Des migrants devant les locaux du HCR à Tunis, le 20 avril 2022. Crédit : Picture alliance
Des migrants devant les locaux du HCR à Tunis, le 20 avril 2022. Crédit : Picture alliance

Jean* a fui la Côte d’Ivoire début 2020 après avoir été arrêté par les autorités pour ses activités militantes. L’homme, aujourd’hui âgé de 40 ans, se réfugie en Tunisie où il espère refaire sa vie. Depuis quatre ans, Jean est enregistré comme demandeur d’asile auprès du Haut-commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR) mais n’arrive pas à entrer en contact avec l’agence pour obtenir son statut de réfugié.

"Lorsque je suis arrivé en Tunisie, en février 2020, je ne savais pas que je pouvais demander l’asile dans le pays. Un jour, j’ai rencontré un jeune Camerounais qui avait déposé un dossier auprès du HCR [Haut-commissariat des Nations unies aux réfugiés, ndlr] et je me suis dit que je pouvais faire la même chose.

En juillet, je suis donc allé au CTR [conseil tunisien pour les réfugiés, ndlr] à Tunis où je me suis enregistré comme demandeur d’asile. Puis en début d’année 2021, j’ai eu un rendez-vous avec le HCR.

Le conseil tunisien pour les réfugiés (CTR) est une ONG fondée par un ancien représentant du HCR en Tunisie. Elle appuie l’agence onusienne dans la mise en œuvre de programmes sur la protection et l’assistance des réfugiés et demandeurs d’asile.

J’ai une nouvelle fois raconté mon histoire et les raisons de mon exil - les menaces qui pèsent sur moi en Côte d’Ivoire m’empêchent de rentrer au pays. À la fin de l’entretien, l’agent du HCR m’a délivré une carte de demandeur d’asile. Au début, ce document est valable un an, puis il faut le renouveler tous les six mois.

Le HCR m’a alors dit que mon dossier allait être traité et qu’on me recontacterait pour la suite.

"Je n’ai reçu aucune aide du HCR"

Mais depuis ce jour, je n’ai plus jamais eu de nouvelles du HCR. J’y vais tous les six mois pour renouveler ma carte de demandeur d’asile. Je n’ai pas accès à l’intérieur du bâtiment. Je dois rester à l’entrée, c’est là que des agents me donnent mon nouveau document.


Malgré sa carte de demandeur d'asile, Jean dit ne pas se sentir en sécurité en Tunisie. Crédit : DR
Malgré sa carte de demandeur d'asile, Jean dit ne pas se sentir en sécurité en Tunisie. Crédit : DR


Lorsque je demande à voir un représentant du HCR pour m’orienter et répondre à mes questions, on me dit d’aller au CTR. Puis, au CRT on me dit d’aller voir le HCR. C’est sans fin.

Jean dit croiser beaucoup de demandeurs d'asile qui attendent, comme lui, depuis des années le traitement de leur dossier. Contacté par InfoMigrants, le HCR n’a pas répondu à nos questions.

L’agence onusienne ne m’a jamais aidé, même si je suis demandeur d’asile : je n’ai reçu aucune aide financière pour me loger ou me nourrir. Une fois seulement, ils m’ont protégé. C’était en février 2023.

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À cette époque, les propriétaires d'appartements mettaient les Noirs dehors après le discours raciste du président tunisien. Le HCR a appelé celui de mon logement pour lui dire que j’étais enregistré auprès de leur agence donc en règle. Bon, cela n’a servi à rien car j’ai quand même été expulsé de mon appartement, les voisins ne voulaient pas d’étrangers autour d’eux.

En février 2023, le président Kaïs Saïed a prononcé un discours virulent et raciste à l’encontre de "hordes" de migrants subsahariens. Il les a accusés d’être la source de crimes et de violences en Tunisie. Le chef de l’État a réitéré ses propos à plusieurs reprises ces derniers mois. Depuis un an et demi, les Noirs vivant en Tunisie sont agressés dans la rue par une partie de la population, mais aussi par les policiers. Des milliers de Subsahariens ont été raflés et envoyés dans le désert, à la frontière avec l’Algérie et la Libye, en été 2023. Une centaine d’entre eux y sont morts de soif. Les arrestations et les expulsions dans le désert perdurent encore aujourd’hui et se sont même accentuées ces dernières semaines.

"On n’embauche plus les Noirs en Tunisie"

Ma carte de demandeur d’asile ne me protège absolument pas. En mai dernier encore, mon bailleur m’a mis à la porte car je suis étranger. Il sait que je suis en règle mais il dit avoir reçu des pressions des autorités pour ne plus loger des Noirs.

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Je n’ai plus de travail. Le complexe hôtelier dans lequel j’étais employé comme agent de sécurité a fermé. Et de toute façon, en ce moment, on n’embauche plus les Noirs en Tunisie.

InfoMigrants a recueilli de nombreux témoignages de migrants racontant le licenciement de leur emploi, en raison de leur origine. Les autorités font pression sur les employeurs et les propriétaires d’appartement pour ne pas embaucher ou loger de Subsahariens.

Nous, les Subsahariens, nous ne sommes pas en sécurité en Tunisie. Même avec la carte de demandeur d’asile. Je ne sais pas ce que je vais devenir : je ne peux pas rentrer chez moi et je n’ai pas les moyens de traverser la Méditerranée."

*Le prénom a été modifié.

 

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