Des milliers de médecins et d'enseignants ont quitté le Cameroun à la recherche de meilleurs salaires / Photo : Desire Danga Essigue/REUTERS
Des milliers de médecins et d'enseignants ont quitté le Cameroun à la recherche de meilleurs salaires / Photo : Desire Danga Essigue/REUTERS

La coût de la vie, le manque d'opportunités d'emploi et la nécessité de subvenir aux besoins de leur famille poussent de nombreux jeunes Camerounais à émigrer.

Les autorités camerounaises affirment que plus de 6 000 enseignants, médecins et infirmières ont quitté leur poste dans la fonction publique au cours des trois derniers mois. 

L'Europe est depuis longtemps une destination privilégiée pour les Camerounais, même si un nombre croissant d'entre eux trouvent des débouchés au Canada, où les programmes d'immigration sont plus favorables aux jeunes.

La vague de départs est telle que le présent Paul Biya, âgé de 91 ans et à la tête du Cameroun depuis plus de 40 ans, a officiellement déploré cet exode. Le chef de l’Etat a ainsi fait appel au patriotisme des jeunes et à leur devoir de rester au Cameroun, affirmant que partir n'était "pas la solution" aux problèmes du pays.

Ce message est relayé par les médias d’Etat, notamment a Yaoundé, la capitale, où il résonne chaque matin dans les haut-parleurs du lycée Government High School, dans le quartier de Nyom.

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Le président Paul Biya appelle les jeunes Camerounais à rester au pays | Photo : Stephane Lemouton/abaca/picture alliance
Le président Paul Biya appelle les jeunes Camerounais à rester au pays | Photo : Stephane Lemouton/abaca/picture alliance

Partir à tout prix

Mais les paroles de Paul Biya semblent tomber dans l'oreille d'un sourd. 

L’enseignant Josian Minta, 37 ans, veut quitter le Cameroun. Elle a tenté de rejoindre la Thaïlande il y a deux ans, mais a été refoulée à l'aéroport.

"Nous sommes allés au Nigeria, à Abuja. J'ai dû envoyer mon passeport au Kenya. Un agent m'a dit que mon visa était prêt", raconte-t-elle. "Lorsque j’ai atterri en Thaïlande, les agents de l'immigration ont pris mon passeport et m'ont demandé comment j'avais obtenu mon visa."

Même si Josian Minta dit aprécier le message de Paul Biya, elle ne compte pas suivre l’appel du président. 

Au contraire, elle espère collecter suffisamment d’argent pour se rendre légalement au Canada, où elle entrevoit de nombreuses opportunités et de meilleurs salaires.

S’attaquer aux causes profondes de la migration 

Tumenta F. Kennedy, consultant en migration internationale basé au Cameroun, rappelle que les mauvaises conditions de travail et les niveaux des salaires sont autant de facteurs qui poussent au départ. "Vous ne pouvez pas prôner des valeurs morales ou appeler au patriotisme pour inciter les gens à rester", estime-t-il. Selon lui, la nécessité de subvenir à ses besoins fondamentaux est bien plus importante. 

"Pour faire face aux mouvements de masse, il faut s'attaquer aux causes profondes de la migration, telles que l'instabilité politique, les difficultés économiques, le manque d'opportunités d'emploi et enfin, aux problèmes de sécurité", résume Tumenta F. Kennedy. 

Crises multiples 

Le Cameroun est confronté à trois crises humanitaires. Dans l'extrême nord, près du lac Tchad, les islamistes radicaux de Boko Haram sèment la terreur. Dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, le Cameroun est confronté à la crise anglophone et des revendications séparatistes. Le pays doit également faire face à l'instabilité de la République centrafricaine voisine.

Actuellement, le pays accueille plus d'un demi-million de réfugiés. La Commission européenne estime qu’environ 4 millions de personnes ont besoin d'une aide humanitaire au Cameroun.

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Sur le plan économique, le pays est confronté à un fort taux de chômage.

Angeline Fua, une pharmacienne de 32 ans, déplore que son niveau de salaire est très loin de ce que gagnent les pharmaciens à l'étranger.

"En tant que pharmacien, on vous paie 80 000 francs CFA (121 euros). Pendant ce temps, dans d'autres pays comme le Canada et les États-Unis, on entend parler de personnes qui gagnent plus de 500 000 francs CFA", explique-t-elle.

"Je suis mère de famille. Je dois m'occuper de mes enfants et payer leurs frais de scolarité. J’ai des plans et des projets, mais avec ce que nous gagnons au Cameroun, ce n'est vraiment pas possible."

Boko Haram s’attaque notamment aux nombreux déplacés dans le nord du Cameroun | Photo : Saabi Jeakespier/AA/picture alliance
Boko Haram s’attaque notamment aux nombreux déplacés dans le nord du Cameroun | Photo : Saabi Jeakespier/AA/picture alliance

L'Europe ferme ses portes

Selon Tumenta F. Kennedy, les destinations traditionnelles en Europe ferment leurs portes. "Aller étudier en Allemagne, en France ou en Belgique est un cauchemar", assure le consultant, en soulignant que de nombreux Camerounais visent désormais l'Amérique du Nord. 

"Ces dernières années, nous avons assisté à des campagnes de communication agressives de la part du Canada et des États-Unis", note-t-il. "On ne voit pas de Canadiens faire de la publicité pour des études au Canada, mais on voit des Camerounais qui ont constuit leur vie (dans ce pays) et qui ouvrent maintenant une agence au Cameroun pour faciliter la migration légale vers le Canada."

Le Canada cible spécifiquement les Africains francophones pour satisfaire les besoins en main d’œuvre dans la province francophone du Québec.

Pour les États-Unis, le Cameroun indique que l'année 2023 a vu une augmentation de 70 % de la participation à la "Green Card Lottery", un système de tirage au sort de l’administration américaine qui délivre chaque année des dizaines de milliers de cartes de résident.

L'Union européenne, destination privilégiée des migrants africains, a renforcé ses lois sur l'immigration. | Photo : DesignIt/Zoonar/picture alliance
L'Union européenne, destination privilégiée des migrants africains, a renforcé ses lois sur l'immigration. | Photo : DesignIt/Zoonar/picture alliance

Transferts de fonds 

Les migrants africains renvoient des milliards de dollars dans leurs pays pour soutenir leurs familles et leurs investissements. Selon la Banque mondiale, les flux de transferts de fonds depuis l’étranger vers l'Afrique subsaharienne s'élevaient à 54 milliards de dollars en 2023.

Tumenta F. Kennedy assure que ces transferts de fonds jouent non seulement un rôle essentiel dans le développement de l'économie, mais aussi dans les processus de démocratisation en Afrique. "Lorsque les diasporas acquièrent des connaissances, elles sont capables de soutenir leurs familles, non seulement en termes d'argent, mais aussi en termes de valeurs éthiques et de principes démocratiques", assure-t-il.

Selon le consultant, les Camerounais de la diaspora ne se soucient pas de l’appel du président Paul Biya, car "ils s'intéressent aux moyens de subsistance de leur famille".


Auteur : Moki Kindzeka à Yaounde

Source : dw.com

 

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