Référence : William Marx, « Catharsis », dans Mathilde Bernard, Alexandre Gefen et Carole
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William Marx
Université Paris Nanterre
CATHARSIS
Dans l’usage courant, le terme catharsis désigne le processus par lequel la représentation de
faits violents ou, plus généralement, capables de générer des émotions fortes (comme la peur)
délivrerait le spectateur ou lecteur des effets néfastes de ces mêmes émotions et favoriserait son
bien-être psychique ou son adaptation sociale. Ainsi, dans les débats sur les conséquences de
l’exposition de la jeunesse aux images violentes de la télévision, du cinéma ou des jeux vidéo,
recourt-on communément à la notion de catharsis pour expliquer que, loin d’entraîner une plus
grande violence dans les comportements, ces représentations contribueraient au contraire à
l’apaisement des individus.
Souvent présenté comme une vérité d’expérience, ce mécanisme de la catharsis s’appuie en
fait sur deux références implicites. L’une est à la vulgate de la psychanalyse freudienne et, plus
exactement, à la « méthode cathartique » que Freud développa à Vienne à la toute fin du XIXe
siècle avec son collègue Josef Breuer, avant de l’abandonner pour la méthode proprement dite
« analytique » : Freud nomme alors catharsis la libération ou « décharge » (Entladung)
d’affects traumatisants précédemment refoulés dans le subconscient1.
C’est par un mécanisme analogue qu’il explique l’attrait du public pour une pièce aussi
scandaleuse qu’Œdipe roi. Reconnaissant inconsciemment dans la tragédie de Sophocle
l’expression d’une « vérité psychologique », le spectateur accepte la condamnation d’Œdipe
parce qu’il ressent en lui-même de façon confuse une culpabilité profonde2. La tragédie agirait
donc comme une cure analytique ou cathartique, en amenant à un état préconscient des
sentiments et des désirs refoulés.
Or, pour élaborer son interprétation de l’effet de la tragédie sur le spectateur, Freud s’inspire
lui-même de la conception aristotélicienne de la catharsis tragique, telle que le philosophe la
mentionne dans la Poétique, et c’est précisément ce texte d’Aristote qui constitue aujourd’hui
la seconde référence implicite de tous les usages contemporains du terme de catharsis – et aussi
de loin la principale.
Vaste est l’écart toutefois entre le concept de catharsis selon Aristote et celui qui a cours
aujourd’hui dans le sens commun. À dire le vrai, depuis la redécouverte du corpus aristotélicien
à la Renaissance, chaque époque semble avoir développé en fonction de ses attentes
particulières sa propre conception de la catharsis, tantôt physiologique, tantôt morale, plus
récemment narratologique et cognitiviste, en prétendant la fonder sur la notion aristotélicienne
d’origine – appropriations successives et contradictoires entre elles rendues d’autant plus
faciles que les textes conservés d’Aristote, très lacunaires sur le sujet, se prêtent à tous les
1
Freud, De la psychothérapie (Über Psychotherapie, 1905), dans Œuvres complètes, éd.
A. Bourguignon, P. Cottet et J. Laplanche, Paris, Presses universitaires de France, 1988-2010, vol. VI,
p. 49 ; Autoprésentation (Selbstdarstellung, 1925), ibid., vol. XVII, p. 66-76.
2
Id., Leçons d’introduction à la psychanalyse (Vorlesungen zur Einführung in die Psychoanalyse,
1917), tr. fse A. Bourguignon et al., dans Œuvres complètes, op. cit., p. 343.
Catharsis
malentendus et à toutes les divagations. Il importe donc de rétablir dans la mesure du possible
la vérité philologique du concept aristotélicien originel.
La catharsis musicale et tragique chez Aristote
Aristote lui-même n’est sans doute pas le premier à avoir utilisé le terme de catharsis pour
désigner un effet particulier des arts – ou de ce qu’aujourd’hui nous considérons comme des
arts. Selon son disciple Aristoxène de Tarente (IVe siècle av. J.-C.), « les Pythagoriciens
pratiquaient la purification (katharsei) du corps par la médecine et celle de l’âme par la
musique3 ». Selon une scolie de l’Iliade (XXII, 391), ils se rassemblaient au printemps pour
écouter des mélodies apaisantes, conformément à un rituel qu’ils appelaient catharsis4.
Même si ces témoignages doivent être pris avec précaution, il est de fait que, dans les textes
que nous avons conservés, c’est bien au sujet de la musique qu’Aristote parle pour la première
fois de catharsis, au livre VIII de la Politique. Dans le chapitre 6 (1341 a 21-24), il distingue
d’abord les spectacles destinés à l’instruction (mathêsin) et ceux qui visent la purification
(katharsin), auxquels convient une musique particulière : l’instruction forme l’intellect, la
purification vise les émotions. Au chapitre suivant (1342 a 5-16), il constate qu’après l’écoute
de chants sacrés provoquant l’extase certaines personnes au tempérament émotif, enclines à la
pitié ou sujettes à la terreur, trouvent le calme « comme par l’effet d’une médecine et d’une
purification (katharseôs) ». « Chez tous, ajoute-t-il, se produisent un certain degré de
purification (tina katharsin) et un soulagement mêlé de plaisir. »
Dans ce contexte musical propre au livre VIII de la Politique, le terme de catharsis provient
selon toute vraisemblance d’un emprunt au discours pythagoricien : il y avait en effet dans la
purification ou catharsis pythagoricienne une dimension religieuse, encore assez sensible dans
le contexte du livre VIII. Les précautions oratoires prises par Aristote signalent assez sa
prudence à l’égard d’un concept qu’il n’a pas encore fait sien totalement, de même que cette
remarque en passant : « ce que nous entendons par purification (katharsin), nous en parlons ici
de façon grossière (haplôs), mais nous en reparlerons plus clairement dans les livres sur la
poétique » (1341 b 38-40).
La Poétique utilise de fait le terme de catharsis pour qualifier l’effet ultime de la tragédie
dans la fameuse définition du chapitre VI : « La tragédie est l’imitation d’une action sérieuse et
entière ayant de l’étendue, dans un langage relevé d’assaisonnements dont chaque forme est
employée séparément selon les parties, par des gens en action et non par du récit, [imitation]
accomplissant au moyen de la pitié et de la terreur (di’ eleou kai phobou) la catharsis de telles
émotions » (1449 b 21-28). Chaque terme de cette définition particulièrement dense renvoie à
des explications qui précèdent ou qui suivent à l’intérieur du traité, et vise à distinguer la
tragédie d’autres formes littéraires voisines comme la comédie (dont l’action n’est pas
« sérieuse ») ou l’épopée (qui n’utilise que du « récit »). Chaque terme, sauf ceux qui
composent la toute dernière partie de la définition, à savoir : « la catharsis de telles émotions ».
Nulle part ailleurs, ni avant ni après, la Poétique ne reparle de cette catharsis, en contradiction
avec l’annonce d’Aristote dans la Politique.
Du reste, ce n’est pas la seule bizarrerie de la Poétique, qui promet un développement sur la
comédie, dont il est pourtant à peine question dans le reste de l’ouvrage (1449 b 20-21). On a
donc émis depuis longtemps l’hypothèse qu’il existait un second livre maintenant perdu de ce
3
Die Schule des Aristoteles, II : Aristoxenos, éd. F. Wehrli, Bâle, Schwabe, 2e éd. : 1967, fr. 26.
Scholia Græca in Homeri Iliadem (scholia vetera), éd. H. Erbse, Berlin, De Gruyter, 1977, t. V,
p. 339. Voir également Jamblique, Vie de Pythagore, 64-68 ; cité par A. Rostagni, « Aristotele e
aristotelismo nella storia dell’ estetica antica : origini, significato, svolgimento della Poetica », Studi
italiani di filologia classica, vol. II (nouvelle série), 1922, p. 60.
4
2
Catharsis
traité : un livre traitant notamment de la comédie, et où le phénomène de la catharsis eût été
présenté dans le détail – à moins que la Politique ne fît référence à une tout autre œuvre (un
dialogue sur les poètes, par exemple). L’histoire mouvementée des manuscrits d’Aristote dans
l’Antiquité peut expliquer aisément de telles pertes5.
Le plaisir qui vient de la pitié et de la terreur
Il existe toutefois un passage éclairant assez parallèle à la définition donnée plus haut :
« Puisque le poète doit agencer le plaisir qui procède de la pitié et de la terreur au moyen de
l’imitation, il est clair qu’il faut produire ce résultat en agissant sur les faits » (1453 b 11-14).
S’il était question plus haut d’une imitation « accomplissant au moyen de la pitié et de la terreur
la catharsis de telles émotions », il s’agit à présent d’« agencer le plaisir qui vient de la pitié et
de la terreur au moyen de l’imitation » : on retrouve ici presque tous les termes qui entouraient
la mention de la catharsis, la catharsis en moins. En lieu et place de cette dernière apparaît le
« plaisir », un plaisir qui n’est ni le plaisir cognitif général lié à l’imitation et à la reconnaissance
intellectuelle de la chose représentée dans la représentation (1448 b 12-17), ni le plaisir
esthétique dû à la matérialité même de l’imitation, c’est-à-dire à ses « assaisonnements »
(hêdusma, 1450 b 16) – le chant, le vers, le spectacle –, mais le « plaisir propre » à la tragédie
(hêdonê oikeia, 1453 a 36 et 1453 b 11). C’est ce plaisir propre à la tragédie qu’Aristote cherche
à définir (1462 b 12-13).
Il est important que ce plaisir provienne de la pitié et de la terreur, car il s’agit de deux affects
symétriques relativement à un même événement, selon le point de vue dont il est considéré :
une situation identique provoque de la terreur chez qui la vit de l’intérieur, et de la pitié si l’on
observe de loin ses effets sur autrui. Aristote explique ce mécanisme par deux fois dans la
Rhétorique. Une première fois, pour définir la crainte (phobos) : « Pour parler en général, sont
à craindre (phobera) toutes les choses qui, lorsqu’elles arrivent à d’autres ou les menacent, sont
propres à exciter la pitié (eleeina) » (1382 b 24-26). Et une seconde fois, de manière
rigoureusement inverse, pour définir la pitié : « En un mot, il faut admettre ici également
[comme pour la crainte] que toutes les choses que l’on craint (phobountai) pour soi-même
émeuvent la pitié (eleousin) quand elles arrivent à autrui » (1386 a 27-29).
La terreur et la pitié constituent donc des émotions antagoniques, dépendant strictement de
la position du sujet par rapport à l’événement. En règle générale, dans une situation réelle,
l’implication du sujet étant directe et sa position univoque, tout se passe de façon simple : on
éprouve soit de la crainte, soit de la pitié, jamais les deux en même temps. Les deux émotions
sont exclusives l’une de l’autre.
Il en va tout autrement dans la tragédie, qui offre au spectateur des objets fictifs, posés devant
lui pour être regardés dans le cadre d’un spectacle. Or, la réaction émotionnelle provoquée par
l’imitation – et une imitation reconnue comme telle – n’est pas tout à fait de même nature que
celle que susciterait le même événement dans la réalité : à la différence d’une situation réelle,
l’affect tragique ne peut apparaître qu’au terme d’un processus complexe, dont Aristote indique
çà et là les éléments.
En particulier, il recommande au dramaturge, en citant l’exemple d’Œdipe, de choisir pour
personnage principal un homme qui, « sans exceller dans la vertu et la justice, tombe dans le
malheur, sans pourtant que ce soit par vice et méchanceté, mais à cause de quelque faute »
(1453 a 7-10). Il convient ainsi de préserver la possibilité d’une identification du public avec le
héros, qui doit n’être ni un parfait dépravé ni un parangon de vertu, mais s’inscrire dans une
relation de similarité éthique avec le spectateur, car le mécanisme de l’affect tragique ne peut
5
Strabon, Géographie, XIII, I, 54 (608-609). Voir aussi Plutarque, Vie de Sylla, 26, 1-3 (468 a-b).
3
Catharsis
s’enclencher proprement que dans le cadre d’une relation empathique entre l’audience et ce
qu’elle voit sur la scène.
Que se passe-t-il en effet selon Aristote dans le processus tragique ? D’une part, quand le
héros est frappé injustement d’un malheur, le spectateur éprouve à son égard la même émotion
que dans une situation réelle : de la pitié. D’autre part, comme il s’agit d’une imitation de la
réalité, le spectateur reconnaît aussi une valeur exemplaire aux événements qui surviennent sur
la scène ; il peut s’identifier au personnage ; il assiste au malheur d’un « semblable ». Il éprouve
de la peur.
Plus précisément, deux types de peur. En premier lieu, une peur par identification : il peut
partager la crainte d’un personnage face à un événement redouté qui le menace. Mais sur un
autre plan, même si le personnage ne manifeste pas spécifiquement la peur, le spectateur peut
et doit, quant à lui, la ressentir : une peur par extrapolation, celle de devenir un jour victime
d’un malheur semblable à celui qui frappe le personnage. Dans la Rhétorique, Aristote définit
ainsi la terreur comme « une peine ou un trouble consécutifs à l’imagination d’un mal à venir
pouvant causer destruction ou peine » (1382 a 21-22). La terreur est donc toujours au rendezvous du public à cause de la force empathique qu’exerce, selon Aristote, la bonne intrigue
tragique.
Cette exemplarité des événements représentés par la tragédie, leur capacité à valoir pour
d’autres individus que ceux qui sont figurés sur la scène – et en particulier pour les spectateurs
– constitue aux yeux du philosophe une caractéristique essentielle de la fiction poétique : « la
poésie, écrit Aristote dans la Poétique, est plus philosophique et plus importante que l’histoire,
car la poésie exprime plutôt le général, et l’histoire le particulier » (1451 b 5-7).
La conséquence de ce mécanisme d’empathie est que le spectateur de la tragédie éprouve
simultanément terreur et pitié. Ou, plus exactement, il ressent d’abord de la pitié, celle qu’il
éprouverait normalement dans une situation réelle, et ensuite seulement, par identification, de
la terreur. Ces deux émotions ne sont donc pas choisies au hasard par Aristote dans la Poétique
comme de simples exemples d’émotions suscitées par la tragédie : elles sont – et elles seules –
les émotions tragiques par excellence, toujours couplées l’une à l’autre dans le cadre de
l’imitation théâtrale. Ce point-là est d’une importance capitale pour la compréhension du
mécanisme de la catharsis aristotélicienne.
La dimension physiologique de la catharsis
Or, si la pitié et la terreur sont des émotions symétriques sur le plan cognitif, Aristote les
considère également comme antagonistes sur le plan physiologique. D’après le traité Du
mouvement des animaux, la peur refroidit le corps tandis que la hardiesse (qui est sous cet aspect
de même nature que la pitié) l’échauffe (8, 701 b 33 – 702 a 10). Le Problème XXX, 1, que les
meilleurs philologues actuels attribuent à Aristote ou à son entourage le plus proche 6 , va
exactement dans ce même sens : le réchauffement de la bile noire provoque hardiesse et pitié,
et vice-versa ; son refroidissement prédispose à la peur, de même que « la terreur refroidit »
(953 a 33-36, 954 a 10-13). Il y a donc là une interaction complète du physiologique et du
psychologique, bien soulignée par le traité De l’âme (403 a 16-19) : « Toutes les passions de
l’âme semblent bien aller de concert avec le corps : le courage, la douceur, la peur, la pitié,
l’audace, ou encore la joie ainsi que l’amour et la haine. Car en même temps qu’elles le corps
subit une modification. »
6
Voir P. J. van der Eijk, « Aristotle on Melancholy », dans Medicine and Philosophy in Classical
Antiquity : Doctors and Philosophers on Nature, Soul, Health and Disease, Cambridge, Cambridge
University Press, 2005, p. 167-168.
4
Catharsis
L’énigme de la catharsis tragique trouve ici sa solution. Dans la très grande majorité de ses
occurrences, le mot de catharsis désigne dans le corpus aristotélicien une purification
physiologique, par le flux menstruel, l’éjaculation ou une purge artificielle, par exemple.
Cependant, toute purification n’exige pas une évacuation à proprement parler : l’idée première
de la catharsis physiologique est celle du retour à l’équilibre par un soulagement des excès,
excès qui ne sont pas nécessairement de substances à évacuer, mais parfois seulement de froid
ou de chaleur. Ainsi, selon le Problème V, 40, la marche dans le froid opère une purification
par le contraste de l’échauffement interne et du froid externe (885 a 25-26). De façon générale,
une médecine « purifie » en équilibrant un excès pathologique par un excès exactement inverse
(Problème I, 42, 864 a 23 et 864 a 10-11).
La catharsis peut donc se comprendre comme une action d’équilibrage physiologique : la
pitié provoquée par la tragédie accumule la chaleur dans le corps ou les humeurs ; la terreur, en
retour, soulage cet excès de chaleur. Il y a équilibrage puisque la terreur se manifeste en
proportion exacte de la pitié qui l’a précédée, et c’est ce soulagement dans un mouvement
alternatif perpétuel qui provoque du plaisir. Sans faire partie des « choses agréables par nature »,
pitié et terreur le deviennent « par accident », pour reprendre les définitions de l’Éthique à
Nicomaque, qui définit « comme agréables par accident les choses opérant une cure » (VII, XIV,
7, 1154 b 16-18).
La catharsis tragique a donc pour rôle, par le jeu alterné de la pitié et de la terreur, de
débarrasser le spectateur de toutes les émotions qui leur sont corrélées, à savoir celles qui,
comme ces deux-là, sont associées à un changement de température humorale, soit
échauffement soit refroidissement. Selon le Problème XXX, 1, relèvent du premier cas la colère,
la bienveillance, la hardiesse, l’exaltation, l’euphorie, l’impudence, la loquacité et la
sensualité : autant d’affects qui appartiennent à la famille de la pitié. Dans celle de la terreur,
causée par la froideur du mélange, se rencontrent la lâcheté, les tremblements, la dépression, le
chagrin, la stupidité et la taciturnité. On peut ainsi paraphraser le fameux passage de la
Poétique : « l’imitation tragique accomplit au moyen de la pitié et de la terreur la purification
[du spectateur ou du lecteur en le délivrant] des émotions du même genre ». Tel est le plaisir
propre à la tragédie selon Aristote.
On voit par là que la catharsis tragique aristotélicienne a peu de rapport avec l’usage
contemporain le plus courant du concept de catharsis. Ce dernier, en effet, suppose une action
de type homéopathique, selon laquelle la représentation de la violence calmerait les pulsions
violentes en vertu d’un mécanisme de défoulement. Or, pour Aristote, l’effet de la catharsis est
de type allopathique : l’apaisement des émotions a lieu non parce que la terreur éprouvée au
théâtre guérirait de la terreur réelle (et de même pour la pitié), mais parce que pitié et terreur se
contrecarrent mutuellement. Le recours actuel au concept de catharsis doit donc moins à
Aristote directement qu’à des interprétations philologiquement erronées de la Poétique.
En revanche, ce que dit Aristote sur la tragédie vaut également en théorie pour ce que nous
nommons aujourd’hui littérature, puisque selon lui la tragédie agit tout aussi bien sur le simple
lecteur que sur le spectateur : l’effet de catharsis peut résulter d’une simple lecture du texte
tragique sans l’accompagnement d’un spectacle (Poétique, VI, 1450 b 17-20 ; XIV, 1453 b 3-7 ;
XXVI, 1462 a 12). Cela implique qu’un texte de littérature, au sens moderne du terme, un texte
nu, pourrait avoir la capacité d’agir sur le corps, de le modifier et même de le soigner. Il y a là
de quoi enrichir ou transformer notre conception des pouvoirs de la littérature en faisant éclater
le cadre purement intellectualiste où, depuis le romantisme, on a trop tendance à les confiner.
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Catharsis
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