Nouvel album « Chordes » - Sortie le 02.02.24
Solaire et solo. C’est ainsi qu’on pourrait décrire ce dix-huitième album studio de notre insolite et salutaire néerlandais franco-fou chantant. Dick Annegarn, sa voix, ses textes, sa guitare, dans le plus simple appareil. Tout nu, tout cru, tout beau.
Söl, donc, c’est le titre, avec tréma mais sans trémolo, renoue superbement avec la veine blues-folk loufoque que Dick le troubadour réinvente à sa manière depuis plus de quatre décennies. Inutile de rappeler -mais on le fera quand même ici, ne serait-ce que pour la jeune génération- les fleurons désormais historiques de la carrière savoureuse de cet hurluberlu fantasque, en gammes solitaires comme en riffs de groupe ou en géographie symphonique : de "Sacré Géranium" à "Vélo vole", en passant par "Bruxelles", "Mireille", "Quelle belle vallée" et autre "Ubu", ces chansons font partie de notre patrimoine, célébrées il n’y a pas si longtemps par une pléiade d’artistes reconnaissants, de Souchon à -M-, de Bashung à Calogero, dans un Grand Dîner festif et convivial.
Mais tout ça, c’était hier. Car notre poète batave plouc pataphysicien, passé maître dans l’art de croquer avec gourmandise mots et mélodies et de manier guitares piquées et strophes dadaïstes, est loin d’avoir entonné son dernier couplet. La preuve, cet album nouveau, enregistré seul dans sa tanière rurale de Laffite-Toupière en Haute Garonne, confiné avec poules, canards et lapins. Un disque qui salue aussi le retour du Dick prodigue dans sa maison de disques fétiche, le label tôt Ou tard.
Voilà du Dick comme on l’aime, rustique et sophistiqué à la fois, acoustique et esthétique, dense et épuré, toujours scandé de ces chanterelles agiles et de cette voix d’ogre débonnaire au swing bourru. Dix chansons brut de pomme, où gambadent Marylin Monroe, Pythagore, Modigliani, Saint Thomas, des piafs quadrupèdes et des agrumes volants, le tout entre La Haye, Saint Denis et l’Himalaya.
"La Haye", justement, lieu de naissance de notre héros, et prétexte à l’autobiographie débridée qui ouvre l’album : "Ça n’est pas si fantaisiste que ça, précise le responsable : comme beaucoup d’enfants, je suis un accident de l’amour, et j’ai vraiment chanté dans les rues, à la façon des hoboes décrits par Dylan. C’est un peu une tradition du blues de se présenter en chanson, raconter sa vie en trois minutes, ensuite on peut y ajouter tous les couplets qu’on veut." Blues encore, dans "Trop tard", morceau inspiré d’un titre de Josh White enregistré dans les années 40 : " Ça s’appelait "T.B. Blues", le blues de la tuberculose... Une chanson à l’humour noir dont j’ai réécrit les paroles en plein confinement. A l’époque, on ne savait pas trop si on allait en sortir...".
S’en sortir, le thème esquissé aussi dans "Marylin Monroe", ode à une Norma Jean fantasmée et victime d’une image trompeuse : "Nous sommes tous ses arrières petits fantômes : quand les applaudissements s’éteignent, il ne reste que la solitude." Ou "Saint Denis", sorte de remake made in Benedictus du traditionnel "House of the Rising Sun", tendrement dédié à une fille légère égarée dans les quartiers chauds. Ou encore "Modigliani", artiste maudit et charmeur, alcoolique et toxicomane, pour lequel un Dick reporter est allé jusqu’en Toscane pour mieux s’y imprégner de la lumière, des couleurs et des odeurs.
Lumières toujours, celles des paysages évoqués dans "Hymne à l’Himalaya", voyage musical où l’on suit en mesure les pas des sherpas entre Everest, Nanga Parbat ou Annapurna : "C’est une chanson sur les hauteurs, un Himalaya imaginaire. Je ne suis ni bouddhiste, ni croyant, je ne crois qu’en ce qui peut élever l’esprit". Pour compléter l’album, "Comment ça tombe", comptine sensuelle et fructifère aux allitérations pulpeuses à la façon des peintres hollandais ("Leurs natures mortes étaient souvent plus vivantes que les portraits qu’ils faisaient sur commande"), "Comme Saint Thomas", blues incrédule au picking existentialiste, "Oiseaux à quatre pattes", rêverie enfantine inspirée à l’auteur lors d’un séjour en centre de rééducation pour un genou récalcitrant, au milieu de malades sous euphorisants. Et "Tox", pourfendeur de fake news, festival verbal toqué, toxique et caustique.
Le verbe, la passion de l’artiste en verve. Illustrée, comme chaque année, par son désormais incontournable Festival du Verbe, qui accueille chez lui la crème des orateurs, conteurs, poètes ou trouvères. Dick Annegarn a aussi dans sa besace un opéra futur. Solitaire et ensoleillé, les pieds au sol et la tête dans les nuages, telle est la clé de Söl, l’un des plus beaux albums d’Annegarn, le garnement prolixe. Un Söl majeur.