Numérique
Par Caroline Girard
Publié le 06 janvier 2024 à 07h30
Une mèche blanche tranche avec le foncé du bois. "Ça va jouer dans deux minutes !", prévient Pascal Quoirin. La lumière d’une lampe frontale éclaire la tuyauterie. Fabienne et Dominique se faufilent, agiles. Quelques réglages encore. Et le silence de l’abbatiale de Pontigny se brise quand, enfin, le facteur d’orgue se met à jouer.
En septembre, l’instrument classé Monument historique retrouvait le site cistercien après son départ pour Saint-Didier dans le Vaucluse, au printemps 2021. 20.000 heures de rénovation, "deux mois et demi de montage et trois semaines d’harmonisation". Jusqu’aux derniers réglages réalisés encore ce vendredi 5 janvier.
"Facteur d’orgue, c’est un vieux métier. Moi, je suis rentré en apprentissage à l’âge de 15 ans", raconte Pascal Quoirin. Dans la conversation, il déroule quelques chantiers. Parmi lesquels un imposant parisien : Notre-Dame. "On a totalement restauré l’instrument, mais on ne peut pas l’accorder pour le moment parce qu’il y a encore trop de bruit des travaux dans la nef de la cathédrale."
Au printemps 2019, il avait été appelé pour évaluer les possibles dégâts après l’incendie qui avait largement endommagé la toiture, la charpente et la flèche de l’édifice. Alors que la réouverture au public est on ne peut plus attendue, l’enjeu paraît colossal. Mais "on a restauré un jour un orgue historique dans un village où il y avait 125 vaches et 40 habitants. Et on a la même passion pour ça que pour Notre-Dame."
Pontigny, 759 habitants au dernier recensement, s’ajoute désormais à la liste des endroits marqués par la patte "Quoirin". Raphaël, le fils de Pascal, a mis au service de l’instrument sa "très bonne oreille", pour le travail d’harmonisation. "Il y a 700 tuyaux du XVIIe siècle, une centaine du XVIIIe. D’origine, il y a aussi le buffet. Toute la partie instrumentale, toutes les transmissions, ce que l’on appelle les tirages de jeux, les souffleries etc., tout ça, c'est de notre fabrication", liste Pascal Quoirin. Une restauration que l’association Orgue à Pontigny et son président ont passé bien du temps à défendre. "Orgue du matin au soir. Neuf ans de ma retraite", glisse Serge Scapol.
Il connaît la maison par cœur, en enfant du pays passionné. Pour accéder à l’orgue, il faut grimper quelques marches qu’il grimperait les yeux fermés. "La tribune en pierres a été totalement nettoyée. Plus de toile d’araignée." Il a déjà en tête tous les événements qui graviteront autour de l’orgue rénové, mais profite de cet instant un peu privilégié pour voir la grande machine se mettre en route après une longue mise à l’arrêt.
Fabienne a quitté sa lampe frontale. Elle se déconcentre à peine malgré les conversations qui se croisent, présente pour "parfaire les derniers réglages mécaniques". "C’est à l’intérieur que la magie opère." Elle tire une porte, cachée dans le buffet. Et à l’intérieur, des centaines de petites baguettes en bois s’activent.
"Lorsqu’on enfonce une touche, ça tire une vergette en bois, qui va tirer une soupape. C’est très direct et sensible, explique Pascal Quoirin. Cet orgue-là a été extrêmement transformé depuis sa construction".
Il retrace l’histoire, qui passe par Châlons-en-Champagne (le buffet, datant du XVIIe se trouvait à l’origine là-bas, dans un couvent), évoque les modifications transformant l’orgue de "baroque" à "romantique", l’explosion d’un train de marchandise en 1943 et les dommages causés sur l’abbaye. Les modifications "faites par Gutschenritter, qui a massacré complètement l’instrument". Puis, plus récemment. L’inventaire de la tuyauterie ancienne et la décision, validée par la commission nationale des Monuments historiques, de rénover pour "retourner à l’état XVIIIe".
Il restera quelques réglages d’ici l’inauguration, en juin. Des vérifications après les changements de saison et de températures. Quand Pascal Quoirin en parle, il y a cette simplicité déconcertante de ceux qui maîtrisent. "Pour l’apprentissage de la facture d’orgue, il faut une dizaine d’années." Et pour qualité ? "Être docile. C’est tout. Docile, c’est-à-dire celui qui se laisse apprendre." Être acrobate aussi ? "Un peu". Et puis d’un coup la liste s’allonge.
Il décrit pourtant un mécanisme "complètement basique" et "extrêmement simple". Et se garde bien de tout élan de fierté. "C’est mal vu dans nos métiers." Non lui, ce qui le soucie, c’est transmettre. "Ça, c’est plus compliqué. On a une école en facture d’orgue, en Alsace. Il n’y a pas vraiment de sélection, le diplôme obtenu à l’issue est un bac pro. Il n’y a pas beaucoup de candidats et si on n’en a pas au moins cinq ou six par an, il n’y a pas de subventions…"
Dans l’intimité de l’abbaye, l’équipe attire quelques visites. Pascal Quoirin s’installe pour jouer de cet orgue "de style français". "Quand on joue les jeux d’anches, en général si l’orgue est bien fait, il y a le fantôme de Louis XIV qui rentre dans l’église !" Il joue. Pas de fantôme à l’horizon. Encore moins celui de l’orgue de l’abbatiale. Car s’il avait un temps disparu, il est plus que jamais revenu.
Inauguration. Depuis 2002, l’association Orgue à Pontigny œuvre à la conservation de l’instrument. Et à sa promotion. Après de longs mois de restauration, le président, Serge Scapol, s’enthousiasme déjà de l’inauguration. Les 22 et 23 juin, les organistes Thomas Ospital et Bernard Foccroulle sont attendus à Pontigny. Ils lanceront la première saison musicale de l’orgue rénové, avec une dizaine de concerts prévus entre juin et octobre.
Caroline Girard
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