1856 fans
Né d'un père français bourguignon et d'une mère suisse, Alfred Cortot vient au monde le 26 septembre 1877 dans le pays vaudois de Nyon, en Suisse. C'est dans cette commune au bord du lac Léman que le benjamin de la famille passe ses premières années avant le déménagement pour Genève en 1882. Sans qu'il montre de prédisposition particulière pour le piano, le jeune Alfred Cortot est encouragé à pratiquer l'instrument à la maison par ses parents et ses deux soeurs Léa et Annette, élèves du conservatoire. Cet apprentissage commencé dès l'âge de cinq ans marquera profondément le musicien qui en retire toute la magie poétique conférée par la découverte du clavier et de la musique.
Étonnante image que celle d'une famille modeste qui prodigue tous ses soins et mise tout sur le talent présumé de l'enfant pour s'avérer payante bien des années plus tard. Car si Alfred Cortot n'est pas un surdoué passant toutes les épreuves avec aisance, il travaille d'arrache-pied et consacre au piano tout son temps libre. Quand ses parents se mettent en tête de s'installer à Paris pour l'inscrire au Conservatoire de musique et de déclamation de la capitale, l'enfant âgé de neuf ans échoue à l'examen d'entrée. Il doit alors son salut au professeur Émile Decombes qui croit en lui et le prend dans sa classe en tant qu'auditeur libre. L'année suivante, le jeune Cortot est admis et peut étudier avec les élèves de Frédéric Chopin.
Après six années d'études, il passe en classe supérieure avec pour professeur Louis Diémer qui lui enseigne la technique romantique. Il lui présente le meilleur pianiste de son temps, Anton Rubinstein (1829-1894), élève direct de Franz Liszt à qui il joue la Sonate n°23 de Beethoven dite « Appassionata » (et s'entend déclarer : « Beethoven ne se joue pas, il se réinvente »). En 1896, après trois échecs au concours de fin d'année, Cortot empoche enfin un premier prix à l'unanimité en interprétant ce qui sera l'une de ses pièces fétiches, la Ballade n°4 en fa mineur, opus 52 de Chopin.
Son diplôme en poche, Alfred Cortot se perfectionne avec son camarade Édouard Risler qui l'a initié à Chopin dont les Études ont une profonde influence sur son jeu. Par l'intermédiaire de Risler et grâce à un voyage à Bayreuth, il rencontre Cosima Wagner, veuve du compositeur et fille de Franz Liszt. Cette proximité avec l'univers wagnérien décide Alfred Cortot à devenir chef d'orchestre, ce qu'il fait en créant sa propre formation en 1903, après avoir pratiqué l'art des salons parisiens et en particulier celui de la comtesse Greffulhe qui finance la première audition du Crépuscule des dieux, dirigée par ses soins le 15 avril 1902.
Avec son orchestre, Alfred Cortot inscrit à son actif d'autres créations comme celles du Requiem allemand de Brahms et de la Missa Solemnis de Beethoven. Trop coûteuses, les représentations sont abandonnées et l'orchestre dissous après quelques déboires financiers dûs à un associé indélicat. En 1905, le pianiste reprend sa carrière de concertiste et son activité dans les salons quand, par l'entremise de sa femme, Clotilde Bréal, il fait la rencontre de Léon Blum, cofondateur du journal L'Humanité et ami du violoncelliste Pablo Casals. Cette relation mène directement à la formation d'un trio de musique de chambre constitué de Cortot, Casals et du violoniste Jacques Thibaud. Active jusqu'au début de la Seconde Guerre mondiale, la formation est reconnue à travers ses concerts puis ses enregistrements comme l'une des plus importantes du XXème siècle. Le manque d'engagement politique des deux Français lors de la Guerre d'Espagne conduit à la rupture avec Pablo Casals et signe la fin du trio.
En 1907, Alfred Cortot est nommé enseignent au Conservatoire de Paris qui l'a vu évoluer. Il a pour élèves de sa classe féminine les futures concertistes Yvonne Lefébure, Magda Tagliaferro et Clara Haskil. En 1914, il interrompt sa carrière et consacre son temps à l'organisation de spectacles, les Matinées Nationales de la Sorbonne, pour les soldats et mobilisés. Cortot est également nommé aux activités artistiques par le sous-Secrétaire d'état aux Beaux-Arts en 1916. Entre les deux guerres, il reprend les tournées notamment aux États-Unis dès 1918 puis fonde l'année suivante l'École normale de musique avec Auguste Mangeot, directeur de la revue Le Monde musical. L'institution qui porte actuellement son nom (tout comme la Salle Cortot) renouvelle la pédagogie musicale et accueille des professeurs renommés comme Nadia Boulanger, Wanda Landowska, Georges Enesco, Paul Dukas, Arthur Honegger et ses camarades Casals et Thibaud.
Quand la Second Guerre mondiale éclate, Cortot est appelé par le gouvernement de Vichy à organiser la vie musicale. Cette période trouble qui lui sera souvent reprochée le voit travailler pour le pouvoir collaborationniste du maréchal Pétain. En 1942, pour ne rien arranger, il se rend en Allemagne à l'invitation du chef d'orchestre Whilhelm Fürtwangler pour y donner des concerts. L'année suivante, conscient de sa manipulation par le gouvernement pétainiste, il refuse toute activité compromettante et s'emploie à protéger des personnes traquées. Réhabilité à la Libération, le pianiste reprend le chemin de concerts et des studios sans retrouver la flamme qui animait ses prestations, brillantes et ses enregistrements d'avant-guerre considérés comme le sommet du piano de la première moitié du XXème siècle.
Retiré en Suisse, Alfred Cortot sort de sa retraite pour un dernier concert de réconciliation avec Pablo Casals au festival de Prades, en 1958. Il s'éteint à Lausanne le 15 juin 1962, à l'âge de 85 ans, laissant une oeuvre considérable, inscrite au patrimoine virtuel du piano. Son héritage qui a fait sortir le piano du romantisme compassé du XIXème siècle pour le porter à la modernité expressionniste du XXème siècle fait encore école. Ses enregistrements, réunis en 2012 dans un coffret de 40 CD, font encore l'admiration de ses disciples, de ses pairs et de la critique. Pour certains, Alfred Cortot demeure la référence absolue du piano et le plus grand interprète de son siècle.