocratique du Congo, New York,
Human Rights Watch, 2005, pp. 21-23.
338
Cf. Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses
de la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 10, §§ 47-48.
339
Cf. HUMAN RIGHTS WATCH, Op. cit., pp. 65-68.
340
Cf. Ibidem, pp. 68-76.
88
341
Cf. Ibidem, p. 112.
342
Cf. Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses
de la République démocratique du Congo, Op. cit., pp. 49-50.
343
Cf. Ibidem, pp. 49-50.
344
Cf. Rapport final du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres
formes de richesse de la République démocratique du Congo, Op. cit., Annexe III, pp. 7-10.
345
Cf. Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses
de la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 41, § 191.
346
Cf. Ibidem, pp. 41-42, §§ 191-192.
347
Cf. Additif au rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres
richesses de la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 23, §§ 107 et 109.
89
La période des conflits armés qui a connu une intense exploitation illicite des
ressources naturelles de la RDC a officiellement pris fin le 2 juin 2003, avec le retrait
définitif des forces ougandaises348, intervenu après celui des forces rwandaises349. Ce fut
l’installation du gouvernement d’union nationale et de transition (intégrant les anciens
mouvements rebelles, devenus alors des partis politiques)350. La même année, le mandat
du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres formes
de richesses de la RDC351, prorogé (pour la dernière fois) jusqu’au 31 octobre 2003 par la
résolution 1499 (2003) du Conseil de sécurité, du 13 août 2003, a pris fin. En effet, dans
sa Déclaration du 19 novembre 2003, le Président du Conseil de sécurité a pris note du
rapport final (S/2003/1027) du Groupe d’experts… « qui conclut ses travaux »352.
Cependant, la paix n’a pas été totalement rétablie sur le territoire national.
Des hostilités se sont poursuivies à l’est de la RDC, notamment dans le District de l’Ituri
et dans les Provinces du Nord et du Sud-Kivu. Profondément préoccupé par cette
situation, le Conseil de sécurité a, par la résolution 1493 (2003), du 28 juillet 2003,
imposé aux Etats, y compris la RDC, un embargo sur les armes destinées « à tous les
groupes armés et milices étrangers et congolais opérant dans le territoire du Nord et du
Sud-Kivu et de l’Ituri, et aux groupes qui ne sont pas parties à l’Accord global et inclusif,
en République démocratique du Congo »353. Par la suite, il a créé, par sa résolution
1533(2004), du 12 mars 2004, un Comité du Conseil de sécurité, composé de tous les
membres du Conseil, chargé notamment du suivi des mesures nécessaires prises par les
Etats pour empêcher tout appui aux groupes armés en Ituri, au Sud-Kivu et au Nord-
Kivu. Conformément à cette résolution, le Secrétaire général, agissant en consultation
348
Cf. CIJ, Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda),
arrêt du 19 décembre 2005, CIJ Recueil, 2005, § 264.
349
Cf. HUMAN RIGHTS WATCH, Op. cit., p. 2.
350
Cf. GLOBAL WITNESS, La paix sous tension…, Op. cit., p. 9.
351
Voir le contenu de ce mandat dans la Déclaration du Président du Conseil de sécurité, S/PRST/2000/20,
du 2 juin 2000, p. 1.
352
Cf. Déclaration du Président du Conseil de sécurité, S/PRST/2003/21, 19 novembre 2003, p. 1. C’est
nous qui introduisons le caractère italique pour insister sur la fin du mandat.
353
S/RES/1493 (2003), 28 juillet 2003, p. 4, § 20.
90
avec ledit Comité, est habilité à établir des Groupes d’experts sur la République
démocratique du Congo, avec un mandat portant, entre autres, sur la récolte et l’analyse
d’informations relatives aux mouvements des armes et autres matériels connexes de ces
groupes armés. D’autres résolutions du Conseil de sécurité abondent dans ce sens354.
En Ituri, les six groupes armés nationaux mentionnés ci-dessus (FNI, FRPI,
PUSIC, FIPI, FAPC, UPC) sont restés très opérationnels jusqu’à début 2005. Leur
fragilité a commencé lorsqu’« après le meurtre de neuf soldats de maintien de la paix des
Nations unies en Ituri en février 2005, le gouvernement de transition a arrêté Floribert
Ndjabu, Thomas Lubanga et une poignée d’autres commandants de haut rang en
Ituri »355. En outre, en août 2005, à l’appel du Gouvernement de transition, trois de ces
groupes armés (FNI, PUSIC et UPC) sont devenus des partis politiques356. Ce faisant, la
plupart de leurs éléments ont quitté le maquis. Bien plus, la remise à la Cour pénale
internationale et le transfèrement au quartier pénitentiaire à La Haye de Thomas Lubanga
de l’UPC (17 mars 2006), de Germain Katanga du FRPI (17 octobre 2007) et de Mathieu
Ngudjolo Chui du FNI (7 février 2008)357 ont largement contribué à l’affaiblissement de
ces groupes armés en Ituri. S’agissant des groupes armés étrangers, la majorité des
éléments de l’Armée de Résistance du Seigneur (LRA), qui étaient encore actifs en Ituri
jusqu’en 2008, se retrouvent actuellement dans le Soudan du Sud et dans le sud-est de la
République centrafricaine, suite à la pression exercée contre eux par les armées
congolaises et ougandaises358. Au cours de cette dernière période du conflit congolais,
l’exploitation illicite des ressources naturelles par les poches de résistance des groupes
armés en Ituri, d’une moindre importance, est enregistrée « à proximité des mines d’or les
354
Voir, par exemples, les résolutions suivantes : Rés. 1552 (2004), 27 juillet 2004 ; Rés. 1596 (2005), 18
avril 2005 ; Rés. 1616 (2005), 29 juillet 2005 ; Rés. 1654 (2006), 13 janvier 2006 ; Rés. 1698 (2006), 31
juillet 2006 ; Rés. 1768 (2007), 13 juillet 2007 ; Rés. 1771 (2007), 10 août 2007 ; Rés. 1799 (2008), 15
février 2008 ; Rés. 1807 (2008), 31 mars 2008 ; Rés. 1857 (2008), 22 décembre 2008 ; Rés. 1896 (2009), 7
décembre 2009 ; Rés. 1952 (2010), 29 novembre 2010 ; Rés. 2021(2011), 29 novembre 2011 ; etc.
355
HUMAN RIGHTS WATCH, Op. cit., p. 23. Floribert Ndjabu et Thomas Lubanga étaient
respectivement Président du FNI et Président de l’UPC.
356
Voir http://congovox.blogspot.com/2010/10/liste-des-partis-politiques-en-rdc.html consulté le 18 août
2011.
357
Voir http://www.icc-cpi.int/Menus/ICC/Situations+and+Cases/Situations/Situation+ICC+0104/ consulté
le 16 août 2011.
358
Cf. Rapport final du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo, S/2010/596, 29
novembre 2010, pp. 32-33, §§ 103-107.
91
plus éloignées » 359. En revanche, ce sont des éléments indisciplinés des Forces armées de
la RDC (FARDC) qui sont de plus en plus impliqués directement dans le commerce des
minéraux360.
Par ailleurs, dans les Provinces du Nord et du Sud-Kivu, deux groupes armés
sont restés particulièrement actifs dans le pillage systématique des ressources naturelles :
le Congrès national pour la Défense du Peuple (CNDP) et les Forces Démocratiques pour
la Libération du Rwanda (FDLR)361. Le CNDP, un mouvement politico-militaire dirigé
par le Général Laurent Nkunda, a officiellement vu le jour le 25 juillet 2006, en territoire
de Rutshuru, avec l’objectif officiel de défendre les populations tutsi du Nord-Kivu
contre les attaques des FDLR coalisées avec l’armée congolaise « brassée » (FARDC)362.
Ce mouvement était appuyé par le Gouvernement rwandais, en ce qui concerne le
recrutement, notamment d’enfants, la fourniture du matériel militaire et la formation
militaire par des officiers des Forces de Défense rwandaises (RDF)363. Dans les zones
minières qu’elles contrôlaient, les troupes du CNDP avaient un regard très vigilant sur la
production des sociétés minières et des creuseurs artisanaux. Elles percevaient des taxes
359
Ibidem, p. 73, § 245.
360
Cf. Ibidem, p. 73, §§ 246-247.
361
D’autres groupes armés, notamment les PARECO et différents groupes Maï-Maï au Nord et au Sud-
Kivu, participaient eux aussi parfois à l’activité minière, mais plutôt lorsque l’occasion se présentait que
dans le cadre d’une stratégie bien organisée (GLOBAL WITNESS, « Face à un fusil, que peut-on faire ? ».
La guerre et la militarisation du secteur minier dans l’est du Congo, Londres, Global Witness Ltd, 2009, p.
55). Le sigle PARECO signifie : Coalition des Patriotes Résistants congolais.
362
Cf. N. NZEREKA MUGHENDI, Op. cit., pp. 287-288. Pour tenter de mettre un terme aux récurrents
conflits armés en RDC, le gouvernement congolais a initié un processus d’intégration des groupes armés
dans les forces armées de la RDC (FARDC). Ce processus dénommé « brassage » consistait en une
formation, dans les camps des FARDC, des éléments issus des groupes armés. Ceux-ci étaient ensuite
déployés dans les territoires autres que ceux qu’ils contrôlaient avant le processus (Cf. http://www.pole-
institute.org/site%20web/echos/echo47.htm consulté le 7 mai 2013). Le CNDP, d’obédience rwandaise, a
résisté au « brassage ». En accord avec le gouvernement congolais, il a été institué un autre processus
appelé « mixage ». Contrairement au « brassage », dans le « mixage », l’intégration des insurgés (CNDP) a
été faite automatiquement après la formation, par des brigades loyalistes, des seuls officiers supérieurs du
CNDP. La formation se déroulait dans les cas des insurgés. Et tous les insurgés intégrés dans les rangs des
FARDC devaient continuer d’œuvrer dans les territoires jadis contrôlés par le CNDP (Provinces du Nord-
Kivu et du Sud-Kivu) (Cf. http://www.pole-institute.org/site%20web/echos/echo47.htm consulté le 7 mai
2013). Dès lors, une partie des FARDC est restée de facto sous l’allégeance de l’armée rwandaise. Cette
situation sera à la base du conflit armé déclenché plus tard par d’anciens éléments du CNDP réunis au sein
d’une autre rébellion appelée Mouvement du 23 mars (M23), dont on parlera incessamment.
363
Sur les preuves de l’appui au CNDP par le Gouvernement rwandais, lire le Rapport final du Groupe
d’experts sur la République démocratique du Congo, S/2008/773, 12 décembre 2008, pp. 16-20, §§ 61-68.
Lire également HUMAN RIGHTS WATCH, « Vous serez punis ». Attaques contre les civils dans l’est du
Congo, New York, Human Rights Watch, 2009, pp. 34-35.
92
sur les minerais vendus et sur les mines elles-mêmes, et s’emparaient parfois de la
production364. Les mines concernées étaient celles de coltan, de wolframite et de
cassitérite365. Le CNDP était également impliqué dans le commerce en Ouganda du
charbon de bois du parc national des Virunga, via le poste frontalier congolo-ougandais
de Bunagana366. Pour le commerce des minerais, il travaillait avec des sociétés et
comptoirs basés à Goma, notamment le comptoir MUNSAD et la société Mwangachuchu
Hizi International (MHI), ainsi qu’avec la société belge Trademet367. Le processus
d’intégration du CNDP dans les Forces armées de la RDC (FARDC) a échoué vu que « le
CNDP conserv[ait] des unités et des armes non intégrées, a[vait] des liens avec des
groupes armés et présent[ait] de profondes divisions internes »368. En plus, bien que le
CNDP soit déjà reconnu comme un parti politique, des unités des FARDC issues de ce
mouvement se sont opposées à leur déploiement en dehors du Nord-Kivu et du Sud-Kivu,
où elles continuaient de se livrer à l’exploitation illicite des ressources naturelles369. En
2012, des anciens membres du CNDP, intégrés dans les FARDC, se sont mutinés et ont
créé le Mouvement du 23 mars (M23)370. Le M23, soutenu par le Rwanda et l’Ouganda,
se caractérise par de graves violations des droits de l’homme et l’exploitation illicite des
ressources naturelles de la RDC371. Suite à la menace que représentait le M23 pour la
RDC, le Conseil de sécurité a, par sa résolution 2098 (2013), créé au sein de la Mission
de l’Organisation des Nations unies pour la Stabilisation du Congo (MONUSCO) une
« brigade d’intervention » chargée de « neutraliser les groupes armés » opérant sur le
364
Cf. Ibidem, p. 15, § 57 et GLOBAL WITNESS, « Face à un fusil, que peut-on faire ? », Op.cit., pp. 54-
55.
365
Cf. GLOBAL WITNESS, « Face à un fusil, que peut-on faire ? »…, Op. cit., p. 54.
366
Cf. Ibidem, p. 55.
367
Cf. Rapport final du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo, S/2008/773, 12
décembre 2008, pp. 15-16, §§ 58-60.
368
Rapport final du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo, S/2010/596, 29
novembre 2010, p. 3.
369
Cf. Ibidem, p. 3.
370
L’appellation « Mouvement du 23 mars » résulte des réclamations de ses membres, qui estiment que le
gouvernement congolais n’a pas respecté l’accord signé avec le CNDP le 23 mars 2009 au moment de leur
intégration dans les FARDC.
371
Cf. Lettre datée du 12 octobre 2012 adressée au Président du Comité du Conseil de sécurité créé par la
résolution 1533(2004) par le Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo, S/2012/843, 15
novembre 2012, notamment, p. 6, § 4, p. 40, § 146 et p. 42, § 159.
93
territoire congolais372. Les opérations militaires menées fin octobre-début novembre 2013
par les FARDC appuyées par cette brigade d’intervention des Nations unies ont
complètement mis en déroute le M23, qui a annoncé la fin de sa rébellion le 5 novembre
2013373.
372
Cf. S/RES/2098 (20132), 28 mars 2013, p. 6, § 9.
373 Cf. « Le M23 annonce la fin de sa rébellion en RDC », disponible sur
http://radiookapi.net/actualite/2013/11/05/le-m23-annonce-la-fin-de-sa-rebellion-en-rdc/ consulté le 5
novembre 2013.
374
Rapport final du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo, S/2008/773, 12 décembre
2008, pp. 21-22, §§ 72-73.
375
Cf. Ibidem, pp. 22 et 26, §§ 78 et 94 ; pp. 78-79, Annexe 12 ; et Rapport final du Groupe d’experts sur
la République démocratique du Congo, S/2009/603, 23 novembre 2009, pp. 35-36, §§ 128-130.
376
Cf. Rapport final du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo, S/2008/773, 12
décembre 2008, p. 25, § 88. Concernant d’autres sociétés étrangères impliquées dans l’achat des minerais
dans les zones contrôlées par les FDLR, voir Rapport final du Groupe d’experts sur la République
démocratique du Congo, S/2009/603, 23 novembre 2009, p. 47, §§ 174-177.
94
377
Rapport final du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo, S/2008/773, du 12
décembre 2008, p. 35, § 129.
378
Cf. Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses
de la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 6, § 25.
379
Cf. Ibidem, p. 8, §§ 32-33.
95
380
Ibidem, p. 6, § 25.
381
Cf. Ibidem, pp. 12-13, §§ 58-60.
382
Cf. Additif au rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres
richesses de la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 6, § 16.
383
HUMAN RIGHTS WATCH, Le fléau de l’or. République démocratique du Congo, Op.cit., p.1. Dans le
même sens, un creuseur de Shabunda (Sud-Kivu) a déclaré : « Nous sommes leur viande, leurs animaux.
On n’a rien à dire » (GLOBAL WITNESS, « Face à un fusil, que peut-on faire ? »…, Op. cit., p. 4).
384
Protection des enfants touchés par les conflits armés, Note du Secrétaire général, A/ 58/328, 29 août
2003, p. 12.
96
Les groupes armés, faute d’organisation aussi soutenue que celle des forces
d’occupation, ont généralement recours à la confiscation et à l’extraction directe des
ressources naturelles.
Toutes les ressources naturelles dont regorge la RDC n’ont pas subi le même
degré d’exploitation illicite. Il sied de faire le point sur les ressources les plus visées.
385
Question de la violation des droits de l’homme et des libertés fondamentales, où qu’elle se produise
dans le monde, E/ CN.4/ 2002/ L.25, 12 avril 2002, p. 7.
386
Cf. Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses
de la République démocratique du Congo, Op. cit., pp. 10-19.
387
Cf. Ibidem, pp. 14, 20 et 42, §§ 67, 93 et 194.
388
Cf. Rapport final du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres
formes de richesse de la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 15, § 65.
97
§3. Ressources naturelles les plus touchées par l’exploitation illicite pendant les
conflits armés
389
SENAT DE BELGIQUE, Rapport de la Commission d’enquête parlementaire chargée d’enquêter sur
l’exploitation et le commerce légaux et illégaux de richesses naturelles dans la région des Grands Lacs au
vu de la situation conflictuelle actuelle et de l’implication de la Belgique, Rapport fait au nom de la
Commission d’enquête « Grands Lacs » par MM. Colla et Dallemagne, Session de 2002-2003, Doc. 2-
942/1, 20 février 2003.
390
THE REPUBLIC OF UGANGA, Judicial Commission of Inquiry into allegations into illegal
exploitation of natural resources and other forms of wealth in the Democratic Republic of Congo
2001(May-October 2001), Legal Notice No. 5/2001, Interim Report, October, 2001, S/2001/1080, 15
November 2001; THE REPUBLIC OF UGANGA, Judicial Commission of Inquiry into allegations into
illegal exploitation of natural resources and other forms of wealth in the Democratic Republic of Congo
2001(May 2001- November, 2002), Legal Notice No. 5/2001, as amended, Final Report, November, 2002,
available at http://archive.niza.nl/docs/200305271650358053.pdf consulted on 16 November 2013.
391
REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO, Assemblée nationale, Commission spéciale chargée
de l’examen de la validité des conventions à caractère économique et financier conclues pendant les guerres
de 1996-1997 et de 1998, Rapports des travaux sous la Présidence de Christophe Lutundula, Kinshasa,
2006.
98
et le cobalt, les diamants, le bois d’œuvre (…) sont des produits qui illustrent les formes
actuelles de cette exploitation »392. De même, dans le rapport de la Commission
d’enquête parlementaire diligentée par le Sénat de Belgique, nous lisons : « Le diamant,
l’or, le coltan, le bois, le cuivre et le cobalt sont les principales ressources qui font l’objet
d’un pillage »393. Profondément préoccupé par de graves violations des droits de
l’homme au cours d’une intense exploitation illicite de l’or pendant le conflit armé en
RDC, Human Rights Watch n’a pas manqué de dénoncer le « fléau » que cause
l’exploitation illicite de ce minerai394. Divers rapports du Groupe d’experts sur la RDC et
de Global Witness, que nous avons déjà évoqués, insistent sur l’exploitation illicite du
coltan, de l’or, de la cassitérite et de la wolframite au Nord-Kivu, au Sud-Kivu et au
Maniema.
Cela dit, il s’ensuit qu’au titre des ressources naturelles les plus touchées
pendant le conflit armé figurent tout d’abord des ressources minérales (A), puis des
ressources végétales (B). Toutefois, nous ne manquerons pas de jeter un coup d’œil sur
les espèces de la faune sauvage menacées d’extinction (C).
392
Additif au rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres
richesses de la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 6, § 15.
393
SENAT DE BELGIQUE, Op. cit., p. 33. Il faut néanmoins noter que le mot « pillage » n’est pas pris ici
dans son sens du droit international. En effet, le rapport se réfère à Marysse et André (Cf. Ibidem, p. 33),
qui donnent au pillage une définition économique : « Dès lors, l’on parle de pillage économique à partir du
moment où une ressource quitte un territoire sans contrepartie en importations, déduction faite de la valeur
ajoutée qui reste sur place » (S. MARYSSE et C. ANDRE, « Art. cit. », p. 314). Il est déjà intéressant
d’avoir une idée sur les ressources qui ont été les plus exploitées pendant le conflit armé. Il nous reviendra
d’examiner au cas par cas si l’exploitation était licite ou illicite.
394
Cf. HUMAN RIGHTS WATCH, Le fléau de l’or. République démocratique du Congo, Op.cit., p.1 et
suivantes.
395
Nous nous inspirons de la définition des « diamants de la guerre » donnée précédemment.
99
A. Ressources minérales
1.Diamants
Depuis longtemps, la RDC figure parmi les grands producteurs des diamants.
Les provinces congolaises les plus riches en diamants sont le Kasaï oriental (Mbuji-
Mayi), le Kasaï occidental (Tshikapa) et la Province orientale (Kisangani). D’autres
provinces en disposent également, quoiqu’en petites quantités. Les diamants congolais,
en grande partie d’origine alluvionnaire, sont exploités artisanalement, à l’exception des
pipes de kimberlites (roches volcaniques) de Mbuji-Mayi, dont l’exploitation par la
Minière des Bakwanga (MIBA) est surtout industrielle397.
396
Cf. Additif au rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres
richesses de la République démocratique du Congo, Op. cit., pp. 9-10, §§ 30-35.
397
Cf. GLOBAL WITNESS, La paix sous tension…, Op. cit., p. 29 et SENAT DE BELGIQUE, Op. cit., p.
34. Pour plus de détails sur la production congolaise de diamants, voir L. MUPEPELE MONTI, L’industrie
minérale congolaise, Op. cit., pp. 65-79.
398
« Les diamants provenant de l’exploitation artisanale dans le secteur de Kisangani ont fourni une source
de revenus aux rebelles, à l’Armée patriotique rwandaise, aux Forces armées ougandaises » (Additif au
rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de la
République démocratique du Congo, Op. cit., pp. 11-12, § 44).
100
Dans les zones contrôlées par des forces ougandaises et leurs alliés rebelles,
le commerce des diamants par les sociétés locales était coordonné par une société écran,
le groupe Victoria, qui les exportait via Kampala403. Cette société utilisait des capitaux et
des services de commercialisation de la société belge Nami Gems à Anvers404. Le Groupe
d’experts, qui se réfère au Conseil supérieur du diamant, souligne : « De 1987 à 1996,
aucune exportation de diamants par l’Ouganda n’a été enregistrée pour ce marché.
Entre 1997 et 2000, les exportations de l’Ouganda se situaient entre 2 000 et 11 000
carats, avec des valeurs pouvant atteindre 1,7 million de dollars par an. Les chiffres pour
2001, extrapolés des ventes des huit premiers mois, montrent que les exportations de
diamants ougandaises vers Anvers sont estimées à 35 000 carats, pour une valeur de 3, 8
millions de dollars »405.
399
Rapport final du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres formes
de richesse de la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 19, § 86.
400
Cf. Ibidem, p. 19, §§ 83- 84.
401
Cf. Ibidem, p. 19, § 85.
402
Cf. Ibidem, p. 19, § 85.
403
Cf. Ibidem, p. 24, § 112.
404
Cf. Ibidem, p. 24, § 112.
405
Additif au rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres
richesses de la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 12, § 44.
101
2.Or
En RDC, l’or se trouve principalement dans le Nord-est, à savoir en Province
orientale, au Nord-Kivu, au Sud-Kivu, au Maniema et au Nord-est du Katanga. Son
extraction y est plus artisanale qu’industrielle410. A en croire Human Rights Watch, cette
région « abrite l’un des gisements aurifères les plus riches de toute l’Afrique »411. Hormis
les exportations réalisées officiellement par des entreprises minières, l’exportation de l’or
de la RDC s’opère en contrebande, à travers les pays voisins (Ouganda, Rwanda,
Burundi, etc.). Il est ainsi difficile d’en trouver de statistiques complètes. Nous nous
référerons seulement aux statistiques citées dans le rapport des experts des Nations unies
406
Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de
la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 22, § 98. Sur les pays producteurs de diamants bruts,
voir http://www.diamants-infos.com/brut/producteur.html consulté le 24 août 2011.
407
Cf. Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses
de la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 26, § 104 et Tableau 5.
408
Cf. SENAT DE BELGIQUE, Op.cit., p. 34.
409
Cf. Ibidem, p. 34.
410
Cf. GLOBAL WITNESS, La paix sous tension…, Op. cit., p. 32.
411
HUMAN RIGHTS WATCH, Le fléau de l’or. République démocratique du Congo, Op.cit., p.1.
102
Avant l’éclatement du conflit armé en 1996, l’or était exploité par trois
grandes entreprises d’Etat congolaises : l’Office des mines d’or de Kilo-Moto (OKIMO),
dans le District de l’Ituri, en Province orientale, la Société minière et industrielle du Kivu
(SOMINKI), au Sud-Kivu, et la Générale des carrières et des mines (GECAMINES), au
Nord-est du Katanga413. En 1996, des sociétés étrangères ont acquis des concessions
minières de ces trois entreprises congolaises. Une petite partie des concessions de
l’OKIMO a été acquise par Kimin, une joint-venture entre l’Etat zaïrois et le groupe
belgo-canadien Mindev, qui l’a cédée à son tour au groupe ghanéen Ashanti
Goldfields414. Mais la grande partie a été acquise par le conglomérat canadien Barrick
Gold Corporation, quelques semaines avant la conquête de l’Est du Zaïre par l’AFDL,
rappelons-le, une rébellion congolaise appuyée par le Rwanda et l’Ouganda, ce qui
« permet de présumer que ce géant de l’or était […] à tout le moins informé de la
rébellion toute proche et de son issue »415. Du côté de la SOMINKI, une convention a été
conclue entre cette société, l’Etat zaïrois et la société canadienne Banro Resource
Corporation aux fins de la reprise de tous les droits miniers de la SOMINKI par la
Société aurifère du Kivu et du Maniema (SAKIMA), une joint-venture constituée par
Banro et l’entreprise britannique Cluff Mining416.
412
Voir L. MUPEPELE MONTI, L’industrie minérale congolaise, Op. cit., pp. 46-62.
413
Cf. GLOBAL WITNESS, S.O.S. Toujours la même histoire…, Op. cit., p. 32.
414
Cf. SENAT DE BELGIQUE, Op.cit., p. 113-115.
415
Ibidem, p. 114.
416
Cf. Ibidem, p. 113 et GLOBAL WITNESS, S.O.S. Toujours la même histoire…, Op. cit., p. 32.
417
Cf. A. DENEAULT et al., Op. cit, p. 59. Les autres entreprises qui ont placé L.-D. Kabila au pouvoir
pour tirer profit des richesses de la RDC sont les sociétés canadiennes Anvil, Emaxon, First Quantum,
Kinross et Lundin (Cf. Ibidem, p. 107). AMFI a été ultérieurement dénommée Adastra Mining, puis
Adastra Minerals Inc. (Cf. Ibidem, p. 59 et 117).
103
418
Cf. GLOBAL WITNESS, S.O.S. Toujours la même histoire…, Op. cit., p. 32.
419
Cf. A. DENEAULT, et al., Op. cit., p. 107.
420
Cf. SENAT DE BELGIQUE, Op. cit., p. 113. Banro a intenté contre la RDC une action en
dédommagement devant le CIRDI et ultérieurement devant la Cour fédérale américaine. Mais ces
procédures ont connu un retard et Banro s’est retirée de la RDC en juillet 2000. C’est en 2003 que le
gouvernement Joseph Kabila lui a rendu les concessions (Cf. Ibidem, p. 113 et GLOBAL WITNESS,
S.O.S. Toujours la même histoire…, Op. cit., p. 32).
421
Cf. A. DENEAULT et al., Op. cit., pp. 107 et 110.
422
Cf. SENAT DE BELGIQUE, Op. cit., pp. 113 et 115.
423
Cf. Ibidem, p. 116.
424
Cf. Ibidem, p. 116.
425
Cf. Ibidem, p. 113.
104
ougandaise de 1998 à 2002, AMFI, Banro, Barrick et Mindev ainsi que la société
australienne Russel Ressources International Ltd se sont associées aux forces ougandaises
pour l’exploitation de l’or dans le District de l’Ituri426. On peut noter, dans cette optique,
que c’est Salim Saleh qui protégeait les aires d’exploitation de Barrick, en sous-
traitance427.
426
Cf. A. DENEAULT et al., Op. cit., pp. 108 et SENAT DE BELGIQUE, Op. cit., p. 115.
427
Cf. A. DENEAULT et al., Op. cit., p. 142.
428
Cf. Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses
de la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 12 et 13, §§ 57 et 59.
429
Cf. SENAT DE BELGIQUE, Op. cit., p. 116.
430
Cf. Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses
de la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 21, tableau 1.
105
aurifère de Kilo-Moto »431. Selon les estimations de Stefaan Marysse et Catherine André,
dont les calculs sont basés sur un cours de 8,3 millions de dollars US la tonne, la valeur
de l’or exporté par l’Ouganda s’élèverait respectivement 95 millions de dollars US en
1999 et 90 millions de dollars US en 2000432.
Au sujet de l’exploitation illicite de l’or dans les territoires occupés par les
forces rwandaises, le groupe d’experts des Nations unies a estimé que la production d’or
dans les zones contrôlées par le RCD-Goma, soutenu par le Rwanda, était en moyenne à
60 kilos par mois, soit 720 kilos par an en 1999 et à 100 kilos par mois, soit 1 200 kilos
en 2000433. Cette production était exportée à partir de Bukavu par trois comptoirs d’or, à
savoir Shenimed, Panju et Congocom, et passait entièrement par le Rwanda, à destination
de la Belgique, de la Suisse et du Royaume-Uni434.
A en croire les recherches de Marysse et André, dont les résultats ont été
confirmés par l’enquête du Sénat de Belgique, la production aurifère dans la région
contrôlée par le Rwanda à partir de 1996 s’élèverait à 3,5 tonnes par an, chiffres qui
correspondent plus ou moins aux importations belges à partir du Rwanda (4,3 tonnes en
1997 et 3,75 tonnes en 1998)435. Partant du cours de 8,3 millions la tonne, ils considèrent
ainsi que ces 3,5 tonnes d’or exportées par le Rwanda s’élèveraient à 29 millions de
dollars US par an436. En considérant que 80% de ce chiffre d’affaires reste au Congo et
que le RCD-Goma prélève des taxes de 5% sur la production qu’il contrôle, ils concluent
que la valeur de la production pillée par le Rwanda s’élève respectivement à 5,6 et 5,4
millions de dollars US en 1999 et 2000437.
431
SENAT DE BELGIQUE, Op.cit., p. 119.
432
Cf. Cf. S. MARYSSE et C. ANDRE, « Art. cit. », p. 322.
433
Cf. Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses
de la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 33, § 144.
434
Cf. SENAT DE BELGIQUE, Op.cit., pp. 117, 119 et 120.
435
Cf. S. MARYSSE et C. ANDRE, « Art. cit. », p. 323 et SENAT DE BELGIQUE, Op. cit., p. 120.
436
Cf. S. MARYSSE et C. ANDRE, « Art. cit. », p. 323.
437
Cf. Ibidem, p. 323.
106
des zones riches en or : le FNI, lié à l’Ouganda et l’UPC, appuyée par le Rwanda438. Des
entreprises multinationales avaient profité de cette situation de troubles. Il s’agissait
principalement d’AngloGold Ashanti, une société sud-africaine dont nous avons déjà
souligné les relations avec le FNI, de Metalor Technologie SA, une société basée en
Suisse, qui avait des partenaires à Kampala, et des deux grandes sociétés ougandaises
d’exportation d’or, à savoir Uganda Commercial Impex Ltd et Machanga Ltd439. D’après
les chercheurs de Human Rights Watch, l’exportation de l’or congolais à partir de
Kampala, en 2003, avoisinait 60 millions USD440.
Enfin, comme nous l’avons déjà mentionné, des groupes armés FDLR et
CNDP se sont également livrés à l’exploitation illicite de l’or dans le Nord-Kivu et le
Sud-Kivu. Les sociétés nationales et étrangères qui collaboraient avec eux faisaient
transiter ce minerai par le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi.
3.Colombotantalite (coltan)
Communément appelé « coltan »441, la colombotantalite intervient dans
l’industrie métallurgique, dans les technologies stratégiques comme les
télécommunications, le nucléaire, l’aéronautique ou l’électronique. Les produits qui en
résultent sont une grande source de revenus (milliards de dollars) pour les multinationales
qui les fabriquent et les commercialisent442. A vrai dire, le coltan comprend deux métaux
différents : le colombium (ou niobium) et le tantale, ce dernier étant le plus précieux, et
donc le plus prisé dans cette combinaison443. Le coltan se présente comme une pierre
grisâtre, ce qui fait qu’on l’appelle parfois « l’or gris »444.
438
Cf. HUMAN RIGHTS WATCH, Le fléau de l’or. République démocratique du Congo, Op. cit., p. 2. Le
FNI et l’UPC ont livré cinq batailles pour arracher le contrôle de la zone aurifère de Mongbwalu entre 2002
et 2004 (Cf. Ibidem, p. 2).
439
Cf. Ibidem, pp. 68-72 et 112.
440
Cf. Ibidem, pp. 3 et 112.
441
« L’appellation ‘‘coltan’’, aujourd’hui d’usage courant dans presque toutes les langues du monde, est
d’origine congolaise : Il s’agit d’une abréviation utilisée par les Ingénieurs de SOMINKI en lieu et place de
colombo-tantalite, jugé trop long » (L. MUPEPELE MONTI, L’industrie minérale congolaise, Op. cit., p.
89). Pour plus de détails sur ce minerai, voir Ibidem, pp. 89-96.
442
Cf. CH. ONANA, Ces tueurs tutsi. Au cœur de la tragédie congolaise, Paris, Duboiris, 2009, p. 121.
443
Cf. P. MARTINEAU, « La route commerciale du coltan congolais : une enquête », p. 7, disponible sur
http://www.unites.uqam.ca/grama/pdf/Martineau_coltan.pdf consulté le 29 août 2011.
444
Cf. Ibidem, pp. 5 et 8.
107
445
Additif au rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres
richesses de la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 6, § 17.
446
P. MARTINEAU, « Art. cit. », p. 5.
447
Cf. Additif au rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres
richesses de la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 6, § 17.
448
Cf. Ibidem, p. 6, § 17. Cette expression « tentale du sang » a été employée après la publication du
rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles…, du 12 avril 2001 (Cf.
Ibidem, p. 6, § 17).
449
Cf. Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses
de la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 8, § 33.
108
Les experts onusiens ont estimé que « l’armée rwandaise exporterait au moins
100 tonnes par mois par l’intermédiaire de Rwanda Metals »452. Ils en ont déduit qu’
« elle pourrait avoir obtenu 20 millions de dollars par mois simplement en vendant le
coltan qu’en moyenne les intermédiaires paient environ 10 dollars par kilo aux petits
négociants »453. Ainsi, en se fondant sur les estimations les plus élevées des coûts d’achat
et de transport du coltan, les experts et certains négociants concluent que « l’armée
rwandaise a retiré au minimum 250 millions de dollars sur une période de 18 mois, ce qui
est suffisant pour financer la guerre en République démocratique du Congo »454.
450
Cf. Rapport final du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres
formes de richesse de la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 17, §§ 74-76.
451
Cf. Ibidem, p. 17, §§ 75 et 76.
452
Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de
la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 31, § 130.
453
Ibidem, p. 31, § 130.
454
Ibidem, p. 31, § 130.
455
Cf. Ibidem, pp. 49-50. Les pays de destination du coltan « pillé » sont : l’Allemagne, la Belgique, l’Inde,
le Kenya, la Malaisie, le Pakistan, les Pays-Bas, le Royaume- Uni, la Russie et la Suisse.
456
Cf. Rapport final du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres
formes de richesse de la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 23, § 108.
109
société Trinity Investment et le général Salim Saleh, à travers la société Conmet457. Pour
confirmer l’implication de l’Ouganda dans l’exploitation illicite du coltan, nous nous
basons sur des chiffres officiels reçus du Gouvernement ougandais par les experts
onusiens. Selon ces chiffres, en 1999, l’Ouganda a exporté 69,50 tonnes de coltan alors
qu’il n’en a pas produit depuis 1996458. Compte tenu du contexte ci-haut décrit, ce coltan
ne pourrait provenir que de la RDC.
457
Cf. Ibidem, pp. 23 et 24, § 108 et 111. Trinity Investment et Conmet étaient deux sociétés écrans basées
à Kampala, qui opéraient également à l’est de la RDC.
458
Cf. Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses
de la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 21, tableau 1.
459
GLOBAL WITNESS, S.O.S. Toujours la même histoire…, Op. cit., p. 22.
460
Cf. Ibidem, p. 22.
461
Cf. Idem, La paix sous tension…, Op. cit., p. 14.
462
L. MUPEPELE MONTI, L’industrie minérale congolaise, Op. cit., pp. 81 et 89.
110
Pendant l’occupation de ces provinces à partir d’août 1998 par les forces
rwandaises et ougandaises, ce minerai a été exporté de la RDC via le Rwanda et
l’Ouganda.
463
Ibidem, p. 89.
464
Cf. Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses
de la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 25, tableau 4.
465
Cf. Ibidem, pp. 49-50.
466
Cf. GLOBAL WITNESS, La paix sous tension…, Op. cit., p. 25.
467
Ibidem, p. 4.
111
enregistrés par les fonctionnaires des douanes »468. Néanmoins, des registres d’un poste
de douane ougandais situé à la frontière entre la RDC et l’Ouganda, indiquent que 30 kg
et 151 fûts de cassitérite ont été exportés de la RDC en Ouganda, respectivement en 1999
et en 2000469. D’après Global Witness, cette cassitérite en provenance des zones occupées
par les forces ougandaises était souvent transportée par navire de Mombasa et Dar-es-
Salaam vers l’Europe470.
468
Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de
la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 32, § 139.
469
Cf. Ibidem, p. 24, § 102.
470
Cf. GLOBAL WITNESS, S.O.S. Toujours la même histoire…, Op. cit., p. 22.
471
Cf. Idem, « Face à un fusil, que peut-on faire ? », Op.cit., p. 47.
472
Cf. Rapport final du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo, S/2009/603, du 23
novembre 2009, p. 44, § 164.
473
Cf. GLOBAL WITNESS, « Face à un fusil, que peut-on faire ? », Op. cit., pp. 54-55.
474
Cf. Idem, La paix sous tension…, Op. cit., p. 14.
112
2008, et que 4 730, 70 tonnes ont été exportées du Sud-Kivu en 2007475. Les entreprises
belges occupaient le premier rang de ces exportations. Il s’agissait principalement de
Trademet, Traxys, SDE, STI et Specialty Metals. D’autres sociétés étrangères étaient
également impliquées dans ce commerce de la cassitérite, notamment la société
thaïlandaise Thailand Smelting and Refining Corporation (THAISARCO), les sociétés
britanniques Amalgamated Metal Corporation (AMC) Group et Afrimex, la société
rwandaise Metal Processing Association(MPA), filiale de l’entreprise sud-africaine Kivu
Resources, ainsi que d’autres entreprises chinoises, indiennes, autrichiennes,
hollandaises, canadiennes et russes476. Il y a lieu de rappeler que les entreprises Trademet,
Specialty Metals, Afrimex, AMC et Malaysian Smelting Corporation figurent dans le
rapport final du Groupe d’experts de 2002 parmi les entreprises en violation des principes
directeurs de l’OCDE. Par ailleurs, Trademet, Traxys, Afrimex et THAISARCO sont
citées dans les rapports finals du Groupe d’experts sur la RDC, du 12 décembre 2008 et
du 23 novembre 2009, parmi les principales sociétés étrangères qui s’approvisionnaient
auprès des comptoirs en collaboration avec les groupes armés, en particulier les FDLR477.
Actuellement, les FDLR sont toujours présents dans des zones minières à
l’Est de la RDC. Les médias locaux annoncent régulièrement leurs attaques contre des
populations civiles autour des carrières minières478. Mais nous ne disposons pas de
statistiques pouvant nous permettre d’évaluer leur implication dans le commerce illicite
des minerais.
475
Cf. Division des Mines Nord-Kivu et Division des Mines Sud-Kivu, citées par GLOBAL WITNESS,
« Face à un fusil, que peut-on faire ? », Op. cit., pp.103, 105 et 106.
476
Cf. Ibidem, pp.66-67 et 102-106.
477
Cf. Rapport final du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo, S/2008/773, du 12
décembre 2008, p. 25, § 88 et Rapport final du Groupe d’experts sur la République démocratique du
Congo, S/2009/603, du 23 novembre 2009, p. 47, §§ 174-177.
478
Voir par exemple, « Sud-Kivu : les FDLR attaquent une carrière près de Kamituga, 2 morts et plusieurs
disparus », disponible sur
http://radiookapi.net/actualite/2011/08/12/sud-kivu-les-fdlr-attaquent-une-carriere-pres-de-kamituga-2-
morts-et-plusieurs-disparus/ consulté le 12 août 2011.
113
5. Wolframite
Exploitée au Nord-Kivu et au Sud-Kivu, la wolframite, appelée encore le
wolfram, est un minerai de tungstène479. La désignation « wolfram » « dérive de
l’allemand wolf rahm qui signifie ‘‘bave du loup’’ par allusion à son origine
magmatique »480.
Comme nous l’avons mentionné plus haut, la wolframite est en grande partie
extraite dans les zones contrôlées par les FDLR. D’après les statistiques officielles du
gouvernement congolais, les exportations de wolframite du Nord-Kivu avaient atteint
718, 7 tonnes (soit 27 018 628, 39 USD) en 2007 et 324, 42 tonnes, de janvier à
septembre 2008, alors que celles du Sud-Kivu, en 2007, s’élevaient à 455 tonnes482.
Parmi les entreprises étrangères qui se procuraient ce minerai figuraient encore une fois
en première position les sociétés belges Trademet et Specialty Metals. Il y avait
également d’autres entreprises comme Afrimex, THAISARCO,…483
479
Cf. GLOBAL WITNESS, « Face à un fusil, que peut-on faire ? », Op. cit., p. 24.
480
L. MUPEPELE MONTI, L’industrie minérale congolaise, Op. cit., p. 96.
481
Cf. Ibidem, p. 24.
482
Cf. Division des Mines Nord-Kivu et Division des Mines Sud-Kivu, citées par Ibidem, pp. 103, 105 et
106.
483
Cf. Ibidem, pp. 102-106.
484
Cf. Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses
de la République démocratique du Congo, Op. cit., pp. 8-9 et 14, §§ 35 et 63.
114
485
Cf. G. SAKATA, La gouvernance en matière de ressources naturelles. De la centralisation vers un
système décentralisé et participatif. Le cas de la République démocratique du Congo, Thèse de doctorat
(inédite), Louvain-la-Neuve, UCL, 2009, p. 21.
486
Cf. GLOBAL WITNESS, S.O.S. Toujours la même histoire…, Op. cit., p. 36. Lire également L.
DEBROUX et al. (sous la direction de), La forêt en République démocratique du Congo post-conflit.
Analyse d’un agenda prioritaire, Jakarta, CIFOR, 2007, p. 18.
487
Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de
la République démocratique du Congo, Op. cit., pp. 10 et 11, § 47 et 54.
488
Cf. Ibidem, pp. 10-11 et 12, §§ 48 et 54. Le bois traité au Nord-Kivu par DARA-Forest était transporté à
Mombasa via l’Ouganda par la société de fret TMK (Cf. Additif au rapport du Groupe d’experts sur
115
Pour tout dire, l’inquiétante exploitation illicite du bois d’œuvre dans cette
partie de la RDC y était liée à la présence des Ougandais (civils, militaires et sociétés)491.
Dans les zones contrôlées par le Rwanda, des Rwandais associés avec des
entreprises congolaises d’exploitation forestière se sont livrés à l’abattage du bois. Bien
que sans données chiffrées, le Groupe d’experts affirme qu’en dépit du mauvais état des
routes congolaises pour acheminer le bois des endroits éloignés dans la forêt, du bois
congolais était retrouvé au Rwanda et au Burundi492.
Enfin, le bois n’avait pas manqué d’être la cible des groupes armés, en
l’occurrence le CNDP et les FDLR, non seulement dans la production du bois d’œuvre,
mais surtout pour la fabrication du charbon de bois dans le parc des Virunga493. Il est
toutefois difficile d’en fournir des statistiques. D’une part, les véhicules transportant du
bois d’œuvre étaient le plus souvent escortés par des éléments armés et franchissaient les
frontières sans déclaration. D’autre part, le commerce du charbon relève généralement du
secteur informel. Il est ainsi pratiquement impossible d’en avoir des données chiffrées.
Durant les conflits armés, des parcs et réserves de faune ont été ravagés par
des forces occupantes. Par exemple, dans le secteur occupé par les forces ougandaises, il
y a lieu de signaler que près de 4 000 éléphants sur une population de 12 000 ont été tués
dans le parc de Garamba entre 1995 et 1999496. En avril 2000, environ trois tonnes de
défenses d’éléphants ont été transférées à Kampala avec la complicité des forces
ougandaises497. Au mois d’août de la même année, un colonel des UPDF et son escorte
ont été vus avec 800 kilogrammes de défenses dans leur véhicule près du Parc de
Garamba498.
494
Cf. G. SAKATA, Op. cit., p. 22. Lire également G. SAKATA, « Le droit forestier en République
démocratique du Congo », in Etudes juridiques de la FAO en ligne, juin 2008, p. 5, disponible sur
http://www.fao.org/legal/prs-ol/lpo72.pdf , consulté le 14 septembre 2011. Les sept parcs nationaux sont:
Virunga, Garamba, Kahuzi-Biega, Salonga, Upemba, Kundelungu et Maiko.
495
http://whc.unesco.org/fr/list/ consulté le 17 septembre 2011.
496
Cf. Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses
de la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 13, § 61.
497
Cf. Ibidem, p. 13, § 61.
498
Cf. Ibidem, p. 13, § 62.
499
Cf. Ibidem, p. 13, § 61.
500
Cf. Ibidem, p. 13, § 61.
117
commandants. Les éléphants et les hippopotames, qui étaient les plus visés, sont
aujourd’hui devenus rares501.
Section IV. Liens entre conflit armé et exploitation illicite des ressources naturelles
d’un Etat étranger
L’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat étranger peut être
une cause (§1) ou un moyen de poursuite (§2) d’un conflit armé.
Les Etats présentent des inégalités quant à leurs ressources naturelles. Les
grandes potentialités de ressources engendrent très souvent des convoitises de certains
Etats. Ces derniers en viennent à déclencher des conflits armés en vue de s’emparer d’une
bonne partie de ressources d’autres Etats. A ce propos, Colette Braeckman écrit au sujet
de la République démocratique du Congo : « Il y a bien longtemps que le sous-sol du
Congo aiguise les appétits. Dans un monde où l’intangibilité des frontières n’est plus un
dogme, plusieurs pays de la région, le Rwanda, l’Ouganda, le Zimbabwe, se sont pris à
rêver de bâtir leur développement à partir des ressources puisées chez leur voisin »502.
Parlant du « moteur de la guerre » en RDC, cette journaliste belge émet cette
considération : « L’appétit pour les richesses du pays, le désir d’y accéder à bas prix fut-il
la principale motivation de la deuxième guerre ? Les Congolais n’ont aucun doute à ce
501
Cf. C. PALUKU MASTAKI, « Effectivité de la protection de la biodiversité forestière en République
démocratique du Congo : Cas du Parc national des Virunga (PNVi) », in Etudes juridiques de la FAO en
ligne, février 2005, p. 19, disponible sur http://www.fao.org/legal/prs-ol/lpo43.pdf consulté le 14 septembre
2011.
502
C. BRAECKMAN, Les nouveaux prédateurs. Politique des puissances en Afrique centrale, Paris,
Fayard, 2003, p. 7.
118
sujet, et les trois rapports publiés par les Nations unies, consacrés au pillage des
ressources naturelles, les ont confortés dans cette idée »503.
Plus radicale est cette déclaration de Charles Onana : « La guerre qui fait des
millions de morts au Congo n’a rien d’ethnique ni de politique. Ce sont les minerais
stratégiques ou rares qui sont au cœur du bain de sang que les puissances mondiales
imposent au peuple congolais sous couvert de ‘‘rébellions’’ ou de lutte contre de
prétendus ‘‘génocidaires hutus’’. Parmi ces minerais, il y a la colombo-tantalite »504.
Charles Onana n’use d’aucun euphémisme pour dénoncer le fait que « les extrémistes
tutsi au pouvoir à Kigali pillent le Congo non seulement pour leur propre profit mais
aussi et d’abord pour celui des entreprises occidentales dont certaines opèrent tantôt
officiellement tantôt clandestinement à Kigali, la capitale du Rwanda »505.
Disons en passant que ce ne sont pas seulement les forces étrangères qui se
livraient à l’exploitation illicite des ressources naturelles de la RDC. Même des groupes
armés locaux ont fait des ressources naturelles leur objectif. A ce sujet, le cas des groupes
armés qui ont lutté pour l’or de l’Ituri, entre 2002 et 2004, est plus que révélateur506.
503
Ibidem, p. 187.
504
CH. ONANA, Ces tueurs tutsi. Au cœur de la tragédie congolaise, Paris, Duboiris, 2009, p. 121. Cette
position de Charles Onana n’est pas très différente de celle de Lansana Gberie concernant le conflit sierra
léonais, dont il dit : « La guerre en Sierra Leone n’était ni une ‘‘rébellion’’ dans le sens d’une insurrection
interne, ni une ‘‘guerre civile’’ dans le sens d’une lutte pour des objectifs politiques compréhensibles et
réalisables. C’était plutôt un chapitre du récit sans fin de l’escalade de la violence régionale et de la terreur,
engendrées en grande partie par des intérêts économiques criminels, la plupart étant inspirés et contrôlés
par Charles Taylor » ( L. GBERIE, « Art. cit. », p. 3).
505
CH. ONANA, Op. cit., p. 150.
506
Cf. HUMAN RIGHTS WATCH, Le fléau de l’or. République démocratique du Congo, Op. cit., pp. 22
et ss.
119
des ressources naturelles »507. Dans le même sens, le rapport poursuit : « Des nombreux
récits entendus à Kampala, il ressort que les partisans de la décision de s’engager dans
le conflit en août 1998 se recrutaient parmi les officiers supérieurs qui avaient servi dans
l’est du Zaïre pendant la première guerre et qui avaient déjà une idée des bonnes affaires
que l’on pouvait réaliser dans la région. Certains témoins clefs, qui avaient servi dans les
premiers mois du conflit dans les rangs de la faction rebelle du Rassemblement congolais
pour la Démocratie (RCD), ont dit que les forces ougandaises se tenaient prêtes à entrer
dans le pays et à occuper les régions dans lesquelles étaient situées les mines d’or et de
diamants »508.
Officiellement, les Etats qui sont intervenus en RDC ont justifié leurs
activités armées sur ce territoire par des impératifs sécuritaires. Le rapport du Groupe
d’experts du 12 avril 2001 lève toute équivoque lorsqu’il mentionne que tout indique, à
propos de l’intervention ougandaise en RDC, que certains officiers de l’état-major, en
l’occurrence les généraux Salim Saleh et James Kazini, avaient sans nul doute des
desseins plus obscurs, à savoir des objectifs économiques et financiers509. Concernant le
Rwanda, Alain Deneault et ses collaborateurs révèlent que « la crainte des génocidaires
postés aux frontières rwandaises a aussi valeur d’alibi : le tracé de l’incursion et la
rapidité avec laquelle les armées investissent villes et régions à forte concentration
minière attestent qu’il y va d’intérêts d’une autre nature »510. Ces « intérêts d’une autre
nature » sont évidemment économiques (miniers).
507
Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de
la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 6, § 21.
508
Ibidem, p. 7, § 27.
509
Cf. Ibidem, p. 7, § 28.
510
A. DENEAULT et al., Op. cit., p. 59.
511
A. TURBANSKA, « Les diamants furent la cause de la guerre civile en Sierra Leone », disponible sur
http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse?codeAnalyse=848 consulté le 9 avril 2012.
120
Sierra Leone. Nous avons toujours dit que ce conflit ne concerne pas une question
idéologique ni des divergences de nature tribale ou régionale. Il n’a rien à voir avec ce
que l’on appelle le problème de jeunes marginalisés et ne constitue pas, comme l’ont
décrit des commentateurs politiques, un soulèvement de pauvres des campagnes contre
l’élite des villes. La racine du conflit est et demeure les diamants, les diamants, les
diamants »512.
Dans un conflit armé ayant pour cible les ressources naturelles, « les
combattants peuvent être traités comme des entrepreneurs de la guerre voire comme des
agents rationnels faisant des calculs coûts/avantages »513. Effectivement, « certains chefs
d’Etat comme Taylor sont devenus des entrepreneurs de la guerre. Les avantages
économiques attendus de la guerre civile sont le pillage, la protection moyennant
rémunération (Libéria, Somalie), les profits liés au commerce des armes, des aliments ou
des narcodollars […] ou les avantages des combattants ‘‘se payant sur la bête’’ »514.
Dans une large mesure, la soif des ressources naturelles d’autres Etats
constitue, comme nous venons de le relever, l’une des causes principales des conflits
armés en Afrique. Mais, il existe également des liens entre l’exploitation des ressources
naturelles et la poursuite de ces conflits, qu’il convient d’examiner.
§2. Exploitation des ressources naturelles, moyen de poursuite d’un conflit armé
Nul n’ignore qu’un conflit armé exige d’énormes moyens financiers pour
l’achat des armes et autres matériels militaires, le paiement de la solde, etc. En Afrique,
les Etats impliqués dans des conflits armés sont généralement pauvres et ne pourraient
512
4168e séance du Conseil de sécurité, Intervention de M. Kamara, S/PV. 4168, 5 juillet 2000, p. 2. Dans
un sens plus ou moins contraire, David J. Francis considère qu’ « il est plutôt simpliste de réduire les causes
de la guerre civile en Sierra Leone aux diamants de la guerre ou à l’appât du gain, même si telle est
l’analyse qui a guidé les décideurs politiques internationaux dans leurs réactions. […] Il est certain que le
trafic de diamants a contribué à alimenter et à pérenniser les combats, mais cela n’en fait pas d’eux la cause
première. Il serait plus plausible de penser que l’exclusion économique et politique, l’injustice sociale et
des doléances plus fondamentales sont à la base de la guerre qui déchire actuellement la Sierra Leone » (D.
J. FRANCIS, « Le vrai rôle des diamants dans la guerre civile », in Le courrier ACP-UE, juillet-août 2001,
p. 74). Tout en stigmatisant la réduction des causes du conflit armé sierra léonais aux diamants, l’auteur
semble insinuer que les diamants en constituent l’une des multiples causes.
513
PH. HUGON, « Les conflits armés en Afrique : mythes et limites de l’analyse économique », in Tiers-
Monde, 2003, tome 44, n°176, p. 832.
514
Ibidem, p. 839.
121
normalement pas faire face aux dépenses militaires. S’agissant du conflit en RDC, le
rapport du Groupe d’experts du 12 avril 2001 révèle que ces dépenses sont très
supérieures aux montants inscrits aux budgets de différents Etats « agresseurs »515.
C’est dire qu’avec les montants inscrits aux budgets, le conflit n’aurait pas pu
se poursuivre. En guise d’exemple, « l’Ouganda a dépensé en 1999 environ 126 millions
de dollars pour ses forces armées, soit environ 16 millions de dollars de plus que le
montant inscrit au budget »516. La situation fut quasiment pareille au Rwanda. La
question qui se pose est de connaître la source de financements supplémentaires qui ont
permis la poursuite du conflit armé.
A ce sujet, force est de noter cette description quelque peu cynique du conflit
armé en République démocratique du Congo par le Président rwandais Paul Kagame
comme « un conflit qui s’autofinance »517. Pour le dire clairement, les forces occupantes
exploitaient illicitement les ressources naturelles du territoire occupé pour financer leurs
opérations militaires. Le matériel militaire était obtenu par trois moyens : « a) l’achat
direct contre paiement d’armes et de matériel ; b) le troc (c’est-à-dire l’obtention d’armes
contre des concessions d’exploitation minière) ; et c) la création de coentreprises »518.
De ce qui précède, il ressort qu’il existe un lien étroit entre la poursuite des
conflits armés et l’exploitation illicite des ressources naturelles519.
Parlant du conflit en RDC, Anne Renauld ne tarde pas de relever que « les
ressources naturelles sont devenues l’enjeu du conflit congolais »520. En effet, mentionne-
t-elle, « la particularité de cette guerre est d’avoir été financée, en partie au moins, par
le biais de l’exploitation des ressources naturelles dont le sous-sol congolais regorge.
Cuivre, cobalt, fer, zinc, niobium, uranium, or, diamant, coltan : le Congo apparaît
515
Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de
la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 28, § 109.
516
Ibidem, p. 29, § 117.
517
Ibidem, p. 28, § 114.
518
Ibidem, p. 30, § 125.
519
Certaines ressources naturelles jouent un rôle très complexe dans le cadre d’un conflit armé. Ainsi, par
exemples, « les forêts peuvent être le lieu du conflit, un objet de litige ou un moyen de financer le conflit »
(FAO, Les forêts et les conflits, Rome, FAO, 2009, p. 12).
520
RENAULD, A., République démocratique du Congo. Ressources naturelles et transferts d’armes,
disponible sur www.grip.org , p.7, consulté le 11 janvier 2010.
122
comme un ‘‘géant minier’’ dont la richesse attise toutes les convoitises et permet, outre
l’enrichissement personnel, la conquête du pouvoir »521.
521
Ibidem, p. 7.
522
CS/ 2229, 14 décembe 2001, p. 1.
523
Cf. Ibidem, p. 1.
524
Cf. Ibidem, p. 1.
525
S/RES/ 1341 (2001), 22 février 2001, p. 1.
123
région et exige donc que tous les Etats concernés prennent immédiatement des mesures
pour mettre fin à ces activités illégales qui perpétuent le conflit, entravent le
développement économique de la République démocratique du Congo et exacerbent les
souffrances de sa population »526.
Dans le cadre des conflits armés en Afrique de l’Ouest, le rôle joué par
l’exploitation illicite des ressources naturelles a été souligné à maintes reprises par le
Conseil de sécurité. En guise d’exemples, sur la situation en Sierra Leone, la résolution
1306 (2000), du 5 juillet 2000, énonce : « Le Conseil de Sécurité,[…] Se déclarant
préoccupé par le rôle que joue le commerce illégal des diamants en alimentant le conflit
en Sierra Leone, et par des informations indiquant que ces diamants transitent par des
pays voisins, notamment par le territoire du Libéria […] »527. Dans la résolution 1459
(2003), du 28 janvier 2003, « le Conseil de sécurité […] Soulignant en outre qu’il
importe de prévenir les conflits en combattant le commerce illicite de diamants bruts qui
les entretient, ce qui est la vocation même du Processus de Kimberley […] Appuie
pleinement le système de certification du Processus de Kimberley, de même que le
processus en cours visant à l’améliorer et à l’appliquer, que la Conférence d’Interlaken
a adopté comme un instrument précieux pour lutter contre le trafic de diamants des
conflits, en attend l’application avec intérêt et encourage vivement les participants au
Processus à régler les questions encore en suspens »528. Concernant la situation au
Libéria et en Afrique de l’Ouest, dans la résolution 1521 (2003), du 22 décembre 2003, le
Conseil de sécurité reconnaît « le lien entre l’exploitation illégale des ressources
naturelles, comme les diamants et le bois, le commerce illicite de ces ressources et la
prolifération et le trafic d’armes illégales qui contribuent grandement à attiser et
exacerber les conflits en Afrique de l’Ouest, en particulier au Libéria […] »529. Par
ailleurs, ce lien est exprimé notamment par la résolution 1643 (2005), du 15 décembre
526
S/ RES/ 1457 (2003), 24 janvier 2003, pp. 1-2. Voir également : S/ RES/ 1533(2004), 12 mars 2004, p.
2, § 6 ; S/ RES/ 1616 (2005), 15 août 205, p. 1 ; S/RES/ 1625 (2005), 14 septembre 2005, p. 3 ; S/ RES/
1698 (2006), 31 juillet 2006, p.1 ; S/ RES/ 1856 (2008), 22 décembre 2008, p. 2 ; etc.
527
S/ RES/ 1306 (2000), 5 juillet 2000, p. 1. Voir également S/ RES/ 1343 (2001), 7 mars 2001, p. 2.
528
S/ RES/ 1459 (2003), 28 janvier 2003, pp. 1-2, alinéa 1-2 et § 1.
529
S/ RES/ 1521 (2003), 22 décembre 2003, p. 1. Voir également S/ RES/ 1579 (2004), 21 décembre 2001,
p. 1.
124
2005, concernant la Côte-d’Ivoire, en ces termes : « […] conscient que le lien entre
l’exploitation illégale des ressources naturelles, comme les diamants, le commerce illicite
de ces ressources, et la prolifération et le trafic d’armes et le recrutement et l’utilisation
de mercenaires est l’un des facteurs qui contribuent à attiser et exacerber les conflits en
Afrique de l’Ouest […] »530.
L’Assemblée générale des Nations Unies n’est pas restée insensible au lien
entre les conflits armés et l’exploitation illicite des ressources naturelles. A ce sujet, par
exemple, elle a adopté la résolution 55/56, du 29 janvier 2001, intitulée « Le rôle des
diamants dans les conflits : briser le lien entre le négoce illicite des diamants bruts et les
conflits armés afin de contribuer à la prévention et au règlement des conflits »531. Dans
cette résolution, l’Assemblée générale exprime son inquiétude devant le fait que les
diamants du sang alimentent les conflits armés dans un certain nombre de pays, et que ces
conflits ont des conséquences dévastatrices pour la paix et la sécurité des populations des
pays touchés532. Elle est consciente que les diamants provenant de zones de conflit sont
des diamants bruts utilisés par les mouvements rebelles pour financer leurs activités
militaires, en particulier des tentatives visant à ébranler ou renverser des gouvernements
légitimes ; et que le problème des diamants provenant de zones de conflit est un sujet de
grave préoccupation à l’échelle internationale, et que les mesures propres à porter remède
à ce problème devraient mobiliser toutes les parties concernées, y compris les pays qui
produisent, travaillent, exportent et importent ces diamants, de même que l’industrie du
diamant533. Elle reconnaît qu’il faut s’attaquer au problème posé par les diamants bruts en
provenance de territoires appartenant à des pays producteurs de diamants qu'occupent
530
S/ RES/1643 (2005), 15 décembre 2005, p. 2.
531
A/RES/55/56, 29 janvier 2001.
532
Cf. Ibidem, alinéa 2, p. 1.
533
Cf. Ibidem, alinéas 3 et 6, p. 1.
125
militairement d'autres pays, bien sûr, en conformité avec le droit international534. C’est
cette résolution qui a été à l’origine du Système de Certification du Processus de
Kimberley sur les diamants bruts(SCPK)535. Par sa résolution 56/263, du 9 avril 2002,
portant le même titre que la résolution 55/56, l’Assemblée générale, après avoir considéré
« les conséquences dévastatrices des conflits alimentés par le commerce des diamants du
sang sur la paix, la sûreté et la sécurité des populations des pays touchés… »536, a
encouragé et appuyé le processus de Kimberley537.
Au bout de cette analyse, il importe de souligner que les liens entre conflit
armé et exploitation illicite des ressources naturelles (cause ou moyen de poursuite du
conflit armé) ne doivent pas toujours être considérés dans un « isolationnisme clinique ».
Au fait, dans la pratique, l’exploitation des ressources naturelles peut être à la fois une
cause et un moyen de poursuite d’un conflit armé. Pour reprendre l’heureuse expression
de Philippe Hugon, « les facteurs économiques jouent un rôle essentiel à la fois comme
enjeux et comme mode de financement des conflits (le nerf de la guerre) »539. Tels furent
les cas dans les conflits armés en Sierra Leone et en RDC, ainsi que nous l’avons relevé.
534
Cf. Ibidem, alinéa 8, p. 1.
535
« Création et mise en application d’un système international simple et fonctionnel de délivrance de
certificats pour les diamants bruts » (Cf. A/RES/55/56, 29 janvier 2001, point 3, a), p. 2). Nous
n’analyserons pas le SCPK parmi les règles applicables aux Etats car il n’est pas juridiquement
contraignant. En effet, il a été adopté par la Déclaration d’Interlaken du 5 novembre 2002, un instrument
qui ‘‘ use hortatory language, more particularly, the word ‘should’ instead of ‘shall’’’. (Voir J.
PAUWELYN, ‘‘WTO Compassion or Superiority Complex ?: What to make of the WTO Waiver for
‘Conflict diamonds’’’, in Michigan Journal of International Law, Vol. 24, 2002-2003, pp. 1193-1196).
536
A/RES/56/263, 9 avril 2002, p. 1.
537
Cf. Ibidem, pp. 2-3, §§ 1-9.
538
Cf. A/ 61/ L. 41, 1er décembre 2006.
539
PH. HUGON, « Art. cit. », p. 839.
126
540
G. CARBONNIER, « Comment conjurer la malédiction des ressources naturelles ? », in Annuaire suisse
de politique de développement, Vol. 26, n°2/2007, p. 84.
541
T.L. KARL cité par Ibidem, p. 84.
542
‘‘Why Is Natural Resource Abundance a Trap ?’’ (P. COLLIER, The Bottom Billion, Op. cit., pp. 50-
52).
543
S. MARYSSE et C. ANDRE, « Art. cit. », p. 308.
544
J.-F. ORRU et al., « Art. cit. », p. 173.
545
G. CARBONNIER, « Art. cit. », p. 87.
127
ne vient pas des ressources mais plutôt des dirigeants »546. Et dans un sens tout à fait
positif, Charles-Philippe David et Jean-François Gagné observent que ‘‘ [n]atural
resources can be a source of development rather than a source of conflict’’547.
546
PH. LE BILLON, « Matières premières, violences et conflits armés », in Tiers-Monde, tome 44, n°174,
2003, p. 317.
547
CH.-PH. DAVID et J.-F. GAGNE, ‘‘Natural resources. A source of conflict?’’, in International Journal,
62/2006-2007, p. 17.
128
La protection des ressources naturelles d’un Etat par le droit international doit
être assurée en tout temps, c’est-à-dire en temps de paix et en temps de conflit armé548
(section I). Cependant, en cas de conflit armé, certaines règles spécifiques sont
d’application (section II).
La protection des ressources naturelles d’un Etat est assurée en tout temps par
des règles générales conventionnelles ou coutumières (§1) et par des règles particulières
constituant une réaction des Etats au phénomène d’exploitation illicite des ressources
naturelles (§2). Etant donné le foisonnement des règles de Soft Law en cette matière, nous
ne nous concentrerons que sur les règles juridiquement obligatoires qui nous semblent les
plus pertinentes. Cela ne nous empêche pas de faire référence aux règles de nature
politique (par exemple, des résolutions du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale
des Nations unies,…) en tant que moyen d’interprétation du droit international.
548
Selon Jean d’Aspremont, ‘‘the platform offered by international humanitarian law to develop a
regulatory framework for natural resources brigandage has quickly shown its limits and alternative routes
have been devised. Mention is briefly made here of:
(1) International human rights law;
(2) International criminal law;
(3) The principle of permanent sovereignty over natural resources;
(4) The law of collective security;
(5) Environmental law; and
(6) Due diligence’’ (J. D’ASPREMONT, ‘‘Towards an International Law of Brigandage: Interpretative
Engineering for the Regulation of Natural Resources Exploitation’’, in Asian Journal of International Law,
Vol. 3, 2013, p. 8).
129
L’une des innovations spectaculaires de la Charte des Nations unies est sans
doute l’affirmation du principe de l’interdiction du recours à la force (Jus contra bellum)
« comme une règle de droit général, s’imposant à tous les membres de la communauté
internationale »549. En effet, selon le prescrit de l’article 2, § 4, « [l]es Membres de
l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace
ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de
tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations unies »550.
549
J. VERHOEVEN, Droit international public, Bruxelles, Larcier, 2000, p. 670.
550
D’après la doctrine et la jurisprudence, cette règle a un caractère coutumier, même si son expression
n’oblige formellement que les Etats membres de l’ONU ; c’est une norme de jus cogens (Cf. J.
VERHOEVEN, Op. cit., p. 671 et E. CANAL-FORGUES et P. RAMBAUD, Droit international public,
Paris, Flammarion, 2007, p. 318). La CIJ a confirmé le caractère coutumier de la prohibition de l’emploi de
la force dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci. Elle a en
outre appuyé l’opinion de la Commission du droit international (CDI) selon laquelle « le droit de la Charte
concernant l'interdiction de l'emploi de la force constitue en soi un exemple frappant d'une règle de droit
international qui relève du jus cogens » (paragraphe 1 du commentaire de la Commission sur l'article 50 de
ses projets d'articles sur le droit des traités, Annuaire de la Commission, 1966-II, p. 270) ( Activités
militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique), fond,
arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 100, § 190).
551
P. DAILLIER, M. FORTEAU et A. PELLET, Droit international public (8e édition), Paris, L.G.D.J.,
2009, p. 1035.
552
J. VERHOEVEN, Op. cit., p. 672.
130
Au chapitre précédent, nous avons synthétisé les liens entre conflit armé et
exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat étranger en ce sens que celle-ci
peut ou bien être une cause du conflit, ou bien être un moyen de poursuite, de
continuation du conflit. De nos jours, dans la plupart des cas, l’exploitation illicite des
ressources naturelles d’un Etat étranger intervient en cas de conflit armé, mieux, en cas
de violation de la règle de la prohibition du recours à la force.
Si cette règle n’était pas consacrée par le droit des gens, l’on comprend
combien plus grande serait, pour certains Etats militairement puissants, la volonté de
déclencher des conflits armés pour s’emparer des ressources naturelles d’autres Etats. De
toute évidence, le principe de non recours à la force constitue un frein à ces velléités de
pillage des ressources naturelles des Etats étrangers. Autrement dit, si la Communauté
internationale parvenait à faire respecter ce principe, il n’y aurait pas de conflit armé avec
553
Cf. D. CARREAU, Droit international (10e édition), Op. cit., p. 516 et J. VERHOEVEN, Op. cit., p.
679.
554
Voir par exemple H. WEHBERG, « L’interdiction du recours à la force. Le principe et les problèmes
qui se posent », in R.C.A.D.I., 1951-I, Vol. 78, pp. 7- 121 ; W. WENGLER, « L’interdiction du recours à la
force. Problèmes et tendances », in R.B.D.I., 1971, pp. 401-450 ; J. ZOUREK, L’interdiction de l’emploi de
la force en droit international, Leyde, Sijthoff, 1974 ; R. HIGGINS, « The Legal Limits to the Use of Force
by Sovereign States. UN Practice », in BYbIL, 1961, pp. 269- 319 ; M. VIRALLY, « Commentaire de
l’article 2, § 4, de la Charte », in J.-P. COT et A. PELLET (éditeurs), La Charte des Nations Unies (2e
édition), Paris, Economica, 1991, pp. 115- 128 ; O. CORTEN, « L’interdiction du recours à la force dans
les relations internationales est-elle opposable aux groupes ‘‘ terroristes’’ ? », in R. BEN ACHOUR et S.
LAGHMANI (Sous la direction de), Op.cit., pp. 129-159 ; R. VAN STEENBERGHE, « L’arrêt de la Cour
internationale de Justice dans l’affaire des activités armées sur le territoire du Congo et le recours à la force.
Conclusions (implicites) de la Cour », in R.B.D.I., 2006/2, pp. 671-702 ; R. VAN
STEENBERGHE, « L’emploi de la force en Libye : questions de droit international et de droit belge », in
Journal des Tribunaux, n°6444, juillet 2011, pp. 529-537 ; R. VAN STEENBERGHE, La légitime défense
en droit international public, Bruxelles, Larcier, 2012 ; M. ROSCINI, « Threats of Armed Force and
Contemporary International Law », in NILR, 2007, 229- 278 ; N. STURCHLER, The Threat of Force in
International Law, Cambridge, CUP, 2007 ; etc.
131
555
Cf. D. ROSENBERG, Le principe de souveraineté des Etats sur leurs ressources naturelles, Paris,
L.G.D.J., 1983, p. 118. Pour ces Etats, « Pas d’indépendance politique sans indépendance économique ».
Ainsi donc, l’émancipation économique est le complément nécessaire de l’indépendance politique (Cf.
Ibidem, p. 130).
556
J. SALMON (sous la direction de), Dictionnaire de droit international public, Op. cit., p. 1046.
132
557
Voir par exemple, « Article 4, alinéa e) : Souveraineté permanente intégrale de chaque Etat sur ses
ressources naturelles et sur toutes les activités économiques. En vue de sauvegarder ces ressources, chaque
Etat est en droit d’exercer un contrôle efficace sur celles-ci et sur leur exploitation par les moyens
appropriés à sa situation particulière, y compris le droit de nationaliser ou de transférer la propriété à ses
ressortissants, ce droit étant une expression de la souveraineté permanente intégrale de l’Etat. Aucun Etat
ne peut être soumis à une coercition économique, politique ou autre visant à empêcher l’exercice libre et
complet de ce droit inaliénable » (Déclaration relative à l’instauration d’un nouvel ordre économique
international, Résolution 3201 (S. VI), du 1er mai 1974) ; « 2-1. Chaque Etat détient et exerce librement une
souveraineté entière et permanente sur toutes ses richesses, ressources naturelles et activités économiques,
y compris la possession et le droit de les utiliser et d’en disposer (Charte des droits et devoirs économiques
des Etats, A/RES/3281 (XXIX)- 12 décembre 1974) ; « Article 1er-2. Le droit de l’homme au
développement suppose aussi la pleine réalisation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, qui
comprend, sous réserve des dispositions pertinentes des deux Pactes internationaux relatifs aux droits de
l’homme, l’exercice de leur droit inaliénable à la pleine souveraineté sur toutes leurs richesses et leurs
ressources naturelles. » (Déclaration sur le droit au développement, A/ RES/41/128- 4 décembre 1986), etc.
558
O. Y. SAMOAH cité par D. ROSENBERG, Op. cit., p. 198.
559
Cf. G. FISCHER, « La souveraineté sur les ressources naturelles », in A.F.D.I., Vol. 8, 1962, p. 517.
560
M. PETREN cité par D. ROSENBERG, Op. cit., p. 198.
133
son ou ses destinataires, une invitation à adopter un comportement déterminé561. Elle est
de ce fait facultative, non contraignante. En revanche, la déclaration est une résolution
par laquelle l’Organisation des Nations unies affirme la valeur juridique de certains
principes562. Elle leur confère une force juridique. Pour cette partie de la doctrine, les
déclarations de l’Assemblée générale énoncent des règles qui font partie du droit
international coutumier. En effet, ces déclarations confirment une pratique et une
certaine opinio juris des Etats563.
561
Cf. M. VIRALLY, « La valeur juridique des recommandations des organisations internationales », in
A.F.D.I., Vol. 2, 1956, p. 68.
562
Cf. Ibidem., p. 68.
563
Cf. D. ROSENBERG, Op. cit., pp. 202- 206.
564
Cf. Affaire Texaco-Calasiatic c. Gouvernement libyen, Sentence arbitrale au fond du 19 janvier 1977, in
Journal du droit international, Vol. 104, 1977, p. 376, § 83. Un brillant commentaire de cette sentence
arbitrale a été réalisé par J.-F. LALIVE, « Un grand arbitrage pétrolier entre un Gouvernement et deux
sociétés privées étrangères (Arbitrage Texaco/ Calasiatic c/ Gouvernement Libyen) », in Journal du droit
international, Vol. 104, 1977, pp. 319- 389. Voir également G. COHEN-JONATHAN, « L'arbitrage
Texaco-Calasiatic contre Gouvernement Libyen; décision au fond du 19 janvier 1977 », A.F.D.I., Volume
23, 1977, pp. 452-479 ; J. VERHOEVEN, « Droit international des contrats et droit des gens. (A propos de
la sentence rendue le 19 janvier 1977 en l’affaire California Asiatic Oil Company et Texaco Overseas Oil
Company c. Etat libyen) », in R.B.D.I., Vol. 14, 1978-1979-1, pp. 209-230.
565
Cf. Affaire Texaco-Calasiatic c. Gouvernement libyen, p. 376, § 83.
134
566
Cf. Ibidem, p. 376, § 84.
567
Cf. Ibidem, pp. 377-378, § 85-86.
568
Ibidem, p. 378, § 86.
569
Cf. Ibidem, p. 379, § 87.
570
Ibidem, p. 378, § 87.
571
Ibidem, p. 378, § 87.
572
Ibidem, p. 379, § 87.
135
celles-ci n’ont cette valeur ‘‘ de lege ferenda’’ qu’aux yeux des Etats qui les ont adoptés ;
pour les autres, le rejet de ces mêmes principes implique qu’ils les considèrent comme
allant ‘‘ contra legem’’ »573.
Appliquant les deux critères, le Tribunal conclut que «si la résolution 1803
(XVII) apparaît dans une large mesure comme la manifestation d’une volonté générale
réelle, il n’en est rien en ce qui concerne les autres résolutions précitées »574.
573
Ibidem, p. 378, § 87.
574
Ibidem, p. 379, § 88.
575
Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt,
C.I.J. Recueil 2005, pp. 251, § 244.
136
l’exploitation de certaines ressources naturelles par des membres de l’armée d’un Etat
intervenant militairement sur le territoire d’un autre Etat […]. La Cour n’estime pas que
ce principe s’applique à ce type de situation »576.
576
Ibidem, pp. 251-252, § 244.
577
Ibidem, § 231.
578
Ibidem, Opinion dissidente de M. le juge Kateka, § 56, disponible sur http://www.icj-
cij.org/docket/files/116/10473.pdf consulté le 25 novembre 2013. Par son observation finale, J. L. Kateka
voudrait insister sur le fait que, à son avis, le droit de propriété qu’exerce un Etat indépendant sur ses
ressources naturelles ne peut pas être qualifié de souveraineté permanente sur les ressources naturelles, ce
dernier concept n’étant applicable que dans un contexte de décolonisation. Nous ne partageons pas cet avis
pour des raisons que nous avancerons dans les lignes suivantes.
579
P. DAILLIER, M. FORTEAU et A. PELLET, Op.cit., p. 580.
137
580
Voir inter alia : PH. COPPENS, Normes et fonction de juger, Bruxelles/ Paris, Bruylant/L.G.D.J., 1998,
pp. 101-116 ; J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit (3e édition), Paris, Dalloz, 1999, pp. 245-256 ; H.
BATIFFOL, « Questions de l’interprétation juridique », in L’interprétation dans le droit, in Archives de
Philosophie du Droit, n°17, 1972, pp. 9-27 ; CH. PERELMAN, « L’interprétation juridique », in Ibidem,
pp. 29-37 ; M. VILLEY, « Modes classiques d’interprétation du droit », in Ibidem, pp. 71-88 ; F. OST,
« Interprétation », in Vocabulaire fondamental du droit, in Archives de Philosophie du Droit, Tome 35,
1990, pp. 165-190 ; C. SANTULLI, « Rapport général » du dossier Les techniques interprétatives de la
norme internationale, in R.G.D.I.P., Tome 115, 2011/2, pp. 297-308 ; P. BRUNET, « Aspects théoriques et
philosophiques de l’interprétation normative », in Ibidem, pp. 311-327 ; B. REMY, « Techniques
interprétatives et systèmes de droit », in Ibidem, pp. 329-347 ; O. CORTEN, « Les techniques reproduites
aux articles 31 à 33 des Conventions de Vienne : approche objectiviste ou approche volontariste de
l’interprétation ? », in Ibidem, pp. 351-372 ; G. DISTEFANO, « L’interprétation évolutive de la norme
internationale », in Ibidem, pp. 373-396 ; M. FORTEAU, « Les techniques interprétatives de la Cour
internationale de Justice », in Ibidem,, pp. 399-416 ; G. GUILLAUME, « Discutant », in Ibidem, pp. 417-
420 ; M. UBEDA-SAILLARD, « Les techniques interprétatives des tribunaux pénaux internationaux », in
Ibidem, pp. 421-434 ; F. LATTANZI, « Discutant », in Ibidem, pp. 435-458 ; F. LATTY, « Les techniques
interprétatives du CIRDI », in Ibidem,, pp. 459-480 ; S. TOUZE, « Les techniques interprétatives des
organes de protection des droits de l’homme », in Ibidem,, pp. 517-532 ; F. TULKENS, « Discutant », in
Ibidem, pp. 533-540 ; PH. WECKEL, « Conclusions générales », in Ibidem, pp. 541-549.
138
581
J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit, Op. cit., pp. 251-252.
582
C. SANTULLI, « Rapport général » du dossier Les techniques interprétatives de la norme
internationale, « Art. cit. », p. 297.
583
« Article 31
Règle générale d’interprétation
1. Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans
leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.
2. Aux fins de l’interprétation d’un traité, le contexte comprend, outre le texte, préambule et annexes
inclus:
a) Tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre toutes les parties à l’occasion de la
conclusion du traité;
b) Tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l’occasion de la conclusion du traité et accepté par
les autres parties en tant qu’instrument ayant rapport au traité.
3. Il sera tenu compte, en même temps que du contexte :
a) De tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l’interprétation du traité ou de
l’application de ses dispositions;
b) De toute pratique ultérieurement suivie dans l’application du traité par laquelle est établi l’accord des
parties à l’égard de l’interprétation du traité;
c) De toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties.
4. Un terme sera entendu dans un sens particulier s’il est établi que telle était l’intention des parties.
Article 32
Moyens complémentaires d’interprétation
Il peut être fait appel à des moyens complémentaires d’interprétation, et notamment aux travaux
préparatoires et aux circonstances dans lesquelles le traité a été conclu, en vue, soit de confirmer le sens
139
qui seront applicables, mutatis mutandis, au principe de souveraineté permanente sur les
ressources naturelles. Il va sans dire que les principes des articles 31 et 32 de la
Convention de Vienne sur le droit des traités rejoignent pratiquement les grandes
méthodes d’interprétation (grammaticale et logique, psychologique, téléologique, et
historique ou évolutive) expliquées ci-avant. Dans les développements suivants, nous
reprendrons parfois les termes des articles 31 et 32 en cas de besoin, mais nous utiliserons
plus fréquemmment des expressions génériques comme interprétation littérale, évolutive,
etc.
résultant de l’application de l’article 31, soit de déterminer le sens lorsque l’interprétation donnée
conformément à l’article 31 :
a) Laisse le sens ambigu ou obscur; ou
b) Conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable ».
140
droit appartient à l’Etat, lequel doit l’exercer en vue du développement national (c’est-à-
dire étatique) et du bien-être de sa population.
584
Voir notamment l’article 58 de la Constitution de la RDC : « Tous les congolais ont le droit de jouir des
richesses nationales. L’Etat a le devoir de les redistribuer équitablement et de garantir le droit au
développement ». Il s’ensuit que lorsque l’Etat manque à son devoir, sa responsabilité peut être engagée.
585
D. ROSENBERG, Op. cit., pp. 129 et 137.
141
586
P.-M. DUPUY, Droit international public (9e édition), Paris, Dalloz, 2008, p. 747.
587
Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt,
C.I.J. Recueil 2005, p. 251, § 244.
142
588
Déclaration relative à l’instauration d’un nouvel ordre économique international, Résolution 3201 (S.
VI), du 1er mai 1974.
589
Charte des droits et devoirs économiques des Etats, A/RES/3281 (XXIX)- 12 décembre 1974.
590
Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt,
C.I.J. Recueil 2005, p. 251, § 242.
591
Ibidem, p. 252, § 244.
143
ressources naturelles d’un Etat en cas de conflit armé empêche l’Etat d’exercer sa
souveraineté sur ses ressources, car ne pouvant plus les utiliser librement et en disposer,
selon les termes de l’article 2-1 de la résolution 3281 (XXIX) de l’Assemblée générale.
Notre position selon laquelle le principe de souveraineté d’un Etat sur ses
ressources naturelles est invocable en tout temps (période coloniale ou postcoloniale,
temps de paix ou de conflit armé,…) se trouve du reste confortée par la déclaration jointe
à l’arrêt par le juge Koroma, dont nous mettons en exergue ce paragraphe fort édifiant :
592
R. KOLB et S. VITE, Le droit de l’occupation militaire. Perspectives historiques et enjeux juridiques
actuels, Bruxelles, Bruylant, 2009, pp. 433-434.
144
593
Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt,
C.I.J. Recueil 2005, Déclaration de M. le juge Koroma, pp. 289-290, § 11.
145
extremely vague standard of conduct that such a principle prescribes, in such situations.
Indeed, when a court of law has the choice between the application of an extremely vague
standard and a less vague one, it will usually be inclined to prefer the latter. It remains
that, despite all its normative deficiencies, scholars and individual judges have pursued
such argumentation with a view to offering a stricter framework for the exploitation of
natural resources in times of conflict. Such an interpretative construction has yet to be
endorsed in adjudicatory practice’’594.
594
J. D’ASPREMONT, ‘‘Towards an International Law of Brigandage: Interpretative Engineering for the
Regulation of Natural Resources Exploitation’’, ‘‘Art. cit.’’, pp. 11 et 13.
595
Détermination de la frontière maritime Guinée-Bissau/Sénégal, sentence arbitrale du 31 juillet 1989, in
R.G.D.I.P., tome 94, 1990, p. 232, § 39.
596
Cf. J. SALMON (sous la direction de), Op. cit., p. 1046 (voir Souveraineté territoriale).
146
indicatif, dans les résolutions 1291 (2000) et 1341 (2001), nous lisons : « Le Conseil de
Sécurité, […] Réaffirmant également la souveraineté de la République démocratique du
Congo sur ses ressources naturelles, et prenant note avec préoccupation des informations
faisant état de l’exploitation illégale des ressources du pays et des conséquences que
peuvent avoir ces activités sur la sécurité et la poursuite des hostilités […] »597. En plus,
dans la résolution 1457 (2003), du 24 janvier 2003, le Conseil sécurité, réaffirmant aussi
la souveraineté de la République démocratique du Congo sur ses ressources
naturelles,…Condamne catégoriquement l’exploitation illégale de ces ressources
naturelles598. La conclusion qui saute aux yeux est que le Conseil de sécurité considère
que l’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat viole sa souveraineté sur ces
ressources. C’est la raison pour laquelle il en fait une préoccupation et la condamne. Il
importe de relever que les résolutions indiquées ont été adoptées avant l’arrêt Congo c.
Ouganda (19 décembre 2005). Le Conseil de sécurité a-t-il changé de position après cet
arrêt ? Les éléments en notre possession ne nous permettent point de le croire. En effet,
cet arrêt intervient au moment où les forces d’occupation se sont déjà retirées
définitivement du territoire congolais, le 2 juin 2003599. Après cette décision de l’organe
judiciaire principal des Nations unies, le Conseil de sécurité n’a pas encore eu l’occasion
d’évoquer la violation par un quelconque Etat de la souveraineté de la République
démocratique du Congo sur ses ressources naturelles. Cependant, nous constatons que
dans des résolutions postérieures relatives à la situation dans ce pays, où les ressources
naturelles continuent de faire l’objet d’exploitation illicite par des groupes armés et des
milices, il rappelle ses résolutions précédentes600, y compris celles dans lesquelles il fait
référence à la souveraineté permanente de cet Etat sur ses ressources naturelles.
Bien plus, l’article 21, paragraphe 1er de la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples énonce : « Les peuples ont la libre disposition de leurs richesses
597
S/ RES/ 1291 (2000), du 24 février 2000, p. 1 et S/ RES/ 1341 (2001), 22 février 2001, p. 1. Voir
également S/RES/1332(2000), 14 décembre 2000 ; S/RES/ 1355(2001), 15 juin 2001 ; etc.
598
Cf. S/ RES/ 1457 (2003), du 24 janvier 2003, p. 1.
599
Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt,
C.I.J. Recueil 2005, p. 259, § 264.
600
Voir, par exemple, les résolutions 1856 (2008) et 1857 (2008), 22 décembre 2008, pp. 1 et 2.
147
et de leurs ressources naturelles. Ce droit s'exerce dans l'intérêt exclusif des populations.
En aucun cas, un peuple ne peut en être privé ».
L’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat étranger par d’autres
Etats, même en temps de conflit armé ou d’occupation, constitue une violation flagrante
de ce droit de souveraineté permanente d’un Etat sur les ressources naturelles. C’est sur
la base de cette séquence finale du paragraphe 1er de l’article 21 de la Charte africaine
sous examen que le juge Koroma a déclaré que l’exploitation illicite des ressources
naturelles d’un Etat par les forces d’occupation contrevient, selon lui, au principe de
601
souveraineté permanente sur les ressources naturelles . Evidemment lorsque les
peuples, mieux des citoyens, exerçaient des droits sur des ressources naturelles qui ont
été pillées, ils ont le droit d’agir contre l’Etat auteur ou complice, soit directement, soit
par leur Etat. C’est dans ce sens que, dans l’arrêt Congo c. Ouganda, « [l]a Cour observe
par ailleurs que tant la RDC que l’Ouganda sont parties à la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples, du 27 juin 1981, dont le paragraphe 2 de l’article 21 dispose:
‘‘En cas de spoliation, le peuple spolié a droit à la légitime récupération de ses biens ainsi
qu’à une indemnisation adéquate.’’ »602.
601
Cf. Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt,
C.I.J. Recueil 2005, Déclaration du juge Koroma, pp. 289-290, § 11.
602
Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt,
C.I.J. Recueil 2005, p. 252, § 245.
148
framework of accountability in conflict zones for holding all belligerents accountable for
actions taken that has adverse effects for the territory in question. Alteration of the
environmental quality, unsustainable patterns of resource exploitation all impact
adversely on the natural resources of the territory in question’’603.
603
PH. N. OKOWA, ‘‘Natural Resources in Situation of Armed Conflict: Is there a Coherent Framework
for Protection?’’, in International Community Law Review 9 (2007), pp. 257-258.
604
Cf. J. SALMON (sous la direction de), Op. cit., p. 766 (voir obligation de diligence). On parle parfois
d’obligation de « due diligence » ou obligation de « diligence due » (Cf. Ibidem, p. 341). Il s’agit de la
149
(ou d’autres sujets de droit international), leurs représentants et leurs ressortissants ou des
espaces, contre tout acte illicite perpétré par des particuliers, que ces actes se réalisent sur
son territoire ou sous sa juridiction ou sous son contrôle »605.
traduction littérale de l’expression anglaise ‘‘due diligence’’. En français, la préférence est accordée aux
expressions « obligation de diligence » ou « obligation de vigilance » (Cf. Ibidem, p. 341).
605
Ibidem, p. 770.
606
Cf. J. SALMON (sous la direction de), Op. cit., p. 769. Les auteurs des actes qui causent un dommage à
un Etat étranger peuvent être des organes d’un Etat, ainsi qu’on le verra à partir de l’affaire Congo c.
Ouganda et de l’affaire du Détroit de Corfou. Il nous semble trop restrictif de définir le manquement à une
obligation de vigilance uniquement par rapport à des faits commis par des particuliers. Néanmoins, nous
nous servirons de cette définition car notre recherche vise essentiellement à imputer les actes des personnes
privées (multinationales) aux Etats ou à établir une violation du droit international par des Etats au regard
du comportement des acteurs non étatiques.
607
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-
Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 221, § 430.
150
Dans son arrêt du 20 avril 2010, rendu dans l’Affaire relative à des usines de
pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), « la Cour observe que le
principe de prévention, en tant que règle coutumière, trouve son origine dans la diligence
requise (‘‘due diligence’’) de l’Etat sur son territoire. Il s’agit de ‘‘l’obligation, pour
tout Etat, de ne pas laisser utiliser son territoire aux fins d’actes contraires aux droits
d’autres Etats’’ (Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie), fond, arrêt, C.I.J. Recueil
1949, p. 22). En effet, l’Etat est tenu de mettre en œuvre tous les moyens à sa disposition
pour éviter que les activités qui se déroulent sur son territoire, ou sur tout espace
relevant de sa juridiction, ne causent un préjudice sensible à l’environnement d’un autre
Etat. La Cour a établi que cette obligation ‘‘fait maintenant partie du corps de règles du
droit international de l’environnement’’ (Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes
nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 242, par. 29) »608.
Certes, il n’est pas toujours facile en pratique de prouver que les autorités
étatiques ont manqué à un devoir de prévention. Néanmoins, certains éléments pourront
servir d’indicateurs, en l’occurrence, le refus de prendre les mesures nécessaires alors
qu’elles ont été réclamées par les agents diplomatiques ou par les intéressés, la
participation des forces de l’ordre ou d’autres agents de l’Etat aux actes de violences
commis contre des étrangers, la complicité ou l’indifférence d’agents publics témoins du
fait illicite610.
608
Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010, p. 55,
§ 101.
609
A/RES/56/83, 12 décembre 2001, article 14, § 3.
610
Cf. CH. ROUSSEAU, Droit international public. Tome V. Les rapports conflictuels, Paris, Sirey, 1983,
pp. 74-75. Comme le note Charles Rousseau, « […] Il existe des faits de nature à exonérer l’Etat de toute
responsabilité : a) attitude provocatrice de l’étranger ; b) avis antérieurement donné par l’Etat auquel
ressortit la victime de quitter le pays, ce conseil étant fréquemment donné à leurs nationaux par des
151
gouvernements étrangers en cas de guerre civile, de troubles ou d’émeutes (Espagne de 1936 à 1939, Chine
en 1949-1950, Iran en 1979) » (Ibidem, p. 75).
611
A. OUEDRAOGO, « La due diligence en droit international : de la règle de la neutralité au principe
général », in Revue générale de droit, Vol. 42, 2012, n°2, p.680, § 73.
612
« Diligence : soin apporté, avec célérité et efficacité, à l’accomplissement d’une tâche, qualité
d’attention et d’application caractérisant une personne ou attendue d’elle (diligence du bon père de
famille) » (G. CORNU, Vocabulaire juridique, Op. cit., p. 344).
613
« Bon père de famille : homme de vertu ordinaire, normalement avisé, soigneux, diligent, servant de
référence abstraite pour apprécier si le comportement a été fautif ou non, ou pour déterminer si la personne
en charge des intérêts d’autrui ou détentrice d’un de ses biens, a correctement rempli son obligation » ( S.
GUINCHARD et TH. DEBARD (sous la direction de), Lexique des termes juridiques 2012 (19e édition),
Paris, Dalloz, 2011, p. 115).
614
G. CORNU, Op. cit., p. 344.
152
personnes ou d’entités privées n’est pas attribuable à l’Etat en droit international (voir
les articles de la C.D.I sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite,
Commentaire sur l’article 8, paragraphe 1) »615. A en croire la Chambre, « [l]’obligation
de l’Etat qui patronne ‘‘de veiller à’’ n’est pas une obligation d’obtenir dans chaque cas
le résultat que le contractant patronné respecte les obligations précitées. Il s’agit plutôt
d’une obligation de mettre en place les moyens appropriés, de s’efforcer dans la mesure
du possible et de faire le maximum pour obtenir ce résultat. Pour utiliser la terminologie
actuelle du droit international, cette obligation peut être caractérisée comme une
obligation ‘‘de comportement’’ et non ‘‘de résultat’’, et comme une obligation de
‘‘diligence requise’’ »616.
615
Responsabilités et obligations des Etats dans le cadre d'activités menées dans la Zone, avis consultatif,
1er février 2011, TIDM Recueil 2011, § 112.
616
Ibidem, § 110.
617
Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010, p. 55,
§ 101.
618
E. CANAL-FORGUES et P. RAMBAUD, Op. cit., p. 109.
153
619
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis
d'Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C. I.J. Recueil 1984, pp. 424-425, § 73.
620
En guise d’illustrations, dans l’affaire du Détroit de Corfou, « les obligations qui incombaient aux
autorités albanaises consistaient à faire connaître, dans l’intérêt de la navigation en général, l’existence
d’un champ de mines dans les eaux territoriales albanaises et à avertir les navires de guerre britanniques,
au moment où ils s’approchaient, du danger imminent auquel les exposait ce champ de mines. Ces
obligations sont fondées […] sur certains principes généraux et bien reconnus, tels que des considérations
élémentaires d’humanité […], le principe de la liberté des communications maritimes et l’obligation, pour
tout Etat, de ne pas laisser utiliser son territoire aux fins d’actes contraires aux droits d’autres Etats. En fait,
l’Albanie n’a ni notifié l’existence du champ de mines ni averti les navires de guerre britanniques du
danger vers lequel ils avançaient. […] En fait, rien ne fut tenté par les autorités albanaises pour prévenir le
désastre. Ces graves omissions engagent la responsabilité internationale de l’Albanie » (Affaire du Détroit
de Corfou, Arrêt du 9 avril 1949 : C.I.J. Recueil 1949, pp. 22-23). Dans l’affaire des Otages américains à
Téhéran, en plus de la violation des règles de droit diplomatique et de droit consulaire, ainsi que de celles
du traité d’amitié et de commerce entre la République islamique d’Iran et les Etats-Unis, l’Iran a manqué à
une obligation de diligence. En effet, les autorités iraniennes n’ont pris aucune mesure pour empêcher les
militants d’envahir l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran et de prendre en otage le personnel diplomatique
et consulaire. (Cf. Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran, arrêt, C.I.J. Recueil
1980, pp. 32-33, §§ 66-68). Voir également : Affaire de l’Alabama (Grande-Bretagne/Etats-Unis), sentence
arbitrale du 14 septembre 1872, in A. DE LA PRADELLE et N. POLITIS, Recueil des arbitrages
internationaux, Vol. II, Paris, Pedone, 1905-1954, p. 890 ; Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes
nucléaires, C.I.J. Recueil 1996, p. 241, § 29; Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c.
Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010, p. 55, § 101 ; Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007,
p. 220, § 428 ; Responsabilités et obligations des Etats dans le cadre d'activités menées dans la Zone, avis
consultatif, 1er février 2011, TIDM Recueil 2011, § 112 ; etc.
154
621
Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt,
C.I.J. Recueil 2005, p. 247, § 228.
622
Ibidem, p. 252, § 246. C’est nous qui introduisons le caractère italique pour mettre en évidence la
reconnaissance par la Cour du manquement par l’Ouganda à l’obligation de vigilance eu égard aux actes de
ses forces armées et la non reconnaissance du même manquement quant aux actes des groupes rebelles.
155
n’étaient pas sous le contrôle de l’Ouganda, en dehors du district de l’Ituri occupé par des
forces ougandaises623.
L’on se rend bien compte que le contrôle du territoire sur lequel s’opèrent les
actes dommageables à l’Etat étranger est fort déterminant dans l’appréciation du
manquement par un Etat à une obligation de diligence.
623
Cf. Ibidem, p. 253, § 247.
624
La compétence personnelle est « le pouvoir juridique reconnu à un Etat d’agir à l’égard de ses nationaux
se trouvant à l’étranger en leur donnant des ordres, en réglant leur statut personnel et en exerçant vis-à-vis
d’eux sa protection » (D. RUZIE, Droit international public(19e édition), Paris, Dalloz, 2008, p.70. Il
convient de préciser que « sur le territoire d’un Etat, toutes les personnes, quelle que soit leur nationalité,
relèvent de la compétence territoriale » (Ibidem, p. 70).
625
O. DE SCHUTTER, « La responsabilité des Etats dans le contrôle des sociétés transnationales : vers une
convention internationale sur la lutte contre les atteintes aux droits de l’homme commises par les sociétés
transnationales », in E. DECAUX (sous la direction de), La responsabilité des entreprises multinationales
en matière de droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 70.
156
d’activités (travail forcé, travail des enfants,…) ou alors, lorsque éclate un conflit armé,
la société se mettant au service de l’ennemi. Ainsi l’Etat d’origine ne saurait-il se
soustraire à l’obligation de vigilance. En effet, il doit s’efforcer d’empêcher que les
sociétés transnationales portent atteinte aux droits de l’Etat d’accueil et violent les droits
de l’homme à l’occasion de leurs activités. Dans le cas contraire, l’Etat d’origine manque
à une obligation de vigilance. Ce manquement devient d’autant plus flagrant dans le cas
où la société utilise ou commercialise sur le territoire de son Etat d’orignine ou
d’établissement les ressources illicitement exploitées dans un Etat étranger. C’est pour
éviter de tels manquements dans le chef des Etats-Unis que le Congrès américain a
adopté le 21juillet 2010 le Dodd Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act
(communément appelé Dodd-Frank Act)626. En vertu de la section 1502 (Conflict
minerals627), « les entreprises doivent soumettre à une diligence raisonnable leurs achats
de minerais provenant de la RDC et de pays voisin, ce afin d’identifier la présence
éventuelle de minerais du conflit dans leur chaîne d’approvisionnement »628.
L’autre hypothèse est celle des sociétés transnationales qui profitent d’un
conflit armé pour entreprendre des exploitations illicites des ressources naturelles de
l’Etat déchiré par le conflit. Dans ce cas, il n’est pas facile d’affirmer que l’Etat d’origine
626
Public Law 111-203-July 21, 2010, available at http://www.gpo.gov/fdsys/pkg/PLAW-
111publ203/pdf/PLAW-111publ203.pdf consulted on 2 December 2013.
627
Sec. 1502. Conflict minerals, Public Law 111-203-July 21, 2010, 124 STAT. 2213-2218.
628
GLOBAL WITNESS, L’avenir du commerce de minerais congolais dans la balance. Opportunités et
obstacles associés à la démilitarisation, Londres, Global Witness Limited, 2011, p. 4. A propos de la
diligence raisonnable à laquelle sont soumises les entreprises transnationales, John Ruggie précise : « Les
entreprises devraient examiner trois catégories de facteurs. Les premiers concernent le contexte national
dans lequel elles exercent leurs activités et servent à mettre en lumière les problèmes particuliers qui
peuvent en résulter du point de vue des droits de l’homme. Les seconds visent les incidences sur les droits
de l’homme que peuvent avoir les propres activités des entreprises – production, fourniture de services,
recrutement ou cohabitation avec le voisinage – dans ce contexte. Les troisièmes ont trait à la question de
savoir si les entreprises risqueraient de contribuer à des atteintes aux droits de l’homme par le biais de leurs
relations d’affaires, par exemple avec leurs partenaires commerciaux, leurs fournisseurs, les organismes
publics et d’autres acteurs non étatiques » (CONSEIL DES DROITS DE L’HOMME, Promotion et
protection de tous les droits de l’homme, civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, y compris le
droit au développement. Protéger, respecter et réparer : un cadre pour les entreprises et les droits de
l’homme, Rapport du Représentant spécial du Secrétaire général chargé de la question des droits de
l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises, M. John Ruggie, A/ HRC/8/5 du 7 avril 2008,
p. 18, § 57). En bref, souligne la FIDH, la diligence raisonnable consiste à « prendre toutes les précautions
nécessaires et raisonnables pour éviter la survenance d’un dommage » (FIDH, Entreprises et violations des
droits de l’homme. Un guide pratique sur les recours existants à l’intention des victimes et des ONG, Paris,
FIDH, 2010, p. 248).
157
est informé des activités de ces sociétés du moment qu’il n’a pas concouru comme dans
l’hypothèse précédente à l’établissement de celles-ci ou à l’exercice de leurs activités sur
le territoire de l’Etat en conflit. Il faut partir des indices, mieux des informations
certaines. Par exemple, pendant le conflit armé en République démocratique du Congo,
de nombreuses multinationales domiciliées dans des Etats occidentaux ont été impliquées
dans des activités d’exploitation illicite des ressources naturelles de cet Etat, tel qu’il
ressort de divers rapports d’experts des Nations unies629. Ces rapports ont même
clairement mentionné la violation par ces entreprises des Principes directeurs de l’OCDE
à l’intention des entreprises multinationales630. Leurs Etats d’origine, autrement dit, les
Etats dans lesquels elles sont domiciliées631, ont bel et bien été informés de ces rapports
publics des Nations unies. A notre connaissance, hormis les cas de la Belgique et du
Royaume Uni632, ils n’ont ni empêché ni sanctionné ces multinationales alors qu’ils en
avaient l’obligation et les moyens, conformément au droit international et à leurs
législations internes, et surtout dans le cadre de l’Organisation de Coopération et de
Développement économique (OCDE), en application des mécanismes prévus par les
Principes directeurs. En effet, « les pays adhérant aux Principes directeurs prennent
l’engagement contraignant de les mettre en œuvre conformément à la Décision du
Conseil relative aux principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises
multinationales »633. Toutefois, les Etats ont une obligation de « faire en sorte que… »,
629
Voir par exemple « Annexe I. Echantillon de sociétés qui importent des minéraux de la République
démocratique du Congo via le Rwanda », in Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des
ressources naturelles et autres richesses de la République démocratique du Congo, Op. cit., pp. 49-50. Les
pays de destination des minéraux, qui sont les Etats d’origine des sociétés qui les importent via le Rwanda
sont : la Belgique, l’Allemagne, la Malaisie, le Canada, la République Unies de Tanzanie, la Suisse, le
Royaume-Uni, l’Inde, le Pakistan, les Pays-Bas, le Kenya et la Fédération de Russie.
630
Voir, par exemple, Rapport final du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources
naturelles et autres richesses de la République démocratique du Congo, Op. cit., Annex III. Business
enterprises considered by the Panel to be in violation of the OECD Guidelines for the Multinational
Enterprises, pp. 7- 10.
631
Cf. O. DE SCHUTTER, « La responsabilité des Etats dans le contrôle des sociétés transnationales : vers
une convention internationale sur la lutte contre les atteintes aux droits de l’homme commises par les
sociétés transnationales », « Art. cit. », p. 44.
632
Cf. HUMAN RIGHTS WATCH, Le fléau de l’or. République démocratique du Congo, Op. cit., p. 126.
633
OCDE, Les principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales, Paris, OCDE,
2011, p. 15. La Décision du Conseil, telle qu’amendée le 27 juin 2000, dispose au point I. 4. : « Les pays
adhérents doteront leurs Points de contact nationaux de ressources humaines et financières de manière à ce
qu’ils puissent s’acquitter efficacement de leurs responsabilités […] » (Ibidem, p. 78). Le Commentaire sur
les procédures de mise en œuvre des Principes directeurs mentionne que « la Décision du Conseil
158
qui est une obligation de moyen. En fait, « [l]es Principes directeurs visent à faire en
sorte que les activités des entreprises multinationales s’exercent en harmonie avec les
politiques des gouvernements, à renforcer la confiance mutuelle entre les entreprises et
les sociétés dans lesquelles elles exercent leurs activités, à améliorer l’environnement
pour l’investissement étranger et à accroître la contribution des entreprises
multinationales au développement durable »634. Par leur inaction ou par l’inefficacité de
leurs actions, les Etats membres de l’OCDE, qui sont les pays d’origine des
multinationales impliquées dans l’exploitation illicite des ressources naturelles, ont violé
la Décision du Conseil de l’OCDE. Cette violation constitue dans leur chef un
manquement à une obligation de diligence.
§2. Règles particulières établissant un cadre normatif pour lutter contre l’exploitation
illicite des ressources naturelles : le Protocole sur la lutte contre l’exploitation
illégale des ressources naturelles du 30 novembre 2006
concrétise l’engagement des pays adhérents de participer à la mise en œuvre des recommandations
contenues dans le texte des Principes directeurs […]. [Elle] souligne les responsabilités fondamentales des
pays adhérents en ce qui concerne les PCN [Points de contact nationaux] » (Ibidem, p. 87, §§ 1 et 2). Par
ailleurs, le Principe général 11 est libellé comme suit : « Les gouvernements souscrivant aux Principes
directeurs conviennent de les mettre en œuvre et d’en encourager l’usage » (Ibidem, p. 21).
634
OCDE, Les principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales, Op. cit., p. 15.
Les Principes directeurs consacrent une obligation contraignante pour les Etats membres de l’OCDE
(obligation de diligence), mais « [leur] respect […] par les entreprises est volontaire et n’est pas
juridiquement contraignant » (Ibidem, p. 19). En effet, « [l]es Principes directeurs sont des
recommandations que les gouvernements adressent conjointement aux entreprises multinationales. Ils
énoncent des principes et des normes de bonnes pratiques conformes aux législations en vigueur et aux
autres normes internationalement admises » (Ibidem, p. 19).
159
contre ce phénomène. C’est à cette fin qu’elle a adopté le Protocole sur la lutte contre
l’exploitation illégale des ressources naturelles.
635
Cf. http://www.cirgl.org/historique.php (consulté le 26 avril 2010).
636
Les Etats membres de la CIRGL sont : Angola, Burundi, Centrafrique, République du Congo,
République démocratique du Congo, Kenya, Ouganda, Rwanda, Soudan, Soudan du Sud, Tanzanie,
Zambie. Voir http://icglr.org/index.php/fr/les-etats-membres (consulté le 9 novembre 2013).
637
Voir § 2 du préambule, disponible sur http://www.grandslacs.net/doc/3215.pdf (consulté le 26 avril
2010).
638
CIRGL, Déclaration sur la paix, la sécurité, la démocratie et le développement dans la Région des
Grands Lacs, p. 6, § 34 disponible sur http://www.grandslacs.net/doc/3215.pdf consulté le 26 avril 2010.
C’est nous qui mettons le caractère italique.
639
Ibidem, p. 6, § 36.
160
Dans ce travail, seul le Protocole sur la lutte contre l’exploitation illégale des
ressources naturelles (ci-après le Protocole) mérite une attention soutenue. Il est
automatiquement entré en vigueur le 1er juin 2008, date d’entrée en vigueur du Pacte640.
640
Cf. https://cirgl.org/spip.php?article2 consulté le 30 avril 2012. L’article 37 du Protocole dispose : « 1.
Ce protocole fait partie intégrante du Pacte et ne doit pas être sujet à une signature et à une ratification
séparées par les Etats membres. 2. A l’ égard de tout Etat membre qui a ratifié le Pacte, […] ce protocole
entre en vigueur automatiquement, au même moment que le Pacte […] ».
641
Protocole…, § 7 du Préambule.
642
Cf. Ibidem, § 8 du Préambule.
643
Ibidem, § 7 du Préambule.
161
644
Voir « Les pays des Grands Lacs passent à l’action contre l’exploitation illégale des ressources
naturelles », p. 1, sur http://www.reliefweb.int/rw/rwb.nsf/db900SID/VDUX-7WJQF9?OpenDocument
consulté le 19 avril 2010.
162
645
N. HAUPAIS, « Les obligations de la puissance occupante au regard de la jurisprudence et de la
pratique récentes », in R.G.D.I.P., Tome 111, Vol. 1, 2007, p. 119.
646
Ibidem, p. 120.
647
Cf. Ibidem, p. 130.
163
l’Etat occupé contre l’exploitation illicite648, la puissance occupante est assujettie à trois
principales obligations : l’obligation de ne pas se livrer au pillage (1), l’obligation de
prendre des mesures pour rétablir et assurer l’ordre et la vie publics (2) et l’obligation
d’administrer les biens de l’Etat ennemi conformément aux règles de l’usufruit (3).
1.Interdiction du pillage
Pour rappel, le pillage est généralement interdit par le droit des conflits
armés649. Il est qualifié de crime de guerre650. On constate d’emblée que le jus in bello
interdit le pillage d’une manière générale. Aucun accent n’est mis sur le pillage des
ressources naturelles.
648
Considérant que, dans le cadre de notre étude, l’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat
vise à en retirer un avantage économique, nous n’analyserons pas les règles interdisant la destruction des
ressources naturelles, notamment l’article 53 de la Convention IV de Genève de 1949 : « Il est interdit à la
Puissance occupante de détruire des biens mobiliers ou immobiliers, appartenant individuellement ou
collectivement à des personnes privées, à l’Etat ou à des collectivités publiques, à des organisations
sociales ou coopératives, sauf dans les cas où ces destructions seraient rendues absolument nécessaires par
les opérations militaires ».
649
Voir les articles 28 et 47 du Règlement de La Haye de 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre,
l’article 33 de la Convention (IV) de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de
guerre du 12 août 1949, l’article 4, § 2, al. g) du Protocole additionnel (II) aux Conventions de Genève.
650
Voir Statuts du Tribunal militaire international de Nuremberg (article 6 b), du TPIY (article 3, §1, e), du
TPIR (article 4, § 1, f), du Tribunal spécial pour la Sierra Leone (article 3), de la CPI (article 8, §2, b), xvi).
651
Cf. Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt,
C.I.J. Recueil 2005, p. 251, § 242.
652
Cf. Ibidem, p. 252, § 245.
164
653
Cf. F. LATTY, « La Cour internationale de Justice face aux tiraillements du droit international : les
arrêts dans les affaires des Activités armées sur le territoire du Congo (RDC c. Ouganda, 19 décembre
2005 ; RDC c. Rwanda, 3 février 2006) », in A.F.D.I., Vol. 51, 2005, p. 232.
654
Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt,
Recueil 2005, p. 231, § 178 et p. 253, § 248.
655
Cf. Ibidem, p. 252, § 245.
656
Cf. Ibidem, p. 253, § 248.
165
Une question surgit : qu’est-ce que l’usufruit ? Ou mieux : quelles sont les
règles de l’usufruit conformément auxquelles les ressources de l’Etat ennemi doivent être
administrées par la puissance occupante ?
L’usufruit est une notion élémentaire de droit civil. L’usufruitier d’un bien
exerce sur celui-ci le droit d’usage (Usus) et le droit de jouissance (Fructus). Ceci
signifie qu’il peut en user et en percevoir les fruits. Mais il ne peut en disposer (Abusus),
soit en le détruisant, soit en l’aliénant.
657
Y. DINSTEIN, The International Law of Belligerent Occupation, Cambridge, Cambridge University
Press, 2009, p. 214, § 505.
166
Du fait qu’il vise inter alia l’exploitation des forêts de l’Etat occupé par la
puissance occupante, cet article 55 du Règlement de La Haye de 1907 rentre bel et bien
dans le cadre de notre recherche. En effet, par exemple, pendant le conflit armé en
République démocratique du Congo, des ressources forestières ont également été
illicitement exploitées par des forces occupantes. A ce sujet, il ressort d’un rapport
d’experts des Nations unies qu’ « il est suffisamment prouvé que l’exploitation de bois
d’œuvre est directement liée à la présence ougandaise dans la Province orientale. Ces
activités ont atteint des proportions alarmantes et les Ougandais (civils, militaires et
sociétés) y [ont participé] très largement »660. Ces ressources forestières ont fait l’objet
d’un commerce fructueux, surtout au profit des éléments des forces ougandaises et des
sociétés commerciales ougandaises661. A ce sujet, la Cour internationale de Justice relève
658
R. KOLB et S. VITE, Op. cit., p. 429.
659
Cf. CH. ROUSSEAU, Le droit des conflits armés, Paris, Pedone, 1983, p. 160.
660
Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de
la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 12, § 54.
661
Cf. Ibidem, p. 12, §§ 53-54.
167
dans l’affaire Congo c. Ouganda, que « [la] commission [Porter] a également considéré
que, par sa dépêche, le général Kazini avait en fait reconnu que l’allégation selon
laquelle ‘‘des officiers supérieurs des UPDF avaient [eu], dès le début, l’intention de
faire du commerce au Congo était généralement exacte’’, que ‘‘[l]es officiers
commandants liés par un partenariat commercial avec des Ougandais faisaient des
affaires au Congo et [qu’il n’avait] pris aucune mesure à ce sujet’’, et que ‘‘[d]es avions
militaires [ougandais] transportaient des hommes d’affaires congolais à Entebbe et
ramenaient au Congo des produits que ces derniers avaient achetés à Kampala’’ »662.
Ce commerce de bois d’œuvre pour des intérêts personnels des officiers des
UPDF est tout à fait contraire au droit de l’occupation militaire. Il viole précisément
l’article 55 du Règlement de La Haye de 1907. En effet, « même si le droit conventionnel
ne le dit pas explicitement, la pratique montre que les revenus ainsi acquis doivent être
utilisés exclusivement pour financer les dépenses liées à l’occupation »663.
662
Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt,
C.I.J. Recueil 2005, pp. 249-250, § 238.
663
R. KOLB et S. VITE, Op. cit., p. 430. Kolb et Vité précisent que cette question est certes controversée
dans la doctrine. Pour certains auteurs, comme Von Glahn, McDougal et Feliciano, « dans le silence de
l’article 55, l’occupant serait en droit d’exploiter les biens immobiliers de l’Etat occupé pour atteindre des
objectifs librement déterminés par lui, y compris pour développer sa propre économie nationale » (Ibidem,
p. 430, note 1280). Pour Kolb et Vité, « cette position va cependant à l’encontre de l’esprit du droit de
l’occupation, qui […] vise à organiser la gestion provisoire d’un territoire, en attendant qu’une solution
globale et permanente soit trouvée » (Ibidem, p. 430, note 1280).
168
Il est singulièrement frappant de constater que dans son arrêt, la Cour n’a
nullement fait référence à l’article 55 du Règlement de La Haye de 1907, pourtant évoqué
expressis verbis par la République démocratique du Congo. Cet oubli de la Cour pourrait
conduire à des conséquences absurdes. En effet, l’ambiguité de sa position a amené
certains auteurs à conclure qu’elle a assimilé à du pillage toute autre forme
d’appropriation des ressources naturelles. Nous lisons ainsi sous la plume de Robert Kolb
et Sylvain Vité, qui interprètent le paragraphe 245 de l’arrêt Congo c. Ouganda :
« Comme l’a rappelé la Cour internationale de Justice dans son arrêt sur les Activités
armées en République démocratique du Congo (2005), toute autre forme d’appropriation
des ressources naturelles par la Puissance occupante doit être assimilée à du pillage et est
contraire à la fois au droit de l’occupation et à la Charte africaine des droits de l’homme
et des peuples »665. De même, Vaios Koutroulis écrit à propos de ce paragraphe 245 :
« La Cour, en ‘‘ rappelant’’ l’article 47 du Règlement de La Haye et l’article 33 de la IVe
Convention, laisse entendre que ces deux articles constituent la base juridique de
l’interdiction tant du pillage que de l’exploitation des ressources naturelles »666.
Nous sommes loin d’être convaincu par cette conclusion de Kolb et Vité,
ainsi que par celle de Koutroulis. Ceci nous amène à interpréter à notre tour cet extrait du
paragraphe 245 de l’arrêt sous examen : « En conséquence, chaque fois que des membres
des UPDF ont été impliqués dans le pillage et l’exploitation de ressources naturelles sur
le territoire de la RDC, ils ont agi en violation du jus in bello, lequel interdit de tels actes
à une armée étrangère sur le territoire où elle est présente. La Cour rappelle à cet égard
664
Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), Plaidoirie
de Ph. Sands, CR 2005/ 5, pp. 14 -15, § 15.
665
R. KOLB et S. VITE, Op. cit., p. 429.
666
V. KOUTROULIS, « L’affaire des activités armées sur le territoire du Congo (Congo c. Ouganda) : une
lecture restrictive du droit de l’occupation ? », in R.B.D.I., 2006/ 2, pp. 737 -738. Cet auteur écrit par la
suite que la notion de « pillage » est différente de celle d’ « exploitation » et qu’il est donc moins évident
de qualifier de « pillage » tous les actes constitutifs d’ « exploitation » (Cf. Ibidem, p. 738). Tout en
souscrivant à cette non assimilation à du pillage de tout acte d’exploitation illicite des ressources naturelles
d’un Etat occupé, nous estimons néanmoins que l’interprétation du passage de l’arrêt, à partir de laquelle il
tire cette conclusion pourtant vraie, est erronée, comme nous allons le montrer dans notre commentaire du
paragraphe 245 de cet arrêt.
169
La Cour observe par ailleurs que tant la RDC que l’Ouganda sont parties à
la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, du 27 juin 1981 […] »667.
De cet extrait, on voit clairement que les membres des UPDF ont été
impliqués dans deux activités différentes : la première activité est le pillage ; la seconde,
c’est l’exploitation des ressources naturelles. Au niveau formel, cette affirmation se
justifie par la présence de la conjonction de coordination « et ». Cela peut paraître moins
significatif. Mais, au niveau factuel, en se référant aux rapports du Groupe d’experts des
Nations unies et au rapport de la Commission Porter, rapports dont la Cour reconnaît une
valeur probante668, on remarque effectivement une distinction entre le pillage et d’autres
formes d’exploitation illicite des ressources naturelles. Par exemple, dans le Rapport du
Groupe d’experts des Nations unies du 12 avril 2001, nous lisons : « L’exploitation
illégale des ressources naturelles de la République démocratique du Congo par le
Rwanda, le Burundi et l’Ouganda revêt différentes formes : confiscation, exploitation
directe, monopole forcé et fixation des prix »669. Dans le même rapport, nous trouvons
par ailleurs : « Les rebelles et les forces rwandaises et ougandaises se sont non seulement
livrés au pillage et à l’extraction des ressources mais ils ont aussi exploité illégalement le
système commercial […]. Les méthodes utilisées variaient, allant du pillage au
harcèlement des propriétaires ; l’objectif final était d’obtenir le contrôle du commerce
local […] »670.
La Cour affirme très clairement que ces agissements constituent une violation
du jus in bello. C’est dire que même cette exploitation des ressources naturelles,
différente du pillage, est également illicite. La Cour fait clairement référence aux
dispositions conventionnelles qui interdisent le pillage. Elle reste muette quant au
667
Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt,
C.I.J. Recueil 2005, p. 252, § 245. C’est nous qui mettons en italique la conjonction « et » à des fins de
notre argumentation.
668
Cf. Ibidem, p. 249, § 237.
669
Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de
la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 6, § 25.
670
Ibidem, p. 14, § 64.
170
fondement de l’autre violation du jus in bello, qui est cette autre exploitation des
ressources naturelles de l’Etat occupé par la puissance occupante. Il nous semble que la
Cour aurait dû se prononcer sur la violation de l’article 55 du Règlement de La Haye de
1907, évoquée par le demandeur. La Cour pourrait expressément souligner que
l’exploitation illicite des ressources naturelles constitue une forme de pillage ou une autre
forme d’appropriation privée qui est incompatible avec l’usufruit. Nous y reviendrons
ultérieurement.
671
Cf. V. KOUTROULIS, « Art. cit. », p. 737.
672
E. DAVID, Op. cit., p. 585.
673
Ibidem, p. 585.
674
Cf. Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt,
C.I.J. Recueil 2005, p. 227, § 165.
171
comprend aisément que ce règlement a été élaboré à une époque où le recours à la force
n’était pas prohibé. Du moment que la Charte des Nations unies consacre le principe de
l’interdiction du recours à la force, il paraît absurde de reconnaître ce droit à un
« occupant illégal ». Comme le traduit pertinemment un principe général de droit : « Ex
injuria jus non oritur »675. La non-applicabilité de l’article 55 à l’occupant illicite
confirme alors que le principe de l’interdiction du recours à la force est une règle
protectrice des biens d’un Etat, en ce compris ses ressources naturelles. A notre sens, le
mutisme de la Cour eu égard à l’article 55 du Règlement de La Haye aurait pu être évité
par un tel raisonnement. Par conséquent, il ne nous semble pas pertinent de retenir
l’obligation prévue par cet article 55 parmi les règles qui s’imposent à la puissance
occupante dans le cadre de notre recherche, étant donné que, dans notre hypothèse,
l’exploitation des ressources naturelles d’un Etat par des Etats étrangers se fait en
violation du jus contra bellum. A la limite, on peut même dire que l’argument de la RDC
visant l’application de l’article 55 serait même en sa défaveur. Nous retenons, en somme,
deux règles spécifiques du jus in bello : l’interdiction du pillage et l’obligation de prendre
des mesures pour rétablir et assurer l’ordre et la vie publics.
1. Exposé du problème
Il peut paraître théorique, voire utopique de vouloir rechercher à tout prix une
responsabilité des Etats tiers à un conflit armé. Le sens commun pourrait naturellement
s’y opposer. Cependant, la récurrence de l’implication des sociétés étrangères dans des
actes d’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat pendant un conflit armé
675
« La violation du droit ne peut faire naître du droit » (J. SALMON (sous la direction de), Op. cit., p.
482).
172
nous amène tout de même à réfléchir sur la responsabilité (éventuelle) des Etats
d’origine de ces sociétés.
Il est hors de doute que des sociétés étrangères se sont rendues complices des
actes d’exploitation illicite des ressources naturelles676. Dans ce cas, la complicité des
entreprises est surtout évoquée en matière de promotion et de protection des droits de
l’homme. John Ruggie, alors Représentant spécial du Secrétaire général des Nations
unies chargé de la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres
entreprises, l’a définie en ces termes : « La complicité est l’implication indirecte d’une
entreprise dans une atteinte aux droits de l’homme. Essentiellement, il y a complicité
quand une entreprise concourt sciemment à la violation par autrui des droits de
l’homme. L’implication est indirecte parce que ce n’est pas l’entreprise qui commet elle-
même la violation. En principe, il peut y avoir complicité s’il y a participation délibérée
à une infraction, sous quelque forme que ce soit, et qu’il s’agisse de droits civils,
politiques, économiques, sociaux ou de droits culturels »677. La protection des droits de
l’homme est assurée en temps de paix par le droit international des droits de l’homme et
en temps de conflit armé par le droit international humanitaire678. Dans ce travail qui se
situe dans un contexte de conflit armé, nous allons cerner la complicité des entreprises
sous l’angle des violations du droit international humanitaire.
676
Pour des détails sur la complicité des entreprises étrangères dans l’exploitation illicite des ressources
naturelles de la République démocratique du Congo, voir A.-M. PAPAIOANNOU, ‘‘The Illegal
Exploitation of Natural Resources in the Democratic Republic of Congo : A Case Study on Corporate
Complicity in Human Rights Abuses’’, in O. DE SCHUTTER (editor), Transnational Corporations and
Human Rights, Hart Publ., Oxford and Portland-Oregon, 2006, pp. 263-286.
677
CONSEIL DES DROITS DE L’HOMME, Promotion et protection de tous les droits de l’homme, civils,
politiques, économiques, sociaux et culturels, y compris le droit au développement. Les notions de «sphère
d’influence » et de « complicité », Rapport du Représentant spécial du Secrétaire général chargé de la
question des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises, M. John Ruggie,
A/HRC/8/16, 15mai 2008, p. 10, § 30.
678
Cf. A. BIAD, Droit international humanitaire (2e édition mise à jour), Paris, Ellipses, 2006, p. 41.
679
Cf. Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt,
C.I.J. Recueil 2005, p. 252, § 245.
173
680
Cf. A. BIAD, Op. cit., p. 22. Au sens large, les règles applicables en cas de catastrophes naturelles, qui
requièrent une aide humanitaire, font partie du droit humanitaire.
174
681
Cf. Y. SANDOZ, CH. SWINARSKI, B. ZIMMERMANN (sous la direction de), Commentaire des
Protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949, Genève, CICR, 1986,
p. 37. Cet ouvrage sera désigné par la suite « Protocoles, Commentaire ».
682
Cf. Ibidem, p. 35.
683
Conventions, Commentaires, III, article premier, p. 24.
684
E. DAVID, Op. cit., p. 625.
685
Ibidem, p. 625.
175
des droits en cause, peut être considéré comme ayant un intérêt juridique à ce que ces
droits soient protégés »686.
c) D’assurer à ceux qui affirment être victimes d’une violation des droits de
l’homme ou du droit humanitaire l’accès effectif à la justice, dans des conditions
d’égalité, comme il est précisé ci-après, quelle que soit, en définitive, la partie
responsable de la violation ;
d) D’offrir aux victimes des recours utiles, y compris la réparation […] »687.
686
Protocoles, Commentaire, p. 36.
687
A/RES/60/147, du 21 mars 2006, Annexe, II, § 3, p. 5.
688
P. D’ARGENT, « Le droit de la responsabilité internationale complété ? Examen des Principes
fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations
176
flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international
humanitaire », in A.F.D.I., Vol. 51, 2005, p. 36.
689
« Les Principes fondamentaux et directives n’entraînent pas de nouvelles obligations en droit
international ou interne, mais définissent des mécanismes, modalités, procédures et méthodes pour
l’exécution d’obligations juridiques qui existent déjà en vertu du droit international des droits de l’homme
et du droit international humanitaire, qui sont complémentaires bien que différents dans leurs normes ».
690
P. D’ARGENT, « Le droit de la responsabilité internationale complété ?... », « Art.cit. », pp. 36-37.
177
effectif dans les ordres juridiques internes doit être disponible pour en assurer la
jouissance. Le droit à la réparation n'est pas inclus dans le droit à un recours, lequel
n'est pas ‘‘compris’’ dans l'obligation de respecter le droit. Le droit à la réparation naît
de la violation du droit, et est en ce sens externe à l'obligation de le respecter ; le droit à
un recours, entendu – ainsi que les principes le conçoivent […]- comme droit d'accès à
un tribunal, est le moyen de réclamer la jouissance du droit primaire substantiel, ou à
défaut la réparation du dommage qui naît de sa violation »691.
691
Ibidem, p. 43.
692
J. PICTET (sous la direction de), Les Conventions de Genève du 12 août 1949. Commentaire. IV. La
Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, Op. cit., p. 21.
178
raison de tout acte et omission de ses forces armées […], mais aussi du défaut de
vigilance […] par d’autres acteurs se trouvant sur le territoire occupé, y compris les
groupes armés agissant pour leur propre compte »693. La Cour semble ici limiter
effectivement l’obligation de vigilance dans le chef de l’Etat aux actes commis par les
particuliers et non par les détenteurs du pouvoir.
693
G. LABRECQUE, La force et le droit. Jurisprudence de la Cour internationale de Justice, Bruxelles,
Bruylant, 2008, pp. 382- 383.
694
Cf. HUMAN RIGHTS WATCH, Le fléau de l’or. République démocratique du Congo, Op. cit., p. 126.
179
En plus des règles spécifiques du jus in bello, les ressources naturelles sont
directement protégées en temps de conflits armés par des décisions pertinentes des
organes des Nations unies.
695
Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 2010, p. 439, § 85.
696
Cf. E. SUY et N. ANGELET, « Article 25 », in J.-P. COT et A. PELLET (sous la direction de), La
Charte des Nations Unies. Commentaire article par article (3e édition), Paris, Economica, 2005,
180
pp. 909-916.
697
Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-
Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de Sécurité, Avis consultatif, C.I.J.Recueil
1971, p. 52, § 113.
698
Cf. J. VERHOEVEN, Op. cit., p. 792.
699
Ibidem, p. 792. Voir également, P.-M. LANFRANCHI, « La valeur juridique en France des résolutions
du Conseil de sécurité », in A.F.D.I., Vol. 43, 1997, p. 35.
181
700
S/RES/1173 (1998), 12 juin 1998, §§ 3 et 12 b).
701
S/RES/1291 (2000), 24 février 2000, §§ 1 et 17.
702
S/RES/1306 (2000), 5 juillet 2000, alinéas 1, 5 et 6 du préambule ; et § 1.
703
Voir, par exemple, S/RES/1521 (2003), 22 décembre 2003, §§ 2, 6 et 10.
704
Voir, par exemple, S/RES/1643 (2005), § 6.
705
S/RES/1857 (2008), 22 décembre 2008, § 4, g). Voir également S/RES/ 1896 (2009), 7 décembre 2009,
§ 3. Ces mesures ont été prises par la résolution 1807 (2008), 31 mars 2008.
182
mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire des
personnes visées par le Comité de Sanction créé par la résolution 1533 (2004) (sans
qu’un Etat soit obligé de refuser à ses propres nationaux l’entrée sur son territoire) ; geler
immédiatement les fonds, autres avoirs financiers et ressources économiques de ces
personnes ou entités se trouvant sur leur territoire, etc.706 Un Etat qui ne prend pas ces
mesures requises par le Conseil de sécurité manque à une obligation de diligence qui lui
incombe en vertu du droit international. C’est sur cette base que le 26 juillet 2010, l’ONG
Global Witness a intenté une action en demande de contrôle juridictionnel devant la
Haute Cour de Justice contre le gouvernement britannique pour non-inclusion des
entreprises britanniques faisant le commerce de minerais du conflit congolais sur la liste
des entités visées par les sanctions de l’ONU707. Cette Organisation non gouvernementale
a estimé que le Gouvernement britannique a violé les résolutions 1857 (2008) et 1896
(2009), qui édictent des sanctions contre des entreprises multinationales (gel de fonds,
interdiction de déplacement de leurs dirigeants,…)708.
Etant donné que ces résolutions du Conseil de sécurité édictent des sanctions
contre des entreprises (multinationales), on peut, de manière incidente, se demander si le
Conseil de sécurité est habilité à prendre des décisions créant directement des obligations
dans le chef des entreprises qui participent à l’exploitation illicite des ressources
naturelles d’un Etat en temps de conflit armé. Autrement dit, les décisions du Conseil de
sécurité édictant des sanctions contre des multinationales ont-elles un effet direct, en
706
Cf. S/RES/1807 (2008), 31 mars 2008, §§ 9 et 11. Les paragraphes 9 et 11 sont évoqués par la
S/RES/1857 (2008), 22 décembre 2008, § 3.
707
Voir « Global Witness intente une action contre le gouvernement britannique pour non-inclusion des
entreprises britanniques faisant le commerce de minerais du conflit congolais sur la liste des entités visées
par les sanctions de l’ONU », communiqué de presse du 26 juillet 2010, disponible sur
http://www.globalwitness.org/media_library_detail.php/1032/fr/global_witness_intente_une_action_contre
_le_gouver consulté le 26 juillet 2010.
708
S/RES/1857 (2008), 22 décembre 2008, § 4, g). Voir également S/RES/ 1896 (2009), 7 décembre 2009,
§ 3. Ces mesures ont été prises par la résolution 1807 (2008), 31 mars 2008.
183
709
J. VERHOEVEN, « La notion d’ ‘‘applicabilité directe’’ du droit international », in R.B.D.I., 1980, p.
243 (Italiques dans l’original).
710
Cf. PH. GAUTIER, « Applicabilité directe et droit de la mer », in R. CASADO RAIGON et G.
CATALDI (sous la direction de), L’évolution et l’état actuel du droit de la mer. Mélanges de droit de la
mer offerts à Daniel Vignes, Bruxelles, Bruylant, 2009, p. 375, § 6.
711
M.-P. LANFRANCHI, « La valeur juridique en France des résolutions du Conseil de sécurité », in
A.F.D.I., Vol. 43, 1997, p. 47. Voir également D. CARREAU, Op. cit., p. 450, § 1220.
712
Cf. PH. GAUTIER, « Applicabilité directe et droit de la mer », « Art. cit. », p. 378, § 12.
184
internationale de Justice, notamment dans les affaires LaGrand et Avena, n’affirme pas
l’effet direct de l’article 36, § 1er de la Convention de Vienne de 1963 sur les relations
consulaires alors qu’elle reconnaît pourtant que cette disposition est claire, crée des
« droits individuels » et des obligations « que l’Etat de résidence a vis-à-vis d’une
personne détenue »713. C’est essentiellement en droit européen, interprété et appliqué par
la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE), dans le cadre des litiges
mettant en cause des particuliers, que la notion d’applicabilité directe du droit
communautaire et de certaines conventions internationales a connu du succès714. On peut
relever en passant que « [s]ur la base de la jurisprudence de la CJCE, une distinction est
opérée entre l’effet ‘‘vertical’’ de l’applicabilité directe – qui vise la possibilité
d’invoquer la norme dans les relations entre les organes de l’Etat et les particuliers – et
l’effet ‘‘horizontal’’ – qui concerne l’application de la règle entre particuliers, par
exemple lorsqu’une personne invoque devant un juge interne, à l’encontre de
l’employeur, le respecte de l’égalité de rémunération entre travailleurs masculins et
féminins »715.
Force est de noter avec Joe Verhoeven que « [m]ême si l’applicabilité directe
a principalement été discutée à propos des traités, elle ne leur est pas spécifique. La
question concerne en effet indifféremment toute source du droit international public
(coutume, décision d’une organisation internationale, …) »716. C’est dans ce sens que
nous nous interrogeons sur l’applicabilité directe des résolutions contraignantes du
Conseil de sécurité édictant des sanctions contre des multinationales impliquées dans
l’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat étranger en cas de conflit armé.
713
Ibidem, pp. 376-381, §§ 9-16.
714
Cf. Ibidem, p. 378, § 12.
715
Ibidem, p. 374, § 5.
716
J. VERHOEVEN, « La notion d’ ‘‘applicabilité directe’’ du droit international », « Art. cit. », p. 244.
717
Parmi les « adversaires » de l’applicabilité directe des résolutions obligatoires du conseil de sécurité des
Nations unies, on peut citer Tullio Treves, Gilbert Guillaume, Magdalena M. Martin Martinez et Pierre-
Marie Lanfranchi. Parmi les « défenseurs » de l’applicabilité directe des résolutions obligatoires du Conseil
de sécurité figurent Benedetto Conforti, Joe Verhoeven, Nicolas Angelet, Tshibangu Kalala (Cf.
185
Lanfranchi, les décisions du Conseil de sécurité ne répondent pas jusqu’à présent aux
critères cumulatifs que nous venons de mentionner ci-dessus. Il est vrai, estime
Lanfranchi, du point de vue matériel, les décisions du Conseil de sécurité portant
sanctions contre des personnes privées sont parfois rédigées en des termes assez
complets, précis et impératifs, ce qui répond à la condition liée à toute règle de l’effet
utile718. Du point de vue formel, les décisions du Conseil de sécurité ne sauraient être
d’effet direct en l’absence du consentement des Etats719. En fait, l’article 48 de la Charte
des Nations unies subordonne l’exécution des décisions du Conseil de sécurité en matière
de maintien de la paix et de la sécurité internationales aux « mesures nécessaires à
l’exécution », qui « sont prises par tous les membres des Nations Unies ou certains
d’entre eux »720. Par ailleurs, le droit interne impose généralement des « conditions de
publication attachées à tout acte ayant pour prétention de modifier la situation juridique
des particuliers » alors que « la Charte des Nations Unies ne contient aucune disposition
relative à la publication des actes obligatoires de l’ONU »721.
Pour faire le point sur la position doctrinale qui dénie tout effet direct aux
décisions du Conseil de sécurité, nous pouvons dire que dans la logique de ces auteurs,
lorsque les Etats adoptent des mesures nécessaires à l’exécution des décisions du Conseil
de sécurité imposant des sanctions aux personnes privées, ces mesures font partie du droit
interne. Les entreprises sont tenues de se conformer à leur contenu, non comme du droit
international (décisions du Conseil de sécurité), mais plutôt comme du droit interne. Dans
ce cas, seuls les Etats ont l’obligation d’exécuter les décisions du Conseil de sécurité
relatives au maintien de la paix et de la sécurité internationales.
En revanche, d’autres auteurs estiment qu’en vertu des pouvoirs qui lui sont
conférés par la Charte en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales,
rien n’interdit au Conseil de sécurité d’adopter des résolutions contraignantes directement
applicables.
TSHIBANGU KALALA, Les résolutions de l’ONU et les destinataires non étatiques, Bruxelles, Larcier,
2009, pp. 245-266).
718
Cf. M.-P. LANFRANCHI, « Art. cit. », pp. 49-50.
719
Cf. Ibidem, p. 54.
720
Cf. Ibidem, p. 54.
721
Ibidem, p. 55.
186
Bien d’autres auteurs abondent dans le même sens que Joe Verhoeven728.
Pour notre part, nous soutenons effectivement que rien n’empêcherait le Conseil de
sécurité de prendre des décisions contraignantes interdisant directement à des entreprises
multinationales de participer à l’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat en
cas de conflit armé. A notre connaissance, le Conseil de sécurité n’a pas encore pris une
telle décision. Mais il nous semble utile de mentionner par exemple, que dans la
722
J. VERHOEVEN, Droit international public, Op. cit., p. 795.
723
Cf. Ibidem, p. 795.
724
Cf. Ibidem, p. 795.
725
Ibidem, p. 795.
726
Ibidem, p. 795.
727
Ibidem, p. 795.
728
Voir inter alia : Benedetto Conforti, Nicolas Angelet, Tshibangu Kalala (Cf. TSHIBANGU KALALA,
Op. cit., pp. 262-266).
187
729
S/RES/1896 (2009), 7 décembre 2009, p. 5, § 16.
730
R. DEGNI-SEGUI, « Article 24, Paragraphes 1et 2 », in J.-P. COT et A. PELLET (sous la direction de),
La Charte des Nations Unies. Commentaire article par article, Op. cit., p. 880.
731
Ibidem, p. 880.
188
732
Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 2010, p. 420, § 41.
733
Ibidem, pp. 420-421, § 42. Sur la portée juridique de la résolution 377 (V), voir R. DEGNI-SEGUI,
« Art.cit. », pp. 887- 891. Il conclut en ces termes : « On inclinerait à conclure que l’irrégularité originelle
de la résolution Dean Acheson n’est pas couverte par la pratique. Cette irrégularité, qui affecte seulement
les fonctions du Conseil de sécurité, laisse intacts les pouvoirs de celui-ci » (Ibidem, p. 891). Au contraire,
aux yeux de Michel Virally, « cette résolution qui transforme profondément l’équilibre établi par la Charte
au sein des Nations Unies a pu paraître inconstitutionnelle et a été très vivement attaquée sur ce plan par
les Etats du groupe soviétique. On ne peut aujourd’hui que la considérer comme régulière alors que son
utilisation a été unanimement acceptée dans les affaires de Suez et de Hongrie » (M. VIRALLY,
« Art.cit. », p. 89). Jorge Castaneda voit en l’acquiescement des membres des Nations unies la création des
189
Ce faisant, c’est à bon droit que l’Assemblée générale a pris des résolutions
recommandant aux Etats des mesures pour mettre fin à un conflit armé et à l’exploitation
illicite des ressources naturelles d’un autre Etat (ou d’une entité sous statut international).
Il y a lieu d’évoquer quelques exemples, notamment la résolution 42/14 A, du 6
novembre 1987, dans laquelle l’Assemblée générale « [r]éaffirme que les ressources
naturelles de la Namibie, y compris ses ressources marines, sont le patrimoine inviolable
du peuple namibien et se déclare profondément préoccupé par l’épuisement rapide de ces
ressources, en particulier des gisements d’uranium, par suite au pillage auquel se livrent
l’Afrique du Sud et certains intérêts économiques étrangers, occidentaux et autres, en
violation des résolutions pertinentes de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité,
du décret n°1 pour la protection des ressources naturelles de la Namibie, de l’avis
consultatif rendu par la Cour internationale de Justice le 21 juin 1971 »734. Par
conséquent, elle « [p]rie à nouveau tous les Etats Membres, en particulier ceux dont les
sociétés se livrent à l’exploitation des ressources namibiennes, de prendre toutes les
mesures appropriées, y compris des mesures législatives et des mesures coercitives, pour
faire en sorte que les dispositions du décret n°1 pour la protection des ressources
naturelles de la Namibie soient pleinement appliquées et respectées par toutes les
sociétés et tous les particuliers relevant de leur juridictions »735. Par ailleurs, elle
« [d]emande aux gouvernements de tous les Etats, en particulier à ceux dont les sociétés
se livrent à l’extraction et au traitement d’uranium namibien, de prendre toutes les
mesures qu’appellent les résolutions et décisions de l’Organisation des Nations Unies et
le décret n°1 pour la protection des ressources naturelles de la Namibie, et notamment
d’exiger des certificats d’origine négatifs, pour interdire à leurs entreprises publiques et
normes coutumières dans l’ordre normatif particulier des Nations Unies (Cf. J. CASTANEDA, « Valeur
juridiques des résolutions des Nations Unies », in R.C.A.D.I., 1970, Vol. I, tome 129, pp. 277-281). Et
Robert Kolb opine : « Au vu de la pratique subséquente – et malgré le fait que la légalité de la Résolution
soit longtemps restée très controversée – il est possible de dire qu’elle n’est pas contraire au droit de la
Charte. La Charte, en tant qu’instrument de type constitutionnel, est un texte vivant. Depuis 1950, la
pratique atteste l’acceptation de cette Résolution » (R. KOLB, Introduction au droit des Nations Unies,
Bâle, Helbing Lichtenhahn, 2008, p. 105. Nous penchons vers le point de vue de Robert Kolb.
L’interprétation de la Charte doit être dynamique, téléologique, et non statique, figée.
734
A/RES/42/14 A, 6 novembre 1987, § 68.
735
Ibidem, § 73.
190
« 1. Demande à tous les Etats d’appliquer dans leur intégralité les mesures
adoptées par le Conseil de sécurité visant le lien entre le commerce des diamants du sang
et la livraison aux mouvements rebelles d’armes, de combustible ou de tout autre type de
matériel interdit;
2. Prie instamment tous les Etats d’apporter leur appui aux efforts que les
pays qui produisent, travaillent, exportent et importent des diamants, ainsi que l’industrie
du diamant, accomplissent en vue de trouver des moyens de briser le lien entre les
diamants du sang et le conflit armé, et encourage l’adoption d’autres initiatives
appropriées à cette fin, notamment l’amélioration de la coopération internationale en
matière de maintien de l'ordre;
736
Ibidem, § 74.
737
A/RES/55/56, 29 janvier 2001, §§ 1-3.
191
l’ONU. Lorsqu’ elle est adressée aux Etats membres, « la recommandation donne un
contenu concret aux engagements statutaires des Etats et détermine dans quelles
conditions ils devraient s’en acquitter. Ces derniers ont le droit de lui opposer leur
propre conception, mais ne peuvent utiliser ce droit pour se soustraire à leurs
obligations. Ils ne sauraient éviter de se conformer à la recommandation qui leur est
adressée que si leur refus se justifie en droit et en fait »738. La situation devient plus
simple lorsque l’Assemblée générale recommande à un Etat de se conformer à une
résolution du Conseil de sécurité, qui est déjà obligatoire par elle-même. Ces mêmes
considérations sont également applicables aux Etats non membres. En effet, en vertu de
l’article 2, § 6 de la Charte, « [l]'Organisation fait en sorte que les Etats qui ne sont pas
Membres des Nations Unies agissent conformément à ces principes dans la mesure
nécessaire au maintien de la paix et de la sécurité internationales »739. Cela se confirme
davantage lorsqu’un Etat non membre de l’ONU a attiré l’attention du Conseil de sécurité
ou de l’Assemblée générale sur un différend auquel il est partie, conformément à l’article
35, § 2 de la Charte.
Bref, bien que n’étant pas « par elles-mêmes obligatoires »740, du moins en
principe, les recommandations de l’Assemblée générale en matière de maintien de la paix
et de la sécurité internationales ont une grande force politique. En effet, « l’Assemblée
peut toujours recommander aux membres de l’organisation de prendre certaines mesures
diplomatiques ou économiques propres à faire pression sur l’Etat qui refuse à appliquer
ses recommandations. Il deviendrait ainsi très difficile à un Etat isolé au sein des Nations
Unies, et surtout si une majorité s’est prononcée contre lui, de se soustraire aux
recommandations de l’Assemblée générale »741.
738
M. VIRALLY, « Art.cit. », p. 96.
739
C’est la valeur universelle de la paix et de la sécurité internationales qui justifie cette exception à la
règle « Res inter alios acta […] ».
740
M. VIRALLY, « Art.cit. », p. 83.
741
Ibidem, pp. 88-89.
192
742
Cf. L. LUCCHINI, « La Namibie, une construction des Nations Unies », in A.F.D.I., Vol. XV, 1969,
pp. 356 et 361- 362.
743
Cf. Ibidem, p. 362.
744
Cf. Ibidem, p. 361.
745
Cf. Statut international du Sud-Ouest africain, Avis consultatif : C.I.J. Recueil 1950, pp. 133 et 137.
Pour rappel, en vertu de son Mandat, l’Union de l’Afrique du Sud devrait s’acquitter d’une « mission
sacrée de civilisation », consistant à assurer le bien-être et le développement du peuple sud-ouest africain
(Cf. Article 22, § 1er du Pacte de la SDN). Mais, elle a adopté une attitude contraire au Mandat : violations
massives des droits de l’homme, politique de ségrégation raciale pratiquée sur le territoire du Sud-Ouest
africain, tentatives d’annexion pure et simple du territoire, etc. (Cf. L. LUCCHINI, Op. cit., pp. 356- 357).
L’ONU a tenté à plusieurs reprises de ramener l’Union de l’Afrique du Sud sur les rails, notamment par
plusieurs résolutions de l’Assemblée générale et du Conseil de Sécurité et par des avis consultatifs de la
Cour internationale de Justice. Tous ces efforts sont restés vains.
746
Les passages pertinents de cette résolution sont les suivants : « L’Assemblée générale, […] Convaincue
que l’administration du Territoire sous mandat par l’Afrique du Sud a été assurée d’une manière contraire
au Mandat, à la Charte des Nations Unies et à la Déclaration universelle des droits de l’homme, […]
Affirmant son droit de prendre des mesures appropriées à cet égard, y compris le droit de reprendre
l’administration du Territoire sous mandat […] 3. Déclare que l’Afrique du Sud a failli à ses obligations en
ce qui concerne l’administration du Territoire sous mandat, n’a pas assuré le bien-être moral et matériel et
193
De par la résolution 2145 (XXI), mettant fin au Mandat exercé par l’Afrique
du Sud sur le territoire Sud-Ouest africain, l’Assemblée générale devait directement
administrer ce territoire. Par la résolution 2248 (S.V), du 19 mai 1967, relative à la
« Question du Sud-Ouest africain », l’Assemblée générale a décidé de créer le Conseil
des Nations unies pour le Sud-Ouest africain, devant exercer des pouvoirs et fonctions sur
le Territoire, notamment, « [p]romulguer les lois, décrets et règlements administratifs
nécessaires à l’administration du Territoire jusqu’au moment où une assemblée
législative aura été créée à la suite d’élections menées sur la base du suffrage universel
des adultes »749. Organe subsidiaire de l’Assemblée générale, le Conseil des Nations
unies pour le Sud-Ouest africain était responsable devant celle-ci750. Son siège était fixé
(théoriquement) au Sud-Ouest africain751. Les tâches exécutives et administratives étaient
la sécurité des autochtones du Sud-Ouest africain et a, en fait, dénoncé le Mandat ; 4. Décide que le Mandat
confié à sa Majesté britannique pour être exercé en son nom par le Gouvernement de l’Union sud-africaine
est donc terminé, que l’Afrique du Sud n’a aucun droit d’administrer le territoire et que désormais le Sud-
Ouest africain relève directement de la responsabilité de l’Organisation des Nations Unies […] ».
747
Cf. L. LUCCHINI, Op. cit., p. 359.
748
Ibidem, pp. 360 et 364.
749
Résolution 2248 (S.V), du 19 mai 1967, II, § 1, in Documents officiels de l’Assemblée générale,
cinquième session extraordinaire, Annexes, point 7 de l’ordre du jour, document A/ 6640.
750
Cf. Ibidem, II, § 2.
751
Cf. Ibidem, IV, § 1.
194
752
Cf. Ibidem, II, §§ 3 et 4.
753
Cf. Résolution 2372 (XXII), du 12 juin 1968, § 1.
754
Cf. Ibidem, § 3. En dépit de nombreuses résolutions de l’Assemblée générale et du Conseil de Sécurité
enjoignant à l’Afrique du Sud de se retirer du territoire namibien (Sud-Ouest africain), le Gouvernement
sud africain n’a pas cédé. La Cour internationale de Justice a même été amenée à se prononcer sur les
« Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-
Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de Sécurité » (C.I.J. Recueil 1971, p. 16 et
suivantes), présence qu’elle a au bout du compte jugée illicite. C’est au bout d’activités diplomatiques
intenses que l’Afrique du Sud finira par accorder l’indépendance au peuple namibien et se retirer de la
Namibie (Cf. R. GOY, « L’indépendance de la Namibie », in A.F.D.I., Vol. 37, 1991, pp. 392-396. Voir
également CH. CADOUX, « L’Organisation des Nations Unies et le problème de l’Afrique australe.
L’évolution de la stratégie des pressions internationales », in A.F.D.I., Vol. 23, 1977, pp. 156-158).
755
Cf. Ibidem, pp. 385-389.
195
756
‘‘United Nations Council for Namibia: Decree on the Natural Resources of Namibia’’ (September 27,
1974), A/ AC.131/33, 7 October 1974 (disponible sur www.heinonline.org , consulté le 26 juillet 2010).
Nous nous référons également à la traduction de quelques dispositions par P. TAVERNIER, « L’année des
Nations Unies (19 décembre 1973- 18 décembre 1974). Questions juridiques », in A.F.D.I., Vol. 20, 1974,
p. 514). Pour un commentaire et une traduction française de ce décret, voir notamment F. RIGAUX, « Le
décret sur les ressources naturelles de la Namibie adopté le 27 septembre 1974 par le Conseil des Nations
Unies pour la Namibie », in Revue des Droits de l’Homme, 1976, pp. 467-483.
196
757
A/RES/3295 (XXIX), 13 décembre 1974, IV, § 7.
758
Cf. P.TAVERNIER, « L’année des Nations Unies (19 décembre 1973- 18 décembre 1974). Questions
juridiques », « Art. cit. », p. 514; J. CHARPENTIER, « Pratique française du droit international », in
A.F.D.I., Vol. 27, 1981, p. 907 ; R. GOY, « Art. cit. », p. 389 ; P. TAVERNIER, « L’année des Nations
Unies (19 décembre 1974- 17 décembre 1975). Questions juridiques », in A.F.D.I., Vol. 21, 1975, p. 568 ;
Idem, « L’année des Nations Unies (23 décembre 1976 – 21 décembre 1977). Questions juridiques », in
A.F.D.I., Vol. 23, 1977, p. 604 ; Idem, « L’année des Nations Unies (21 décembre 1983 – 18 décembre
1984). Questions juridiques », in A.F.D.I., Vol. 30, 1984, pp. 587- 588.
759
A/RES/39/50 A, 12 décembre 1984, § 61.
760
Voir, par exemple, A/RES/42/14 A, 6 novembre 1987, § 76 et A/RES/43/26 A, 17 novembre 1988, § 60.
197
les actions de ces sociétés en rapport avec l’uranium namibien761. Très exemplaires, ces
actions ont été vivement approuvées par l’Assemblée générale762.
‘‘[…] The Council for Namibia has been lawfully established and the decree
was within its competence […]. It seems most likely that the decree should be seen as the
lawful act of foreign authority; but the foreign authority in this instance is of a special
nature, because most of the States involved […] participated in its creation and all of
them were addressees of several UN resolutions, requesting the full application of the
761
Cf. R. GOY, « Art.cit. », p. 390.
762
Voir par exemple : « (L’Assemblée générale) approuve le Conseil des Nations Unies pour la Namibie
qui, dans le cadre de l’action qu’il mène pour assurer l’application du décret n°1 pour la protection des
ressources naturelles de la Namibie, a engagé des poursuites judiciaires devant les tribunaux nationaux
contre les sociétés ou les particuliers qui exploitent, transportent, traitent ou achètent des ressources
naturelles namibiennes » (A/RES/42/14 A, 6 novembre 1987, § 75). Voir également A/RES/43/26 A, 17
novembre 1988, § 59.
763
P. TAVERNIER, « L’année des Nations Unies (19 décembre 1973- 18 décembre 1974). Questions
juridiques », in A.F.D.I., Vol. 20, 1974, p. 514. Paul Tavernier se réfère à la résolution 3295 (XXIX), que
nous avons déjà mentionnée, par laquelle l’Assemblée générale prie tous les Etats de prendre les mesures
appropriées aux fins de l’application effective de ce décret.
764
Voir H.G. SCHERMERS, ‘‘The Namibia Decree in National Courts’’, in International and
Comparative Law Quarterly, Vol. 26, 1977, pp. 81-96. Pour d’autres commentaires sur la force
contraignante du décret, voir F. RIGAUX, « Art. cit. », pp. 467-483.
198
decree. This makes the decree of higher status than a decree of foreign State. Courts
which apply similar decrees of foreign States should not hesitate to apply the Namibia
decree, and even courts which would not apply similar foreign decrees could nonetheless
apply the Namibia decree since it does not emanate from an entirely foreign authority,
and was created by the international community and in the interests of that community.
Non- application of the decree would violate international public policy and would
therefore be contrary to the national public policy as well”765.
Même s’il requiert pour son application des mesures étatiques, ce décret
présente déjà un intérêt évident. Il a certes été adopté dans un contexte très particulier de
décolonisation, mais aussi de guerre de libération nationale. Il a l’avantage d’être un outil
juridique prévoyant des obligations et des sanctions contre des Etats et des entreprises
765
H.G. SCHERMERS, “Art.cit.”, p. 96.
766
F. RIGAUX, « Art. cit. », p. 471.
767
« 3. Aucune ressource d’origine animale ou minérale ou autre ressource naturelle produite sur le
territoire de la Namibie ou provenant de ce territoire ne peut être retirée dudit territoire par un moyen
quelconque et dirigée vers un lieu quelconque situé en dehors des limites territoriales de la Namibie, par
une personne ou un organisme quelconque, constitué ou non en société, sans l’assentiment ou l’autorisation
du Conseil des Nations Unies pour la Namibie ou d’une personne habilitée à agir au nom dudit Conseil ».
768
Ibidem, p. 475.
199
La question des effets d’un conflit armé sur les traités n’a pas été réglée par la
Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités769. L’Institut de droit
international a examiné cette question au cours de la session d’Helsinki de 1985 et a
adopté, le 28 août, une résolution intitulée « Les effets des conflits armés sur les
traités »770. La Commission du droit international (CDI) a commencé ses travaux sur ce
sujet en 2000 (cinquante-deuxième session). Elle a adopté, en première lecture, en 2008
(soixantième session), un texte des projets d’articles sur les effets des conflits armés sur
les traités771. En 2011 (soixante-troisième session)772, elle a adopté, en seconde lecture, le
texte du projet d’articles sur les effets des conflits armés sur les traités. Comme le
769
En effet, le conflit armé, qui soulève pourtant le problème de l’extinction des traités et celui de la
suspension de leur application, ne figure pas parmi les causes d’extinction des traités ou de suspension de
leur application consacrées par les articles 54 à 64 de la Convention. La Commission du droit international
a estimé à sa quinzième session (1963) que cette question, qui implique inévitablement l’examen de l’effet
des dispositions de la Charte relatives à la menace ou à l’emploi de la force sur la légitimité du recours aux
hostilités, déborde le droit des traités et a préféré ne pas l’aborder dans la Convention de 1969(Cf. Rapport
de la Commission du droit international, soixantième session (5 mai-6 juin et 7 juillet-8 août 2008),
A/63/10, p.96, note 58). C’est l’article 73, ajouté à la Conférence de Vienne, qui énonce de manière non
équivoque que les dispositions de la Convention ne préjugent aucune question qui pourrait se poser,
notamment, à propos de l’ouverture d’hostilités entre Etats.
770
INSTITUT DE DROIT INTERNATIONAL, Annuaire de l’Institut de droit international, Résolutions
1957-1991, pp. 174 et suivantes.
771
Cf. Rapport de la Commission du droit international, soixantième session, Op. cit., p. 87, note 54 et p.
89. Le 6 août 2008, le texte des projets d’articles a été transmis aux gouvernements pour commentaires et
observations jusqu’au 1er janvier 2010 (Cf. Ibidem, p. 87).
772
Cf. Rapport de la Commission du droit international, soixante-troisième session (26 avril- 3 juin et 4
juillet- 12 août 2011), A/66/10, p. 183.
200
souligne Laurent Trigeaud, « [l]e projet définitivement adopté par la Commission [du
droit international], sera présenté à l’Assemblée générale des Nations Unies [Sixième
Commission] en décembre 2011 (Rés. 66/99 (2011) »773. Dans la résolution 66/99, du 9
décembre 2011, l’Assemblée générale « [p]rend note des articles sur les effets des
conflits armés sur les traités présentés par la Commission du droit international, dont le
texte est annexé à la présente résolution, et recommande qu’ils soient portés à l’attention
des gouvernements, sans que cela préjuge de leur adoption ou de toute autre mesure
appropriée qui pourrait être prise »774 et « [d]écide d’inscrire une question intitulée
‘‘Effets des conflits armés sur les traités’’ à l’ordre du jour provisoire de sa soixante-
neuvième session, notamment pour examiner la forme qui pourrait être donnée aux
articles »775.
773
L. TRIGEAUD, « Les effets des conflits armés sur les traités suivant le projet d’articles de la
Commission du droit international », in R.G.D.I.P., Tome 116, 2012-4, p. 850, note 10 (Notre emphase).
Les rapporteurs spéciaux de la C.D.I. sur cette question ont été respectivement Ian Brownlie et Lucius
Caflisch (Cf. Ibidem, p. 850, note 10).
774
Résolution 66/99. « Effets des conflits armés sur les traités », A/RES/66/99, 9 décembre 2011, § 3.
775
Ibidem, § 4.
776
Pour la doctrine dominante, en général, les traités bilatéraux conclus pour le temps de conflits armés
subsistent, alors que ceux conclus pour le temps de paix deviennent caducs, excepté ceux créant une
situation objective (situation territoriale). Les traités multilatéraux sont suspendus entre belligérants, mais
restent en vigueur entre non belligérants de même qu’entre belligérants et non belligérants. Voir, par
exemple, S. BASTID, Les traités dans la vie internationale. Conclusion et effets, Paris, Economica, 1985,
pp. 213-215 ; J. VERHOEVEN, Op. cit., pp. 437-438 ; P. DAILLIER et A. PELLET, Op. cit., pp. 312-313.
201
777
Rapport de la Commission du droit international, soixante-troisième session, Op. cit., p. 192, § 1.
778
Cf. Rapport de la Commission du droit international, soixantième session, Op. cit., p. 101, § 1.
779
Cf. K. MOLLARD-BANNELIER, La protection de l’environnement en temps de conflit armé, Paris,
Pedone, 2001, p. 229.
780
http://portal.unesco.org/fr/ev.phpURL_ID=13055&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html#
ENTRY consulté le 19 août 2010.
202
patrimoine mondial en péril », sur laquelle ne peuvent figurer que les biens du patrimoine
culturel et naturel qui sont menacés de dangers graves et précis, tels que […] un conflit
armé venant ou menaçant d’éclater. Parmi les biens figurant sur la « liste du patrimoine
mondial en péril », on peut citer les parcs nationaux de Virunga, de la Garamba et de
Kahuzi-Biega, situés en République démocratique du Congo, fortement menacés par les
conflits armés dans ce pays781. Nous sommes d’avis avec Karine Mollard-Bannelier
qu’« il apparaît donc clairement que cet instrument n’est pas suspendu lorsque surgit un
conflit armé et, même s’il ne l’exprime pas ouvertement, il semble tout aussi clair que les
forces belligérantes continuent à avoir, dans toute la mesure du possible, l’obligation de
ne pas porter atteinte à ces biens »782. Cette convention demeure donc applicable tant en
temps de paix qu’en temps de conflit armé.
En temps de conflit armé, il pourrait arriver que des espèces protégées par la
Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel fassent
l’objet de pillage. Ce fut le cas pendant les conflits armés en République démocratique du
Congo (surtout entre 1998 et 2001), de l’abattage d’éléphants dans le parc de la Garamba
par des soldats ougandais et de l’abattage d’éléphants et de buffles dans le parc de
Virunga par des soldats rwandais783. La République démocratique du Congo, l’Ouganda
et le Rwanda sont parties aux Conventions de Genève de 1949784. Ils ont également
ratifié ou accepté la Convention de l’UNESCO concernant la protection du patrimoine
mondial, culturel et naturel respectivement le 23 septembre 1974, le 20 novembre 1987 et
le 28 décembre 2000785. La protection de ces éléphants en temps de conflit armé est
assurée et par les Conventions de Genève et par la Convention de l’UNESCO de 1972. Il
nous semble que dans l’affaire Congo c. Ouganda, la République démocratique du Congo
aurait dû évoquer la violation par l’Ouganda de cette Convention de 1972, du moins sur
l’aspect particulier du pillage des éléphants dans le parc de la Garamba, au lieu de se
781
Cf. K. MOLLARD-BANNELIER, Op. cit., p. 240.
782
Ibidem, p. 240.
783
Cf. Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses
de la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 13, § 62.
784
Voir http://www.cicr.org/web/fre/sitefre0.nsf/htmlall/5fzg54?opendocument consulté le 20 août 2010.
785
Voir http://portal.unesco.org/la/convention.asp?KO=13055&language=F&order=alpha consulté le 20
août 2010.
203
contenter d’évoquer de manière générale la violation du jus in bello. Il est vrai qu’en
période de conflit armé, le jus in bello est la lex specialis applicable à la protection des
ressources naturelles par les belligérants. Ceci ne signifie pas qu’il met fin à la protection
assurée par les autres instruments internationaux pertinents786. Ce raisonnement s’inspire
mutatis mutandis de la position de la Cour internationale de Justice qui, dans son avis
consultatif du 8 juillet 1996, dans l’affaire des Armes nucléaires, observe concernant
l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques : « […] La
protection offerte par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne cesse
pas en temps de guerre […]. C’est toutefois, en pareil cas, à la lex specialis applicable, à
savoir le droit applicable dans les conflits armés, conçu pour régir la conduite des
hostilités, qu’il appartient de déterminer ce qui constitue une privation arbitraire de la
vie »787.
Qu’en est-il en cas de silence d’un accord international sur son application
pendant un conflit armé ?
786
Cf. K. MOLLARD-BANNELIER, Op. cit., p. 279: « Le jus in bello, s’il constitue une lex specialis, il
n’est guère exclusif d’autres règles ».
787
Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, C.I.J. Recueil 1996, p. 240, § 25.
204
Cette disposition est complétée par l’article 7, qui énonce : « Une liste
indicative de traités dont la matière implique qu’ils continuent de s’appliquer, en tout ou
en partie, au cours d’un conflit armé figure en annexe au présent projet d’articles ». Sur
cette liste figurent « les traités relatifs à la protection internationale de
788
l’environnement » .
788
Rapport de la Commission du droit international, soixante-troisième session, Op. cit., pp. 186-187. Voir
précisément l’alinéa g). Le texte de cette annexe se présente comme suit :
« Annexe
Liste indicative de traités visés dans l’article 7
a) Les traités portant sur le droit des conflits armés, y compris les traités relatifs au droit international
humanitaire.
b) Les traités déclarant, créant ou réglementant un régime ou un statut permanent ou des droits permanents
connexes, y compris les traités établissant ou modifiant des frontières terrestres ou maritimes.
c) Les traités multilatéraux normatifs.
d) Les traités portant sur la justice pénale internationale.
e) Les traités d’amitié, de commerce et de navigation et les accords concernant des droits privés.
f) Les traités pour la protection internationale des droits de l’homme.
g) Les traités relatifs à la protection internationale de l’environnement.
h) Les traités relatifs aux cours d’eau internationaux et aux installations et ouvrages connexes.
i) Les traités relatifs aux aquifères et aux installations et ouvrages connexes.
j) Les traités qui sont des actes constitutifs d’organisations internationales.
205
Dans l’affaire des Armes nucléaires, les Etats ont adopté des positions
divergentes concernant l’applicabilité des traités environnementaux en période de conflit
armé. Pour les puissances nucléaires, notamment la France et les Etats-Unis, ces traités
cessent de s’appliquer en temps de conflit armé car, n’ayant pas été négociés pour être
appliqués en telle situation, aucun ne contient de dispositions relatives aux conflits
armés789. Par contre, les puissances non nucléaires estiment que les conventions
environnementales sont applicables même en temps de conflit armé790.
Dans son avis, la Cour internationale de Justice observe que la question posée
n’est pas celle de l’applicabilité ou non, en période de conflit armé, des traités
environnementaux, mais plutôt celle du respect absolu, durant un conflit armé, des
obligations que ces traités imposent aux Etats. Elle estime qu’il ne saurait en être ainsi à
l’occasion de l’exercice par un Etat de son droit de légitime défense, pour lequel,
toutefois, la nécessité et la proportionnalité doivent être appréciées au regard du respect
notamment de l’environnement. Ce point de vue de la Cour est basé sur le principe 24 de
la Déclaration de Rio, selon lequel les Etats doivent respecter le droit international de
l’environnement même en temps de conflit armé. La Cour souligne par ailleurs que les
articles 35, § 3791 et 55792 du Protocole additionnel I offrent à l’environnement une
protection supplémentaire (par rapport à celle offerte par les accords
environnementaux)793.
k) Les traités relatifs au règlement des différends internationaux par des moyens pacifiques, notamment la
conciliation, la médiation, l’arbitrage et le règlement judiciaire.
l) Les traités relatifs aux relations diplomatiques et consulaires ».
789
Voir Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, Exposé oral de la France présenté le 2
novembre 1995 par M. Marc Perrin de Brichambaut, CR 95/24, p. 22. Voir également l’exposé écrit des
Etats-Unis, lettre du 20 juin 1995, cote 18, pp. 34 et suivantes.
790
Voir, par exemple, Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, Exposé oral des îles
Salomon, CR 95/32, pp. 58 et suivantes.
791
Article 35, § 3 du Protocole additionnel. I. : « Il est interdit d'utiliser des méthodes ou moyens de guerre
qui sont conçus pour causer, ou dont on peut attendre qu'ils causeront, des dommages étendus, durables et
graves à l'environnement naturel ».
792
Article 55 du Protocole additionnel. I. : « Protection de l’environnement naturel
1. La guerre sera conduite en veillant à protéger l'environnement naturel contre des dommages étendus,
durables et graves. Cette protection inclut l'interdiction d'utiliser des méthodes ou moyens de guerre conçus
pour causer ou dont on peut attendre qu'ils causent de tels dommages à l'environnement naturel,
compromettant, de ce fait, la santé ou la survie de la population.
2. Les attaques contre l'environnement naturel à titre de représailles sont interdites ».
793
Cf. Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, C.I.J. Recueil 1996, p. 242, §§ 30-31.
206
Partant de cet avis de la Cour, Philippe Sands estime que ‘‘ The Court’s
advisory opinion has recognised, for the first time, the existence of norms of international
environmental law as custom, and that they are applicable equally in times of armed
conflict’’794.
Après avoir examiné les passages pertinents de l’avis de la Cour dans l’affaire
des Armes nucléaires, à savoir les paragraphes 29, 30 et 31, la Commission du droit
international les a appréciés en ces termes : « Ces observations sont bien entendu
importantes. Elles militent généralement et indirectement en faveur d’une présomption
d’applicabilité des traités relatifs à l’environnement en cas de conflit armé, en dépit du
fait que, comme il était indiqué dans les exposés écrits déposés dans l’affaire ayant donné
lieu à l’avis consultatif, il n’y avait pas d’accord général sur cette question juridique
précise »796.
794
PH. SANDS, Principles of international environmental law, Cambridge, Cambridge University Press,
2003, p. 316.
795
D. AKANDE, ‘‘Nuclear Weapons, Unclear Law? Deciphering the Nuclear Weapons Advisory Opinion
of the International Court’’, BYBIL, Vol. 68, 1997, pp. 183-184.
796
Rapport de la Commission du droit international, soixante-troisième session, Op. cit., p. 223, § 55.
207
générations à venir »797. La protection de l’environnement (sol, minerais, air, eau, faune,
flore,…) n’a d’intérêt que pour la sauvegarde ou l’amélioration de la vie humaine.
797
Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, C.I.J. Recueil 1996, pp. 241-242, § 29.
798
Cf. K. MOLLARD-BANNELIER, Op. cit., pp. 267.
799
Cf. Ibidem, pp. 268-269. Voir également D. AKANDE, « Art.cit. », p. 184.
800
Cf. K. MOLLARD-BANNELIER, Op. cit., p. 257.
208
de La Haye de 1907. A plus forte raison, lorsque l’Etat occupant et l’Etat occupé sont
parties à un même traité, en l’occurrence, un traité environnemental multilatéral, ce
dernier ne pourrait être éteint du fait de l’occupation. L’Etat occupant est obligé de
respecter et de faire respecter ce traité et sur son propre territoire et sur celui de l’Etat
occupé.
Enfin, les ressources protégées ont une valeur telle que même sur son propre
territoire, chaque Etat partie à un accord environnemental est assujetti à une obligation de
les protéger. A fortiori, lorsque ces ressources protégées se retrouvent sur un territoire
étranger, un Etat qui profite du conflit armé pour les exploiter, contrairement aux règles
qu’un accord environnemental lui impose pour ces mêmes ressources se retrouvant sur
son propre territoire, viole cet accord. En effet, un Etat ne peut avoir sur un territoire
étranger plus de droits qu’il n’en a sur son propre territoire. Le droit international ne
pourrait permettre à un Etat d’être « gentleman chez lui, voyou ailleurs »801, autrement
dit, de protéger sur son territoire des ressources naturelles qu’il gaspille à l’étranger. De
surcroît, un Etat qui déclenche un conflit armé aux fins de piller des ressources naturelles
d’un autre Etat, viole la Charte des Nations unies et la résolution 3314 (XXIX) de
l’Assemblée générale des Nations unies. Il ne peut donc se prévaloir d’une extinction ou
d’une suspension de l’application des accords environnementaux relatifs à la protection
des ressources naturelles qu’il exploite dans ces conditions. En effet, selon un principe
général de droit, « Nullus commodum capere de sua injuria propria », ce qui signifie que
nul ne peut tirer avantage de ses actes illicites802. Par contre, l’on peut accepter comme
licites les atteintes à l’environnement qui résultent d’opérations militaires conduites dans
le cadre du jus ad bellum et conformément au jus in bello.
801
Cf. P.-F. LAVAL, « A propos de la juridiction extraterritoriale de l’Etat. Observations sur l’arrêt Al-
Skeini de la Cour européenne des droits de l’homme du 7 juillet 2011 », in Revue générale de droit
international public, Tome CXVI, 2012-1, p. 76, note 56.
802
Cf. CPA, Arbitrage relatif à la ligne du Rhin de fer (« Ijzeren Rijn ») entre le Royaume de Belgique et le
Royaume des Pays-Bas, sentence du Tribunal arbitral, 24 mai 2005, p. 88, § 214, disponible sur
http://www.pca-cpa.org/upload/files/Iron_Rhine_French_award.pdf consulté le 25 août 2010.
209
coexiste avec les autres instruments juridiques internationaux pertinents. En effet, si la loi
spéciale déroge à la loi générale, elle ne l’abroge pas pour autant. Aucune règle de droit
international ne s’oppose à ce qu’un Etat dont la responsabilité internationale est engagée
du fait de la violation du jus in bello et qui est déjà, par exemple, sanctionné pour ce fait
par une juridiction internationale, ne soit l’objet d’autres sanctions émanant notamment
d’un organe établi dans le cadre d’un accord environnemental multilatéral. C’est à ce titre
que nous pensons, par exemple, que le Comité CITES devrait sanctionner un Etat qui se
livre au pillage des ressources naturelles protégées par cette Convention. Mais, à notre
connaissance, ce Comité n’a encore pris aucune décision dans ce sens.
Dans le cadre de notre étude, les Etats sont les principaux acteurs de
l’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat étranger en cas de conflit armé.
Au cours de l’examen de leur responsabilité internationale (chapitre IV), nous verrons
dans quelle mesure les actes d’exploitation illicite des ressources naturelles commis par
des acteurs non étatiques, en l’espèce les groupes armés et les entreprises
(multinationales), peuvent être imputables aux Etats.
803
« Ce sont des hommes, et non des entités abstraites, qui commettent les crimes dont la répression
s’impose, comme sanction du droit international » (Procès des grands criminels de guerre devant le
Tribunal militaire international, arrêt du 1er octobre 1946, cité par J. CRAWFORD, Les articles de la
C.D.I. sur la responsabilité de l’Etat. Introduction, texte et commentaires, Paris, Pedone, 2003, p. 292).
804
Article 58 du Projet de la C.D.I. de 2001 sur la responsabilité de l’Etat, Commentaire, § 3, in
Commission du droit international, Rapport de la Commission du droit international, cinquante-troisième
session, 23 avril-1er juin et 2 juillet-10 août 2001, A/56/10, p. 391. Sur les rapports entre la responsabilité
de l’Etat et celle de l’individu en cas de commission de crimes internationaux, voir notamment P.-M.
DUPUY, ‘‘International Criminal Responsibility of the Individual and International Responsibility of the
State’’, in A. CASSESE, P. GAETA and J. R. W. D. JONES (Editors), The Rome Statute of the
International Criminal Court: A commentary, Volume II, Oxford, Oxford University Press, 2002, pp.
1085-1100 ; B. I. BONAFE, The Relationship Between State and Individual Responsibility for
International Crimes, Leiden/Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 2009.
211
805
« Article 58
Responsabilité individuelle
Les présents articles sont sans préjudice de toute question relative à la responsabilité individuelle d’après le
droit international de toute personne qui agit pour le compte d’un Etat ».
806
« Aucune disposition du présent statut relative à la responsabilité pénale des individus n’affecte la
responsabilité des Etats en droit international ».
807
A.-L. VAURS CHAUMETTE, Les sujets du droit international pénal. Vers une nouvelle définition de
la personnalité juridique internationale ?, Paris, Pedone, 2009, p. 365. Voir également W. KALECK et al.,
‘‘Corporate Accountability for Human Rights Violations Amounting to International Crimes’’, in Journal
of International Criminal Justice, 8 (2010), pp. 699-724.
808
Voir notamment : Article 6 du Statut du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, article 5 du
Statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda, article 25, § 1er du Statut de la Cour pénale
internationale.
809
Voir notamment : Article 6 du Statut du Tribunal spécial pour la Sierra Leone, article 1er de la loi
relative à l’établissement des Chambres extraordinaires du Cambodge
810
Cf. A.-L. VAURS CHAUMETTE, Op. cit., pp. 370-375. Voir également, M. KREMNITZER, ‘‘A
Possible Case for Imposing Criminal Liability on Corporations in International Criminal Law’’, in Journal
212
De même, dans l’affaire Krauch and Others (I.G. Farben Trial), le T.M.N. a
considéré que des individus ou des personnes morales (juristic persons) qui exploitent
une situation d’occupation militaire pour acquérir par la force des propriétés publiques ou
of International Criminal Justice, 8 (2010), pp. 909-918; N. FARREL, ‘‘Attributing Criminal Liability to
Corporate Actors. Some Lessons from the International Tribunals’’, in Journal of International Criminal
Justice, 8 (2010), pp. 873-894; V. NERLICH, ‘‘Core Crimes and Transnational Business Corporations’’, in
Journal of International Criminal Justice, 8 (2010), pp. 895-908; W. SCHABAS, ‘‘ International criminal
law and the business world’’, in E. DECAUX (sous la direction de), La responsabilité des entreprises
multinationales en matière de droits de l’homme, Op. cit. , pp. 227-251.
811
Krupp and Others, Tribunal militaire international de Nuremberg, 30 juin 1948, I.L.R., Vol. 15, Case
n°214, cité par A.-L. VAURS CHAUMETTE, Op. cit., p. 368, note 70.
812
Krauch and Others (I.G. Farben Trial), Tribunal militaire international de Nuremberg, 29 juillet 1948,
T.W.C., Vol. VIII, cité par Ibidem, p. 369, note 74.
813
Cf. Ibidem, p. 368.
814
Ibidem, p. 368 et note 70.
815
Cf. Ibidem, pp. 368-369.
816
Krupp and Others, Tribunal militaire international de Nuremberg, 30 juin 1948, T.W.C., Vol. IX, p.
1353, cité par Ibidem, p. 369.
213
privées agissent en violation des Conventions de La Haye sur les lois et coutumes de la
guerre817. En l’espèce, le conglomérat I. G. Farben, qui détenait le monopole de la
production chimique allemande au début de la seconde guerre mondiale, avait installé ses
centres de production et d’expérimentation à proximité et au sein même des camps nazis
de concentration. Il en a profité pour utiliser la main-d’œuvre prisonnière et pour spolier
les biens situés sur les territoires occupés par les forces nazies818. Dans cette affaire,
résume Eric Mongelard, ‘‘the tribunal held the company responsible for a specific
violation of Article 47 of the Hague Regulations, which forbids pillage. This violation
was not interpreted by the tribunal as being able to be committed solely by the occupying
power. The tribunal considered that a legal person had the capacity to breach the laws
and customs of war and ipso facto that international humanitarian law was applicable to
a company. It can therefore be deduced from the US military tribunal’s judgment that the
war crime of pillage could be imputed directly to I.G. Farben as a company, even though
the tribunal did not have jurisdiction over legal persons’’819.
Il resort de ces deux affaires dont a connu le TMN que ‘‘companies can be
held responsible for violations of international humanitarian law, particularly war
crimes, as exemplified in this case by pillage and use of forced labour’’820.
817
Cf. Krauch and Others (I.G. Farben Trial), Tribunal militaire international de Nuremberg, 29 juillet
1948, T.W.C., Vol. VIII, p. 1153, cité par Ibidem, p. 369 et note 74 (Nous avons résumé un extrait de ce
jugement).
818
Cf. Ibidem, p. 369.
819
E. MONGELARD, ‘‘Corporate civil liability for violations of international humanitarian law’’, in
International Review of the Red Cross, Vol. 88, Number 863, September 2006, p. 676.
820
Ibidem, p. 676.
821
Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire n° ICTR-99-
52-T, 3 décembre 2003.
822
A.-L. VAURS CHAUMETTE, Op. cit., p. 371.
823
FIDH, Entreprises et violations des droits de l’homme, Op. cit., p. 265.
214
en 1994824. Elle a révélé le rôle joué dans l’incitation directe et publique à commettre le
génocide par la Radio Télévision des Mille Collines (R.T.L.M.) et le journal Kangura (ce
qui signifie en kinyarwanda « la voix qui cherche à réveiller et guider le ‘‘peuple
majoritaire’’ »)825, ainsi qu’il ressort de ce passage du jugement rendu le 3 décembre
2003 par la Chambre de première instance : « Dans le but d’assurer une large diffusion
de ces appels à la violence ethnique, des personnalités de l’entourage du Président
mettent sur pied de véritables médias de la haine qui exerceront une grande influence sur
la population rwandaise. La création de la Radio télévision libre des mille collines
(RTLM) et du journal Kangura participe de cette stratégie et s’inscrit dans cette logique.
Dès 1993, les Tutsis et les opposants politiques sont ciblés, nommément identifiés, et
menacés par ces médias. Nombre d’entre eux compteront parmi les premières victimes
des massacres d’avril 1994 »826.
Dans cet extrait, ce sont les « médias de la haine » qui ont exercé une grande
influence sur la population rwandaise. Le Tribunal n’a pas jugé que cette influence a été
exercée par les responsables et les animateurs. L’action (criminelle) des médias est ainsi
mise en exergue. Evidemment, seules les personnes physiques ont été reconnues
coupables, le Tribunal n’ayant pas compétence à l’égard des personnes morales.
824
Cf. Ibidem, p. 265.
825
Cf. A.-L. VAURS CHAUMETTE, Op. cit., p. 371.
826
Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire n° ICTR-99-
52-T, 3 décembre 2003, § 1.18 (Notre emphase).
827
Cf. Alfred Musema (Appelant) c. Le Procureur (Intimé), affaire n° ICTR-96-13-A, arrêt, 16 novembre
2001.
215
législations conservent le principe « Societas delinquere non potest »828. Il serait très
ambitieux de chercher à passer en revue de nombreuses législations pénales étrangères,
au risque de ne pas rendre compte d’importantes évolutions législatives et
jurisprudentielles. En outre, en matière de responsabilité civile extraterritoriale, la
pratique est mince, d’autant plus que la jurisprudence récente semble fermer la voie un
moment ouverte aux Etats-Unis sur la base de l’Alien Tort Statute (ATS) ou Alien Tort
Claims Act (ATCA)829. Depuis les années 1990, la plupart des procédures judiciaires
contre les grandes multinationales (Exxon Mobil, Coca-Cola, De Beers, …) pour
violation de droits de l’homme ont été intentées devant des tribunaux américains par des
étrangers (Colombiens, Birmans, Sud-Africains, Soudanais,…), sur la base de l’Alien
828
Sur ce point, voir notamment les parties consacrées à la responsabilité pénale des personnes morales
dans les ouvrages suivants: C. HENNAU et J. VERHAEGEN, Droit pénal général (3e édition), Bruxelles,
Bruylant, 2003, pp. 287-294 ; F. TULKENS et M. VAN DE KERCHOVE, Introduction au droit pénal.
Aspects juridiques et criminologiques, Waterloo, Kluwer, 2007, pp. 432-445 ; N. COLETTE-BASECQZ et
N. BLAISE, Manuel de droit pénal général, Louvain-la-Neuve, Anthemis S. A., 2010, pp. 273-297 ;
NYABIRUNGU mwene SONGA, Droit pénal général zaïrois, Kinshasa, Droit et Société, 1989, pp. 205-
211. Voir spécialement : S. ADAM, N. COLETTE-BASECQZ et M. NIHOUL (sous la direction de), La
responsabilité pénale des personnes morales en Europe – Corporate Criminal Liability in Europe,
Bruxelles, La Charte, 2008 ; M. NIHOUL (sous la direction de), La responsabilité pénale des personnes
morales en Belgique, Bruxelles, La Charte, 2005, pp. 243-273 ; PH. KENEL, La responsabilité pénale des
personnes morales en droit anglais. Un modèle pour la Suisse ?, Genève, Librairie Droz, 1991 et FIDH,
Entreprises et violations des droits de l’homme. Un guide pratique sur les recours existants à l’intention
des victimes et des ONG, Op. cit.; S. GEEROMS, « La responsabilité pénale de la personne morale : une
étude comparative », in Revue internationale de droit comparé, Vol. 48, N°3, Juillet-septembre 1996, pp.
533-579 ; B. BOULOC, « La responsabilité pénale des entreprises en droit français », in Revue
internationale de droit comparé, Vol. 46, N°2, Avril-juin 1994, pp. 669-681.
829
L’ATS est « une disposition introduite initialement à la Section 9 du First Judiciary Act de 1789, adopté
par le premier Congrès fédéral, et qui définit les compétences des juridictions fédérales. La disposition en
cause accorde aux juridictions fédérales la compétence de recevoir des actions en responsabilité civile
introduites par tout étranger qui prétend avoir subi un dommage ayant sa source dans une violation du droit
international en vigueur à l'égard des Etats-Unis (‘‘The district courts shall have original jurisdiction of
any civil action by an alien for tort only, committed in violation of the law of nations or a treaty of the
United States’’) » (O. DE SCHUTTER, « Les affaires Total et Unocal : Complicité et extraterritorialité
dans l’imposition aux entreprises d’obligations en matière de droits de l’homme », in A.F.D.I., Vol. 52,
2006, p. 61). Cette disposition est actuellement codifiée sous l’article 28 U.S.C. (United States Code), §
1350 (Cf. Ibidem, p. 61, note 23). Pour des observations sur l’ATCA, voir, inter alia, I. MOULIER,
« Observations sur l’Alien Tort Claim Act et ses implications internationales », in A.F.D.I., Vol. 49, 2003,
pp. 129-164 ; V. RENAUDIE, « Les U.S.A. pays des droits de l’homme ? Un instrument universel de
protection des droits de l’homme méconnu : le US Alien Tort Claim Act », in R.I.D.C., 3-2004, pp. 603-
622 ; M. A. PAGNATTARO, ‘‘Enforcing International Labor Standards : The Potential of the Alien Tort
Claims Act’’, in Vanderbilt Journal of Transnational Law, Vol. 37, 2004, pp. 203-264 ; CH. I. KEITNER,
‘‘Conceptualizing Complicity in the Alien Tort Cases’’, in Hastings Law Journal, Vol. 60, 2008, pp. 61-
101.
216
Tort Claims Act830. Dans sa décision historique du 17 avril 2013, rendue en l’affaire
Kiobel, la US Supreme Court a soutenu que l’Alien Tort Statute (ATS) ne s’applique pas
aux faits commis à l’étranger831. Son raisonnement est basé sur une ‘‘presumption
against extraterritoriality’’ ou ‘‘presumption against extraterritorial application’’, selon
laquelle une loi qui n’énonce pas clairement son application extraterritoriale, en
l’occurrence l’ATS, n’en a pas832. Pour la Cour Suprême, ni le texte ni l’histoire ni les
buts de l’ATS ne sont suffisants pour écarter cette présomption de sa non applicabilité
extraterritoriale833. Au bout du compte, elle a confirmé le jugement de rejet de l’action de
Kiobel par le Second Circuit834.
830
Cf. W. BOURDON, Face aux crimes du marché. Quelles armes juridiques pour les citoyens ?, Paris, La
Découverte, 2010, p. 35.
831
Cf. Kiobel v. Royal Dutch Petroleum Co., 569 U.S. – (2013), Slip Opinion, at 1, available at
http://www.supremecourt.gov/opinions/12pdf/10-1491_8n59.pdf consulted on 22. 04. 2013. Pour un
commentaire de cette décision, voir notamment C. A. BRADLEY, ‘‘Supreme Court Holds That Alien Tort
Statute Does Not Apply to Conduct in Foreign Countries’’, available at
http://www.asil.org/insights130418.cfm consulted on 22. 04. 2013.
832
Cf. Kiobel v. Royal Dutch Petroleum Co., 569 U.S. – (2013), Slip Opinion, at 4: “The question here is
not whether petitioners have stated a proper claim under the ATS, but whether a claim may reach conduct
occurring in the territory of a foreign sovereign. Respondents contend that claims under the ATS do not,
relying primarily on a canon of statutory interpretation known as the presumption against extraterritorial
application. That canon provides that ‘[w]hen a statute gives no clear indication of an extraterritorial
application, it has none,’ Morrison v. National Australia Bank Ltd., 561 U. S.-/- (2010) (slip op., at 6), and
reflects the ‘presumption that United States law governs domestically but does not rule the world,’
Microsoft Corp. v. AT&T Corp., 550 U. S. 437, 454 (2007). This presumption ‘serves to protect against
unintended clashes between our laws and those of other nations which could result in international
discord.’ EEOC v. Arabian American Oil Co., 499 U. S. 244, 248 (1991) (Aramco)”.
833
Cf. Ibidem, at 2 and 13. See also C. A. BRADLEY, ‘‘Art. cit.’’, available at
http://www.asil.org/insights130418.cfm consulted on 22. 04. 2013.
834
Cf. Kiobel v. Royal Dutch Petroleum Co., 569 U.S. – (2013), Slip Opinion, at 14: ‘‘On these facts, all
the relevant conduct took place outside the United States. And even where the claims touch and concern the
territory of the United States, they must do so with sufficient force to displace the presumption against
extraterritorial application. See Morrison, 561 U. S. - (slip op. at 17-24). Corporations are often present in
many countries, and it would reach too far to say that mere corporate presence suffices. If Congress were
to determine otherwise, a statute more specific than the ATS would be required.The judgment of the Court
of Appeals is affirmed’’.
835
Voir, par exemple, H.-D. BOSLY, « La responsabilité pénale des dirigeants d’entreprise et la
responsabilité pénale des personnes morales », in Y. DE CORDT et D. PHILIPPE (sous la direction de), La
responsabilité des dirigeants des personnes morales, Bruxelles, La Charte, 2007, pp. 237-256 ; J.-C.
217
représentants des sociétés ne jouissent pas d’immunités. Leur responsabilité pénale aurait
été intéressante pour notre étude en tant que corollaire de la responsabilité pénale des
entreprises multinationales. Nous n’avons cependant pas à l’examiner puisque nous
avons renoncé à un examen systématique de la question principale de la responsabilité
pénale de ces entreprises.
836
Comme le souligne Pierre d’Argent, « la juridicité des normes- dites ‘‘primaires’’- se révèle par les
obligations- dites ‘‘ secondaires’’ […]- dont leurs violations sont sanctionnées » (P. D’ARGENT, Les
réparations de guerre en droit international public, Op. cit., p. 423). « [L]es règles ‘‘primaires’’ […]
déterminent en substance des obligations de ‘‘faire’’ ou ‘‘de ne pas faire’’ posées par le droit international
dans les domaines les plus divers, et […] les règles qui gouvernent la responsabilité internationale des Etats
[sont] à juste titre qualifiées de ‘‘secondaires’’ parce qu’elles ne procèdent en principe que de la violation
des précédentes » (P.-M. DUPUY, Droit international public, Op. cit., p. 491, § 457).
837
Dans ce texte, si nous parlons d’un projet d’articles de la C.D.I. autre que celui de 2001 sur la
responsabilité de l’Etat, nous prendrons le soin d’en indiquer toutes les précisions utiles.
838
Cf. J. COMBACAU et S. SUR, Droit international public (8e édition), Paris, Montchrestien, 2008, p.
522.
839
Ibidem, p. 522. Voir également J. SALMON (sous la direction de), Op. cit., p. 999. Ainsi, sur la
définition de la responsabilité de l’Etat, pouvons-nous lire, à titre indicatif, sous la plume de Charles de
Visscher : « La responsabilité internationale est une notion de fond qui se ramène à l’obligation de l’Etat de
réparer les conséquences d’un acte illicite qui lui est imputable » (DE VISSCHER, CH., « Le déni de
justice en droit international », in R.C.A.D.I., tome 52, 1935-II, p. 421). Charles Rousseau donne la même
signification à la conception de la responsabilité : « On entend par responsabilité internationale l’institution
juridique en vertu de laquelle l’Etat auquel est imputable un acte illicite selon le droit international doit
réparation à l’Etat à l’encontre duquel cet acte a été commis » (CH. ROUSSEAU, Op. cit., p. 6).
219
840
Cf. J. VERHOEVEN, Op. cit, p. 616. Voir également B. STERN, « Et si on utilisait le concept de
préjudice juridique ? Retour sur une notion délaissée à l’occasion de la fin des travaux de la C.D.I. sur la
responsabilité des Etats », in A.F.D.I., Vol. 47, 2001, p. 4.
841
Usine de Chorzów (Demande en indemnité) (Fond), arrêt n°13, 1928, C.P.J.I. série A n°17, p. 29.
842
« Article 2
Eléments du fait internationalement illicite de l’Etat
Il y a fait internationalement illicite de l’Etat lorsqu’un comportement consistant en une action ou une
omission :
a) Est attribuable à l’Etat en vertu du droit international; et
b) Constitue une violation d’une obligation internationale de l’Etat ».
843
Cf. CL. BARTHE-GAY, « Réflexion sur la satisfaction en droit international », in A.F.D.I., Vol. 49,
2003, p. 105. Le commentaire de la C.D.I. précise : « On a parfois dit que la responsabilité internationale ne
peut être engagée par le comportement d’un Etat qui manque à ses obligations que s’il existe un autre
élément, en particulier celui du ‘‘dommage’’ causé à un autre Etat. Mais la nécessité de tenir compte de tels
éléments dépend du contenu de l’obligation primaire, et il n’y a pas de règle générale à cet égard. Ainsi,
l’obligation contractée par traité d’adopter une loi uniforme est violée si cette loi n’est pas adoptée, et il
n’est pas nécessaire qu’un autre Etat partie argue d’un dommage spécifique qu’il aurait subi par ce
manquement. Pour être en mesure de déterminer si une obligation particulière est violée du seul fait que
l’Etat responsable n’a pas agi ou si pour qu’elle le soit quelque autre événement doit se produire, il faut
partir du contenu et de l’interprétation de l’obligation primaire, et l’on ne peut le faire dans l’abstrait »
(Article 2 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 9, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 102).
220
C’est à juste titre que bien des auteurs voient en cette approche de la C.D.I.
une « révolution »848. Cependant, dans cette nouvelle architecture de la responsabilité, la
réparation est devenue pratiquement la clé de voûte. Comme l’affirme le rapporteur
spécial Gaetano Arangio-Ruiz, la réparation est la « conséquence substantielle » de la
responsabilité de l’Etat, tandis que les sanctions en sont les « conséquences
instrumentales »849. Au sujet de la place de la réparation dans la responsabilité, Clarisse
Barthe-Gay écrit : « La consécration d’une conception objective de la responsabilité
internationale de l’Etat pour fait illicite et la diversification des conséquences de ce fait
844
B. STERN, « Art. cit. », p. 8.
845
Ibidem, p. 9.
846
J. SALMON (sous la direction de), Op. cit., p. 999.
847
Cf. R. AGO, « Troisième rapport sur la responsabilité des Etats », in A.C.D.I., 1971, Vol. II, Première
partie, p. 213.
848
Voir par exemple les expressions « révolution inachevée » et « révolution agoïste » d’Alain Pellet (A.
PELLET, « Remarques sur une révolution inachevée, le projet d’articles de la Commission du Droit
international sur la responsabilité des Etats », in A.F.D.I., Vol. 42, 1996, pp. 7-32) ; « approche
révolutionnaire » et « aspects les plus révolutionnaires des travaux de la [C.D.I.] » de Prosper Weil (P.
WEIL, « Le droit international en quête de son identité. Cours général de droit international public », in
R.C.A.D.I., tome 327, 1992-VI, pp. 339 et 340), etc.
849
Cf. G. ARANGIO-RUIZ, « Septième rapport sur la responsabilité internationale des Etats »,
A/CN.4/469, 9 mai 1995, p. 6, § 12 et p. 13, §§ 34-35.
221
n’ont pas remis en cause la place centrale occupée par la réparation dans le droit de la
responsabilité internationale. En effet, si l’existence d’un préjudice n’est plus nécessaire
à l’engagement de la responsabilité et si celle-ci ne s’épuise pas dans l’obligation de
réparer celui-là, cette obligation demeure la conséquence principale du fait
internationalement illicite »850.
850
CL. BARTHE-GAY, « Art. cit. », pp. 105-106.
851
Nous nous référons à l’affirmation de Pierre-Marie Dupuy selon laquelle « [l]a responsabilité constitue
l’épicentre d’un système juridique » (P.-M. DUPUY, « Le fait générateur de la responsabilité
internationale des Etats », in R.C.A.D.I., Tome 188, 1984-V, p. 21).
852
A titre indicatif, voir les rapports des cinq rapporteurs spéciaux sur la responsabilité de l’Etat, dont les
références sont indiquées par J. CRAWFORD, Op. cit., p. 398, et la bibliographie de cet ouvrage.
853
Nous pensons particulièrement au « génie du Professeur Ago » (E. WYLER, L’illicite et la condition
des personnes privées. La responsabilité internationale en droit coutumier et dans la Convention
européenne des droits de l’homme, Paris, Pedone, 1995, p. 3).
854
Cf. P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit international public, Op. cit., pp. 419 et
suivantes.
222
855
Pierre-Marie Dupuy trouve en l’article 2 du Projet de la C.D.I. un élément objectif et un élément
subjectif du fait générateur de la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite (Cf. P.-M.
DUPUY, Droit international public, Op. cit., pp. 492-493, § 459).
223
Le chapitre III a porté sur l’examen des règles primaires applicables aux Etats
en vue de la protection internationale des ressources naturelles d’un Etat étranger pendant
un conflit armé. A cet égard, l’on a montré que l’illicéité de l’exploitation des ressources
naturelles consiste essentiellement en la violation du principe de l’interdiction du recours
à la force (dans l’hypothèse où le conflit armé a été déclenché ou l’intervention de tiers a
été motivée par des raisons liées à l’exploitation des ressources naturelles), du principe de
souveraineté permanente sur les ressources naturelles et des règles fondamentales du jus
in bello applicables à la puissance occupante, à savoir, l’interdiction du pillage et
l’obligation de prendre des mesures pour rétablir et assurer l’ordre et la vie publics.
L’illicéité consiste également dans le non respect des décisions du Conseil de sécurité
relatives à la cessation de l’exploitation illicite des ressources naturelles de l’Etat victime
du conflit armé. Elle consiste enfin en la violation des droits fondamentaux de la
personne humaine au cours de l’exploitation et en la violation des règles fondamentales
des accords environnementaux multilatéraux protecteurs des ressources naturelles
affectées.
Toutes ces règles substantielles ont été largement expliquées pour ce qui est
de leur contenu (Voir supra, chapitre III). Nous ne devons plus y revenir. A présent, on
peut se poser les questions suivantes :
224
Comme on peut bien s’en rendre compte, les deux premières questions
concernent la nature des obligations violées par l’auteur de l’exploitation illicite des
ressources naturelles d’un Etat étranger pendant un conflit armé (A) et les deux dernières
questions, qui sont corrélatives, se rapportent au(x) caractère(s) de ce fait illicite et par
conséquent à son extension dans le temps (B).
Notre objectif n’est pas de procéder à une étude théorique systématique des
normes du jus cogens857 et des (autres) normes dont découlent des obligations erga
856
Sur la différence entre un fait continu, un fait non continu et un fait composite et sur l’extension dans le
temps de la violation qu’ils engendrent, voir G. DISTAFANO, « Fait continu, fait composé et fait
complexe dans le droit de la responsabilité », in A.F.D.I., Vol. 52, 2006, pp. 1-54. Voir également les
articles 14 et 15 du Projet d’articles de la C.D.I. sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement
illicite et les commentaires y relatifs, in J. CRAWFORD, Op. cit., pp. 77-78 et 161-172.
857
Sur ce point, lire notamment R. KOLB, Théorie du Ius cogens international. Essai de relecture du
concept, Paris, P.U.F., 2001 ; M. VIRALLY, « Réflexions autour du jus cogens », in A.F.D.I., Vol. 12,
1966, pp. 5-29 ; A. GOMEZ ROBLEDO, « Le jus cogens international : sa genèse, sa nature, ses
fonctions », in R.C.A.D.I., tome 172, 1981-III, pp. 9-217 ; K. MAREK, « Contribution à l’étude du jus
cogens en droit international », in Recueil d’études de droit international en hommage à Paul Guggenheim,
Genève, 1968 ; G. GAJA, ‘‘ Jus cogens beyond the Vienna Convention’’, in R.C.A.D.I., tome 172, 1981-
III, pp. 271-316 ; L. HANNIKAINEM, Peremptory Norms (Jus cogens) in International Law, Helsinki,
Finnish Lawyers’ Pub. Co., 1988 ; etc.
225
omnes ou des obligations erga omnes partes858 en droit international. Nous voudrions
surtout réunir quelques éléments pouvant nous permettre de déceler parmi les principales
règles violées dans le cadre de l’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat
étranger en cas de conflit armé celles qui rentrent dans l’une ou l’autre de ces catégories.
L’intérêt de cette démarche est double. D’une part, nous voudrions rendre compte de la
priorité accordée dans la hiérarchie des normes du droit international aux règles
protectrices des ressources naturelles d’un Etat en cas de conflit armé, c’est-à-dire les
règles dont le non-respect rend illicite l’exploitation des ressources naturelles d’un Etat,
en tant que normes du jus cogens, dont les violations graves entraînent des conséquences
supplémentaires pour l’Etat responsable et pour les autres Etats, comme nous le verrons
ci-après. D’autre part, il sera question d’envisager ultérieurement, en cas de violation de
normes énonçant des obligations erga omnes ou des obligations erga omnes partes, la
possibilité d’une actio popularis (action en défense de l’intérêt collectif) et, de lege
ferenda, la possibilité d’un droit de réparation au profit des Etats autres que l’Etat lésé, en
tant que membres d’un groupe d’Etats liés par une obligation erga omnes partes ou en
tant que membres de la communauté internationale dans son ensemble, sans préjudice de
l’intérêt de l’Etat lésé.
Partant du constat selon lequel « [s]i toutes les normes du jus cogens [sont]
par définition erga omnes, toutes les normes erga omnes [ne sont] pas nécessairement
impératives ni d’une importance fondamentale pour la communauté internationale »859, il
nous semble plus judicieux de commencer par examiner la notion de normes erga omnes.
Ceci nous permettra de concevoir les normes relevant des deux catégories comme
858
Voir notamment M. RAGAZZI, The concept of international obligations erga omnes, Oxford, Oxford
University Press Inc., 1997 ; P.-M. DUPUY (sous la direction de), Obligations multilatérales, droit
impératif et responsabilité internationale des Etats, Paris, Pedone, 2003 ; S. VILLALPANDO,
L’émergence de la communauté internationale dans la responsabilité des Etats, Paris, P.U.F., 2005 ; F.
VOEFFRAY, L’actio popularis ou la défense de l’intérêt collectif devant les juridictions internationales,
Paris, P.U.F., 2004 ; B. BOLLECKER-STERN, « Les affaires des Essais nucléaires français devant la Cour
internationale de Justice », in A.F.D.I., Vol. 20, 1974, pp. 299-333, PH. GAUTIER,‘‘Locus standi and
breaches of the United Nations Convention on the Law of the Sea. Some reflections in light of the decision
of the ICJ in the case concerning Questions relating to the obligation to prosecute or extradite (Belgium vs
Senegal)’’, in International law of the Sea. Essays in memory of Anatoly L. Kolodkin, Ctatyt, Mockba,
2014, pp. 119-139; etc.
859
Commission du droit international, Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de
sa cinquantième session (20 avril-12 juin 1998 et 27 juillet-14 août 1998), A/ 53/10, p. 140, § 279.
226
représentées dans deux cercles concentriques dont le plus grand contient des normes dont
découlent des obligations erga omnes et le plus petit, des normes de jus cogens860, pour
ce qui est des règles primaires violées par un Etat auteur d’exploitation illicite des
ressources naturelles d’un autre Etat. La pertinence de la démarche est que, sur le plan
pratique, dès lors qu’une norme ne rentre pas dans la catégorie de celles qui énoncent des
obligations erga omnes, on devra déjà déduire qu’elle n’est pas impérative et qu’il n’y a
pas lieu d’en tirer de conséquences particulières attachées aux violations graves des
normes impératives du droit international général quant à la responsabilité de l’Etat mis
en cause. Néanmoins, on pourra toujours, pour un intérêt purement théorique de la
recherche, recourir à d’autres arguments tirés notamment de la pratique internationale et
de la doctrine. Par contre, si l’on remarque qu’une norme énonce des obligations erga
omnes, on devra encore vérifier si elle est déjà hissée au rang de normes du jus cogens.
860
Cf. L.-A. SICILIANOS, « Classification des obligations et dimension multilatérale de la responsabilité
internationale », in P.-M. DUPUY (sous la direction de), Obligations multilatérales, droit impératif et
responsabilité internationale des Etats, Op. cit., p. 69.
861
Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited, arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 32, § 33.
862
Cf. Ibidem, p. 32, § 34.
227
863
S. VILLALPANDO, Op. cit., p. 98.
864
« La Cour considère qu'il n'y a rien à redire à l'affirmation du Portugal selon laquelle le droit des peuples
à disposer d'eux-mêmes, tel qu'il s'est développé à partir de la Charte et de la pratique de l'Organisation des
Nations Unies, est un droit opposable erga omnes. Le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes
a été reconnu par la Charte des Nations Unies et dans la jurisprudence de la Cour […] ; il s'agit là d'un des
principes essentiels du droit international contemporain » (Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt,
C.I.J. Recueil 1995, p. 102, § 29). Sur les décisions dans lesquelles la C.I.J. a repris cette notion de droits
erga omnes, voir S. VILLALPANDO, Op. cit., p. 100, note 350.
865
Cf. Article 40 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 5, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 296 ; Article 48
du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 9, in Ibidem, p. 332 ; J. SALMON (sous la direction de), Op. cit., p.
772.
228
ou au respect de la souveraineté) que des intérêts proprement collectifs dont l’Etat se fait
porteur (comme dans le cas de l’interdiction de l’emploi de la force ou du génocide). En
somme, la catégorie des droits erga omnes se caractérise par le fait que l’intérêt en cause
est juridiquement protégé vis-à-vis de tous les autres Etats, mais n’implique rien au sujet
de la nature collective de l’intérêt protégé »866.
866
S. VILLALPANDO, Op. cit., pp. 100-101.
867
Article 48 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 6, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 331.
868
« Tous les autres Etats parties à la convention [contre la torture…] ont un intérêt commun à ce que l’Etat
sur le territoire duquel se trouve l’auteur présumé respecte ces obligations. Cet intérêt commun implique
que les obligations en question s’imposent à tout Etat partie à la convention à l’égard de tous les autres
Etats parties. L’ensemble des Etats parties ont ‘‘un intérêt juridique’’ à ce que les droits en cause soient
protégés (Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited, arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 32, par.
33). Les obligations correspondantes peuvent donc être qualifiées d’ ‘‘obligations erga omnes partes’’, en
ce sens que, quelle que soit l’affaire, chaque Etat partie a un intérêt à ce qu’elles soient respectées. De ce
point de vue, les dispositions pertinentes de la convention contre la torture sont comparables à celles de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, au sujet desquelles la Cour a fait
observer ce qui suit : ‘‘Dans une telle convention, les Etats contractants n’ont pas d’intérêts propres ; ils ont
seulement tous et chacun, un intérêt commun, celui de préserver les fins supérieures qui sont la raison
d’être de la convention’’ (Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1951, p. 23.) » (Questions concernant l’obligation de poursuivre
ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt du 20 juillet 2012, p. 26, § 68, disponible sur http://www.icj-
cij.org/docket/files/144/17065.pdf consulté le 26 janvier 2013). Sur cette affaire, voir notamment R. VAN
STEENBERGHE, « L’arrêt de la Cour internationale de Justice dans l’affaire Belgique contre Sénégal ou
du principe Aut dedere aut iudicare », in R.B.D.I., 2012/2, pp. 663-705 ; PH. GAUTIER, ‘‘Locus standi
and breaches of the United Nations Convention on the Law of the Sea. Some reflections in light of the
decision of the ICJ in the case concerning Questions relating to the obligation to prosecute or extradite
(Belgium vs Senegal)’’, in International law of the Sea. Essays in memory of Anatoly L. Kolodkin, Ctatyt,
Mockba, 2014, pp. 119-139.
229
Compte tenu de ces précisions, il convient de rechercher parmi les règles qui
protègent directement ou indirectement les ressources naturelles d’un Etat en cas de
conflit armé celles qui énoncent des obligations erga omnes (partes).
869
Article 1er de l’Annexe à la résolution 3314 (XXIX) de l’Assemblée générale du 14 décembre 1974
relative à la définition de l’agression.
870
Conformément à l’article 2 de l’annexe à la résolution 3314 (XXIX), « le Conseil de sécurité [peut]
conclure […] qu’établir qu’un acte d’agression a été commis ne serait pas justifié compte tenu des autres
circonstances pertinentes, y compris le fait que les actes en cause ou leurs conséquences ne sont pas d’une
gravité suffisante ».
230
vitaux de sécurité des Etats-Unis. […] la question de savoir si une mesure est nécessaire
à la protection des intérêts vitaux de sécurité d'une partie ne relève pas de l'appréciation
subjective de la partie intéressée »871. En outre, dans l’affaire des Plates-formes
pétrolières, la Cour note que « l'exigence que pose le droit international, selon laquelle
des mesures prises au nom de la légitime défense doivent avoir été nécessaires à cette fin,
est rigoureuse et objective, et ne laisse aucune place à ‘‘une certaine liberté
d'appréciation’’ »872. Et comme on peut le voir à partir des cas d’actes d’agression
énumérés de manière non limitative par l’article 3 de l’Annexe à la résolution 3314
(XXIX)873, l’élément intentionnel de l’auteur de l’acte n’est pas mentionné. Seuls des
exemples d’éléments matériels de l’agression ont été relevés. La qualification d’un acte
d’ « acte d’agression » ne dépend pas de l’intention de son auteur. Cependant, l’intention
de l’auteur de l’emploi de la force, qui peut se dégager de la finalité de ce recours à la
force, finalité qui est dans notre étude l’exploitation (illicite) des ressources naturelles,
peut exercer une influence sur la qualification de cet acte de violence armée comme acte
d’agression. Maurice Kamto souligne le rôle de l’intention en ces termes : « L’élément
intentionnel dans l’acte d’agression peut résulter de la conception et de la préparation
de l’agression. Cet élément semble avoir joué un rôle important dans la qualification des
actes imputables à l’Allemagne et au Japon dans le cadre de la seconde Guerre
mondiale. Ainsi, avant d’examiner les actes des Nazis durant cette guerre, le Tribunal de
Nuremberg procéda à un examen des événements qui précédèrent l’agression, d’où il est
ressorti qu’ils étaient prémédités, délibérés, minutieusement conçus et soigneusement
préparés […]. L’établissement de l’intention ou de l’élément de préméditation disqualifie
l’argument de légitime défense. Examinant la thèse de la défense présentant l’invasion de
la Norvège comme un acte de légitime défense avec pour but de prévenir un
871
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis
d'Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 141, § 282. Voir également Plates-formes pétrolières
(République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 183, § 43.
872
Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil
2003, p. 196, § 73.
873
L’article 4 de cet instrument juridique énonce clairement que cette énumération de l’article 3 n’est pas
limitative et que le Conseil de sécurité peut qualifier d’autres actes d’actes d’agression conformément aux
dispositions de la Charte.
231
débarquement allié, le Tribunal de Nuremberg rejeta cet argument, les faits ayant prouvé
le contraire »874.
En bref, lorsqu’il est établi que l’exploitation illicite des ressources naturelles
d’un Etat étranger est la finalité d’un emploi de la force suffisamment grave, ce fait
constitue une preuve de l’illicéité de ce recours à la force et révèle son caractère d’acte
d’agression. L’auteur de l’acte ne peut plus arguer avec succès de la légitime défense.
874
M. KAMTO, L’agression en droit international, Paris, Pedone, 2010, pp. 58 et 59-60. Cet auteur
s’appuie, entre autres, sur cet extrait d’un jugement du Tribunal militaire international de Nuremberg : « La
guerre germano-polonaise n’a pas éclaté soudainement dans un ciel sans nuage. Il a été prouvé clairement
que cette guerre, de même que l’invasion de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie, avait été préméditée et
soigneusement préparée. Elle a été entreprise au moment jugé opportun et comme conséquence d’un plan
préétabli. En effet, les desseins agressifs du Gouvernement nazi ne sont pas nés de la situation politique
existant à ce moment-là en Europe et dans le monde ; ils constituaient une partie essentielle et délibérément
arrêtée de la politique extérieure nazie » (Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal
militaire international, Nuremberg, 14 novembre 1945 – 1er octobre 1946, Nuremberg (Allemagne), 1947,
p. 15, cité par Ibidem, pp. 58-59 et note 161).
875
Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt,
C.I.J. Recueil 2005, p. 227, § 165.
876
Opinion individuelle de M. le Juge Simma, in Ibidem, pp. 334-335, § 2. Pour lui, « [l]e Conseil de
sécurité aura eu ses raisons - politiques - de s’abstenir de procéder à une telle qualification. Mais la Cour,
en sa qualité d’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies, n’est pas tenue d’en faire
de même. Sa raison d’être est de formuler des décisions fondées en droit et uniquement en droit, sans
perdre de vue le contexte politique, certes, mais en ne s’abstenant pas de constater des faits manifestes pour
232
même, dans son opinion individuelle, le juge Nabil Elaraby, après avoir rappelé l’extrait
de la réplique de la RDC au contre-mémoire de l’Ouganda selon lequel « […] l’objet
essentiel de la requête [de la RDC] est l’agression ougandaise dans son principe [et que
les] modalités de cette agression, y compris le pillage des ressources naturelles et les
exactions qui l’ont accompagnée, ne sont pas envisagées de manière isolée et
séparée »877, a considéré qu’il était « d’autant plus important [que la Cour] examinât la
question avec soin et […] fît droit à l’allégation de la République démocratique du Congo
selon laquelle les activités armées de l’Ouganda sur son territoire et contre celui-ci
équivalent à une agression et, partant, constituent un manquement par l’Ouganda aux
obligations qui lui incombent en vertu du droit international »878. D’après Maurice
Kamto, « [c]ertes, la Cour ne prononce pas le terme ‘‘agression’’ ; mais elle y renvoie.
Au final, le résultat est le même. L’enseignement à tirer de cette affaire est que les
exigences en matière de preuve sont les mêmes devant la C.I.J. quel que soit l’objet du
litige : les faits doivent être établis, les éléments de preuve fournis irréfutables. A la Cour
d’apprécier leur validité et leur nature pour établir le degré de gravité de l’acte afin de
déterminer si l’on est en présence d’une violation ‘‘simple’’ ou d’une violation ‘‘grave’’
(agression) du principe de l’interdiction du recours à la force »879.
des raisons tenant à ces considérations extrajuridiques. Telle est la répartition des rôles, prévue par la
Charte, entre la Cour et les organes politiques de l’Organisation des Nations Unies » (Ibidem, p. 335, § 3).
877
Opinion individuelle de M. le Juge Elaraby, in Ibidem, p. 328, § 5 (notre emphase).
878
Ibidem, p. 332, § 18. A notre avis, le juge Elaraby confirme implicitement l’opinion de la RDC selon
laquelle le pillage des ressources naturelles d’un Etat étranger par un autre Etat est une des modalités de
l’agression.
879
M. KAMTO, L’agression en droit international, Op. cit., pp. 163-164.
233
n’a pas pris « la forme la plus grave et la plus dangereuse » qu’est l’agression, pour
reprendre les termes du préambule de la définition de l’agression880, ne constitue pas un
manquement à une obligation erga omnes. Nous avons déjà mentionné que les normes
énonçant des obligations erga omnes visent la protection des intérêts collectifs des Etats.
L’interdiction de l’emploi illicite de la force protège à n’en point douter « l’intérêt
général au maintien de la paix et de la sécurité internationales »881. A ce titre, elle énonce
des obligations erga omnes882. Nous consoliderons ce point de vue lors de l’examen du
caractère impératif du principe de l’interdiction du recours à la force (Voir infra, chapitre
IV, section I, §1, A, 2).
880
« [L]’agression est la forme la plus grave et la plus dangereuse de l’emploi illicite de la force ».
881
F. VOEFFRAY, Op. cit., p. 255.
882
Cf. Ibidem, p. 255 ; S. VILLALPANDO, Op. cit., p. 101 et note 354.
883
Cf. F. VOEFFRAY, Op. cit., p. 244, en particulier, note 16 et p. 245, note 20. On peut mentionner
l’intervention de Bruno Simma au cours des débats de la C.D.I. en l’an 2000, pour qui « les régimes
conventionnels régionaux imposent des obligations en matière de droits de l’homme qui ne sont pas
fondamentales et, par conséquent, ne sont pas des obligations erga omnes » (B. SIMMA, cité par Ibidem, p.
244, note 16). De même, dans son intervention, James Crawford indique, « qu’il faut veiller à ne pas
affirmer que tous les droits de l’homme sont nécessairement erga omnes : à l’évidence, les droits de
l’homme énoncés dans les accords régionaux et certaines dispositions des instruments [universels] relatifs
aux droits de l’homme ne le sont pas » (J. CRAWFORD, cité par Ibidem, p. 244, note 16).
884
Cf. Ibidem, p. 244.
234
leur degré d’importance »885. A ce sujet, on peut citer Alain Pellet « qui s’oppose à une
interprétation restrictive de la notion d’obligations erga omnes en indiquant que ces
termes signifient essentiellement ‘‘à l’égard de tous’’, et non ‘‘impératif’’ ni
‘‘fondamental’’ »886. Il nous semble donc que cette seconde position doctrinale est plus
réaliste, tout en reconnaissant que la réponse à cette question n’est pas nécessaire pour
notre recherche, étant donné que l’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat
étranger par d’autres Etats en temps de conflit armé porte gravement atteinte aux droits
fondamentaux de la personne humaine ( droit à la vie, droit à la protection contre la
torture ou contre le travail forcé, droit de propriété,…).
885
Ibidem, p. 245. Pour ces auteurs, la distinction entre les droits fondamentaux de l’homme et les droits
ordinaires pour limiter les obligations erga omnes aux seuls droits fondamentaux serait en contradiction
avec la pratique car aucune hiérarchie n’est faite dans les mécanismes conventionnels de contrôle ; et cette
conception serait contraire à la tendance actuelle à une approche unifiée des droits de l’homme (Cf. Ibidem,
pp. 244-245).
886
Intervention de Pellet à la 2621ième séance de la C.D.I., citée par Ibidem, p. 244, note 16.
887
Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, C.I.J. Recueil 1996, p. 257, § 79.
888
Ibidem, p. 257, § 79.
235
889
J. PICTET (sous la direction de), Les Conventions de Genève du 12 août 1949. Commentaire. IV. La
Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, Op. cit., pp. 20-21.
890
Le Procureur c. Zoran Kupreskic et consorts, affaire n° IT-95-16-T, 14 janvier 2000, p. 211, § 519.
891
Cf. F. VOEFFRAY, Op. cit., pp. 245-246.
236
892
Cf. J. SALMON (sous la direction de), Op. cit., p. 1046.
893
Cf. S. VILLALPANDO, Op. cit., pp. 100-101.
894
S. VILLALPANDO, Op. cit., p. 98.
895
Expression empruntée du § 4 du commentaire sous l’article 48 du Projet de la C.D.I., in J.
CRAWFORD, Op. cit., p. 330.
237
896
J.-P. BEURIER et A. KISS, Droit international de l’environnement (4e édition), Paris, Pedone, 2010, p.
168, § 309. Voir également J.-C. TCHEUWA, « Communauté internationale, Guerre et responsabilité :
Réflexion autour de la responsabilité internationale des Etats », in R.H.D.H., 1/2005, pp. 97-98 ; T. M.
NDIAYE, « La responsabilité internationale des Etats pour dommages au milieu marin », in B. VUKAS
and T. M. SOSIC (eds.), International Law : New Actors, New Concepts – Continuing Dilemmas ; Liber
Amicorum Bozidar Bakotic, Leiden, Koninklijke Brill NV., 2010, pp. 265-279.
897
Cf. J.-P. BEURIER et A. KISS, Op. cit., p. 166, § 306.
898
Cf. Ibidem, p. 166, § 306.
899
Cf. Ibidem, pp. 166-168, §§ 308-309. A titre d’exemples, nous lisons dans le préambule de la
Convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine (2 décembre 1946) : « Les
nations du monde ont intérêt à sauvegarder, au profit des générations futures, les grandes ressources
naturelles représentées par l’espèce baleinière ». De son côté, le préambule de la CITES (1973) déclare:
« Les Etats contractants, […] Reconnaissant que la faune et la flore sauvages constituent de par leur beauté
et leur variété un élément irremplaçable des systèmes naturels, qui doit être protégé par les générations
présentes et futures […] ».
900
Cf. Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, C.I.J. Recueil 1996, pp. 241-242, § 29. Voir
également Projet Gabcikovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C. I. J. Recueil 1997, p. 68, § 112.
901
Cf. Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, C.I.J. Recueil 1996, p. 242, § 29.
238
remarquer qu’elles sont prises en vertu des pouvoirs lui conférés par le chapitre VII de la
Charte, en tant que responsable principal du maintien de la paix et de la sécurité
internationales902. En s’acquittant de cette responsabilité, qui lui permet de protéger cet
intérêt général que constituent la paix et la sécurité internationales, le Conseil de sécurité
agit au nom des Membres des Nations unies, ainsi qu’il ressort des termes de l’article 24,
§ 1er de la Charte. Par conséquent, les Membres de l’Organisation s’engagent à accepter
et à appliquer ses décisions (article 25 de la Charte). De par la pratique internationale, le
Conseil de sécurité agit, dans le cadre du chapitre VII, au nom de la communauté
internationale dans son ensemble. C’est sur cette base qu’on peut affirmer que ses
décisions contraignantes s’imposent également aux Etats non membres et même aux
entités non étatiques, y compris les Organisations internationales903.
902
Cf. Article 24, § 1er de la Charte des Nations unies.
903
Cf. E. SUY et N. ANGELET, « Article 25 », « Art. cit. », pp. 909-916.
239
Comme l’a indiqué la Chambre pour le règlement des différends relatifs aux
fonds marins du Tribunal international du droit de la mer, dans son avis consultatif du 1er
février 2011, « [i]l est difficile de décrire en des termes précis le contenu des obligations
de ‘‘diligence requise’’. Parmi les facteurs qui rendent une telle description ardue figure
le fait que la notion de diligence requise a un caractère variable. Elle peut changer dans
le temps lorsque les mesures réputées suffisamment diligentes à un moment donné
peuvent ne plus l’être en fonction, par exemple, des nouvelles connaissances scientifiques
ou technologiques. Cette notion peut également changer en fonction des risques encourus
par l’activité »904.
904
Responsabilités et obligations des Etats dans le cadre d'activités menées dans la Zone, avis consultatif,
1er février 2011, TIDM Recueil 2011, § 117.
240
Cela dit, il importe de dire un mot sur une conséquence juridique particulière
à la violation d’une obligation erga omnes. Dans son obiter dictum de l’arrêt Barcelona
Traction, la Cour donne une précision importante au sujet des obligations erga omnes :
« Vu l'importance des droits en cause, tous les Etats peuvent être considérés comme ayant
un intérêt juridique à ce que ces droits soient protégés »905. A cet égard, Santiago
Villalpando écrit : « Le rapport juridique correspondant [aux obligations erga omnes]
pourrait en théorie être unique et s’établir entre l’Etat obligé et la ‘‘communauté
internationale dans son ensemble’’. Toutefois - dans la mesure où le système
international ne connaît en principe aucune entité pouvant représenter les intérêts de la
communauté – ce sont les autres Etats qui se font porteurs simultanément des intérêts
collectifs. La norme impose ainsi à l’Etat obligé le devoir de tenir un comportement
unique, auquel correspond une prétention simultanée de tout autre Etat de la
communauté »906.
Dans son arrêt rendu le 20 juillet 2012, en l’affaire relative aux Questions
concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), la Cour a
appliqué mutatis mutandis aux obligations erga omnes partes la conséquence de la
violation des obligations erga omnes : « [C]haque Etat partie a un intérêt à ce qu’elles
soient respectées »907. C’est sur cette base qu’elle a reconnu à la Belgique « la qualité
pour invoquer la responsabilité du Sénégal »908. Il s’agit là d’une matérialisation
905
Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited, arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 32, § 33.
906
S. VILLALPANDO, Op. cit., pp. 98-99.
907
Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt du 20 juillet
2012, p. 26, § 68, disponible sur http://www.icj-cij.org/docket/files/144/17065.pdf consulté le 26 janvier
2013.
908
« L’intérêt commun des Etats parties à ce que soient respectées les obligations pertinentes énoncées dans
la convention contre la torture implique que chacun d’entre eux puisse demander qu’un autre Etat partie,
qui aurait manqué auxdites obligations, mette fin à ces manquements. Si un intérêt particulier était requis à
cet effet, aucun Etat ne serait, dans bien des cas, en mesure de présenter une telle demande. Il s’ensuit que
tout Etat partie à la convention contre la torture peut invoquer la responsabilité d’un autre Etat partie dans
le but de faire constater le manquement allégué de celui-ci à des obligations erga omnes partes, telles que
celles qui lui incombent en application du paragraphe 2 de l’article 6 et du paragraphe 1 de l’article 7, et de
mettre fin à un tel manquement. […] Dès lors, la Cour conclut qu’en la présente espèce la Belgique a, en
tant qu’Etat partie à la convention contre la torture, qualité pour invoquer la responsabilité du Sénégal à
241
raison des manquements allégués de celui-ci aux obligations prévues au paragraphe 2 de l’article 6 et au
paragraphe 1 de l’article 7 de la convention. Dès lors, les demandes de la Belgique fondées sur ces
dispositions sont recevables. En conséquence, il n’y a pas lieu pour la Cour de se prononcer sur la question
de savoir si la Belgique a aussi un intérêt particulier à ce que le Sénégal se conforme aux dispositions
pertinentes de la convention dans le cas de M. [Hissène] Habré » (Ibidem, p. 27, §§ 69-70).
909
Cf. Article 53 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités : « Est nul tout traité qui, au
moment de sa conclusion, est en conflit avec une norme impérative du droit international général ». Pour
d’autres éléments relatifs au jus cogens dans cette Convention de Vienne, voir les articles 64 (Survenance
d’une nouvelle norme impérative du droit international général : Si une nouvelle norme impérative du droit
international général survient, tout traité existant qui est en conflit avec cette norme devient nul et prend
fin), 66, alinéa a) (sur le règlement des différends concernant l’application et l’interprétation des articles 53
et 64) et 71 (Conséquences de la nullité d’un traité en conflit avec une norme impérative du droit
international général).
910
Cf. J. SALMON (sous la direction de), Op. cit., p. 632.
242
circonstance excluant l’illicéité à tout fait de l’Etat qui, bien que rentrant matériellement
dans la catégorie des faits énumérés par les articles 20 à 25 (consacrés aux circonstances
excluant l’illicéité911), n’est pas conforme à une obligation découlant d’une norme
impérative du droit international général. En plus, les articles 40 et 41 précisent le
contenu de la responsabilité de l’Etat en cas de violations graves d’obligations découlant
de normes impératives du droit international général. Selon l’article 40 du Projet de la
C.D.I., la violation d’une obligation découlant d’une norme impérative du droit
international général est grave si elle dénote de la part de l’Etat responsable un
manquement flagrant ou systématique à l’exécution de l’obligation912. Et l’article 41
énonce, dans le chef des Etats, les conséquences particulières d’une violation grave
découlant d’une norme impérative du droit international général : le devoir de coopérer
pour mettre fin à cette violation, l’obligation de ne pas reconnaître comme licite une
situation créée par une violation grave de cette norme impérative et l’obligation de ne pas
prêter aide ou assistance au maintien de cette situation913.
911
Consentement, légitime défense, contre-mesures à raison d’un fait internationalement illicite, force
majeure, détresse et état de nécessité.
912
Nous faisons une lecture combinée des paragraphes 1 et 2 de cet article. Le commentaire de la C.D.I.
mentionne : « Pour être considérée comme systématique, une violation doit avoir été commise de façon
organisée et délibérée. En revanche, le terme ‘‘flagrante’’ renvoie à l’intensité de la violation ou de ses
effets ; il dénote des violations manifestes qui représentent une attaque directe contre les valeurs protégées
par la règle. Les termes ne sont pas mutuellement exclusifs ; les violations graves sont généralement à la
fois systématiques et flagrantes. Au nombre des facteurs pouvant déterminer la gravité d’une violation, on
citera l’intention de violer la norme ; l’étendue et le nombre des violations en cause et la gravité de leurs
conséquences pour les victimes. De plus, certaines des normes impératives en question, en particulier les
interdictions d’agression et de génocide, requièrent, de par leur nature même, une violation intentionnelle
commise à large échelle » (Article Article 40 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 8, in J. CRAWFORD,
Op. cit., p. 297).
913
Cf. Article 41 du Projet de la C.D.I., Commentaire, §§ 2 et 4, in Ibidem, pp. 298 et 299.
914
Article 26 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 5, in Ibidem, p. 226. Dans le cadre de la responsabilité
internationale de l’Etat, c’est mieux de parler de « communauté internationale dans son ensemble » que de
243
reprendre l’expression « communauté internationale des Etats dans son ensemble », cette dernière
expression ayant été employée dans le contexte particulier de l’article 53 de la Convention de Vienne de
1969 pour souligner l’importance primordiale des Etats dans la création du jus cogens (Cf. Article 25 du
Projet de la C.D.I., Commentaire § 18, in Ibidem, p. 222).
915
Cf. S. VILLALPANDO, Op. cit., p. 86 et J. SALMON (sous la direction de), Op. cit., p. 631.
916
Cf. S. VILLALPANDO, Op. cit., p. 89.
917
Article 40 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 2, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 295.
918
I. SCOBBIE, « Invocation de la responsabilité pour violation d’ ‘‘obligations découlant de normes
impératives du droit international général’’ », in P.-M. DUPUY (sous la direction de), Obligations
multilatérales, droit impératif et responsabilité internationale des Etats, Op. cit., p. 132.
244
question des traités qui violent les droits de l’homme, l’égalité des Etats ou le principe de
l’autodétermination »919.
919
Projet d’articles de la C.D.I., Commentaire introductif au Chapitre III de la Deuxième partie, § 7, note
675, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 293. Cette référence de la C.D.I. reproduit un passage de l’A.C.D.I.,
1966, Volume II, Deuxième partie, p. 270.
920
Voir notamment Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c.
Etats-Unis d'Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, pp. 100-101, §§ 190-191, en ce qui concerne le
principe de l’interdiction du recours à la force ; Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires,
C.I.J. Recueil 1996, p. 258, § 83, concernant les règles du droit humanitaire applicable dans les conflits
armés.
921
Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, C.I.J. Recueil 1996, p. 257, § 79. Voir
également Conséquences juridiques de 1’édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé, avis
consultatif; C. I. J. Recueil 2004, p. 199, § 157.
922
Article 40 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 5, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 296.
923
« […] Il en va de même quant aux rapports entre les normes impératives du droit international général
(jus cogens) et l’établissement de la compétence de la Cour: le fait qu’un différend porte sur le respect
d’une norme possédant un tel caractère, ce qui est assurément le cas de l’interdiction du génocide, ne
saurait en lui-même fonder la compétence de la Cour pour en connaître » (Activités armées sur le territoire
du Congo (nouvelle requête : 2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda), compétence et
recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2006, p. 32, § 64).
924
« La Cour a déjà eu l’occasion de rappeler en la présente affaire la résolution 96 (I) (C.I.J. Recueil 1993,
p. 23; voir également p. 348 et 440) et son dictum de 1951 (C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 616), de même
qu’elle a réaffirmé ses dicta de 1951 et de 1996 au paragraphe 64 de son arrêt du 3 février 2006 en l’affaire
245
des Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002) (République démocratique du
Congo c. Rwanda), lorsqu’elle a ajouté que la norme interdisant le génocide constituait assurément une
norme impérative du droit international (jus cogens) » (Application de la convention pour la prévention et
la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil
2007, p. 111, § 161).
925
Ces organes ont été suivis par des juridictions internes (Cf. Article 40 du Projet de la C.D.I.,
Commentaire, § 2, in J. CRAWFORD, Op. cit., p.294) et même par des constituants nationaux (Cf. F.
VOEFFRAY, Op. cit., p. 258, note 52.
926
Cf. Le Procureur c. Anto Furundzija, affaire n° IT-95-17/1-T, 10 décembre 1998, p. 58, § 153.
927
Al-Adsani c. Royaume –Uni (Requête n°35763/97), Arrêt, 21 novembre 2001, §§ 10 et 60.
928
Le Procureur c. Zoran Kupreskic et consorts, affaire n° IT-95-16-T, 14 janvier 2000, p. 212, § 520.
929
Yassin Abdullah Kadi c. Conseil de l’Union européenne et Commission des Communautés européennes,
arrêt du Tribunal de première instance (deuxième chambre élargie), affaire T-315/01, 21 septembre 2005,
§§ 226. Voir également, Ahmed Ali Yusuf et Al Barakaat International Foundation c. Conseil de l'Union
européenne et Commission des Communautés européennes, Arrêt du Tribunal de première instance
(deuxième chambre élargie), Affaire T-306/01, 21 septembre 2005, § 277.
930
Voir les affaires citées dans la note précédente, aux §§ 228-233 de l’arrêt Kadi ; 279 et 293 de l’arrêt
Yusuf.
246
juridiction. Ces arrêts ont été annulés pour violation du droit communautaire par le
Tribunal : erreurs de droit à propos de l’articulation entre le droit communautaire et les
règles de droit international relevant du jus cogens ; et mauvaise application du droit
communautaire aux circonstances de l’espèce931. De son côté, la Commission d’arbitrage
de la Conférence européenne pour la paix en Yougoslavie a qualifié de normes
impératives du droit international général : l’interdiction du recours à la force et les
normes relatives aux droits de la personne humaine, aux droit des peuples et des
minorités ethniques, religieuses ou linguistiques932.
931
Il y a lieu d’indiquer notamment une erreur de droit commise par le Tribunal en jugeant « qu’il découle
des principes régissant l’articulation des rapports entre l’ordre juridique international issu des Nations unies
et l’ordre juridique communautaire que le règlement litigieux, dès lors qu’il vise à mettre en œuvre une
résolution adoptée par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies ne
laissant aucune marge à cet effet, doit bénéficier d’une immunité juridictionnelle quant à sa légalité interne
sauf pour ce qui concerne sa compatibilité avec les normes relevant du jus cogens » (Yassin Abdullah Kadi
et Al Barakaat International Foundation c. Conseil de l’Union européenne et Commission des
Communautés européennes, Arrêt de la Cour (grande chambre), Affaires jointes C-402/05 P et C-415/05 P,
3 septembre 2008, § 327). En outre, le Tribunal s’est limité à examiner la légalité du règlement litigieux au
regard des seules règles de droit international relevant du jus cogens au lieu de procéder à un examen
complet au regard des droits fondamentaux relevant des principes généraux du droit communautaire (Cf.
Ibidem, §§ 329-330). On peut noter , par ailleurs, que la restriction au droit de propriété était injustifiée
dans les circonstances de l’espèce parce que les personnes visées par le gel des fonds à raison du
Règlement (CE) en cause pris en exécution des résolutions du Conseil de sécurité dans le cadre de la lutte
contre le terrorisme n’ont pas bénéficié de garanties leur permettant de se défendre devant l’autorité
compétente alors même que la restriction de leur droit de propriété doit être qualifiée de considérable au
regard de l’article 1er du Protocole n°1 de la C.E.D.H. Ce manquement constitue un motif d’annulation (Cf.
Ibidem, §§ 368-372).
932
Cf. P. DAILLIER, M. FORTEAU et A. PELLET, Op. cit., p. 227, § 127.
933
Rapport complémentaire du Secrétaire général sur l’application de la résolution 598 (1987) du Conseil
de sécurité, S/23273, 9 décembre 1991, p. 2, § 7.
934
« L'Etat qui commandite, incite, accepte ou tolère le travail forcé sur son territoire commet un fait illicite
et engage sa responsabilité pour la violation d'une norme impérative du droit international » (Travail forcé
247
menace ou à l’emploi de la force telle qu’énoncée dans la Charte des Nations Unies » et
la termine par les « autres obligations découlant de normes impératives du droit
international général ». Raphaël Van Steenberghe conclut que « [c]et article semble donc
assimiler l’interdiction de l’emploi de la force visée à l’article 2, § 4 de la Charte à une
obligation de nature impérative »940.
Compte tenu des considérations qui précèdent, il y a lieu de faire le point sur
le caractère impératif des règles qui protègent directement ou indirectement les
ressources naturelles d’un Etat étranger en temps de conflit armé. Le caractère impératif
en droit international n’est plus légitimement contestable pour ce qui est des règles
suivantes : le principe de l’interdiction du recours à la force, soit contre l’intégrité
territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat soit de toute autre manière
incompatible avec les buts des Nations unies, les règles fondamentales du jus in bello, les
règles relatives à la protection des droits (fondamentaux) de la personne humaine (dont la
violation en cas de conflit armé par les belligérants constitue une violation du droit
international humanitaire).
940
R. VAN STEENBERGHE, La légitime défense en droit international public, Op. cit., p. 138.
249
Commentary’’, 2ème éd., B. Simma (dir. de publ.), pp. 1299-1300) »941. Pour préciser les
contours de la primauté des « devoirs découlant de décisions exécutoires des organes des
Nations Unies »942, dont les décisions contraignantes du Conseil de sécurité, la Cour s’est
référée au rapport du Groupe d’experts de la C.D.I. de 2006 intitulé « Fragmentation du
droit international : difficultés découlant de la diversification et de l’expansion du droit
international »943, pour ce qui est des observations sur l’article 103 de la Charte944: « […]
Même si la primauté des décisions du Conseil de sécurité selon l’Article 103 n’est pas
expressément prévue dans la Charte, dans la pratique comme dans la doctrine, elle a été
largement acceptée. On s’est parfois demandé si les résolutions du Conseil adoptées ultra
vires prévalaient elles aussi en vertu de l’Article 103. Comme les obligations des Etats
Membres des Nations Unies ne peuvent découler que des résolutions prises par le
Conseil dans l’exercice de ses pouvoirs, les décisions ultra vires n’engendrent aucune
obligation à proprement parler. D’où l’absence de conflit […] »945.
941
Al-Jedda c. Royaume-Uni (Requête n°27021/08), Arrêt, 7 juillet 2011, § 20 (précisément au § 35 de la
déclaration de Lord Bingham citée par la Cour).
942
Al-Jedda c. Royaume-Uni, Op. cit., § 57.
943
Commission du droit international, Fragmentation du droit international : Difficultés découlant de la
diversification et de l’expansion du droit international, Rapport du groupe d’étude de la Commission du
droit international établi sous sa forme définitive par Martti Koskenniemi, A/ CN. 4/L. 682, 13 avril 2006.
944
L’article 103 de la Charte dispose : « En cas de conflit entre les obligations des Membres des Nations
Unies en vertu de la présente Charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les
premières prévaudront ».
945
Commission du droit international, Fragmentation du droit international …, Op. cit., p. 184, § 331.
946
Cf. Ibidem, p. 185, § 333.
250
947
Ibidem, pp. 185-186, §§ 333-334.
948
Cf. Assemblée générale, Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa
cinquantième session, Op. cit., p. 140, § 279 ; F. VOEFFRAY, Op. cit., p. 260.
949
F. VOEFFRAY, Op. cit., p. 260.
950
Cf. Assemblée générale, Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa
cinquantième session, Op. cit., p. 140, § 279 ; F. VOEFFRAY, Op. cit., p. 260.
251
autant de règles impératives du droit international général, ainsi que nous venons de
l’expliquer.
951
Texaco-Calasiatic c. Gouvernement Libyen, sentence arbitrale au fond du 19 janvier 1977, in Journal
du droit international, Vol. 104, 1977, p. 373, § 76, 2).
952
Ibidem, p. 373, § 77.
252
de sa souveraineté mais également une part non négligeable de son exercice, il convient
de conclure à la validité de l’acte conventionnel qui l’a créé dans l’ordre juridique
international en vertu d’un acte qui, lui-même, exprime la souveraineté de l’Etat »953.
953
Ibidem, p. 373, § 78.
954
Cf. G. COHEN-JONATHAN, « L'arbitrage Texaco-Calasiatic contre Gouvernement Libyen; décision au
fond du 19 janvier 1977 », « Art. cit. », p. 476.
955
Cf. S. VILLALPANDO, Op. cit., p. 92. Voir également G. COHEN-JONATHAN, « L'arbitrage
Texaco-Calasiatic contre Gouvernement Libyen; décision au fond du 19 janvier 1977 », « Art. cit. », p.
476.
956
Texaco-Calasiatic c. Gouvernement Libyen, sentence arbitrale au fond du 19 janvier 1977, in Journal
du droit international, Vol. 104, 1977, p. 373, § 77.
253
Il est fort probable que le Tribunal n’a pas eu l’intention de se prononcer sur
le caractère impératif de la norme en cause pour la simple raison que cette question
n’avait pas d’incidence sur la solution du litige.
957
Le Tribunal arbitral était composé comme suit : Paul Reuter, Président ; Homek Sultan, arbitre désigné
par le Gouvernement ; Sir Gerald Fitzmaurice, arbitre désigné par la société (Cf. PH. KAHN, « Contrats
d’Etats et nationalisation. Les apports de la sentence arbitrale du 24 mars 1982 », in Journal du droit
international, Vol 109, 1982, p. 844, note 1).
958
Aminoil c. Koweit, sentence arbitrale du 24 mars 1982, in Journal du droit international, Vol. 109,
1982, p. 893, § 90. Pour un commentaire sur cette sentence, voir e.g. G. BASTID-BURDEAU, « Droit
international et contrats d’Etats- La sentence Aminoil contre Koweit du 24 mars 1982 », in A.F.D.I., Vol.
28, 1982, pp. 454-470.
959
Cf. Ibidem, p. 893, § 90.
254
déroger au principe de souveraineté permanente sur les ressources naturelles, même sous
son aspect d’interdiction de la confiscation, peut légitimement laisser penser que ce
principe ne relève pas du jus cogens. Notre objectif restant de déterminer ce qu’en dit la
jurisprudence, nous n’analyserons pas ici les différends doctrinaux.
960
La composition du Tribunal arbitral était la suivante : Julio A. Barberis, Président ; André Gros et
Mohammed Bedjaoui, arbitres (Cf. Détermination de la frontière maritime Guinée-Bissau/Sénégal,
sentence arbitrale du 31 juillet 1989, in R.G.D.I.P., tome 94, 1990, pp. 204 et 274).
961
Cf. Ibidem, pp. 230-231, § 37.
962
Cf. Ibidem, pp. 232-233, § 39. La Guinée-Bissau soutenait que l’Accord de 1960 entre la France et le
Portugal, relatif à la détermination de sa frontière maritime avec le Sénégal, « constituerait une aliénation
de territoire, ce qui serait contraire au principe de souveraineté permanente sur les ressources naturelles ».
D’après le Tribunal, « [l]’application du principe de la souveraineté permanente sur les ressources
naturelles présuppose que les ressources dont il s’agit se trouvent dans le territoire de l’Etat qui invoque ce
principe. […] D’un point de vue logique, la Guinée-Bissau ne peut soutenir que la norme qui a déterminé
quel était son territoire maritime (l’Accord de 1960) lui a enlevé une partie du territoire maritime qui était
‘‘le sien’’. […] Il en résulte que le principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles
n’est pas applicable au présent cas » (Ibidem, pp. 232-233, § 39).
255
963
Cf. Projet Gabcikovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C. I. J. Recueil 1997, p. 62, § 97.
964
Cf. Ibidem, p. 62, § 97.
965
Ibidem, p. 67, § 112.
966
Ibidem, p. 67, § 112.
967
Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, C.I.J. Recueil 1996, p. 242, § 30. La Cour a
néanmoins précisé que « [l]e respect de l'environnement est l'un des éléments qui permettent de juger si une
action est conforme aux principes de nécessité et de proportionnalité » (Ibidem, p. 242, § 30).
256
l'environnement non justifiée par des nécessités militaires et ayant un caractère gratuit est
manifestement contraire au droit international en vigueur »968. Ceci signifie a contrario
que, pour des nécessités militaires, les belligérants ont le droit de déroger aux règles
relatives à la protection de l’environnement. Et comme on l’a déjà dit, en temps de conflit
armé, la protection de l’environnement est assurée par le droit international des conflits
armés969, qui constitue une lex specialis qui déroge aux règles du droit international de
l’environnement. Cette « dérogeabilité » des règles du droit international de
l’environnement traduit leur caractère non-impératif.
968
Cf. Ibidem, p. 242, § 32.
969
Voir par exemple les articles 35, § 3 et 55 du Protocole additionnel I, qui « consacrent une obligation
générale de protéger l'environnement naturel contre des dommages étendus, durables et graves; une
interdiction d'utiliser des méthodes et moyens de guerre conçus pour causer, ou dont on peut attendre qu'ils
causeront, de tels dommages; et une interdiction de mener des attaques contre l'environnement naturel à
titre de représailles » (Ibidem, p. 242, § 31).
257
Premièrement, le fait de piller des stocks des minerais ou de bois d’œuvre est
non continu et la violation du droit international se produit au moment même de la
réalisation de ce fait970. Ceci signifie que ce pillage est effectué dans un laps de temps
relativement court, « sans impliquer pour autant que ce fait soit nécessairement achevé en
un instant »971.
970
Cf. Art. 14, § 1er du Projet de la C.D.I.
971
Article 14 du projet de la C.D.I., Commentaire, § 2, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 162.
972
Cf. Article 14, § 2 du Projet de la C.D.I.
973
Article 15, § 1er du Projet de la C.D.I. La violation d’une obligation internationale par un fait composite
se réalise « quand se produit l’action ou l’omission qui, conjuguée aux autres actions ou omissions, suffit à
constituer le fait illicite » (Article 15, § 1er du Projet de la C.D.I.). Cette violation est de caractère continu
et s’étend « sur toute la période débutant avec la première des actions ou omissions de la série de faits qui
constitue le comportement illicite » (Article 15 du Projet C.D.I., Commentaire, § 1er, in J. CRAWFORD,
Op. cit., p. 169).
974
Cf. Article 15 du Projet de la C.D.I., Commentaire, §§ 2-5, in Ibidem, pp. 169-170.
975
Article 15 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 5, in Ibidem, p. 170.
258
produit ne peut pas coïncider avec le moment où a lieu la première des actions ou
omissions de la série »976. Au regard de ces considérations, même si l’exploitation illicite
des ressources naturelles peut être envisagée comme une série d’actes (exploration,
extraction et commercialisation), chacun des actes de cette série est, comme nous venons
de le mentionner ci-avant, constitutif d’une exploitation illicite. La possible réalisation de
l’illicéité de l’exploitation par un seul acte de la série pris même isolément exclut ainsi le
caractère composite en ce qui concerne l’exploitation illicite des ressources naturelles.
976
Article 15 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 7, in Ibidem, p. 171.
977
Après des débats entre ses membres autour du sens des mots « imputation » et « attribution », la C.D.I. a
préféré le terme d’ « attribution » à celui d’« imputation », ce dernier ayant une connotation pénale. Mais
bien des auteurs les considèrent comme synonymes. Voir, par exemple, L. CONDORELLI, « L’imputation
à l’Etat d’un fait internationalement illicite : solutions classiques et nouvelles tendances », in R.C.A.D.I.,
Tome 189, 1984-VI, pp. 19 et 41 ; S. KARAGIANNIS, « Du non étatique à l’étatique : la cruciale question
de l’imputabilité d’actes de particuliers en droit international », in R. BEN ACHOUR et S. LAGHMANI,
Acteurs non étatiques et droit international, Op. cit., p. 163 ; F. FINCK, L’imputabilité dans le droit de la
responsabilité internationale. Essai sur la commission d’un fait illicite par un Etat ou une organisation
internationale, Thèse de doctorat en droit, Université de Strasbourg, 2011, p. 20, disponible sur http://scd-
theses.u-strasbg.fr/2208/01/FINCK_Fran%C3%A7ois_2011.pdf consulté le 20 novembre 2012. Sur les
débats au sein de la C.D.I., voir E. ROUCOUNAS, « Facteurs privés et droit international public », in
R.C.A.D.I., Tome 299, 2002, pp. 335 et suivantes ; L. CONDORELLI, « Art. cit. », p. 41.
978
J. VERHOEVEN, Op. cit., p. 621.
979
L. CONDORELLI, « Art. cit. », p. 41.
259
980
« Article 4
Comportement des organes de l’Etat
1. Le comportement de tout organe de l’Etat est considéré comme un fait de l’Etat d’après le droit
international, que cet organe exerce des fonctions législative, exécutive, judiciaire ou autres, quelle que soit
la position qu’il occupe dans l’organisation de l’Etat, et quelle que soit sa nature en tant qu’organe du
gouvernement central ou d’une collectivité territoriale de l’Etat.
2. Un organe comprend toute personne ou entité qui a ce statut d’après le droit interne de l’Etat ».
981
« Selon une règle bien établie du droit international, le comportement de tout organe d’un Etat doit être
regardé comme un fait de cet Etat. Cette règle […] revêt un caractère coutumier » (Différend relatif à
l’immunité de juridiction d’un rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1999, p. 87, § 62) . La Cour se réfère à l’article 6 du Projet d’articles de la C.D.I. sur la
responsabilité des Etats, devenu l’article 4 dans le projet adopté en 2001. Voir également, Activités armées
sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p.
242, § 213.
982
Cf. Article 4 du Projet de la C.D.I., Commentaire, §§ 1, 6 et 7, in J. CRAWFORD, Op. cit., pp. 112-
115.
983
L. CONDORELLI, « Art. cit. », p. 54.
984
S. KARAGIANNIS, « Art. cit. », p. 165.
985
P. DAILLIER, M. FORTEAU et A. PELLET, Op. cit., p. 863, § 474. Voir également L.
CONDORELLI, « Art. cit. », p. 53.
260
986
P.-M. DUPUY, « Le fait générateur de la responsabilité internationale des Etats», « Art.cit. », p. 23.
987
Cf. J. VERHOEVEN, Op. cit., p. 621.
988
Cette précision était déjà présente dans l’article 5 du Projet de 1996 : « Aux fins des présents articles, est
considéré comme un fait de l’Etat d’après le droit international le comportement de tout organe de l’Etat
ayant ce statut d’après le droit interne de cet Etat, pour autant que, en l’occurrence, il ait agi en cette
qualité ». Comme le souligne Frédéric Dopagne, « [l]a Commission a manifestement entendu ne plus
formuler cette exigence ‘‘comme une clause restrictive, de manière à éviter toute conclusion selon laquelle
le demandeur a la charge spécifique de montrer que le fait de l’organe de l’Etat n’a pas été accompli en une
qualité privée’’ » (F. DOPAGNE, « La responsabilité de l’Etat du fait des particuliers : les causes
d’imputation revisitées par les articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite »,
in R.B.D.I., 2001/2, p. 493, note 7.
989
Article 4 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 12, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 118.
990
« Article 6
Comportement d’un organe mis à la disposition de l’Etat par un autre Etat
Le comportement d’un organe mis à la disposition de l’Etat par un autre Etat, pour autant que cet organe
agisse dans l’exercice de prérogatives de puissance publique de l’Etat à la disposition duquel il se trouve,
est considéré comme un fait du premier Etat d’après le droit international ».
991
Cf. Article 6 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 1er, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 122.
992
« Article 7
Excès de pouvoir ou comportement contraire aux instructions
261
qualitate, mais ultra vires993 (i.e. par excès de pouvoir), ou contrairement à ses
instructions.
Le comportement d’un organe de l’Etat ou d’une personne ou entité habilitée à l’exercice de prérogatives
de puissance publique est considéré comme un fait de l’Etat d’après le droit international si cet organe,
cette personne ou cette entité agit en cette qualité, même s’il outrepasse sa compétence ou contrevient à ses
instructions ».
993
Cf. L. CONDORELLI, « Art. cit. », p. 80.
994
Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt,
C.I.J. Recueil 2005, p. 251, § 242.
262
l’Ouganda, la question de savoir si les membres des UPDF ont ou non agi d’une manière
contraire aux instructions données ou ont outrepassé leur mandat. D’après une règle
bien établie, de caractère coutumier, énoncée à l’article 3 de la quatrième convention de
La Haye concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre de 1907 ainsi qu’à
l’article 91 du protocole additionnel I aux conventions de Genève de 1949, une partie à
un conflit armé est responsable de tous les actes des personnes qui font partie de ses
forces armées »995.
Bien que la Cour ne se réfère pas explicitement aux règles des articles 4 et 7
du Projet d’articles de la C.D.I., elle en a bel et bien appliqué le contenu de ces
dispositions, au titre du droit coutumier996.
En période de conflit armé, les éléments des forces armées d’un Etat sont les
plus exposés à engager sa responsabilité internationale pour exploitation illicite des
ressources naturelles d’un autre Etat. Outre le cas des éléments des forces ougandaises,
point n’est besoin de revenir sur l’exploitation illicite des ressources naturelles de la RDC
par les éléments des forces rwandaises, ainsi que nous l’avons illustrée à partir de
plusieurs rapports d’experts onusiens. Toutefois, ce fait illicite, loin d’être l’apanage des
militaires, peut également être commis par d’autres organes, en particulier, par le pouvoir
exécutif (administration). Les conflits armés que nous avons étudiés dans la première
partie illustrent une très forte implication du pouvoir exécutif dans l’exploitation illicite
des ressources naturelles. Nous avons ainsi noté l’appui accordé à l’UNITA, en Angola,
en contrepartie des diamants, par le Président du Zaïre, Mobutu Sese Seko, le Président
du Togo, Gnassingbé Eyadema, le Président du Burkina Faso, Blaise Compaoré et le
Président du Rwanda, Paul Kagame (Voir supra, chapitre II, section I, § 2, A). Dans le
conflit armé en Sierra Leone, la mainmise du Président Charles Taylor et des hauts
fonctionnaires du gouvernement libérien ainsi que du Président Burkinabé Blaise
Compaoré sur les diamants du RUF a été suffisamment démontrée par le rapport du
995
Ibidem, p. 242, §§ 213-214. Voir également Ibidem, p. 251, § 243 et p. 252, § 245.
996
« Le projet d’articles n’est pas, comme tel, contraignant. Il ne le deviendra que lorsqu’il aura été
transformé en un traité en bonne et due forme, dûment ratifié par les Etats. Ce qui n’est pas pour
demain…Il n’empêche que nombreuses sont parmi ses dispositions celles qui, surtout dans sa 1ère partie,
peuvent être considérées comme déclaratives de droit coutumier. Il se comprend dès lors qu’il y soit fait
abondamment référence » (J. VERHOEVEN, Op. cit., p. 612).
263
Groupe d’experts sur la Sierra Leone (Voir supra, chapitre II, section II, § 2, B, 1). En ce
qui concerne l’exploitation illicite des ressources naturelles de la RDC, qu’on se rappelle
tout simplement la mise sur pied par l’armée patriotique rwandaise d’une administration
spéciale dénommée « Bureau Congo », comprenant des militaires et des civils997. On
songe également aux entreprises publiques rwandaises qui se sont lancées dans le
commerce illicite des ressources naturelles998. Dans ces cas, ces organes exécutifs
engagent la responsabilité internationale de leurs Etats.
Les données en notre possession ne font pas état d’un rôle quelconque joué
par les pouvoirs législatif et judiciaire ou par des organes d’un Etat mis à la disposition
d’un autre Etat dans l’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat étranger
pendant un conflit armé. En l’absence de pratique en ce sens, ces questions restent
théoriques dans le cadre de ce travail et ne feront pas l’objet de développements. Par
contre, l’on abordera des situations rencontrées dans les faits, à savoir des cas où
l’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat a été perpétrée par des personnes
privées, surtout par des entreprises multinationales, en examinant dans quelle mesure ce
fait illicite peut être attribuable à un Etat.
997
Cf. Rapport final du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres
formes de richesse de la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 15, § 65.
998
Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de
la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 18, § 82.
999
F. DOPAGNE, « La responsabilité de l’Etat du fait des particuliers… », « Art. cit. », p. 494. En
principe, face à des faits des particuliers, « [l]’Etat n’est responsable que s’il a manqué de diligence » (D.
RUZIE, Op. cit., p. 102).
1000
R. WOLFRUM, ‘‘State Responsibility for Private Actors: an Old Problem of Renewed Relevance’’, in
M. RAGAZZI (ed.), International Responsibility Today: Essays in Memory of Oscar Schachter, Leiden and
Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 2005, p. 425.
264
conséquence, leur fait est imputable à cet Etat : le comportement d’une personne ou
d’une entité exerçant des prérogatives de puissance publique (article 5 du Projet de la
C.D.I.), le comportement sous la direction ou le contrôle de l’Etat (article 8 du Projet de
la C.D.I.), le comportement en cas d’absence ou de carence des autorités officielles
(article 9 du Projet de la C.D.I.), le comportement d’un mouvement insurrectionnel ou
autre (article 10 du Projet de la C.D.I.) et le comportement reconnu et adopté par l’Etat
comme étant sien (article 11 du Projet de la C.D.I.)1001.
Partant des éléments factuels liés aux conflits passés en revue, de ces cinq
exceptions, seul le comportement des personnes privées (individus, sociétés, groupes
armés) sous la direction ou le contrôle de l’Etat (article 8 du Projet de la C.D.I.) est
susceptible de recevoir application dans le cas de l’exploitation illicite de ressources
naturelles. Même l’exploitation illicite par les différents groupes armés (UNITA, RUF et
groupes armés en RDC) opposés aux gouvernements légitimes sera appréhendée au
regard de l’article 8 et non de l’article 10 du Projet de la C.D.I. étant donné que ces
mouvements insurrectionnels ne sont pas devenus de nouveaux gouvernements de leurs
Etats ou ne sont pas parvenus à créer de nouveaux Etats auxquels serait attribuable
l’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat étranger1002.
1001
Pour l’exemple d’une possible attribution à l’Etat du comportement d’une société transnationale en
matière de droits de l’homme, voir O. DE SCHUTTER, « La responsabilité des Etats dans le contrôle des
sociétés transnationales : vers une convention internationale sur la lutte contre les atteintes aux droits de
l’homme commises par les sociétés transnationales », « Art. cit. », pp. 58-67.
1002
De même, l’article 5 du projet de la C.D.I. ne trouve pas à s’appliquer dans ce contexte car il n’est pas
concevable de considérer, par exemple, qu’une société a commis un fait d’exploitation illicite de ressources
naturelles d’un Etat étranger à l’occasion de l’exercice de prérogatives de puissance publique qui lui ont été
conférées par un Etat. Par ailleurs, une société qui exploite illicitement des ressources naturelles d’un Etat
étranger ne peut prétendre agir de la sorte pour pallier la carence ou l’absence des autorités officielles de
son Etat, ce qui exclut l’applicabilité de l’article 9 du Projet de la C.D.I. L’exclusion de l’article 10 se
justifie par le fait qu’un mouvement insurrectionnel qui se livre au pillage des ressources naturelles d’un
Etat et qui plus tard devient le nouveau gouvernement de cet Etat ne peut initier aucune réclamation relative
au pillage dont il a lui-même été l’auteur. Enfin, l’article 11 du Projet de la C.D.I. ne peut être appliqué
dans la présente recherche car aucun Etat n’a reconnu et adopté comme sienne l’exploitation illicite des
ressources naturelles de l’Etat par l’UNITA, par le RUF ou par les diverses rébellions et groupes armés
d’auto-défense en RDC.
265
1003
« La Cour a estimé […] que, même prépondérante ou décisive, la participation des Etats-Unis à
l'organisation, à la formation, à l'équipement, au financement et à l'approvisionnement des contras, à la
sélection de leurs objectifs militaires ou paramilitaires et à la planification de toutes leurs opérations
demeure insuffisante en elle-même, d'après les informations dont la Cour dispose, pour que puissent être
attribués aux Etats-Unis les actes commis par les contras au cours de leurs opérations militaires ou
paramilitaires au Nicaragua. Toutes les modalités de participation des Etats-Unis qui viennent d'être
mentionnées, et même le contrôle général exercé par eux sur une force extrêmement dépendante à leur
égard, ne signifieraient pas par eux-mêmes, sans preuve complémentaire que les Etats-Unis aient ordonné
ou imposé la perpétration des actes contraires aux droits de l'homme et au droit humanitaire allégués par
1'Etat demandeur. Ces actes auraient fort bien pu être commis par des membres de la force contra en
dehors du contrôle des Etats-Unis. Pour que la responsabilité juridique de ces derniers soit engagée, il
devrait en principe être établi qu'ils avaient le contrôle effectif des opérations militaires ou paramilitaires au
cours desquelles les violations en question se seraient produites » (.Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, pp. 64-
65, § 115).
1004
« Pour imputer la responsabilité d’actes commis par des groupes militaires ou paramilitaires à un Etat,
il faut établir que ce dernier exerce un contrôle global sur le groupe, non seulement en l’équipant et le
finançant, mais également en coordonnant ou en prêtant son concours à la planification d’ensemble de ses
activités militaires. Ce n’est qu’à cette condition que la responsabilité internationale de l’Etat pourra être
engagée à raison des agissements illégaux du groupe. Il n’est cependant pas nécessaire d’exiger de plus que
l’Etat ait donné, soit au chef du groupe soit à ses membres, des instructions ou directives pour commettre
certains actes spécifiques contraires au droit international » (Le Procureur c. Dusko Tadic, affaire n°IT-94-
1-A, § 131). Voir également Ibidem, § 137.
266
Devant ces divergences entre deux organes judiciaires des Nations unies, la
C.D.I., sans chercher à préciser le critère de contrôle, a plutôt consacré, dans son Projet
d’articles adopté en 2001, à l’article 8 mentionné ci-avant, trois critères alternatifs pour la
détermination des actes d’un « organe de fait » de l’Etat, à savoir : les instructions, les
directives ou le contrôle de l’Etat. Il suffit que l’un de ces critères présente un lien de
causalité avec le comportement de l’acteur privé mis en cause pour que la responsabilité
de l’Etat soit engagée1009.
L’article 8 du Projet de la C.D.I., qui ne fixe pas de seuil de contrôle, a-t-il été
pris en compte par la C.I.J. et par le T.P.I.Y. ? Dans sa jurisprudence constante après le
jugement Tadic, le T.P.I.Y. a tout simplement campé sur sa position selon laquelle « le
1005
« Il convient d’ajouter que les tribunaux ont adopté des approches différentes dans les affaires
concernant des individus ou des groupes qui ne sont pas organisés en structure militaire. Pour pareils
groupes ou individus, un contrôle global ou général n’a pas été jugé suffisant et on a exigé la preuve
d’instructions ou de directives spécifiques pour commettre des actes précis ou d’une approbation publique
de ces actes après leur perpétration ». (Le Procureur c. Dusko Tadic, affaire n°IT-94-1-A, § 132). Voir
aussi Ibidem, § 137.
1006
Cf. Le Procureur c.Tihomir Blaskic, affaire n°IT-95-14-T, jugement, 3 mars 2000, §§ 100 et suivants.
1007
Cf. P.-M. DUPUY, Droit international public, Op. cit., p. 512, § 469.
1008
Sur les critiques, voir, par exemple, F. DOPAGNE, « La responsabilité de l’Etat du fait des
particuliers… », « Art. cit. », pp. 504-506. Voir également Article 8 du Projet de la C.D.I., Commentaire, §
5, in J. CRAWFORD, Op. cit., pp. 132-133. Ce revirement jurisprudentiel du T.P.I.Y. par rapport à la C.I.J.
n’a pas laissé indifférent le Président en exercice de la C.I.J., le juge Gilbert Guillaume, qui n’a pas tardé à
déclarer devant la Commission du droit international et devant l’Assemblée générale des Nations unies que
la fragmentation du droit international qui résultait de ce revirement du Tribunal apportait « anarchie et
chaos dans le droit international ». En effet, la multiplication des tribunaux internationaux pourrait mettre
en danger l’unité du droit international coutumier du fait qu’elle engendre des incohérences
jurisprudentielles, la même règle de droit pouvant, dans des procès différents, faire l’objet d’interprétations
différentes. Cette attitude pourrait même engendrer le phénomène de Forum shopping, le plaideur étant
alors amené à saisir la juridiction qui lui semble la plus favorable (Cf. D. MOMTAZ, « Art. cit. », pp. 32-
33). Sur les auteurs qui soutiennent le critère du contrôle global, voir A. CASSESE, ‘‘The Nicaragua and
Tadic Tests Revisited in Light of the ICJ Judgement on Genocide in Bosnia’’, in EJIL, Vol. 18, No. 4,
2007, pp. 649-668.
1009
Cf. Article 8 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 7, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 134.
267
contrôle exercé par un Etat sur des forces armées, des milices ou des unités
paramilitaires subordonnées peut revêtir un caractère global (mais doit aller au-delà de la
1010
simple aide financière, fourniture d’équipements militaires ou formation) » . Le
T.P.I.Y. est resté tout à fait indifférent à l’égard de l’article 8 du Projet de la C.D.I.1011
Par contre, la C.I.J., sans se prononcer explicitement, dans l’affaire Congo c. Ouganda,
sur « la désormais célèbre dichotomie ‘‘contrôle effectif - contrôle global’’ »1012, viendra
remettre les pendules à l’heure, en 2007, dans l’affaire du Génocide.
1010
Voir, par exemples, Le Procureur c. Aleksovski, affaire n° IT-95-14/1-A, Chambre d’appel, Arrêt, 24
mars 2000, §§ 131-134 ; Le Procureur c. Delalic et consorts, affaire n° IT-96-21-A, Chambre d’appel,
Arrêt, 20 février 2001, § 26; Le Procureur c. Kordic et Cerkez, affaire n° IT-95-14/2-A, Chambre d’appel,
Arrêt, 17 décembre 2004, §§ 306 et 307.
1011
Voir notamment les affaires Blaskic, Aleksovski, Delalic et consorts; Kordic et Cerkez, citées dans les
notes 1006 et 1010, dans lesquelles le T.P.I. Y. a appliqué le critère du contrôle global.
1012
S. KARAGIANNIS, « Art. cit. », p. 175.
1013
Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt,
C.I.J. Recueil 2005, p. 226, § 160.
1014
Cf. S. KARAGIANNIS, « Art. cit. », p. 175.
268
1015
Ibidem, p. 175.
1016
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-
Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 209, § 403.
1017
Cf. Ibidem, p. 210, § 404.
1018
Cf. Ibidem, p. 210, § 404.
269
Dans cette logique, c’est à bon droit que la Chambre de première instance I
de la Cour pénale internationale, dans son jugement du 14 mars 2012, rendu en l’affaire
Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, a émis ces considérations : « En ce qui concerne
le degré de contrôle que doit exercer un Etat sur un groupe armé agissant en son nom, la
Chambre de première instance a conclu que le critère du ‘‘contrôle global’’ était à
retenir. Ce critère permet de déterminer si un conflit armé ne présentant pas un
caractère international pourrait avoir été internationalisé par l’intervention de forces
armées agissant au nom d’un autre Etat. Un Etat peut exercer le degré de contrôle requis
s’il ‘‘joue un rôle dans l’organisation, la coordination ou la planification des actions
militaires du groupe militaire, en plus de le financer, l’entraîner, l’équiper ou lui
apporter son soutien opérationnel’’ »1020.
1019
D. MOMTAZ, « Art. cit. », pp. 33-34.
1020
ICC-01/04-01/06-2842-tFRA, Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, Jugement rendu en application
de l’article 74 du Statut, 14 mars 2012, pp. 270-271, § 541.
270
1021
Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt,
C.I.J. Recueil 2005, p. 226, § 160.
1022
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-
Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 208, § 399.
1023
Ibidem, p. 210, § 404.
1024
Article 8 du projet de la C.D.I., Commentaire, § 5, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 133. Sur les autres
juridictions qui ont traité du degré que le contrôle de l’Etat doit atteindre pour que le comportement des
personnes privées soit attribuable à l’Etat, voir Ibidem, p. 133, note 169.
271
C’est à juste titre que Frédéric Dopagne fait remarquer que « la C.D.I., en
rédigeant de la sorte sa disposition sur l’organe de fait, remplit à maints égards sa
fonction de développement progressif du droit international davantage que sa mission de
codification »1025.
Cela dit, il est utile à présent de résumer les faits et de les examiner aux fins
de l’imputation aux Etats, à la lumière de l’article 8 du Projet de la C.D.I. et de la
jurisprudence internationale pertinente, des actes d’exploitation illicite de ressources
naturelles de l’Etat par les groupes armés (UNITA, RUF, rébellions en RDC), par les
entreprises privées et par les individus.
1025
F. DOPAGNE, « La responsabilité de l’Etat du fait des particuliers… », « Art. cit. », pp. 508-509.
1026
Voir dans ce sens, Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c.
Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, pp. 226-227, §§ 161-164.
272
1027
Article 8 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 6, in J. CRAWFORD, Op. cit., pp. 133-134 et note
175.
273
1028
Čelebići Appeal Judgement, para. 197.
1029
Prosecutor v. Charles Ghankay Taylor, Case No.: SCSL-03-01-T, 18 May 2012, available at
http://www.sc-sl.org/LinkClick.aspx?fileticket=k%2b03KREEPCQ%3d&tabid=107, p. 174, footnote 1112.
1030
Ibidem, p. 2405, § 6787.
1031
‘‘The Trial Chamber has found that the Accused may well have been consulted by Koroma, or talked
directly with Bockarie about the promotion while he was in Monrovia, but not that Bockarie was promoted
by the Accused. Like Sankoh, Koroma turned to the Accused for advice and support, and the Trial Chamber
accepts that he would have consulted the Accused. Nevertheless, the Accused was not part of the command
structure’’ (Ibidem, p. 2401, § 6777).
1032
Ibidem, p. 2401-2402, § 6778.
274
1033
Cf. Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis
d'Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, pp. 64-65, § 115.
275
1034
Article 8 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 2, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 131. Voir la
jurisprudence citée par la C.D.I. dans la note 161.
1035
Nous nous référons ainsi à la C.I.J. qui, dans l’affaire du Génocide, mentionne que « selon la
jurisprudence de la Cour, une personne, un groupe de personnes ou une entité quelconque peuvent être
assimilés - aux fins de la mise en œuvre de la responsabilité internationale - à un organe de l’Etat même si
une telle qualification ne résulte pas du droit interne, lorsque cette personne, ce groupe ou cette entité agit
en fait sous la ‘‘totale dépendance’’ de l’Etat, dont il n’est, en somme, qu’un simple instrument. En pareil
cas, il convient d’aller au-delà du seul statut juridique, pour appréhender la réalité des rapports entre la
personne qui agit et l’Etat auquel elle se rattache si étroitement qu’elle en apparaît comme le simple agent:
toute autre solution permettrait aux Etats d’échapper à leur responsabilité internationale en choisissant
d’agir par le truchement de personnes ou d’entités dont l’autonomie à leur égard serait une pure fiction
[…]. Cependant, une telle assimilation aux organes de l’Etat de personnes ou d’entités auxquelles le droit
interne ne confère pas ce statut ne peut que rester exceptionnelle ; elle suppose, en effet, que soit établi un
degré particulièrement élevé de contrôle de l’Etat sur les personnes ou entités en cause, que l’arrêt précité
de la Cour a caractérisé précisément comme une ‘‘totale dépendance’’ » (Application de la convention pour
la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt,
C.I.J. Recueil 2007, p. 205, §§ 392-393). L’arrêt évoqué dans ce passage est celui rendu en l’affaire
Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique (Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
(Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, pp. 62-63, §§ 109-110).
1036
Cf. Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda),
arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 253, § 247.
276
international responsibility but it is the conduct of State officials or the lack of conduct
which counts’’1037.
Il est possible que les Etats qui s’adonnent à l’exploitation illicite des
ressources naturelles d’un Etat étranger bénéficient de l’appui d’autres Etats. Il importe
de nous pencher à présent sur la responsabilité de ces derniers.
§3. Aide ou assistance d’un Etat en matière d’exploitation illicite des ressources
naturelles
b) Le fait serait internationalement illicite s’il était commis par cet Etat ».
1037
R. WOLFRUM, ‘‘Art. cit.’’, p. 425.
277
1038
J. SALMON (sous la direction de), Op. cit., p. 53.
1039
Ibidem, p. 96.
1040
Ibidem, p. 218.
1041
Ibidem, p. 218.
1042
R. AGO, « Septième rapport sur la responsabilité des Etats », in A.C.D.I., 1978, Vol. II, Première
partie, p. 57, § 77.
1043
Cf. Commission du droit international, Rapport de la Commission à l’Assemblée générale sur les
travaux de sa trentième session, in A.C.D.I., 1978, Vol. II, 2e partie, p. 115, § 15.
1044
Cf. P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit international public, Op. cit., p. 549 et note
1816.
278
Cela dit, de par la disposition de l’article 16 sous examen, l’Etat qui aide
intentionnellement un autre Etat à perpétrer un fait internationalement illicite commet une
violation autonome du droit international dans la mesure où il est également lié par
l’obligation violée par l’Etat bénéficiaire de son assistance. Ainsi, l’Etat qui fournit à un
autre Etat une aide ou une assistance dans l’exploitation illicite des ressources naturelles
d’un Etat étranger « est responsable à raison de son propre fait, c’est-à-dire pour avoir
aidé délibérément un autre Etat à enfreindre [des] obligation[s] internationale[s] par
[lesquelles] ils sont tous deux liés »1046, en l’occurrence l’interdiction du pillage, le
respect de la souveraineté permanente d’un Etat sur ses ressources naturelles, etc.
Au sens de l’article 16, l’Etat qui prête aide ou assistance à un Etat qui se
livre à l’exploitation illicite des ressources naturelles d’un autre vise à lui faciliter ainsi la
1045
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis
d'Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, pp. 62-63, § 110.
1046
Article 16 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 10, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 181.
279
Concrètement, comment un Etat peut-il prêter à un autre Etat une aide dans
l’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat étranger ?
Dans la pratique rencontrée dans les conflits armés étudiés (Angola, Sierra
Leone et RDC), les conflits armés angolais et sierra-léonais n’offrent pas d’exemples
d’aide d’un Etat à un autre Etat dans l’exploitation illicite des diamants. Ils illustrent
plutôt l’aide des Etats à des groupes armés (UNITA, en Angola et RUF, en Sierra Leone)
pour l’exploitation des « diamants de sang ». Ces cas ne rentrent pas dans le champ
d’application de l’article 16. Par contre, dans le cadre du conflit armé congolais, nous
avons relevé que certains Etats ont de facto facilité l’exploitation illicite des ressources
naturelles de la RDC par l’Ouganda et par le Rwanda et par des multinationales
autorisées par ces Etats. Il y a lieu d’examiner en l’espèce s’il y a là matière à application
de l’article 16 du Projet de la C.D.I. Comme nous l’avons souligné dans le chapitre II, le
Kenya, la Tanzanie, le Cameroun et l’Afrique du Sud ont, par leurs ports maritimes, servi
1047
Cf. Article 16 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 1, in Ibidem, p. 177.
1048
Cf. Article 16 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 10, in Ibidem, p. 181.
280
de pays de transit des ressources naturelles illicitement exploitées en RDC. Mais, selon
les experts onusiens, « [o]n n’y constate cependant pas, en règle générale, une intention
particulière de dissimuler la situation ou de protéger certains intérêts. […] Ces pays
étaient en effet liés par des accords et conventions signés dans le cadre d’organisations
sous-régionales comme le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA)
pour les ports de Mombasa et Dar es-Salaam et l’Union douanière et économique de
l’Afrique centrale/ Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale
(UDEAC/CEMAC pour le port de Douala »1049.
Néanmoins, on retiendra que dans certains cas, il peut être établi que ces Etats
de transit ont manqué à une obligation de vigilance, en laissant passer par leurs territoires
des ressources réputées d’origine ougandaise ou rwandaise alors qu’ils n’en produisent
pas, notamment le diamant1050. Ces Etats de transit auraient dû accroître leur contrôle
surtout qu’ils savaient ou auraient dû savoir que l’Ouganda et le Rwanda étaient accusés
par le Conseil de sécurité des Nations unies de se livrer à l’exploitation illicite des
ressources naturelles de la RDC. Par ailleurs, s’agissant du Kenya, le Groupe d’experts
rapporte qu’il « a servi de base à la distribution de faux dollars américains et accueilli les
opérations financières de négociants qui exportent des ressources naturelles (bois, café,
tabac) par le port de Mombasa »1051. Dans ces circonstances, on peut estimer que ces pays
de transit ont manqué à une obligation de vigilance. De même, il n’est pas établi que des
Etats de destination des ressources naturelles illicitement exploitées par l’Ouganda et par
le Rwanda ainsi que par des multinationales coopérant avec eux avaient l’intention de
faciliter le commerce illicite des ressources naturelles. On doit leur reprocher non pas une
1049
Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de
la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 41, § 191. Le port de Douala a servi à l’exportation des
ressources naturelles de la RDC par le Mouvement de Libération du Congo via la République
centrafricaine (Cf. Ibidem, p. 41, § 192).
1050
Cf. Ibidem, p. 22-23, §§ 97-100 et p. 26, § 104.
1051
Ibidem, p. 42, § 194.
281
1052
Voir, par exemple, Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et
autres richesses de la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 32, § 138.
1053
Cf. HUMAN RIGHTS WATCH, Le fléau de l’or. République démocratique du Congo, Op. cit., pp.
139-140.
283
avec ses clients, de faire comme si les questions (sensibles ou non) de gouvernance au
sens large du terme n’existaient pas »1054.
Section II. Réparation du préjudice causé par l’exploitation illicite des ressources
naturelles
1054
Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de
la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 41, §§ 187-190.
1055
« Certains auteurs établissent une distinction entre préjudice et dommage ; les deux termes sont
considérés comme équivalents » (P. DAILLIER, M. FORTEAU et A. PELLET, Op. cit., p. 880, § 483).
Parmi les auteurs qui différencient le préjudice du dommage, il y a lieu de mentionner Clarisse Barthe-Gay
qui écrit à ce sujet : « Le dommage est une donnée de fait qu’il est possible de constater de manière
objective ; le préjudice est la conséquence du dommage propre à la victime. Tout préjudice suppose un
dommage, mais tout dommage n’entraîne pas un préjudice : il semble nécessaire de séparer l’atteinte que
constitue le dommage des conséquences qu’il est susceptible d’emporter (le préjudice). C’est donc le
préjudice, et non le dommage, qui fait l’objet d’une réparation » (CL. BARTHE-GAY, « Art. cit., p. 107).
Pour la C.D.I., à qui nous emboîtons le pas, ces deux termes sont synonymes et donc interchangeables,
comme on peut lire dans ce commentaire sous l’article 37 : « [L]a satisfaction est destinée à réparer ces
dommages qui, n’étant pas susceptibles d’évaluation financière, constituent un affront pour l’Etat. Ces
préjudices sont souvent de nature symbolique, et découlent du simple fait de la violation, indépendamment
des conséquences matérielles de cette violation pour l’Etat concerné » (Article 37 du Projet de la C.D.I.,
Commentaire, § 3, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 278).
1056
Cf. J. COMBACAU et S. SUR, Op. cit., p. 530.
1057
Cf. P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit international public, Op. cit., p. 572.
1058
En nous référant à Prosper Weil, nous pouvons résumer cette « querelle du dommage » comme suit :
Pour une partie de la doctrine « sans dommage, pas de responsabilité internationale ». Selon la C.D.I. et
bien des auteurs à sa suite, « [p]our qu’il y ait responsabilité internationale, il faut, et il suffit, que l’Etat ait
284
violé une obligation internationale. L’existence d’un dommage, fût-il moral, n’est pas requise ». On est
donc en présence d’ « [u]ne controverse en partie sémantique […] mais aussi [d’] un débat de fond ».
Bref, « c’est la philosophie même de la responsabilité internationale qui est en cause » (Voir P. WEIL,
« Le droit international en quête de son identité. Cours général de droit international public », in R.C.A.D.I.,
Tome 327, 1992-VI, pp. 340-341). A simplement parler, cette querelle porte sur les éléments constitutifs de
la responsabilité internationale (Cf. P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit international
public, Op. cit., pp. 427 et 565).
1059
K. ZEMANEK, « La responsabilité des Etats pour faits internationalement illicites, ainsi que pour faits
internationalement licites », in WEIL, P. (sous la direction de), Responsabilité internationale, Paris,
Pedone, 1987, p. 25.
285
autrement dit, parce qu’un lien de causalité existe entre les dommages et le fait illicite
(B). Cependant, la contribution de la victime à son préjudice exerce une influence sur la
réparation (C).
A. Le dommage
1. Dommage matériel
Le dommage matériel est habituellement défini comme une atteinte à un
intérêt qui est normalement susceptible d’une appréciation en termes monétaires1060.
Cependant, indique Philippe Gautier, dans certains cas, notamment la destruction des
ressources naturelles communes comme l’eau ou la végétation, la distinction fondée sur
la valeur (non-) commerciale des ressources présente des limites dans la mesure où
l’évaluation (monétaire) du dommage est difficile1061. S’agissant de la destruction de
l’eau, par exemple, doit-on, pour l’évaluation du dommage, tenir compte du prix d’une
bouteille ou prendre en considération ses différents usages et la perte de leur jouissance ?
Des dommages purement écologiques ne sont-ils pas matériels ? Comment les évaluer en
vue de la réparation ? Pour ce qui est des ressources non négociables sur le marché, leur
destruction ne cause-t-elle pas à leur bénéficiaire, notamment pour ce qui est des services
écologiques, un dommage matériel, qu’il convient de réparer ? La pratique de la
Commission d’indemnisation des Nations unies apporte de la lumière sur ces
questions1062, ainsi que nous le verrons au cours de l’examen de la réparation du
dommage matériel (Voir cette section, § 2, B, 1, b).
1060
Cf. J. COMBACAU et S. SUR, Op. cit., p. 530.
1061
Cf. PH. GAUTIER, ‘‘Environmental Damage and The United Nations Claims Commission: New
Directions for Future International Environmental Cases?’’, in T. M. NDIAYE & R. WOLFRUM (Eds),
Law of the Sea, Environmental Law and Settlement of Disputes. Liber Amicorum Judge Thomas A. Mensah,
Martinus Nijhoff Publishers, Leiden/ Boston, 2007, p. 208.
1062
Cf. Ibidem, pp. 208-209.
286
Dans la première partie de cette étude (chapitre II), nous avons, en guise
d’illustration, relevé des estimations partielles de la valeur des quantités de ressources
naturelles pillées par l’Ouganda et par le Rwanda en RDC, par l’UNITA et ses alliés
étatiques en Angola et par le RUF et ses alliés étatiques en Sierra Leone. Il a été question
de milliards de dollars américains. Nul besoin d’y revenir.
2. Dommage moral
Le dommage moral ou immatériel ou « extrapatrimonial »1065, parfois appelé
dommage psychologique, est une atteinte à un intérêt qui n’est pas immédiatement
appréciable en termes monétaires1066, « même si en définitive les mécanismes de la
responsabilité doivent aboutir, faute de mieux, à une réparation de ce type »1067. Il s’agit
notamment d’une atteinte à l’honneur, au prestige ou à la dignité de l’Etat, lesquels font
partie intégrante de sa personnalité1068.
1063
Cf. J. VERHOEVEN, Op. cit., p. 617.
1064
Cf. D. RUZIE, Op. cit., p. 106.
1065
G. ARANGIO-RUIZ, « Deuxième rapport sur la responsabilité des Etats », in A.C.D.I., 1989, Vol. II,
Première partie, p. 4, §§ 7 et 9.
1066
Cf. J. COMBACAU et S. SUR, Op. cit. , p. 530.
1067
Ibidem, p. 530.
1068
Cf. P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit international public, Op. cit., p. 596 ; et J.
PERSONNAZ, La réparation du préjudice en droit international public, Paris, Sirey, 1939, p. 277.
287
Le préjudice moral, note Jean Personnaz, « peut être causé à l’Etat, soit
directement, soit de manière plus indirecte, dans la personne de ses représentants
divers »1071. Il peut également atteindre l’Etat en la personne d’un de ses
ressortissants1072. Plus globalement, le dommage immatériel de l’Etat résulte de la
violation de l’un de ses trois droits fondamentaux, à savoir : « l’Etat a droit au respect de
sa qualité souveraine ; l’Etat a droit au respect de ses biens ; l’Etat a droit à voir le droit
international respecté en la personne de ses ressortissants »1073.
1069
Cf. Sentence arbitrale du 30 avril 1990 (Nouvelle-Zélande c. France), in R.G.D.I.P., 1990, p. 868, §
108.
1070
« Le Tribunal doit constater en l’espèce que la violation du régime particulier, défini par le Secrétaire
général pour concilier les vues contradictoires des Parties, a suscité outrage et indignation publique en
Nouvelle-Zélande et donné lieu à un nouveau dommage immatériel. Il s’agit là d’un dommage de nature
morale, […] lié à l’affront fait à la dignité et au prestige non seulement de la Nouvelle-Zélande en soi mais
aussi de ses plus hautes autorités judiciaires et exécutives » (Ibidem, p. 869, § 110).
1071
J. PERSONNAZ, Op. cit., p. 278.
1072
Cf. Ibidem, p. 280.
1073
P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit international public, Op. cit., p. 595. Pour des
explications et exemples relatifs à ces droits fondamentaux de l’Etat, voir pp. 595-621.
288
trouve profondément affecté dans son honneur et sa dignité du fait que son incapacité à
protéger ses ressources naturelles apparaît au grand jour, au risque de jeter sur lui un
discrédit tant au niveau national qu’international. Le dommage moral s’accroît lorsque
l’auteur de l’exploitation illicite fait des déclarations de nature à vexer la victime. Qu’on
songe, par exemple, à la déclaration du Président Kagame, déjà citée, selon laquelle la
guerre du Rwanda contre la RDC est « un conflit qui s’autofinance »1074.
Selon une position doctrinale, soutenue notamment par Pierre d’Argent, « les
dommages moraux subis par les ressortissants de l’Etat réclamant constituent dans son
chef un dommage matériel, et non moral, à l’intermédiaire du mécanisme de la protection
diplomatique »1075. Que l’Etat prenant fait et cause pour son ressortissant ayant souffert
un dommage moral subisse lui-même de cette action un dommage matériel, cela se
comprend facilement. Tel serait, par exemple, le cas de nombreuses dépenses qu’effectue
cet Etat dans le cadre de cet endossement. Est-ce à dire que cet Etat ne subit pas de
dommage moral découlant de ce dommage matériel constitué dans son chef à
l’intermédiaire de la protection diplomatique en faveur de son ressortissant qui a souffert
des dommages moraux ? On peut éprouver quelques hésitations à répondre totalement par
l’affirmative, du moins tant que l’on admet, à la lumière des enseignements de Jean
Combacau, qu’il n’existe pratiquement pas de « dommage purement matériel » : « [S]’il
existe des dommages exclusivement moraux, comme l’offense au drapeau […] on aurait
1074
Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de
la République démocratique du Congo, Op. cit., p. 28, § 114.
1075
P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit international public, Op. cit., pp. 596 et 716-717
(notre emphase).
289
du mal à en trouver de purement matériels; l’Etat qui subit un tort matériel peut toujours
invoquer en même temps un tort moral : quand le premier est étayé par l’allégation
d’une violation du droit international à son égard […] le second en est l’inévitable
corollaire ; en effet, l’Etat a un intérêt légal à voir le droit international respecté à son
égard »1076.
1076
J. COMBACAU et S. SUR, Op. cit., p. 531.
1077
G. ARANGIO-RUIZ, « Deuxième rapport sur la responsabilité des Etats », « Art. cit. », p. 4, § 9 (notre
emphase).
290
1078
B. BOLLECKER-STERN, Le préjudice dans la théorie de la responsabilité internationale, Paris,
Pedone, 1973, p. 18.
1079
Ibidem, p. 180. Voir également B. STERN, « Art. cit. », p. 4 ; P. D’ARGENT, Les réparations de
guerre en droit international public, Op. cit., p. 564 ; J. VERHOEVEN, Op. cit, p. 616 ; etc.
1080
P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit international public, Op. cit., p. 625.
1081
Cf. B. BOLLECKER-STERN, Op. cit., pp. 180-184.
291
« savoir dans quels cas le lien de causalité entre [le fait] illicite et le dommage est
considéré comme suffisant pour ouvrir un droit à réparation »1082. Vu que la doctrine et la
jurisprudence s’influencent mutuellement, nous n’en ferons pas d’analyses séparées.
Nous évoquerons l’une ou l’autre chaque fois que de besoin.
1082
Ibidem, p. 184.
1083
Cf. Ibidem, p. 184.
1084
Cf. Ibidem, p. 184.
1085
P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit international public, Op. cit., p. 627.
1086
Cf. Ibidem, p. 627 et B. BOLLECKER-STERN, Op. cit., p. 184.
1087
Cf. B. BOLLECKER-STERN, Op. cit., p. 186.
1088
Cf. Ibidem, p. 186.
292
1089
P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit international public, Op. cit., pp. 627-628.
1090
Voir sentence arbitrale en l’affaire de l’Alabama ; sentence du 30 juin 1930 entre l’Allemagne et le
Portugal (R.S.A., Vol. II, p. 1035 et s.) ; CPJI, Affaire du Wimbledon (n°1, Série A, p. 32) citées par D.
CARREAU, Op. cit., p. 422, § 1148.
1091
En ce sens, Dominique Carreau écrit : « En droit international comme en droit interne, le seul type de
préjudice qui soit pris en considération est le préjudice direct. Autrement dit, il doit exister un lien de
causalité étroit entre la violation du droit international et le préjudice qui en résulte » (D. CARREAU, Op.
cit., p. 422, § 1147. Dans le même sens, voir P. DAILLIER, M. FORTEAU et A. PELLET, Op. cit., p.
883, § 486. Pour une position contraire, du moins en ce qui concerne le droit international, voir,
notamment, P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit international public, Op. cit., pp. 629-630.
1092
Cf. J. VERHOEVEN, Op. cit., p. 630.
1093
Cf. Ibidem, p. 630. L’auteur évoque l’affaire de l’Alabama.
293
Etat qui le subit (directement). Il est médiat lorsque, subi par son ressortissant, l’Etat
l’endosse dans le cadre de la protection diplomatique. Pour tout dire, la distinction entre
préjudices direct et indirect portait sur l’origine du dommage alors que celle entre
préjudices immédiat et médiat porte sur la personne lésée1094. Nous reviendrons à cette
dernière classification en examinant particulièrement la question de la réparation.
1094
Cf. P. DAILLIER, M. FORTEAU et A. PELLET, Op. cit., p. 885, § 487.
1095
Cf. P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit international public, Op. cit., pp. 630-635.
1096
Cf. Ibidem, p. 634 et B. BOLLECKER-STERN, Op. cit., p. 200.
1097
Cf. B. BOLLECKER-STERN, Op. cit., p. 199.
1098
Cf. Ibidem, pp. 189-191.
1099
Cf. Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda),
arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 256, § 258.
1100
Cf. Ibidem, p. 253, § 250 et p. 257, § 259.
1101
Ibidem, p. 257, § 259.
294
2007, la Cour considère qu’il doit exister « un lien de causalité suffisamment direct et
certain entre le fait illicite, à savoir la violation par le défendeur de l’obligation de
prévenir le génocide, et le préjudice subi par le demandeur, consistant en dommages de
tous ordres, matériels et moraux, provoqués par les actes de génocide. Un tel lien de
causalité ne pourrait être regardé comme établi que si la Cour était en mesure de
déduire de l’ensemble de l’affaire, avec un degré suffisant de certitude, que le génocide
de Srebrenica aurait été effectivement empêché si le défendeur avait adopté un
comportement conforme à ses obligations juridiques. Force est toutefois de constater que
tel n’est pas le cas »1102.
1102
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-
Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 234, § 462.
1103
« A la suite de la désagrégation de la République fédérative socialiste de Yougoslavie, quatre
républiques fédérées déclarèrent leur indépendance : Croatie, Slovénie, Macédoine et Bosnie-Herzégovine.
Dans cette dernière république, une guerre civile éclata, fomentée par la population d’origine serbe, qui fut
soutenue par la nouvelle République fédérative de Yougoslavie, limitée aux deux dernières républiques de
Serbie et du Monténégro. Des exactions (assassinats, tortures, viols, etc.) furent imputées aux miliciens
serbes, accusés, notamment, de poursuivre une politique de ‘‘purification ethnique’’ à l’encontre des
musulmans bosniaques » (D. RUZIE, Op. cit., p. 229).
1104
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-
Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 234, § 462.
295
Etat. Le lien de causalité est présumé du moment que le fait illicite est commis par l’Etat
sur lequel pèsent les obligations dont la violation entraîne des dommages. Il en va
autrement lorsque l’Etat mis en cause, sans pour autant avoir participé à la commission
du fait illicite dommageable, n’a pas tout fait pour (essayer de) l’empêcher. Dans ce cas,
il faudrait établir que la passivité (partielle ou totale) de l’Etat mis en cause a joué un rôle
déterminant dans la commission du fait illicite, autrement dit, que ce fait n’aurait pas été
commis si cet Etat n’avait pas manqué à une obligation de diligence. On se rend bien
compte que l’établissement du lien de causalité se fait en fonction du comportement
prohibé. Dans le premier cas (affaire Congo c. Ouganda), la violation de l’obligation
internationale consiste en la commission du fait internationalement visé par l’interdiction.
En l’espèce, l’Etat mis en cause a lui-même violé l’interdiction du pillage des ressources
naturelles d’un autre Etat. Dans le second cas (affaire du Génocide), il est question de la
violation par un Etat d’une « obligation périphérique », qui facilite la commission par un
autre Etat ou par un acteur non étatique d’un fait principalement prohibé par le droit
international. En l’espèce, ce n’est pas l’Etat mis en cause qui a commis directement le
génocide.
conflit armé mais qui, au moment des faits, exerce sur une entreprise multinationale
impliquée dans l’exploitation illicite des ressources naturelles d’un autre Etat un contrôle,
du fait de la nationalité de cette entreprise ou de l’établissement de celle-ci sur son
territoire. Les mêmes critères seront appliqués à d’autres Etats tiers au conflit armé, qui
ont joué un rôle dans l’exploitation illicite des ressources naturelles, à savoir : les Etats de
transit et les Etats de destination des ressources naturelles illicitement exploitées par des
Etats et/ou par des multinationales. Des détails relatifs à la responsabilité de ces Etats
tiers au conflit armé seront abordés à propos des titulaires de l’obligation de réparer
(section II, §3).
1105
Cf. P. DAILLIER, M. FORTEAU et A. PELLET, Op. cit., p. 884, § 486.
1106
Ibidem, p. 884, § 486.
1107
Cf. Ibidem, p. 884, § 486.
1108
Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited, arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 35, § 44.
1109
B. BOLLECKER-STERN, Op. cit., p. 227.
1110
Cf. Ibidem, p. 228.
297
1111
Cf. Ibidem, p. 255. Pour des explications détaillées sur ces exceptions, voir pp. 255-264.
1112
Cf. P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit international public, Op. cit., pp. 635-636.
1113
Cf. B. BOLLECKER-STERN, Op. cit., pp. 267-297. Pour ces quatre cas de figure, les italiques sont
dans le texte original. Voir également P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit international
public, Op. cit., pp. 636-641.
1114
Cf. B. BOLLECKER-STERN, Op. cit., p. 270.
1115
Ibidem, p. 274.
1116
Cf. P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit international public, Op. cit., pp. 639-640.
1117
Cf. B. BOLLECKER-STERN, Op. cit., p. 275.
1118
J. PERSONNAZ, Op. cit., p. 142.
1119
B. BOLLECKER-STERN, Op. cit., p. 280.
298
1120
Précision ajoutée par Pierre d’Argent au regard des cas étudiés par Bollecker-Stern (pp. 281-285) (Cf.
P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit international public, Op. cit., p. 637).
1121
B. BOLLECKER-STERN, Op. cit., p. 281.
1122
Ibidem, p. 285.
1123
Cf. Ibidem, pp. 285-292.
1124
Cf. P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit international public, Op. cit., pp. 638-639.
1125
B. BOLLECKER-STERN, Op. cit., p. 293.
1126
Ibidem, p. 296.
299
Dans certains cas, une conduite de l’Etat non conforme au droit international
peut être la cause de (ou aggraver) l’exploitation illicite des ressources naturelles de cet
Etat. Il s’agit d’une situation de contribution de la victime au préjudice subi par elle,
communément dénommée, en droit interne, « négligence contributive », « faute
concurrente », « faute de la victime », etc.1127.
1127
Cf. Article 39 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 2, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 288. Certains
auteurs abordent la question de la « faute de la victime » dans le cadre du lien de causalité (Voir, par
exemple, B. BOLLECKER-STERN, Op. cit., pp. 301 et suivantes ; P. D’ARGENT, Les réparations de
guerre en droit international public, Op. cit., pp. 626-627 et 641-644). Cette approche se justifie du
moment que l’on sait très bien que l’intervention de la victime peut avoir une incidence sur le lien de
causalité entre le fait illicite et le dommage. En effet, il est des cas dans lesquels le dommage ne se serait
pas produit sans l’intervention cumulative de la « faute de la victime » et d’un fait illicite extérieur (Cf. P.
D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit international public, Op. cit., p. 642). On s’attèlera à la
solution y apportée dans le point ci-après. Néanmoins, la « faute de la victime » n’est pas toujours
indissociable de ce lien causal vu que dans d’autres situations, elle intervient quand le dommage est déjà
produit, même si elle viendrait l’aggraver (Cf. Ibidem, p. 642). Et dans la plupart des cas, un fait illicite
provoque un dommage en dehors de toute « faute de la victime ». Ceci nous amène à examiner cette
dernière dans un point séparé de celui consacré au lien de causalité qui unit le dommage au fait illicite.
1128
Cf. Article 39 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 2, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 288.
1129
Cf. P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit international public, Op. cit., p. 641.
1130
Article 39 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 2, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 288.
300
1131
Cf. Article 39 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 4, in Ibidem, p. 289.
1132
Cf. Article 39 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 4, in Ibidem, p. 289.
1133
Article 39 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 4, in Ibidem, p. 289.
1134
Cf. P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit international public, Op. cit., p. 641.
1135
Cf. J. J. A. SALMON, « Des ‘‘mains propres’’ comme conditions de recevabilité des réclamations
internationales », in A.F.D.I., Vol. 10, 1964, pp. 225-266. Au terme d’une longue et rigoureuse
démonstration, Salmon conclut : « Dans la mesure […] où cette théorie a pour but de conclure à
l'irrecevabilité des demandes émanant de requérants dont la conduite a été blâmable, elle repose sur de
fausses prémisses. En effet, la pratique arbitrale que l'on invoque à l'appui de cette conclusion est
inexistante s'agissant de violations du droit interne, ancienne et très limitée s'agissant de violations du droit
international. […] Elle est, enfin, dangereuse dans son principe car elle est contraire à une bonne
administration de la justice si le requérant a un accès direct à la juridiction pour y faire valoir un droit
propre qu'il tient du droit international et elle serait inadmissible si elle faisait obstacle au droit d'un
Gouvernement de prendre fait et cause pour ses ressortissants sur [la] base d'une violation du droit
international » (Ibidem, pp. 265-266). Sur cette question, voir également B. BOLLECKER-STERN, Op.
cit., pp. 302-315.
1136
« Il est arrivé qu’un argument fondé sur la théorie des mains propres ait été présenté à titre de question
préjudicielle dans des affaires soumises à la Cour internationale de Justice mettant en jeu des relations
d’Etat à Etat directes. On ne sait cependant pas si l’intention était de soulever une exception
d’irrecevabilité. Si la doctrine est applicable à des demandes de protection diplomatique, mieux vaudrait,
semble-t-il, l’évoquer au stade de l’examen au fond, car elle a un rapport avec l’atténuation ou
l’exonération de la responsabilité plutôt qu’avec la recevabilité » (J. DUGARD, « Sixième rapport sur la
protection diplomatique », A/CN.4/546, 16 août 2004, p. 9, § 16.
301
selon qu’elle a simplement aggravé un dommage déjà produit par le fait illicite de l’Etat
(parfois en concours avec d’autres causes licites ou illicites extérieures à la victime),
notamment en n’usant pas raisonnablement de moyens en sa possession pour
l’atténuer1137. S’agissant de la première situation, la doctrine dominante, représentée par
Bollecker-Stern, retient que « la victime… sera considérée comme responsable et
insusceptible par conséquent de réclamer une réparation à l’Etat »1138. Il s’agit, observe
Pierre d’Argent, de l’application de la théorie de l’équivalence des causes à la défaveur
de la victime du dommage1139. S’agissant, par contre, de la seconde situation, vu que la
victime d’un fait internationalement illicite a l’obligation d’atténuer les dommages subis,
- assurément dans la mesure du possible -, le manquement à cette obligation aura pour
conséquence de le priver du droit de réclamer réparation de ceux qui auraient pu être
évités ; et, logique oblige, les frais engagés à cette fin seront pris en compte dans le calcul
des dommages et intérêts1140. Néanmoins, le manquement par la victime à l’obligation
d’atténuer le dommage subi ne peut engager sa responsabilité internationale1141.
1137
Cf. P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit international public, Op. cit., p. 642.
1138
B. BOLLECKER-STERN, Op. cit., 341.
1139
Cf. P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit international public, Op. cit., p. 642.
1140
Cf. Projet Gabcikovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C. I. J. Recueil 1997, p. 55, § 80.
1141
Le § 11 du Commentaire de l’article 31 du Projet de la C.D.I., qui se réfère au § 80 de l’arrêt de la
C.I.J. en l’affaire du Projet Gabcikovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), mentionne : « L’atténuation du
dommage est un autre élément affectant l’étendue de la réparation. Même la victime totalement innocente
d’un comportement illicite est censée agir raisonnablement face au préjudice. Bien que cette règle soit
souvent appelée ‘‘obligation d’atténuer le dommage’’, il ne s’agit pas d’une obligation d’ordre juridique
dont la non-exécution engage la responsabilité. C’est plutôt que la partie lésée peut perdre son droit à
indemnisation dans la mesure où elle n’a pas atténué le dommage » (Article 31 du Projet de la C.D.I.,
Commentaire, § 11, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 246).
1142
LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 487, § 57 et p. 508, §
116.
1143
Article 39 du Projet C.D.I., Commentaire, § 3, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 288.
302
d’exploitation illicite des ressources naturelles, la logique de l’affaire LaGrand peut être
appliquée au cas où l’Etat victime a tardé à dénoncer le fait illicite devant le Conseil de
sécurité pour qu’il prenne des mesures appropriées pour le faire cesser - dans la mesure
où il apparaît que le Conseil de Sécurité était en mesure de le faire - ou il a tardé à saisir
une juridiction internationale compétente en vue de la prescription des mesures
conservatoires. En cas d’indemnisation, il doit être tenu compte de cette « faute de la
victime », en l’occurrence le retard dans la saisine de l’organe compétent, qui a aggravé
les dommages. Ce retard doit, selon l’article 39, avoir été intentionnel ou résulter de la
négligence. S’il est dû à un cas de force majeure, par exemple la destruction du réseau de
(télé)communication, il ne sera pas pris en considération.
Il peut arriver que l’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat
constitue une riposte à un fait internationalement illicite de ce dernier. Considérons qu’un
Etat emploie la force contre un autre Etat en violation du jus contra bellum. L’Etat
agressé repousse l’attaque jusqu’à occuper une partie du territoire de l’agresseur et à se
livrer au pillage des ressources naturelles de ce dernier pour faire face aux dépenses de la
guerre causée par lui, violant de ce fait le jus in bello. Ce belligérant illicite au regard du
jus contra bellum, dont la responsabilité est de ce fait engagée, peut-il à bon droit
réclamer réparation des préjudices subis du fait du pillage de ses ressources naturelles ?
La pratique relevée dans la première partie de cette étude ne fait pas état de
pareille situation. Mais la Cour internationale de Justice a eu à connaître du cas dans
lequel l’Etat victime de pillage et d’autres formes d’exploitation illicite de ses ressources
naturelles a fait recours à des représailles armées à l’encontre de l’Etat qui lui a causé
préjudice. En l’espèce, en réaction à de diverses violations du droit international à son
encontre par l’Ouganda, notamment l’exploitation illicite de ses ressources naturelles, la
RDC a mené des attaques contre l’ambassade de l’Ouganda à Kinshasa et infligé de
mauvais traitements à des diplomates ougandais à l’aéroport international de Ndjili1144.
Après avoir décidé que « la République de l’Ouganda a l’obligation, envers la
1144
Cf. Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda),
arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 277, § 334.
303
Cette position de la Cour nous inspire une réponse à la question posée ci-
haut en passant par le raisonnement suivant: La victime d’une violation du principe de
l’interdiction du recours à la force (jus contra bellum) qui outrepasse le cadre de son droit
(exceptionnel) de recours à la force (jus ad bellum) au titre de la légitime défense en
violant les règles relatives à la conduite des hostilités ( jus in bello), notamment par le
pillage des ressources naturelles de l’Etat dont il repousse l’agression, est tenu de réparer
le dommage causé à cet Etat, lequel est également obligé de réparer, à l’égard de cette
victime, le dommage causé par cette violation de l’interdiction du recours à la force.
Chacun des deux Etats en cause a commis un fait illicite. L’Etat qui exerce son droit de
légitime défense ne peut justifier le pillage des ressources naturelles de l’Etat agresseur
au titre des contre-mesures. En effet, les contre-mesures ne peuvent porter aucune atteinte
.aux obligations découlant de normes impératives du droit international général1147, en
l’occurrence, avons-nous déjà souligné, de l’interdiction du pillage.
1145
Ibidem, p. 281, § 345, point 5 (dispositif).
1146
Ibidem, p. 282, § 345, point 13 (dispositif).
1147
Cf. Article 50 du Projet de la C.D.I. sur la responsabilité de l’Etat.
304
distinguées : la cessation du fait illicite et l’offre des assurances et des garanties de non-
répétition de ce fait illicite (C).
- « rétablir l'état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n'avait pas
été commis ».
1148
P. DAILLIER, M. FORTEAU et A. PELLET, Op. cit., p. 889, § 489.
1149
Navire « SAIGA » (No. 2) (Saint-Vincent-et-les-Grenadines c. Guinée), arrêt, TIDM Recueil 1999, §
170.
1150
Article 31 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 4, in J. CRAWFORD, Op. cit., pp. 242-243.
1151
Usine de Chorzów (Demande en indemnité) (Fond), arrêt n°13, 1928, C.P.J.I. série A n°17, p. 47.
305
De l’avis de Pierre d’Argent, « [o]n peut assurément considérer que ces deux
objectifs sont identiques, c’est-à-dire qu’‘‘effacer toutes les conséquences de l’acte
illicite’’ consiste à ‘‘rétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n’avait
pas été commis’’ »1152. L’auteur précise cependant que « [l]e caractère cumulatif des
objectifs de la réparation énoncés dans l’arrêt de l’usine de Chorzów interdit d’assimiler
la réparation au simple rétablissement du statu quo ante car celui-ci ne constitue une
réparation suffisante qu’à la condition qu’en toute probabilité l’état antérieur n’aurait
pas évolué, en l’absence même du fait illicite »1153. C’est effectivement parce que la
réparation ne se limite pas à la remise dans le pristin état qu’il est tenu compte du lucrum
cessans dans l’évaluation du montant de l’indemnité1154.
1152
P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit international public, Op. cit., p. 662.
1153
Ibidem, p. 663.
1154
Cf. Ibidem, p. 664.
1155
Pierre-Marie Dupuy utilise le terme « restauration » : « Il s’agira, en effet, de restaurer la situation
matérielle de la victime mais aussi de rétablir la situation juridique existant avant la violation du droit »
(P.-M. DUPUY, « Le fait générateur de la responsabilité internationale des Etats », « Art. cit. », p. 94).
1156
Responsabilités et obligations des Etats dans le cadre d'activités menées dans la Zone, avis consultatif,
1er février 2011, TIDM Recueil 2011, § 194.
1157
« Article 31
Réparation
1. L’Etat responsable est tenu de réparer intégralement le préjudice causé par le fait internationalement
illicite.
2. Le préjudice comprend tout dommage, tant matériel que moral, résultant du fait internationalement
illicite de l’Etat ».
Selon le commentaire de la C.D.I., « [l]’obligation générale de réparer est énoncée à l’article 31 en tant que
corollaire immédiat de la responsabilité de l’Etat, c’est-à-dire en tant qu’obligation de l’Etat responsable
résultant du fait illicite, et non en tant que droit de l’Etat ou des Etats lésés. On évite ainsi les difficultés qui
pourraient se poser lorsque la même obligation est due simultanément à plusieurs Etats, à de nombreux
Etats ou à tous les Etats dont seulement quelques-uns sont particulièrement affectés par la violation »
(Article 31 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 4, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 242). Comme
l’explique Pierre d’Argent, « [l]orsqu’il existe une pluralité d’Etats lésés, leur accorder à tous le même
droit à la réparation, c’est sans doute – dans un système où la ‘‘réparation’’ est largement entendue et
recouvre de multiples facettes […] – taire à bon compte des nuances importantes, dans la mesure où ils
peuvent être fort différemment atteints par le fait illicite » (P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en
droit international public, Op. cit., p. 672).
306
l’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat en cas de conflit armé, les
dommages sont d’une ampleur considérable et, partant, difficiles à évaluer avec
exactitude. On peut légitimement s’interroger sur la possibilité de les réparer entièrement.
Pour des raisons de réalisme, la C.P.J.I. précise que la réparation doit, autant que
possible, « effacer... » et « rétablir… ». Cette nuance ne remet aucunement en cause le
principe de la réparation intégrale. L’Etat responsable doit s’efforcer d’y parvenir au
moyen d’une ou de plusieurs, voire de toutes les formes de réparation1158.
B. Formes de réparation
1158
Cf. Article 31 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 3, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 242.
1159
Responsabilités et obligations des Etats dans le cadre d'activités menées dans la Zone, avis consultatif,
1er février 2011, TIDM Recueil 2011, § 197. Voir également Avena et autres ressortissants mexicains
(Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2004, p. 59, § 119 ; Usines de pâte à papier sur
le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010, p. 104, § 274.
1160
P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit international public, Op. cit., p. 671.
307
Les formes de réparation des dommages causés par l’exploitation illicite des
ressources naturelles d’un Etat étranger méritent d’être successivement étudiées, selon
qu’il s’agit d’un dommage matériel (1) ou d’un dommage moral (2).
a. Restitution
1161
Cf. Usine de Chorzów (Demande en indemnité) (Fond), arrêt n°13, 1928, C.P.J.I. série A n°17, p. 47.
1162
Ibidem, p. 47.
1163
« Article 35
Restitution
L’Etat responsable du fait internationalement illicite a l’obligation de procéder à la restitution consistant
dans le rétablissement de la situation qui existait avant que le fait illicite ne soit commis, dès lors et pour
autant qu’une telle restitution:
a) N’est pas matériellement impossible;
b) N’impose pas une charge hors de toute proportion avec l’avantage qui dériverait de la restitution plutôt
que de l’indemnisation ».
1164
Cf. Article 35 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 2, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 255. La
restitution peut être matérielle ou juridique (Cf. P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit
international public, Op. cit., p. 663).
1165
Mandat d'arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, C. I. J.
Recueil 2002, p. 33, § 78, point 3 du dispositif.
308
vergers, les oliveraies et les autres biens immobiliers saisis à toute personne physique ou
morale en vue de l'édification du mur dans le territoire palestinien occupé »1166.
Partant, la restitution, qui est une des formes de réparation, ne doit pas être
confondue avec la restitutio in integrum, c’est-à-dire la réparation intégrale (ou
l’obligation de réparer intégralement le dommage), qui est le principe même de la
réparation1168. La restitutio in integrum peut être obtenue par la restitution (en nature),
accompagnée si nécessaire des autres formes de réparation.
1166
Conséquences juridiques de 1'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé, avis
consultatif; C. I. J. Recueil 2004, p. 198, § 153.
1167
« La restitution devrait, dans la mesure du possible, rétablir la victime dans la situation originale qui
existait avant que les violations flagrantes du droit international des droits de l’homme ou les violations
graves du droit international humanitaire ne se soient produites. La restitution comprend, selon qu’il
convient, la restauration de la liberté, la jouissance des droits de l’homme, de l’identité, de la vie de famille
et de la citoyenneté, le retour sur le lieu de résidence et la restitution de l’emploi et des biens »
(A/RES/60/147) (Nous soulignons).
1168
Cf. Article 35 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 2, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 255. Voir
également P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit international public, Op. cit., pp. 666- 667.
1169
Usine de Chorzów (Demande en indemnité) (Fond), arrêt n°13, 1928, C.P.J.I. série A n°17, p. 48.
309
Cela étant, il semble évident que la réparation des dommages matériels causés
par l’exploitation illicite des ressources naturelles pendant les conflits armés en Angola,
en Sierra Leone et en RDC ne peut être opérée par la restitution. Celle-ci est devenue
pratiquement impossible parce que, dans la quasi-totalité des cas, ces ressources étaient
directement vendues, soit pour financer la poursuite des conflits armés, soit dans l’intérêt
privé des belligérants. Un fait particulier mérite d’être souligné concernant des espèces de
la faune sauvage congolaise qui se sont réfugiées au Rwanda, fuyant les conflits armés
dans lesquels la responsabilité de cet Etat a été reconnue. En principe, celles-ci doivent
être restituées à la RDC avec leurs fruits. Sur ce point, la RDC ne devrait normalement
pas accepter que le Rwanda se limite, par exemple, à lui « [r]étrocéder […] la moitié des
recettes générées par les gorilles de montagne congolais qui se sont réfugiés de l’autre
côté de la frontière depuis 2005 »1170. La RDC devrait au contraire réclamer, par
exemple, que le Rwanda finance l’entretien d’un parc congolais, en guise de réparation
en nature.
b. Indemnisation
1170
RADIO OKAPI, « Tourisme : le Rwanda rétrocède à la RDC la moitié des recettes générées par les
gorilles congolais », disponible sur http://radiookapi.net/environnement/2012/06/18/tourisme-le-rwanda-
retrocede-la-rdc-la-moitie-des-recettes-generees-par-les-gorilles-congolais/ consulté le 6 novembre 2012.
1171
Cf. J. COMBACAU et S. SUR, Op. cit., p. 528.
1172
Usine de Chorzów (Demande en indemnité) (Fond), arrêt n°13, 1928, C.P.J.I. série A n°17, p. 47.
310
1173
« Article 36
Indemnisation
1. L’Etat responsable du fait internationalement illicite est tenu d’indemniser le dommage causé par ce fait
dans la mesure où ce dommage n’est pas réparé par la restitution.
2. L’indemnité couvre tout dommage susceptible d’évaluation financière, y compris le manque à gagner
dans la mesure où celui-ci est établi ».
1174
Article 36 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 1er, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 260.
1175
Cf. J. VERHOEVEN, Op. cit., p. 643. Sur quelques méthodes d’évaluation utilisées par des tribunaux,
voir Article 36 du Projet de la C.D.I., Commentaire, §§ 23 et suivants, in J. CRAWFORD, Op. cit., pp. 271
et suivantes.
1176
Sur ce point, voir P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit international public, Op. cit., pp.
723-744.
1177
Cf. Ibidem, pp. 532-537 ; Idem, « La Commission des réclamations Erythrée-Ethiopie : Suite et fin »,
in A.F.D.I., Vol. 55, 2009, pp. 291-295.
311
1178
Cf. Eritrea Ethiopia Claims Commission, Final Award, Ethiopia’s Damages Claims, 17 August 2009,
pp. 6-7, §§ 19-22; Eritrea Ethiopia Claims Commission, Final Award, Eritrea’s Damages Claims, 17
August 2009, pp. 6-7, §§ 19-22. Pour accéder aux informations relatives à la Commission des réclamations
entre l’Erythrée et l’Ethiopie et aux décisions rendues par elle, consulter le lien http://www.pca-
cpa.org/showpage.asp?pag_id=1215 (site Internet de la Cour permanente d’arbitrage). Les pages renvoient
aux documents tirés de ce site.
1179
P. D’ARGENT, « La Commission des réclamations Erythrée-Ethiopie : Suite et fin », « Art. cit. », p.
291.
1180
Ibidem, p. 292.
1181
Cf. Ibidem, pp. 292-293.
1182
Cf. Affaire du Détroit de Corfou, Arrêt du 15 décembre 1949 : C.I.J. Recueil 1949, pp. 248 et
suivantes.
312
1183
Cf. Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo)
(Indemnisation due par la République démocratique du Congo à la République de Guinée), arrêt du 19 juin
2012, p. 8, § 13, disponible sur http://www.icj-cij.org/docket/files/103/17045.pdf consulté le 8 novembre
2012.
1184
Cf. Ibidem, p. 21, point 1 du dispositif.
1185
Cf. Ibidem, p. 14, § 33.
1186
Cf. Navire « SAIGA » (No. 2) (Saint-Vincent-et-les-Grenadines c. Guinée), arrêt, TIDM Recueil 1999,
§ 175.
1187
Cf. Ibidem, § 176.
313
réclamations, puis de lui recommander une indemnité en faveur des « réclamants » pour
les dommages résultant de l’invasion et de l’occupation du Koweït par l’Irak1188. Dans le
cadre de cette recherche, il convient de noter que le Panel « F4 » (ci-après le Panel),
constitué en 1998 pour l’examen des réclamations relatives aux dommages
environnementaux et à la destruction des ressources naturelles, a achevé son travail le 30
juin 2005 par la soumission au Conseil d’administration de son cinquième et dernier
rapport1189. Au regard de divers rapports du Panel, une large majorité de réclamations ont
été rejetées non pas pour inadmissibilité des dommages allégués, mais pour défaut de
preuve1190. Et en ce qui concerne les réclamations acceptées totalement ou partiellement,
les montants des indemnités ont été substantiellement réduits1191. A titre illustratif, dans
son rapport sur le cinquième versement des indemnités, le Panel a recommandé un
montant de 252 028 468 USD alors que les 19 réclamations soumises par l’Iran, la
Jordanie, le Koweït, l’Arabie saoudite, la Syrie et la Turquie pour dommages causés aux
ressources naturelles étaient d’un total de 49 936 562 997 USD. Le montant recommandé
par le Panel équivaut à environ 0,5% seulement du montant réclamé1192. Dans son
évaluation des dommages résultant de la perte des services écologiques qui devraient être
rendus par les ressources naturelles détruites (ou perdues), le Panel a tenu compte du prix
sur le marché des ressources concernées (eau, fourrage, plantes)1193. Bien que notre
1188
Cf. http://www.uncc.ch/commiss.htm consulté le 15 octobre 2013.
1189
Cf. PH. GAUTIER, ‘‘Environmental Damage and The United Nations Claims Commission: New
Directions for Future International Environmental Cases?’’, ‘‘Art. cit.’’, pp. 177 et 187. Le Panel «F4 »
était composé de Thomas A. Mensah (Président), José R. Allen et Peter H. Sand (Cf. Ibidem, p. 177, note
1). Voici les coordonnées des cinq rapports dudit Panel : Report and Recommendations Made by the Panel
of Commissioners Concerning the First Instalment of ‘‘F4’’ Claims, S/AC.26/2001/16, 22 June 2001;
Report and Recommendations Made by the Panel of Commissioners Concerning the Second Instalment of
‘‘F4’’ Claims, S/AC.26/2002/26, 3 October 2002; Report and Recommendations Made by the Panel of
Commissioners Concerning the Third Instalment of ‘‘F4’’ Claims, S/AC.26/2003/31, 18 December 2003;
Report and Recommendations Made by the Panel of Commissioners Concerning the Fourth Instalment of
‘‘F4’’ Claims, part one, S/AC.26/2004/16, 9 December 2004; Report and Recommendations Made by the
Panel of Commissioners Concerning the Fourth Instalment of ‘‘F4’’Claims, part two, S/AC.26/2004/17, 9
December 2004; and Report and Recommendations Made by the Panel of Commissioners Concerning the
Fifth Instalment of ‘‘F4’’ Claims, S/AC.26/2005/10, 30 June 2005. Ces rapports sont disponibles sur
http://www.uncc.ch/reports.htm consulté le 15 octobre 2013.
1190
Cf. PH. GAUTIER, ‘‘Environmental Damage and The United Nations Claims Commission: New
Directions for Future International Environmental Cases?’’, ‘‘Art. cit.’’, pp. 187-190.
1191
Cf. Ibidem, pp. 187-190 et 209.
1192
Cf. Ibidem, p. 189.
1193
Cf. Ibidem, p. 208.
314
1194
Cf. Ibidem, pp. 208-209. ‘‘In the view of the Panel, there is no justification for the contention that
general international law precludes compensation for pure environmental damage. In particular, the Panel
does not consider that the exclusion of compensation for pure environmental damage in some international
conventions on civil liability and compensation is a valid basis for asserting that international law, in
general, prohibits compensation for such damage in all cases, even where the damage results from an
internationally wrongful act’’ (Report and Recommendations Made by the Panel of Commissioners
Concerning the Fifth Instalment of ‘‘F4’’ Claims, Op. cit., § 58).
1195
PH. GAUTIER, ‘‘Environmental Damage and The United Nations Claims Commission: New
Directions for Future International Environmental Cases?’’, ‘‘Art. cit.’’, p. 209.
1196
Voir Article 36 du Projet de la C.D.I., Commentaire, §§ 11-32, in J. CRAWFORD, Op. cit., pp. 265-
277.
1197
Cf. Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda),
arrêt, C.I.J. Recueil 2005, pp. 281-282, § 345, points 5 et 13 (dispositif).
315
l’Ouganda. Après évaluation des préjudices de part et d’autre, est-il possible de procéder
à une compensation des montants des indemnités y relatives pour allouer le reliquat à la
RDC ?
Compte tenu de ces éléments, pour ce qui est des réclamations simultanées de
l’Erythrée et de l’Ethiopie devant la Commission créée pour connaître des demandes de
réparation des dommages subis par ces deux Etats et leurs ressortissants du fait du conflit
armé qui les a opposés entre 1998 et 2000, on aurait pu s’attendre, comme l’ont préconisé
Pierre d’Argent et Jean d’Aspremont, à ce que cet organe de règlement du litige procède
d’autorité à une compensation de sommes entre les condamnations qu’elle a
1198
Usine de Chorzów (Demande en indemnité) (Fond), arrêt n°13, 1928, C.P.J.I. série A n°17, p. 62.
1199
« Le point de vue du Gouvernement allemand est cependant que le pouvoir pour la Cour de statuer sur
l'exclusion de la compensation découlerait du pouvoir qu'elle a d'assurer l'efficacité de la réparation. Or, il
semble clair que cette thèse ne peut se référer qu'à une exception de compensation opposée au bénéficiaire
par le débiteur, et qui serait de nature à dénuer la réparation de son efficacité. Tel serait notamment le cas si
la créance opposée à la créance de réparation était contestée et devait donner lieu à un procès qui aurait en
tout cas pour effet de retarder l'entrée en possession par l'intéressé de l'indemnité qui lui a été reconnue. Au
contraire, si à la créance de réparation était opposée une créance liquide et non contestée, on ne voit pas
pourquoi une exception de compensation fondée sur cette demande affecterait nécessairement l'efficacité de
la réparation » (Ibidem, p. 62).
1200
J. VERHOEVEN, Op. cit., p. 645.
316
prononcées1201. Il n’en a pas été ainsi. En effet, « [a]u total, et mis à part des prononcés
de satisfaction au sujet de réclamations relatives aux biens et personnels diplomatiques
des deux parties et à la privation de la nationalité éthiopienne de certains binationaux,
l’Erythrée est condamnée à payer à l’Ethiopie 174. 036. 520 USD, tandis que l’Ethiopie
doit verser à l’Erythrée 161.455.000 USD au titre des réclamations étatiques, et
2.065.865 USD au titre des réclamations présentées au nom d’individus »1202.
Dans tous les cas, de manière concrète, on voit mal comment les Etats
concernés pourront ne pas procéder à la compensation. Pratiquement, l’Erythrée devra
payer à l’Ethiopie le solde restant dû après compensation1203.
1201
« On ne peut s’empêcher de penser que la commission donne préférence – voire exclusivité – à
l’indemnisation afin de procéder à une compensation générale des comptes entre parties une fois toutes les
réclamations liquidées » (P. D’ARGENT et J. D’ASPREMONT, « La Commission des réclamations
Erythrée-Ethiopie : un premier bilan », in A.F.D.I., Vol. 53, 2007, p. 388). Voir également Ibidem, p. 396.
1202
P. D’ARGENT, « La Commission des réclamations Erythrée-Ethiopie : Suite et fin », « Art. cit. », pp.
279-280. Voir Eritrea Ethiopia Claims Commission, Final Award, Ethiopia’s Damages Claims, 17 August
2009, p. 106, XII, E. (“In addition to the award of satisfaction to Ethiopia for all of the Commission’s
liability findings, the total monetary compensation awarded to Ethiopia in respect of its claims is
US$174,036,520”) et Eritrea Ethiopia Claims Commission, Final Award, Eritrea’s Damages Claims, 17
August 2009, p. 96, IX, 21 (“In addition to the award of satisfaction to Eritrea for all of the Commission’s
liability findings, the total monetary compensation awarded to Eritrea in respect of its own claims is
US$161,455,000. The amount awarded in respect of claims presented on behalf of individual claimants is
US$2,065,865”).
1203
Cf. P. D’ARGENT, « La Commission des réclamations Erythrée-Ethiopie : Suite et fin », « Art. cit », p.
293.
1204
J. VERHOEVEN, Op. cit., p. 644. Sur la question de la monnaie de paiement, voir également P.
D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit international public, Op. cit., pp. 714-716.
317
toute sa comptabilité, et l'on peut dire, en conséquence, que cette monnaie donne la
mesure exacte du dommage qui doit être réparé »1205. De même, dans l’affaire du Détroit
de Corfou, la C.I.J. a alloué les réparations en livre sterling, qui est la monnaie du
demandeur1206. Le Tribunal des différends irano-américains a, pour sa part, choisi de
libeller en dollars américains les indemnisations qu’il octroyait dans la quasi-unanimité
des affaires qu’il a réglées1207. Dans un tout autre contexte, en l’affaire Diallo, la C.I.J.,
qui a alloué des indemnités en dollars des Etats-Unis, a justifié le choix de cette devise en
ces termes : « Cette somme est libellée dans la devise que les deux Parties ont utilisée
dans leurs écritures relatives à la question de l’indemnisation »1208.
1205
Vapeur « Wimbledon », arrêt du 17 août 1923, C.P.J.I. série A n°01, p. 32.
1206
Cf. Affaire du Détroit de Corfou, Arrêt du 15 décembre 1949 : C.I.J. Recueil 1949, p. 250.
1207
Cf. O. CORTEN, A. DAEMS et E. ROBERT, « Les questions monétaires devant le Tribunal des
différends irano-américains », p. 164, disponible sur
https://dipot.ulb.ac.be/dspace/bitstream/2013/140556/1/1.pdf consulté le 17 octobre 2013.
1208
Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo) (Indemnisation
due par la République démocratique du Congo à la République de Guinée), arrêt du 19 juin 2012, p. 12, §
25, disponible sur http://www.icj-cij.org/docket/files/103/17045.pdf consulté le 8 novembre 2012.
1209
« Article 38
Intérêts
1. Des intérêts sur toute somme principale due en vertu du présent chapitre sont payables dans la mesure
nécessaire pour assurer la réparation intégrale. Le taux d’intérêt et le mode de calcul sont fixés de façon à
atteindre ce résultat.
2. Les intérêts courent à compter de la date à laquelle la somme principale aurait dû être versée jusqu’au
jour où l’obligation de payer est exécutée ».
1210
Article 38 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 1er, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 282.
318
qui exigerait une conclusion juridictionnelle indépendante »1211. En d’autres termes, une
demande ayant pour objet les intérêts fait partie intégrante du différend relatif à
l’indemnisation du dommage subi que le Tribunal a le devoir de trancher1212.
Les intérêts dont il est question à l’article 38, § 1er du Projet de la C.D.I. sont
un moyen supplémentaire de réparation lorsque la somme principale (objet de
l’obligation ou payable à titre d’indemnité) ne peut, compte tenu des circonstances,
assurer la réparation intégrale. Il s’agit à n’en pas douter d’intérêts compensatoires et non
d’intérêts moratoires, ces derniers étant dus en cas de retard de paiement. Le
commentaire de la C.D.I. sous cet article est clair à ce sujet1213.
1211
Iran-US Claims Tribunal, A-19, Iran-U.S.C.T.R. 285, Vol. 16, 1987, p. 289, § 12.
1212
Cf. Ibidem, pp. 289-290, § 12.
1213
« L’article 38 n’aborde pas la question des intérêts moratoires. Il ne porte que sur les intérêts qui
constituent la somme allouée par la cour ou le tribunal, à savoir les intérêts compensatoires. Le pouvoir
d’une cour ou d’un tribunal d’allouer des intérêts moratoires est une question de procédure » (Article 38,
Commentaire, § 12, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 287).
1214
J. VERHOEVEN, Op. cit., p. 649.
1215
“Both Parties have been diligent, and the period required does not reflect a lack of cooperation on the
part of either. Accordingly, there is no need for pre-award interest to protect either Party from prejudice
resulting from dilatory conduct by the other” (Eritrea Ethiopia Claims Commission, Final Award,
Ethiopia’s Damages Claims, 17 August 2009, p. 13, § 44; Eritrea Ethiopia Claims Commission, Final
Award, Eritrea’s Damages Claims, 17 August 2009, p. 13, § 44).
1216
Cf. Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo)
(Indemnisation due par la République démocratique du Congo à la République de Guinée), arrêt du 19 juin
2012, p. 19, § 56, disponible sur http://www.icj-cij.org/docket/files/103/17045.pdf consulté le 8 novembre
2012.
1217
Ibidem, p. 19, § 56.
319
Pour clore ces considérations sur les intérêts, il nous semble utile d’indiquer
qu’actuellement le droit international n’admet pas l’allocation d’intérêts composés
(« intérêts calculés sur un capital accru de ses intérêts échus accumulés »1220), sauf si des
circonstances spéciales les requièrent à des fins de la réparation intégrale1221. De même,
dans la logique d’éviter un double recouvrement (intérêts et profits), il est admis que
lorsque l’indemnité comprend le manque à gagner, l’Etat lésé n’a plus droit aux intérêts
compensatoires, à moins que ces intérêts ne soient dus sur des profits qui auraient été
gagnés, mais dont le bénéficiaire initial aurait été privé1222. Par ailleurs, le droit
international ne reconnaît pas, comme certains droits internes, notamment le droit
américain, de punitive or exemplary damages, dont l’objectif serait « tout à la fois [de]
prévenir de nouvelles violations du droit, particulièrement lorsqu’elles ont de fortes
chances de demeurer sans sanction, et [de] punir la conduite hautement répréhensible des
agents de certaines entreprises »1223. Se référant à l’affaire de l’Usine de Chorzów, la
Commission des réclamations Erythrée-Ethiopie a tenu à rappeler le rôle de la
compensation, lequel est correctif plutôt que punitif: “Its role is to restore an injured
party, in so far as possible, to the position it would have occupied but for the injury. This
function is remedial, not punitive”1224.
1218
Cf. Article 38 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 10, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 287.
1219
Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo) (Indemnisation
due par la République démocratique du Congo à la République de Guinée), arrêt du 19 juin 2012, p. 19, §
56, disponible sur http://www.icj-cij.org/docket/files/103/17045.pdf consulté le 8 novembre 2012. Voir
également Navire « SAIGA » (No. 2) (Saint-Vincent-et-les-Grenadines c. Guinée), arrêt, TIDM Recueil
1999, § 173 ; Vapeur « Wimbledon », arrêt du 17 août 1923, C.P.J.I. série A n°01, p. 32.
1220
P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit international public, Op. cit., 708.
1221
Cf. Article 38 du Projet de la C.D.I., Commentaire, §§ 8-9, in J. CRAWFORD, Op. cit., pp. 285-286.
Voir également J. PERSONNAZ, Op. cit. , pp. 247-248.
1222
Cf. Article 38 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 11, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 287.
1223
J. VERHOEVEN, Op. cit., p. 648. Voir J. PERSONNAZ, Op. cit., p. 301.
1224
Eritrea Ethiopia Claims Commission, Final Award, Ethiopia’s Damages Claims, 17 August 2009, p. 8,
§ 26; Eritrea Ethiopia Claims Commission, Final Award, Eritrea’s Damages Claims, 17 August 2009, p. 8,
§ 26.
320
1225
Cf. P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit international public, Op. cit., pp. 7-418.
1226
‘‘The claims in the fifth “F4” instalment are for compensation for damage to or depletion of natural
resources, including cultural heritage resources; measures to clean and restore damaged environment; and
damage to public health. The claims relate to damage resulting from, inter alia:
(a) Pollutants from the oil well fires and damaged oil wells in Kuwait;
(b) Oil spills into the Persian Gulf from pipelines, offshore terminals and tankers;
(c) Influx of refugees into the territories of some of the Claimants;
(d) Operations of military personnel and equipment;
(e) Mines and other remnants of war; and
(f) Exposure of the populations of the Claimants to pollutants from the oil well fires and oil spills in Kuwait
and to hostilities and various acts of violence’’(Report and Recommendations Made by the Panel of
Commissioners Concerning the Fifth Instalment of ‘‘F4’’ Claims, Op. cit., § 4).
1227
Certes, la destruction partielle ou l’épuisement des ressources naturelles peuvent être des conséquences
de leur exploitation illicite, mais elles ne lui sont pas assimilables. L’idée d’exploitation (illicite) des
ressources naturelles sous-entend généralement la volonté d’en retirer un intérêt économique dans le chef
de l’auteur de cette activité, ce qui n’est pas le cas de l’auteur de leur destruction.
321
des ressources naturelles, à savoir du marbre dans les carrières de Saba1228, a condamné
l’Erythrée au paiement de “US$ 3,216,000 for seizure and looting of the Saba
Dimensional Stones Share Company”1229. Dans ce chef de condamnation, la Commission
parle de la saisie et du pillage de la société Saba.... On ne voit pas clairement la part de
réparation qui est allouée à l’Ethiopie du fait du pillage des pierres de marbre, séparément
de l’attaque même de la société. En plus, les dossiers des parties n’étant pas accessibles
au public1230, on ne voit pas exactement si ce montant comprend également la réparation
accordée à l’Ethiopie pour pillage d’autres biens (par exemples, machines d’extraction du
marbre, matériels roulants, meubles meublants, …) de cette société. Sur ce, il serait
présomptueux de trop rapidement nous réjouir d’avoir trouvé un précédent relatif à
l’indemnisation d’un Etat du fait de pillage de ses ressources naturelles en cas de conflit
armé.
Cela dit, dans l’affaire Congo c. Ouganda, « [l]a Cour juge par ailleurs
appropriée la demande de la RDC tendant à ce que la nature, les formes et le montant de
la réparation qui lui est due soient, à défaut d’accord entre les Parties, déterminés par la
Cour dans une phase ultérieure de la procédure. La RDC aurait ainsi l’occasion de
démontrer, en en apportant la preuve, le préjudice exact qu’elle a subi du fait des actions
spécifiques de l’Ouganda constituant des faits internationalement illicites dont il est
responsable. Il va sans dire cependant, ainsi que la Cour a déjà eu l’occasion de
l’indiquer, ‘‘que, dans la phase de la procédure consacrée à la réparation, ni l’une ni
l’autre des Parties ne pourra remettre en cause les conclusions du présent arrêt qui
seront passées en force de chose jugée’’ […]. La Cour note également que la RDC a fait
état de son intention de chercher d’abord à régler la question de la réparation au moyen
1228
Cf. P. D’ARGENT, « La Commission des réclamations Erythrée-Ethiopie : Suite et fin », « Art. cit », p.
282.
1229
Eritrea Ethiopia Claims Commission, Final Award, Ethiopia’s Damages Claims, 17 August 2009, p.
105, XII, A., 8.
1230
Cf. P. D’ARGENT, « La Commission des réclamations Erythrée-Ethiopie : Suite et fin », « Art. cit », p.
284.
322
1231
Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt,
C.I.J. Recueil 2005, p. 257, §§ 260-261. Voir également Ibidem, p. 281, § 345, point 6 du dispositif.
1232
Cf. S. KAPINGA KAPINGA NKASHAMA, « L’affaire des activités armées sur le territoire du Congo
(RDC c. Ouganda) : quid de la réparation due à l’Etat congolais et aux victimes collatérales des actes de
guerre », in Librairie d’Etudes juridiques africaines, Vol. 11, 2012, p. 11.
1233
J. SALMON (sous la direction de), Op. cit., p. 362. Voir P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en
droit international public, Op. cit., p. 717.
323
illicite »1234. Au fait, il s’agit d’une logique très simple : la réparation d’un dommage
purement moral doit être aussi purement morale1235.
1234
J. SALMON (sous la direction de), Op. cit., p. 1019. Pour des détails sur la satisfaction, voir J.
PERSONNAZ, Op. cit., pp. 285-299.
1235
Cf. P. DAILLIER, M. FORTEAU et A. PELLET, Op. cit., p. 894, § 490; CL. BARTHE-GAY, « Art.
cit. », p. 113.
1236
« Article 37
Satisfaction
1. L’Etat responsable d’un fait internationalement illicite est tenu de donner satisfaction pour le préjudice
causé par ce fait dans la mesure où il ne peut pas être réparé par la restitution ou l’indemnisation.
2. La satisfaction peut consister en une reconnaissance de la violation, une expression de regrets, des
excuses formelles ou toute autre modalité appropriée.
3. La satisfaction ne doit pas être hors de proportion avec le préjudice et ne peut pas prendre une forme
humiliante pour l’Etat responsable ».
1237
« La Cour ne pouvant donc regarder comme établie l’existence d’un lien de causalité entre la violation
par le défendeur de son obligation de prévention et les dommages entraînés par le génocide de Srebrenica,
l’indemnisation n’apparaît pas comme la forme appropriée de réparation qu’appelle la violation de
l’obligation de prévenir le génocide. […] Il est néanmoins clair que le demandeur est en droit de recevoir
une réparation sous forme de satisfaction, qui pourrait on ne peut plus opportunément, ainsi que l’a suggéré
le demandeur lui-même, revêtir la forme d’une déclaration dans le présent arrêt indiquant que le défendeur
a manqué de se conformer à l’obligation que lui impose la Convention de prévenir le crime de génocide »
(Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-
Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 234, §§ 462-463).
1238
Article 37 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 5, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 280.
324
disciplinaire ou pénale contre les personnes dont le comportement est à l’origine du fait
internationalement illicite ou l’octroi des dommages-intérêts symboliques pour le
préjudice non pécuniaire. Les assurances ou garanties de non répétition […] peuvent
aussi être considérées comme une forme de satisfaction »1239.
1239
Ibidem, p. 280. Pour chaque forme de satisfaction, voir les références jurisprudentielles citées à cette
page.
1240
Cf. Article 37 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 6, in Ibidem, p. 280.
1241
« La Cour reconnaît que la carence complète du Gouvernement albanais dans l'exercice de ses fonctions
au lendemain des explosions, ainsi que le caractère dilatoire de ses notes diplomatiques constituent pour le
Gouvernement du Royaume-Uni des circonstances atténuantes. Elle doit, néanmoins, pour assurer
l'intégrité du droit international dont elle est l'organe, constater la violation par l'action de la marine de
guerre britannique de la souveraineté de l'Albanie. Cette constatation correspond à la demande faite au nom
de l'Albanie par son conseil et constitue en elle-même une satisfaction appropriée » (Affaire du Détroit de
Corfou, Arrêt du 9 avril 1949 : C.I.J. Recueil 1949, p. 35). Voir aussi Ibidem, p. 36 (dispositif).
1242
« [L]a condamnation de la République française à raison des violations de ses obligations envers la
Nouvelle-Zélande, rendue publique par la décision du Tribunal, constitue, dans les circonstances, une
satisfaction appropriée pour les dommages légaux et moraux causés à la Nouvelle-Zélande » (Sentence
arbitrale du 30 avril 1990 (Nouvelle-Zélande c. France), point 8 du dispositif, in R.G.D.I.P., 1990, p. 878).
1243
« Une réparation sous la forme d’une satisfaction peut également être accordée par une déclaration
judiciaire indiquant qu’il y a eu violation d’un droit. […] Pour ce qui concerne les demandes en réparation
de Saint-Vincent-et-les-Grenadines relatives à la violation de ses droits, au sujet des navires battant son
pavillon, le Tribunal a déclaré aux paragraphes 136 et 159 que la Guinée a agi de manière illicite et a violé
les droits de Saint-Vincent-et-les-Grenadines en procédant à l’arraisonnement du Saiga dans les
circonstances de l’espèce et en faisant usage d’une force excessive. Le Tribunal estime que ces
constatations constituent une réparation adéquate » (Navire « SAIGA » (No. 2) (Saint-Vincent-et-les-
Grenadines c. Guinée), arrêt, TIDM Recueil 1999, §§ 171 et 176).
1244
« Il est néanmoins clair que le demandeur est en droit de recevoir une réparation sous forme de
satisfaction, qui pourrait on ne peut plus opportunément, ainsi que l’a suggéré le demandeur lui-même,
revêtir la forme d’une déclaration dans le présent arrêt indiquant que le défendeur a manqué de se
conformer à l’obligation que lui impose la Convention de prévenir le crime de génocide » (Application de
la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-
Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 234, § 463).
1245
CH. TOMUSCHAT, ‘‘Reparation in Case of Genocide’’, in Journal of International Criminal Justice,
5 (2007), p. 908.
325
Pour lui, ‘‘the ICJ could have ordered symbolic monetary damages, by taking into
account international practice and the request by the Applicant’’1246.
Dans l’affaire Congo c. Ouganda, dont un des griefs de la RDC porte sur le
pillage et les autres formes d’exploitation illicite de ses ressources naturelles, la Cour a
constaté la responsabilité de l’Ouganda1247. Peut-on automatiquement voir en cette
constatation une forme de satisfaction ? Avant de répondre à cette question, il importe de
mentionner ce commentaire de la C.D.I.: « [B]ien que les déclarations faites par une
cour ou un tribunal compétent puissent être considérées comme une forme de satisfaction
dans certaines affaires, de telles déclarations ne sont pas intrinsèquement associées à la
satisfaction. Tout tribunal ou cour compétent est habilité à déterminer la licéité d’un
comportement et à rendre ses conclusions publiques, en [tant] qu’étape normale du
procès. Une telle déclaration peut être le prélude à une décision portant sur une forme
quelconque de réparation ou peut constituer en soi la satisfaction »1248.
Il est donc utile d’apprécier au cas par cas les constatations d’illicéité faites
par les juridictions internationales. Dans le cas de l’affaire Congo c. Ouganda, la
constatation faite par la Cour, notamment de l’illicéité de l’exploitation des ressources
naturelles de la RDC, ne remplit pas une fonction réparatrice. En effet, après cette
constatation d’illicéité dans le chef de l’Ouganda, qui a causé un préjudice à la RDC ainsi
qu’aux personnes se trouvant sur son territoire, la Cour considère que l’Ouganda est tenu
de réparer ledit préjudice en conséquence , puis elle fait droit à la requête de la RDC de
négocier d’abord avec l’Ouganda en ce qui concerne la réparation et de revenir vers elle
en cas d’échec desdites négociations1249. Si la Cour estimait que cette constatation
d’illicéité constituait une forme de réparation, elle l’aurait déclaré de manière expresse et
non équivoque, ainsi qu’il ressort de sa pratique et de celle des autres juridictions
internationales. Rien n’exclut que la Cour fasse pareille déclaration si elle vient à rendre
une décision relative à la réparation dans cette affaire.
1246
Ibidem, p. 905. Pour les arguments relatifs à cette affirmation, voir Ibidem, pp. 908-911.
1247
Cf. Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda),
arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 257, § 259 et pp. 280-281, § 345, point 4 du dispositif.
1248
Article 37 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 6, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 281.
1249
Cf. Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda),
arrêt, C.I.J. Recueil 2005, pp. 257, §§ 259-261 et p. 281, § 345, point 6 du dispositif.
326
On sait qu’en cas d’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat
étranger, des personnes privées sont également atteintes dans leurs droits (droit de
propriété ou de jouissance sur les ressources naturelles, violations des droits de l’homme,
souffrances physiques et psychologiques,…). Ces atteintes subies par des particuliers
constituent pour l’Etat un dommage médiat, qui mérite également une réparation
adéquate, par le mécanisme de la protection diplomatique.
1250
CL. BARTHE-GAY, « Art. cit. », p. 117.
1251
Ibidem, p. 117.
1252
« [L]a décision du Secrétaire général des Nations Unies […] a prévu une triple satisfaction, consistant
en des excuses ‘‘formelles et sans réserve’’, une réparation pécuniaire et la punition des deux agents
français responsables de l’attentat contre le Rainbow Warrior. Dans la phase arbitrale de l’affaire, le
Tribunal a déclaré ‘‘que la condamnation de la République française à raison des violations de ses
obligations envers la Nouvelle-Zélande, rendue publique par la décision du Tribunal, [constituait], dans les
circonstances, une satisfaction appropriée pour les dommages légaux et moraux causés à la Nouvelle-
Zélande’’. Cette constatation juridictionnelle d’illicéité a été complétée par une recommandation (suivie
d’effet) portant d’une part sur la constitution d’un fonds destiné à promouvoir d’étroites et amicales
relations entre les citoyens des deux pays et d’autre part sur l’apport par la France à ce fonds d’une
contribution de deux millions de dollars américains » (Ibidem, pp. 117-118). Voir Sentence arbitrale du 30
avril 1990 (Nouvelle-Zélande c. France), point 9 du dispositif, in R.G.D.I.P., 1990, p. 878.
1253
Cf. Article 37 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 8, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 282.
327
de la réclamation d’un particulier lésé par un fait internationalement illicite d’un autre
Etat ou d’une organisation internationale »1254. Elle procède du principe classique selon
lequel les personnes privées n’ont pas de personnalité juridique internationale. Toute
atteinte à leur endroit est une atteinte à l’Etat de leur nationalité. C’est l’idée même de
préjudice médiat de l’Etat : il est un préjudice de l’Etat, bien que par l’intermédiaire des
personnes privées.
1254
P. DAILLIER, M. FORTEAU et A. PELLET, Op. cit., p. 903, § 495.
1255
Commission du droit international, Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de
sa cinquante-huitième session, 1er mai-9 juin et 3 juillet-11 août 2006, A/61/10, p. 17.
1256
Ibidem, pp. 25-26, § 3.
328
l’abandon de l’inutile fiction traditionnelle »1257. C’est dans cette logique que l’article 19
du Projet d’articles de 2006 sur la protection diplomatique recommande à l’Etat en droit
de l’exercer de « [t]enir compte, autant que possible, des vues des personnes lésées quant
au recours à la protection diplomatique et à la réparation à réclamer ; et [de t]ransférer à
la personne lésée toute indemnisation pour le préjudice obtenue de l’Etat responsable,
sous réserve de déductions raisonnables »1258.
1257
P. DAILLIER, M. FORTEAU et A. PELLET, Op. cit., p. 886, § 487.
1258
Article 19, b) et c).
1259
« C'est un principe élémentaire du droit international que celui qui autorise l'Etat à protéger ses
nationaux lésés par des actes contraires au droit international commis par un autre Etat, dont ils n'ont pu
obtenir satisfaction par les voies ordinaires. En prenant fait et cause pour l'un des siens, en mettant en
mouvement, en sa faveur, l'action diplomatique ou l'action judiciaire internationale, cet Etat fait, à vrai dire,
valoir son droit propre, le droit qu'il a de faire respecter en la personne de ses ressortissants, le droit
international » (Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt du 30 août 1924, C.P.J.I. Série A, n°2, p. 12.
Voir également Chemin de fer Panevezys-Saldutiskis, arrêt du 28 février 1939, C.P.J.I. Série A/B, n° 76, p.
16).
1260
O. DE FROUVILLE, « Affaire Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République
démocratique du Congo). Exceptions préliminaires : Le roman inachevé de la protection diplomatique », in
A.F.D.I., Vol. 53, 2007, p. 301.
1261
Cf. Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo)
(Indemnisation due par la République démocratique du Congo à la République de Guinée), exceptions
préliminaires, Arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 599, § 39.
329
1262
Ibidem, p. 599, § 39.
1263
Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo) (Indemnisation
due par la République démocratique du Congo à la République de Guinée), arrêt du 19 juin 2012, p. 20, §
57, disponible sur http://www.icj-cij.org/docket/files/103/17045.pdf consulté le 8 novembre 2012.
1264
Ibidem, p. 21, § 61, point 1 du dispositif.
1265
Ibidem, p. 21, § 61, point 2 du dispositif.
330
Diallo du 19 juin 2012, destinée à réparer les préjudices « concrets » subis par les
ressortissants de l’Etat qui exerce sa protection diplomatique à leur égard. Pour rappel,
les préjudices subis par les personnes privées du fait de l’exploitation illicite des
ressources naturelles en temps de conflit armé constituent des violations graves du droit
international humanitaire. Ainsi, quant aux formes que peut prendre cette réparation
destinée aux personnes privées, il y a lieu de nous référer au principe 18 des Principes
fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes
de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations
graves du droit international humanitaire : « restitution, indemnisation, réadaptation,
satisfaction et garanties de non-répétition »1266. La portée de ces différentes formes de
réparation est présentée par les principes 19 à 231267, bien que certaines modalités,
1266
Principe 18, A/RES/60/147.
1267
« 19. La restitution devrait, dans la mesure du possible, rétablir la victime dans la situation originale qui
existait avant que les violations flagrantes du droit international des droits de l’homme ou les violations
graves du droit international humanitaire ne se soient produites. La restitution comprend, selon qu’il
convient, la restauration de la liberté, la jouissance des droits de l’homme, de l’identité, de la vie de famille
et de la citoyenneté, le retour sur le lieu de résidence et la restitution de l’emploi et des biens.
20. Une indemnisation devrait être accordée pour tout dommage résultant de violations flagrantes du droit
international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire, qui se prête à
une évaluation économique, selon qu’il convient et de manière proportionnée à la gravité de la violation et
aux circonstances de chaque cas, tel que :
a) Le préjudice physique ou psychologique ;
b) Les occasions perdues, y compris en ce qui concerne l’emploi, l’éducation et les prestations sociales ;
c) Les dommages matériels et la perte de revenus, y compris la perte du potentiel de gains ;
d) Le dommage moral ;
e) Les frais encourus pour l’assistance en justice ou les expertises, pour les médicaments et les services
médicaux et pour les services psychologiques et sociaux.
21. La réadaptation devrait comporter une prise en charge médicale et psychologique ainsi que l’accès à
des services juridiques et sociaux.
22. La satisfaction devrait comporter, le cas échéant, tout ou partie des mesures suivantes :
a) Mesures efficaces visant à faire cesser des violations persistantes ;
b) Vérification des faits et divulgation complète et publique de la vérité, dans la mesure où cette
divulgation n’a pas pour conséquence un nouveau préjudice ou ne menace pas la sécurité et les intérêts de
la victime, des proches de la victime, des témoins ou de personnes qui sont intervenues pour aider la
victime ou empêcher que d’autres violations ne se produisent ;
c) Recherche des personnes disparues, de l’identité des enfants qui ont été enlevés et des corps des
personnes tuées, et assistance pour la récupération, l’identification et la réinhumation des corps
conformément aux vœux exprimés ou présumés de la victime ou aux pratiques culturelles des familles et
des communautés ;
d) Déclaration officielle ou décision de justice rétablissant la victime et les personnes qui ont un lien étroit
avec elle dans leur dignité, leur réputation et leurs droits ;
e) Excuses publiques, notamment reconnaissance des faits et acceptation de responsabilité ;
f) Sanctions judiciaires et administratives à l’encontre des personnes responsables des violations ;
g) Commémorations et hommages aux victimes ;
331
h) Inclusion, dans la formation au droit international des droits de l’homme et au droit international
humanitaire et dans le matériel d’enseignement à tous les niveaux, d’informations précises sur les
violations qui se sont produites.
23. Les garanties de non-répétition devraient inclure, le cas échéant, tout ou partie des mesures suivantes
qui contribueront aussi à la prévention et qui consistent à :
a) Veiller au contrôle efficace des forces armées et des forces de sécurité par l’autorité civile ;
b) Veiller à ce que toutes les procédures civiles et militaires soient conformes aux normes internationales
en matière de régularité de la procédure, d’équité et d’impartialité ;
c) Renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire ;
d) Protéger les membres des professions juridiques, médicales et sanitaires et le personnel des médias et
d’autres professions analogues, ainsi que les défenseurs des droits de l’homme ;
e) Dispenser, à titre prioritaire et de façon suivie, un enseignement sur les droits de l’homme et le droit
international humanitaire dans tous les secteurs de la société, et une formation en la matière aux
responsables de l’application des lois et au personnel des forces armées et de sécurité ;
f) Encourager l’observation de codes de conduite et de normes déontologiques, en particulier de normes
internationales, par les fonctionnaires, y compris les responsables de l’application des lois, les personnels
de l’administration pénitentiaire, des médias, des services médicaux, psychologiques et sociaux et le
personnel militaire, ainsi que par les entreprises ;
g) Promouvoir des mécanismes pour prévenir, surveiller et résoudre les conflits sociaux ;
h) Réexaminer et réformer les lois favorisant ou permettant des violations flagrantes du droit international
des droits de l’homme et des violations graves du droit international humanitaire » (A/RES/60/147).
332
1268
« Article 30
Cessation et non-répétition
L’Etat responsable du fait internationalement illicite a l’obligation:
a) D’y mettre fin si ce fait continue;
b) D’offrir des assurances et des garanties de non-répétition appropriées si les circonstances l’exigent ».
1269
« Article 29
Maintien du devoir d’exécuter l’obligation
Les conséquences juridiques d’un fait internationalement illicite prévues dans la présente partie n’affectent
pas le maintien du devoir de l’Etat responsable d’exécuter l’obligation violée ».
1270
Article 30 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 3, in J. CRAWFORD, Op. cit., pp. 235-236.
333
1271
M. FORTEAU, Droit de la sécurité collective et droit de la responsabilité internationale de l’Etat,
Paris, Pedone, 2006, p. 187.
334
exploitation illicite. La cessation de ce fait illicite qui se traduit par la remise des lingots
d’or à leur propriétaire (Etat lésé) ne peut en aucun cas être considérée comme une
réparation sous forme de restitution. D’une part, « [à] la différence de la restitution, la
cessation n’est pas soumise aux limitations imposées par le critère de la proportionnalité.
Elle peut donner lieu à une obligation continue alors même que le retour au statu quo
ante est exclu ou n’est réalisable que de manière approximative »1272. D’autre part, la
cessation produit des effets pour l’avenir tandis que la réparation doit produire des effets
rétroactifs en « [effaçant] toutes les conséquences de l’acte illicite »1273.
1272
Article 30 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 7, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 237.
1273
« Si la cessation peut donc participer, par son effet, à la réparation et s’apparenter à l’une des formes
que celle-ci peut emprunter – c’est en ce sens sans doute que P. Weil la qualifie de ‘‘para-réparation’’ […]
-, elle n’en devient pas pour autant ‘‘un élément de la réparation’’ à proprement parler , étant ‘‘axé sur
l’avenir’’ et non , comme cette dernière, sur le ‘‘passé’’ » (P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en
droit international public, Op. cit., p. 676).
1274
Idem, « Le droit de la responsabilité internationale complété ?... », « Art. cit. », p. 50.
335
1275
Commission du droit international, Rapport de la Commission du droit international à l’Assemblée
générale sur les travaux de sa quarante-cinquième session (3mai-23 juillet 1993), in A.C.D.I., 1993,
Volume II, Deuxième partie, p. 60, § 15.
1276
Cf. P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit international public, Op. cit., p. 676.
1277
Article 30 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 12, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 239.
1278
Article 37 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 5, in Ibidem, p. 280.
1279
Article 30 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 11, in Ibidem, p. 239.
1280
P. DAILLIER, M. FORTEAU et A. PELLET, Op. cit., p. 889, § 488.
336
b), les garanties de non-répétition comme une forme de réparation (principes 18 et 23),
quoique distincte de la satisfaction (principes 18 et 22)1281.
1281
Sur les critiques de cette conception, voir P. D’ARGENT, « Le droit de la responsabilité internationale
complété ?... », « Art. cit. », pp. 50-53.
1282
Article 30 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 10, in J. CRAWFORD, Op. cit. , p. 238.
1283
Article 30 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 11, in Ibidem, p. 239.
1284
CL. BARTHE-GAY, « Art. cit. », p. 122.
1285
Ibidem, p. 122.
1286
Cf. Ibidem, p. 122.
337
L’Etat qui se livre à l’exploitation illicite des ressources naturelles d’un autre
Etat doit supporter toutes les conséquences de son fait internationalement illicite,
notamment la réparation intégrale des dommages qui en proviennent (article 31 du Projet
de la C.D.I.). Ainsi qu’on l’a déjà mentionné, la forme de réparation dépendra du
dommage spécifique à réparer. Mais la réparation intégrale de tous les dommages
(réparation entière de tout dommage) exigera pratiquement le recours à toutes les formes
de réparation (restitution des biens encore détenus, par exemple, les espèces de la faune
sauvage de la RDC retenues au Rwanda ; indemnisation et satisfaction).
1287
Cf. J. VERHOEVEN, Op. cit., p. 647.
1288
P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit international public, Op. cit., p. 680.
338
Dans la plupart des situations que nous avons décrites dans le chapitre II,
l’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat étranger par plusieurs Etats est le
plus souvent faite séparément, c’est-à-dire sans concertation entre eux, sans coordination
de leurs opérations. Il y a lieu de rappeler l’exploitation illicite des ressources naturelles
de la RDC par le Rwanda et par l’Ouganda. Nous ne sommes donc pas dans l’hypothèse
de l’article 47 du Projet de la C.D.I. de 2001 sur la responsabilité de l’Etat, consacré à la
pluralité d’Etats responsables du même fait internationalement illicite1289. Cet article vise
la responsabilité de plusieurs Etats pour un même fait internationalement illicite. Selon le
commentaire de la C.D.I., pareille responsabilité intervient par exemple lorsque deux ou
plusieurs Etats accomplissent conjointement l’opération tout entière réalisant la
commission d’un fait internationalement illicite ; ou bien ils agissent par l’intermédiaire
d’un organe commun ou encore un Etat commet le fait internationalement illicite en
agissant sous les directives et sous le contrôle d’un autre Etat1290.
Par contre, certains cas d’exploitation illicite des ressources naturelles d’un
Etat étranger, que nous avons mentionnés dans le chapitre II, révèlent une pluralité
d’Etats responsables au sens de l’article 47 du Projet de la C.D.I. Sur ce point, on peut
rappeler la coopération entre le Libéria et le Burkina Faso dans le cadre de l’exploitation
des diamants du RUF lorsque le Libéria et le RUF faisaient l’objet d’un embargo sur les
armes et sur les diamants. C’est le Burkina Faso qui s’occupait des transactions des
diamants (pillés en Sierra Leone) et pour son compte et pour celui du Libéria et du RUF.
Les éléments factuels démontrent que le président burkinabé Blaise Compaoré agissait
sous les directives et sous le contrôle du président libérien Charles Taylor. Dès lors, le
1289
« Article 47
Pluralité d’Etats responsables
1. Lorsque plusieurs Etats sont responsables du même fait internationalement illicite, la responsabilité de
chaque Etat peut être invoquée par rapport à ce fait.
2. Le paragraphe 1 :
a) Ne permet à aucun Etat lésé de recevoir une indemnisation supérieure au dommage qu’il a subi;
b) Est sans préjudice de tout droit de recours à l’égard des autres Etats responsables ». Pour un
commentaire sur l’article 47 du Projet de la C.D.I., voir P. D’ARGENT, ‘‘Reparation, cessation, assurances
and guarantees of non-repetition in situations of shared responsibility’’, in A. NOLLKAEMPER (ed.),
Shared Responsibility, Cambridge, CUP, 2014 (à paraître).
1290
Cf. Article 47 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 2, in J. CRAWFORD, Op. cit. , p. 325.
339
1291
Cf. J. VERHOEVEN, Op. cit., p. 633; P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit international
public, Op. cit., pp. 746-752.
1292
« L'Australie soutient tout d'abord que, dans la mesure où les réclamations de Nauru se fondent sur le
comportement de l'Australie agissant en tant que l'un des trois Etats constituant l'autorité administrante en
vertu de l'accord de tutelle, la responsabilité de ce chef est de nature telle qu'une réclamation ne saurait être
présentée que contre les trois Etats pris conjointement et non contre l'un d'entre eux à titre individuel. A ce
propos, l'Australie a soulevé la question de savoir si la responsabilité des trois Etats serait ‘‘solidaire’’
(‘‘joint and several’’), en ce sens que l'un quelconque des trois serait tenu de réparer en totalité le préjudice
résultant de toute méconnaissance des obligations de l'autorité administrante et non pas seulement d'assurer
cette réparation pour un tiers ou dans toute autre proportion. Il s'agit là d'une question que la Cour doit
réserver pour le fond de l'affaire » (Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 258, § 48). La Cour a en outre précisé que son « arrêt ne
tranch[ait] pas la question de savoir si l'Australie, dans le cas où elle serait déclarée responsable, devrait
réparer, en totalité ou seulement pour partie, les dommages que Nauru prétend[ait] avoir subis » (Ibidem, p.
262, § 56).
1293
Cf. J. VERHOEVEN, Op. cit., p. 633.
1294
« La Cour n'estime pas qu'il ait été démontré qu'une demande formée contre l'un des trois Etats
seulement doive être déclarée irrecevable in limine litis au seul motif qu'elle soulève des questions relatives
à l'administration du Territoire à laquelle participaient deux autres Etats. En effet, il est indéniable que
l'Australie était tenue d'obligations en vertu de l'accord de tutelle, dans la mesure où elle était l'un des trois
Etats qui constituaient l'autorité administrante, et rien dans la nature de cet accord n'interdit à la Cour de
connaître d'une demande relative à la méconnaissance desdites obligations par l'Australie » (Certaines
terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p.
259, § 48).
340
à ce fait ». Et selon le paragraphe 2, a) du même article, aucun Etat lésé ne peut recevoir
une indemnisation supérieure au dommage qu’il a subi. Comme le souligne Samantha
Besson, « [l]a pluralité d’Etats responsables n’affecte donc pas en principe les modalités
de la réparation dans ce cas, puisque chaque Etat répare individuellement ce qu’il a
contribué à causer »1295. Ceci est facilement compréhensible s’agissant de la restitution et
de la satisfaction. Au fait, note Samantha Besson, « [d]ans le cas de la restitution, par
exemple, chaque Etat est appelé à restituer ce qu’il peut restituer et ceci indépendamment
de la co-responsabilité de l’autre Etat. La même chose vaut en termes de
satisfaction »1296. Pour Mme Besson, l’indemnisation soulève encore quelques difficultés
du moment qu’elle « est censée réparer l’entier du dommage encouru par l’Etat lésé et
ceci éventuellement indépendamment de la proportion dans laquelle chaque Etat a
contribué à le causer »1297. Elle estime que c’est dans le cas de l’indemnisation que « la
responsabilité plurale joue véritablement un rôle ; c’est lorsque la dette est financière que
la solidarité prend toute son importance »1298. Tout en reconnaissant l’inexistence du
principe d’une responsabilité internationale solidaire, cet auteur s’efforce de prouver qu’il
est possible d’établir, de lege ferenda, un régime général de responsabilité solidaire des
Etats en matière d’indemnisation1299. Cette piste peut légitimement être explorée. Mais
elle ne paraît pas utile dans le cadre de cette étude. Sur ce point, nous nous limiterons à la
solution du droit positif.
1295
S. BESSON, « La pluralité d’Etats responsables. Vers une solidarité internationale ? », in R.S.D.I.E.,
1/2007, p. 23.
1296
Ibidem, p. 23.
1297
Ibidem, p. 23.
1298
Ibidem, p. 23.
1299
Cf. Ibidem, pp. 34-38.
341
responsables à indemniser l’Etat lésé, mais la décision serait considérée comme ayant
été exécutée de façon satisfaisante, à l’égard de ce dernier, dès lors que l’un quelconque
des Etats ainsi condamnés aurait versé l’intégralité de l’indemnisation accordée »1300.
L’on ne doit pas perdre de vue que l’article 47 du Projet de la C.D.I. ne vise
pas la pluralité d’Etats responsables du même dommage, par exemple, la pollution d’un
cours d’eau par plusieurs Etats en y déversant séparément des produits polluants1302. La
C.D.I. illustre également cette situation par l’affaire du Détroit de Corfou, dans laquelle
la Cour internationale de Justice a établi l’entière responsabilité de l’Albanie pour
manquement à l’obligation de diligence, faute d’avertir les navires britanniques de la
présence des mines dans les eaux albanaises, alors même qu’il apparaît que la pose de ces
mines a été le fait de la Yougoslavie1303. En pareils cas, « la responsabilité de chaque Etat
participant est établie séparément, sur la base de son propre comportement et au regard de
ses propres obligations internationales »1304. Dans l’exemple de l’exploitation illicite des
ressources naturelles de la RDC réalisée séparément par l’Ouganda et par le Rwanda, la
responsabilité de chacun de ces deux Etats est pleinement engagée et chacun d’eux est
1300
Article 47 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 9, in J. CRAWFORD, Op. cit. , p. 328.
1301
Cf. Article 47 du Projet de la C.D.I., Commentaire, §§ 5 et 10, in Ibidem, pp. 326-327 et 328-329.
1302
Cf. Article 47 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 8, in J. CRAWFORD, Op. cit. , pp. 327-328.
1303
« Dans l’incident du Détroit de Corfou, il apparaît que la pose proprement dite des mines a été le fait
de la Yougoslavie, qui aurait été responsable du dommage qu’elles ont causé. La Cour internationale de
Justice a jugé que l’Albanie était responsable du même dommage envers le Royaume-Uni au motif qu’elle
avait connaissance ou aurait dû avoir connaissance de la présence des mines et de la tentative que faisaient
les navires britanniques d’exercer leur droit de passage, et qu’elle n’a pas averti ces derniers. Cependant, la
Cour n’a pas donné à entendre que la responsabilité de l’Albanie à raison de ce défaut d’avertissement se
trouvait réduite encore moins exclue par l’effet de la responsabilité concurrente d’un Etat tiers » (Article 47
du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 8, in J. CRAWFORD, Op. cit. , p. 328).
1304
Article 47 du Projet de la C.D.I., Commentaire § 8, in Ibidem, p. 328.
342
obligé séparément de réparer intégralement les dommages subis par la RDC à raison de
son comportement illicite.
B. Etat ayant accordé une aide ou une assistance à l’auteur de l’exploitation illicite
des ressources naturelles
1305
Article 16 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 10, in Ibidem, p. 181.
1306
Article 16 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 10, in Ibidem, p. 181.
1307
Article 16 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 10, in Ibidem, p. 181.
1308
Cf. Article 16 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 10, in Ibidem, p. 181.
343
concurrente de plusieurs Etats pour le même préjudice »1309, que nous venons d’examiner
ci-avant à la lumière de l’affaire du Détroit de Corfou. Dans ce cas, par exemple, l’Etat
ayant apporté à un autre une aide nécessaire à l’exploitation illicite des ressources
naturelles d’un Etat étranger par ce dernier peut également être obligé de réparer
intégralement le préjudice résultant de ce fait d’exploitation illicite.
1309
Article 16 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 10, note 301, in Ibidem, p. 181.
1310
Article 16 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 1er, in Ibidem, pp. 177-178.
1311
Cf. Article 16 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 11, in Ibidem, pp. 181-182.
1312
Article 16 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 11, in Ibidem, p. 181.
344
raisonnement s’inspire du principe qui a été posé par la Cour internationale de Justice
dans l’affaire de l’Or monétaire1313.
L’Etat ayant accordé une aide à l’Etat auteur d’exploitation illicite des
ressources naturelles d’un Etat étranger ne pourra être obligé de réparer sous la forme de
restitution dans le cas où il n’a lui-même posé aucun acte d’exploitation illicite de
ressources naturelles. Cependant, il pourra être obligé de payer des indemnités ou
d’accorder à l’Etat lésé une satisfaction, notamment sous la forme d’excuses ou
d’expression des regrets.
1313
Dans cette affaire, la première demande de l’Italie consistait en une réclamation contre l’Albanie d’une
indemnité en vue de la réparation d’un dommage qu’elle aurait subi d’un fait internationalement illicite de
cette dernière. Cette indemnité devrait être constituée d’or monétaire de la Banque nationale d’Albanie pris
à Rome par l’Allemagne en 1943, or monétaire réclamé par l’Italie et l’Albanie, mais qu’une sentence
arbitrale sollicité par les trois alliés occidentaux (la France, les Etats-Unis et le Royaume-Uni) a accordé à
l’Albanie. Mais dans leur compromis d’arbitrage, il était indiqué que si l’or monétaire revenait à l’Albanie,
il servirait à une indemnisation partielle des dommages subis par le Royaume-Uni dans le Détroit de
Corfou. C’est ainsi que l’Italie saisit la CIJ contre les trois alliés pour contester la sentence arbitrale en vue
d’obtenir cet or monétaire au titre d’indemnisation d’un prétendu dommage subi d’un fait
internationalement illicite de l’Albanie. Cette action n’aboutit pas, faute de compétence de la Cour à l’égard
de l’Albanie (Cf. D. RUZIE, Op. cit., p. 261). En l’absence de l’Albanie et sans son consentement à la
compétence de la Cour, celle-ci prit cette position de principe : « [P]our déterminer si l'Italie a titre à
recevoir l'or, il est nécessaire de déterminer si l'Albanie a commis un délit international contre l'Italie et si
elle est tenue à réparation envers elle ; puis, dans ce cas, de déterminer aussi le montant de l'indemnité. […]
Examiner au fond de telles questions serait trancher un différend entre l'Italie et l'Albanie […] sans le
consentement de l'Albanie. […] Statuer sur la responsabilité internationale de l'Albanie sans son
consentement serait agir à l'encontre d'un principe de droit international bien établi et incorporé dans le
Statut, à savoir que la Cour ne peut exercer sa juridiction à l'égard d'un Etat si ce n'est avec le consentement
de ce dernier » (Affaire de l’or monétaire pris à Rome en 1943 (question préliminaire), Arrêt du 15 juin
1954 : C.I.J. Recueil 1954, p. 32 ; Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 261, § 55). Ce principe a été repris dans l’arrêt rendu en
l’affaire du Timor oriental, dans lequel la Cour internationale de Justice a estimé qu’elle « ne saurait statuer
sur la licéité du comportement d'un Etat lorsque la décision à prendre implique une appréciation de la
licéité du comportement d'un autre Etat qui n'est pas partie à l'instance » (Timor oriental (Portugal c.
Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 102, § 29).
345
de l’exploitation illicite des ressources naturelles. Nous sommes ainsi dans l’hypothèse
déjà examinée de l’Etat auteur de l’acte illicite.
La situation sur laquelle nous voudrions nous pencher à présent est celle des
Etats ayant manqué à une obligation de vigilance, manquement qui a de facto facilité
l’exploitation illicite des ressources naturelles, sans que celle-ci leur soit attribuable. Leur
responsabilité est engagée non pas du fait de (ou pour) cette exploitation illicite, mais à
l’occasion de cette exploitation. Ont-ils l’obligation de réparer des dommages causés par
cette exploitation illicite des ressources naturelles ? Si oui, sous quelle forme ?
1314
Cf. Affaire du Détroit de Corfou, Arrêt du 9 avril 1949 : C.I.J. Recueil 1949, pp. 22-23.
1315
Cf. Affaire du Détroit de Corfou, Arrêt du 15 décembre 1949 : C.I.J. Recueil 1949, p. 250.
346
Ces deux affaires nous donnent des précisions non seulement sur les
conditions dans lesquelles un Etat qui a violé une obligation de diligence est obligé
d’accorder une réparation à l’Etat qui subit des dommages dans ces circonstances, mais
également sur la forme que peut prendre la réparation selon chaque situation. Tenant
compte des enseignements tirés de ces deux cas, que dire alors de l’obligation de
réparation dans le chef des Etats ayant manqué à une obligation de diligence au regard de
l’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat par des Etats tiers ?
1316
Cf. Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-
Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, pp. 233-234, §§ 461-462.
1317
Ibidem, p. 234, § 462.
1318
Ibidem, p. 234, §§ 462 -463.
347
Comme nous l’avons déjà indiqué, les Etats visés à présent sont ceux non
(directement) impliqués dans les conflits armés et l’exploitation illicite des ressources
naturelles. Il est question, notamment, des Etats de transit et des Etats de destination des
ressources naturelles illicitement exploitées par des Etats et/ou par des multinationales et
des Etats qui, au moment des faits, exerçaient sur des entreprises multinationales
impliquées dans l’exploitation illicite des ressources naturelles d’un autre Etat un
contrôle, du fait de l’origine (id est le domicile1319) de cette entreprise ou de
l’établissement de celle-ci sur leurs territoires. Ces Etats, avons-nous déjà souligné, ont,
par leur passivité, contribué à l’exploitation illicite des ressources naturelles, partant, aux
dommages consécutifs à ce fait illicite, en n’usant pas suffisamment de moyens à leur
disposition pour l’empêcher totalement ou partiellement. Ils ont l’obligation d’accorder
réparation aux Etats lésés. Mais, sous quelle(s) forme(s) ?
Pour l’heure, force est de répondre à la question suivante : Les Etats ayant
manqué à l’obligation de diligence disposaient-ils de moyens efficaces et suffisants pour
empêcher l’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat étranger par d’autres
Etats et/ou par des multinationales ? Il convient de répondre au cas par cas. Nous
aborderons d’abord la question des Etats de transit, ensuite celle des Etats de destination
et, enfin, celle des Etats de contrôle des entreprises multinationales, en prenant un
exemple tiré du conflit armé en RDC, mais dont l’hypothèse est également vérifiable
dans les conflits armés en Angola et en Sierra Leone.
S’agissant des Etats de transit, le Kenya et la Tanzanie, par exemple, dont les
ports ont servi au transit des ressources naturelles de la RDC exploitées illicitement par
l’Ouganda et par le Rwanda, étaient liés envers ces derniers par un Protocole consacrant
la liberté de transit de tout moyen de transport, conclu dans le cadre du Marché commun
de l’Afrique orientale et australe (COMESA)1320. De par cet accord, ils ne pouvaient en
1319
O. DE SCHUTTER, « La responsabilité des Etats dans le contrôle des sociétés transnationales : vers
une convention internationale sur la lutte contre les atteintes aux droits de l’homme commises par les
sociétés transnationales », « Art. cit. », p. 44.
1320
L’article 2, § 1er, a) et c) du Protocole sur le commerce de transit et les facilités de transit , qui
constitue l’annexe I au Traité du Marché commun de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique australe, dispose :
« Les Etats membres s’engagent à accorder la liberté de transit à travers leurs territoires respectifs pour tout
moyen de transport indiqué à cet effet à tous transitaires et trafic en transit :
348
principe effectuer aucun contrôle sur des cargaisons de ressources naturelles de la RDC
en transit sur leurs territoires en provenance de l’Ouganda ou du Rwanda. Cependant,
pour des raisons de moralité publique et d’ordre public ou pour respecter leurs
obligations internationales, ils avaient le droit, voire l’obligation d’interdire le transit de
ces ressources de conflit1321. Il n’en demeure pas moins qu’ils ont manqué à une
obligation de vigilance en ne prenant pas de mesures pour empêcher ce transit.
Néanmoins, on doit très rapidement observer qu’ils ne disposaient pas de moyens
efficaces et suffisants pour empêcher l’exploitation illicite des ressources naturelles de la
RDC par l’Ouganda et par le Rwanda. Même si le Kenya et la Tanzanie interdisaient le
transit des ressources d’origine congolaise par leurs territoires, celles-ci étaient déjà
illicitement exploitées par l’Ouganda et par le Rwanda ou pouvaient toujours continuer
de l’être. Elles pouvaient être exportées par d’autres voies, plus onéreuses soient-elles.
Ceci ne revient pas à dire que ces Etats n’ont pas commis d’acte illicite. Bien au
contraire, on sait que ces Etats ont été alertés par des rapports des experts onusiens et des
ONG, mais n’ont pris aucune mesure. Ce qui est déjà une violation du droit international.
ressources pouvaient les exporter dans d’autres pays ou carrément les utiliser sur leurs
propres territoires. Certes, l’interdiction aux entreprises par leurs Etats d’origine ou
d’établissement de se livrer à l’exploitation illicite des ressources naturelles de conflits
pouvait contribuer à combattre ce fléau du moment que certaines entreprises qui ne
pourraient pas obtempérer aux ordres pourraient être dissoutes. Cependant, comme on l’a
relevé, certaines entreprises ont été créées par des Etats auteurs de cette exploitation
illicite, précisément à cette fin et ne pouvaient donc se voir interdire cette activité par ces
mêmes Etats.
multinationales impliquées dans l’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat
étranger subissant un conflit armé. Ce manquement, suite auquel ces multinationales ont
poursuivi cette exploitation illicite de ressources naturelles, a causé un préjudice
considérable à l’Etat victime.
Ainsi que nous l’avons déjà expliqué (Voir supra, chapitre III, section II, § 1,
B, 2), l’obligation de faire respecter le droit international humanitaire est une obligation
de vigilance, qui est une obligation de moyen, lorsque les faits mis en cause ont été
commis par des particuliers, notamment les entreprises multinationales. Dans ce cas, on
doit appliquer le test auquel nous avons soumis les Etats ayant manqué à une obligation
de vigilance (voir point précédent).
A. Etat lésé
Concernant l’hypothèse prévue par l’alinéa b), sous-alinéa ii) de l’article 42,
dans laquelle l’exécution de l’obligation par l’Etat responsable est une condition
nécessaire de son exécution par tous les autres Etats1324, le commentaire de la C.D.I.
mentionne que « c’est ce qu’on appelle l’obligation ‘‘intégrale’’ ou
‘‘interdépendante’’ »1325. Cependant, dans une note de bas de page, il précise que dans ce
contexte, « [l]’expression ‘‘obligations interdépendantes’’ peut paraître plus
1322
« Article 42
Invocation de la responsabilité par l’Etat lésé
Un Etat est en droit en tant qu’Etat lésé d’invoquer la responsabilité d’un autre Etat si l’obligation violée
est due :
a) A cet Etat individuellement; ou
b) A un groupe d’Etats dont il fait partie ou à la communauté internationale dans son ensemble, et si la
violation de l’obligation :
i) Atteint spécialement cet Etat; ou
ii) Est de nature à modifier radicalement la situation de tous les autres Etats auxquels l’obligation est due
quant à l’exécution ultérieure de cette obligation ».
1323
L.-A. SICILIANOS, « Classification des obligations et dimension multilatérale de la responsabilité
internationale », « Art. cit. », pp. 70-71.
1324
Cf. Article 42 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 5, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 308.
1325
Cf. Article 42 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 5, in Ibidem, p. 308.
352
appropriée »1326. Il nous semble utile de préciser, avec Pierre-Marie Dupuy, la distinction
entre une « obligation interdépendante » et une « obligation intégrale ». Se référant au
rapporteur spécial de la C.D.I. Sir Gerald Fitzmaurice, cet auteur écrit: « A l’inverse
[d’une obligation interdépendante], [une obligation intégrale] est ‘‘ autonome, absolue et
intrinsèque pour chaque partie et ne dépend pas d’une exécution correspondante par les
autres parties’’. […] [I]l s’agit ‘‘pour ainsi dire, [d’] une obligation à l’égard du monde
entier plutôt que d’une obligation à l’égard des parties au traité’’»1327. La mise en œuvre
d’une obligation interdépendante par chaque partie est conditionnée par l’exécution
correspondante par toutes les parties, de telle sorte que sa violation fondamentale par
l’une d’entre elles justifie une non-exécution générale correspondante par les autres
parties et pas seulement une non-exécution dans les relations de ces parties avec la partie
défaillante1328.
Parmi les obligations interdépendantes, on peut citer celles consacrées par les
conventions en matière de désarmement, par celles prohibant certaines armes ou
méthodes de guerre, par les conventions démilitarisant certaines régions ou bien encore
celles interdisant la pêche dans certaines zones maritimes1329. En revanche, au titre des
conventions consacrant des obligations intégrales (« traités intégraux »), il y a lieu de
mentionner celles relatives à la protection des droits de l’homme1330 ou de
l’environnement1331.
1326
« La notion d’obligations «intégrales» a été développée par Fitzmaurice en sa qualité de Rapporteur
spécial sur le droit des traités: Voir Annuaire…1957, vol. II, p. 61. Le terme a parfois donné lieu à des
confusions, car il était utilisé pour faire référence à des obligations relatives aux droits de l’homme ou au
droit de l’environnement, lesquelles ne sont pas dues sur la base du ‘‘tout ou rien’’. L’expression
‘‘obligations interdépendantes’’ peut paraître plus appropriée » (Article 42 du Projet de la C.D.I.,
Commentaire, § 5, note 706, in Ibidem, p. 308.
1327
P.-M. DUPUY, « Bilan général. Des rencontres de la dimension multilatérale des obligations avec la
codification du droit de la responsabilité », in P.-M. DUPUY (sous la direction de), Obligations
multilatérales, droit impératif et responsabilité internationale des Etats, Op. cit. , p. 229 ; Cf. Idem,
« L’unité de l’ordre juridique international. Cours général de droit international public (2000) », in
R.C.A.D.I., tome 297, 2002, pp. 380-384.
1328
Cf. Idem, « Bilan général. Des rencontres de la dimension multilatérale des obligations avec la
codification du droit de la responsabilité », « Art. cit. », p. 228.
1329
Cf. Ibidem, p. 228.
1330
Cf. Ibidem, p. 229 ; Article 42 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 5, note 706, in Ibidem, p. 308.
1331
Cf. Article 42 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 5, note 706, in Ibidem, p. 308.
353
1332
D’après le commentaire de la C.D.I. sous l’article 42, « il faut entendre par invocation le fait de prendre
des mesures d’un caractère relativement formel, par exemple le fait de déposer ou de présenter une
réclamation contre un Etat, ou d’engager une procédure devant une cour ou un tribunal international »
(Article 42 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 2, in J. CRAWFORD, Op. cit. , pp. 306-307).
1333
Cf. Navire « SAIGA » (No. 2) (Saint-Vincent-et-les-Grenadines c. Guinée), arrêt, TIDM Recueil 1999,
§ 170.
354
Ces normes consacrent des droits du groupe d’Etats dont fait partie l’Etat lésé
ou des droits de la communauté internationale dans son ensemble. Les premiers droits
correspondent aux obligations erga omnes partes, les seconds aux obligations erga
omnes. Comme l’a déclaré la Cour internationale de Justice dans sa remarque incidente
de l’arrêt Barcelona Traction, à propos des obligations erga omnes, « [v]u l’importance
des droits en cause, tous les Etats peuvent être considérés comme ayant un intérêt
juridique à ce que ces droits soient protégés »1334. Par cette déclaration, la Cour a
abandonné délibérément la position qu’elle a prise en 1966 dans l’affaire du Sud-Ouest
africain, dans laquelle elle a affirmé que le droit international tel qu’il existait à l’époque
ne reconnaissait pas une sorte d’actio popularis, ou un droit pour chaque membre d’une
collectivité d’intenter une action pour la défense d’un intérêt public1335. Au regard de ce
passage de l’arrêt Barcelona Traction, « [l]e concept d’obligations erga omnes ouvre
grande la voie à l’actio popularis. En ce sens, le germe est dans l’œuf »1336.
1334
Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited, arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 32, § 33.
1335
Cf. Sud-Ouest africain, deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1966, p. 47, § 88.
1336
F. VOEFFRAY, Op. cit., p. 261.
1337
« Article 48
Invocation de la responsabilité par un Etat autre qu’un Etat lésé
1. Conformément au paragraphe 2, tout Etat autre qu’un Etat lésé est en droit d’invoquer la responsabilité
d’un autre Etat, si :
a) L’obligation violée est due à un groupe d’Etats dont il fait partie, et si l’obligation est établie aux fins de
la protection d’un intérêt collectif du groupe; ou
b) L’obligation violée est due à la communauté internationale dans son ensemble.
2. Tout Etat en droit d’invoquer la responsabilité en vertu du paragraphe 1 peut exiger de l’Etat
responsable:
a) La cessation du fait internationalement illicite et des assurances et garanties de non-répétition,
conformément à l’article 30; et
b) L’exécution de l’obligation de réparation conformément aux articles précédents, dans l’intérêt de l’Etat
lésé ou des bénéficiaires de l’obligation violée.
3. Les conditions posées par les articles 43, 44 et 45 à l’invocation de la responsabilité par un Etat lésé
s’appliquent à l’invocation de la responsabilité par un Etat en droit de le faire en vertu du paragraphe 1 ».
355
groupe ; d’autre part, lorsque l’obligation violée est due à la communauté internationale
dans son ensemble. La première hypothèse concerne les obligations erga omnes partes, la
seconde les obligations erga omnes « tout court »1338.
1338
Cf. A. PELLET, « Les articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement
illicite. Suite – et fin ? », in A.F.D.I., Vol. 48, 2002, p. 10.
1339
« Article 1
Aux fins des présents articles, une obligation erga omnes est :
a) une obligation relevant du droit international général à laquelle un Etat est tenu en toutes circonstances
envers la communauté internationale, en raison des valeurs communes et de son intérêt à ce que cette
obligation soit respectée, de telle sorte que sa violation autorise tous les Etats à réagir ; ou
b) une obligation relevant d’un traité multilatéral à laquelle un Etat partie à ce traité est tenu en toutes
circonstances envers tous les autres Etats parties au traité, à raison des valeurs qui leur sont communes et
de leur intérêt à ce que cette obligation soit respectée, de telle sorte que sa violation autorise tous ces Etats à
réagir » (I.D.I., « Les obligations erga omnes en droit international », Résolution de la session de Cracovie,
27 août 2005, , in Annuaire de l’I.D.I., Vol. 71-II, 2006, p. 286).
1340
L.-A. SICILIANOS, « Classification des obligations et dimension multilatérale de la responsabilité
internationale », « Art. cit. », p. 67.
1341
Cf. Ibidem, p. 67.
356
1342
Cf. Ibidem, p. 72.
1343
Article 48 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 13, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 334.
1344
« Article 43
Notification par l’Etat lésé
1. L’Etat lésé qui invoque la responsabilité d’un autre Etat notifie sa demande à cet Etat.
2. L’Etat lésé peut préciser notamment :
a) Le comportement que devrait adopter l’Etat responsable pour mettre fin au fait illicite si ce fait continue;
b) La forme que devrait prendre la réparation, conformément aux dispositions de la deuxième partie ».
1345
« Article 44
Recevabilité de la demande
La responsabilité de l’Etat ne peut pas être invoquée si :
a) La demande n’est pas présentée conformément aux règles applicables en matière de nationalité des
réclamations;
b) Toutes les voies de recours internes disponibles et efficaces n’ont pas été épuisées au cas où la demande
est soumise à la règle de l’épuisement des voies de recours internes ».
357
Pour tout dire, de lege lata, les Etats autres que l’Etat lésé par la violation
d’une obligation erga omnes (partes) ne sont pas créanciers de la réparation.
1346
« Article 45
Renonciation au droit d’invoquer la responsabilité
La responsabilité de l’Etat ne peut pas être invoquée si :
a) L’Etat lésé a valablement renoncé à la demande; ou
b) L’Etat lésé doit, en raison de son comportement, être considéré comme ayant valablement acquiescé à
l’abandon de la demande ».
1347
Article 16 du Projet de la C.D.I. de 2006 sur la protection diplomatique, Commentaire, § 2, note 245, in
Commission du droit international, Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa
cinquante-huitième session, Op. cit, p. 90.
358
atteintes portées à leurs droits subjectifs au respect des obligations et au maintien des
conditions qui permettent à la collectivité de tirer avantage de l’existence et de l’usage
des biens ou valeurs collectifs1348. Ce point de vue est défendu par Pierre-Marie Dupuy
en ces termes : « D’un point de vue terminologique sinon conceptuel, il est bien peu
convain[cant] de prétendre, ou, du moins, de risquer de faire croire qu’un Etat puisse
agir en responsabilité alors qu’il n’est pas lésé. Tous le sont. Les premiers parce qu’ils
ont subi un dommage affectant leurs droits subjectifs […] ; les seconds parce qu’ils ont
ressenti un préjudice qui, le plus souvent, sera exclusivement juridique, relevant du fait
que, en tant que membres, soit d’une communauté contractuelle restreinte (pour la
violation des obligations erga omnes partes), soit de la communauté internationale
générale (pour la violation des obligations erga omnes sans restriction) elles ont d’abord
un intérêt juridique au respect d’un droit dont elles sont elles-mêmes titulaires »1349.
C’est dans cette logique que cet auteur avait proposé une distinction entre des
Etats lésés dans leurs droits subjectifs et des Etats lésés dans leurs intérêts objectifs1350.
Dans le même angle, Alexandre Sicilianos a proposé une classification mettant d’un côté
des Etats « individuellement » lésés et de l’autre côté des Etats « non individuellement
lésés »1351. Et comme l’a si bien exprimé Brigitte Stern, « en réalité les Etats autres que
l'Etat lésé ne sont en fait que des Etats lésés autrement, car s'ils n'étaient pas lésés dans
leurs intérêts juridiques, ils n'auraient aucun titre à invoquer la responsabilité de l'Etat
auteur de l'acte illicite »1352.
Cela dit, on ne voit pas exactement pour quelle raison juridique la C.D.I. a
limité la demande de réparation par les « Etats autres que l’Etat lésé » au seul intérêt de
l’Etat lésé ou des bénéficiaires de l’obligation violée. A notre sens, en cas de violation
d’obligations erga omnes (partes), le groupe d’Etats dont l’intérêt collectif a été atteint
ou, le cas échéant, la communauté internationale dans son ensemble, devrait bénéficier de
1348
Cf. S. VILLALPANDO, Op. cit., pp. 356-357.
1349
P.-M. DUPUY, « Bilan général. Des rencontres de la dimension multilatérale des obligations avec la
codification du droit de la responsabilité », « Art. cit. », p. 230.
1350
Cf. Ibidem, p. 231 ; Idem, « Le fait générateur de la responsabilité internationale des Etats », « Art.
cit. », p. 10.
1351
Cf. L.-A. SICILIANOS, « Classification des obligations et dimension multilatérale de la responsabilité
internationale », « Art. cit. », p. 69.
1352
B. STERN, « Art. cit. », p. 24 (notre emphase).
359
la réparation, sans préjudice de celle destinée à l’Etat lésé. Cela donnerait un sens plénier
à ces catégories d’obligations. De surcroît, ainsi que le souligne Santiago Villalpando, il
peut arriver que la violation d’une obligation erga omnes cause un préjudice au-delà de la
juridiction d’Etats déterminés1353. C’est le cas d’ « une pollution massive qui pourrait
porter atteinte aux seules ressources naturelles communes omnium, comme celles de la
haute mer ou de la Zone, sans affecter des Etats (ou d’autres bénéficiaires)
particuliers »1354. Pour cet auteur, en pareille hypothèse, « [l]a solution suggérée par la
CDI impliquerait que le droit international ne reconnaît aucune prérogative relative à la
réparation […] et paraît dès lors insatisfaisante »1355.
Dans cette étude sur l’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat,
nous nous retrouvons dans l’hypothèse de la violation d’une obligation erga omnes
(partes) qui porte atteinte à des Etats, à des particuliers et à un groupe d’Etats ou à la
communauté internationale dans son ensemble. La situation est donc suffisamment
différente de celle présentée par Santiago Villalpando, que nous venons d’illustrer ci-
dessus (violation d’obligations erga omnes causant un préjudice en dehors de la sphère
étatique). N’empêche que nous puissions nous en inspirer largement pour proposer des
pistes de solutions aux problèmes qui se posent dans notre hypothèse.
1353
Cf. S. VILLALPANDO, Op. cit., p. 355.
1354
Ibidem, p. 358.
1355
Cf. Ibidem, p. 358.
360
l’obligation violée et les autres Etats, dans le cas où ceux-là (Etat lésé ou bénéficiaires…)
pourraient réclamer l’indemnisation, alors que ces derniers demandent la restitution. En
réalité, le conflit d’intérêts n’est qu’apparent. Il y a à vrai dire deux demandes de
réparation séparées : la première concerne la réparation des préjudices subis par l’Etat
lésé ou par les bénéficiaires de l’obligation violée dans leur sphère personnelle, la
seconde se rapporte aux intérêts du groupe ou de la communauté internationale dans son
ensemble1356. En ce moment précis, nous nous occupons de la seconde demande, tout en
faisant parfois allusion à la première.
1356
Il y aurait conflit d’intérêts si la demande de restitution était faite par d’autres Etats dans l’intérêt de
l’Etat lésé alors que ce dernier solliciterait l’indemnisation. Ce qui n’est pas le cas dans notre hypothèse.
1357
Voir inter alia : Flavia Lattanzi, Bernhard Graefrath, Gabriella Carella, Briand D. Smith, Marina
Spinedi, Luigi Condorelli, Claudia Annacker cités par S. VILLALPANDO, Op. cit., p. 358, note 1237.
1358
Cf. Ibidem, p. 359.
361
1359
Cf. Ibidem, p. 360.
1360
Voir, inter alia, B. GRAEFRATH, « Responsibility and damage caused : relations between
responsibility and damages », in R.C.A.D.I., tome 185, 1984-II, p. 47 ; Commission du droit international,
Rapport de la Commission du droit international, Cinquante-deuxième session, 1er mai-9 juin et 10 juillet-
18 août 2000, A/55/10, pp. 38-39, § 128 (A propos de la violation du projet d’article 19 qui consacrait le
crime international de l’Etat, supprimé du Projet de 2001, certains membres de la C.D.I. avaient estimé que
« tous les Etats devraient être en droit d’invoquer la responsabilité en ce qui concerne toutes ses
conséquences, à l’exception peut-être de l’indemnisation, en cas de violation grave »).
1361
S. VILLALPANDO, Op. cit., p. 360. En réponse à l’autre partie de la doctrine, qui préconise la
reconnaissance d’un droit de tous les autres Etats à l’indemnisation en cas de dommage causé aux intérêts
de la communauté internationale dans son ensemble, la doctrine dominante soulève deux difficultés : « a) le
problème de l’évaluation économique du dommage causé ; et b) les problèmes liés au grand nombre d’Etats
qui pourraient demander une telle indemnisation, au risque de réclamations cumulées ou contradictoires, et
à la destination de la somme payée » (Ibidem, p. 360). Parmi ces auteurs préconisant un droit de tous les
Etats à l’indemnisation en cas de violation d’une obligation erga omnes, on peut citer Marina Spinedi et
Claudia Annacker (Cf. Ibidem, p. 360 et note 1243).
362
réparation d’un dommage matériel causé à des biens collectifs semble exclue »1362. Si,
même en cas de dommage matériel causés aux biens communs, l’indemnisation paraît
inappropriée, cette forme de réparation doit être exclue a fortiori lorsqu’un groupe
d’Etats ou la communauté internationale dans son ensemble n’a subi aucun dommage
matériel, tel qu’il en est en cas d’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat
étranger.
Par contre, la réparation sous forme de satisfaction par les autres Etats dans
l’intérêt du groupe ou de la communauté internationale dans son ensemble est en principe
concevable et on ne voit pas en quoi elle porterait préjudice à l’intérêt de l’Etat lésé ou
des bénéficiaires de l’obligation violée. Selon le rapporteur spécial de la C.D.I. James
Crawford, ce droit pourrait même être reconnu à chaque Etat. D’après lui, le droit pour
chaque Etat d’exiger la cessation d’une violation envers la communauté internationale
dans son ensemble a pour corollaire celui de « tous les Etats [de] prétendre à l’élément de
satisfaction consistant en une déclaration réparatoire, même s’ils n’avaient pas droit
individuellement à d’autres formes de satisfaction »1363. Il nous semble également que les
autres formes de satisfaction énumérées à l’article 37 du Projet de la C.D.I. et dans le
commentaire sous cet article ne porteraient nullement atteinte aux droits de l’Etat lésé si
elles venaient à être accordées aux autres Etats. Que l’Etat responsable présente par
exemple des excuses formelles et à l’Etat lésé et à la communauté internationale dans son
ensemble, il n’y aurait a priori aucune incompatibilité. En nous replaçant dans notre
hypothèse (atteinte simultanée aux intérêts « individuels » d’un Etat et des particuliers
ainsi qu’aux intérêts communautaires des Etats), la satisfaction « communautaire » ne
laisse pas de côté l’Etat lésé par l’exploitation illicite de ses ressources naturelles (et, par
ricochet, les particuliers). Cet Etat est certes moralement affecté à un double titre : d’une
part, il subit un préjudice moral dans sa sphère individuelle, d’autre part, il est affecté
moralement comme d’autres Etats par la violation d’une obligation erga omnes (partes)
au respect de laquelle il a un intérêt subjectif. Si pour la réparation du préjudice moral
1362
Ibidem, p. 362.
1363
J. CRAWFORD cité par la Commission du droit international, Rapport de la Commission du droit
international, Cinquante-deuxième session…, Op. cit., p. 94, § 351. Ce droit de tous les Etats à la réparation
n’a pas été retenu par le Projet d’articles de 2001.
363
Cette demande en réparation par tout Etat autre que l’Etat lésé, mais
seulement, de lege lata, dans l’intérêt de l’Etat lésé ou des bénéficiaires de l’obligation
violée et, de lege ferenda, également dans l’intérêt collectif d’un groupe d’Etats ou de la
communauté internationale dans son ensemble, soulève nécessairement une question de
compétence de la juridiction à saisir, que nous examinerons lors de l’étude de la mise en
œuvre juridictionnelle de l’obligation de réparer. En ce moment, il importe tout d’abord
de nous pencher sur la dernière catégorie de créanciers de la réparation : les particuliers.
C. Particuliers
Nous avons déjà largement expliqué qu’il résulte de l’exploitation illicite des
ressources naturelles d’un Etat en temps de conflit armé des dommages matériels et
moraux dans le chef des particuliers. Ces dommages proviennent des violations (graves)
du droit international humanitaire et emportent ainsi droit à réparation pour les victimes.
1364
P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit international public, Op. cit., p. 779. Pour les
détails sur les deux hypothèses, voir Ibidem, pp. 779-781.
1365
« Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux
dispositions de cet article a droit à réparation ».
1366
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit
à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été
commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles ». Sur cette consécration
implicite du droit à réparation à travers le droit à un recours effectif, voir P. D’ARGENT, Les réparations
de guerre en droit international public, Op. cit., p. 782. La même interprétation peut être faite de l’article 2,
§ 3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de l’article 25 de la Convention américaine
relative aux droits de l’homme et de l’article 7 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples,
qui consacrent le droit à un recours utile ou recours effectif.
1367
« Tout individu victime d'arrestation ou de détention illégale a droit à réparation ».
1368
« Lorsqu'elle reconnaît qu'un droit ou une liberté protégés par la présente Convention ont été violés, la
Cour ordonnera que soit garantie à la partie lésée la jouissance du droit ou de la liberté enfreints. Elle
ordonnera également, le cas échéant, la réparation des conséquences de la mesure ou de la situation à
laquelle a donné lieu la violation de ces droits et le paiement d'une juste indemnité à la partie lésée ».
1369
M. UBEDA-SAILLARD, « La diversité dans l’unité : l’arrêt rendu par la Cour internationale de Justice
le 30 novembre 2010 dans l’affaire Ahmadou Sadio Diallo », in R.G.D.I.P., 2011-4, p. 920.
365
1370
A titre illustratif, on peut citer, s’agissant des réparations des dommages causés par la première et la
deuxième guerres mondiales, la Commission des réparations instituée par l’article 233 du Traité de
Versailles (du 28 juin 1919, entré en vigueur le 10 janvier 1920), relative aux réparations allemandes à la
suite de la première guerre mondiale (Cf. P. D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit international
public, Op. cit., pp. 46, 50 et suivantes), la Commission des réparations de Moscou, créée par les accords
de Yalta, rendus publics le 11 février 1945, relative aux réparations allemandes à la suite de la deuxième
guerre mondiale (Cf. Ibidem, pp. 132-133 et 144), la Commission du contentieux siamo-britannique, créée
en 1946 par l’article II de l’accord entre le Siam et le Royaume-Uni pour la réparation des dommages subis
par les ressortissants britanniques suite aux « acquisitions » par le Siam des territoires britanniques à dater
du 15 janvier 1942 (Cf. Ibidem, pp. 294-295), les Commissions de conciliation instituées par le traité de
paix conclu le 10 février 1947 par les alliés de la deuxième guerre mondiale avec l’Italie concernant
l’indemnisation des dommages causés « du fait de la guerre » aux biens et intérêts alliés situés en Italie (Cf.
Ibidem, pp. 244 (note 819) et 259-263), des Commissions mixtes instituées par l’Accord pour le règlement
des différends résultant des dispositions de l’article 15 (a) du Traité de paix avec le Japon, conclu à
Washington, le 12 juin 1952, pour régler les différends pouvant surgir à propos des « réparations de
guerre » entre les puissances alliées et le Japon (Cf. Ibidem, p. 281 et note 934). A la suite des conflits
armés internationaux intervenus après la deuxième guerre mondiale, d’autres Commissions de réparations
ont été créées. Il y a lieu de mentionner tout d’abord la Commission d’indemnisation des Nations-Unies,
instituée par les résolutions 687 et 692 (1991) du Conseil de sécurité, chargée de traiter les réclamations
relatives à toute perte, tout dommage y compris l’environnement et la destruction des ressources naturelles
et de tous autres préjudices directs subis par des Etats étrangers et des personnes physiques et sociétés
étrangères du fait de l’invasion et de l’occupation du Koweït par l’Irak (Cf. A. KOLLIOPOULOS, La
366
En plus, avec l’affirmation bien établie des droits de l’individu sur le plan
international, certaines institutions lui reconnaissent le pouvoir de les faire valoir
directement contre l’Etat qui l’a préjudicié. Il en est de même de la personne morale
privée, bien qu’à un niveau plus réduit par rapport à celui de la personne physique. Bien
plus, les exigences de l’Etat de droit obligent chaque Etat à être justiciable devant ses
propres juridictions saisies par des particuliers.
internationales (1) ou par des juridictions internes de l’Etat auteur de ce fait illicite saisies
par des personnes privées (2).
1. Juridictions internationales
Pour la mise en œuvre de l’obligation de réparer par le biais des juridictions
internationales, l’on doit distinguer soigneusement les recours interétatiques (a) des
recours directs des particuliers contre un Etat (b).
Nous avons déjà montré que l’exploitation illicite des ressources naturelles
d’un Etat en cas de conflit armé constitue une violation d’obligations erga omnes (partes)
et parfois même une violation du jus cogens. L’importance des intérêts en cause donnent
ainsi droit à une actio popularis à chaque Etat membre de la communauté internationale
ou membre d’un groupe d’Etats dont l’intérêt collectif a été violé. Cependant, ce droit à
une actio popularis ne dispense pas son titulaire de répondre aux conditions de la
compétence de la juridiction saisie. C’est dans ce sens que la Cour internationale de
Justice, après avoir souligné que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est un droit
1372
Voir par exemple l’article 36 du statut de la Cour internationale de Justice ; sur la compétence
contentieuse du Tribunal international du droit de la mer, voir l’article 21 de son statut et les articles 297,
298 et 299 de la Convention des Nations unies de 1982 sur le droit de la mer.
1373
Cf. D. RUZIE, Op. cit., p. 196. Pour quelques exemples d’acceptation non formaliste de la compétence
de la C.I.J., voir « affaires du détroit de Corfou (1948), Congo/France (2003) et Djibouti/France (2006).
Mais rejet dans l’affaire Rép. démo. Congo/Rwanda (2006) » (Ibidem, p. 196).
368
opposable erga omnes, - pour ne pas dire mieux un droit omnium, ainsi que nous l’avons
déjà indiqué -, a tenu à apporter cette précision de taille : « [L]'opposabilité erga omnes
d'une norme et la règle du consentement à la juridiction sont deux choses différentes.
Quelle que soit la nature des obligations invoquées, la Cour ne saurait statuer sur la
licéité du comportement d'un Etat lorsque la décision à prendre implique une
appréciation de la licéité du comportement d'un autre Etat qui n'est pas partie à
l'instance. En pareil cas, la Cour ne saurait se prononcer, même si le droit en cause est
opposable erga omnes »1374.
Lorsqu’un recours est introduit par l’Etat lésé, les conditions exigées par le
Projet de la C.D.I. de 2001 aux articles 43 (notification par l’Etat lésé de sa demande à
l’Etat responsable), 44 (recevabilité de la demande) et 45 (renonciation de l’Etat lésé au
droit d’invoquer la responsabilité), dont nous avons déjà reproduit le contenu1376, doivent
être respectées. En revanche, en cas de recours par un Etat autre que l’Etat lésé, seul le
respect des conditions posées par les articles 43 et 45 est exigé, étant donné que l’article
44, qui pose les conditions de la protection diplomatique, n’est pas à vrai dire applicable
à cette situation, tel que nous l’avons déjà expliqué.
1374
Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 102, § 29.
1375
Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002) (République démocratique du
Congo c. Rwanda), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2006, p. 32, § 64. Pour un commentaire
sur cette décision, voir F. DOPAGNE, « Les exceptions préliminaires dans l’affaire des Activités armées
sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda) », in
A.F.D.I., Vol. 53, 2007, pp. 328-346.
1376
Voir note 1347.
369
Les développements qui suivent ne doivent pas nous faire oublier qu’il
appartient prioritairement à l’Etat lésé de réclamer réparation. L’actio popularis ne peut
intervenir qu’à titre exceptionnel, lorsque l’Etat lésé n’est pas lui-même en mesure de
1377
Sur la protection diplomatique, nous invitons le lecteur à se référer principalement au Projet de la
Commission du droit international de 2006 sur la protection diplomatique, qui intègre les acquis prétoriens,
en ménageant les divergences jurisprudentielles (Voir Commission du droit international, Rapport de la
Commission du droit international sur les travaux de sa cinquante-huitième session, Op. cit, pp. 13-103).
Pour la jurisprudence, voir principalement : Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt du 30 août 1924,
C.P.J.I. Série A, n°2, p. 1 ; Chemin de fer Panevezys-Saldutiskis, arrêt du 28 février 1939, C.P.J.I. Série
A/B, n° 76, p. 1 ; Affaire Nottebohm (deuxième phase), Arrêt du 6 avril 1955 : C. I. J. Recueil 1955, p. 4 ;
Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited, arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 6 ; Elettronica
Sicula S.P.A. (ELSI), arrêt, C.I.J. Recueil 1989, p. 15 ; LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique),
arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 466 ; Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis
d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2004, p. 12 ; Activités armées sur le territoire du Congo (République
démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 168 ; Ahmadou Sadio Diallo
(République de Guinée c. République démocratique du Congo), exceptions préliminaires, Arrêt, C.I.J.
Recueil 2007, p. 582 ; Eritrea Ethiopia Claims Commission, Final Award, Ethiopia’s Damages Claims, 17
August 2009; Eritrea Ethiopia Claims Commission, Final Award, Eritrea’s Damages Claims, 17 August
2009 ; Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 2010, p. 639 ; Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du
Congo) (Indemnisation due par la République démocratique du Congo à la République de Guinée), arrêt
du 19 juin 2012 ; etc. En doctrine, voir inter alia : J.-F. FLAUSS, La protection diplomatique. Mutations
contemporaines et pratiques nationales, Bruxelles, Bruylant, 2003 ; S. TOUZE, La protection des droits
des nationaux à l’étranger, Paris, Pedone, 2007 ; J. CHARPENTIER, « L’affaire de la Barcelona Traction
devant la Cour internationale de Justice (arrêt du 5 février 1970) », in A.F.D.I., Vol. 16, 1970, pp. 307-328 ;
J.-F. FLAUSS, « Protection diplomatique et protection internationale des droits de l’homme », in
R.S.D.I.E., 2003, pp. 1-36 ; S. FORLATI, « Protection diplomatique, droits de l’homme et réclamations
‘‘directes’’ devant la Cour internationale de Justice. Quelques réflexions en marge de l’arrêt
Congo/Ouganda », in R.G.D.I.P., tome 111, 2007, pp. 89-115 ; O. DE FROUVILLE, « Affaire Ahmadou
Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo). Exceptions préliminaires : Le
roman inachevé de la protection diplomatique », « Art. cit. », pp. 291-327 ; S. GARIBIAN, « Vers
l’émergence d’un droit individuel à la protection diplomatique ? », in A.F.D.I., Vol. 54, 2008, p. 119-141;
M. UBEDA-SAILLARD, « La diversité dans l’unité : l’arrêt rendu par la Cour internationale de Justice le
30 novembre 2010 dans l’affaire Ahmadou Sadio Diallo », « Art. cit. », pp. 897-923 ; S. EL BOUDOUHI,
« Affaire Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), Fond : La
CIJ est-elle devenue une juridiction de protection des droits de l’homme ? », in A.F.D.I., Vol. 56, 2010, pp.
277-299 ; C. LE BRIS, « Vers la ‘‘protection diplomatique’’ des non-nationaux victimes de violation des
droits de l’homme ? », in R.T.D.H., Vol. 90, 2012, pp. 329-345; etc.
370
réclamer réparation, notamment parce que les voies judiciaires semblent fermées (non
acceptation de la compétence de la Cour par le défendeur par exemple).
1378
C. LE BRIS, « Art. cit », p. 344. Plutôt que de parler d’une actio popularis visant la protection d’un
droit erga omnes, il aurait été plus précis de parler de droit omnium. Comme on l’a mentionné plus haut,
tous les droits erga omnes, c’est-à-dire opposables à tous, ne protègent pas d’intérêts collectifs d’un groupe
371
d’Etats ou de la Communauté internationale dans son ensemble. Par contre, un droit omnium protège
nécessairement une valeur collective (voir supra, chapitre IV, section I, §1, A, 1).
1379
Cf. Ibidem, pp. 342-343.
1380
Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited, arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 47, § 91.
1381
Cf. LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 494, § 77.
1382
Cf. Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil
2004, p. 35, 40.
1383
Cf. Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda),
arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 276, § 333.
1384
Cf. Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), exceptions
préliminaires, Arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 599, § 40.
1385
Cf. C. LE BRIS, « Art. cit. », pp. 343-344.
372
Au sujet des déductions faites par l’Etat avant de confier aux victimes le
montant « net » des indemnités, « là où la Commission d’indemnisation des Nations
Unies avait admis que les Etats pouvaient retenir à leur profit un petit pourcentage des
indemnités allouées à titre de ‘‘processing costs’’, [la Commission des réclamations
Erythrée-Ethiopie] a par contre exclu l’indemnisation des ‘‘preparation costs’’, lesquels
couvrent les frais des conseils juridiques »1389. Dans l’arrêt Diallo du 19 juin 2012 sur les
réparations, la Cour internationale de Justice n’envisage nullement de possibles
déductions de frais de procédure par l’Etat guinéen. Elle « tient à rappeler que
l’indemnité accordée à la Guinée dans l’exercice par celle-ci de sa protection
1386 « Article 8
Apatrides et réfugiés
1. Un Etat peut exercer la protection diplomatique à l’égard d’une personne apatride si celle-ci, à la date du
préjudice et à la date de la présentation officielle de la réclamation, a sa résidence légale et habituelle sur
son territoire.
2. Un Etat peut exercer la protection diplomatique à l’égard d’une personne à laquelle il reconnaît la qualité
de réfugié, conformément aux critères internationalement acceptés, si cette personne, à la date du préjudice
et à la date de la présentation officielle de la réclamation, a sa résidence légale et habituelle sur son
territoire.
3. Le paragraphe 2 ne s’applique pas dans le cas d’un préjudice dû à un fait internationalement illicite
commis par l’Etat de nationalité du réfugié ».
1387
Article 8 du Projet de la C.D.I. de 2006, Commentaire, § 2, in Commission du droit international,
Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa cinquante-huitième session, Op. cit.,
p. 49.
1388
Voir l’alinéa c) de l’article 19 antérieurement invoqué (note 1260).
1389
P. D’ARGENT et J. D’ASPREMONT, « La Commission des réclamations Erythrée-Ethiopie : un
premier bilan », « Art. cit. », p. 385. Ces auteurs se réfèrent à la décision S/AC.26/Dec. 250 (2005) sur
l’exclusion des ‘‘preparation costs’’ et à la décision S/AC.26/Dec. 18 (1994) sur les ‘‘processing costs’’,
qui permet à l’Etat de retenir 1,5 à 3% des sommes allouées selon les catégories de réclamations (Cf.
Ibidem, p. 385, note 235).
373
diplomatique à l’égard de M. Diallo, est destinée à réparer le préjudice subi par celui-
ci »1390. C’est assurément pour empêcher la Guinée d’affecter ce montant à d’autres fins,
notamment le paiement des frais et honoraires de ses conseils, avocats, etc. A ce niveau,
cet arrêt Diallo contient un aspect novateur concernant l’indemnité liée aux dommages
médiats de l’Etat. Il n’est pas question de la répartir entre l’Etat et les victimes
bénéficiaires de l’obligation violée. Par contre l’arrêt Diallo n’offre pas d’indication pour
ce qui est de la répartition de l’indemnité entre différentes victimes. Evidemment, en
l’espèce, il n’y avait qu’une seule victime et cette question n’avait pas de place.
Prenant en compte les acquis de l’arrêt Diallo de 2012, nous estimons que
cette discrétion des Etats « pour utiliser les indemnités qui leur seraient allouées dans le
cadre des réclamations interétatiques » doit désormais être écartée en cas de protection
diplomatique. Il revient à la juridiction saisie d’apprécier la consistance des dommages
subis par chacune des victimes et de lui allouer des montants proportionnels, bien sûr par
l’intermédiaire de l’Etat réclamant. Evidemment, en cas de difficultés, voire
d’impossibilité d’identifier individuellement les victimes, on pourrait faire recours aux
1390
Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo) (Indemnisation
due par la République démocratique du Congo à la République de Guinée), arrêt du 19 juin 2012, p. 20, §
57, disponible sur http://www.icj-cij.org/docket/files/103/17045.pdf consulté le 8 novembre 2012.
1391
P. D’ARGENT et J. D’ASPREMONT, « La Commission des réclamations Erythrée-Ethiopie : un
premier bilan », « Art. cit. », p. 389. Ce passage constitue pratiquement une lecture combinée de : Eritrea-
Ethiopia Claims Commission, Decision number 8 : Relief to War Victims, §§ 3 et 6, disponible sur
http://www.pca-cpa.org/showpage.asp?pag_id=1215 consulté le 10 février 2013.
374
1392
Voir notamment le cas de la Commission des réclamations Erythrée-Ethiopie souligné dans le texte
correspondant à la note précédente. Voir également l’affaire du Rainbow Warrior, dans laquelle le Tribunal
arbitral a recommandé la constitution d’un fonds fiduciaire pour la promotion des relations des citoyens de
la Nouvelle-Zélande et de la France (Sentence arbitrale du 30 avril 1990 (Nouvelle-Zélande c. France),
point 9 du dispositif, in R.G.D.I.P., 1990, p. 878).
1393
P. D’ARGENT et J. D’ASPREMONT, « La Commission des réclamations Erythrée-Ethiopie : un
premier bilan », « Art. cit. », p. 389.
1394
S. GARIBIAN, « Vers l’émergence d’un droit individuel à la protection diplomatique ? », in A.F.D.I.,
Vol. 54, 2008, p. 119.
1395
Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited, arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 44, § 79.
1396
J. DUGARD, « Premier rapport sur la protection diplomatique », A/CN. 4/506, 7 mars 2000, p. 22, §
74, Article 4, § 1 (abandonné).
375
l’homme, la Cour aurait pu dire que la réparation est due à Diallo (et non seulement
destinée à lui). Ce qui ne pouvait être le cas dans le cadre d’une protection diplomatique
au regard du droit international positif. Comme l’écrit Muriel Ubéda-Saillard, « le droit
positif ne permet pas de conclure à l’existence d’une obligation internationale, qui
incomberait à l’Etat, de verser à son ressortissant les indemnités reçues au titre de
l’exercice de sa protection diplomatique »1397. Il n’est pas sûr que la Cour soit suivie par
la Guinée pour accorder l’indemnité à Diallo. Dans tous les cas, on peut être tranquille
que la Cour, compte tenu de sa mission, ne se préoccupera pas de vérifier si la Guinée a
transmis l’indemnité à Diallo. En rappelant que l’indemnité est destinée à Diallo, elle
s’est acquittée d’un « devoir de conscience ». Cela dit, Saïda El Boudouhi répond par la
négative à la question de savoir si la Cour internationale de Justice est devenue une
juridiction de protection des droits de l’homme. En effet, lisons-nous sous sa plume, « la
Cour n’a fait […] qu’être cohérente dans sa démarche qui n’a jamais eu pour objectif de
protéger effectivement les droits de M. Diallo à la manière de certaines juridictions
régionales de protection des droits de l’homme. Son choix dans le domaine du mode de
réparation est significatif. Il s’inscrit dans la continuité davantage qu’il ne relève d’un
quelconque changement dans la conception que se fait la Cour de sa propre fonction ou
de celle de la protection diplomatique »1398.
1397
M. UBEDA-SAILLARD, « Art. cit. », p. 920. Selon cette auteure, le commentaire de la C.D.I. sur
l’article 19, c) de son Projet sur la protection diplomatique, selon lequel l’Etat devrait « [t]ransférer à la
personne lésée toute indemnisation pour le préjudice obtenue de l’Etat responsable, sous réserve des
déductions raisonnables » confirme cette idée en disant que « [b]ien que les législations nationales, la
jurisprudence et la doctrine révèlent une tendance à limiter le droit absolu de l’Etat de ne pas reverser aux
personnes lésées les sommes perçues à titre d’indemnités, ceci ne constitue probablement pas une pratique
établie » (Article 19 du Projet de la C.D.I. de 2006, Commentaire § 8, in Commission du droit
international, Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa cinquante-huitième
session, Op. cit, p. 103) (Cf. M. UBEDA-SAILLARD, « Art. cit. », pp. 920-921).
1398
S. EL BOUDOUHI, « Art. cit. », pp. 290-291.
376
les montants et les modalités de la réparation et de revenir vers elle seulement faute de
parvenir à un accord, dans un délai qu’elle peut fixer elle-même ou laisser à la diligence
des parties. En témoignent par exemple les affaires Nicaragua c. Etats-Unis1399, Congo c.
Ouganda1400 (dont un des chefs de demande de la RDC porte sur l’exploitation illicite des
ressources naturelles), pour la première hypothèse et Diallo1401, pour la seconde. Dans
certains cas, les arrangements des parties sont intervenus en cours d’instance et ont vidé
le litige de son objet1402. Pour parvenir à ces accords, les parties litigantes passent par des
négociations, lesquelles font parfois intervenir les bons offices, voire la médiation
d’autres Etats ou des Organisations internationales ou encore des personnalités
indépendantes, ce qui confirme l’idée selon laquelle la réparation peut faire intervenir
plusieurs modes de règlement pacifiques. C’est à ce titre que la Cour internationale de
Justice, dans l’affaire Nicaragua c. Etats-Unis, après avoir décidé que les formes et le
montant de cette réparation seront réglés par la Cour, au cas où les Parties ne pourraient
se mettre d'accord à ce sujet, a directement rappelé aux deux Parties l'obligation qui leur
incombe de rechercher une solution de leurs différends par des moyens pacifiques
conformément au droit international1403.
1399
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis
d'Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 149, § 292, point 15 du dispositif.
1400
Cf. Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda),
arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 257, §§ 260-261 et pp. 281 et 282, § 345, points 6 et 14 du dispositif.
1401
Cf. Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 2010, p. 692, § 164 ; Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République
démocratique du Congo) (Indemnisation due par la République démocratique du Congo à la République de
Guinée), arrêt du 19 juin 2012, p. 6, §§ 7-8, disponible sur http://www.icj-
cij.org/docket/files/103/17045.pdf consulté le 8 novembre 2012.
1402
Voir notamment l’affaire relative à Certaines terres à phosphates à Nauru (Cf. Cf. J. VERHOEVEN,
Op. cit., p. 633).
1403
Cf. Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis
d'Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 149, § 292, points 15 et 16 du dispositif.
377
Le recours direct des particuliers (surtout les personnes physiques) devant des
juridictions internationales de protection des droits de l’homme ne fait plus aujourd’hui
l’objet d’une quelconque polémique. La pratique de la Cour européenne des droits de
l’homme et celle de la Cour interaméricaine des droits de l’homme en sont des exemples
patents. La présentation de ces deux juridictions a été suffisamment élaborée, le plus
souvent par de grands experts, pour requérir quelque supplément de notre part. En outre,
nous limitant à l’exploitation illicite des ressources naturelles dans un contexte de conflits
armés en Afrique, les hypothèses dans lesquelles les litiges y relatifs pourraient être
réglés par l’une ou l’autre de ces juridictions sont difficilement concevables. Il ne nous
paraît pas utile de faire des développements à ce sujet.
1404
Cf. Article 2 du Protocole portant Statut de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme, adopté
par la onzième session ordinaire de la Conférence de l’Union africaine tenue le 1er juillet 2008 à Sharm El-
Sheikh (Egypte), disponible sur www.africa-union.org consulté le 11 février 2013.
378
de recours des personnes physiques ou des ONG contre lui1405. Cette admission des ONG
à ester devant la Cour ouvre la voie à une sorte d’actio popularis au profit de ces ONG,
quoique limitée par la condition de leur accréditation auprès de l’Union ou de ses organes
ou institutions.
1405
« Tout Etat partie, au moment de la signature ou du dépôt de son instrument de ratification ou
d’adhésion, ou à toute autre période après l’entrée en vigueur du Protocole peut faire une déclaration
acceptant la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes énoncées à l’article 30 (f) et concernant un
Etat partie qui n’a pas fait cette déclaration ».
1406
Voir http://www.africancourtcoalition.org consulté le 19 novembre 2013.
1407
Article 34, § 6 : « A tout moment à partir de la ratification du présent Protocole, l’Etat doit faire une
déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes énoncées à l’article 5 (3) du
présent Protocole. La Cour ne reçoit aucune requête en application de l’article 5 (3) intéressant un Etat
partie qui n’a pas fait une telle déclaration ». Voir ce protocole sur
http://www.afrimap.org/english/images/treaty/Protocole_CourAfrDHP.pdf consulté le 11 février 2013.
1408
Voir à ce sujet les affaires finalisées, sur http://www.african-court.org/fr/index.php/2012-03-04-06-06-
00/finalised-cases-closed consulté le 11 février 2013.
1409
Cf. Michelot Yogogombaye c. République du Sénégal, Requête n°001/2008, arrêt du 15 décembre 2009,
p. 12, § 46, point 1 du dispositif, disponible sur http://www.african-court.org/fr/index.php/2012-03-04-06-
06-00/finalised-cases-closed consulté le 11 février 2013.
1410
Cf. Articles 5, §3 et 34, § 6 du Protocole sur la Cour A.D.H.P.
379
compétence de la Cour pour connaître de tels recours . Ainsi, dans sa décision du 16 juin
2011, rendu en l’affaire Association Juristes d’Afrique pour la Bonne Gouvernance c.
République de Côte d’ivoire, la Cour A.D.H.P. a déclaré qu’en vertu de l’article 5, § 3 du
Protocole, elle n’a pas compétence pour connaître de la requête introduite par
l’Association Juristes d’Afrique pour la Bonne Gouvernance, faute de statut
d’observateur auprès de la Commission1411. Il en a été de même de la décision du 15
décembre 2011, dans l’affaire Convention Nationale des Syndicats du Secteur Education
(CONASYSED) c. République du Gabon1412. On peut toutefois s’étonner de constater que,
en l’affaire Delta International Investment SA, Mr. AGL de Lange and Mrs. M. de Lange
vs. The Republic of South Africa, la Cour a appliqué à une société d’investissements, la
Delta International Investment SA, les conditions prévues par les articles 5, § 3 et 34, § 6
du Protocole, alors qu’il ne s’agit ni d’un individu ni d’une ONG pouvant avoir statut
d’observateur auprès de la Commission1413. Dans son opinion individuelle, le juge Fatsah
Ouguergouz, tout en reconnaissant que la Cour devait se déclarer incompétente parce que
la République Sud-africaine n’a pas fait la déclaration d’acceptation de la compétence de
la Cour conformément à l’article 34, § 6, indique, en se référant à l’interprétation que
cette Cour a faite des mêmes articles dans l’affaire Michelot Yogogombaye c. République
du Sénégal, que la Cour a commis une erreur d’interprétation des articles 5, § 3 et 34, §
6 en ne prenant pas en compte la lettre et l’esprit de ces articles, qui font référence à un
recours émanant d’individus ou d’ONG dotées d’un statut d’observateur auprès de la
Commission1414.
1411
Cf. Association Juristes d’Afrique pour la Bonne Gouvernance c. République de Côte d’Ivoire, Requête
n°006/2011, décision du 15 décembre 2011, p. 3, §§7-9 et p. 4, § 11, point 1 du dispositif, disponible sur
http://www.african-court.org/fr/images/documents/orders/DECISION%20-%20APPLICATION%20006-
2011.pdf consulté le 11 février 2013.
1412
Cf. Convention Nationale des Syndicats du Secteur Education (CONASYSED) c. République du Gabon,
Requête n° 12/2011, décision du 15 décembre 2011, p. 4, §§ 7-12, disponible sur http://www.african-
court.org/fr/images/documents/orders/DECISION%20APPLICATION%20Requete%20No%20012-
2012CONASYSED%20VS%20GABON-French-Copy.pdf consulté le 11 février 2013.
1413
Cf. Delta International Investment SA, Mr. Agl de Lange and Mrs. M. de Lange vs. The Republic of
South Africa, Application 002/2012, Decision of 13 March 2012, pp. 3-4, §§ 4, 5, 8, 9 and 10, available at
http://www.africancourt.org/en/images/documents/case/Decision%20Application%20%20%20No%20002-
2012%20English.pdf consulted on 11.02.2013.
1414
Cf. Separate opinion of Judge Fatsah Ouguergouz, in Ibidem, §§ 1-3.
380
Il nous semble que la lacune relative aux recours pouvant être introduits
devant la Cour A.D.H.P. par des personnes morales privées autres que des ONG dotées
du statut d’observateur auprès de la Commission, inter alia les sociétés commerciales, est
due à une erreur inhérente au Protocole, laquelle a faussé l’interprétation de la Cour dans
l’affaire de la Delta International Investment SA. Il est vrai que la République sud-
africaine n’a pas fait de déclaration d’acceptation de la compétence de la Cour au titre de
l’article 34, § 6 du Protocole1415. Cela explique l’incompétence de la Cour1416. Le
problème se poserait plus clairement dans le cas où la République sud-africaine aurait fait
cette déclaration. Une société d’investissements, en l’occurrence la Delta International
Investment SA, pouvait-elle répondre à la condition d’être une ONG dotée du statut
d’observateur auprès de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples ?
La possibilité de demander le statut d’observateur auprès de la Commission africaine des
droits de l’homme est réservée à une organisation non gouvernementale ayant des
objectifs et des activités conformes aux principes fondamentaux et aux objectifs énoncés
dans la Charte de l'UA et dans la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et
qui œuvre effectivement dans le domaine des droits humains1417. On ne voit pas comment
et pourquoi la Commission peut octroyer ce statut d’observateur à une société
commerciale et on ne sait pas pour quel motif légitime lié à son intérêt économique, qui
est le but principal d’une société commerciale, celle-ci solliciterait ou accepterait un tel
statut si par impossible il lui était offert. Il nous semble que dans des cas mettant en jeu
un recours initié par une société commerciale, cette condition fera toujours défaut. Ceci
signifie que la Cour A.D.H.P. n’est pas apte à apporter des solutions aux prétentions des
sociétés commerciales, lesquelles, pour ce qui est de notre étude, ont pourtant été
sérieusement préjudiciées par l’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat en
cas de conflit armé.
1415
Cf. Ibidem, p. 3, § 8.
1416
Cf. Ibidem, pp. 3-4, §§ 9-10.
1417
Cf. Résolution sur les conditions d’octroi et de jouissance du statut d’observateur aux organisations
non-gouvernementales s’occupant des droits de l’homme auprès de la Commission africaine des droits de
l’homme et des peuples, adoptée à Bujumbura, le 5 mai 1999, disponible sur
http://old.achpr.org/francais/_info/observer_fr.html consulté le 11 février 2013.
381
1418
PH. GAUTIER, « La sentence rendue le 14 janvier 2003 par le tribunal arbitral constitué par le
Gouvernement de la République française et l'UNESCO sur la question du régime fiscal des pensions
versées aux fonctionnaires retraités de l'UNESCO résidant en France », in A.F.D.I., Vol. 49, 2003. p. 290.
1419
Voir par exemple au sujet de la répartition de l’indemnité par la Cour interaméricaine des droits de
l’homme et du versement de cette somme, K. BONNEAU, « La jurisprudence innovante de la Cour
interaméricaine des droits de l’homme en matière de droit à réparation des victimes de violations des droits
de l’homme », in L. HENNEBEL et H. TIGROUDJA (sous la direction de), Le particularisme
interaméricain des droits de l’homme, Paris, Pedone, 2009, pp. 367-368. Voir également K. BONNEAU,
« Le droit à réparation des victimes des violations des droits de l’homme : le rôle pionnier de la Cour
interaméricaine des droits de l’homme », in Droits fondamentaux, 2007, disponible sur http://www.droits-
fondamentaux.org/IMG/pdf/df6kbciadh.pdf consulté le 12 février 2013.
382
En revanche, à l’égard d’un Etat ayant apporté une assistance à l’Etat auteur
de l’exploitation illicite des ressources naturelles, l’appréciation de la pertinence de
l’action en réparation des individus doit être nuancée. Il convient de rappeler le
commentaire de la C.D.I., que nous avons mentionné antérieurement quasiment dans les
mêmes termes à propos de l’Etat qui prête aide ou assistance à l’Etat auteur de
1420
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-
Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 234, § 462 ; Ahmadou Sadio Diallo
(République de Guinée c. République démocratique du Congo) (Indemnisation due par la République
démocratique du Congo à la République de Guinée), arrêt du 19 juin 2012, p. 9, § 14, disponible sur
http://www.icj-cij.org/docket/files/103/17045.pdf consulté le 8 novembre 2012.
1421
Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1949, pp.
181-182.
383
l’exploitation illicite, selon lequel si « l’assistance n’a été qu’un facteur incident dans la
commission de l’acte primaire et n’a contribué qu’à un degré mineur au préjudice subi,
voire n’y a pas contribué du tout [,] [l]’Etat qui en aide un autre à commettre un fait
internationalement illicite ne devrait pas nécessairement être tenu d’indemniser la victime
de toutes les conséquences du fait, mais seulement de celles qui […] découlent de sa
propre conduite »1422 et si « l’assistance est un élément nécessaire du fait illicite, sans
lequel le fait en question ne se serait pas produit, le préjudice subi peut être attribué
concurremment à l’Etat qui assiste et à celui qui agit »1423. Ce faisant, en estant en justice
contre l’Etat ayant accordé l’aide à l’Etat auteur de l’exploitation illicite dont résultent
leurs préjudices, les particuliers doivent bien préciser le rôle effectivement joué par cette
aide dans la commission du fait dommageable à eux.
2. Juridictions internes de l’Etat auteur de l’acte illicite saisies par des personnes
privées
La règle de l’immunité de l’Etat devant des juridictions d’un autre Etat (Par
in parem non habet imperium) est bien établie en droit des gens, ainsi qu’il ressort de
l’arrêt Al-Adsani c. Royaume –Uni rendu par la Cour de Strasbourg1424. La Cour
internationale de Justice a eu l’occasion d’y consacrer récemment son arrêt du 3 février
2012, rendu en l’affaire relative aux Immunités juridictionnelles de l’Etat1425, qui a
opposé l’Allemagne à l’Italie. La littérature sur ce thème est abondante1426. Dans le
1422
Article 16 du Projet de la C.D.I. de 2001 sur la responsabilité de l’Etat, Commentaire, § 10, in J.
CRAWFORD, Op. cit., p. 181.
1423
Article 16 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 10, in Ibidem, p. 181.
1424
Cf. Al-Adsani c. Royaume –Uni (Requête n°35763/97), Arrêt, 21 novembre 2001, § 54.
1425
Cf. Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie), Grèce (Intervenant)), arrêt du 3 février
2012, disponible sur http://www.icj-cij.org/docket/files/143/16884.pdf consulté le 19 novembre 2013.
1426
Voir notamment : S. EL SAWAH, Les immunités des Etats et des Organisations internationales :
immunités et procès équitable, Bruxelles, Larcier, 2012 ; I. PINGEL-LENUZZA, Les immunités des Etats
en droit international, Bruxelles, Bruylant, 1998 ; CONSEIL DE L’EUROPE et G. HAFNER (sous la
direction de), La pratique des Etats concernant les immunités des Etats, Leiden, Brill, 2006 ; J.
VERHOEVEN (sous la direction de), Le droit international des immunités : contestation ou
consolidation ?, Paris/ Bruxelles, L.G.D.J./Larcier, 2004 ; etc.
384
1427
Commission du droit international, Rapport de la Commission du droit international. Soixante-
quatrième session (7 mai-1er juin et 2 juillet- 3 août 2012), A/67/10, p. 105, § 130.
1428
Voir notamment A. BELLAL, Immunités et violations graves des droits humains. Vers une évolution
structurelle de l’ordre juridique international ?, Bruxelles, Bruylant, 2011 ; Immunités juridictionnelles de
l’Etat (Allemagne c. Italie), Grèce (Intervenant)), arrêt du 3 février 2012, disponible sur http://www.icj-
cij.org/docket/files/143/16884.pdf consulté le 19 novembre 2013.
1429
S. EL SAWAH, Op. cit., pp. 37 et 39.
1430
Voir J.O. spécial bis du 30/07/2004, disponible sur
http://www.lexadin.nl/wlg/legis/nofr/oeur/lxwerwa.htm (voir Civil Law) consulté le 14 février 2013.
1431
« Sauf lorsqu’ils sont demandeurs en restitution de leur dû, tous les étrangers, demandeurs principaux
ou intervenants, sont tenus, si le défendeur le requiert, de fournir au préalable une certaine caution devant
385
lorsque l’Etat y est condamné par une décision juridictionnelle coulée en force de chose
jugée1432.
Une action devant une juridiction de l’Etat auquel est imputable le fait illicite
constituerait un test de crédibilité pour l’indépendance du pouvoir judiciaire à l’égard du
pouvoir exécutif. Elle servirait également de test de l’existence d’un Etat de droit. Les
chances d’une telle action seraient absolument subordonnées à la normalisation des
relations entre l’Etat de la nationalité des requérants et l’Etat du for. La sécurité des
demandeurs contre l’Etat du for en dépend pour beaucoup.
Pour intenter leurs actions devant les juridictions internes, les particuliers
lésés par l’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat par un autre Etat
devront rester particulièrement attentifs au délai de prescription, qui est généralement de
trente ans pour de nombreuses législations de tradition civiliste. Nous saisissons cette
occasion pour souligner que, contrairement au droit interne, le droit international public
ne semble pas admettre la prescription extinctive ou libératoire1433.
servir de payement des frais et dommages-intérêts résultant du procès, auxquels ils peuvent être condamnés
sous réserve des conventions par lesquelles des Etats auraient stipulées pour leurs ressortissants la dispense
de la caution judicatum solvi ».
1432
« Lorsqu’une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée a condamné l’Etat […] au
paiement d’une somme d’argent dont le montant est fixé par la décision elle-même, cette somme doit être
payée dans les six (6) mois à compter de la signification du jugement. Si les fonds disponibles sont
insuffisants, le paiement est fait dans la limite des fonds disponibles. Les ressources nécessaires pour le
compléter doivent être prévues pour l’exercice budgétaire suivant et le paiement effectué dans les premiers
six (6) mois de l’exercice ».
1433
Sur la problématique de la prescription extinctive en droit international public, voir, inter alia, P.
D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit international public, Op. cit., pp. 813-822 ; J. SALMON
(sous la direction de), Op. cit., pp. 870-871.
386
B. Contre-mesures réparatoires
1434
« Article 22
Contre-mesures à raison d’un fait internationalement illicite
L’illicéité du fait d’un Etat non conforme à l’une de ses obligations internationales à l’égard d’un autre Etat
est exclue si, et dans la mesure où, ce fait constitue une contre-mesure prise à l’encontre de cet autre Etat
conformément au chapitre II de la troisième partie ».
1435
D. ALLAND, « Les contre-mesures d’intérêt général », in P.-M. DUPUY (sous la direction de),
Obligations multilatérales, droit impératif et responsabilité internationale des Etats, Op. cit., p. 167. Les
mesures des Organisations internationales et les mesures de rétorsion sont écartées du cadre conceptuel de
la C.D.I. sur les contre-mesures car elles ne posent aucun problème de responsabilité pour fait illicite
puisqu’elles supposent le respect par l’Etat qui les adopte de ses engagements internationaux (Cf. Ibidem,
p. 167, note 2).
1436
Cf. F. DOPAGNE, Les contre-mesures des organisations internationales, Louvain-la-Neuve, Anthemis
S.A., 2010, p. 13. Pour une étude approfondie des contre-mesures en droit international public, voir
notamment CH. LEBEN, « Les contre-mesures inter-étatiques et les réactions à l’illicite dans la société
internationale », in A.F.D.I., Vol. 28, 1982, pp. 9-77 ; A.-L. SICILIANOS, Les réactions décentralisées à
l’illicite : des contre-mesures à la légitime défense, Paris, L. G.D.J., 1990 ; L. BOISSON DE
CHAZOURNES, Les contre-mesures dans les relations internationales économiques, Paris, Pedone,
1992 ; ALLAND, Justice privée et ordre juridique international. Etude théorique des contre-mesures en
droit international public, Paris, Pedone, 1994 ; L.-A. SICILIANOS, « La codification des contre-mesures
par la Commission du droit international », in R.B.D.I., 2005/1-2, pp. 447-500 ; etc.
1437
Sentence arbitrale du 9 décembre 1978 en l’affaire concernant l’accord relatif aux services aériens du
27 mars 1946 entre les Etats-Unis d’Amérique et la France, in Nations Unies, Recueil des sentences
arbitrales (R.S.A.), Vol. XVIII, p. 483, § 81.
387
propres risques, si sa perception de l’illicéité se révèle mal fondée […] et peut encourir
une responsabilité à raison de son propre comportement illicite dans l’hypothèse d’une
appréciation inexacte »1438.
1438
Cf. Article 49 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 3, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 339-340.
1439
Projet Gabcikovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C. I. J. Recueil 1997, pp. 56-57, § 87.
1440
« Article 49
Objet et limites des contre-mesures
1. L’Etat lésé ne peut prendre de contre-mesures à l’encontre de l’Etat responsable du fait
internationalement illicite que pour amener cet Etat à s’acquitter des obligations qui lui incombent en vertu
de la deuxième partie.
2. Les contre-mesures sont limitées à l’inexécution temporaire d’obligations internationales de l’Etat
prenant les mesures envers l’Etat responsable.
3. Les contre-mesures doivent, autant que possible, être prises d’une manière qui permette la reprise de
l’exécution des obligations en question ».
1441
F. DOPAGNE, Les contre-mesures des organisations internationales, Op. cit., p. 13. Voir également,
D. ALLAND, Justice privée et ordre juridique international. Etude théorique des contre-mesures en droit
international public, Op. cit., pp. 187-190, qui distingue l’exécution forcée de l’obligation de réparer de son
exécution d’office.
1442
Cf. Article 49 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 2, in J. CRAWFORD, Op. cit., p. 339 ; Projet
Gabcikovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C. I. J. Recueil 1997, p. 55, § 83 ; Activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique), fond, arrêt, C.I.J.
Recueil 1986, p. 127, § 249 ; Sentence arbitrale du 9 décembre 1978 en l’affaire concernant l’accord
388
relatif aux services aériens du 27 mars 1946 entre les Etats-Unis d’Amérique et la France, in Op. cit., p.
483, § 81 ; « Naulilaa » (Responsabilité de l’Allemagne à raison des dommages causés dans les colonies
portugaises du Sud de l’Afrique), Nations Unies, R.S.A., Vol. II, 1928, pp. 1011-1033.
1443
Cf. Article 49 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 4, in Ibidem, p. 341. Le caractère temporaire des
contre-mesures est confirmé par l’article 53 du Projet de la C.D.I. de 2001, aux termes duquel « [i]l doit
être mis fin aux contre-mesures dès que l’Etat responsable s’est acquitté des obligations qui lui incombent à
raison du fait internationalement illicite […] ».
1444
« Article 50
Obligations ne pouvant être affectées par des contre-mesures
1. Les contre-mesures ne peuvent porter aucune atteinte :
a) A l’obligation de ne pas recourir à la menace ou à l’emploi de la force telle qu’elle est énoncée dans la
Charte des Nations Unies;
b) Aux obligations concernant la protection des droits fondamentaux de l’homme;
c) Aux obligations de caractère humanitaire excluant les représailles;
d) Aux autres obligations découlant de normes impératives du droit international général.
2. L’Etat qui prend des contre-mesures n’est pas dégagé des obligations qui lui incombent :
a) En vertu de toute procédure de règlement des différends applicable entre lui et l’Etat responsable;
b) De respecter l’inviolabilité des agents, locaux, archives et documents diplomatiques ou consulaires ».
1445
« Article 51
Proportionnalité
Les contre-mesures doivent être proportionnelles au préjudice subi, compte tenu de la gravité du fait
internationalement illicite et des droits en cause ».
1446
Pour une appréciation de ces critères, voir Ibidem, pp. 482-483. Sur la proportionnalité des contre-
mesures, voir également F. DOPAGNE, Les contre-mesures des organisations internationales, Op. cit., pp.
402-426.
1447
Les conditions procédurales de l’adoption des contre-mesures peuvent se résumer comme suit :
demander d’abord à l’Etat responsable de s’acquitter des obligations qui lui incombent (ici l’obligation de
réparer), notifier à l’Etat responsable toute décision de prendre des contre-mesures et offrir de négocier
avec cet Etat. Mais ces conditions n’empêchent pas l’Etat lésé de prendre des contre-mesures urgentes à
titre conservatoire, en cas de nécessité. Enfin, les contre-mesures ne peuvent être prises et, si elles le sont
déjà, doivent être suspendues sans retard indu, en cas de cessation du fait internationalement illicite ou
lorsque le différend est en cours de règlement par une juridiction habilitée à rendre une décision obligatoire
pour les parties, à moins que l’Etat responsable ne manifeste une mauvaise foi quant à l’exécution des
décisions de ladite juridiction.
389
Le principe de l’effet relatif des contre-mesures exclut leur adoption par des
Etats autres que l’Etat lésé1449. En vertu de l’article 54 du Projet de la C.D.I. de 20011450,
les Etats autres que l’Etat lésé, peuvent en cas de violation d’obligations erga omnes
(partes), prendre des « mesures licites » à l’encontre de l’Etat responsable « afin
d’obtenir la cessation de la violation ainsi que la réparation dans l’intérêt de l’Etat lésé ou
des bénéficiaires de l’obligation violée ».
1448
Cf. D. ALLAND, Justice privée et ordre juridique international. Etude théorique des contre-mesures
en droit international public, Op. cit., pp. 189-190.
1449
Les contre-mesures ont un effet relatif en ce qu’elles s’appliquent uniquement aux relations juridiques
entre l’Etat responsable et l’Etat lésé, sans directement affecter, en principe, les relations de l’un ou l’autre
de ces deux Etats en litige avec les Etats tiers (Cf. Article 49 du Projet de la C.D.I., Commentaire, § 4, in J.
CRAWFORD, Op. cit., p. 340).
1450
« Article 54
Mesures prises par des Etats autres qu’un Etat lésé
Le présent chapitre est sans préjudice du droit de tout Etat, habilité en vertu du paragraphe 1 de l’article 48
à invoquer la responsabilité d’un autre Etat, de prendre des mesures licites à l’encontre de ce dernier afin
d’assurer la cessation de la violation ainsi que la réparation dans l’intérêt de l’Etat lésé ou des bénéficiaires
de l’obligation violée ».
390
primordial dans l’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat étranger en
période de conflit armé (chapitre V).
391
Par « dirigeants des Etats », nous entendons, pour utiliser la définition que
donne à cette expression Alvaro Borghi, non seulement les chefs d’Etats, les chefs de
gouvernements et les ministres des affaires étrangères, qui jouissent d’un statut particulier
en droit international, mais également les autres dirigeants politiques, notamment les
autres ministres et autres officiels de rang élevé1451. Cette définition peut paraître
restrictive, voire floue, mais elle nous semble suffisante aux fins de notre recherche,
comme on le verra incessamment. Certes, d’aucuns pourraient s’attendre légitimement à
une définition plus large des dirigeants des Etats, englobant les « agents de l’Etat », c’est-
à-dire les personnes exerçant des fonctions politiques, gouvernementales ou électives, ou
celles exerçant des fonctions administratives, bref, toutes personnes agissant à titre
officiel et pouvant de ce fait engager la responsabilité internationale de l’Etat1452. Nous
envisageons la responsabilité des dirigeants politiques d’un Etat qui a « participé » à
l’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat étranger en période de conflit
armé. La décision visant à déclencher un conflit armé contre un Etat étranger et/ou à
exploiter de manière illicite (systématique) ses ressources naturelles est généralement,
sinon toujours, prise par les plus hautes autorités de l’Etat auteur, comme en témoignent
les conflits armés examinés dans cette étude. Et quand bien même cette exploitation
illicite des ressources naturelles pourrait être décidée et/ou opérée par des autorités
décentralisées, le pouvoir central en demeurerait responsable au regard du droit
international. Dès lors, nous avons, aux fins de notre recherche, préféré la définition
restrictive des dirigeants de l’Etat, mentionnée ci-avant. Le pillage des ressources
naturelles d’un Etat constitue un crime de guerre1453. On définit généralement les crimes
1451
Cf. A. BORGHI, L’immunité des dirigeants politiques en droit international, Bâle, Helbing
&Lichtenhahn, 2003, pp. 13-18 et 39-40.
1452
Cf. E. DECAUX et L. TRIGEAUD, « Les immunités pénales des agents de l’Etat et des organisations
internationales », in H. ASCENSIO, E. DECAUX et A. PELLET (sous la direction de), Droit international
pénal (deuxième édition révisée), Paris, Pedone, 2012, p. 545, § 1.
1453
Voir notamment: Article 3, § 1er, e) du Statut du TPIY; article 4, § 1er, f) du Statut du TPIR ; article 3
du Statut du TSSL et article 8, b), xvi) du Statut de la CPI. Sur cette question voir, notamment: J. G.
STEWART, Corporate War Crimes. Prosecuting the Pillage of Natural Resources, New York, Open
392
Dans le cadre de cette étude, nous rappellerons tout d’abord dans quelle
mesure les immunités dont jouissent les dirigeants d’Etats étrangers constituent un
obstacle à une action contre eux devant une juridiction nationale de l’Etat victime de
Society Foundations, 2010; M. A. LUNDBERG, ‘‘The Plunder of Natural Resources during War: A War
Crime (?)’’, in Georgetown Journal of International Law, Vol. 39, 2007-2008, p. 525: ‘‘An explicit war
crime statute referencing only the plunder of natural resources does not yet exist, but the current ICC
statutes outlawing pillage of public and private property include resource plunder in their scope. From the
earliest codifications of international laws of war, the international community has sought to protect public
and private property from unjustified appropriation and abuse. Under the language of various
international treaties and both civil and criminal prosecutions, such property includes natural resources.
Moreover, the power of an occupying force to exploit areas under its control has always been limited.
Occupying a territory brings with it a host of responsibilities, including the duty to uphold local laws on
resource exploitation and to protect private property rights in order to ensure that unjustified plunder of
natural resources does not occur’’.
1454
A. CASSESE, D. SCALIA et V. THALMANN, Les grands arrêts de droit international pénal, Paris,
Dalloz, 2010, p. 131.
1455
Cf. TPIY, Tadic, Chambre d’appel, Arrêt relatif à l’appel de la défense concernant l’exception
préjudicielle d’incompétence, 2 octobre 1995, § 94. A titre d’exemple, la Chambre d’appel note que « le
fait qu'un combattant s'approprie simplement un pain dans un village occupé ne constituerait pas une
‘‘violation grave du droit international humanitaire’’ bien que cet acte puisse relever du principe
fondamental énoncé à l'article 46 par. 1 des Règles de La Haye (et de la règle correspondante du droit
coutumier) selon laquelle ‘‘les biens privés doivent être respectés’’ par toute armée occupant un territoire
ennemi » (Ibidem, § 94).
1456
Voir article 50 CG I, article 51 CG II, et article 147 CG IV. Voir également l’article 8, § 2, a), iv) du
Statut de la C.P.I.
1457
Voir article 50 CG I, article 51 CG II, et article 147 CG IV. Voir également l’article 8, § 2, a), iv) du
Statut de la C.P.I.
393
l’exploitation illicite de ses ressources naturelles ou devant une autre juridiction étrangère
(section I). Nous n’aborderons pas les questions relatives aux poursuites contre des
dirigeants politiques impliqués dans l’exploitation illicite des ressources naturelles d’un
Etat étranger devant des juridictions de leurs Etats. Ces dirigeants jouissent d’immunités
pénales et il nous paraît pratiquement utopique de préconiser la levée de ces immunités
par ces Etats au profit d’un Etat étranger. Par contre, nous traiterons brièvement de leur
responsabilité devant des juridictions internationales pénales compétentes pour ce qui est
de l’exploitation illicite des ressources naturelles durant le conflit armé dans cet Etat
(section II).
§1. Bénéficiaires, source et portée des immunités de juridiction pénale des dirigeants
politiques
1458
Cf. A. BORGHI, Op. cit., pp. 15-17.
394
1459
Cf. PH. GAUTIER, « Le législateur belge et la compétence universelle », in Annales de Droit de
Louvain, Vol. 64, 2004, n° 1-2, p. 152.
1460
Cf. Commission du droit international, Rapport de la Commission du droit international. Soixante-
quatrième session (7 mai-1er juin et 2 juillet- 3 août 2012), A/67/10, p. 102, § 114.
1461
Cf. Ibidem, pp. 102-103, § 114.
1462
Cf. Ibidem, pp. 103-104, §§ 119-120.
1463
Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, C.I.J.
Recueil 2002, pp. 20-21, § 51.
1464
Cf. Ibidem, p. 21, § 53: « En droit international coutumier, les immunités reconnues au ministre des
affaires étrangères ne lui sont pas accordées pour son avantage personnel, mais pour lui permettre de
s'acquitter librement de ses fonctions pour le compte de 1'Etat qu'il représente ».
1465
Dans son opinion dissidente, la juge ad hoc Christine Van den Wyngaert conclut que « si le ministre
des affaires étrangères en exercice bénéficie bien d’immunités, celles-ci ne trouvent pas leur origine dans le
droit international coutumier mais relèvent de la courtoisie internationale » (Mandat d’arrêt du 11 avril
2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, Opinion dissidente de la
juge ad hoc Christine Van den Wyngaert, p. 163, § 39). La juge ad hoc s’appuie notamment sur le rapport
spécial de la C.D.I. sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens (Cf. Ibidem, p. 147, § 17).
Voir Commission du droit international, Annuaire de la Commission du droit international, 1989, Vol. II
(2), Deuxième partie, p. 146, § 446. Cette position est également partagée par le juge Awn Al-Khasawneh
(Cf. Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, C.I.J.
Recueil 2002, Opinion dissidente du juge Al-Khasawneh, p. 95, § 1) ainsi que par les juges Rosalyn
Higgins, Pieter Kooijmans et Thomas Buergenthal (Cf. Ibidem, Opinion individuelle commune de Mme
Higgins, M. Kooijmans et M. Buergenthal, p. 87, § 81). Dans la doctrine, on peut mentionner que Maurice
Kamto souligne que la Cour « a bâti son arrêt sur un argument axiomatique reposant sur un raisonnement
395
Commission du droit international. Alors qu’en 1989, la C.D.I. avait considéré que les
immunités reconnues au ministre des affaires étrangères relevaient de la courtoisie
internationale plutôt que de la coutume internationale1466, elle les a expressément
consacrées, en 2013, à titre de développement progressif du droit international1467. Le
projet d’article 3 sur l’immunité de juridiction pénale étrangère des représentants de
l’Etat adopté le 7 juillet 2013 à titre provisoire dispose : « Les chefs d’Etat, les chefs de
par analogie qui conduit à la transposition ou la translation de l’immunité du chef de l’Etat au ministre des
Affaires étrangères. […] L’analogie entre les deux hauts responsables de l’Etat ne vaut pas constatation
d’une règle coutumière. La Cour aurait donc dû exposer et discuter de manière approfondie la pratique
qu’elle dit avoir examiné afin de laisser émerger la règle de l’immunité des ministres des Affaires
étrangères ; soit comme une norme coutumière, soit à tout le moins comme un principe général de droit, au
lieu de la traiter par prétérition » (M. KAMTO, « Une troublante ‘‘immunité totale’’ du ministre des
Affaires étrangères (Sur un aspect de l’arrêt du 14 février 2002 dans l’affaire relative au Mandat d’arrêt du
11 avril 2000) », in R.B.D.I., 2002/1-2, pp. 519 et 521. Dans le même ordre d’idées, Philippe Sands
conclut : ‘‘Irrespective of one’s view on the merits of the Court’s approach to the substantive immunity
issues in the Arrest Warrant case, its reasoning is unsatisfactory. As the principal judicial organ of the
United Nations the Court has a particular responsibility to provide clear and detailed reasons for its
conclusions, and to make clear the extent to which its approach turns on the particular facts before it. […]
The absence of reasoning can only undermine the Court’s authority and effectiveness” (PH. SANDS,
‘‘What is the ICJ for?’’, in R.B.D.I., 2002/1-2, pp. 544-545). Par contre, Jean Salmon écrit : « Il faut bien
dire que tant la pratique que la doctrine sont particulièrement lacunaires sur le statut du ministre des
Affaires étrangères. La Cour n’a pas pris beaucoup de peine […] pour justifier le statut qu’elle décrit
comme étant le droit. Pas le moindre exemple de pratique étatique ou jurisprudentielle. Ceci confirme – si
besoin en était – le rôle créateur de la Cour dès qu’elle s’instaure en porte-voix du droit coutumier […] » (J.
SALMON, « Libres propos sur l’arrêt de la C.I.J. du 14 février 2002 dans l’affaire relative au Mandat
d’arrêt du 11 avril 2000 (R.D.C. c. Belgique) », in R.B.D.I., 2002/1-2, p. 513). Dans le même sens, Joe
Verhoeven opine sur la question de l’origine coutumière des immunités du ministre des affaires étrangères :
« D’aucuns estimeront peut-être que la Cour aurait pu fournir plus de ‘‘justifications’’. Peut-être. Il ne faut
cependant pas se tromper. La Cour ‘‘sait le droit’’, à tout le moins général ; elle n’a pas à le ‘‘prouver’’. Il
lui est loisible d’en offrir les illustrations ou les applications qu’elle juge opportunes, dans un souci
‘‘pédagogique’’ ; il ne lui incombe pas d’en fournir la ‘‘preuve’’ à qui que ce soit. Il n’y aurait dès lors pas
de sens pour elle à rejeter une demande au seul motif que la règle – générale – sur laquelle elle s’appuie n’a
pas été établie à suffisance de droit » (J. VERHOEVEN, « Quelques réflexions sur l’affaire relative au
Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 », in R.B.D.I., 2002/1-2, p. 532).
1466
Cf. Commission du droit international, Annuaire de la Commission du droit international, 1989, Vol. II
(2), Deuxième partie, p. 146, § 446.
1467
« Néanmoins, selon un membre de la Commission qui estimait que l’arrêt de la Cour [ en l’affaire du
Mandat d’arrêt] ne démontrait pas l’existence d’une règle coutumière, vu que cet arrêt n’avait pas suscité
d’opposition parmi les Etats, l’absence d’une telle règle n’empêchait pas la Commission d’inclure le
ministre des affaires étrangères parmi les personnes jouissant de l’immunité de juridiction pénale étrangère
ratione personae, à titre de développement progressif du droit international, compte tenu des fonctions que
ce ministre exerçait dans les relations internationales » (Commission du droit international, Rapport de la
Commission du droit international, soixante-cinquième session (6 mai-7 juin et 8 juillet-9 août 2013),
A/68/10, pp. 63-64, § 5).
396
A en croire Marc Henzelin, les immunités ont pour base les principes
fondamentaux qui permettent d’assurer la cohabitation harmonieuse entre les Etats, à
savoir l’égalité souveraine des Etats, le respect mutuel et la non-ingérence1469. Il en
résulte que, de l’avis de Pierre d’Argent, « [l]’immunité est d’ailleurs plus une obligation
que les juridictions du for doivent respecter qu’un droit du représentant étranger mis en
cause devant elles »1470. Ainsi, par exemple, dans l’affaire Kadhafi, la Cour de cassation
française a jugé que « la coutume internationale s’oppose à ce que les chefs d’Etats en
exercice puissent, en l’absence de dispositions internationales contraires s’imposant aux
parties concernées, faire l’objet de poursuites devant les juridictions pénales d’un Etat
étranger »1471. Dans l’arrêt Yerodia, la Cour internationale de Justice a jugé que
« l'émission, à l'encontre de M. Abdulaye Yerodia Ndombasi, du mandat d'arrêt du 11
avril 2000, et sa diffusion sur le plan international ont constitué des violations d'une
obligation juridique du Royaume de Belgique à l'égard de la République démocratique
du Congo, en ce qu'elles ont méconnu l'immunité de juridiction pénale et l'inviolabilité
dont le ministre des affaires étrangères en exercice de la République démocratique du
Congo jouissait en vertu du droit international »1472. Concernant les immunités pénales
1468
Ibidem, p. 53.
1469
Cf. M. HENZELIN, « L’immunité pénale des chefs d’Etat en matière financière. Vers une exception
pour les actes de pillage de ressources et de corruption ? », in R.S.D.I.E., 2/2002, p. 211.
1470
P. D’ARGENT, « Les nouvelles règles en matière d’immunités selon la loi du 5 août 2003 », in
Annales de Droit de Louvain, Vol. 64, 2004, n° 1-2, p. 194. Voir J. D’ASPREMONT et F. DOPAGNE,
« La loi ‘‘de compétence universelle’’ devant la Cour internationale de Justice », Observations sous l’arrêt
de la Cour internationale de Justice du 14 février 2002, in Journal des tribunaux, 2002, p. 288.
1471
Cass. crim., 13 mars 2001, n° 00-87215, in R.G.D.I.P., 2001, p. 474 et note FL. POIRAT.
1472
Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, C.I.J.
Recueil 2002, p. 33, § 78, point 2 du dispositif. Il convient de noter que dans l’affaire relative à Certaines
questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale (Djibouti c. France), la CIJ a considéré que
l’invitation adressée au Président de Djibouti à déposer devant une juridiction française était dépourvue de
caractère coercitif et n’a donc pas porté atteinte aux immunités du chef de l’Etat de Djibouti parce que
l’agrément de ce dernier a été sollicité pour cette demande de témoignage (Cf. Certaines questions
concernant l’entraide judiciaire en matière pénale (Djibouti c. France), arrêt, C.I.J. Recueil, 2008, p. 240,
§ 179). Dans la même affaire, la Cour n’a pas reconnu l’immunité du Procureur de la République et celle
du chef de la Sécurité nationale (Cf. Ibidem, pp. 240-244, §§ 181-197). Voir spécialement ce passage : « La
Cour constate tout d’abord qu’il n’existe en droit international aucune base permettant d’affirmer que les
fonctionnaires concernés étaient admis à bénéficier d’immunités personnelles, étant donné qu’il ne
s’agissait pas de diplomates au sens de la convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques et
397
d’un chef de gouvernement, la Cour de cassation belge, dans son arrêt rendu le 12 février
2003 dans l’affaire Sharon, après avoir constaté que Monsieur Sharon « avait la qualité
de premier ministre d’un Etat étranger », a déclaré que « la coutume internationale
s’oppose à ce que les chefs d’Etats et de gouvernement en exercice puissent, en l’absence
de dispositions internationales contraires s’imposant aux Etats concernés, faire l’objet de
poursuites devant les juridictions pénales d’un Etat étranger »1473.
L’une des questions les plus épineuses est de savoir si les immunités devant
les juridictions internes demeurent opérantes en cas de (suspicion de) commission par
leurs bénéficiaires des crimes internationaux.
que la convention de 1969 sur les missions spéciales n’est pas applicable en l’espèce » (Ibidem, pp. 243-
244, § 194).
1473
Cass., 12 février 2003, Journal des tribunaux, 2003, p. 247 et note P. D’ARGENT, « Monsieur Sharon
et ses juges belges », pp. 247-252. Voir également P. D’ARGENT, « Les nouvelles règles en matière
d’immunités selon la loi du 5 août 2003 », « Art. cit. », p. 193.
1474
Cf. Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, C.I.J.
Recueil 2002, p. 22, §§ 54-55.
1475
A. BORGHI, Op. cit., p. 208.
398
1476
Le Procureur c. Tihomir Blaskic, affaire n°IT-95-14-AR108bis, 29 octobre 1997, § 41.
1477
Sur le fond de cette affaire, consulter : United Kingdom House of Lords : Regina v. Bartle and the
Commissioner of Police for the Metropolis and others (Appellants), Ex Parte Pinochet (Respondent) (On
Appeal from a Divisional Court of the Queen’s Bench Division) ; Regina v. Evans and another and the
Commissioner of Police for the Metropolis and others (Appellants), Ex Parte Pinochet (Respondent) (On
Appeal from a Divisional Court of the Queen’s Bench Division), 25 November 1998, 37 I.L.M. 1302
(1998) ; Regina v. Bartle and the Commissioner of Police for the Metropolis and another (Appellants), Ex
Parte Pinochet (Respondent) (On Appeal from a Divisional Court of the Queen’s Bench Division) ; Regina
v. Evans and another and the Commissioner of Police for the Metropolis and others (Appellants), Ex Parte
Pinochet (Respondent) (On Appeal from a Divisional Court of the Queen’s Bench Division), 24 March
1999, 38 I.L.M. 581 (1999) (Dans la suite du texte, ces décisions seront respectivement citées, le cas
échéant, sous les fomes abrégées de Pinochet, 25 November 1998 et Pinochet, 24 March, 1999, suivies de
la ou des page(s) d’I.L.M.). Dans la doctrine, voir inter alia : A. BIANCHI, “Immunity versus Human
Rights: The Pinochet Case”, in EJIL, Vol. 10, n°2, 1999, pp. 237-277 ; P.-M. DUPUY, « Crimes et
immunités, ou dans quelle mesure la nature des premiers empêche l’exercice des seconds », in R.G.D.I.P.,
n°2, 1999, pp. 289-296 ; CH. DOMINICE, « Quelques observations sur l’immunité de juridiction pénale de
l’ancien chef d’Etat », in R.G.D.I.P., n°2, 1999, pp. 297-308 ; M. COSNARD, « Quelques observations sur
les décisions de la Chambre des Lords du 25 novembre 1998 et du 24 mars 1999 dans l’affaire Pinochet »,
in R.G.D.I.P., n°2, 1999, pp. 309-328 ; J.-Y. DE CARA, « L’affaire Pinochet devant la Chambre des
Lords », in A.F.D.I., Vol. 45, 1999, pp. 72-100 ; E. ROUCOUNAS, « Facteurs privés et droit international
public », « Art. cit. », pp. 380-381 ; A. BELLAL, Immunités et violations graves des droits humains, Op.
cit., pp. 191-199.
1478
CH. DOMINICE, « Art. cit. », p. 306.
399
plus de l’immunité pour le crime de torture à partir du 8 décembre 1988, date à laquelle le
Chili, le Royaume-Uni et l’Espagne se trouvaient être parties à la Convention des Nations
Unies de 1984 sur la torture »1479.
Par contre, dans le camp des Lords minoritaires, il n’est pas inutile de noter
que, pour Lord Goff of Chieveley, si les Etats entendaient écarter du champ d’application
1479
E. ROUCOUNAS, « Facteurs privés et droit international public », « Art. cit. », p. 381.
1480
Cf. A. BELLAL, Immunités et violations graves des droits humains, Op. cit., p. 192. A titre
exemplatif, nous lisons dans l’opinion de Lord Brown-Wilkinson: ‘‘Under the Convention the international
crime of torture can only be committed by an official or someone in an official capacity. They would all be
entitled to immunity. It would follow that there can be no case outside Chile in which a successful
prosecution for torture can be brought unless the State of Chile is prepared to waive its right to its officials
immunity. Therefore the whole elaborate structure of universal jurisdiction over torture committed by
officials is rendered abortive and one of the main objectives of the Torture Convention - to provide a
system under which there is no safe haven for torturers - will have been frustrated. In my judgment all
these factors together demonstrate that the notion of continued immunity for ex-heads of state is
inconsistent with the provisions of the Torture Convention” (Pinochet, 24 March, 1999, pp. 594-595). Voir
également l’opinion de Lord Hutton (Pinochet, 24 March, 1999, pp. 638-639), l’opinion de Lord Saville of
Newdigate (Pinochet, 24 March, 1999, p. 643), etc.
1481
Cf. M. COSNARD, « Quelques observations sur les décisions de la Chambre des Lords du 25
novembre 1998 et du 24 mars 1999 dans l’affaire Pinochet », « Art. cit. », p. 319. Ainsi, par exemple, pour
Lord Millet, ‘‘[i]nternational law cannot be supposed to have established a crime having the character of a
jus cogens norm and at the same time to have provided an immunity which is co-extensive with the
obligation it seeks to impose’’ (Pinochet, 24 March, 1999, p. 651).
1482
Cf. M. COSNARD, « Quelques observations sur les décisions de la Chambre des Lords du 25
novembre 1998 et du 24 mars 1999 dans l’affaire Pinochet », « Art. cit. », p. 320.
400
1483
Cf. Pinochet, 24 March, 1999, pp. 605-606.
1484
P.-M. DUPUY, « Crimes et immunités, ou dans quelle mesure la nature des premiers empêche
l’exercice des seconds », « Art. cit. », p. 293.
1485
Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, C.I.J.
Recueil 2002, p. 24, § 58.
1486
E. ROUCOUNAS, « Art. cit. », p. 383.
401
1487
Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, C.I.J.
Recueil 2002, Opinion dissidente de la juge ad hoc Christine Van den Wyngaert, p. 163, § 39.
1488
Ibidem, p. 153, § 27.
1489
Ibidem, Opinion dissidente du juge Al-Khasawneh, p. 96, § 3.
1490
Ibidem, Opinion individuelle commune de Mme Higgins, M. Kooijmans et M. Buergenthal, p. 87, § 79.
1491
Ibidem, Opinion individuelle de M. Rezek, p. 91, § 2.
1492
Cf. J. VERHOEVEN, « Quelques réflexions sur l’affaire relative au Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 »,
« Art. cit. », p. 533.
1493
« La Cour souligne toutefois que l'immunité de juridiction dont bénéficie un ministre des affaires
étrangères en exercice ne signifie pas qu'il bénéficie d'une impunité au titre de crimes qu'il aurait pu
commettre, quelle que soit leur gravité. Immunité de juridiction pénale et responsabilité pénale individuelle
sont des concepts nettement distincts. Alors que l'immunité de juridiction revêt un caractère procédural, la
responsabilité pénale touche au fond du droit. L'immunité de juridiction peut certes faire obstacle aux
poursuites pendant un certain temps ou à l'égard de certaines infractions; elle ne saurait exonérer la
personne qui en bénéficie de toute responsabilité pénale » (Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République
démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 25, § 60).
402
poursuites dans son propre pays, les poursuites par un Etat étranger en cas de levée de
l’immunité, la cessation des fonctions couvertes par l’immunité et les poursuites par une
juridiction internationale compétente1494. Certes, cette position de la Cour n’est pas
exempte de critiques. Ainsi, par exemple, dans son opinion dissidente, la juge ad hoc Van
den Wyngaert démontre qu’ « [e]n pratique […], l’immunité conduit à une impunité de
fait. Les quatre cas relevés par la Cour revêtent tous un caractère hypothétique »1495.
1494
« Les immunités dont bénéficie en droit international un ministre ou un ancien ministre des affaires
étrangères ne font en effet pas obstacle à ce que leur responsabilité pénale soit recherchée dans certaines
circonstances. Ils ne bénéficient, en premier lieu, en vertu du droit international d'aucune immunité de
juridiction pénale dans leur propre pays et peuvent par suite être traduits devant les juridictions de ce pays
conformément aux règles fixées en droit interne. En deuxième lieu, ils ne bénéficient plus de l'immunité de
juridiction a l'étranger si 1'Etat qu'ils représentent ou ont représenté décide de lever cette immunité. En
troisième lieu, dès lors qu'une personne a cessé d'occuper la fonction de ministre des affaires étrangères,
elle ne bénéficie plus de la totalité des immunités de juridiction que lui accordait le droit international dans
les autres Etats. A condition d'être compétent selon le droit international, un tribunal d'un Etat peut juger un
ancien ministre des affaires étrangères d'un autre Etat au titre d'actes accomplis avant ou après la période
pendant laquelle il a occupé ces fonctions, ainsi qu'au titre d'actes qui, bien qu'accomplis durant cette
période, l'ont été à titre privé. En quatrième lieu, un ministre des affaires étrangères ou un ancien ministre
des affaires étrangères peut faire l'objet de poursuites pénales devant certaines juridictions pénales
internationales dès lors que celles-ci sont compétentes » (Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République
démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 25, § 61).
1495
Ibidem, Opinion dissidente de la juge ad hoc Christine Van den Wyngaert, p. 159, § 34. Pour sa
démonstration, voir pp. 159-163, §§ 35-38.
1496
Cf. Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, C.I.J.
Recueil 2002, p. 25, § 61. Voir le texte de la Cour au sujet de cette circonstance dans la note 1496 (« En
troisième lieu »). Cette formulation se rapproche de l’article 39, § 2 de la Convention de Vienne sur les
relations diplomatiques du 18 avril 1961 : « Lorsque les fonctions d'une personne bénéficiant des privilèges
et immunités prennent fin, ces privilèges et immunités cessent normalement au moment où cette personne
quitte le pays, ou à l'expiration d'un délai raisonnable qui lui aura été accordé à cette fin, mais ils subsistent
jusqu'à ce moment, même en cas de conflit armé. Toutefois, l'immunité subsiste en ce qui concerne les
actes accomplis par cette personne dans l'exercice de ses fonctions comme membre de la mission ». Cette
disposition, tout comme la formulation de la Cour, soulève la question classique de savoir si un crime de
droit international peut être considéré comme un acte accompli dans le cadre des fonctions couvertes par
l’immunité (Cf. J. SALMON, « Libres propos sur l’arrêt de la C.I.J. du 14 février 2002 dans l’affaire
relative au Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (R.D.C. c. Belgique) », « Art.cit. », p. 516). Sur la notion d’acte
de la fonction, voir J. SALMON, « Immunités et actes de la fonction », in A.F.D.I., Vol. 38, 1992, pp. 314-
357.
403
regrettable [qu’elle] n’ait pas nuancé cette déclaration, comme la Chambre des lords
l’avait fait en l’affaire Pinochet. Elle aurait pu – et aurait même dû – ajouter que les
crimes de guerre et les crimes contre l’humanité ne tombent jamais dans cette
catégorie »1497. D’après Annyssa Bellal, la question de savoir si les crimes de droit
international sont des actes de fonction ou des actes privés1498 implique que « [s]oit on
considère que la commission de crimes de droit international relève d’une activité
‘‘officielle’’ – auquel cas un ancien agent de l’Etat continuerait à bénéficier de
l’immunité, soit l’on accepte que ces actes peuvent être commis ‘‘ à titre privé’’ et
l’ancien dirigeant ne bénéficierait plus d’aucune protection »1499. Cette auteure réalise
qu’à propos des crimes de droit international, il n’est pas aisé d’opérer une distinction
entre une conduite officielle et une conduite privée car leur commission à titre privé, sans
l’appui d’une certaine structure étatique, est difficilement concevable1500. A ce sujet, Jean
Salmon est plus explicite : « [S]’il est encore possible de soutenir qu’une politique de
génocide, de disparition forcée ou de nettoyage ethnique n’est pas un acte (sous-entendu
normal) de la fonction étatique, il ne pourra certainement pas être soutenu qu’il s’agit
d’un acte accompli à titre privé, sauf à prouver que l’on se trouve devant un dangereux
psychopathe »1501. Ainsi, « la distinction entre actes de fonction et actes accomplis à titre
privé, dans le contexte des immunités accordées aux agents de l’Etat, ne semble pas
pertinente »1502. Dès lors, estime Maurice Kamto, « [l]a nature de ces crimes
[internationaux les plus graves] commande qu’ils soient détachés de la fonction et donc
des ‘‘actes officiels’’ du ministre des Affaires étrangères. Après tout, un ministre des
Affaires étrangères – et à vrai dire un ministre quel qu’il soit – n’est pas nommé pour
commettre le génocide ou les crimes contre l’humanité, ou les crimes de guerre »1503. Ce
1497
Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, C.I.J.
Recueil 2002, Opinion dissidente de la juge ad hoc Christine Van den Wyngaert, p. 161, § 36.
1498
Cf. A. BELLAL, Immunités et violations graves des droits humains, Op. cit., p. 212.
1499
Ibidem, p. 212.
1500
Cf. Ibidem, pp. 212-213. Voir également S. WIRTH, ‘‘Immunity for Core Crimes? The ICJ’s
Judgement in the Congo v. Belgium Case’’, in EJIL, Vol. 13, n°4, 2002, pp. 877 et ss.
1501
J. SALMON, « Libres propos sur l’arrêt de la C.I.J. du 14 février 2002 dans l’affaire relative au Mandat
d’arrêt du 11 avril 2000 (R.D.C. c. Belgique) », « Art. cit. », pp. 516-517.
1502
A. BELLAL, Immunités et violations graves des droits humains, Op. cit., p. 214.
1503
M. KAMTO, « Art. cit. », p. 527.
404
1504
Voir notamment A. WATTS, ‘‘ The legal position in international law of Heads of States, Heads of
Governments and Foreign Ministers’’, in R.C.A.D.I., Tome 247, 1994-III, pp. 9-130; M. GALLIE et H.
DUMONT, « La poursuite de dirigeants en exercice devant une juridiction nationale pour des crimes
internationaux : le cas de la France », in R.Q.D.I., Vol. 18.2, 2005, p. 63 ; Commission du droit
international, Rapport de la Commission du droit international, soixante-cinquième session (6 mai-7 juin et
8 juillet-9 août 2013), Op. cit., p. 70, § 3.
1505
IDI, « Les immunités de juridiction et d’exécution du chef d’Etat et de gouvernement en droit
international », Résolution de la session de Vancouver, 26 août 2001, disponible http://www.idi-
iil.org/idiF/resolutionsF/2001_van_02_fr.PDF consulté le 22 octobre 2013.
1506
« 1. Le chef d’Etat qui n’est plus en fonction ne bénéficie d’aucune inviolabilité sur le territoire d’un
Etat étranger.
2. Il n’y bénéficie d’aucune immunité de juridiction tant en matière pénale qu’en matière civile ou
administrative, sauf lorsqu’il y est assigné ou poursuivi en raison d’actes qu’il a accomplis durant ses
fonctions et qui participaient de leur exercice. Il peut toutefois y être poursuivi et jugé lorsque les actes qui
lui sont personnellement reprochés sont constitutifs d’un crime de droit international, lorsqu’ils ont été
accomplis principalement pour satisfaire un intérêt personnel ou lorsqu’ils sont constitutifs de
l’appropriation frauduleuse des avoirs ou des ressources de l’Etat.
3. Il n’y bénéficie d’aucune immunité d’exécution ».
1507
« 1. Le chef de gouvernement d’un Etat étranger bénéficie de l’inviolabilité et de l’immunité de
juridiction qui sont reconnues, dans la présente Résolution, au chef d’Etat. Cette disposition ne préjuge pas
de l’immunité d’exécution qui pourrait lui être reconnue.
2. Le paragraphe premier ne préjuge pas des immunités qui peuvent être reconnues aux autres membres du
gouvernement en raison de leurs fonctions officielles ».
1508
Cf. A. BELLAL, Immunités et violations graves des droits humains, Op. cit., pp. 214-215. Voir
également A. CASSESE, ‘‘When May Senior State Officials Be Tried for International Crimes? Some
Comments on the Congo v. Belgium Case”, in EJIL, Vol. 13, n°4, 2002, pp. 862-866; M. SASSOLI, «
405
L’arrêt Yerodia: quelques remarques sur une affaire au point de collision entre les deux couches du droit
international », in R.G.D.I.P., Vol. 106, 2002, p. 800; A. BIANCHI, “Denying State Immunity to violators
of Human Rights”, in Austrian Journal of Public and International Law, Vol. 46, 1994, pp. 227-228; Idem,
“Immunity versus Human Rights: The Pinochet Case”, ‘‘Art. cit.’’, p. 259.
1509
Cf. P. D’ARGENT, « Les nouvelles règles en matière d’immunités selon la loi du 5 août 2003 », « Art.
cit. », pp. 191-192. Sur la compétence universelle des juridictions répressives belges, voir également PH.
GAUTIER, « Le législateur belge et la compétence universelle », « Art. cit. », pp. 151-153 ; PH.
COPPENS, « Compétence universelle et justice globale », in Annales de Droit de Louvain, Vol. 64, 2004,
n° 1-2, pp. 15-49 ; J. D’ASPREMONT et F. DOPAGNE, « La loi ‘‘de compétence universelle’’ devant la
Cour internationale de Justice », « Art. cit. », pp. 284-288 ; H.-D. BOSLY, « La compétence universelle : la
perspective du droit de la procédure pénale », in Annales de Droit de Louvain, Vol. 64, 2004, n° 1-2, pp.
247-280 ; O. CORTEN, « De quel droit ? Place et fonction du droit comme registre de légitimité dans le
discours sur la compétence universelle », in Annales de Droit de Louvain, Vol. 64, 2004, n° 1-2, pp. 51-82 ;
E. DAVID, « La compétence universelle en droit belge », in Annales de Droit de Louvain, Vol. 64, 2004,
n° 1-2, pp. 83-150 ; O. DE SCHUTTER, « L’incrimination universelle de la violation des droits sociaux
fondamentaux », in Annales de Droit de Louvain, Vol. 64, 2004, n° 1-2, pp. 209-245 ; M. SINGLETON,
« De l’atopie de l’incompétence universelle à l’utopie de la compétence universalisable », in Annales de
Droit de Louvain, Vol. 64, 2004, n° 1-2, pp. 281-304 ; A. LAGERWALL, « Que reste-t-il de la compétence
universelle au regard de certaines évolutions législatives récentes ? », in A.F.D.I., Vol. 55, 2009, pp. 743-
763.
1510
P. D’ARGENT, « Les nouvelles règles en matière d’immunités selon la loi du 5 août 2003 », « Art.
cit. », p. 192.
1511
Cf. PH. GAUTIER, « Le législateur belge et la compétence universelle », « Art. cit. », p. 151.
406
pas trop lointain. Dans l’immédiat, il demeure que ce n’est pas à un juge qu’il appartient
d’y procéder, tout créatif qu’il puisse – ou doive – être dans l’interprétation et
l’application du droit. […] Il est heureux partant que le principe d’immunité ait été
fermement rappelé par la Cour dans son arrêt du 14 février 2002. Et il faut espérer qu’il
lui appartienne de préciser demain les conditions acceptables d’une universalisation du
pouvoir de punir, si les Etats s’avèrent impuissants à les définir »1512.
1512
J. VERHOEVEN, « Quelques réflexions sur l’affaire relative au Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 »,
« Art. cit. », p. 536.
1513
Cf. Commission du droit international, Rapport de la Commission du droit international, soixante-
quatrième session (7 mai-1er juin et 2 juillet- 3 août 2012), Op. cit., p. 106, § 132.
1514
Idem, Rapport de la Commission du droit international, soixante-cinquième session (6 mai-7 juin et 8
juillet-9 août 2013), Op. cit., p. 70, § 4.
407
Section II. Poursuites par des juridictions pénales internationales des dirigeants
politiques impliqués dans l’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat
étranger en cas de conflit armé
1515
Cf. ‘‘Special Court Hands Over Courthouse and Complex to the Government of Sierra Leone’’, Press
Release, Freetown, Sierra Leone, 2 December 2013, available at http://www.sc-
sl.org/LinkClick.aspx?fileticket=rqll%2fdmdcjY%3d&tabid=235 consulted on 13 December 2013.
1516
Cf. J. G. STEWART, Crimes de guerre des sociétés. Condamner le pillage des ressources naturelles,
New York, Open Society Foundations, 2011, p. 99, § 147.
408
De prime abord, il convient de noter que les crimes commis dans le cadre des
conflits armés en Angola (11 novembre1975 - 4 avril 2002) et en Sierra Leone (23 mars
1991-18 janvier 2002) échappent à la compétence ratione temporis de la Cour pénale
internationale (C.P.I.), dont le Statut est entré en vigueur le 1er juillet 2002. Dans notre
échantillon, seulement une partie des crimes commis dans le cadre des conflits armés en
République démocratique du Congo relève de la compétence de la C.P.I. La République
démocratique du Congo est un Etat Partie au Statut de Rome et elle a déféré sa situation
devant la Cour pénale internationale. En vertu de l’article 12, § 2, a) et de l’article 13 du
Statut de Rome1517, la C.P.I. peut poursuivre d’une part, des ressortissants d’Etats parties
à son Statut ou des ressortissants d’Etats non parties qui ont accepté la compétence de la
Cour, que le crime soit commis sur le territoire d’un Etat partie ou d’un Etat non partie au
Statut de Rome, et d’autre part, des ressortissants d’Etats non parties qui n’ont pas
accepté la compétence de la Cour, accusés des crimes relevant de la compétence de la
Cour commis sur le territoire d’un Etat partie au Statut de Rome. Ainsi, à titre illustratif,
sur cette base, bien que les Etats-Unis et la Chine ne soient pas des Etats parties au Statut
de Rome, la C.P.I. a compétence à l’égard des dirigeants de ces Etats et des représentants
de sociétés américaines et chinoises pour des crimes commis sur le territoire d’un Etat
1517
« Article 12
Conditions préalables à l’exercice de la compétence
1. Un Etat qui devient Partie au Statut accepte par là même la compétence de la Cour à l’égard des crimes
visés à l’article 5.
2. Dans les cas visés à l’article 13, paragraphes a) ou c), la Cour peut exercer sa compétence si l’un des
Etats suivants ou les deux sont Parties au présent Statut ou ont accepté la compétence de la Cour
conformément au paragraphe 3 :
a) L’Etat sur le territoire duquel le comportement en cause a eu lieu ou, si le crime a été commis à bord
d’un navire ou d’un aéronef, l’Etat du pavillon ou l’Etat d’immatriculation ;
b) L’Etat dont la personne accusée du crime est un ressortissant.
3. Si l’acceptation de la compétence de la Cour par un Etat qui n’est pas Partie au présent Statut est
nécessaire aux fins du paragraphe 2, cet Etat peut, par déclaration déposée auprès du Greffier, consentir à
ce que la Cour exerce sa compétence à l’égard du crime dont il s’agit. L’Etat ayant accepté la compétence
de la Cour coopère avec celle-ci sans retard et sans exception conformément au chapitre IX.
Article 13
Exercice de la compétence
La Cour peut exercer sa compétence à l’égard d’un crime visé à l’article 5, conformément aux dispositions
du présent Statut:
a) Si une situation dans laquelle un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été commis est déférée au
Procureur par un Etat Partie, comme prévu à l’article 14 ;
b) Si une situation dans laquelle un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été commis est déférée au
Procureur par le Conseil de sécurité agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies ; ou
c) Si le Procureur a ouvert une enquête sur le crime en question en vertu de l’article 15. »
409
1518
Cf. J. G. STEWART, Crimes de guerre des sociétés. Condamner le pillage des ressources
naturelles,Op. cit., p. 99, § 147. Sur la compétence de la C.P.I. à l’égard des ressortissants d’Etats non
parties au Statut de Rome, voir notamment D. AKANDE, ‘‘The Jurisdiction of the International Criminal
Court over Nationals of Non-Parties : Legal Basis and Limits’’, in Journal of International Criminal Justice,
1(2003), pp. 618-650. Cet auteur justifie cette compétence de la C.P.I. comme suit : ‘‘Once the decision
was taken to establish an international tribunal, it would have been intolerable for that tribunal to possess
jurisdiction in relation to crimes committed on the territory of a State Party by nationals of parties but to
exclude crimes committed in the same territory by non-party nationals. Not only would this have created a
case of inequality as regards persons similarly positioned, it would have constituted a limitation on the
right of the state of territoriality to deal with crimes committed on its territory as it sees fit. As has been
seen, international law has long recognized the rights of states to delegate their criminal jurisdiction to
other states, or to international courts, even in cases concerning nationals of other states. The exemption of
non-party nationals from the jurisdiction of the ICC would have constituted a retrograde step’’ (Ibidem, p.
649-650).
1519
Sur les déclarations du Procureur de la C.P.I., voir J. G. STEWART, Crimes de guerre des sociétés.
Condamner le pillage des ressources naturelles, Op. cit., pp. 99-100, § 148 et p. 102, § 152.
1520
Cf. Ibidem, p. 99, § 147.
1521
B. S. BABAN, La mise en œuvre de la responsabilité pénale du chef d’Etat, Bruxelles, Larcier, 2012,
p. 296.
410
1522
« Article 27
Défaut de pertinence de la qualité officielle
1. Le présent Statut s’applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité
officielle. En particulier, la qualité officielle de chef d’Etat ou de gouvernement, de membre d’un
gouvernement ou d’un parlement, de représentant élu ou d’agent d’un État, n’exonère en aucun cas de la
responsabilité pénale au regard du présent Statut, pas plus qu’elle ne constitue en tant que telle un motif de
réduction de la peine.
2. Les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s’attacher à la qualité officielle d’une
personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n’empêchent pas la Cour d’exercer sa
compétence à l’égard de cette personne ». Pour un commentaire sur l’article 27, voir notamment X.
AUREY, « Article 27. Défaut de pertinence de la qualité officielle », in J. FERNANDEZ et X. PACREAU
(sous la direction de), Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Commentaire article par article,
Tome I, Op. cit., pp. 843-861; O. TRIFFTERER, ‘‘Article 27. Irrelevance of official capacity’’, in O.
TRIFFTERER (Editor), Commentary on the Rome Statute of the International Criminal Court – Observers’
Notes Articles by Article- (Second Edition), München, Beck, 2008, pp. 779-793; W. A. SCHABAS, The
International Criminal Court. A commentary on the Rome Statute, Oxford, Oxford University Press, 2010,
pp. 446-453; D. AKANDE, ‘‘International Law Immunities and the International Criminal Court’’, in AJIL,
Vol. 98, No. 3, 2004, pp. 407-433 ; D. AKANDE and S. SHAH, ‘‘Immunities of State Officials,
International Crimes and Foreign Domestic Courts’’, in EJIL, Vol. 21, No. 4, 2011, pp. 815-852; P.
GAETA, ‘‘Official Capacity and Immunities’’, in A. CASSESE, P. GAETA and J. R. W. D. JONES
(Editors), The Rome Statute of the International Criminal Court: A commentary, Volume I, Oxford, Oxford
University Press, 2002, pp. 975-1002.
1523
B. S. BABAN, Op. cit., p. 331.
1524
Voir par exemple, ICC-01/05-01/08-424, Le Procureur c. Jean-Pierre Bemba Gombo. Décision rendue
en application des alinéas a) et b) de l’article 61-7 du Statut de Rome, relativement aux charges portées
par le procureur à l’encontre de Jean-Pierre Bemba Gombo, 15 juin 2009.
1525
Voir par exemple, ICC-02/05-01/09, Le Procureur c. Omar Hassan Ahmed Al Bashir (« Omar Al
Bashir »), Deuxième Mandat d’arrêt à l’encontre d’Omar Hassan Ahmed Al Bashir, 12 juillet 2010.
1526
Voir ICC-02/11-01/11, Le Procureur c. Laurent Gbagbo.
411
l’exécution d’un mandat d’arrêt de la C.P.I. contre une personne jouissant des immunités,
particulièrement un chef d’Etat en exercice d’un Etat non partie au Statut de Rome1527.
En principe, cette question est réglée par l’article 98 du Statut de Rome1528 : les Etats
parties au Statut de Rome doivent respecter les immunités des Etats non parties et de
leurs dirigeants, à moins que ces Etats non parties ne lèvent les immunités de ces
derniers. Cependant, on doit nuancer cette interprétation en disant que le comportement
contraire au respect des immunités doit être exceptionnel, justifié notamment par une
décision du Conseil de sécurité agissant en vertu du chapitre VII. A ce sujet, Jason Ralph
mentionne dans son commentaire de l’article 98 du Statut de Rome : « L’article 27 ne
serait opposable qu’aux Etats parties au Statut de Rome, dans la mesure où il n’est pas
déclaratif du droit international coutumier. Celui-ci […] semble continuer de prohiber
toute poursuite de dirigeants et responsables bénéficiant d’une immunité diplomatique,
quelle que soit la nature du crime suspecté, devant une juridiction autre que celle de
l’Etat dont ils sont ressortissants. […] Pour autant, en consentant au Statut de la
première juridiction pénale internationale permanente, les Etats renoncent à l’immunité
de leurs dirigeants. […] L’article 98-1 du Statut de Rome semble ainsi empêcher
justement la Cour de présenter une demande conduisant les Etats à manquer au droit
international des immunités parce qu’elle vise l’atteinte à une personne protégée
ressortissante d’un Etat non partie au Statut. Le champ d’application de cette restriction
pourrait toutefois être privé d’effets conformément à la volonté du Conseil de sécurité.
Celui-ci pourrait décider d’écarter les éventuelles immunités empêchant la Cour de
1527
Sur cette problématique, voir notamment B. S. BABAN, Op. cit., pp. 352-361.
1528
« Article 98
Coopération en relation avec la renonciation à l'immunité et le consentement à la remise
1. La Cour ne peut poursuivre l'exécution d'une demande de remise ou d'assistance qui contraindrait l'Etat
requis à agir de façon incompatible avec les obligations qui lui incombent en droit international en matière
d'immunité des Etats ou d'immunité diplomatique d'une personne ou de biens d'un Etat tiers, à moins
d'obtenir au préalable la coopération de cet Etat tiers en vue de la levée de l'immunité.
2. La Cour ne peut poursuivre l'exécution d'une demande de remise qui contraindrait l'Etat requis à agir de
façon incompatible avec les obligations qui lui incombent en vertu d'accords internationaux selon lesquels
le consentement de l'Etat d'envoi est nécessaire pour que soit remise à la Cour une personne relevant de cet
Etat, à moins que la Cour ne puisse au préalable obtenir la coopération de l'Etat d'envoi pour qu'il consente
à la remise ». Pour un commentaire sur cette disposition, voir notamment J. RALPH, « Article 98.
Coopération en relation avec la renonciation à l’immunité et le consentement à la remise », in J.
FERNANDEZ et X. PACREAU (sous la direction de), Op. cit., Tome II, pp. 1913-1927.
412
demander la remise d’une personne intéressant une situation soumise à la Cour par le
Conseil »1529.
1529
J. RALPH, « Art. cit. », p. 1915.
1530
ICC-02/05-01/09, Le Procureur c. Omar Hassan Ahmad Al Bashir, Décision rendue en application de
l’article 87-7 du Statut de Rome concernant le refus de la République du Tchad d’accéder aux demandes
de coopération délivrées par la Cour concernant l’arrestation et la remise d’Omar Hassan Ahmad Al
Bashir, 13 décembre 2011, § 13. Voir également ICC-02/05-01/09, Le Procureur c. Omar Hassan Ahmad
Al Bashir, Décision rendue en application de l’article 87-7 du Statut de Rome relativement au manquement
par la République du Malawi à l’obligation d’accéder aux demandes de coopération que lui a adressées la
Cour aux fins de l’arrestation et de la remise d’Omar Hassan Ahmad Al Bashir, 13 décembre 2011, §§ 36,
42 et 43.
413
décidé d’intenter des poursuites à leur encontre »1531. En pareille situation, poursuivent
ces auteurs, « les juridictions nationales devraient être considérées comme étant dans
l’incapacité juridique de mener à bien les poursuites au sens de l’article 17, 1, (a) du
Statut de Rome et par conséquent, seule la juridiction internationale serait en mesure de
juger les personnes jouissant d’une qualité officielle les mettant à l’abri des poursuites
nationales »1532.
1531
H.-D. BOSLY et D. VANDERMEERSCH, Génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre
face à la justice. Les juridictions internationales et les tribunaux nationaux (2e édition), Bruxelles,
Bruylant, 2012, p. 242.
1532
Ibidem, p. 242.
1533
Le Statut de Rome est accessible sur le site de la CPI (www.icc-cpi.int ). Nous n’allons pas reproduire
intégralement l’article 25 à cause de sa longueur et surtout que certaines de ses dispositions ne concernent
pas (directement) notre étude.
414
b) Elle ordonne, sollicite ou encourage la commission d'un tel crime, dès lors
qu'il y a commission ou tentative de commission de ce crime ;
c) En vue de faciliter la commission d'un tel crime, elle apporte son aide, son
concours ou toute autre forme d'assistance à la commission ou à la tentative de
commission de ce crime, y compris en fournissant les moyens de cette commission ;
1534
F. D. DIARRA et P. D’HUART, « Article 25. Responsabilité pénale individuelle », in J. FERNANDEZ
et X. PACREAU (sous la direction de), Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Commentaire
article par article, Op. cit., Tome I, p. 810.
415
le crime, et d’autre part, les complices (25-3-b à d), c’est-à-dire ceux qui participent à la
commission du crime »1535.
1535
Ibidem, p. 810. Dans la jurisprudence, voir notamment : ICC-01/04-01/06-803, Le Procureur c.
Thomas Lubanga Dyilo, Décision sur la confirmation des charges, 29 janvier 2007, § 320 ; ICC-01/04-
01/07-717-tFRA, Le Procureur c. Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui, Décision relative à la
confirmation des charges, 30 septembre 2008, §§ 486 et 488 ; ICC-01/05-01/08-424, Le Procureur c. Jean-
Pierre Bemba Gombo, Décision rendue en application des alinéas a) et b) de l’article 61‐7 du Statut de
Rome, relativement aux charges portées par le Procureur à l’encontre de Jean‐Pierre Bemba Gombo, 15
juin 2009, § 479 ; ICC-02/05-01/09, Le Procureur c. Omar Hassan Ahmed Al Bashir, Décision relative à la
requête de l’Accusation aux fins de délivrance d’un mandat d’arrêt à l’encontre d’Omar Hassan Ahmed Al
Bashir, 4 mars 2009. Dans la doctrine, voir inter alia : W. A. SCHABAS, The International Criminal
Court. A commentary on the Rome Statute, Op. cit., pp. 427 et 430; A. ESER, ‘‘Individual Criminal
Responsibility’’, in A. CASSESE, P. GAETA and J. R. W. D. JONES (Editors), Op. cit., p. 787 ; K.
AMBOS, ‘‘Article 25. Individual Criminal Responsibility’’, in O. TRIFFTERER (Editor), Op. cit., p. 765.
416
Pour ce qui est de la mens rea, le dirigeant politique doit avoir eu l’intention
de « faciliter la commission » de l’exploitation illicite des ressources naturelles par cet
Etat ou ce groupe armé auquel il a fourni son assistance, notamment dans le but d’en tirer
profit pour son Etat et, éventuellement, pour lui-même.
1536
Cf. F. D. DIARRA et P. D’HUART, « Art. cit. », p. 825.
1537
Cf. Ibidem, p. 825. Voir à ce sujet, inter alia, G. WERLE, ‘‘Individual Criminal Responsibility in
Article 25 ICC Statute », in Journal of International Criminal Justice, 5 (2007), p. 969 ; A. ESER,
‘‘Individual Criminal Responsibility’’, in A. CASSESE, P. GAETA and J. R. W. D. JONES (Editors), Op.
cit., p. 800 ; K. AMBOS, ‘‘Article 25. Individual Criminal Responsibility’’, in O. TRIFFTERER (Editor),
Op. cit., p. 756, § 21.
1538
Le Procureur c. Dusko Tadic alias « Dule », Jugement, IT-94-1-T, 7 mai 1997, § 691.
1539
ICC-01/09-01/11, Le Procureur c. William Samoei Ruto et autres, Chambre préliminaire II, Décision
relative à la requête du Procureur aux fins de délivrance de citation à comparaître à William Samoei Ruto,
Henry Kiprono Kosgey et Joshua Arap Sang, 8 mars 2011, p. 16, § 36.
417
1540
Cf. F. D. DIARRA et P. D’HUART, « Art. cit. », p. 825.
1541
Cf. Ibidem, p. 822; W. A. SCHABAS, Op. cit., pp. 431-432; Le Procureur c. Jean-Paul Akayesu,
Chambre I, Jugement, ICTR-96-4-T, 2 septembre 1998, § 531.
418
C’est donc bien d’un mode additionnel de la responsabilité pénale individuelle réservé
aux chefs militaires et autres supérieurs hiérarchiques qu’il s’agit ici »1542.
1542
C. LAUCCI, « Article 28. Responsabilité des chefs militaires et autres supérieurs hiérarchiques », in J.
FERNANDEZ et X. PACREAU (sous la direction de), Statut de Rome de la Cour pénale internationale.
Commentaire article par article, Op. cit., Tome I, pp. 865-866.
1543
Cf. P. D’ARGENT, « Le roi commande les forces armées », in R.B.D.I., 1994/1, pp. 210-232 ; C.
LAUCCI, « Art. cit. », p. 874.
1544
ICC-01/05-01/08-424, Le Procureur c. Jean-Pierre Bemba Gombo, Décision rendue en application des
alinéas a) et b) de l’article 61‐7 du Statut de Rome, relativement aux charges portées par le Procureur à
l’encontre de Jean‐Pierre Bemba Gombo, 15 juin 2009, § 408.
1545
Ibidem, § 408, note 522.
419
son autorité et son contrôle effectifs, selon le cas, lorsqu'il ou elle n'a pas exercé le
contrôle qui convenait sur ces forces dans les cas où :
ii) Ce chef militaire ou cette personne n'a pas pris toutes les mesures
nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir pour en empêcher ou en réprimer
l'exécution ou pour en référer aux autorités compétentes aux fins d'enquête et de
poursuites […] ».
1546
Voir notamment G. R. VETTER, ‘‘Command Responsibility of Non-Military Superiors in the
International Criminal Court (ICC)’’, in Yale Journal of International Law, Vol. 25, 2000, pp. 89-143.
420
iii) Le supérieur hiérarchique n'a pas pris toutes les mesures nécessaires et
raisonnables qui étaient en son pouvoir pour en empêcher ou en réprimer l'exécution ou
pour en référer aux autorités compétentes aux fins d'enquête et de poursuites ».
1547
Cf. C. LAUCCI, « Art. cit. », p. 872. Pour le commentaire de l’article 28 du Statut de Rome, voir
également, R. ARNOLD et O. TRIFFTERER, ‘‘Article 28. Responsibility of commanders and others
superiors’’, in O. TRIFFTERER (Editor), Op. cit., pp. 795-843; W. A. SCHABAS, Op. cit., pp. 454-465;
K. AMBOS, ‘‘Superior Responsibility’’, in A. CASSESE, P. GAETA and J. R. W. D. JONES (Editors),
Op. cit., pp. 823-872.
421
1548
C. LAUCCI, « Art. cit. », p. 873.
1549
Ibidem, p. 873.
1550
Le Procureur c. Alfred Musema, Jugement et sentence, ICTR-96-13-T, 27 janvier 2000, § 141.
1551
Cf. Ibidem, § 904.
1552
Cf. Ibidem, § 905.
1553
Cf. Ibidem, § 905.
422
génocide par leurs employés1554. On doit cependant souligner que la condition du lien
entre le crime et les activités sous la responsabilité et le contrôle effectifs du supérieur
hiérarchique n’est pas posée par l’article 6 du Statut du TPIR. Même si ces exemples tirés
de la jurisprudence du TPIR nous donnent une idée sur l’autorité et le contrôle effectifs,
ils ne sont pas suffisamment pertinents quant au lien entre le crime et les activités
relevant de l’autorité et du contrôle effectifs du supérieur hiérarchique. Au fait, comme le
relève William A. Schabas, ‘‘the superior will contend that genocide, crimes against
humanity, and war crimes do not fall within their ‘effective responsibility or control’.
Perhaps the interpretative difficulty merely highlights some of the conceptual problems
involved in applying similar norms to civilian and military superiors, given the different
levels of discipline, obedience, loyalty, and responsibility within the two contexts’’1555.
Cela dit, en précisant que les crimes imputables aux subordonnés doivent être
liés à des activités relevant de l’autorité et du contrôle effectifs du supérieur hiérarchique
pour engager la responsabilité de ce dernier sur la base de l’article 28, b), « [l]’article 28-
b-ii prévoit donc logiquement que les activités du subordonné qui sont extérieures à sa
relation avec l’organisation hiérarchique non militaire échappent de fait à l’autorité et au
contrôle effectifs de son supérieur, dont la responsabilité pénale ne peut être
engagée »1556. En effet, contrairement à la discipline militaire, qui « implique que le
soldat est considéré comme en service et doit répondre envers son chef vingt-quatre
heures sur vingt-quatre et dans tous les aspects de ses activités, […] dans une
organisation non militaire, le subordonné cesse d’être placé sous le contrôle effectif de
son supérieur dès lors qu’il sort de l’activité qui le lie à l’organisation »1557. Ainsi, un
agent subalterne qui, de sa propre initiative, à des fins personnelles et en dehors du cadre
de ses fonctions, a participé à l’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat par
des Etats ou des groupes armés, ne saurait engager la responsabilité de son supérieur
hiérarchique. Il pourra être poursuivi seul sur la base de l’article 25 du Statut de Rome.
1554
Cf. Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire n° ICTR-
99-52-T, 3 décembre 2003, §§ 976-977 A.
1555
W. A. SCHABAS, Op. cit., p. 460.
1556
C. LAUCCI, « Art. cit. », p. 876.
1557
Ibidem, p. 876.
423
1558
Cf. Ibidem, p. 876.
1559
Ibidem, p. 877.
1560
Ibidem, p. 877.
1561
Cf. K. AMBOS, ‘‘Superior Responsibility’’, ‘‘Art. cit.’’, p. 863.
424
est déjà commis1562. On sait que la répression des crimes est de la compétence des
autorités judiciaires. Le dirigeant politique peut juste infliger à son subordonné qui a
participé à l’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat par d’autres Etats ou
par des groupes armés en lui infligeant des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu’à
sa révocation. Il devra par ailleurs en référer aux autorités compétentes pour des sanctions
pénales. En résumé, Kai Ambos présente l’alternative ‘prevent’, ‘repress’ or ‘submit to
the competent authorities’ en ces termes : ‘‘[I]f a crime has not yet been committed (is
‘about’ to be committed), the superior is obliged to intervene, e.g. by issuing the
appropriate orders; if the crime has already been committed, the superior can only react
with repressive measures, i.e. order an investigation and punish the perpetrators or
submit the matter to the competent authorities’’1563.
1562
Cf. Ibidem, p. 863.
1563
Ibidem, p. 862.
1564
Cf. C. LAUCCI, « Art. cit. », p. 879.
1565
Ibidem, p. 879.
425
1566
‘‘(b) With respect to superior and subordinate relationships not described in paragraph (a), a superior
shall be criminally responsible for crimes within the jurisdiction of the Court committed by subordinates
under his or her effective authority and control, as a result of his or her failure to exercise control properly
over such subordinates, where:[…]’’.
1567
ICC-01/05-01/08-424, Le Procureur c. Jean-Pierre Bemba Gombo, Décision rendue en application des
alinéas a) et b) de l’article 61-7 du Statut de Rome, relativement aux charges portées par le Procureur à
l’encontre de Jean-Pierre Bemba Gombo, 15 juin 2009, § 425.
1568
C. LAUCCI, « Art. cit. », p. 881.
1569
Ibidem, p. 882.
426
Il importe de signaler que l’« élément moral alternatif » exigé par l’article 28-
b-i (ou même celui exigé par l’article 28-a-i, qui concerne le supérieur hiérarchique
militaire) constitue un assouplissement par rapport à l’élément psychologique requis par
l’article 30 du Statut de Rome1570, qui exige cumulativement l’intention et la
connaissance. Dans le cas de l’article 28, même une négligence de connaître constitue
déjà un des éléments alternatifs de l’élément moral (connaissance et négligence
délibérée). Il nous semble qu’il n’y a aucune contradiction entre les deux dispositions,
étant donné que l’article 30-1 prévoit la possibilité d’une disposition contraire. Nous
considérons ainsi l’article 28 comme une disposition contraire visée à l’article 30-1. Cette
position, soutenue notamment par William A. Schabas1571, par Donald K. Piragoff et
Darryl Robinson1572 et par Kai Ambos1573, est confortée par la décision sur la
confirmation des charges dans l’affaire Bemba1574. De son côté, Cyril Laucci estime,
d’une part, que « [c]e point de vue [de la Chambre préliminaire II] se justifie dans la
mesure où l’article 30-1 précise que l’article [30] s’applique ‘‘[s]auf disposition
contraire’’ »1575. D’autre part, cet auteur considère que ce point de vue « ne s’impose pas
1570
« Article 30
Élément psychologique
1. Sauf disposition contraire, nul n'est pénalement responsable et ne peut être puni à raison d'un crime
relevant de la compétence de la Cour que si l'élément matériel du crime est commis avec intention et
connaissance.
2. Il y a intention au sens du présent article lorsque :
a) Relativement à un comportement, une personne entend adopter ce comportement ;
b) Relativement à une conséquence, une personne entend causer cette conséquence ou est consciente que
celle-ci adviendra dans le cours normal des événements.
3. Il y a connaissance, au sens du présent article, lorsqu'une personne est consciente qu'une circonstance
existe ou qu'une conséquence adviendra dans le cours normal des événements. ‘‘Connaître’’ et ‘‘en
connaissance de cause’’ s'interprètent en conséquence ».
1571
W. A. SCHABAS, Op. cit., pp. 463-464.
1572
D. K. PIRAGOFF and D. ROBINSON, ‘‘Article 30. Mental element’’, in O. TRIFFTERER (Editor),
Op. cit., p. 856, § 14.
1573
Cf. K. AMBOS, ‘‘Superior Responsibility’’, ‘‘Art. cit.’’, p. 863.
1574
« La Chambre estime qu’il existe une distinction entre la connaissance requise par l’article 30‐3 et
celle prévue par l’article 28‐a du Statut. En effet, l’élément de connaissance requis par l’article 30 du
Statut est uniquement applicable aux formes de participation prévues par l’article 25 du Statut. L’article 30
du Statut exige que la personne ait conscience des conséquences de ses actes, qu’elle soit l’auteur principal
ou le complice, ce qui ne saurait être le cas dans le cadre de l’article 28, où la personne ne participe pas à la
commission du crime (c’est-à-dire que le crime ne résulte pas directement de ses propres actes) » (ICC-
01/05-01/08-424, Le Procureur c. Jean-Pierre Bemba Gombo, Décision rendue en application des alinéas
a) et b) de l’article 61-7 du Statut de Rome, relativement aux charges portées par le Procureur à l’encontre
de Jean-Pierre Bemba Gombo, 15 juin 2009, § 479).
1575
C. LAUCCI, « Art. cit. », p. 884.
427
non plus dans la mesure où l’article 28 n’indique nulle part expressément qu’il fait
exception à l’article 30 »1576. Cette seconde séquence de son raisonnement nous laisse sur
notre faim. A notre avis, une disposition du Statut ne doit pas expressément indiquer
qu’elle est contraire à l’article 30. Ce sont ceux qui sont appelés à interpréter et appliquer
le Statut qui doivent constater qu’une disposition est contraire à l’article 30, dans la
mesure où l’article sous leur examen ne le dit pas expressis verbis.
1576
Ibidem, p. 884.
1577
Voir notamment les articles 68, 75 et 79 du Statut de Rome, ainsi que les règles 85 à 99 du Règlement
de procédure et de preuve. Pour une vue d’ensemble sur la participation des victimes aux procédures devant
la CPI, voir notamment E. DAVID, « La Cour pénale internationale », in R.C.A.D.I., Tome 313, 2005, pp.
408-418. Sur les principes et procédures applicables en matière de réparations, voir ICC-01/04-01/06, Le
Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, Décision fixant les principes et procédures applicables en matière de
réparations, 7 août 2012.
1578
« Règle 85. Définition des victimes
Aux fins du Statut et du Règlement :
a) Le terme ‘‘victime’’ s’entend de toute personne physique qui a subi un préjudice du fait de la
commission d’un crime relevant de la compétence de la Cour ;
b) Le terme ‘‘victime’’ peut aussi s’entendre de toute organisation ou institution dont un bien consacré à la
religion, à l’enseignement, aux arts, aux sciences ou à la charité, un monument historique, un hôpital ou
quelque autre lieu ou objet utilisé à des fins humanitaires a subi un dommage direct ».
428
1579
J.-B. JEANGENE VILMER, Réparer l’irréparable. Les réparations aux victimes devant la Cour
Pénale Internationale, Paris, P.U.F., 2009, pp. 27-28.
1580
ICC-01/04-01/06, Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, Décision sur les demandes de participation
à la procédure présentées par les Demandeurs VPRS 1 à VPRS 6 dans l’affaire Le Procureur c. Thomas
Lubanga Dyilo, 29 juin 2006, pp.7-8.
429
1581
S. PELLET, « Chapitre 71. La place de la victime », in H. ASCENSIO, E. DECAUX et A. PELLET
(sous la direction de), Op. cit., p. 933, § 4.
1582
Ibidem, p. 933, § 4.
1583
P. MASSIDDA et C. WALTER, « Article 68. Protection et participation au procès des victimes et des
témoins », in J. FERNANDEZ et X. PACREAU (sous la direction de), Op. cit., Tome II, p. 1547.
430
T.P.I.R.) réside dans la reconnaissance des droits des victimes en tant que participants
autonomes par rapport au Procureur et à la Défense. La plus grande innovation de la
C.P.I. s’agissant des droits des victimes est le droit à la réparation1584. Aux yeux de Sarah
Pellet, cette possibilité pour la C.P.I. d’octroyer réparation aux victimes constitue « une
véritable innovation puisque les Tribunaux internationaux ad hoc n’avaient qu’un mandat
extrêmement limité en matière d’octroi de réparations : en vertu des articles 24 § 3 du
Statut du TPIY et 23 § 3 du Statut du TPIR, ces tribunaux peuvent ‘‘[o]utre
l’emprisonnement du condamné, […] ordonner la restitution à leurs propriétaires
légitimes de tous les biens et ressources acquis par des moyens illicites, y compris par la
contrainte’’ »1585.
1584
Selon l’article 75, § 2 du Statut de Rome, « [l]a Cour peut rendre contre une personne condamnée une
ordonnance indiquant la réparation qu’il convient d’accorder aux victimes ou à leurs ayants droit. Cette
réparation peut prendre notamment la forme de la restitution, de l’indemnisation ou de la réhabilitation. Le
cas échéant, la Cour peut décider que l’indemnité accordée à titre de réparation est versée par
l’intermédiaire du Fonds [au profit des victimes] ».
1585
S. PELLET, « Art. cit. », p. 943, § 46.
1586
Devant le T.P.I.Y. et le T.P.I.R., « la place des victimes était celle du témoin : elles étaient sollicitées si
et quand les parties (notamment le procureur) souhaitaient obtenir un témoignage en faveur de leurs
positions » (M. PENA, « Un accès effectif à la justice ? La mise en œuvre des droits des victimes devant la
Cour pénale internationale », in AJ Pénal Dalloz, n°5, mai 2013, p. 251). En cette qualité de témoins, « les
victimes ont été quelque peu oubliées. Elles ne pouvaient ni participer aux débats répressifs, ni obtenir
réparation des préjudices subis (cette possibilité ne leur était offerte que dans la sphère nationale), seules
étaient prévues des mesures de protection » (S. PELLET, « Art. cit. », p. 933, § 3).
1587
Cf. A.-TH. LEMASSON, La victime devant la justice pénale internationale. Pour une action civile
internationale, Limoges, Pulim, 2012, pp. 28, 37 et 55. Voir également H. ASCENSIO, « Les droits des
victimes devant les juridictions pénales internationales », in J.-F. FLAUSS (sous la direction de), La
protection internationale des droits de l’homme et les droits des victimes, Bruxelles, Bruylant, 2009, pp.
77-109.
431
sanctionner les responsables des crimes mais également à intégrer et rendre justice aux
victimes »1588.
1588
M. PENA, « Art. cit. », p. 251.
1589
ICC-01/04-01/06, Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, Décision relative à la participation des
victimes, 18 janvier 2008, § 97.
1590
Cf. Ibidem, § 97.
1591
Cf. Ibidem, § 98.
1592
Cf. Ibidem, §§ 98 et 108-109. Le Procureur et la Défense ont interjeté appel contre cette décision de la
Chambre de première instance I, notamment contre la possibilité pour les victimes de produire des éléments
de preuve relatifs à la culpabilité ou à l’innocence de l’accusé et de contester l’admissibilité ou la
pertinence des preuves. La Chambre d’appel a tranché en ces termes : « Le droit de produire des éléments
432
préliminaire I selon laquelle « la participation des victimes […] permet de clarifier les
faits, de sanctionner les responsables des crimes commis et de solliciter la réparation des
préjudices subis »1593.
participation des victimes à la procédure n’est pas motivée par le seul intérêt d’obtenir
réparation »1598. Par sa participation au procès, la victime s’efforce de contribuer à la
découverte de la vérité en vue de « dûment accéder à la justice dans le cadre de l’objet
même du procès »1599. Cette participation n’est cependant pas une condition d’accès aux
réparations1600. Certes, les victimes qui demandent de participer au procès demandent
également d’obtenir réparation devant la Cour. Celle-ci devra en principe la leur allouer
si les conditions (notamment le lien de causalité entre le dommage subi et le crime
relevant de la compétence de la Cour, la condamnation de l’accusé du chef de ce crime)
sont réunies. Cependant, des victimes n’ayant pas participé au procès peuvent bénéficier
de la réparation, par exemple, lorsque celle-ci leur est accordée à titre collectif par
l’intermédiaire du Fonds au profit des victimes, conformément à la règle 98, § 3 du
R.P.P. / C.P.I.1601.
Le conflit armé en Sierra Leone s’est caractérisé par des atrocités inouïes
liées à l’exploitation illicite des diamants. Le souci des Nations unies et du
Gouvernement sierra-léonais d’engager des poursuites contre « les personnes qui portent
la responsabilité la plus lourde »1602 de ces crimes a été à la base de la création du
Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL). Nous n’aborderons pas ici les questions
concernant la création, la composition et le fonctionnement du TSSL1603.
1598
ICC-01/04-01/06, Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, Décision relative à la participation des
victimes, 18 janvier 2008, § 98.
1599
Ibidem, § 97.
1600
Cf. M. PENA, « Art. cit. », p. 252.
1601
Règle 98, § 3 du R.P.P. / C.P.I. : « La Cour peut ordonner que le montant de la réparation mise à la
charge de la personne reconnue coupable soit versé par l’intermédiaire du Fonds au profit des victimes
lorsqu’en raison du nombre des victimes et de l’ampleur, des formes et des modalités de la réparation, une
réparation à titre collectif est plus appropriée ».
1602
Article 1er de l’Accord pour et Statut du Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL), Freetown,16
janvier 2002, in E. DAVID, F. TULKENS et D. VANDERMEERSCH, Code de droit international
humanitaire (5e édition à jour au 1er janvier 2012), Bruxelles, Bruylant, 2012, p.728. Voir également
l’article 1er du Statut du TSSL, in Ibidem, p. 733.
1603
En plus de l’Accord pour et Statut du Tribunal, voir notamment M. MAYSTRE et A. WERNER, « Un
modèle de tribunal ‘‘internationalisé’’ : analyse du et perspectives sur le Tribunal spécial pour la Sierra
Leone », in R. KOLB, Droit international pénal, Bâle, Helbing Lichtenhahn, 2008, pp. 377-440 ; H.-D.
BOSLY et D. VANDERMEERSCH, Op. cit., pp. 148-155 ; C. DENIS, « Le Tribunal spécial pour la Sierra
Leone. Quelques observations », in R.B.D.I., 2001/1, pp. 236-287.
434
Il est important d’avoir en l’esprit le fait que le TSSL a accompli son mandat
et a officiellement transmis son siège au gouvernement de la Sierra Leone, le 2 décembre
20131604. Les développements qui suivent visent essentiellement à présenter la pratique
de cette juridiction pénale internationalisée en ce qui concerne la poursuite d’un dirigeant
d’Etat pour complicité d’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat étranger
(la Sierra Leone) en cas de conflit armé.
Selon l’article 1er, §1 de son Statut, « [l]e Tribunal spécial […] est habilité à
juger les personnes qui portent la plus lourde responsabilité des violations graves du
droit international humanitaire et du droit sierra-léonais commises sur le territoire de la
Sierra Leone depuis le 30 novembre 1996, y compris les dirigeants qui, en commettant ce
type de crimes, ont menacé l’instauration et la mise en œuvre du processus de paix en
Sierra Leone ». On voit bien que cet article définit les compétences ratione personae1605,
ratione loci et ratione temporis du TSSL. Sa compétence matérielle est déterminée par
les articles 3 à 5 du Statut. Elles portent sur des crimes internationaux (crimes de guerre
et crimes contre l’humanité) ainsi que sur des crimes de droit sierra-léonais1606.
1604
Cf. ‘‘Special Court Hands Over Courthouse and Complex to the Government of Sierra Leone’’, Press
Release, Freetown, Sierra Leone, 2 December 2013, available at http://www.sc-
sl.org/LinkClick.aspx?fileticket=rqll%2fdmdcjY%3d&tabid=235 consulted on 13 December 2013.
1605
Les §§ 2 et 3 de l’article 1er du Statut du Tribunal ajoutent une compétence personnelle du Tribunal à
l’égard des infractions commises par le personnel des Nations unies chargé du maintien de la paix en Sierra
Leone et en déterminent les conditions.
1606
Cf. H.-D. BOSLY et D. VANDERMEERSCH, Op. cit., p. 158.
1607
« Article 6
Responsabilité pénale individuelle
1. Quiconque a planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou de toute autre manière aidé et encouragé à
planifier, préparer ou exécuter un crime visé aux articles 2 à 4 du présent Statut est individuellement
responsable dudit crime.
2. La qualité officielle d’un accusé, soit comme chef d’Etat ou de gouvernement, soit comme haut
fonctionnaire, ne l’exonère pas de sa responsabilité pénale et n’est pas un motif de diminution de la peine.
3. Le fait que l’un quelconque des actes visés aux articles 2 à 4 du présent Statut a été commis par un
subordonné ne dégage pas son supérieur de sa responsabilité pénale s’il savait ou avait des raisons de savoir
que le subordonné s’apprêtait à commettre cet acte ou l’avait fait et que le supérieur n’a pas pris les
mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que ledit acte ne soit commis ou en punir les auteurs.
4. Le fait qu’un accusé a agi en exécution d’un ordre d’un gouvernement ou d’un supérieur ne l’exonère
pas de sa responsabilité pénale mais peut être considéré comme un motif de diminution de la peine si le
Tribunal spécial l’estime conforme à la justice.
435
D’un côté, cette responsabilité pénale peut être engagée sur la base de
l’article 6, § 1er du Statut, qui dispose : « Quiconque a planifié, incité à commettre,
ordonné, commis ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou
exécuter un crime visé aux articles 2 à 4 du présent Statut est individuellement
responsable dudit crime »1608.
5. La responsabilité pénale individuelle des crimes visés à l’article 5 est établie conformément à la
législation pertinente de la Sierra Leone ».
1608
Les articles 2, 3 et 4 du Statut du TSSL pour la Sierra Leone visent respectivement les crimes contre
l’humanité, les violations de l’article 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole additionnel II ;
et les autres violations graves du droit international humanitaire.
436
Dans le cadre de cette étude, nous focaliserons notre attention sur les crimes
de guerre commis par des dirigeants politiques, précisément le pillage des diamants et les
violations des droits de l’homme à l’occasion de l’extraction illicite des diamants.
L’affaire Charles Taylor illustre cette situation1611. Ancien chef de guerre et ancien
président du Libéria, Charles Taylor a été le premier ancien chef d’Etat à être traduit
devant un tribunal internationalisé : le Tribunal spécial pour la Sierra Leone1612. Il a
invoqué son immunité en tant qu’ancien chef d’Etat, mais cette exception a été rejetée car
non pertinente devant ce Tribunal1613.
1609
C. DENIS, « Art. cit », p. 249, § 27.
1610
Cf. J. G. STEWART, Crimes de guerre des sociétés. Condamner le pillage des ressources naturelles,
Op. cit., p. 99, § 146.
1611
Cf. Prosecutor v. Charles Ghankay Taylor, Case No.: SCSL-03-01-T, 18 May 2012, available at
http://www.sc-sl.org/LinkClick.aspx?fileticket=k%2b03KREEPCQ%3d&tabid=107.
1612
Cf. H.-D. BOSLY et D. VANDERMEERSCH, Op. cit., p. 154 et note 143.
1613
Cf. Article 6, § 2 du Statut du TSSL. Voir également Prosecutor v. Charles Ghankay Taylor, Case No.:
SCSL-2003-01-I, 31 May 2004, pp. 21-26, §§ 43-59, available at http://www.sc-
sl.org/LinkClick.aspx?fileticket=7OeBn4RulEg=&tabid=191 consulted on 8 May 2013. Pour un
commentaire sur cette procédure, voir M. MAYSTRE et A. WERNER, « Art. cit. », pp. 421-426.
437
1614
Cf. Prosecutor v. Charles Ghankay Taylor, Case No.: SCSL-03-01-T, 18 May 2012, pp. 2475-2476, §
6994, a), counts 3, 6, 7, 11; b) counts 3, 6, 7, 11, available at http://www.sc-
sl.org/LinkClick.aspx?fileticket=k%2b03KREEPCQ%3d&tabid=107 .
1615
Cf. Prosecutor v. Charles Ghankay Taylor, Case No.: SCSL-03-01-T, 30 May 2012, p. 40, Disposition,
available at http://www.sc-sl.org/LinkClick.aspx?fileticket=U6xCITNg4tY%3d&tabid=107 consulted on 8
May 2013.
1616
Cf. Special Court for Sierra Leone, Press Release, The Hague, 23 January 2013, available at
http://www.sc-sl.org/LinkClick.aspx?fileticket=pTTabQ5Bm2U%3d&tabid=53 consulted on 8 May 2013.
1617
Cf. Prosecutor v. Charles Ghankay Taylor, Case No.: SCSL-03-01-A, 26 September 2013, p. 11067, §
701, available at http://www.sc-sl.org/LinkClick.aspx?fileticket=t14fjFP4jJ8%3d&tabid=53 consulted on
30 September 2013.
1618
Cf. Ibidem, pp. 11067-11068, § 703.
1619
Cf. Ibidem, pp. 11068-11069, §§ 705-706: “In accordance with the totality principle, a Trial Chamber
is required to impose a sentence reflecting the inherent gravity of the totality of the criminal conduct of the
accused. The totality principle requires an individualised assessement of the particular circumstances of
the case. […] In the instant case, the Trial Chamber properly referred to the gravity of the crimes for which
Taylor was convicted and considered his role in their commission. Further, the Trial Chamber compared
the circumstances of Taylor’s case to other cases that have been determined by this Court. It noted that
Taylor’s status as a Head of State puts him in a different category of offenders, stating that ‘there are no
true comparators to which [it] can look for precedent in determining an appropriate sentence in this
case’”.
438
Charles Taylor à 50 ans de prison, telle que prononcée par la Chambre de première
instance1620.
1620
Cf. Ibidem, p.
1621
Cf. S. PELLET, « Art. cit. », p. 933, § 4.
1622
Cf. Articles 15, 16 et 17 du Statut du TSSL.
1623
‘‘Rule 105 : Compensation to Victims
(A) The Registrar shall transmit to the competent authorities of the State concerned the judgement
finding the accused guilty of a crime which has caused injury to a victim.
(B) Pursuant to the relevant national legislation, a victim or persons claiming through him may bring
an action in a national court or other competent body to obtain compensation.
(C) For the purposes of a claim made under Sub-Rule (B) the judgement of the Special Court shall be
final and binding as the criminal responsibility of the convicted person for such injury’’
(http://www.sc-sl.org/LinkClick.aspx?fileticket=yNjqn5TIYKs%3d&tabid=176 consulted on 23
September 2013).
439
CONCLUSION GENERALE
L’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat étranger par d’autres
Etats consiste, selon le cas, en l’exploration, l’extraction, la production ou la
commercialisation de ces ressources en violation du droit international. La violation du
droit international peut prendre différentes formes : absence du consentement de l’Etat
souverain, violation des droits de l’homme, violation du jus in bello, etc. A titre
exemplatif, le pillage des ressources naturelles d’un Etat, consistant en leur appropriation
par la force en cas de conflit armé ou de trouble intérieur, qu’elles soient de nature
mobilière ou immobilière, est une exploitation illicite de ces ressources. De même,
l’exploitation des ressources naturelles d’un Etat avec son consentement devient illicite
lorsqu’elle est faite en violation des droits de l’homme. L’illicéité de l’exploitation des
ressources naturelles d’un Etat peut résulter à la fois de l’absence de consentement de cet
Etat souverain et de la violation des droits de l’homme. C’est la situation la plus
fréquente en cas de conflit armé.
Toutefois, dans notre étude, nous nous sommes limité aux « ressources de
conflits », c’est-à-dire celles qui provenaient des secteurs contrôlés par des forces
étrangères non invitées (par le gouvernement) ou par des factions ou groupes armés
opposés au gouvernement légitime au regard de la communauté internationale et qui
étaient utilisées pour financer des opérations militaires contre ce gouvernement ou en
contravention des décisions du Conseil de sécurité. Dès lors, nous n’avons pas cherché à
tirer de conséquences juridiques de la question de l’illicéité de l’exploitation des
ressources naturelles effectuée par les Etats invités par des gouvernements légitimes, bien
que cette exploitation se déroule parfois de manière léonine ou au mépris des droits de
l’homme.
L’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat étranger peut être la
cause d’un conflit armé ou un moyen de sa poursuite. Ces liens existant entre conflit armé
et exploitation illicite des ressources naturelles constituent l’hypothèse de notre étude.
Cette hypothèse a été confirmée dans le cadre de plusieurs conflits armés,
440
Par ailleurs, les Etats belligérants sont tenus de respecter les décisions du
Conseil de sécurité relatives à la cessation du conflit armé et de l’exploitation illicite des
ressources naturelles de l’Etat victime du conflit armé. Ils doivent en outre respecter les
règles fondamentales des accords environnementaux multilatéraux protecteurs des
ressources naturelles affectées par le conflit armé. En effet, le jus in bello, lex specialis
protectrice des ressources naturelles par les belligérants, coexiste avec les autres
instruments juridiques internationaux pertinents. Si la loi spéciale déroge à la loi
générale, elle ne l’abroge pas pour autant.
Par contre, les Etats tiers au conflit armé sont assujettis aux obligations de
respecter et de faire respecter le droit international humanitaire. Il en est ainsi des Etats
d’origine des multinationales, c’est-à-dire les Etats dans lesquels ces entreprises sont
domiciliées. Ils doivent veiller à ce que ces sociétés ne participent pas aux violations du
442
Au sujet de la nature des obligations violées, parmi les règles protectrices des
ressources naturelles d’un Etat étranger dans le cadre d’un conflit armé figurent celles
dont découlent des obligations erga omnes (partes) et relèvent en même temps du jus
cogens : le principe de l’interdiction du recours à la force (agression), les normes
relatives à la protection des droits fondamentaux de la personne humaine et les règles
fondamentales du jus in bello. D’autres règles consacrent des obligations erga omnes
(partes), mais ne sont pas hissées au rang de normes du jus cogens : les règles
fondamentales contenues dans les accords environnementaux multilatéraux relatifs à la
protection des ressources naturelles et les décisions du Conseil de sécurité interdisant la
poursuite de l’exploitation illicite des ressources naturelles de l’Etat victime d’un conflit
armé. Enfin, certaines règles ne consacrent pas d’obligations erga omnes (partes) et sont
ipso facto exclues du cercle des normes du jus cogens : le principe de souveraineté
permanente sur les ressources naturelles et l’obligation de vigilance ou de diligence.
Ceci ne signifie nullement que notre recherche est une reproduction servile
des articles de la C.D.I. de 2001 et n’apporte aucune contribution à l’étude de la
responsabilité des Etats. Nous avons examiné systématiquement les règles primaires
violées en cas d’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat étranger pendant
un conflit armé. Nous avons ainsi contribué à l’étude de l’ « élément objectif » du « fait
générateur » de la responsabilité de l’Etat pour exploitation illicite des ressources
naturelles.
la commission du fait illicite, autrement dit, que ce fait n’aurait pas été commis si cet Etat
n’avait pas manqué à une obligation de diligence. L’on se retrouve ainsi dans la logique
de l’affaire du Génocide, qui exige un lien de causalité « suffisamment direct et certain ».
Par ailleurs, alors que l’Etat victime de l’exploitation illicite de ses ressources
naturelles peut réclamer réparation à un Etat ayant manqué à l’obligation de faire
respecter le droit international humanitaire à l’occasion de cette exploitation illicite
(obligation de vigilance), pareille action initiée par des particuliers se heurterait à un
défaut de lien de causalité « suffisamment direct et certain ». Les dommages subis par les
particuliers résultent du fait de l’exploitation illicite des ressources naturelles, qui n’est
pas attribuable à un Etat ayant manqué à une obligation de diligence. Dans le cas
d’espèce, ce sont les droits de l’Etat qui ont été violés par ces Etats mis en cause pour
violation de cette obligation de vigilance. Il n’y a aucune violation par ces Etats des droits
des particuliers. Il y a plutôt violation des droits de leur Etat. L’action des particuliers
446
contre ces Etats ayant manqué à une obligation de vigilance envers leur Etat est
irrecevable étant donné qu’il n’appartient pas aux nationaux de « prendre fait et cause »
pour leur Etat.
Outre ces quelques résultats relatifs au lien de causalité, pour rendre compte
de l’importance qu’occupent les règles protectrices des ressources naturelles en temps de
conflit armé, on a dû démontrer le caractère de normes de jus cogens que revêtent
certaines d’entre elles. En outre, en vue de la mise en œuvre de l’obligation de réparer, il
nous a fallu démontrer que l’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat
étranger en cas de conflit armé consiste principalement en la violation d’obligations erga
omnes (partes), pour envisager l’actio popularis en cas d’échec de l’action de l’Etat lésé.
De même, aux fins de la réparation des dommages subis par des particuliers,
nous avons dû rendre compte de l’évolution des principes relatifs à la protection
diplomatique, notamment en ce qui concerne le « destinataire réel » de l’indemnité :
l’indemnité accordée à l’Etat dans l’exercice de sa protection diplomatique à l’égard de
son national est destinée à réparer le préjudice subi par celui-ci. Cette solution marque
une rupture de la conception de la C.D.I, confirmée par l’arrêt Diallo (2012), avec la
position classique consacrée par le célèbre arrêt Mavrommatis. Nous avons également
abordé des questions relatives aux recours directs des particuliers contre un Etat devant
des juridictions internationales ou des juridictions nationales de l’Etat mis en cause.
lorsqu’il est établi que l’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat étranger
est la finalité d’un emploi de la force suffisamment grave, ce fait constitue une preuve de
l’illicéité de ce recours à la force et révèle son caractère d’acte d’agression. L’auteur de
l’acte ne peut plus arguer avec succès de la légitime défense.
Par ailleurs, contrairement à ce qui est affirmé par une partie de la doctrine et
certaines décisions jurisprudentielles, notre recherche a démontré que le principe de
souveraineté permanente sur les ressources naturelles ne constitue pas une obligation
erga omnes (partes), et ne relève donc pas du jus cogens.
La thèse qui se dégage de notre étude peut se résumer comme suit : Lorsque
l’exploitation des ressources naturelles d’un Etat étranger est une cause ou un moyen de
poursuite d’un conflit armé international ou interne internationalisé, son illicéité consiste
essentiellement en la violation par des Etats d’obligations erga omnes (partes). La
449
responsabilité des Etats auteurs de ces violations est dès lors engagée du fait de
l’exploitation illicite des ressources naturelles. La responsabilité des Etats autres que les
Etats auteurs de ces violations est néanmoins engagée à l’occasion de cette exploitation
illicite si leur comportement actif ou passif l’a de fait facilitée. En cas de responsabilité
du fait de l’exploitation illicite des ressources naturelles, la responsabilité est « centrale »
parce que l’illicéité résulte directement de l’exploitation. Par contre, en cas de
responsabilité à l’occasion de l’exploitation illicite des ressources naturelles, la
responsabilité est « périphérique » parce que l’exploitation illicite ne résulte pas
directement du comportement illicite de l’Etat qui l’a de facto facilitée.
En conséquence, dans les deux situations, l’Etat lésé est en droit d’invoquer la
responsabilité internationale des Etats concernés en vue d’obtenir la réparation des
préjudices subis du fait de l’exploitation illicite de ses ressources naturelles.
Par ailleurs, le pillage des ressources naturelles d’un Etat étranger et les
(autres) violations graves des droits de l’homme commises dans le cadre de l’exploitation
450
(illicite) des ressources naturelles d’un Etat étranger par des Etats en temps de conflit
armé constituent des crimes de guerre dans le chef des personnes physiques qui agissent
en tant qu’organes de ces Etats. Dès lors, la responsabilité internationale pénale de ces
dirigeants, lesquels jouent un rôle primordial dans l’exploitation illicite des ressources
naturelles d’un Etat étranger en période de conflit armé, nous semble « le corollaire
nécessaire » de la responsabilité internationale des Etats. Ce sont ces dirigeants politiques
qui prennent sinon toujours, du moins le plus souvent la décision du déclenchement d’un
conflit armé contre un Etat étranger et/ou de l’exploitation illicite (systématique) de ses
ressources naturelles au cours d’un conflit armé. Et même si cette exploitation illicite des
ressources naturelles a été décidée et/ou opérée par des autorités décentralisées, le
pouvoir central en demeurera responsable au regard du droit international. Les autorités
centrales pourront dès lors être poursuivies sur la base de la responsabilité pénale du
supérieur hiérarchique. Les dirigeants politiques de rang élevé (chef d’Etat, chef de
gouvernement, Ministre des affaires étrangères) jouissent de l’immunité de juridiction
pénale étrangère. En l’état actuel du droit international coutumier, la commission des
crimes internationaux ne constitue pas une exception à l’immunité de juridiction pénale
des représentants de l’Etat. Celle-ci constitue un « obstacle procédural » aux poursuites
pénales pouvant être engagées contre eux devant une juridiction nationale de l’Etat
victime d’exploitation illicite de ses ressources naturelles ou devant une autre juridiction
étrangère. Les dirigeants politiques de haut rang jouissent également de l’immunité
pénale devant les juridictions de leurs Etats. Compte tenu de la forte implication des plus
hautes autorités des Etats dans l’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat
étranger en cas de conflit armé, il serait pratiquement illusoire d’espérer des Etats
responsables du fait illicite la levée de l’immunité pénale de leurs dirigeants au profit
d’un Etat étranger. La pratique internationale a montré que les Etats sont très réticents à
lever l’immunité de juridiction pénale étrangère de leurs (anciens) dirigeants. L’affaire
Pinochet est à cet égard emblématique.
de l’Etat libérien, Charles Taylor, a été condamné par le Tribunal spécial pour la Sierra
Leone, notamment pour complicité de pillage des ressources naturelles. Depuis
l’achèvement du mandat de ce Tribunal spécial, matérialisé symboliquement par la
transmission de son siège au Gouvernement de la Sierra Leone, le 2 décembre 2013, la
Cour pénale internationale est actuellement l’unique juridiction pénale internationale
pouvant être compétente à l’égard des dirigeants des Etats auteurs ou complices
d’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat étranger en temps de conflit
armé.
BIBLIOGRAPHIE1624
A. Ouvrages
1624
Ne sont pas repris dans la bibliographie les PV des réunions, les résolutions des organes des Nations
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international, Cinquante-huitième session, 1er mai-9 juin et 3 juillet-11
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501
Section II. Exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat étranger ................. 32
§1. Notion de ressources naturelles ................................................................................... 32
§2. Exploitation des ressources naturelles d’un Etat ......................................................... 35
A. Notion d’exploitation des ressources naturelles ...................................................... 35
B. Illicéité de l’exploitation des ressources naturelles.................................................. 36
§3. Pillage des ressources naturelles d’un Etat.................................................................. 41
Section I. Conflit armé en Angola et exploitation illicite des ressources naturelles ....... 53
§1. Contexte et acteurs de la guerre civile en Angola ....................................................... 53
§2. Exploitation illicite des diamants par l’UNITA .......................................................... 57
A.Participation des Etats au commerce des diamants de l’UNITA .............................. 59
510
Section II. Conflit armé en Sierra Leone et exploitation illicite des ressources naturelles
...................................................................................................................................................................... 63
§1. Contexte et acteurs du conflit armé en Sierra Leone................................................... 63
§2. Rôle des diamants dans le conflit armé en Sierra Leone ............................................. 67
A. « Diamants de la guerre » et diamants « illicites » .................................................. 69
B. Etats et entreprises impliqués dans le commerce des diamants du RUF.................. 73
1. Etats qui ont directement coopéré au commerce des diamants du RUF .............. 73
2.Participation des entreprises multinationales au commerce des diamants du RUF :
pays de transit et pays de destination des diamants sales ............................................................... 76
Section IV. Liens entre conflit armé et exploitation illicite des ressources naturelles d’un
Etat étranger ............................................................................................................................................. 117
§1. Exploitation des ressources naturelles, cause d’un conflit armé ............................... 117
§2. Exploitation des ressources naturelles, moyen de poursuite d’un conflit armé ......... 120
511
Section I. Le fait illicite : l’exploitation illicite des ressources naturelles ...................... 222
§1. Règles primaires violées............................................................................................ 223
A. Nature des obligations violées ............................................................................... 224
1. Obligations erga omnes (partes)........................................................................ 226
2. Normes impératives du droit international général (« jus cogens »).................. 241
B. Caractère(s) du fait illicite consistant à exploiter de manière illicite les ressources
naturelles d’un Etat étranger et extension dans le temps................................................................... 256
§2. Attribution de l’exploitation illicite des ressources naturelles à un Etat ................... 258
A. Exploitation illicite par des « organes » de l’Etat .................................................. 259
B. Exploitation illicite par des personnes privées....................................................... 263
§3. Aide ou assistance d’un Etat en matière d’exploitation illicite des ressources naturelles
............................................................................................................................................................... 276
A. Aide ou assistance dans la commission d’un fait internationalement illicite......... 276
B. Modalités de la fourniture de l’aide ou l’assistance à l’auteur d’une exploitation
illicite des ressources naturelles d’un Etat étranger .......................................................................... 279
§4. Rôle des organisations internationales dans la constatation de l’exploitation illicite des
ressources naturelles .............................................................................................................................. 281
Section II. Réparation du préjudice causé par l’exploitation illicite des ressources
naturelles ................................................................................................................................................... 283
§1. Le dommage causé par l’exploitation illicite des ressources naturelles .................... 284
A. Le dommage .......................................................................................................... 285
1. Dommage matériel............................................................................................. 285
2. Dommage moral ................................................................................................ 286
B. Le lien de causalité entre la violation du droit international et le dommage.......... 290
1. Lien de causalité simple..................................................................................... 291
2. Lien de causalité complexe................................................................................ 297
C. La contribution de l’Etat à son préjudice ............................................................... 299
§2. Principe fondamental et formes de la réparation en droit international..................... 303
A. Principe fondamental de la réparation ................................................................... 304
B. Formes de réparation ............................................................................................. 306
1. Réparation du dommage matériel ...................................................................... 307
a. Restitution ..................................................................................................... 307
b. Indemnisation................................................................................................ 309
2. Réparation du dommage moral.......................................................................... 322
a. Réparation du dommage moral immédiat ..................................................... 322
513
Section I. Immunités pénales des dirigeants politiques, un obstacle à l’action devant une
juridiction étrangère ................................................................................................................................ 393
§1. Bénéficiaires, source et portée des immunités de juridiction pénale des dirigeants
politiques ............................................................................................................................................... 393
§2. Commission des crimes internationaux : une exception à l’immunité de juridiction
pénale ? .................................................................................................................................................. 397
Section II. Poursuites par des juridictions pénales internationales des dirigeants
politiques impliqués dans l’exploitation illicite des ressources naturelles d’un Etat étranger en cas de
conflit armé ............................................................................................................................................... 407
§1. Devant la Cour pénale internationale ........................................................................ 407
514
A. Non pertinence de la qualité officielle devant la Cour pénale internationale ........ 409
B. Bases « légales » de la responsabilité pénale des dirigeants des Etats devant la Cour
pénale internationale ......................................................................................................................... 413
C. Participation des victimes à la procédure devant la CPI ........................................ 427
§2. Devant le Tribunal spécial pour la Sierra Leone ....................................................... 433
BIBLIOGRAPHIE ............................................................................452