Une année à vitesse grand V
Le mois d’août prochain marquera ma première année en France, une année riche en expériences. Des expériences qui m’ont permis de grandir, de mûrir, des rencontres et des conversations qui m’ont enrichi, bref, une année vécue à vitesse grand V.
Pour faire un petit détour, expérimenter l’ailleurs a toujours été un besoin pour moi. À un certain moment de mon existence, j’étais dans une routine en train d’étouffer et je voyais cet ailleurs pas comme un eldorado, mais plutôt comme un moyen de respirer à pleins poumons et de faire d’autres provisions. C’est un besoin qui, je pense, se trouve chez tous les humains. On a tous besoin de voir à quoi ressemble le reste du monde. De gravir des cimes plus hautes pour admirer d’autres horizons. Mais l’ailleurs, au-delà de sa richesse et de cette parure de rêve dont il se revêt souvent, est un risque. S’y confronter, c’est sortir de sa zone de confort pour affronter tout un nouveau monde.
S’adapter
Saurait-on mesurer la faculté d’adaptation d’un être humain ? Si cette technique existe, j’aurais aimé la découvrir. Pour ma part, l’adaptation n’a pas été automatique mais elle était impérative puisque j’étais là pour étudier. Mais la réalité dépasse de loin ce qu’on lit dans les livres. Pour commencer, il y a le décalage horaire de six heures. Je suis loin d’être un fainéant, mais certains matins je me réveillais comme quelqu’un qui aurait fumé de la marijuana toute la nuit, pourtant, je devais être à l’heure en cours. Autre point d’adaptation : la gastronomie. La gastronomie française est reconnue parmi les plus riches du monde mais elle demande un peu de temps pour être appréciée à sa juste valeur, surtout pour un haïtien comme moi, habitué à une nourriture plutôt épicée. Il y a aussi la relation des gens avec la société, avec eux-mêmes. Leur regard et leur jugement sur les étrangers qui m’ont permis d’arriver à certaines conclusions.
Entre stress, solitude et dépression
Depuis mon arrivée, je suis logé dans une résidence pour étudiants sur le campus de l’université. La richesse de ces endroits réside dans le fait qu’ils concentrent la présence de toutes les nations. J’ai croisé des guinéens, des congolais, des algériens, des malgaches, des japonais, des chinois, des brésiliens, des indiens, etc. Au premier regard, on dira que c’est une vraie richesse, mais d’un autre côté c’est une grande pauvreté, il n’y aucun effort qui est fait pour aller vers l’autre, aucune socialisation. On se croise au hasard dans la cuisine, sans un bonjour, on fait son café et on s’enferme dans sa chambre. Moi l’haïtien, un peu « soumoun », je disais bonjour à tout le monde, je souriais, je voulais embrasser toutes les cultures, apprendre sur chacun de ces étudiants, leurs origines et pourquoi on se retrouvait tous en France, dans cette résidence, à cet instant précis.
Dans ma curiosité naturelle, dans ma soif de découvrir l’autre, et en qualité de blogueur, je me disais que j’allais avoir de la conversation, de la matière pour écrire. Mais il ne m’a fallu que quelques mois pour me rendre compte que trop de chaleur humaine était un peu mal vu et même déplacé. Qu’il fallait faire preuve de retenue. Qu’il fallait être un peu plus « froid ».
Et c’était un peu difficile de s’adapter à cette nouvelle réalité. Pendant les premiers mois, c’était très dur de faire le parcours entre la résidence, les salles de cours et les bibliothèques, sans croiser un regard avec un peu de chaleur. Ceux qui n’étaient pas entièrement accaparés par leur téléphone avaient le visage déconfit qui disait clairement « ne viens pas me parler ».
Souvent, je priorise la solitude pour écrire, pour lire et me retrouver. Mais j’ai pu remarquer qu’une trop grande dose de solitude pouvait être néfaste à l’équilibre mental. Et malgré le fait que j’étais en France, que je faisais un master, que j’avais de la famille et des amis qui m’envoyaient de l’amour et de la chaleur d’Haiti, j’ai perdu l’équilibre. Un peu plus tard dans l’année, un étudiant d’origine africaine m’a confié qu’il s’enfermait dans sa chambre pour pleurer, tellement la solitude et l’indifférence le rongeait. Donc je me suis rendu compte que je n’étais pas seul dans cette lutte et que derrière le masque de l’indifférence que certains affichaient, il y avait un cœur tendre qui avait tout simplement besoin de chaleur humaine.
Une certaine psychologue
En France, il faut vite s’adapter et suivre le rythme. On peut facilement se retrouver au fond du gouffre si on n’arrive pas à suivre. C’est comme un train à la gare, tu le rates et tu rates toute ta journée. Faire l’équilibre était donc devenu mon crédo ; m’adapter, apprendre les cours, faire les devoirs, avoir de bonnes notes, travailler pendant mes études, etc. Et dans cette course folle contre la montre pour garder l’équilibre et avoir le contrôle sur tout, je me suis retrouvé un après-midi sur un siège de cuir noir, dans le bureau d’une psy, stressé, surmené et au bord de la dépression.
Par souci de voir un peu plus clair, et le mot revient, de faire l’équilibre, j’ai pris rendez-vous avec une psy sur le campus. C’était un après-midi assez calme, j’ai séché un cours pour aller à mon rendez-vous, je me suis mis sur mon trente-et-un et tout le reste. Première expérience, je me suis dit qu’elle allait m’aider à voir le bout du tunnel. Assis dans son bureau, comme on voit souvent dans les films, j’étais assez confortable. La première question ou plutôt la première phrase qu’elle me lança fut, « je vous écoute ». Je ne savais pas par où commencer mon discours exactement. Je me suis dit « commençons par le commencement ». Je déballais mon histoire mais dans son regard, je ne voyais ni écoute ni compréhension. Son téléphone vibra à plusieurs reprises, ne pouvant plus résister, elle consulta ses messages. Elle se moucha à deux ou trois reprises. J’ai quitté le bureau sans prendre de rendez-vous pour la prochaine fois. Son regard était trop vide, trop détaché pour m’apporter quoi que ce soit.
Une dose de soleil
Il a suffi d’un regard et d’un petit bonjour en cours un matin pour changer les choses. À côté de l’indifférence de certains, il y en a d’autres qui débordent de chaleur humaine. J’ai croisé une fille (Danielle sur la photo) super sympathique avec laquelle j’ai fraternisé et plus tard le groupe de deux est devenu un groupe de cinq, partageant les hauts et les bas, les victoires et les défaites sur le campus. Et la bonne nouvelle, c’est que nous avons tous les cinq validé notre master 1 et sommes tous admis en master 2.
La leçon à tirer dans tout ça est qu’il faut se construire une armure. Qu’on soit en France, en Haïti, au Congo, au Sénégal, au Brésil, il y aura toujours des batailles à livrer, contre soi-même, contre les autres. L’essentiel est de savoir se relever après les chutes.
À bientôt !
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