Lors de son discours de politique générale, Michel Barnier a affirmé devant les parlementaires que le gouvernement portera une « loi infirmières-infirmiers », élargissant encore le rôle de ces professionnels de santé dans le parcours de soins. Si l'annonce ravit les infirmiers, ces derniers espèrent que ce sera aussi l'occasion d'améliorer leurs conditions d'exercice.
Michel Barnier a fait ce qu’aucun autre Premier ministre n’avait fait avant lui : mettre la profession infirmière au cœur de son discours de politique générale. Il ne s’agissait pas seulement de remercier, mais d'acter la nécessité d’une réforme trop longtemps retardée, privant des millions de patients d’un accès facilité aux soins, et 640 000 infirmiers d’une reconnaissance méritée. Pourtant, dès le lendemain, une minorité non représentative s’élevait déjà contre une supposée future « médecine à deux vitesses ». Ces critiques ignorent que ce système existe déjà depuis des années, entre les patients avec un parcours de soins fluide et ceux qui n'y accèdent pas. La faute à une organisation des soins trop médico-centrée, alors qu’elle devrait être patient-centrée. Heureusement le choix de faire évoluer ou non cette situation sera bientôt offert aux parlementaires.
Il est important de noter que l'annonce de cette réforme avait déjà été bien accueillie par la profession infirmière et les associations de patients. Pour satisfaire cette attente et garantir la réussite de la réforme, elle doit désormais aborder cinq points essentiels : améliorer l'accès aux soins des patients, reconnaître enfin la discipline infirmière au niveau du code de la santé publique, considérer l’ensemble de ses spécialités et laisser la pratique avancée exploiter son plein potentiel, améliorer les conditions de travail et gérer la pénibilité, et, surtout, traiter la question de la rémunération.
L’amélioration de l’accès aux soins
Aujourd'hui, plus de 11 % des Français sont sans médecin traitant. L'engorgement des urgences complique encore cet accès aux soins. La solution serait d’appliquer une gradation juste des soins entre professionnels de santé, et de permettre à d'autres professions de réaliser en accès direct des actes relevant de leurs compétences, tout en étant intégrées dans un parcours de soins. Pour cela, la loi infirmière devra reconnaître la consultation infirmière, le diagnostic infirmier, permettre certaines prescriptions dans le champ d’action infirmier, reconnaître pleinement le rôle infirmier dans les soins relationnels et leurs apports conséquents à la prise en charge du patient et ainsi donner une plus grande autonomie aux infirmiers dans le cadre de leurs compétences (notamment un accès direct au rôle propre infirmier sans prescription en ville).
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L’objectif n'est pas de remplacer les médecins mais de donner aux infirmières les moyens d’intervenir dans des soins qui relèvent de leur champ, comme la vaccination ou la gestion des plaies. Car faute de médecin, la prescription médicale complique parfois l'accès aux soins infirmiers. Il faut aussi retenir les enseignements de la crise Covid, qui a démontré l’impact territorial des infirmiers en lien avec les élus locaux. En effet, les maires étant des acteurs clés de l'organisation territoriale des soins, des liens se sont créés pendant la pandémie pour trouver des solutions innovantes. Et face à la pénurie de médecins, particulièrement dans les zones rurales et périurbaines, le renforcement du rôle des infirmiers, en collaboration avec les collectivités locales et les autres professionnels de santé, pourrait être une réponse adaptée pour garantir un accès plus équitable aux soins sur l'ensemble du territoire.
La juste reconnaissance de la profession infirmière
La réforme doit aussi reconnaître juridiquement le rôle des infirmiers. Déjà, il est impératif de supprimer l’appellation « auxiliaires médicaux » dans le Code de la santé publique, qui définit la profession en la subordonnant à une autre. L’infirmière doit être reconnue en tant que soignante avec un rôle autonome, capable de participer à l’analyse clinique et au parcours de soins, de même que dans son rôle actif en prévention, en promotion de la santé et en éducation thérapeutique ainsi que dans l’enseignement et la recherche, autant en sciences infirmières que dans d’autres champs de recherche scientifique.
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La formation en Institut de formation en soins infirmiers (IFSI) reste limitée à trois ans. Mais trois années ne suffisent plus à couvrir les besoins complexes de notre époque. Pourtant, une simple année de professionnalisation pourrait tout changer. Les pays voisins l'ont compris. En Espagne, au Portugal, en Belgique, la formation dure déjà quatre ans. Et les résultats sont là : plus d'autonomie, des soins de meilleure qualité. L’Europe nous montre ainsi l’exemple à suivre.
Prendre en compte la diversité de la profession infirmière
La richesse de la discipline infirmière réside dans sa pluralité d’exercices. Elle est composée de la profession socle, avec des spécialités (infirmiers de bloc opératoire, anesthésistes, puéricultrices) et des infirmiers en pratique avancée. Mais elle comprend aussi des statuts spécifiques, tels que les infirmiers de santé au travail et les infirmières de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur.
La future loi doit reconnaître toutes ces spécificités, donner plus d’autonomie à ces professionnels et intégrer les spécialités à la pratique avancée tout en garantissant leur reconnaissance juridique en respect de leurs spécificités.
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Sur la pratique avancée existante, les textes d’application de la loi Rist 2, en attente depuis plus d'un an, doivent enfin voir le jour, cette attente intolérable pèse in fine sur les patients. De plus, la future loi infirmière doit permettre la refonte des mentions avec des approches populationnelles plus larges permettant d’intégrer des expertises. Enfin, il faut reconnaître à juste titre cette formation universitaire dans son ensemble et ne pas conditionner l’exécution d’actes qui sont déjà enseignés en formation initiale à des modules complémentaires.
Améliorer la qualité de vie au travail
Pour retenir les infirmiers dans leurs fonctions, il est crucial d’améliorer la qualité de vie au travail. Cela passe par l’adoption à l’Assemblée de la proposition de loi sur les ratios soignants/soignés, portée par le sénateur Bernard Jomier et déjà votée à l’unanimité au Sénat en 2023, qui apporterait plus de sécurité pour les patients et redonnerait du sens au travail des soignants.
La pénibilité du métier doit également être intégrée dans le calcul des retraites. 20 % des infirmières sont en invalidité lors de leur départ en retraite. La durée de vie d’une infirmière retraitée est de 78 ans, contre 85 ans pour une femme en France. Sept années de vie en moins ! Ce n’est plus acceptable.
Enfin, la réforme doit offrir de véritables perspectives d'évolution professionnelle, pour que la profession devienne un véritable ascenseur social, permettant aux infirmiers d’évoluer dans les soins, mais aussi dans d’autres secteurs.
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La revalorisation des infirmiers est un point essentiel. Actuellement, en France, dans les établissements de santé, les infirmiers sont rémunérés 10 % de moins que leurs homologues européens. Il est impératif d’améliorer les grilles salariales, non seulement pour les infirmières généralistes, mais aussi pour les spécialités et la pratique avancée, qui doivent être rémunérées à la hauteur de leurs compétences (pour exemple une infirmière en pratique avancée connaît une augmentation de rémunération de moins de 1,70 %). En ville, l'inflation doit avoir un impact positif sur le prix des actes, la dégressivité tarifaire doit être revue, voire supprimée, et la prise en charge des patients les plus complexes doit être valorisée. Pour que les infirmiers ne quittent plus leur blouse, il faut leur offrir un revenu digne de leurs responsabilités.
L’heure du choix
Il est clair que revaloriser la profession infirmière, tant en compétences qu’au niveau financier, permettrait de renforcer le système de santé et serait même une source d’efficience dans un contexte économique compliqué.
Il est aussi important de rappeler que 640 000 infirmières œuvrent quotidiennement pour les patients sur tout le territoire, dont 130 000 en exercice libéral, et ce sont les seules à aller au jour le jour au domicile des patients, notamment pendant la période du COVID. Pourtant leur statut n’a pas évolué. Désormais, la profession infirmière ne peut plus attendre cette reconnaissance et les patients ne peuvent plus indéfiniment souffrir de ce manque d’accès aux soins.
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Il est donc temps pour les parlementaires de soutenir la future réforme infirmière, initiée par Frédéric Valletoux et confirmée par Michel Barnier. En effet, le Parlement doit choisir : reconnaître enfin une profession essentielle ou maintenir un statu quo insoutenable et désormais incompréhensible pour toute une profession mais aussi, et surtout, pour l’accès aux soins des patients. L'heure du choix est arrivée.
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Rédacteur : Grégory Caumes, juriste et expert des questions santé auprès de l’observatoire santé et innovation de l’institut Sapiens.
Signataires : Association Française des Infirmières de cancérologie (AFIC), Association nationale des cadres de Santé (ANCIM), Association Nationale des Infirmiers de Sapeurs-Pompiers (ANISP), Association Nationale des Puéricultrices Diplômées d'Etat (ANPDE), Association de Promotion de la Profession Infirmière (APPI), Comité d'Études des Formations Infirmières et des pratiques en Psychiatrie (CEFI Psy), Collège des acteurs en soins infirmiers (CNASI), Collectif Infirmiers Libéraux en Colère (CILEC), Collectif Je Suis Infirmière Puéricultrice (CJSIP), Coordination nationale infirmière (CNI), Fédération française des infirmières diplômées d'État coordinatrices (FFIDEC), Fédération Nationale des Infirmiers (FNI), Groupement des Infirmiers de santé au travail (GIT), Organisation Nationale des Syndicats d’Infirmiers Libéraux (Onsil), Syndicat National des Infirmières Conseillères de Santé (SNiCS), Syndicat National des Infirmiers et Infirmières Éducateurs en Santé (SNIES), Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil), Syndicat National des Professionnels Infirmiers (SNPI), Société française de recherche des infirmiers en pratique avancée (SoFRIPA), Union Nationale des Infirmier.es en Pratique Avancée (UNIPA).