La transe bio de Bab L'Bluz
Avec sa potion « gnawa du futur » rock’n roll et survitaminée, le power quartet Bab’L Bluz a fait le tour du globe, avant de sortir son deuxième disque, Swaken. Un opus qui explore la transe et crie sa révolte contre les injustices du monde.
Les États-Unis, la Nouvelle-Zélande, l’Australie, le Canada, l’Europe… Depuis la sortie de son premier disque en 2020, dans la prestigieuse écurie Real World, le power quartet Bab’L Bluz, à l’énergie psychédélique irrésistible, fondé par la Marocaine Yousra Mansour et le Français Brice Bottin, a écumé les scènes du monde entier, pour diffuser les bonnes vibrations de leur potion « gnawa du futur ».
Bien sûr, ces concerts aux quatre coins du globe, devant des foules compactes et en délire, ont modifié le son, au fil de shows survoltés. « Nous assumons notre côté rock, plus lourd, plus fougueux. Nous avons poussé le volume, amplifié le guembri et la aouicha (un guembri plus petit, ndlr), notre son s’est musclé… » expliquent Yousra et Brice. Et c’est aussi sur la route qu’ils ont puisé la matière de leur deuxième disque, Swaken, « nourri des expériences du voyage, moins gnawa que le précédent, davantage pétri d’un patchwork de différents rythmes populaires marocains – chaâbi, musique amazigh, etc.» éclairent-ils.
Un exemple pour les femmes
Et surtout, au fil de leurs tournées, ils ont fait escale dans cette source sacrée, ce berceau de leurs inspirations, Essaouira la diva, durant l’incontournable festival des musiques gnawa. Avec, bien sûr, une légère appréhension, vite éclipsée. « Nous avons été bien reçus, y compris par les maâlems des confréries, souffle Brice. Nous contribuons, modestement, à donner un coup de jeune à la tradition, tout en prenant des libertés, notamment par nos manières inédites de jouer du guembri ou de la aouicha, et nos chansons originales. Surtout, une femme qui ‘leade’ un groupe de rock gnawa, ça interpelle et ça suscite des vocations salutaires chez les jeunes filles, qui n’hésitent plus à s’emparer du guembri. »
Une fierté pour Yousra, qui embraye : « Je suis heureuse de pouvoir apporter mon exemple au Maroc, où nous restons, hélas, limitées en tant que femmes. On nous empêche d’imaginer notre futur en grand, en nous abreuvant de rêves très basiques : se marier, faire des enfants… Je parle ici des gens un peu en dessous de la classe moyenne. Dans mon école primaire, certaines fillettes étaient fiancées à neuf ou dix ans… »
La pochette de leur disque se veut ainsi un hommage à la liberté des femmes, avec une icône féminine, la tête recouverte d’un foulard. « Qu’elle soit en short ou voilée, nul n’a le droit de dire à une femme comment elle doit se vêtir ! », s’insurge la chanteuse.
La force des « esprits »
Sur cette pochette de couleurs vives, se distingue aussi pléthore de symboles, comme la main de Fatma ou le triangle amazigh, et aussi des instruments de musique déformés et des cercles de couleurs vives, aux allures psychédéliques qui convoquent la transe.
Car le titre de leur disque, Swaken, désigne, en darija, le dialecte marocain, « la possession, la transcendance, les esprits qui s’invitent dans le corps des humains. » Et finalement, il y a tout cela dans leurs concerts, où certains membres du public, envahis par le pouvoir transcendantal de leur son, tourbillonnent d’extase, cheveux aux vents, sur leurs échappées gnawa-metal-kaléïdoscopique savamment balancées par ces quatre experts, maîtres de cérémonie.
Si Yousra et Brice croient aux esprits ? « Nous sommes forcément limités en tant qu’êtres humains, analyse-t-elle. Il y a des fréquences, des sons, que nous n’entendons pas, des réalités que nous ne percevons pas, au contraire de certains animaux. Alors, énergies ? Esprits ? Qu’importe ! Il est possible de ressentir d’autres espaces en profondeur, loin du monde tel que nous le connaissons… » Brice ajoute : « Avec Bab’L Bluz, nous provoquons une transe bio, sans autre substance ou armes que le pouvoir de notre musique ».
Pourtant, au-delà de la cérémonie et des fêtes spirituelles que peuvent être leurs concerts, avec leurs cordes acérées, leurs percussions endiablées et leurs flûtes virevoltantes, le couple se révèle davantage préoccupé, voire inquiet, sur ce disque. « On est entrés dans notre premier album avec beaucoup de fraîcheur, beaucoup de joie. Ici, on voulait exprimer une certaine colère, aborder des sujets qui fâchent. Sur Swaken, on affirme de manière frontale notre point de vue, manifesté de manière plus imagée, voire détournée, sur notre premier disque, dit Yousra.
Chansons révoltées
Ainsi, sur ces nouvelles pistes évoque-t-elle sans détours, en darija, les lois sur l’héritage au Maroc, basées sur des textes religieux, qui lèsent les femmes : « Elles héritent moitié moins que les hommes. J’ai moi-même été confrontée à cette dramatique situation. À la suite du décès de mon père, lorsque j’avais dix ans, ma mère a dû vendre la maison. Elle, mes cinq sœurs et moi avons dû déménager… Il s’agit d’une loi très injuste et très dangereuse – fort heureusement en train de changer – qui a jeté beaucoup de personnes à la rue. », déplore-t-elle.
Yousra se révolte aussi contre les disparités salariales entre hommes et femmes à travers la planète. Et parle à mots ouverts de la dépression et des suicides : « Beaucoup de jeunes se sentent mal dans leur peau. Nous vivons à des rythmes de folie, dans le speed perpétuel, soumis à la dictature de la surconsommation, avec des sociétés cyniques qui s’enrichissent sur notre dos, en nous vendant des produits pourris… C’est vraiment difficile de garder le mojo, de rêver assez fort pour atteindre nos objectifs. Et de façon générale, dans notre quotidien, nous nous sommes bien trop éloignés de la spiritualité… ».
Et si, pour un peu plus de bonheur et d’élévation, la musique de Bab’L Bluz faisait partie de la solution ?
Bab’L Bluz Swaken (Real World) 2024