LL5 (2) Final
LL5 (2) Final
Faculty of Philology
University of Montenegro
LOGOS ET LITTERA
Journal of Interdisciplinary Approaches to Text
ISSN: 2336-9884
Issue 5, Volume 2
Special Issue
2018
Podgorica, Montenegro
Special Issue
Podgorica, 2018
Faculty of Philology
University of Montenegro
En guise d’introduction…………………………………………………………………..... 5
NJEGOŠ ET VOLTAIRE
générale, lui qui était noble d’esprit, se sentait parmi son peuple
comme « Prométhée sur le Caucase » 6 et comme « un homme
civilisé parmi des demi-barbares ».7 Compte tenu des circonstances
9 L’idée suivante est plutôt remarquable : « L’histoire n’est que le tableau des
crimes et des malheurs » (Voltaire, 2007 : 35).
10 « C’était Njegoš qui était Président du Sénat et son neveu Đorđije Petrović,
lieutenant au sein de l’armée russe, en était le vice-président [...] Un peu plus
tard, le cousin de Njegoš, Pero Tomov, fut désigné Président du Sénat »
(Bojović, 1995 : 406).
11 « Njegoš créa un pouvoir centralisé, efficace et obéissant au sein de l’Etat, ce
qui lui permit de mettre fin aux marchandages en matière de règlement
Voltaire avait fait une comparaison entre les sociétés française et anglaise et
avait offert une telle image de l’absolutisme féodal que le livre fut
publiquement brûlé, son éditeur jeté à la Bastille et lui contraint de fuir la
France.
14 La lettre de Vuk Popović d’avril 1847 témoigne le mieux de ses tentatives
d’inculquer la tolérance religieuse : « A l’occasion de Pâques, les Evangiles
étaient initialement lus en trois langues. Le provicaire le faisait en grec,
l’administrateur paroissial en turc, le chapelain en langue slave, mais déjà au
début des Evangiles ils avaient l’air comique, me dit-on, car le Grec bafouilla,
tout comme le Turc, alors que le pauvre Slave s’étonna de leur maladresse si
bien qu’ils durent s’arrêter, intimidés, et se mettre à les lire dans la langue
slave » (Popović, 1999 : 59) [notre traduction].
15 Il est habituel de penser que les Lumières s’opposent, à travers le
matérialisme, à la philosophie métaphysique qui est très présente dans
l’œuvre du fameux poète. Or, il est intéressant que Njegoš ait anticipé certaines
expériences qui ne seront connues que plus tard, au XXe siècle, qui allait
transformer le matérialisme en physicalisme, considérant que les notions
mentales avaient le même statut que les notions physiques.
16 « C’est ainsi qu’il est devenu le premier modèle universel des philosophes
des Lumières du XVIIIe siècle, un modèle qui unit la philosophie et la
littérature en les transformant toutes les deux en une création combative et
pleine d’humour, littéraire et philosophique, appartenant au siècle des
Lumières » (Korać, 1982 : 132)
17 L’image du monde dans Candide, à titre d’exemple, est telle que les éléments
qui y prédominent sont monstrueux, misérables et déplorables. Sa critique
vise l’optimisme cosmologique de Leibniz et l’idée d’une harmonie
prédéterminée, selon lesquels ce monde est juste comme il doit l’être et tout
s’y produit selon un projet céleste prévu à l’avance.
Sources
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Tako je govorio Volter (2007), priredio Slavko Ivanović, Beograd, Neven, 2007.
Volter. Podsetnik za životopis gospodina de Voltera, prevela Aleksandra Mančić,
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Références bibliographiques
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savremenika (zbornik tekstova), Beograd-Cetinje, Svetigora, Izdavačka
ustanova Mitropolije Crnogorsko-primorske, 2013.
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langue français P-Z, Paris, Bordas, 1984.
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umjetnosti, 1997.
Ivanović, Radomir V. Njegoševa poetika i estetika, Novi Sad: ITP „Zmaj“, 2002.
fit apporter. Il fit également venir trois véhicules et 6 chars, qui furent montés
à Cetinje avec grande difficulté « (Popović, 1999: 59) [notre traduction].
Introduction
Dans la première moitié du XIXème siècle, le Monténégro
représente un territoire de 3000 km² au relief karstique et aride,
dont les frontières ne sont pas encore définies. Encerclé par son
ennemi séculaire l’Empire Ottoman et par l’Autriche sur le littoral, il
est considéré dans les relations internationales comme un territoire
sous autorité turque. Au pied du mont Lovćen est située la bourgade
de Cetinje, qui compte à peine quelques dizaines de maisons au toit
de chaume. On y trouve aussi un monastère et une résidence
fortifiée appelée Biljarda où règne le prince-évêque Petar II
Petrović-Njegoš. Dans cette ambiance éloignée des grands centres
culturels européens, le souverain monténégrin parviendra à
apprendre la langue diplomatique de l’époque. Il lit avec passion les
ouvrages des auteurs français et traduit les vers de l’un des plus
grands poètes romantiques, Alphonse de Lamartine.
Dans la deuxième moitié du XIXème siècle, Nikola Ier
continuera la tradition littéraire des souverains poètes
monténégrins. Cependant, contrairement à Njegoš, il eut non
seulement le privilège d’être scolarisé à Paris, mais aussi d’œuvrer
et de gouverner dans l’ambiance de la plus petite capitale d’Europe,
celle d’un Etat devenu souverain et internationalement reconnu en
1878. Son passage dans un grand lycée parisien, au cours duquel
Nikola accorda une grande importance à la lecture des œuvres
littéraires françaises, inspira sans aucun son âme de poète. Il en
parle avec beaucoup d’émotion dans son Autobiographie et ses
Mémoires (Petrović-Njegoš, 1988 : 36-40). Au cours de son long
règne, Nikola Ier fut un écrivain fécond dans un grand nombre de
genres littéraires. Il écrivit un grand nombre de poèmes épiques, de
drames en vers, parmi lesquels le plus connu est certainement La
tzarine des Balkans, œuvre traduite en partie en langue française. Le
prince/roi monténégrin traduisit également des poèmes lyriques du
français et exprima son attirance envers les œuvres épiques dans
une traduction originale du récit Les aventures du dernier
Abencerage, création romantique de René de Chateaubriand.
Mon âme n’est point lasse encore Moja duša nije umorena
D’admirer l’œuvre du Seigneur ; diviti se djelu gospodnjemu;
Les élans enflammés de ce sein qui l’adore izabranici Božji rasplamsani
N’avaient pas épuisé mon cœur ! u njedrima koja obožavaju
nijesu mi srce iscrpili.
Bi prinuđen ustupiti
Svoju zemlju, vrh Padula
Visokog će stati
Izabranice od duhova
Ja te tražih ko’što traži
Arap izvor u žar podna
Grla žeđ da ugasim…
Sve te tražih, dok gitare
Čuh ti zvuke i glas mili
Na koji bi i mrtvi se
Pod pokrovom probudili!
Čuh i pjesmu kojom slaviš
Jedno ime od junaka
Logos & Littera: Journal of Interdisciplinary Approaches to Text 5 (2) 33
Petar II Petrović Njegoš et Nikola Ier
Conclusion
Nous pouvons constater que les souverains monténégrins,
Petar II Petrović-Njegoš et Nikola Ier, ont consacré beaucoup de
temps à l’apprentissage du français en dépit du fait que d’autre
langues, telles que l’italien et l’allemand, étaient à l’époque parlées
dans leur entourage et que le russe représentait la langue des
protecteurs séculaires du Monténégro. Car le français représente au
XIXème la langue diplomatique parlée par tout homme cultivé et il
est absolument indispensable de le connaître. De ce fait, dans le
minuscule Monténégro d’autrefois, à l’exemple de toutes les maisons
Logos & Littera: Journal of Interdisciplinary Approaches to Text 5 (2) 34
Petar II Petrović Njegoš et Nikola Ier
Références bibliographiques
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193-202.
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Goru." Crna Gora- vrata Balkana, Cetinje: Obod, 1991: 57-96.
Ðukić, Trifun. Pregled književnog rada Crne Gore, Cetinje: Narodna knjiga,
1951.
Jovanović, Ivona. Francuski jezik i kultura u Crnoj Gori 1830-1914. Podgorica:
UCG, 2016.
Kilibarda, Vesna & Jelena Knežević. Njegoševa biblioteka. Podgorica: CANU,
2017.
Lainović, Andrija. "Novi podaci o Njegoševom životu i radu u jednom
Résumé : Julien Viaud, plus connu sous le nom de Pierre Loti, fut un
officier de marine français qui bénéficia d’une renommée mondiale dans le
monde des lettres grâce à ses récits de voyage. Dans ce genre littéraire, il laissa
entre autres deux textes importants sur le Monténégro : Pasquala Ivanovitch et
Voyage de quatre officiers de l’escadre internationale au Monténégro. Ces deux
textes furent créés pendant et après le séjour de l’écrivain français au
Monténégro en 1880, année où sa flotte jeta l’ancre à Baozich dans les Bouches
de Kotor.
Le motif central de Pasquala est l’histoire d’amour que l’auteur vécut
lors de sa mission au bord de la mer Adriatique. L’écrivain décrit en détail son
aventure avec une jeune bergère de Baozich, dont le nom imaginaire donne au
récit son titre. Son expérience amoureuse se mêle à la mélancolie éveillée par les
paysages du pays où il se trouve. Les montagnes noires du Monténégro suscitent
chez l’auteur des sentiments mélancoliques ainsi qu’un manque de confiance à
l’égard des habitants locaux. Par ailleurs, l’état intérieur du héros se confond
avec les détails qui l’entourent et avec les flammes de la passion nées en lui après
la rencontre avec Pasquala.
Il s’agit d’un texte rempli d’impressions, d’émotions et de
contemplations qui s’éveillent dans la tête de l’auteur lors de son séjour au
Monténégro. Des sentiments similaire dominent également l’autre texte qui
retrace le voyage de Loti et de son escadre de Baozich jusqu’à la capitale royale
du Prince Nikola : Cetinje. Dans ce récit de voyage, l’auteur français développe
une comparaison critique entre les Bouches de Kotor et le Monténégro et entre la
France et le Monténégro.
Mots clés : amour, paysage, comparaison culturelle, Monténégro,
mélancolie
Introduction
Le nom de l’officier de marine Louis Marie Julien Viaud
(1850-1923) n’est pas connu dans le monde des lettres. Mais le
pseudonyme littéraire de l’officier susmentionné Pierre Loti s’ancra
considérablement dans les cadres littéraires de son époque, de telle
manière que le succès de son œuvre est encore audible de nos jours.
Son ample corpus, composé primordialement de récits de voyage
qui témoignent des aventures maritimes de l’auteur, laissa une
Pasquala Ivanovitch
Le lieu de l’action de Pasquala Ivanovitch est le village de
Baozich (Baosici) où l’escadre de Loti, le « Friedland », jeta l’ancre à
son arrivée dans les Bouches de Kotor. Néanmoins, dans le récit,
l’auteur n’emploie pas la dénomination originale du bateau. Dans
Pasquala Ivanovitch, sa flotte arrive dans les Bouches de Kotor sous
le nom imaginaire de « Téméraire »4. Cette originalité littéraire de
Loti pourrait être comprise comme la tendance de l’auteur à relier
métaphoriquement son audace avec le motif du bateau. Le bateau
est en réalité représenté en tant qu’alter ego de l’auteur (le
narrateur/le personnage principal). D’après les historiens, la raison
principale du séjour de Loti et de son escadre dans les Bouches de
Kotor fut de faire pression sur la Turquie pour rendre la ville
d’Ulcinj au Monténégro. Mais cette mission connut apparemment un
échec. Dans Pasquala Ivanovitch, il tente de mettre cet échec au
deuxième plan en développant une histoire d’amour.
Le début de Pasquala Ivanovitch est marqué par la
description du premier contact entre l’auteur et les Bouches de
Kotor. Ce passage est imprégné de sentiments mélancoliques et de la
peur face à une terre inconnue. Pourtant, les effets de la tranquillité
de l’eau, de la chaleur de l’air et de l’odeur du myrte ont une telle
influence sur l’humeur du personnage principal que ce pays inconnu
devient progressivement pour lui le pays de l’harmonie et de la paix.
Dans le texte critique Pierre Loti et l’Europe balkanique, Alain Quella-
Villéger définit ce conflit intérieur perpétuel de Loti comme la
source « des impressions confuses sur cette région troublée ».
(Quella-Villéger, 1994 : 168-180)
Le motif qui domine l’œuvre intégrale de cet écrivain
français, y compris les textes concernant le Monténégro, est la lune.
La lune, qui symbolise la dualité, subsiste en permanence dans l’état
intérieur de l’auteur à travers ses conflits moraux et culturels. Ce
motif est entre autres présent au tout début de Pasquala Ivanovitch :
jette des clartés roses aux grands rochers, et découpe, avec des
ombres, les reliefs des prodigieuses montagnes suspendues au-dessus
des eaux.
L’air de la nuit est tiède, et la terre envoie des senteurs de myrte. On
dirait des paysages de rêve (Loti, 1926 : 179-180).
Quelle paix dans l’obscurité de ce bois ! Le temps est redevenu pur, les
oliviers découpent sur le ciel étoilé leur feuillage ténu comme une fine
dentelle noire. La terre sent bon, les grillons chantent, le cœur de
Pasquala Ivanovitch bat toujours très fort contre ma main… Ils sont
nouveaux pour moi, ces mots slaves qu’elle me dit, et je ne sais pas
encore les comprendre ; ce pays aussi est nouveau, et je commence à
l’aimer comme j’en ai aimé tant d’autres (Loti, 1926 : 190).
nombreuses. On sait seulement que son véritable nom était Matea Janovic.
7 « Priroda nije samo dekor nego i objašnjenje za Lotijevo i Paskvalino
Dans les marbres de Paros, dans les marbres pentéliques, les Grecs
taillaient des jeunes filles qui étaient faites comme Pasquala
Ivanovitch (Loti, 1926 : 194).
8Terme introduit par Stendhal dans son ouvrage De l’amour. L’auteur français
assimile le terme « cristallisation » avec celui d’ « idéalisation ».
Logos & Littera: Journal of Interdisciplinary Approaches to Text 5 (2) 42
L’image romantique du Monténégro dans les récits de voyage du Pierre Loti
9 Source : l’auteur.
Sur la rive où nous sommes, tout est d'un vert admirable ; les forêts
tapissent les pentes ardues, grimpent dans le ciel, se perdent tout en
haut, dans les grosses nuées grises chargées de pluie. […] En face, sur
l'autre rive, celle du Monténégro, c'est par contraste, une grande
image de désolation. Ni forêts, ni verdures : des montagnes nues…
(Loti, 1926 : 230-231).
Les armes, les costumes de tout ce monde, sont fort beaux. Mais ce
qu’on regarde, ce qu’il y a de charmant, c’est la mariée. […] Elle est
vêtue d’un costume d’une grande richesse. Sa veste et son gilet sont de
velours cramoisi tout brodés d’or ; son manteau de Monténégrine est
en drap blanc brodé d’or… (Loti, 1926 : 281-282).
12 En monténégrin : svatovi.
13 Ce qui fait partie de la tradition monténégrine.
Conclusion
En guise de conclusion, Pasquala Ivanovitch et Voyage de
quatre officiers de l’escadre internationale au Monténégro de Pierre
Loti représentent des témoignages importants sur la culture
monténégrine dans la littérature française. Dans ces deux textes,
l’auteur note quelques moments historiques cruciaux. Aussi, il se
focalise sur la richesse naturelle de ce pays qu’il visite aux débuts
Références bibliographiques
De Saint-Léger, Marie-Paule. "Pierre Loti, un benjamin désarmé pour la vie."
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(1995): 89-95.
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1926.
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Quella-Villéger, Alain. "Pierre Loti et l’Europe balkanique." Loti en son temps.
Presses universitaires de Rennes, 1994: 169-180.
Stendhal. De l’amour. Paris: Flammarion, 2014.
Živković, Dragiša. Rečnik književnih termina. Banja Luka: Romanov, 2001.
Introduction
Dans la volonté de contribuer à la présentation de la
littérature de voyage française portant sur le Monténégro ainsi
qu’au renforcement des relations franco-monténégrines, nous nous
proposons d’analyser le texte « Au Monténégro » que Juliette Adam
a écrit pendant son séjour au Monténégro en 1898 et qu’elle a publié
dans l’influente Nouvelle Revue. Puisque la première traduction du
texte en langue monténégrine a paru seulement en 2017 et que
Juliette Adam n’est pas suffisamment connue du public
monténégrin, nous commencerons par une brève présentation de
l’auteure, pour mieux introduire une analyse de son texte basée sur
certains aspects de la structure hiérarchique du discours d’Eddy
Roulet. Après une première lecture, les segments du texte sont
traités selon l’ordre d’importance qui leur est attribuée par l’auteure
(module hiérarchique), puis l’interaction des différents niveaux
textuels est passée en revue (module d’interaction) et finalement le
« La première fois que je vis Mme Adam, je fus vivement frappé par
sa grande beauté. Cette beauté est restée la même : l’œil, d’un gris
bleuté et plein de lumière, est aussi éclatant, la bouche aussi ferme
et l’ovale aussi pur ; elle a dans les joues ces deux fossettes qui font
que, quand elle rit, elle semble rire deux fois. Mince et très élancée,
la taille est tellement souple que la femme semble plus grande
qu’elle ne l’est en réalité. La voix est douce et métallique. Quand elle
parle, le mot sonne ferme et bien timbré. Elle raconte avec un
charme infini. Je ne sais pas qui lui a vendu de l’esprit, mais, à coup
sûr, on ne lui a pas volé son argent ; ce sont ses auditeurs qui
2 http://www.bmlisieux.com/curiosa/badin01.htm
Logos & Littera: Journal of Interdisciplinary Approaches to Text 5 (2) 53
Le Monténégro au seuil du XXe siécle vu par Juliette Adam
sont pas basées sur des séjours personnels, mais elles ne sont pas
non plus banales et reposent aussi bien sur les sources écrites
auxquelles elle avait accès que sur les informations fournies par ses
contemporains et amis. A l’image des autres récits de voyage de
l’époque, celui de Juliette Adam abonde en stéréotypes romantiques,
mais il révèle en même temps le véritable intérêt que l’auteure porte
à la vie réelle, au quotidien, au modèle éthique et aux relations
sociales au Monténégro au seuil du XXe siècle.
Analyse textuelle
Le texte « Au Monténégro »3 a 25 pages et, selon nos
informations, sa traduction intégrale n’a pas été publié en en
langues BCMS avant 20174. Il appartient à une littérature de voyage
destinée au public francophone, notamment aux lecteurs de La
Nouvelle Revue. En effet, Juliette Adam nous y offre des descriptions
de paysage et de la population comparables aux meilleurs guides
touristiques d’aujourd’hui. Cependant, dès la première lecture, ce
texte ne peut pas être réduit à de simples impressions de voyage.
Juliette Adam y combine très habilement les messages socialement
et politiquement engagés qu’elle adresse au lecteur français et les
détails pittoresques du quotidien monténégrin de la fin du XIXe
siècle. En d’autres termes, l’auteure se sert consciemment de son
influence pour informer, attirer et séduire le lecteur par ses idées.
C’est cette complexité de thèmes et de significations du texte
qui nous a incitée à l’analyser en appliquant certains aspects de la
structure hiérarchique du discours développée par Eddy Roulet5. Le
modèle appliqué comprend trois modules : le module hiérarchique
permettant de présenter la structure du texte, le module
d’interaction indiquant les relations entre les niveaux (hyperthèmes
– thèmes – sous-thèmes) et, finalement, le module référentiel
contrastant la réalité décrite dans le récit à celle de son public cible.
Avant d’aborder l’analyse des parties du texte, voici un court
précis des hyperthèmes, des sous-thèmes et des stéréotypes les plus
importants. En tant que récit de voyage, l’article « Au Monténégro »
peut être présenté selon l’ordre linéaire et chronologique des visites
3 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k36020n/f191.item.r=Mont%C3%A9n
% C3%A9gro
4 Tatar-Anđelić, J. (2017)
5 Roulet, E. (1999)
La vie à Cetinje
Dans le cadre du premier hyperthème, que nous avons
appelé la vie à Cetinje, surgissent quatre thèmes dominants, à
savoir :
- La personnalité du roi Nicolas, ses traits et ses capacités de
souverain ;
- La description détaillée du costume des différentes couches
sociales : famille princière, armée, citoyens, paysans ;
- La distribution des fusils russes ;
- La visite de la tombe de Danilo Ier et la rencontre du
prisonnier libre.
Le prince est présenté comme un homme honnête et
intelligent qui ne succombe pas à la mode du moment, c’est-à-dire
aux normes imposées par la Prusse ou l’Autriche, si critiquées par
Juliette Adam. En faisant respecter les traditions, le prince du
Monténégro garde les valeurs authentiques de son peuple :
7 Ibidem, p. 194
8 Ibid., p. 196
L’escale à Podgorica
Comme l’hyperthème précédent, celui de l’escale à Podgorica
est introduit par le sous-thème de la beauté sauvage. L’écrivaine
française n’est pas insensible à la richesse de la faune et de la flore
sur la route de Podgorica, la première étape de son pèlerinage
9 Ibid., p. 197
10 Ibid., p. 202
Le pèlerinage à Ostrog
La quatrième étape importante du séjour de Juliette Adam au
Monténégro, le voyage à Ostrog constitué le troisième hyperthème
que nous avons identifié. Il peut être divisé en deux thèmes :
- L’orage sur la route et la visite du premier monastère ;
- La prière et l’expérience mystique dans le sanctuaire de
Saint-Basile.
A l’image des deux hyperthèmes précédents, la description
du voyage à Ostrog est introduite par une description enchantée de
la beauté sauvage de la vallée verte de la Zeta (que l’auteure
compare au paysage de Cintra au Portugal) et des pentes
montagneuses :
« Nous entrons dans la vallée la plus fraîche et la plus fertile qui soit :
la vallée de la Zéta. Une large rivière demi-torrentielle, à l’eau claire ou
mousseuse, suit la route et court en sens contraire de notre direction ;
de hauts rochers encaissent la rivière. Une chaîne de collines au beau
milieu de ces plaines me rappelle Cintra. Les fonds de montagne sont
imposants malgré la clarté qui joue sur leurs crêtes. Avant la mi-juin le
seigle se moissonne, le blé est déjà mur, le maïs éclairci et butté, le
tabac enfeuillé. Nous traversons un bois ravissant.
Voici la vallée de Bielopavlich ; nous apercevons Ostrog là-haut très là-
haut, le premier monastère, puis le second creusé dans les roches au
pied d’une paroi taillée à pic et d’au moins quatre
cents mètres. Encore et partout des fleurs. Nous arrivons à Bogheditch
où l’on prend les chevaux pour la montée d’Ostrog. A cheval,
Mesdemoiselles ! »11
11 Ibid., p. 204
Le lac de Skadar
Le quatrième et dernier hyperthème identifié dans le texte
« Au Monténégro », le lac de Skadar, est encadré du sous-thème de la
beauté sauvage, présent aussi bien dans l’introduction que dans la
conclusion. L’hyperthème est constitué de trois thèmes, à savoir les
descriptions des sites de Rijeka Crnojevića et de Plavnica,
12 Ibid.
13 Ibid., p. 205
« Des flamands courent ou volent à travers les joncs, puis des canards,
tout le gibier d’eau. Là encore les chasses au marais sont copieuses. De
nombreuses et longues libellules d’un bleu de saphir passent au
travers des tiges de joncs. Notre barque longue et plate (à trois
rameurs qui rament comme les gondoliers) glisse dans l’étroit chemin
que laissent les joncs. Je m’arrête ici. Il y a un volume à écrire sur le
Monténégro. Je n’en ai pas le loisir. Je quitte la très petite patrie d’un
grand prince et d’un grand peuple en faisant du plus profond de
mon cœur des vœux pour la gloire de leur future destinée. »15
14 Ibid., p. 206
15 Ibid.
Conclusion
Dans la conclusion de cette courte analyse, nous tenons à
souligner que l’application du module de la structure hiérarchique
du discours nous a permis d’étudier plusieurs couches du texte de
Juliette Adam. Il s’agit notamment d’un texte descriptif sur la nature,
les traditions et les formes de gouvernance au Monténégro à la fin
du XIXe siècle. Le module d’interaction nous a démontré la
complexité des niveaux, sans égard à la division hiérarchique des
hyperthèmes et des thèmes définis. Les sous-thèmes de la réalité
sociale et de la politique française sont répartis de façon presque
16 Ibid., p. 207
17 Ibid.
Références bibliographiques
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Introduction
Cet article est consacré principalement à l’explication des
expressions figées en BCMS et de leurs difficultés de compréhension
en français. Il est plus facile de parler des expressions figées en tant
que phénomène linguistique que d’expliquer quelle combinaison de
mots, quelles circonstances, quelle histoire ou quelles coutumes se
cachent derrière chacune d’entre elles.
Lorsque les expressions figées possèdent une
correspondance dans une autre langue, elles sont en quelque sorte
transcodables (elles relèvent de la linguistique), mais transcodables
par équivalence (elles relèvent du discours). Lorsqu’elles n’ont pas
de correspondances, leur expression interprétative a parfois
tendance à leur faire perdre leur caractère de métaphore ou d’image
en général et donc à les banaliser.
La langue n’est que l’image du monde conçue par les gens qui
l’utilisent. Leurs peurs, leurs impressions, leurs doutes, etc.,
s’expriment par la langue. Voici pourquoi la langue et les
métaphores qu’un homme d’une civilisation et d’une culture
données utilise diffèrent de celles qu’utiliserait un homme vivant à
l’autre bout du monde.
Les catégories de la langue parlée prédéterminent nos
catégories de pensée. Chaque langue renferme une vision du monde
irréductible. Ce n’est que dans la langue que la pensée peut prendre
conscience d’elle-même, passer du mouvement informe aux
catégories définies.
2.2. Archaïsmes
Un exemple caractéristique nous en est fourni par la
pittoresque croquer le marmot « attendre en se morfondant ».
Croquer le marmot serait « grogner d’impatience, insulter entre ses
dents », étymologie que semble avoir retenue W. von Wartburg,
alors que Maurice Rat voit dans le marmot non point un « chenet »,
mais un « marteau de porte », et allègue une ancienne coutume
féodale selon laquelle le vassal viendrait « baiser » (croquer) la
porte de son suzerain. On croit que l’expression signifie « attendre
devant une porte close en cognant impatiemment le heurtoir ». La
date de l’expression (fin XVIe) se situe à une époque où le primitif
croquer « manger » commence à se généraliser ; étape ambiguë et
favorable à la naissance d’une expression de ce type ; croquer,
d’ailleurs, signifie « frapper » dans la plupart des mots de cette
époque : croque-note « mauvais musicien », croque-mouche « géant
vantard ». En BCMS la traduction de l’expression croquer le marmot
serait čami čekajući « rester attendre ».
Il importe peu que joli à croquer ait signifié à l’origine « digne
d’être dessiné » ; ce n’est plus le sens de cette expression et si cela
l’était, elle n’aurait pas le succès que lui confère précisément cette
fausse interprétation. Il ne faut pas confondre ces « fausses
étymologies », qui seraient mieux nommées « fausses motivations »,
« pseudo-motivations », avec les erreurs d’interprétation des
linguistes. La fausse motivation est un caractère objectif du signe
linguistique ; elle en détermine le sens, l’emploi, la valeur ; alors que
l’étymologie fausse du lexicologue, professionnel ou amateur, n’est
qu’un accident étranger à la langue. C’est pour cette raison que joli à
croquer est une image qui ne s’emploie pas en parlant d’un spectacle
ou d’un paysage, car c’est seulement un corps qu’on désire « manger
de caresses ». Il est intéressant de remarquer qu’en serbo-croate, il
existe une expression analogue, lijep kao upisan, littéralement « joli
comme inscrit », aujourd’hui complètement opaque (inscrit où ?),
mais qui était plus claire autrefois, quand upisati signifiait
« dessiner » (V. Kanitz).
Nema zime
Traduction littérale : il n’y a pas de froid ; signification : il n’y
a pas de problème.
Equivalent français : Il n’y a pas de lézard.
Ni po babu ni po stričevima
Traduction littérale : juger ni selon le père ni selon l’oncle
Signification et équivalents français : sans faveur ; sans
distinction de personnes ; en toute équité / objectivité
Ostati na cjedilu
Traduction littérale : laisser quelqu’un à la passoire/au filtre
Signification et équivalent français : laisser quelqu’un en
rade/en panne
Dobiti korpu
Traduction littérale : se faire enfoncer un panier
Signification et équivalent français : essuyer un refus ;
ramasser une veste ; prendre un râteau, une tôle
5. Vie quotidienne
On peut dire que les expressions tirées de la vie quotidienne
sont plutôt transparentes. Il y en a qui dérivent de la vie sociale ; en
effet, les institutions, les techniques, voire les coutumes et les
mœurs évoluent et, tombant en désuétude, laissent dans la langue
des mots et des métaphores qui ont perdu tout contact avec la
réalité dont ils sont issus. Pour comprendre une expression telle que
donner le change « tromper », il faut savoir que dans la chasse à
courre il arrive que le cerf change sa voie en suivant la trace d’une
autre bête dont l’odeur déroute les chiens en les entraînant sur une
autre piste.
Glup do daske
Traduction littérale : stupide jusqu’à la planche
Signification et équivalent en français : stupide jusqu’à la
gauche ; jusqu’à la garde
Conclusion
Nous avons déjà mentionné que l’objectif de cet article était
de donner l’origine d’expressions BCMS plus que d’expressions
françaises, car il y a plus d’ouvrages en français qu’en BCMS qui
traitent cette problématique. Nous pouvons constater que l’histoire,
la religion mais aussi les croyances et les superstitions jouent un
grand rôle dans la formation des expressions figées.
Nous avons donné seulement des exemples pour quelques
domaines fournisseurs, exemples que nous avons choisis à partir
des ouvrages de Milan Šipka, Dragana Mršević Radović et de Veselin
Čajkanović.
Finalement, les expressions sont souvent basées sur une
expérience quotidienne qui varie peu d’un pays à l’autre car cette
Logos & Littera: Journal of Interdisciplinary Approaches to Text 5 (2) 83
Les origines des expressions figées
Références bibliographiques
Duneton, Claude. La Puce à l’oreille. Paris: Le livre de poche, 1990.
Čajkanović, Veselin. O magiji i religiji [De la magie et de la religion]. Belgrade:
Biblioteka baština, 1985.
Čajkanović, Veselin. Stara srpska religija i mitologija [Ancienne religion et
mythologie serbe]. Belgrade: Srpska akademija nauka i umjetnosti,
Srpska književna zadruga, 1955.
Drašković, Vlado. Francusko-srpskohrvatski rječnik sa poslovicama
[Dictionnaire français-serbo-croate avec les proverbes]. Belgrade:
Zavod za udžbenike i nastavna sredstva, 1990.
Grand Robert de la langue française. Paris: Le Robert, 2001.
Gross, Gaston. Les expressions figées en français. Noms composés et autres
locutions. Paris: Ophrys, 1996.
Guiraud, Pierre. Les locutions françaises. Paris: Presses Universitaires de
France, 1973.
Le Petit Robert, Paris: Dictionnaires Le Robert, 2004.
Littré, Emile. Dictionnaire de la Langue française. Paris: Gallimard, 1959.
Matešić, Josip. Frazeološki rječnik hrvatskoga ili srpskoga jezika [Dictionnaire
phraséologique du croate ou du serbe], Zagreb: Školska knjiga, 1982.
Milosavljević, Boško. Srpsko-francuski rječnik idioma i izreka. [Dictionnaire des
idiomes et des dictons serbe-français]. Belgrade: Srpska književna
zadruga, 1994.
Mršević-Radović, Dragana. Frazeologija i nacionalna kultura [Phraséologie et
culture nationale], Belgrade: Biblioteka književnost i jezi, 2008.
Rey, Alain & Sophie Chantreau. Dictionnaire d’expressions et locutions. Paris: Le
Robert, 2003.
Šipka, Milan. Zašto se kaže ? [Pourquoi dit-on ?]. Novi Sad: Prometej, 2008.
Stefanović-Karadzić, Vuk. Srpski rječnik [Dictionnaire de la langue serbe].
Belgrade: Zavod za udžbenike, 1856.
Zouogbo, Jean-Philippe Claver. Le proverbe entre langues et cultures : une étude
de linguistique confrontative allemand / français / bété. (= Études
contrastives, vol. 10). Francfort/Main: Peter Lang, 2009.
1. Introduction
Cette recherche porte sur la traduction des temps passés en
français et dans les langues BCMS, et sur l’importance de la
catégorie de l’aspect verbal lors d’un procès traductologique. Nous
supposons que l’aspect peut bien faciliter le travail du traducteur,
dans le sens qu’il peut l’aider à déterminer la valeur temporelle qui
doit être signifiée. Cette valeur peut être désignée par le verbe
même (comme dans les langues BCMS) ou bien par un temps verbal
particulier (comme en français). En effet, les langues BCMS
permettent l’emploi d’un seul temps verbal (parfait) correspondant
à plusieurs temps français (tels que l’imparfait et le passé simple).
Cette possibilité est due au fait que les langues BCMS sont purement
aspectuelles et qu’un temps, employé à l’aspect approprié, peut bien
remplir la fonction de plusieurs temps français. Notre hypothèse de
départ repose ainsi sur le fait que la transposition des temps
verbaux dans un texte littéraire va dépendre non seulement du
temps employé dans le texte original, mais également de la valeur
aspectuelle qui doit être exprimée.
Nous retracerons dans un premier temps l’expression de
l’aspect dans nos langues d’intérêt et présenterons ensuite les deux
plans énonciatifs définis par É. Benveniste. Nous aborderons enfin
les possibilités de traduction de ces temps. Cette partie sera illustrée
par des exemples du roman « Hansenova djeca » d’Ognjen Spahić et
de sa traduction française (Les enfants de Hansen). Nous
reprendrons certains segments narratifs du roman pour décrire un
certain nombre de caractéristiques des temps passés en français,
2 Les grammaires (Stanojčić & Popović 2002; Piper & Klajn 2013) font aussi
mention des verbes biaspectuels, c’est-à-dire ceux qui peuvent être à la fois
perfectifs et imperfectifs, en fonction du contexte ; ce sont des verbes tels que
čuti (entendre), vidjeti (voir), ručati (déjeuner), večerati (dîner), telefonirati
(téléphoner). Stanojčić & Popović (2002 : 105) soulignent que l’existence des
verbes biaspectuels rapproche le serbe des langues non-slaves (anglais,
français, allemand, etc.), tandis que l’existence des verbes ayant deux aspects
distincts le différencie de ces langues.
3 Le passé composé peut être employé au lieu du passé simple, mais le couple
3) Il entrait toujours dans la salle avec les mains dans les poches.
3’) Uvijek je ulazio u salu držeći ruke u džepovima.
toutes les personnes (je, tu, nous, vous) sont employées. Les
événements évoqués « sont mis en relation avec l’actualité du
locuteur » (Grammaire méthodique du français 2013 : 1002). Le plan
discursif permet l’emploi de tous les temps verbaux, sauf les passés
simple et antérieur.
Pour clôturer cette partie, nous signalerons seulement qu’il
« existe certes des textes qui ne présentent qu’un seul de ces deux
systèmes » mais que « beaucoup de textes présentent un mélange
des deux systèmes, dont ils associent les formes spécifiques »
(Grammaire méthodique du français 2013 : 1005), ce que nous
montrerons dans la partie suivante.
de tels cas sont nombreux dans notre texte, mais nous y rencontrons
aussi des solutions moins attendues.
Observons au préalable les exemples 5) et 6), dans lesquels
le parfait perfectif est remplacé par le passé simple français :
9’) Elle ne quittait plus sa chambre depuis des années, mais la mort
refusait de toquer à sa porte. (Spahić 2011 : 18)
11) Još uvijek smo sjedjeli u Zoltanovoj sobi kada se iz pravca fabrike
začuo prvi pucanj. (Spahić 2004 : 65)
11’) Nous étions toujours dans la chambre de Zoltan quand, du côté de
l’usine, éclata un premier coup de feu. (Spahić 2011 : 60)
12) Sate popodnevnog odmora – ako nije trebalo ubrati brijest ili cijepati
drva za ogrijev – Robert je provodio u sobi leđima prislonjen o zid. Sjedio
je na krevetu odakle je mogao da vidi vrhove krošnji iza bolničke ograde i
usiljeni osmjeh Nicolaeia Ceausescua na fabričkom zidu. Sa police je
uzimao jednu od besmislenih knjiga iz improvizovane lične biblioteke i
listao zaustavljajući se na pojedinim stranicama sve dok Nicolaeiovo lice
ne bi prekrila rumena sjenka predvečerja. (Spahić 2004 : 41)
12’) Quand il ne fallait pas aller chercher de l’écorce d’aubier d’orme ou
couper du bois pour le chauffage, Robert passait les heures de sieste dans
la chambre, adossé au mur. Assis sur son lit, il pouvait apercevoir la cime
des arbres derrière la grille de l’hôpital et le sourire affecté de Nicolae
Ceausescu sur le mur de l’usine. Il prenait sur l’étagère l’un des livres
saugrenus de la bibliothèque personnelle qu’il s’était improvisée, le
feuilletait, s’arrêtant parfois à certaines pages, jusqu’à ce que l’ombre
vermeille du début de soirée ait recouvert le visage de Nicolae. (Spahić
2011 : 39)
14) Oslonio sam lice na staklo zadnjih vrata presvučeno žicom. Mala
ambulantna stanica na krajnjoj periferiji Bukurešta postajala je bijela
tačka sa mrljom crvenog krsta na zidu. Čovjek koji se nije pojavljivao
tokom pregleda izašao je ispred oslanjajući se na zid. Ležerno je mahao
u znak pozdrava dok smo odlazili. (Spahić 2004 : 27)
14') J’appuyais mon visage sur la vitre grillagée du hayon. Le petit
dispensaire de la banlieue éloignée de Bucarest n’était plus qu’un point
blanc avec une petite tache, celle de la croix rouge apposée sur l’un des
murs. Un homme qui ne s’était pas montré pendant la consultation
sortit au moment de notre départ et s’appuya à ce mur. Il nous fit un
petit signe de la main alors que nous nous éloignions. (Spahić 2011 :
27)
16) Trinaestog juna 1989. Ingemar Zoltan nije sišao na ručak. (Spahić
2004 : 80)
16’) Le 13 juin 1989, Ingemar Zoltan n’est pas venu déjeuner. (Spahić
2011 : 73)
19) Poklon koji sam dobio drugog aprila 1989. za moj četrdesetdrugi
rođendan, nisam držao na noćnom stolčiću, već duboko u postavi
madraca ispunjenog ovčjom vunom. Robert ga je ostavio pored
budilnika tako da je uz histeričnu zvonjavu ruske rakete, kad sam ga
ugledao, od uzbuđenja zazvonilo i u mojoj glavi. (Spahić 2004 : 20)
19’) Le cadeau que j’ai reçu le 2 avril 1989, pour mon quarante-
deuxième anniversaire, je ne l’ai pas laissé sur ma table de nuit, mais je
l’ai enfoui loin sous la toile de mon matelas de laine. Robert l’avait posé
contre le réveil. Quand la sonnerie hystérique du Raketa russe a retenti,
je l’ai aussitôt aperçu et cela a provoqué en moi un émoi si grand que
tout s’est mis à sonner également dans ma tête. (Spahić 2011 : 21-22)
20) Tog jutra, kada sam u zid pohranio svoj rođendanski poklon –
rumunski pasoš umotan voštanom hartijom – i potom, lagano odložio
konzervu sa cvijećem na prozor da ne bih probudio Duncana leđima
okrenutog sobi: tog jutra sam prvi put ozbiljno razmišljao o bjekstvu.
(Spahić 2004 : 59)
20’) Ce matin-là, quand j’eus caché mon cadeau d’anniversaire – un
passeport roumain enveloppé dans un papier ciré – et posé
délicatement, pour ne pas réveiller Duncan qui tournait le dos à la
chambre, la boîte avec les fleurs sur le rebord de la fenêtre, ce matin-là,
donc, pour la première fois j’envisageai sérieusement une évasion.
(Spahić 2011 : 55)
4. Conclusion
Nous avons essayé de décrire les traits fondamentaux des
temps passés en français, dans le contexte de l’expression de
l’aspect lors d’un procès traductologique. Nous avons vu que les
langues décrites sont assez différentes en termes d’expression de
l’aspect, qui s’exprime dans les langues BCMS de manière
morphologique et en français de manière grammaticale ou lexicale.
Ensuite, en raison d’un système temporel simplifié, le parfait du
système BCMS est quasiment le temps passé prédominant et, utilisé
avec l’aspect approprié, peut correspondre au passé simple et à
l’imparfait en français, mais aussi à d’autres temps tels que le passé
composé, le plus-que-parfait et le passé antérieur. Nous croyons
pour cela que la transposition de certains événements passés peut
représenter un vrai défi pour les traducteurs francophones. De plus,
il semble que la « règle » selon laquelle le parfait perfectif
correspond au passé simple et le parfait imperfectif à l’imparfait ne
soit pas appliquée de manière cohérente et que la transposition de
ces procès dépende largement de la perception personnelle du
traducteur. Nous pensons que les traducteurs peuvent choisir le
temps approprié s’ils se concentrent sur l’expression des valeurs
aspectuelles que le verbe du texte original porte en soi. D’une
importance cruciale est aussi la connaissance des caractéristiques
langagières en dehors du contexte (comme l’emploi des temps
caractéristiques des deux plans d’énonciation définis par
Benveniste).
Sources
Spahić, Ognjen. Hansenova djeca. Zagreb: Durieux; Cetinje: Otvoreni kulturni
forum, 2004.
Spahić, Ognjen. Les enfants de Hansen. (traduit du monténégrin par Mireille
Robin et Alain Cappon), Montfort-en-Chalosse: Gaïa Éditions, 2011.
Références bibliographiques
Barceló, Gérard Joan & Jacques Bres. Les temps de l'indicatif en français. Paris:
Ophrys, 2006.
Benveniste, Émile. Problèmes de linguistique générale I. Paris: Gallimard, 1966.
Piper, Predrag & Ivan Klajn. Normativna gramatika srpskog jezika. Novi Sad:
Matica srpska, 2013.
Introduction
Le développement de chaque personne s’organise dans un
contexte socio-culturel où les attitudes prolifèrent. Dans le domaine
éducatif, le cadre scolaire est un milieu particulièrement important
car il constitue « l’un des espaces principaux de socialisation »
(Riaňo, 2006 : 427) : c’est pourquoi la planification linguistique doit
tenir une place prioritaire parmi les objectifs éducatifs. Dans ce
contexte, la conception d’attitude linguistique peut avoir une grande
influence, car elle peut présenter l’une des stratégies les plus
efficaces dans le cadre d’enseignement-apprentissage des langues. À
ce titre l’UNESCO, dans un rapport fait par l’Association
Internationale de Linguistique Appliquée en 1992, souligne
l’importance pour les élèves de développer, à partir de leur
6 Nous entendons par affectif « un large domaine qui comprend les sentiments,
les émotions, les croyances, les attitudes qui conditionnent de manière
significative notre comportement » (Arnold, 2006 : 407).
Nombre
Nom de l’école et ville : d’enquê Langue choisie :
tés :
Lovćenski partizanski
Italien : Allemand : Français : Russe :
odred – Cetinje 22
20 0 2 0
225,
150,
75,
0,
Italien Allemand Français Russe
Graphique 1 – Pourcentage d’élèves des écoles primaires sur le littoral
monténégrin ayant opté pour l’une des langues proposées.
-EP, 30, G1 : « C’est très difficile de -EP, 165, G1 : « C’est la lettre "R" qui est
prononcer le français. Cette langue est très sympathique ».
incompréhensible ».
-EP, 52, G1 : « Le français est ennuyeux. -EP, 28, G1 : « Le français est beau car il est
Ses mots sont difficiles à prononcer ». unique ».
-EP, 284, G1 : « Cette langue ne me plaît -EP, 290, G1 : « C’est une langue qui repose
pas. La seule chose qui me plaît dans cette la gorge lorsque tu la parles ».
langue, ce sont les chansons françaises.
Rien d’autre ».
-EP, 146, G1 : « Le français a ce “R” bizarre. -EP, 76, G1 : « C’est une langue des dames.
Je ne l’aime pas à cause de ce “R” qui est Une vieille langue. Je l’ai choisie pour ces
tout à fait différent de notre "R" ». raisons ».
7 L’une des raisons pour laquelle nous nous sommes décidée à utiliser cette
méthode de recueil d’informations était surtout la perspective quantitative du
questionnaire, qui nous a permis, entre autres, de générer des chiffres à la fois
descriptifs et explicatifs qui n’ont pas les mêmes valeurs et les mêmes
fonctions. Les chiffres descriptifs, qui ont pour fonction de dénombrer et d’être
les plus précis possible (Singly, 2012) nous ont permis de vérifier in situ, le
nombre d’élèves qui choisiraient la langue française comme deuxième langue
étrangère (et ainsi d’en faire un bilan), tandis que les chiffres explicatifs nous
ont permis de révéler, d’une certaine manière, des liaisons entre des faits,
c’est-à-dire d’étudier les raisons des choix et des conduites de nos enquêtés.
Afin de faciliter la compréhension et de permettre au lecteur de discerner
aisément qui a dit quoi dans le questionnaire, nous avons procédé de manière
suivante : les questionnaires faits auprès des élèves des écoles primaires ont
été désignés par les lettres majuscules EP (école primaire) et par le nombre 1,
2, 3, etc. jusqu’à 304 (le nombre total de questionnaires recueillis). Ensuite
nous avons ajouté ici le G1, désignant le Groupe 1.
Logos & Littera: Journal of Interdisciplinary Approaches to Text 5 (2) 111
Les attitudes et les representations des élèves Monténégrins…
-EP, 72, G1 : « Le français c’est la langue -EP, 102, G1 : « C’est une langue qui a un
des chats. Ils ronronnent comme les chats bel accent. C’est la langue de l’amour et de
avec ce « R » bizarre. Cela ne me plaît la beauté de l’esprit humain ».
pas ».
-EP, 287, G1 : « Il est très difficile. Il a -EP, 32, G1 : « J’ai choisi cette langue car
beaucoup de mots irréfléchis ». j’aimerais la parler couramment un jour.
J’aimerais être comme les Français. Les
Français ont une culture riche ».
-EP, 43, G1 : « Le français est une langue -EP, 89, G1 : « Le son "J" est dominant dans
très efféminée. C’est l’italien qui m’est plus cette langue, c’est pourquoi dans cette
proche car il ressemble à ma langue langue on peut draguer les filles ».
maternelle ».
-EP, 65, G1 : « Je ne l’ai pas choisi. Je hais le -EP, 8, G1 : « Cette langue sonne bien. Elle
français. Leur accent m’énerve ». est remarquable ».
- EP, 202, G1 : « Cette langue ne me plaît -EP, 94, G1 : « Le français me plaît. Les
pas parce que je dois casser ma langue Français sont des gens pleins d’émotions.
pour la prononcer et je dois faire des Ils sourient toujours. Quand j’étais chez
mimiques bizarres ». ma tante en France, j’ai vu que les Français
se faisaient très souvent la bise ».
- EP, 12, G1 : « Il y a beaucoup de mots -EP, 211, G1 : « Les lettres françaises sont
étranges en français. Je ne peux pas douces tandis que les lettres des autres
l’apprendre car je dois changer de voix ». langues sont plutôt dures. C’est la raison
pour laquelle je l’ai choisi ».
-EP, 301, G1 : « Je n’aime pas le français - EP, 66, G1 : « J’aime leur accent ».
parce que les Français sont les gens très
égoïstes, prétentieux. Ils veulent toujours
être "les dominants" ».
-EP, 88, G1 : « C’est la langue la plus - EP, 7, G1 : « Cette langue est très
difficile. Mon père dit que les Français honnête ».
aiment manger les mots comme s’ils
avaient toujours faim tandis que les
Italiens prononcent clairement les mots ».
-EP, 145, G1 : « Le français est très -EP, 241, G1 : « La langue française est une
différent par rapport aux autres langues et langue très élégante et féminine c’est
particulièrement bizarre. Je ne l’ai pas pourquoi je l’ai choisie ».
choisi. J’ai l’impression que les Français se
donnent de l’importance lorsqu’ils le
parlent ».
9 www.mps.gov.me/biblioteka/zakoni.
10 Tout au long de la présentation des phrases des élèves monténégrins, issues
des questionnaires, nous allons souligner des mots clés qui ont attiré notre
attention et qui étaient, dans la plupart des cas, centraux dans notre analyse de
ces phrases.
Logos & Littera: Journal of Interdisciplinary Approaches to Text 5 (2) 114
Les attitudes et les representations des élèves Monténégrins…
4. « C’est une très belle langue, mais tu dois faire beaucoup d’efforts
pour apprendre à parler en français. Ce qui est le plus compliqué c’est
de rouler la langue » (EP, 59, G1),
5. « Autant il est beau, autant il est difficile car il a beaucoup de règles
de prononciation. On doit changer de voix si l’on veut parler cette
langue. C’est pourquoi rares sont ceux qui peuvent l’apprendre » (EP,
111, G1),
6. « C’est une langue avec des mots mélangés. Belle pour la
prononciation, mais je n’arrive à mémoriser aucun de ses mots. Je ne
sais pas pourquoi » (EP, 122, G1),
7. « J’adore comment ça sonne quand quelqu’un parle français. Mais
ce qui m’énerve c’est que si tu veux vraiment le parler tu dois casser ta
langue pour y réussir » (EP, 46, G1),
8. « Pour moi, cette langue est très charmante, mais elle est aussi la
langue la plus difficile à apprendre, parce qu’il y a des mots qui se
prononcent à partir de la gorge » (EP, 91, G1),
9. « Une langue très intéressante car elle est spécifique, pas comme
les autres. Elle est très difficile parce qu’elle a ce "R" qui se prononce
différemment. En conséquence, je préfère plutôt le russe qui est plus
proche de ma langue maternelle » (EP, 134, G1),
10. « J’aimerais l’apprendre, mais ce qui me poserait problème c’est
l’effort que je dois faire pour prononcer ce "R" bizarre. Le "R" dur de la
langue italienne m’est beaucoup plus naturel » (EP, 139, G1),
11. « Beaucoup de beaux mots dans cette langue, de belles chansons.
Les gens disent que c’est une langue très exigeante car tu dois faire
attention à accentuer constamment la lettre "R" » (EP, 178, G1)
12. « Très difficile, car ses mots s’arrangent et s’articulent
différemment » (EP, 192, G1),
13. « Cette langue est très importante en Europe. La manière française
de parler est la plus difficile en Europe » (EP, 118, G1),
14. « Je dirais que le français est très curieux et intéressant, mais ses
accents sont difficiles. J’aurais des difficultés pour les prononcer » (EP,
91, G1),
15. « La langue française a un tempo assez rapide, ce qui me convient
tout à fait. Elle a aussi un accent bizarre et un peu drôle ; je ne sais pas
si je serais capable de l’apprendre » (EP, 150, G1).
16. « C’est une langue mélodieuse et l’une des plus difficiles parce que
le savoir que j’ai de ma propre langue ne me servirait point dans
l’apprentissage du français » (EP, 169, G1),
17. « Facile et difficile en même temps » (EP, 231, G1),
18. « Même s’il est très connu pour sa culture, le français est le plus
difficile de toutes les langues parce que les Français et les
Monténégrins ne s’expriment pas de la même manière » (EP, 302, G1),
19. « C’est beau de l’écouter, mais c’est difficile de le parler » (EP, 175,
G1),
20. « Difficile mais complète lorsque tu la prononces ! » (EP, 199, G1),
21. « Je sais que la langue française est difficile, car tu dois poser ta
bouche d’une manière différente, mais pour moi il est important de
l’apprendre » (EP, 228, G1),
22. « Cela nous gêne, nous les Monténégrins, d’entendre le français »
(EP, 277, G1).
- les facteurs culturels : « Même s’il est très connu pour sa culture, le
français est le plus difficile de toutes les langues parce que les Français
et les Monténégrins ne s’expriment pas de la même manière ». /
« Cette langue est très importante en Europe. La manière française de
parler est la plus difficile en Europe ». / « Cela nous gêne, nous les
Monténégrins, d’entendre le français ». /
37. « Ce que j’aime dans cette langue, c’est le sens de la parole » (EP,
167, G1),
38. « Les autres me disent que la grammaire française est très difficile
au point que nous ne pouvons pas l’apprendre. Moi, je ne suis pas tout
à fait d’accord avec eux parce que ma sœur étudie le français et elle est
une bonne étudiante » (EP, 193, G1),
39. « Beaucoup de mots compliqués en français, c’est ce qui le rend
intéressant » (EP, 292, G1),
40. « Cette langue me plaît, mais elle a des mots difficiles et trop
lourds » (EP, 244, G1),
41. « La culture française : la beauté ! La langue française : un poids
lourd ! » (EP, 169, G1).
Il est normal que les parents conseillent leur enfant afin que
celui-ci puisse prendre une bonne décision. Mais l’enfant dont il est
question ici n’a pas eu conscience qu’il pouvait choisir et décider
tout seul ; il n’a pas été conseillé car il dit : « Les parents m’ont dit de
ne pas la choisir ». Ici l’attitude positive de l’enfant « Cette langue me
plaît » n’est pas assez forte pour combattre l’attitude imposée par
ses parents.
La stratégie concernant la rééducation des attitudes doit, en
premier lieu, prendre en considération tous les types de
manipulations mentales que les parents peuvent exercer,
consciemment ou inconsciemment, sur leurs enfants. Éduquer les
parents à surmonter leurs propres limites à l’égard des attitudes
sera indispensable ici.
Heureusement, dans le cas EP, 193, G1, nous avons un
exemple où l’enfant résiste aux influences de son entourage (« Les
autres me disent que la grammaire française est très difficile au
point que nous ne pouvons pas l’apprendre »), parce que quelqu’un
de son milieu familial, ici sa sœur, parle déjà cette langue, ce qui lui
servira de modèle pertinent sur lequel il s’appuiera (« Moi, je ne suis
pas tout à fait d’accord avec eux parce que ma sœur étudie le
français et elle est une bonne étudiante »).
Nous avons donc voulu comprendre à travers ces
explications le déséquilibre entre le nombre d’élèves qui ont choisi
la langue française (15 élèves) comme deuxième langue étrangère et
le nombre de ceux qui avaient des attitudes positives à l’égard de
cette langue (173 élèves), mais ne l’ont finalement pas choisie.
42. « C’est la plus belle langue que j’aie jamais entendue. Elle est pleine
de mots tendres. Pour moi, cette langue est dotée d’un pouvoir » (EP,
304, G1),
43. « Le français a ce “R” bizarre. Je ne l’aime pas à cause de ce “R” qui
est tout à fait différent de notre "R" » (EP, 146, G1),
44. « Le français c’est la langue des chats. Ils ronronnent comme les
chats avec ce « R » bizarre. Cela ne me plaît pas » (EP, 72, G1),
45. « C’est une langue qui repose la gorge lorsque tu la parles » (EP,
290, G1),
46. « Je ne l’ai pas choisi. Je hais le français. Leur accent m’énerve »
(EP, 65, G1),
47. « On prononce les mots français en souriant » (EP, 225, G1),
11 Nous nous appuyons ici sur un article de Matthey (éd.), « Les langues et
leurs images », IRDP & Editions L.E.P., Neuchâtel & Lausanne, 1997, disponible
sur le site Internet https://www.irdp.ch/data/secure/2211/document/Call_
Imagedeslangues.pdf traitant la notion d’image des langues.
12 Ibid.
13
C’est nous qui soulignons.
14 Dans quelques exemples cités ci-dessus (par ex. EP, 148, G1 et EP, 241, G1)
la langue française est personnifiée. Elle ressemble à une femme. Nous avons
les adjectifs qui nous indiquent cela : « féminine », « élégante », « la langue des
dames ». J.-M. Prieur (2005 :135, 202) parle de la figure de « femme-langue ».
15Alén Garabato (2003 : 9) emprunte ici cette notion à Bourdieu (« Vous avez
dit populaire », Actes de la recherche en sciences sociales, 46, mars, 1983 : 102-
103) mais avec un sens légèrement différent.
Conclusion
A travers la présente recherche nous avons pu constater que
nos idées sur une langue commencent à se former à partir de la
perception de sa « voix ». Cette voix, comme on vient de le voir à
travers les exemples cités, porte en elle plusieurs inscriptions,
d’abord affectives, ensuite culturelles, et aussi esthétiques et
linguistiques, grâce auxquelles se forment des réseaux très
complexes d’associations diverses dans lesquelles se génèrent les
images qui sont à l’origine de la création des idées qui se regroupent
en une attitude (ainsi qu’en une représentation). Celle-ci est, bien
sûr, conditionnée aussi par d’autres facteurs complémentaires et
importants, et qui sont d’ordre personnel, familial et scolaire.
Quant aux attitudes liées à la langue française, il a été
intéressant de constater que c’est premièrement par rapport à son
image sonore que les élèves du Groupe 1 ont réagi en éprouvant le
sentiment du plaisir ou celui du déplaisir, de l’attrait ou du refus.
Nous avons pu voir aussi que différentes composantes ont été
extraites ici par rapport à la « voix » de la langue française,
lesquelles peuvent contrecarrer le désir de l’apprendre. D’une
manière plus concrète, on a pu discerner les quatre
composantes étroitement liées aux difficultés éprouvées devant les
sons du français (le son qui a été le plus commenté étant le son
« R »), à savoir : la composante esthétique, identitaire, culturelle, et
celle du rapport avec la langue maternelle. Parallèlement à ces
difficultés d’origine affectivo-sonore, nous avons discerné aussi des
difficultés au niveau de la grammaire, de la syntaxe et de
l’orthographe liées au français.
Nous avons aussi analysé les différents rapports de nos
enquêtés à l’égard de la langue/culture françaises à l’aide de trois
Logos & Littera: Journal of Interdisciplinary Approaches to Text 5 (2) 126
Les attitudes et les representations des élèves Monténégrins…
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