n° 37, décembre 2015, p. 51-123
Le Canon de Polyclète agencé selon un système de proportions (appelé symmetria) peut être considéré comme une mise application concrète de la théorie pythagoricienne des principes, des archai comme symmetriai, qui nous est connue par le biais de la doxographie provenant de l’École de Théophraste (IIIe s. av. J.-C.). Le fameux Canon serait ainsi l’équivalent artistique de la théorie médicale de la symmetria du philosophe Alcméon de Crotone, contemporain et ami des premiers Pythagoriciens. L’ancien pythagorisme semble dès lors être à l’origine d’un renouveau culturel sans précédent, étant à la source des canons esthétiques du classicisme grec, de la médecine hippocratique et de nouveaux développements des mathématiques et de la philosophia — néologisme d’ailleurs introduit par Pythagore lui-même. Sur le plan artistique, une mise en application de la théorie pythagoricienne des principes serait perceptible non seulement au niveau de l’élaboration du système de proportions mais aussi au sein de ce que les Anciens appelaient le rythmos : des études récentes ont mis en évidence le fait que l’eurythmie (associant l’équilibre du maintien et le chiasme des membres supérieurs et inférieurs) du Porteur de lance (Doryphoros) peut être interprétée d’une manière convaincante au moyen de la « table des contraires » qu’Aristote attribue aux premiers Pythagoriciens. Enfin, on ne saurait négliger une curiosité qui a frappé les historiens depuis longtemps : lorsque l’architecte romain Vitruve transmet la théorie artistique de la symmetria des anciens Grecs (associant architectes et sculpteurs), il laisse apparaître incidemment la théorie de la Tétractys, qui est connue par ailleurs comme l’expression emblématique du Canon pythagoricien. Alors que la philosophie pythagoricienne a souvent été minimisée relativement à son impact culturel, quand elle n’était pas littéralement méprisée par les historiens, l’étude ici proposée tente de rendre justice à son dynamisme et à son caractère profondément démiurgique. The Canon of Polyclitus ordered according to a system of proportions (called symmetria) can be considered as a putting concrete application of the Pythagorean theory of principles, the archai as symmetriai, which is known to us by means of the doxography coming from the School of Theophrastus (IIIth c. BC). The famous Canon would so be the artistic equivalent of the medical theory of symmetria of the philosopher Alcmaeon of Crotone, contemporary and friend of the first Pythagoreans. The Early pythagoreanism seems then to be at the origin of an unprecedented cultural revival, being in the source of the aesthetic canons of Greek classicism, Hippocratic medicine and the new developments of mathematics and philosophia — neologism moreover introduced by Pythagoras himself. On the artistic plan, an application of the Pythagorean theory of the principles would be perceptible not only at the level of the elaboration of the system of proportions but also within what the Ancients called rythmos: recent studies highlighted the fact that the eurhythmy (associating the balance of the bearing and the chiasmus of the lower and upper limbs) of the Carrier of lance (Doryphoros) can be interpreted in a convincing way by means of the " table of opposite " that Aristotle attributes to the first Pythagoreans. Finally, we could not neglect a curiosity which struck the historians for a long time: when the Roman architect Vitruvius transmits the artistic theory of the symmetria of the Ancient Greeks (associating architects and sculptors), he lets appear by the way the theory of Tetractus, which is besides known as the symbolic expression of the Pythagorean Canon. While the Pythagorean philosophy was often minimized with regard to its cultural impact, when it was not literally despised by the historians, the here proposed study tries to obtain justice to its dynamism and to its profoundly demiurgic character.