Problèmes diagnostiques chez la personne âgée et conséquences
L’infection des voies urinaires (IVU) est la maladie infectieuse la plus courante chez les adultes de 65 ans et plus, la cystite étant, de loin, l’IVU la plus fréquente1. Les symptômes évocateurs sont la pollakiurie, les urgences mictionnelles avec parfois incontinence, la mictalgie, la dysurie et la sensibilité sus-pubienne. Pour les infections des voies urinaires hautes (pyélonéphrite) s’y ajoutent la fièvre, les frissons et la sensibilité/douleur à l’angle costo-vertébral. La confirmation du diagnostic repose sur la culture d’urine2. Escherichia coli est impliqué dans la majorité des IVU chez les personnes âgées de 65 ans et plus, les autres germes impliqués sont principalement le Proteus mirabilis, le Klebsiella pneumoniae et l’Enterococcus faecalis.3
On parle de bactériurie asymptomatique lorsque l’on met en évidence des germes dans les urines, en l’absence de signes et plaintes cliniques du patient.
Le diagnostic chez les patients âgés est complexe. En raison de la prévalence plus élevée de symptômes urinaires chroniques (tels que l’incontinence urinaire) et de troubles cognitifs, l’identification de symptômes spécifiques d’IVU est plus difficile. Par ailleurs, la forte prévalence de la bactériurie asymptomatique dans cette population, conduit souvent à un surdiagnostic et à des traitements inutiles4. Une approche diagnostique séquentielle et standardisée se justifie.
Des programmes d’antimicrobial stewardship * ont suscité l’apparition d’algorithmes diagnostiques pour aider à cibler les situations justifiant le recours à des tests diagnostiques6,7,8,9. Il a été démontré que l’utilisation d’algorithmes cliniques diminue les prescriptions d’antibiotiques pour suspicion d’IVU chez les résidents de MRS6.
Néanmoins, des caractéristiques cliniques isolées sont insuffisantes pour décider d’une exploration diagnostique plus poussée. Elles doivent être complétées par d’autres informations : étaient-elles déjà présentes ? quelle est leur évolution ? quelle est leur présentation habituelle chez le patient individuel ? C’est dans ce contexte que la bonne connaissance du patient par ses soignants est un atout.
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Les personnes âgées peuvent présenter des symptômes chroniques des voies urinaires inférieures. Il est important que le médecin connaisse bien les symptômes habituels du patient afin de détecter tout changement significatif et persistant.
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Des symptômes non spécifiques tels qu’un déclin fonctionnel et des changements comportementaux ou d’état mental sont souvent déjà présents chez la personne âgée. Des preuves de plus en plus nombreuses indiquent que ces signes/symptômes non spécifiques ne sont pas des prédicteurs fiables des infections urinaires10. Chez les patients souffrant déjà de troubles cognitifs, la suspicion clinique d’IVU repose souvent sur l’émerge de nouveaux symptômes, comme peuvent le noter les soignanta ou le médecin qui connaissent bien le patient.
* Programmes développés dans le cadre de la lutte contre la résistance aux antibiotiques.
Prise en charge des IVU
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Un traitement antibiotique est toujours recommandé lorsqu’un diagnostic d’IVU est posé chez la personne âgée.
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De nombreuses études suggèrent qu’il n’y a aucun avantage clinique au traitement de la bactériurie asymptomatique et qu’un tel traitement peut entraîner des effets secondaires importants, des dépenses et un potentiel de sélection d’organismes résistants (Multi Drug Resistant Organism ou MDRO). Le risque d’infection à Clostridium difficile est une autre conséquence négative de ces traitements4.
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Les «essais» d’antibiotiques sont déconseillés d’où l’importance d’un diagnostic d’IVU soigneusement étayé.
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Lorsque le diagnostic d’IVU n’est pas clair (par exemple, pyurie et bactériurie dans le cadre de symptômes ambigus), une stratégie de gestion raisonnable chez les patients qui ne semblent pas gravement malades consiste à reporter le traitement antibiotique pendant une semaine avec suivi2, puisque 25 à 50 % des femmes âgées présentant des symptômes d’IVU s’amélioreront sans traitement dans ce laps de temps11.
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Chez les résidents en séjour de longue durée, il existe des critères minimaux pour l’initiation des antibiotiques en cas d’infection des voies urinaires12.
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En présence d’un cathéter à demeure, une antibiothérapie se justifie en présence d’au moins un des éléments suivants: fièvre, apparition de sensibilité du point costo-vertébral, frissons ou apparition de délirium.
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En l’absence de cathéter à demeure, c’est la présence d’au moins 2 éléments qui justifie l’antibiothérapie (fièvre ou dysurie aiguë et un élément parmi les suivants : urgence mictionnelle inaugurale ou aggravée, pollakiurie, douleur sus-pubienne, hématurie, sensibilité du point costo-vertébral ou incontinence urinaire).
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Pour les patients âgés diagnostiqués avec une infection urinaire, la prise en charge est la même que dans la population plus jeune et dépend du site suspecté de l’infection c.-à-d. IVU non compliquée (cystite) ou IVU compliquée (pyélonéphrite, prostatite ou septicémie).
Dans le formulaire de soins aux personnes âgées
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Dans le formulaire de soins aux personnes âgées (formulaire P.A.), la cystite, la pyélonéphrite et la prostatite/orchi-épidymite sont abordées ; la sélection médicamenteuse* est basée sur les recommandations de la BAPCOC (voir Répertoire chapitre 11, BAPCOC) :
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en cas d’IVU non compliquée, le premier choix est le triméthoprime, un antibiotique à spectre étroit. La durée de traitement préconisée est de 3 jours chez la femme et 7 jours chez l’homme.
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en cas d’IVU compliquée, la lévofloxacine, antibiotique avec une bonne pénétration tissulaire, est proposée. La durée de traitement est de 7 jours chez la femme et de 14 à 28 jours chez l’homme. Comme alternative en cas de contre-indication aux quinolones (fréquent chez la personne très âgée), l’amoxicilline-acide clavulanique est proposé.
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en cas de bactériurie asymptomatique, il est conseillé de ne pas donner d’antibiotiques.
- Lorsque le diagnostic de cystite est établi, un traitement avec un antimicrobien à spectre étroit est toujours nécessaire, et le triméthoprime est « sélectionné »* en premier choix, tant chez la femme que chez l’homme âgé. La durée de traitement préconisée est de 3 jours chez la femme et 7 jours chez l’homme. La préférence du triméthoprime sur la nitrofurantoïne est liée au risque plus élevé d’effets indésirables potentiellement graves lorsque la fonction rénale est altérée, ce qui est plus souvent le cas chez les personnes âgées. Il faut néanmoins rester attentif à un risque accru d’hyperkaliémie avec le triméthoprime chez les patients qui prennent un médicament agissant sur le système Rénine-Angiotensine-Aldostérone et un diurétique d’épargne potassique13.
- Dans la pyélonéphrite, un traitement antibiotique avec une quinolone est nécessaire sans délai. Il faut envisager une hospitalisation lorsque le patient présente des signes de complications septiques. La lévofloxacine (par voie orale) est « sélectionnée »* dans le formulaire P.A. pour des raisons de facilité d’usage (une prise par jour, au lieu de 2 prises par jour pour la ciprofloxacine). La durée de traitement est de 7 jours chez la femme et de 14 jours chez l’homme. Chez l’homme, il convient de réévaluer cliniquement après 14 jours de traitement. Si l’amélioration n’est pas suffisante, il faut reconsidérer le diagnostic de prostatite aiguë et prolonger le traitement jusqu’à 28 jours.
- Dans la prostatite et l’orchi-épididymite, un traitement antibiotique est également toujours recommandé, à base d’une quinolone en première intention. Ici aussi, la lévofloxacine est « sélectionnée »* dans le formulaire P.A. La durée du traitement est de 10 jours pour l’orchi-épididymite, et est prolongée à 28 jours en cas de prostatite.
- Les quinolones sont contre-indiquées en présence de facteurs de risque d’allongement de l’intervalle QT. Les patients âgés sont plus susceptibles de présenter des effets indésirables avec les quinolones.
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Importance du suivi :
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En cas de diagnostic de cystite, l’antibiothérapie instaurée devra être adaptée en fonction de l’évolution clinique du patient ainsi que du résultat de l’antibiogramme. En cas de non amélioration des plaintes endéans les 48 h, il faut envisager un autre diagnostic (pyélonéphrite aigüe, prostatite/orchi-épididymite chez l’homme, autre diagnostic si plaintes atypiques) et adapter/ stopper le traitement.
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Tant dans la pyélonéphrite que dans la prostatite et l’orchi-épididymite, il est nécessaire de contrôler le résultat de l’antibiogramme et d’adapter le traitement dès que possible. La probabilité d’une résistance augmente si le patient a été traité par une quinolone au cours des 6 mois qui précèdent. Lorsque c’est le cas, l’avis d’un urologue et un relais par traitement intraveineux sont à envisager.
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Épisodes d’IVU récidivants (3 épisodes dans les 12 derniers mois ou 2 épisodes dans les 6 derniers mois) : chez la femme, l’estriol à usage local a montré son efficacité et est sélectionné* en premier choix dans le Formulaire de soins aux Personnes Âgées. En l’absence d’efficacité de ce traitement local, et lorsque aucune cause sous-jacente n’a pu être déterminée, un traitement prophylactique avec le triméthoprime 100 mg par jour pendant 6 à 12 mois peut être proposé. L’intérêt de cette même antibioprophylaxie pour les IVU récidivantes chez les hommes est globalement peu évalué, mais elle est également proposée. La nitrofurantoïne est contre-indiquée chez les personnes très âgées.
– Une étude épidémiologique (rétrospective de cohorte) publiée en 2019, montre le bénéfice d’une prophylaxie antibiotique (triméthoprime, céfalexine ou nitrofurantoïne) sur les récidives d’IVU dans une population âgée de 65 ans et plus, tant masculine que féminine (n = 19.696 ; dont 4 043 hommes)14.
– La contre-indication de la nitrofurantoïne chez les personnes très âgées est liée au risque plus élevé d’effets indésirables potentiellement graves lorsque la fonction rénale est altérée, ce qui est plus souvent le cas chez les personnes très âgées.
* Plus d’informations à propos des sélections dans le formulaire de soin aux personnes âgées
Conclusion
Les signes cliniques de l’IVU ne sont pas toujours aussi typiques chez les patients âgés que chez les patients plus jeunes. Les infections des voies urinaires sont la première cause de prescription d’antibiotiques chez les patients âgés de plus de 65 ans. La bactériurie asymptomatique, plus fréquente dans cette population, est souvent confondue avec l’IVU, ce qui conduit à des traitements inutiles, comportant des dangers d’effets indésirables, d’interactions médicamenteuses et de développement de résistances. Il existe de nombreux programmes d’antimicrobial stewardship qui se focalisent sur cette problématique. Ils proposent des algorithmes décisionnels afin de réduire le recours inutile aux antibiotiques et cibler les situations cliniques où ils sont nécessaires. La bonne connaissance du patient par ses soignants, en particulier en présence de symptômes atypiques, peut être un atout dans la démarche diagnostique.
Sources
1 Barber AE, Norton JP, Wiles TJ, Mulvey MA. Strengths and Limitations of Model Systems for the Study of Urinary Tract Infections and Related Pathologies. Microbiol Mol Biol Rev. 2016;80(2):351‐367. Published 2016 Mar 2. doi:10.1128/MMBR.00067-15.
2 Mody L, Juthani-Mehta M. Urinary tract infections in older women: a clinical review. JAMA. 2014;311(8):844‐854. doi:10.1001/jama.2014.303
3 Matthews SJ, Lancaster JW. Urinary Tract Infections in the Elderly Population. Am J Geriatr Pharmacother. 2011;9:286–309.
4 SIGN 2020 Management of suspected bacterial lower urinary tract infection in adult women. https://www.sign.ac.uk/media/1766/sign-160-uti-0-1_web-version.pdf
5 Petty LA, Vaughn VM, Flanders SA, et al. Risk Factors and Outcomes Associated With Treatment of Asymptomatic Bacteriuria in Hospitalized Patients [published online ahead of print, 2019 Aug 26]. JAMA Intern Med. 2019;179(11):1519‐1527. doi:10.1001/jamainternmed.2019.2871
6 Nace DA, Hanlon JT, Crnich CJ, et al. A Multifaceted Antimicrobial Stewardship Program for the Treatment of Uncomplicated Cystitis in Nursing Home Residents. JAMA Intern Med. doi:10.1001/jamainternmed.2020.1256. Published online May 11, 2020.
7 Ashraf MS, Gaur S, Bushen OY, et al. Diagnosis, Treatment, and Prevention of Urinary Tract Infections in Post-Acute and Long-Term Care Settings: A Consensus Statement From AMDA’s Infection Advisory Subcommittee. JAMDA 2020 (21) : 12-24. https://doi.org/10.1016/j.jamda.2019.11.004
8 Loeb M, Brazil K, Lohfeld L, et al. Effect of a multifaceted intervention on number of antimicrobial prescriptions for suspected urinary tract infections in residents of nursing homes: cluster randomised controlled trial. BMJ. 2005;331(7518):669. doi:10.1136/bmj.38602.586343.55.
9 Falcone M, Paul M, Yahav D, et al. Antimicrobial consumption and impact of antimicrobial stewardship programmes in long-term care facilities. Clinical microbiology and and Infection 25 (2019) 562-569.
10 Mayne S, Bowden A, Sundvall PD, et al. The scientific evidence for a potential link between confusion and urinary tract infection in the elderly is still confusing – a systematic literature review. BMC Geriatr. 2019;19(1):32. Published 2019 Feb 4. doi:10.1186/s12877-019-1049-7
11 Knottnerus BJ, Geerlings SE, Moll van Charante EP, ter Riet G. Women with symptoms of uncomplicated urinary tract infection are often willing to delay antibiotic treatment: a prospective cohort study. BMC Fam Pract. 2013;14:71. Published 2013 May 31. doi:10.1186/1471-2296-14-71.
12 Loeb M, Bentley DW, Bradley S, et al. Development of minimum criteria for the initiation of antibiotics in residents of long-term-care facilities: results of a consensus conference. Infect Control Hosp Epidemiol. 2001;22(2):120‐124. doi:10.1086/501875. DOI: https://doi.org/10.1016/S0140-6736(19)31948-8
13 Crellin E et al. Trimethoprim use for urinary tract infection and risk of adverse outcomes in older patients: Cohort study. BMJ 2018 Feb 9; 360:k341. (https://doi.org/10.1136/bmj.k341)
14 Ahmed H, Farewell D, Jones HM et al. Antibiotic prophylaxis and clinical outcomes among older adults with recurrent urinary tract infection: cohort study. Age and Ageing 2019; 48: 228–234.