Milton « Bituca » Nascimento chante pour la première fois (ou à peu près) le 26 octobre 1942, à Rio de Janeiro. Âgé d’à peine quelques mois, il est confié par sa mère – Maria do Carmo Nascimento – à la famille qui utilise ses services comme employée de maison. Sa mère biologique décède quelques mois plus tard et ses parents adoptifs (le père est banquier et professeur de mathématiques, la mère professeur de musique et choriste), s’installent alors à Tres Pontas, petite bourgade de l’état du Minas Gerais, célèbre pour ses pierres précieuses, en particulier ses émeraudes.
Wagner et WiltonSon père, animateur bénévole de la station de radio locale, ouvre l’enfant à la musique et l’initie à l’harmonica et à l’accordéon. A quatorze ans, une guitare reçue en cadeau l’incite à organiser des concerts pour le voisinage. C’est avec son ami d’enfance, le musicien Wagner Tiso, qu’il s’essaie au fox-trot et aux reprises de Little Richard, puis crée un groupe – les W's Boys – dont tous les prénoms des musiciens commencent par la lettre W, ce qui le contraint à se prénommer un temps... Wilton... Le catholicisme, très présent dans la région, est un autre paramètre majeur de son éducation…ne serait-ce que par les chorales d’église...
A peine adolescent, Milton Nascimento fait ses gammes au sein de divers ensembles de samba, puis il s’installe à Belo Horizonte, capitale de l’Etat, où il assure sa subsistance grâce à un emploi de bureau. C’est avec ses amis Lô et Marcio Borges qu’il découvre les Beatles et le cinéma (et plus particulièrement Jules et Jim de François Truffaut, qui lui laissera une profonde empreinte et déclenchera, selon la légende, sa vocation de compositeur). Il participe alors en rechignant (mais incité par le producteur Eumir Deodato) à plusieurs éditions du festival de la chanson de São Paulo, dont il sort lauréat.
La bande de copains crée par la suite le Clube da Esquina (qui éditera en 1972, et sous ce même nom, un double album, considéré comme le manifeste de ce mouvement post-bossa nova). Ce collectif d’artistes mêle musique brésilienne, rock et jazz, influences classiques et patrimoniales. Le jeune Brésilien se fait dès ses débuts remarquer par son chant de falsetto et sa tessiture particulièrement étendue.
ElisL’une des compositions de Milton (« Canção do Sal ») est choisie en 1966 par Elis Regina, lors d’une rencontre épique, où la diva l’écoute avec recueillement, puis conclut : « Tu n’as rien d’autre à me proposer ? », avant d’entamer une collaboration mirifique. Dans la mesure où, au Brésil, les émissions de radio annoncent le nom du compositeur, simultanément à celui de l’interprète, la carrière de l'artiste est lancée. Le saxophoniste américain Paul Desmond pioche également dans son répertoire. Milton Nascimento parfait alors sa pratique dans divers festivals et en occupant l’affiche de tous les clubs possibles et imaginables.
En 1968, il compose « Coração de Estudante », en hommage à un étudiant assassiné par la police. Devenu un hymne, ce refrain est utilisé lors des funérailles du président Tancredo Neves (au mois d’avril 1985), ainsi qu’aux obsèques du pilote automobile Ayrton Senna (mai 1994). Milton Nascimento est désormais une vedette nationale, qui se produit également au Mexique ou aux Etats-Unis (où il enregistre en 1968 l’album Courage, alors que le disque Milton Nascimento est, lui, réservé au marché brésilien).
On l’entend en duo avec Chico Buarque ou Mercerdes Sosa ; il crée un groupe (Som Imaginario) qui rassemble le percussionniste Nana Vasconcelos et Wagner Tiso ; il creuse son sillon dans toutes les traditions musicales d’Amérique du Sud : en fait, il est partout. Les albums se succèdent : Milton (1970), Milagre dos Peixes et Milagre dos Peixes (Ao Vivo) (1973), Minas (1975).
WayneEn 1975, il est invité à participer à l’album Native Dancer du saxophoniste Wayne Shorter. Sa carrière internationale est lancée et il collabore successivement avec Quincy Jones, Paul Simon ou Cat Stevens. Là encore, les sessions se succèdent : Geraes (1976), Milton (1977), Clube da Esquina 2 (1978), Journey to Dawn (1979), A Brazilian Love Affair, en duo avec George Duke, et Sentinela (1980).
Durant les années quatre-vingt, il parfait l’éventail de ses rencontres, en collaborant avec Caetano Veloso, Rita Lee ou Gal Costa. On peut également l’entendre sur les albums de Sarah Vaughan et Manhattan Transfer. Mais il retrouve toujours le chemin des studios pour son propre compte, avec Cacador de Mim (1981), Missa dos Quilombos et Anima (1982). La même année, il assume ses préoccupations spirituelles en composant une œuvre chorale. Il propose par la suite un nouveau disque en public (Milton Nascimento ao Vivo, 1983).
Puis, il parfait son action politique, lorsqu’en 1984, les étudiants en grève chantent ses chansons dans les défilés. Dans un sens identique, on peut retrouver les logos d’organisations écologiques ou d’Amnesty International, sur les pochettes de ses albums : Encontros e Despedidas (1985), Corazón Americano (1986), A Barca dos Amantes (1986), Milton/RPM et Yauareté (1987), Miltons (1988), Txai (1990) qui constitue un plaidoyer de défense de la forêt amazonienne, et O Planeta Blue Na Estrada do Sol (1991).
En 1993, son amitié avec l’ex-star du porno et guitariste Warren Cuccurullo, ancien sideman de Frank Zappa et membre de Duran Duran, l’incite à travailler avec le groupe anglais, pour le compte de leur album éponyme.
Wayne IIEn 1994, son album Angelus accueille rien moins que le batteur Jack DeJohnette, le guitariste Pat Metheny, le pianiste Herbie Hancock, le contrebassiste Ron Carter, le chanteur de Yes Jon Anderson, l’Américain James Taylor, le Britannique Peter Gabriel, ainsi que Wayne Shorter, qui lui rend par là-même la politesse pour sa collaboration à Native Dancer. Le disque est suivi en 1995 par Amigo.
En 1996, l’album Nascimento rassure ceux qui le craignaient séropositif : en fait diabétique, il se soigne avec constance, même si ses apparitions publiques le montrent considérablement amaigri et fatigué. L’enregistrement, produit par le spécialiste du rock adulte Russ Titelman, reste toutefois une sombre évocation des amis disparus : l’acteur américain River Phoenix et sa muse Elis Regina, tous deux emportés par une overdose. Cet enregistrement est honoré d’un Grammy Award du meilleur album de musique du monde de l’année.
Son disque suivant, Crooner (1999), offre, comme son nom l’indique, un panorama de standards de bossa ou de jazz. Il lui vaut d’être honoré du Grammy Award du meilleur album pop de l’année. Il enregistre par la suite Gil & Milton, en duo avec Gilberto Gil, puis l’album Pieta (2003).
En 2008, le chanteur brésilien a enregistré un prodigieux album en compagnie de jazzmen français, le saxophoniste Lionel Belmondo et son frère Stéphane à la trompette. Entre autres hommages, Milton Nascimento a été décoré de l’Ordre de Rio Branco (plus haute distinction brésilienne) et fait Chevalier des Arts et Lettres par le gouvernement français.
C’est l’histoire d’un chanteur, qui a toujours su conjuguer popularité, exigences artistiques et conscience politique. Il est aujourd’hui considéré comme l’un des plus importants artistes populaires brésiliens. Son travail de compositeur a influencé des générations entières de musiciens. Bien que profondément attaché à son pays, Milton Nascimento n’est pas Brésilien : c’est un citoyen du monde, ouvert à toutes les cultures et toutes les expressions musicales. Et ce n’est pas un chanteur : c’est un ange.