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C’est dans la boutique de mode et de design de King’s Road appartenant à Westwood et McLaren que germe l’idée des Sex Pistols. Clients réguliers de McLaren, Iggy Pop et Alice Cooper incarnent aux yeux de ce dernier l’image d’une rébellion peu inspirée, bien trop marquée par une esthétique glam-rock et pétrie d’un second degré qu’il ne partage pas. Nourri au situationnisme et à l’intellectualisme gauchiste, le designer ne se reconnaît pas dans l’esprit de ces hard-rockers, bien trop sophistiqués pour incarner une réelle alternative musicale et politique au conformisme hippie des années 70. Inspiré par le simplisme du Bauhaus et par les idées philosophiques de Guy Debord, McLaren ne croit pas vraiment au mouvement hard-rock, qui n’est à ses yeux qu’un jet de poudre aux yeux, fausse mise en abîme d’une décadence institutionnelle de carton-pâte sans consistance réelle. La soi-disant « décadence » qu’incarnent Iggy Pop ou Alice Cooper n’est que le reflet des travers d’une société bourgeoise, ne proposant aucune rupture avec cette dernière, leurs show-tours se révèlent des spectacles grand-guignolesques bien trop construits et élaborés pour incarner la philosophie brutale, nihiliste et minimaliste résumée par le futur slogan des Pistols : no future ! Admirateurs des Ramones, McLaren se sent philosophiquement plus proche de cette énergie à la fois créatrice et destructrice, véhiculée par la musique de Joey Ramone et c’est dans cette voie qu’il choisira s’engager.
La première rencontre avec les futurs membres du groupe viendra dès 1977 lorsque McLaren fait la connaissance du jeune guitariste d’un petit groupe de rock (The Swankels) : Steve Jones qui, à son tour présente le bassiste Glen Mattlock à l’opportuniste designer. Le batteur Paul Cook viendra bientôt rejoindre la petite troupe que McLaren baptise Sex Pistols, référence à sa propre boutique Sex, ce qui assurera à cette dernière une renommée non négligeable. Bien trop mauvais chanteur pour assurer le lead vocal des Sex Pistols, Jones est vite remplacé par la nouvelle trouvaille de McLaren, John Lydon (futur Johnny Rotten), un habitué de sa boutique. Dès les premières répétitions, la fracture est consommée entre Rotten, tiré du chapeau de McLaren, et les autres membres du groupe. Qu’importe ! La rage qu’exprime Johnny Rotten devient d’autant plus crédible aux yeux de leur manager et le groupe ainsi formé continuera à fonctionner ainsi.
Piètres musiciens, les Sex Pistols commencent à se faire connaître par leurs provocations sur scène. Insultant indifféremment le public ou les groupes dont ils assurent la première partie, Johnny Rotten contribue à assurer une publicité tapageuse aux Sex Pistols, relayée efficacement par un McLaren plus businessman que jamais. Le groupe, en soi, reste médiocre, mais les happenings que constituent les concerts brassent de plus en plus de monde, attiré par l’esthétique proto-punk des musiciens et les débordements verbaux de Rotten. C’est avec la chanson « Anarchy In UK », en 1976 que les Sex Pistols gagnent leurs premiers galons de provocateurs institutionnels. Le titre fait frémir les garants des bonnes mœurs, le nom des Sex Pistols est sur toutes les lèvres et McLaren se frotte les mains car le premier album du groupe, Never Mind The Bollocks, sorti en 1977, s’arrache au-delà de toutes ses espérances, d’autant qu’une censure bienvenue viendra contribuer à son succès.
Mais, en interne, les relations entre les membres du groupe se dégradent. Fatigué de Rotten, Matlock décide de s’en aller et claque la porte. Devant le risque de voir les Sex Pistols splitter un an à peine après leur formation, McLaren use de toute sa diplomatie pour persuader Cook et Jones de rester malgré tout et choisit le colocataire de Rotten, John Simon Ritchie, junkie notoire et violent, surnommé Sid Vicious par Johnny Rotten, qui avait de occasionnellement occupé la place de batteur en remplacement de Cook, pour remplacer Matlock. Bassiste médiocre, Vicious apprend sur le tas grâce à un jeune musicien, Lemmy Kilmister, futur leader de Motörhead. Mais très vite Vicious se révèle meilleur chanteur que Rotten, et ses prestations scéniques obtiennent l’adhésion du public. On se souviendra notamment de son interprétation sauvage de « God Save The Queen », faisant de ce titre la chanson la plus connue du groupe. La vie dissolue de Vicious ainsi que son charisme déplaisent de plus en plus à Rotten, d’autant qu’après un départ en fanfare, les ventes de Never Mind The Bollocks se tassent. En 1978, Rotten décide finalement de quitter le groupe pour se consacrer à sa propre formation, Public Image Limited, au sein de laquelle il pousse l’ironie jusqu’à se produire en costume et cravate pour protester contre la récupération du mouvement punk par les magazines de mode.
Décontenancé par le départ de Johnny Rotten, le groupe se recentre autour de Sid Vicious qui s’impose comme le nouveau leader charismatique des Sex Pistols malgré la tentative de McLaren d’imposer l’ex-taulard Ronnie Biggs au chant. Le groupe multiplie les concerts et les tournées et Vicious accumule les provocations, ce qui n’est pas pour déplaire à son public. Mais tout cela prend fin le 11 octobre 1978, lorsque Sid Vicious est retrouvé endormi à côté du cadavre de sa compagne, Nancy Spungen. Accusé du meurtre, il devra mettre fin à sa carrière et les Sex Pistols ne s’en remettront jamais vraiment, d’autant que Vicious, relâché sous caution, meurt le 2 février 1979 à New York, âgé d’à peine 21 ans, d’une overdose.
Le groupe ne survivra pas à la mort de Sid Vicious et splittera peu de temps après, chacun des membres s’investissant dans ses projets personnels. Cependant, les Sex Pistols se reformeront occasionnellement pour assurer la promotion d’une compilation, d’un live ou d’une anthologie, avec un succès qui s’amoindrira progressivement mais sûrement. Ainsi, leur dernière tournée européenne, en 1996 sera un flop quasi complet, n’attirant que quelques nostalgiques et autres jeunes curieux. Entre-temps, d’autres groupes, comme The Clash, The Dead Kennedys ou Exploited ont repris le flambeau du punk, genre qui s’essoufflera dans les années 90.
Les Sex Pistols n’auront, au final, existé réellement que deux ans et, durant ce laps de temps, n’auront produit qu’un seul album. Pourtant, ce qui, dans le cas d’un autre groupe aurait pu être un échec, fut, pour les Sex Pistols le ciment de leur légende. Une légende qui, cependant, fut corrélative de la vie (et surtout de la mort) de Sid Vicious, véritable statue du Commandeur de la vague punk. Mais cette légende, gravée dans le roc (ou dans le rock ?), aura également pour conséquence d’empêcher tout espoir de reformation des Sex Pistols. Les quelques happenings organisés autour d’une hypothétique reformation du groupe se solderont la plupart du temps par des échecs cuisants. À croire qu’une partie de l’âme du punk est définitivement morte le 2 février 1979.