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Vies des hommes illustres/Aristide

La bibliothèque libre.
Traduction par Alexis Pierron.
Charpentier (Volume 2p. 188-228).


ARISTIDE.


(De l’an 530 environ à l’an 467 avant J.-C)

Aristide, fils de Lysimachus, était de la tribu Antiochide, et du dème Alopèce. Quant à ses biens, on en a fort diversement parlé : suivant les uns, il vécut toujours dans une étroite pauvreté, et après sa mort il laissa deux filles qui furent longtemps sans trouver à se marier, à cause de leur indigence. Mais Démétrius de Phalère[1], dans son Socrate[2], attaqua cette tradition si universellement adoptée : il allègue qu’il connaissait, à Phalère, une campagne appelée la terre d’Aristide, où Aristide avait été enseveli ; il énumère plusieurs preuves de la richesse de sa maison : premièrement, la charge d’archonte éponyme[3], qui lui échut par le sort des fèves, dignité réservée aux familles les plus opulentes, et qui composaient la classe des citoyens appelés pentacosiomédimnes[4] ; en second lieu, l’ostracisme, sentence qu’on ne portait jamais contre les pauvres, mais seulement contre les hommes de grande maison, et que leur illustration héréditaire exposait à l’envie ; en troisième et dernier lieu, les trépieds des jeux publics consacrés par Aristide dans le temple de Bacchus, comme monument de victoire. On montrait encore de mon temps ces trépieds, sur lesquels se lisait cette inscription : « La tribu Antiochide remportait la victoire ; Aristide était chorège[5] ; Archestratus conduisait la représentation. »

Cette preuve paraît très-forte, elle est cependant bien faible ; car Épaminondas, qui fut élevé, tout le monde le sait, et passa sa vie dans la pauvreté, Épaminondas, dis-je, et Platon le philosophe se chargèrent des frais de jeux qui n’étaient pas sans magnificence : le premier défraya une troupe de joueurs de flûte ; et le second, un chœur cyclique[6] composé d’enfants. Mais c’est Dion le Syracusain qui fournissait à Platon l’argent nécessaire, et Pélopidas à Épaminondas ; car les hommes vertueux ne font pas aux présents de leurs amis une guerre qui n’ait ni fin ni trêve. Sans doute, à les accepter pour les mettre en réserve et pour augmenter leur avoir, ils ne verraient que lâcheté et bassesse ; mais ils ne repoussent point des moyens de satisfaire une ambition honorable et exempte de toute vue d’intérêt. Par rapport aux trépieds, Panétius fait voir clairement que Démétrius a été trompé par une ressemblance de noms. Depuis les guerres des Perses jusqu’à celle du Péloponnèse, on ne trouve, en effet, dit-il, dans les registres publics, que deux Aristide, chorèges vainqueurs ; et ils ne sont ni l’un ni l’autre fils de Lysimachus. Le premier était fils de Xénophilus ; et le second ne vécut que longtemps après notre Aristide, comme le prouve l’orthographe de l’inscription, qui est celle qu’on a adoptée depuis Euclide[7], et la mention du nom d’Archestratus, poëte fréquemment cité, au temps de la guerre du Péloponnèse, comme maître de chœurs, mais jamais au temps des guerres médiques. Du reste, l’argument de Panétius demanderait une discussion plus approfondie. Pour l’ostracisme, il tombait indifféremment sur tous ceux qui s’élevaient au-dessus du vulgaire par la réputation, la naissance, ou le talent de la parole. Damon lui-même, le précepteur de Périclès, subit la sentence d’ostracisme, à cause de la prudence qui semblait le distinguer entre tous. Enfin Idoménée dit qu’Aristide fut nommé archonte, non par le sort des fèves, mais par le choix des Athéniens. Et s’il le fut après la bataille de Platée, comme l’écrit Démétrius lui-même, il est fort vraisemblable aussi qu’il dut à tant de gloire et à de tels exploits d’être jugé digne par sa vertu d’un honneur qu’on n’obtenait d’ailleurs qu’au moyen de la richesse. Mais il est évident que Démétrius veut, à tout prix, justifier Aristide de l’accusation de pauvreté, comme si c’était un grand crime d’être pauvre ; et non-seulement Aristide, mais Socrate lui-même, car il prétend que Socrate, outre une terre qu’il possédait en propre, avait encore soixante-dix mines[8] que Criton lui faisait valoir.

Aristide fut l’ami particulier de Clisthène, celui qui rétablit la république après l’expulsion des tyrans[9]. Entre tous les hommes d’État, il prit pour modèle et pour l’objet de son admiration, Lycurgue le Lacédémonien : aussi embrassa-t-il le parti de l’aristocratie ; mais il eut un adversaire dans Thémistocle, fils de Néoclès, défenseur des prétentions populaires. Élevés ensemble, c’est dès leur enfance, suivant quelques-uns, qu’auraient commencé leurs dissentiments : études et récréations, paroles sérieuses ou raillerie, tout leur était un sujet de querelles ; et cette rivalité eut bientôt mis dans tout son jour le caractère de l’un et de l’autre. Thémistocle était prompt, hardi, rusé, se portant indifféremment à tout entreprendre, et avec une fougue extrême. Aristide, ferme et constant dans ses mœurs, inébranlable dans ses principes de justice, ne se permettait jamais, même en jouant, ni mensonge, ni flatterie, ni déguisement. Ariston de Chio dit qu’une passion amoureuse fit naître leur inimitié et la rendit irréconciliable. Épris tous deux de Stésiléus de Céos, qui effaçait par l’éclat de ses charmes et de sa beauté tous les jeunes gens de son âge, ils furent extrêmes dans leur passion ; et, après même que la beauté du jeune homme fut passée, ils ne déposèrent pas leur rivalité : ç’avait été comme un prélude de la lutte ; et c’est tout enflammés encore de leurs querelles précédentes, qu’ils se jetèrent dans la mêlée politique.

Thémistocle s’attacha d’abord à se gagner des amis ; ce lui fut un rempart pour sa personne, et une puissance formidable pour l’attaque. Aussi, comme on lui disait un jour que pour bien gouverner les Athéniens il n’avait qu’à maintenir l’égalité, à se montrer impartial envers tout le monde : « Je ne voudrais jamais, dit-il, m’asseoir sur un tribunal où mes amis ne trouveraient pas auprès de moi plus de faveur que les étrangers. » Aristide, au contraire, se fraya, pour ainsi parler, lui tout seul sa route dans les affaires publiques. Avant tout, il ne voulait ni faire des injustices pour complaire à ses amis, ni les désobliger en ne leur accordant jamais rien. En second lieu, comme il voyait la plupart de ses rivaux s’enhardir à l’injustice par le crédit de leurs amis, il se mit en garde contre ce penchant, par une règle invariable de conduite : il tenait qu’un bon citoyen ne doit avoir d’autre appui que l’habitude de dire et de faire ce qui est juste et honnête. Il y dérogea pourtant. Thémistocle ne cessait de faire des entreprises téméraires ; il entravait tous les projets d’Aristide, et rompait toutes ses mesures. Aristide fut contraint de contrarier, lui aussi, les vues de Thémistocle, soit pour sa propre défense, soit pour rabattre une autorité que la faveur du peuple accroissait de jour en jour. Il valait mieux, pensait-il, sacrifier quelquefois des projets utiles au public, que de laisser toujours prévaloir les avis de Thémistocle, et de prêter les mains à ses projets ambitieux. Il alla même une fois jusqu’à attaquer une proposition tout à l’avantage de la république, parce qu’elle venait de Thémistocle : il la fit échouer ; mais, en sortant de l’assemblée, il ne put s’empêcher de dire qu’il n’y aurait de salut pour les affaires d’Athènes qu’en faisant jeter Thémistocle et lui au fond du Barathre[10].

Dans une autre occasion, il avait proposé au peuple un décret qui éprouva beaucoup de contradictions ; il triompha des résistances : le président de l’assemblée allait recueillir les suffrages ; mais Aristide avait été éclairé par la discussion sur les inconvénients de son décret : il le retira. Souvent aussi il faisait présenter ses vues par d’autres, afin que la jalousie de Thémistocle ne mît pas d’obstacle à l’accomplissement du bien. Il montrait une fermeté admirable au milieu des vicissitudes de la vie politique : jamais il ne s’enfla des honneurs qu’on lui décernait ; et c’est avec autant de douceur que d’égalité d’âme qu’il sut toujours se résigner à ses déconvenues, persuadé qu’on doit se livrer tout entier à la patrie, sans songer, je ne dis pas à s’enrichir, mais même à acquérir de la gloire. Aussi, comme on entendit prononcer au théâtre les vers d’Eschyle sur Amphiaraüs[11] :

Il ne veut point paraître juste[12], mais l’être ;
Son âme est un sol fécond
Où germent les prudents conseils…


tous les spectateurs jetèrent les yeux sur Aristide, reconnaissant, en quelque sorte, qu’il était, entre tous, l’exemple vivant de cette vertu. Il savait, pour défendre la justice, résister avec force, non-seulement à l’amitié et à la faveur, mais aussi à la colère et à la haine. Un jour, dit-on, il poursuivait devant le tribunal un de ses ennemis : après qu’il eut proposé ses chefs d’accusation, les juges ne voulaient pas entendre l’accusé, et se disposaient à porter sur-le-champ la sentence ; Aristide s’élance de sa place, et se jette avec lui aux pieds des juges, pour les supplier de l’écouter, et de le laisser jouir du privilège des lois. Une autre fois, deux particuliers plaidaient devant lui : « Mon adversaire, dit le demandeur, t’a bien souvent fait tort, Aristide. — Mon ami, dit Aristide, expose seulement tes griefs contre lui ; c’est ton affaire que je juge, et non la mienne. »

Élu trésorier général des revenus publics, il convainquit de soustractions considérables, non-seulement les magistrats alors en charge, mais ceux des années précédentes, particulièrement Thémistocle,

Homme sage au demeurant, mais qui n’était pas maître de sa main[13].


Aussi, lorsqu’Aristide rendit ses comptes, Thémistocle suscita contre lui une forte brigue, et le fit condamner, suivant Idoménée, comme voleur des deniers publics. Les principaux citoyens et les plus gens de bien s’indignèrent de cette iniquité ; et l’on ne se borna pas à le décharger de l’amende : il fut nommé de nouveau trésorier pour l’année suivante. Il se mit alors à feindre qu’il se repentait de sa conduite première ; il se montra plus traitable, et s’appliqua à plaire à ceux qui pillaient le trésor public : il ne recherchait plus leurs infidélités, il ne chicanait plus sur les comptes ; de sorte que ces sangsues publiques comblaient Aristide de louanges, et agissaient vivement auprès du peuple pour le faire continuer une troisième année dans la même charge. Toutes les mains allaient se lever pour le suffrage ; Aristide, à ce moment, tança rudement les Athéniens : « Quand j’ai administré, dit-il, en magistrat fidèle et en homme d’honneur, on m’a couvert de boue. Depuis que j’ai livré aux voleurs presque toute la fortune publique, je suis à vos yeux un citoyen admirable. Je rougis donc bien plus de l’honneur que vous me voulez décerner aujourd’hui, que de la condamnation que j’ai subie l’année dernière ; et je plains sincèrement votre misère, lorsque je vois qu’il est plus glorieux auprès de vous de complaire à des gens pervers que de conserver les biens de la république. » Ce discours, les preuves qu’il allégua contre les déprédateurs, eurent bien vite fermé la bouche à ceux qui l’applaudissaient tout à l’heure de leurs acclamations et sollicitaient en sa faveur auprès du peuple ; mais Aristide y gagna les louanges véritables et méritées de tous les bons citoyens.

Datis, envoyé par Darius sous prétexte de venger l’incendie de la ville de Sardes brûlée par les Athéniens, mais, en réalité, pour assujettir la Grèce entière, avait débarqué à Marathon avec toute son armée, et mettait le pays à feu et à sang. Les Athéniens nommèrent pour cette guerre dix généraux. Miltiade était le premier en dignité, Aristide le second en réputation et en crédit. Miltiade proposa de livrer bataille ; et Aristide, en se rangeant à son avis dans cette circonstance, ne contribua pas peu à le faire prévaloir. Chaque général commandait un jour l’armée : quand vint le tour d’Aristide, il céda le commandement à Miltiade, montrant par là à ses collègues que ce n’est pas chose honteuse de se soumettre aux sages et de leur obéir, mais honorable plutôt et salutaire. Par ce moyen, il apaisa toutes leurs rivalités ; et, en les engageant à suivre avec plaisir les conseils du plus expérimenté, il fortifia l’autorité de Miltiade, qui eut à lui seul, sans interruption, le commandement de l’armée ; car les autres généraux renoncèrent au droit qu’ils avaient de commander chacun leur jour, et se mirent sous ses ordres.

Dans la bataille, le centre de l’armée athénienne eut surtout à souffrir ; et c’est là que les Barbares portèrent le plus longtemps tous leurs efforts, contre les tribus Léontide et Antiochide. Thémistocle, qui était de la première, et Aristide de la seconde, placés à côté l’un de l’autre, firent à l’envi des prodiges de valeur. Les Barbares furent mis en pleine déroute et repoussés jusque dans leurs vaisseaux ; mais, au lieu de faire voile vers les îles, les vents et les courants de la mer les emportaient à la dérive vers l’intérieur de l’Attique. À cette vue, les Athéniens craignirent qu’ils ne trouvassent Athènes vide de défenseurs ; neuf des tribus furent dirigées sur la ville, et firent une telle diligence, qu’elles y arrivèrent le jour même. Aristide, laissé seul à Marathon avec sa tribu pour garder les prisonniers et les dépouilles, ne démentit pas l’opinion qu’on avait de lui. L’argent et l’or étaient semés çà et là dans le camp ; les tentes et les vaisseaux qu’on avait pris regorgeaient de hardes de toute espèce, et de butin précieux : Aristide n’eut pas même la pensée d’y toucher, et ne permit à personne d’y porter la main. Il ne laissa pas d’y en avoir qui en prirent à son insu, et s’y enrichirent ; entre autres Callias le porte-flambeau[14]. Un des Barbares l’avait pris apparemment pour un roi, à sa longue chevelure et au bandeau qui lui ceignait la tête : il se prosterna devant lui, puis il le conduisit par la main, et lui montra une grande quantité d’or enfoui dans un puits. Callias se comporta dans cette occasion comme le plus cruel des hommes et le plus injuste : il enleva l’or, et tua le Barbare de peur qu’il n’en dît rien à d’autres. C’est de là, dit-on, que les poëtes comiques donnèrent le nom de Laccoplutes aux descendants de Callias, par une allusion plaisante au lieu d’où il avait tiré cet or[15].

Peu de temps après la bataille, Aristide fut élu archonte éponyme. Toutefois, à en croire Démétrius de Phalère, l’archontat d’Aristide ne précéda guère sa mort, et fut postérieur à la bataille de Platée ; mais, dans les registres publics, à la suite de l’archonte Xanthippide, sous lequel Mardonius fut battu à Platée, on ne trouve pas une seule fois, dans une longue succession d’archontes, le nom d’Aristide, au lieu qu’il y suit immédiatement celui de Phanippus, sous lequel fut remportée la victoire de Marathon.

De toutes les vertus d’Aristide, celle que le peuple ressentait le mieux, c’était sa justice, parce que l’usage de cette vertu est plus habituel, et que les effets s’en répandent sur plus de monde. Il lui dut, lui, homme pauvre et sorti des rangs du peuple, le plus royal et le plus divin des surnoms, celui de Juste ; titre que pas un roi, pas un tyran n’a jamais ambitionné. Ils ont mis leur vanité à s’entendre appeler des noms de Preneurs de villes, de Foudres, de Vainqueurs[16] ou même d’Aigles et d’Éperviers ; préférant, ce semble, la gloire qui s’acquiert par la force et la puissance, à celle que donne la vertu. Et pourtant la divinité, dont ils affectent d’imiter et de reproduire les traits, ne diffère des autres êtres que par trois attributs : l’immortalité, la puissance, la vertu, entre lesquels la vertu est le plus auguste et le plus divin. L’immortalité, en effet, est aussi la propriété du vide et des éléments ; les tremblements de terre, les foudres, les tourbillons de vents, les débordements des eaux, ont une grande puissance ; mais nul être ne participe à la justice et à la droiture, qui n’a pas la raison et ne connaît pas l’essence divine. Il y a donc trois sentiments dont les hommes sont d’ordinaire pénétrés à l’idée de la divinité : l’admiration, la crainte et le respect. Or, ils ne l’admirent, ce semble, et ne la croient bienheureuse que parce qu’elle est incorruptible et immortelle ; ils ne la redoutent et ne tremblent devant elle qu’à cause de sa puissance et de son empire sur l’univers ; ils ne la respectent, ne l’honorent et ne l’aiment que pour sa justice. Mais, malgré ces dispositions naturelles, les hommes ne désirent que l’immortalité, dont notre nature n’est pas capable, et la puissance, laquelle dépend presque toute de la fortune : pour la vertu, le seul des biens divins qui soit en notre pouvoir, ils la mettent au dernier rang : erreur grossière ! puisque la justice rend divine la vie de ceux qui sont au comble de la puissance et de la fortune, tandis que l’injustice la rend semblable à celle des bêtes sauvages.

Le surnom de Juste avait fait d’Aristide pendant quelque temps l’objet de la bienveillance générale ; il finit par lui attirer l’envie. Thémistocle surtout ne cessait de répandre parmi le peuple qu’Aristide, en s’arrogeant la connaissance et la décision de toutes les affaires, avait par là même aboli les tribunaux, et s’était formé de la sorte, sans qu’on s’en aperçût, une monarchie qui n’avait pas besoin de satellites pour se soutenir. Le peuple, enorgueilli de sa victoire, et qui se croyait digne des plus grands honneurs, souffrait impatiemment ceux dont la réputation et la gloire dépassaient la commune mesure. Les habitants de l’Attique se rassemblèrent de toutes parts dans la ville, et condamnèrent Aristide à l’ostracisme, cachant sous une crainte affectée de la tyrannie l’envie qu’ils portaient à sa gloire. L’ostracisme n’était pas un châtiment qu’on infligeât à des coupables : on l’appelait, pour le voiler d’un nom spécieux, affaiblissement, diminution d’une autorité trop fière d’elle-même, d’une puissance dont le poids était trop lourd. C’était, en réalité, une satisfaction modérée qu’on accordait à l’envie : la malveillance, au lieu de s’exercer sur ceux qui déplaisaient, par une vengeance irréparable, s’exhalait en un exil de dix ans. Mais, lorsqu’on en fut venu jusqu’à frapper de cette arme des hommes de néant et chargés de crimes, on cessa d’en faire usage. Le dernier exemple d’ostracisme fut celui d’Hyperbolus ; et voici, dit-on, à quelle occasion cet Hyperbolus fut banni[17]. Alcibiade et Nicias, les deux citoyens qui avaient le plus d’autorité dans Athènes, étaient à la tête de deux factions opposées. Le peuple se disposait à faire usage de l’ostracisme, et l’un des deux rivaux devait évidemment subir le décret. Ils eurent donc ensemble une conférence ; ils réunirent les forces des deux partis, et firent tomber la condamnation sur Hyperbolus. À la suite de quoi, le peuple, indigné de l’avilissement et du déshonneur imprimés à l’ostracisme, y renonça, et l’abolit pour toujours.

Voici, pour en donner sommairement l’idée, la manière dont on y procédait. Chacun prenait une coquille sur laquelle il écrivait le nom du citoyen qu’il voulait bannir, et la portait dans un endroit de la place publique fermé circulairement d’une cloison de bois. Les magistrats comptaient d’abord le nombre des coquilles qui s’y trouvaient ; et, s’il y avait moins de six mille votes exprimés, il n’y avait pas lieu à ostracisme. Après cette opération on mettait à part chacun des noms, et celui dont le nom était écrit sur un plus grand nombre de coquilles était banni pour dix ans tout en conservant la jouissance de ses biens.

Le jour qu’Aristide fut banni, un paysan grossier et qui ne savait pas écrire présenta, dit-on, sa coquille à Aristide, qu’il prit pour un homme du vulgaire, et le pria d’y écrire le nom d’Aristide. Celui-ci s’étonne : « Aristide t’a donc fait du tort, demande-t-il à cet homme ? — En rien, répondit le paysan ; je ne le connais même pas ; mais je suis las de l’entendre partout appeler le Juste. » Sur cette réponse, Aristide écrivit le nom, sans dire un seul mot, et lui remit la coquille. Quand il sortit de la ville, il leva les mains au ciel, et fit, comme on peut croire, une prière tout opposée à celle d’Achille[18] : « Que jamais Athènes, dit-il, ne se trouve dans des conjonctures qui forcent le peuple à se souvenir d’Aristide ! »

Trois ans après, lorsque Xerxès traversait la Thessalie et la Béotie pour entrer dans l’Attique, les Athéniens révoquèrent la loi d’exil, et firent un décret qui rappelait tous les bannis : ils craignaient surtout qu’Aristide n’embrassât le parti des ennemis, qu’il ne corrompît un grand nombre de citoyens, et ne les fît passer du côté du Barbare. C’était bien mal juger un tel homme : même avant le décret, Aristide n’avait cessé d’exhorter, d’encourager les Grecs à la défense de la liberté ; et, après ce décret, lorsque Thémistocle eut été nommé général, avec un pouvoir sans contrôle, il l’aida, dans toutes les occasions, de sa personne et de ses conseils, concourant par amour du bien public, à élever au plus haut point de gloire son plus grand ennemi. En effet, au moment où Eurybiade se disposait à abandonner Salamine, et où les vaisseaux des Barbares, qui s’étaient saisis, la nuit, des passages, venaient de former une enceinte autour des îles sans que pas un des Grecs se fût aperçu qu’ils étaient enveloppés, Aristide partit d’Égine en toute hâte, et, cinglant à travers la flotte ennemie, il arriva la nuit même à la tente de Thémistocle : il le fait sortir seul et, lui adressant la parole : « Thémistocle, si nous sommes sages, dit-il, nous laisserons désormais notre vaine et puérile jalousie, et nous nous jetterons dès aujourd’hui dans une rivalité vraiment salutaire et honorable, combattant, à l’envi l’un de l’autre, à qui sauvera la Grèce, toi, en digne chef et en bon général, moi, en te secondant de ma tête et de mon bras. J’apprends que tu es le seul qui donnais des conseils raisonnables, car tu proposais que l’on combattît dans les détroits sans différer davantage. Les alliés rejettent ton avis ; mais les ennemis eux-mêmes semblent le favoriser. Devant et derrière, partout leurs vaisseaux couvrent la mer autour de vous ; en sorte que les Grecs, qu’ils le veuillent ou non, sont forcés d’agir en gens de cœur, et de livrer la bataille ; car il ne reste plus de chemin pour la fuite. — Aristide, répondit Thémistocle, j’aurais honte de te laisser l’avantage de la générosité dont tu viens d’user envers moi : je ferai tous mes efforts pour surpasser, par mes actions, la noblesse d’un tel procédé. » En même temps il lui communiqua la ruse qu’il avait employée pour tromper le Barbare, et l’engagea à persuader Eurybiade, qui avait dans Aristide une confiance plus entière qu’en Thémistocle, et à lui faire entendre qu’il n’y avait de salut pour eux qu’en combattant sur mer. Aussi, dans le conseil que tinrent les généraux, Cléocritus de Corinthe ayant dit à Thémistocle qu’Aristide n’approuvait pas son sentiment, puisque, présent à la délibération, il gardait le silence : « Je ne me serais point tu, répondit Aristide, si Thémistocle n’avait proposé le parti le plus expédient ; si je ne bouge présentement, ce n’est point par affection pour sa personne, c’est la marque de mon assentiment à sa proposition. » Voilà ce qui se passait dans le conseil des capitaines de la flotte grecque.

Aristide s’aperçut que Psyttalie, petite île située dans le détroit, en face de Salamine, était pleine de troupes ennemies : il embarque sur des esquifs les plus ardents et les plus aguerris des fantassins ; il descend à Psyttalie, charge brusquement les Barbares, et les taille en pièces ; il n’épargna que les principaux, qu’il fit prisonniers. De ce nombre étaient trois fils de la sœur du roi, nommée Sandaucé, qu’Aristide envoya sur-le-champ à Thémistocle, et qui furent immolés, dit-on, à Bacchus Omestès, sur l’ordre du devin Euphrantidas, pour l’accomplissement d’un oracle[19]. Aristide entoura l’île de tous côtés d’une troupe d’hommes bien armés, avec ordre de recevoir ceux qui y seraient poussés par la violence des vagues, afin de sauver les alliés, et de ne pas laisser échapper un seul ennemi. Car ce fut apparemment sur ce point que se firent les chocs les plus violents des vaisseaux, et les plus grands efforts des combattants. Aussi dressa-t-on un trophée dans Psyttalie.

Après la bataille, Thémistocle voulut sonder Aristide : « Nous venons, dit-il, d’accomplir une grande œuvre ; mais il reste quelque chose de plus important à faire : c’est de prendre l’Asie dans l’Europe, en faisant voile vers l’Hellespont sans perdre de temps, et en rompant le pont de bateaux. » À cette proposition, Aristide se récrie ; il veut qu’on rejette bien loin un pareil projet, et qu’on cherche, au contraire, un moyen de chasser au plus tôt le Mède hors de la Grèce, de peur que, s’y voyant enfermé sans aucune voie ouverte pour fuir, alors qu’il lui restait encore une si puissante armée, la nécessité ne le portât à se défendre en désespéré. Thémistocle envoie donc une seconde fois à Xerxès un homme de confiance[20] : c’était l’eunuque Arnacès, un des prisonniers ; il le charge de dire secrètement au roi que les Grecs voulaient à toute force aller rompre le pont, mais que Thémistocle les avait détournés de ce dessein, parce qu’il s’intéressait au salut du roi. Xerxès, rempli de frayeur à cette nouvelle, se hâta de regagner l’Hellespont.

Mardonius fut laissé en Grèce avec les meilleures troupes de l’armée, au nombre d’environ trois cent mille hommes. C’étaient des ressources vraiment formidables ; il fondait sur son infanterie de magnifiques espérances, et il écrivait aux Grecs des lettres pleines de menaces : « Vous avez vaincu, sur des bâtiments de mer, des hommes accoutumés à combattre sur terre, et qui ne savent pas manier la rame. Mais aujourd’hui nous avons devant nous les immenses campagnes de la Thessalie ; et la Béotie offre à notre cavalerie et à nos gens de pied de magnifiques plaines où déployer leur courage. » Il écrivit en particulier aux Athéniens pour leur promettre, de la part du roi, de rebâtir leur ville, de leur donner de grandes sommes d’argent, et de leur assurer l’empire de la Grèce, s’ils voulaient renoncer à la guerre.

Les Lacédémoniens, informés de ces propositions, et qui en craignaient l’effet, envoyèrent des députés à Athènes pour prier les Athéniens de faire passer à Sparte leurs femmes et leurs enfants, et d’accepter d’eux tout ce qu’il faudrait pour l’entretien de leurs vieillards. Le peuple avait perdu sa ville et son territoire, et il était réduit au plus pressant besoin. Toutefois, quand ils eurent entendu les députés, ils firent, par un décret qu’avait rédigé Aristide, cette réponse admirable : « Nous pardonnons aux ennemis d’avoir pu croire que tout s’achetait à prix d’argent, eux qui ne connaissent rien de plus précieux. Mais nous en voulons aux Lacédémoniens de ne voir que la pauvreté et la disette actuelles des Athéniens, et de ne se plus souvenir de leur vertu et de leur magnanimité, puisque c’est par l’appât de quelques vivres qu’ils nous invitent à combattre pour le salut de la Grèce. » Le décret adopté, Aristide introduisit les députés dans l’assemblée, et les chargea de dire aux Lacédémoniens qu’il n’y avait pas assez d’or ni sur la terre ni sous la terre, pour faire trahir aux Athéniens la liberté de la Grèce. Ensuite, montrant le soleil aux envoyés de Mardonius : « Tant que cet astre continuera de suivre cette route, les Athéniens feront la guerre aux Perses, pour venger le dégât de leurs terres, la profanation et l’incendie de leurs temples. » Il fit aussi décréter que les prêtres chargeraient de leurs malédictions quiconque proposerait d’entrer en négociation avec les Mèdes, ou d’abandonner l’alliance des Grecs.

Mardonius envahit une seconde fois l’Attique, et les Athéniens passèrent encore à Salamine. Aristide fut dépêché à Lacédémone et se plaignit de la lenteur des Spartiates, de cette négligence qui livrait pour la seconde fois Athènes aux Barbares ; il les pressa de secourir ce qui restait encore de la Grèce. Les éphores, après l’avoir écouté, feignirent une insouciance parfaite, et passèrent la journée en fêtes et en réjouissances ; car ils célébraient alors les fêtes Hyacinthies. Mais la nuit ils choisirent cinq mille Spartiates, qui prirent chacun sept Hilotes, et ils les firent partir, sans en rien dire aux députés d’Athènes. Lorsque Aristide se présenta de nouveau au conseil et y recommença ses plaintes, les éphores lui dirent en riant qu’il radotait sans doute ou qu’il dormait ; que leur armée était déjà à Orestium[21], et marchait contre les étrangers : c’est le nom que les Lacédémoniens donnaient aux Perses. « Vos plaisanteries, dit Aristide, ne sont pas de saison ; c’est l’ennemi qu’il faut tromper, et non pas vos amis. » Tel est le récit d’Idoménée ; mais, dans le décret, Aristide n’est pas nommé au nombre des députés, mais seulement Cimon, Xanthippe et Myronide.

Élu général avec de pleins pouvoirs, pour la bataille qui devait se donner, il prit huit mille hoplites athéniens et se rendit à Platée. Il y fut joint par Pausanias, commandant de toutes les forces de la Grèce, qui amenait avec lui les Spartiates ; les autres troupes grecques arrivaient successivement en foule. L’armée des Barbares, campée le long de l’Asopus, occupait une si vaste étendue de terrain, qu’elle ne s’était pas même retranchée ; elle avait seulement placé les bagages et les objets les plus précieux dans un espace carré fermé d’une muraille dont chaque côté avait dix stades de longueur[22]. Un devin d’Élis, nommé Tisamène, avait prédit à Pausanias et à tous les Grecs en général qu’ils remporteraient la victoire s’ils se bornaient à la défense, et qu’ils s’abstinssent d’attaquer. Aristide, de son côté, avait envoyé consulter l’oracle de Delphes : le dieu répondit que les Athéniens triompheraient des ennemis s’ils faisaient des prières à Jupiter, à Junon Cithéronienne, à Pan et aux nymphes Sphragitides ; s’ils sacrifiaient aux héros Androcratès, Leucon, Pisandre, Damocratès, Hypsion, Actéon et Polydius, et qu’ils ne risquassent de bataille que dans leur propre pays, sur le champ de Cérès Éleusienne et de Proserpine. Cet oracle jeta Aristide dans une grande perplexité : les héros que le dieu ordonnait d’honorer par des sacrifices étaient, il est vrai, les ancêtres des Platéens, et l’antre des nymphes Sphragitides était sur une des croupes du mont Cithéron, tourné vers le couchant d’été. Il y avait, dit-on, autrefois un oracle dans cet antre, et la plupart des habitants du pays étaient possédés de l’esprit prophétique : ces inspirés se nommaient Nympholeptes[23]. Mais ne promettre la victoire aux Athéniens qu’autant qu’ils combattraient dans le champ de Cérès Éleusienne et sur leur propre territoire, c’était rappeler et transporter de nouveau la guerre dans l’Attique.

Cependant le général des Platéens, Arimnestus, crut voir en songe Jupiter Sauveur : « Qu’ont résolu les Grecs, demanda le dieu ? — Seigneur, répondit Arimnestus, nous emmènerons demain l’armée à Éleusis ; et c’est là que nous combattrons les Barbares, comme le veut l’oracle d’Apollon. — Les Grecs se trompent du tout, répliqua Jupiter ; le lieu désigné par l’oracle est ici même, aux environs de Platée ; qu’ils cherchent bien, ils le trouveront. » Cette vision ne laissa aucun doute dans l’esprit d’Arimnestus : à peine éveillé, il fait appeler les plus vieux et les plus instruits de ses concitoyens, il confère avec eux, et, après une recherche attentive, on trouve qu’il y a près d’Hysies, au pied du Cithéron, un vieux temple dédié à Cérès Éleusienne et à Proserpine. Aussitôt il va prendre Aristide, et le mène sur les lieux : c’était un emplacement très-commode pour y ranger en bataille une armée faible en cavalerie, parce que le pied du Cithéron rend impraticables aux gens de cheval les extrémités de la plaine du côté du temple. Là aussi était la chapelle du héros Androcratès, tout environnée d’arbres épais. Et, pour qu’il ne manquât rien aux prescriptions qui devaient, suivant l’oracle, assurer la victoire, les Platéens, sur la proposition d’Arimnestus, ordonnèrent, par un décret, la destruction des bornes qui séparaient l’Attique de leur pays ; et ils cédèrent aux Athéniens toute cette partie de leur territoire, afin qu’aux termes de l’oracle, ils combattissent pour la Grèce dans leur propre pays. Cette libéralité illustra pour longtemps les Platéens : bien des années après, Alexandre, déjà maître de l’Asie, rétablit les murailles de Platée, et fit publier par un héraut, aux jeux olympiques, que c’était une récompense décernée par le roi pour prix de la vertu et de la générosité avec laquelle les Platéens, dans la guerre médique, avaient cédé aux Athéniens une partie de leur territoire, et de l’ardeur qu’ils avaient montrée dans la défense de la Grèce.

Il s’éleva une dispute entre les Athéniens et les Tégéates sur le poste qu’ils occuperaient respectivement dans la bataille. « Les Lacédémoniens commandent toujours l’aile droite, nous devons donc, disaient les Tégéates, commander l’aile gauche ; » et ils alléguaient pour raison les glorieux services de leurs ancêtres. Les Athéniens s’emportant sur cela, Aristide s’avança et dit : « La conjoncture présente ne permet pas de contester aux Tégéates leur noblesse et leurs exploits. Mais nous vous disons, à vous, Spartiates, et à tous les autres Grecs, que le poste qu’on occupe n’ôte ni ne donne le courage : quelque rang que vous nous assigniez, nous tâcherons de le rendre honorable et de le bien défendre : nous ne voulons pas ternir la gloire de nos premiers combats. Nous sommes venus, non pour disputer avec nos alliés, mais pour combattre nos ennemis ; non pour vanter nos pères, mais pour nous montrer nous-mêmes des hommes de cœur aux yeux de toute la Grèce. Ce combat va faire voir quel degré d’estime méritent, de la part des Grecs, les villes, les généraux et les soldats. » Les capitaines qui étaient présents au conseil décidèrent, sur ce discours, en faveur des Athéniens : ils leur donnèrent le commandement de l’aile gauche.

Pendant que la Grèce était suspendue dans l’attente et que les affaires d’Athènes souffraient particulièrement de la crise, des hommes de familles nobles et opulentes, que la guerre avait minés, et qui voyaient s’échapper, avec la richesse, leur crédit et leur autorité politiques, et les honneurs, les dignités passer en d’autres mains, s’assemblèrent secrètement dans une maison de Platée, et conspirèrent de détruire à Athènes le gouvernement populaire, ou, s’ils n’y pouvaient réussir, de bouleverser tout, et de livrer la Grèce aux Barbares. La conspiration se tramait au milieu du camp, et un bon nombre déjà s’étaient laissé corrompre, lorsque Aristide en eut vent. Son alarme fut extrême, vu les conjonctures : il crut cependant qu’il ne fallait ni négliger une telle affaire, ni la publier entièrement : ignorant à combien de personnes la complicité pouvait s’étendre, il aima mieux arrêter le cours de la justice, que de risquer le salut de tous. De tous les coupables, il n’en fit arrêter que huit ; encore deux d’entre eux, par lesquels on avait commencé l’instruction du procès, et qui étaient le plus chargés, Eschine de Lampres, et Agésias d’Acharne, parvinrent-ils à s’enfuir du camp. Aristide mit les autres en liberté, et leur laissa les moyens de se rassurer et de se repentir, dans la pensée qu’on n’avait rien trouvé à leur charge. « Le champ de bataille, leur dit-il, est un grand tribunal où vous justifierez votre conduite, où vous ferez voir que vous n’avez jamais eu envers votre patrie que de justes et pures intentions. »

Sur ces entrefaites, Mardonius, pour essayer les forces des Grecs par l’endroit où il se croyait lui-même supérieur, envoya sa cavalerie escarmoucher contre eux. Ils étaient postés au pied du Cithéron, dans des lieux forts d’assiette et pleins de rochers ; les Mégariens seuls, au nombre de trois mille, étaient campés dans la plaine. Aussi eurent-ils à souffrir du choc de la cavalerie, qui pouvait les approcher et les assaillir de tous côtés. Hors d’état de résister seuls à cette multitude de Barbares, ils envoyèrent à Pausanias un courrier en toute hâte, pour demander du secours. À cette nouvelle, Pausanias, qui voyait le camp des Mégariens déjà couvert sous une grêle de traits et de dards, et leurs troupes resserrées dans un étroit espace, ne pouvant marcher lui-même contre cette cavalerie avec la phalange pesamment armée des Spartiates, voulut piquer d’honneur et d’émulation ceux des capitaines grecs qu’il avait auprès de lui : il s’adressa à leur bonne volonté, espérant qu’il s’en offrirait plus d’un pour préluder à la bataille, et soutenir les Mégariens. Tous faisant la sourde oreille, Aristide, au nom des Athéniens, accepte la mission, et dépêche Olympiodore, le plus brave de ses chefs de bande, qui commandait une compagnie de trois cents hommes et quelques gens de trait mêlés parmi eux. Ils furent prêts en un moment, et s’élancèrent au pas de course. Masistius, général de la cavalerie des Barbares, homme d’une force prodigieuse, remarquable par sa taille et sa bonne mine, s’aperçoit de ce mouvement ; il tourne bride et pique droit à eux ; les Athéniens l’attendent de pied ferme, et le combat s’engage : le choc fut terrible ; c’était comme un essai par lequel les deux partis cherchaient à pressentir le succès de la bataille. Mais à la fin, le cheval de Masistius fut blessé d’une flèche, et jeta son maître à terre. Une fois tombé, Masistius ne put se relever, embarrassé par le poids de ses armes. Les Athéniens courent sur lui ; mais ils ne pouvaient venir à bout de sa personne, parce qu’il avait non-seulement la poitrine et la tête, mais les jambes et les bras couverts de lames d’or, d’airain et de fer ; jusqu’à ce qu’un soldat lui enfonça le bois de sa pique dans l’œil, par l’ouverture de la visière de son casque, et le tua. Les Perses abandonnèrent son corps, et prirent la fuite. Les Grecs connurent la grandeur de leur exploit, non par le nombre des morts, car il en resta peu sur la place, mais par le deuil des Barbares. Les Perses se rasèrent la tête, en signe de douleur, et coupèrent les crins de leurs chevaux et de leurs mulets ; ils remplirent de cris et de gémissements tous les lieux d’alentour, comme ayant perdu, dans Masistius, un homme qui ne le cédait qu’à Mardonius en courage et en autorité.

Après cette première action, les deux armées restèrent longtemps sans combattre ; car les devins, d’après l’examen des entrailles sacrées, prédisaient également et aux Perses et aux Grecs la victoire, s’ils se tenaient sur la défensive, et la défaite, s’ils attaquaient. Enfin Mardonius, qui n’avait plus de vivres que pour peu de jours, et qui voyait les Grecs se fortifier de plus en plus par de nouvelles troupes qui leur arrivaient, impatient de ces délais, résolut d’y mettre fin, et de passer le lendemain, dès le point du jour, le fleuve Asopus, pour surprendre les Grecs par une attaque imprévue. Il donne le soir des ordres à ses officiers ; mais à minuit, un homme à cheval s’approche du camp des Grecs, et, s’adressant aux sentinelles, demande à parler à l’Athénien Aristide. Aristide s’empresse de venir : « Je suis, dit l’inconnu, Alexandre, roi de Macédoine ; je m’expose, par amitié pour vous, au plus grand de tous les dangers : je viens prémunir votre courage contre les effets de la surprise, et assurer la liberté de vos efforts dans la lutte. Mardonius doit vous attaquer demain, non qu’il ait quelque bonne espérance ou une confiance bien fondée, mais parce qu’il manque de vivres. Les devins eux-mêmes, par les présages sinistres des victimes, et par des oracles menacants, veulent l’empêcher de combattre, et son armée est en proie au découragement et à la frayeur. Mais ce lui est une nécessité ou de tenter le hasard du combat, ou, s’il diffère, de périr par la famine. » Alexandre, après cette révélation, prie Aristide d’y songer lui-même et d’en faire son profit, mais sans en rien communiquer à personne. Aristide repond qu’il ne peut décemment cacher ce secret à Pausanias, qui avait le commandement en chef de l’armée ; mais il lui promet de n’en parler à aucun autre avant le combat, et l’assure, si la Grèce est victorieuse, que nul n’ignorera le dévouement et le courage dont Alexandre a fait preuve. Après cet entretien, le roi de Macédoine s’en retourne sur ses pas. Aristide se rend à la tente de Pausanias, et lui communique ce qu’il vient d’apprendre. Ils mandent à l’instant les autres chefs, et leur ordonnent de tenir l’armée en bataille et de se préparer à combattre.

Cependant, Pausanias, suivant le récit d’Hérodote, proposa à Aristide de faire passer les Athéniens à l’aile droite, et de les ranger en face des Perses : « Ils combattront, disait-il, avec plus de courage, car ils se sont déjà mesurés avec cet ennemi, et leurs victoires passées leur doivent être un grand sujet de confiance. » Il se réservait à lui-même l’aile gauche, où il aurait en tête ceux des Grecs qui s’étaient déclarés pour les Mèdes. Tous les capitaines athéniens se plaignirent : Pausanias en usait, suivant eux, d’une façon insolente et grossière avec les Athéniens, laissant tous les autres Grecs à leur poste, et les transportant eux seuls, tantôt ici, tantôt plus loin, comme il ferait des Hilotes, et les exposant aux coups des plus belliqueux. Mais Aristide leur fit sentir qu’ils se trompaient du tout. « Il y a peu de jours, dit-il, vous disputiez aux Tégéates le commandement de l’aile gauche, et vous avez regardé comme un grand honneur de l’avoir obtenu. Voilà que les Lacédémoniens vous cèdent d’eux-mêmes la droite, et vous défèrent en quelque sorte le commandement de toute l’armée, et vous n’êtes pas flattés d’une telle gloire ! et vous n’appréciez pas comme une bonne fortune d’avoir à combattre, non point contre des compatriotes et des parents, mais contre des Barbares, qui sont vos ennemis naturels ! » Frappés de ces représentations, les Athéniens changèrent volontiers de poste avec les Spartiates ; et l’on entendait de toutes parts courir parmi eux les exhortations qu’ils s’adressaient les uns aux autres : « Les ennemis ne sont venus ni avec de meilleures armes que ceux de Marathon, ni avec des âmes plus braves. Ce sont les mêmes arcs, les mêmes habits brodés, ce sont les mêmes ornements d’or sur des corps efféminés et des âmes sans vigueur. Nous, nous avons les mêmes armes et les mêmes corps, et une confiance qu’ont encore accrue nos victoires. Nous ne combattrons pas seulement comme eux, pour la conquête d’un pays ou d’une ville, mais pour maintenir les trophées de Marathon et de Salamine, pour qu’ils paraissent non l’œuvre de Miltiade et de la Fortune, mais celle des Athéniens. »

Ils allèrent donc promptement prendre leur nouveau poste ; mais les Thébains, informés de ce changement par des transfuges, en préviennent Mardonius ; et celui-ci, à l’instant même, soit crainte d’avoir en tête les Athéniens, soit ambition de se mesurer avec les Spartiates, fit passer ses Perses à l’aile droite, et ses Grecs à la gauche pour les opposer aux Athéniens. Pausanias s’aperçoit de ce mouvement de conversion, et se remet à la droite ; aussitôt Mardonius reprend sa première ordonnance, et se poste à gauche, en face des Lacédémoniens. Toute cette journée se passa sans rien faire.

Les Grecs tinrent un conseil, et résolurent de porter plus loin leur camp, dans un lieu où il y eût de l’eau potable ; car les sources voisines avaient été gâtées et corrompues par la cavalerie des Barbares. La nuit venue, les capitaines firent mettre en marche leurs compagnies pour aller occuper le campement désigné ; mais les troupes ne suivaient pas volontiers, et on avait peine à les tenir rassemblées. À peine sortis des retranchements, la plupart se mirent à courir vers la ville de Platée, se répandant çà et là, par la plaine, avec un grand tumulte, et dressant leurs tentes au hasard. Les Lacédémoniens restèrent seuls dans le camp, forcés qu’ils y furent par Amompharétus, homme courageux et intrépide, qui depuis longtemps brûlait de combattre, et souffrait impatiemment tant de retards et de lenteurs. Amompharétus traita hautement la marche des alliés de désertion et de fuite ; il déclara qu’il n’abandonnerait pas son poste, qu’il y tiendrait bon avec sa troupe, et y soutiendrait l’effort de Mardonius. Pausanias alla le trouver, et lui représenta qu’il fallait bien obéir à ce qui avait été résolu et arrêté dans le conseil des Grecs. Amompharétus levant de ses deux mains une grosse pierre, et la jetant aux pieds de Pausanias : « Voilà, lui dit-il, mon suffrage pour le combat. Je me moque des conseils et décrets de lâcheté qu’ont portés les autres. » Pausanias, incertain de ce qu’il doit faire, envoie vers les Athéniens, qui s’étaient déjà mis en marche, et les fait prier de l’attendre, afin qu’ils puissent aller ensemble. En même temps, il conduit à Platée le reste de ses troupes, dans l’espoir d’entraîner par son exemple Amompharétus.

Cependant le jour parut ; Mardonius s’était aperçu que les Grecs avaient abandonné leur camp, et il avait mis son armée en bataille ; il s’élança contre les Lacédémoniens avec ses Barbares, qui poussaient des cris et des hurlements affreux. Il s’agissait, à leurs yeux, non point de livrer un combat aux Grecs, mais de dépouiller des fuyards ; et peu s’en fallut qu’il n’en advînt ainsi ; car Pausanias, voyant approcher les ennemis, fit arrêter la marche, et ordonna que chacun prît son poste pour le combat. Mais il oublia, soit colère contre Amompharétus, soit surprise de cette attaque soudaine, de donner le mot aux Grecs, en sorte qu’ils ne purent accourir ni assez promptement, ni tous ensemble, mais par petits détachements, sans aucun ordre, et lorsque le combat était presque engagé. Pausanias faisait des sacrifices sans pouvoir obtenir des signes favorables : il ordonna aux Lacédémoniens de poser leurs boucliers à leurs pieds, de se tenir là immobiles, les yeux fixés sur lui, sans se mettre en défense contre les ennemis, et il se remit à immoler des victimes. La cavalerie ennemie approchait ; elle fut bientôt à la portée du trait, et il y eut des Spartiates atteints. C’est à ce moment que fut percé d’une flèche Callicrate, le plus beau des Grecs, l’homme le plus grand et le mieux fait qu’il y eût, dit-on, dans cette armée : « Ce n’est pas la mort qui me fâche, dit-il en expirant, car je suis parti de ma maison avec la résolution de donner ma vie pour le salut de la Grèce ; mais je regrette de périr sans avoir frappé un seul coup. »

Si la position des Spartiates était affreuse, leur constance n’en fut que plus admirable. Vivement pressés par les ennemis, ils ne se défendaient point : ils attendaient l’heure que les dieux et leur général voudraient leur marquer ; ils se laissaient blesser et tuer à leur poste. Tandis que Pausanias faisait ses sacrifices et ses prières à quelque distance de la bataille, une troupe de Lydiens, disent quelques-uns, survinrent tout à coup, enlevant et renversant tout ce qui servait au sacrifice ; Pausanias et ceux qui se trouvaient auprès de lui, étant alors sans armes, les chassèrent à coups de bâton et à coups de fouet. C’est en mémoire de cet événement, et pour imiter cette subite incursion, qu’on célèbre encore aujourd’hui à Sparte une fête où l’on fouette les enfants autour de l’autel, et qui se termine par la procession des Lydiens. Pausanias, désespéré de voir que le devin immolait inutilement victimes sur victimes, tourna son visage baigné de larmes vers le temple de Junon ; et, levant les mains au ciel : « Junon Cithéronienne, dit-il d’une voix suppliante, et vous tous dieux protecteurs du pays de Platée, s’il n’est pas dans les destinées que les Grecs soient vainqueurs, faites du moins qu’ils ne périssent qu’après avoir vendu chèrement leur vie, et prouvé aux ennemis, par de sensibles effets, que ceux qu’ils étaient venus attaquer, étaient gens de cœur, et qui s’entendaient à combattre ! »

À peine Pausanias achevait sa prière, les signes sacrés se montrèrent favorables, et les devins annoncèrent la victoire. L’ordre est donné, et toutes les troupes poussent à l’ennemi en masse. La phalange lacédémonienne avait pris soudain l’aspect d’un animal courageux, s’apprêtant à la lutte et se hérissant le poil. Les Barbares jugèrent alors qu’ils auraient à combattre contre des hommes qui se défendraient jusqu’à la mort. Ils se mettent, presque tous, à couvert sous leurs grands boucliers, et lancent des flèches contre les Lacédémoniens. Ceux-ci, de leur côté, avancent d’un pas ferme, les pavois joints, tombent sur les ennemis, repoussent leurs boucliers, les frappent à grands coups de pique au visage et à la poitrine ; un grand nombre de Perses tombèrent, mais non sans faire une vigoureuse résistance : ils saisissaient de leurs mains nues les piques des Lacédémoniens, et presque toujours ils les brisaient ; puis, ils avaient bien vite repris l’offensive, frappant à coups de hache, de cimeterre, arrachant les boucliers des ennemis, les prenant eux-mêmes au corps. Aussi résistèrent-ils longtemps avec courage. Cependant les Athéniens restaient immobiles, attendant toujours les Lacédémoniens. Mais tout à coup un grand bruit comme de gens qui combattent, se fit entendre, et un courrier envoyé par Pausanias leur apprit ce qui se passait : ils partent aussitôt, et volent au secours des Lacédémoniens. Ils traversaient la plaine pour aller du côté où le bruit se faisait entendre, lorsqu’ils rencontrent les Grecs qui étaient dans le parti des Mèdes. Aristide ne les a pas plutôt aperçus, qu’il s’avance loin de sa troupe, et leur crie, au nom des dieux de la Grèce, de s’abstenir de combattre, de ne pas entraver leur marche, de ne pas s’opposer au secours qu’ils vont porter à ceux qui défendent la Grèce au péril de leur vie.

Mais, lorsqu’il voit qu’au lieu d’avoir égard à ses remontrances ils se disposent à l’attaquer, il ne songe plus à aller au secours des Lacédémoniens ; il charge ces Grecs, qui étaient environ cinquante mille. Ils plièrent pour la plupart, et battirent en retraite, à la nouvelle de la déroute des Barbares. Ceux qui soutinrent le plus vigoureusement le choc, ce furent, dit-on, les Thébains ; les principaux et les plus puissants de la nation avaient embrassé les intérêts des Mèdes, et s’étaient servis de leur ascendant sur la multitude pour l’entraîner dans ce parti contre son gré. La bataille étant ainsi partagée, les Lacédémoniens eurent fini les premiers d’enfoncer les Perses. Un Spartiate, nommé Arimnestus, tua Mardonius d’un coup de pierre à la tête : événement prédit par l’oracle d’Amphiaraüs. Mardonius y avait envoyé un Lydien, et, à l’antre de Trophonius, un Carien. Ce dernier reçut du prophète une réponse en langue carienne ; pour le Lydien, ayant couché dans le sanctuaire d’Amphiaraüs, il crut voir, pendant son sommeil, s’approcher un des ministres du dieu, et lui ordonner de sortir du temple ; sur son refus, le ministre du dieu lui avait jeté à la tête une grosse pierre, dont il songea qu’il était mort sur le coup. C’est ainsi qu’on le raconte.

Les Lacédémoniens poussèrent les fuyards jusque dans l’espace qu’ils avaient enfermé d’une cloison de bois. Quelques instants après, les Athéniens mettent les Thébains en déroute, après leur avoir tué, sur ! e champ de bataille même, trois cents des plus distingués et des premiers de la nation. Ils s’apprêtaient à les poursuivre, quand il leur vint la nouvelle que les Barbares s’étaient enfermés dans leur enceinte de bois, où les Spartiates les assiégeaient. Ils laissent les Grecs se sauver, et courent seconder les assaillants. Les Lacédémoniens, peu exercés à ces sortes d’affaires, s’y prenaient mollement pour forcer l’enceinte. Les Athéniens arrivent, enlèvent le camp, et y font un horrible carnage. De trois cent mille Barbares, il ne s’en sauva, dit-on, que quarante mille, sous la conduite d’Artabaze. Du côté des Grecs qui avaient combattu pour leur pays, il ne périt que treize cent soixante hommes en tout, dont cinquante-deux Athéniens, tous de la tribu Aïantide, qui fit, au rapport de Clidème, les plus vaillants efforts dans cette journée. Voilà pourquoi les Aïantides faisaient aux nymphes Sphragitides le sacrifice annuel prescrit par l’oracle d’Apollon en actions de grâces de cette victoire, et dont le trésor public payait les frais. Les Lacédémoniens ne perdirent que quatre-vingt-onze des leurs, et les Tégéates que seize.

Aussi est-il étrange qu’Hérodote dise que ce furent là les seuls d’entre les Grecs qui en vinrent aux mains avec les ennemis, et personne autre qu’eux. Car la multitude des Barbares qui périrent, et la quantité des tombeaux attestent que la victoire fut commune à tous les Grecs. D’ailleurs, si ces trois peuples avaient combattu seuls, et que les autres n’eussent été que les tranquilles spectateurs de la bataille, aurait-on gravé sur l’autel l’inscription suivante ?

Les Grecs avaient vaincu dans la bataille,
Par leur courage et leur confiante intrépidité ;
Ils avaient chassé les Perses : à la Grèce libre ils ont en commun
Élevé cet autel de Jupiter libérateur.

Cette bataille se donna le 4 du mois Boëdromion[24], selon la manière de compter des Athéniens, et, suivant celle des Béotiens, le 24 du mois Panémus, jour auquel se rassemble encore maintenant dans Platée le conseil général de la Grèce, et où les Platéens font un sacrifice à Jupiter Libérateur, pour le remercier de la victoire. Au reste, il ne faut pas être surpris de cette discordance des jours, puisque, aujourd’hui même, que l’astronomie a un bien plus grand degré d’exactitude, chaque peuple a sa manière particulière de commencer et de finir les mois.

Les Athéniens, après la victoire, ne voulaient pas céder aux Spartiates le prix de la valeur, ni souffrir qu’ils dressassent un trophée. La querelle faillit se vider par les armes ; et les affaires de la Grèce allaient se gâter bien vite, si Aristide n’eût retenu, par la force de ses raisons et de ses remontrances, les autres généraux athéniens, surtout Léocratès et Myronide, et ne les eût fait consentir à remettre aux Grecs la décision du litige. Les Grecs s’assemblèrent pour délibérer sur cette question. Théogiton de Mégare proposa de donner à une autre ville que Sparte et Athènes le prix de la valeur, si on ne voulait pas soulever une guerre civile ; Cléocrite de Corinthe se leva ensuite, et l’on crut qu’il allait demander cet honneur pour les Corinthiens, car Corinthe était, après Sparte et Athènes, la première en dignité. Mais il fit, à la louange des Platéens, un discours qui causa autant de plaisir que d’admiration ; il opina que, pour faire cesser la dispute, c’était à eux qu’il fallait décerner le prix, parce que les autres concurrents ne pourraient en être jaloux. Aristide appuya le premier cet avis, au nom des Athéniens ; et ensuite Pausanias, pour les Lacédémoniens. Le différend ainsi terminé, on prit sur le butin, avant tout partage, quatre-vingts talents[25] pour les Platéens, qui en bâtirent un temple à Minerve ; ils y placèrent une statue de la déesse, et en ornèrent le sanctuaire de magnifiques peintures, qui subsistent encore aujourd’hui dans tout leur éclat.

Les Lacédémoniens et les Athéniens dressèrent deux trophées séparés ; mais ils envoyèrent en commun consulter l’oracle de Delphes sur les sacrifices qu’ils devaient faire. Le dieu leur ordonna d’élever un autel de Jupiter Libérateur, mais de n’y sacrifier qu’après avoir éteint les feux par toute la contrée, parce qu’ils avaient été souillés par les Barbares, et qu’après être venus ensuite à Delphes allumer au foyer commun un feu entièrement pur. Sur cette réponse, les généraux grecs se mirent à parcourir le pays, obligeant les habitants d’éteindre tous les feux ; et Euchidas, un des Platéens, s’étant engagé d’apporter avec toute la diligence possible le feu pris sur l’autel du dieu, partit pour Delphes. Dès qu’il y fut arrivé, il se purifia, s’arrosa d’eau lustrale ; et, après s’être couronné de laurier, il s’approcha de l’autel, et y prit le feu sacré ; puis, sans s’arrêter un instant, il reprit sa course du côté de Platée. Il était revenu avant le coucher du soleil, ayant fait en un même jour mille stades[26]. Il salue ses concitoyens, leur remet le feu, tombe à leurs pieds, et un moment après il expire. Les Platéens, par admiration pour son dévouement, l’enterrèrent dans le temple de Diane Eucléia, avec ce vers tétramètre pour épitaphe :

Euchidas courut à Pytho, et revint ici le même jour.


Cette déesse Eucléia est Diane, suivant le plus grand nombre d’auteurs ; d’autres disent que c’est une fille d’Hercule et de Myrto, fille de Ménœtius et sœur de Patrocle ; qu’étant morte vierge, les Béotiens et ceux de Locres lui décernèrent de grands honneurs. Il y a, dans chacune de leurs places publiques, un autel qui lui est consacré, et une image qui la représente ; et c’est là que les fiancées et les fiancés sacrifient avant d’épouser.

Il se tint peu de temps après une assemblée générale de la Grèce, dans laquelle Aristide proposa le décret suivant : « Les chefs et tous les députés des villes de la Grèce se réuniront tous les ans à Platée, en commémoration de la victoire : on y célébrera, chaque cinquième année, des jeux en l’honneur de la liberté : on lèvera dans toute la Grèce dix mille boucliers et mille chevaux, et on équipera une flotte de cent navires, pour faire la guerre aux Barbares. Les Platéens seront regardés comme des hommes saints et consacrés au dieu, et ils feront des sacrifices pour le salut de la Grèce. » Tous ces articles furent confirmés, et les Platéens se chargèrent de célébrer tous les ans l’anniversaire de la mort des Grecs qui étaient tombés sur le champ de bataille, et qu’on y avait inhumés.

Ils l’observent encore aujourd’hui, et de la manière suivante.

Le 16 du mois Mémactérion[27], qui est, chez les Béotiens, Alalcoménius, on commence, dès le point du jour, une procession que précède un trompette sonnant le mode guerrier ; il est suivi de chars remplis de couronnes et de branches de myrte. Après ces chars marche un taureau noir, et, derrière le taureau, des jeunes gens portant des amphores pleines de lait et de vin, pour les libations funèbres, avec des fioles d’huile et d’essence. Ces jeunes gens sont de condition libre ; car il n’est permis à aucun esclave de s’employer en rien à une cérémonie consacrée à des hommes morts en combattant pour la liberté. La marche est fermée par l’archonte des Platéens. Dans tout autre temps, l’archonte ne doit ni toucher le fer, ni être vêtu que de blanc ; mais, ce jour-là, il traverse la ville paré d’une robe de pourpre, ceint d’une épée, et tenant dans ses mains une urne qu’il a prise dans le greffe public. Il se rend au lieu où sont les tombeaux. Là, il puise de l’eau dans la fontaine, lave lui-même les colonnes tumulaires, les frotte d’essence, et immole le taureau sur un bûcher. Il adresse une prière à Jupiter et à Mercure Souterrain, et il appelle à ce festin et à ces effusions funéraires les âmes des hommes valeureux morts pour le salut de la Grèce. Puis, remplissant de vin une coupe, il la verse, disant à haute voix : « Je présente cette coupe aux guerriers morts pour la liberté des Grecs. » Telle est la cérémonie observée encore aujourd’hui à Platée.

Quand les Athéniens furent rentrés dans leur patrie, Aristide s’aperçut que le peuple cherchait à se rendre maître du gouvernement. D’un côté, la valeur que les citoyens avaient déployée meritait qu’on les traitât avec toutes sortes d’égards ; d’un autre côté, il n’était pas facile, lorsqu’ils avaient les armes à la main et qu’ils étaient enflés de leurs victoires, de les réduire par la force. Il fit donc un décret portant que tous les citoyens auraient part au gouvernement, et qu’on prendrait indistinctement les archontes parmi tous les Athéniens.

Thémistocle dit un jour, dans l’assemblée du peuple, qu’il avait conçu un projet qui serait utile et salutaire à la république, mais dont l’exécution demandait le plus grand secret ; on lui ordonna d’en faire part à Aristide seul, et d’en délibérer avec lui. Thémistocle ayant déclaré à Aristide que son projet consistait à brûler tous les vaisseaux des Grecs, parce qu’alors les Athéniens n’auraient plus de rivaux, et seraient les maîtres de la Grèce, Aristide rentra dans l’assemblée, et dit qu’il n’y avait rien qui fût plus utile que le dessein formé par Thémistocle, mais aussi rien qui fût plus injuste. Les Athéniens, sur cette assurance, ordonnèrent à Thémistocle d’abandonner son projet : tant le peuple aimait la justice ! tant Aristide avait la confiance et l’estime du peuple !

Il fut envoyé comme général avec Cimon, pour faire la guerre aux Perses. Pausanias et les autres chefs des Spartiates se montraient durs et hautains à l’égard des alliés : il en usa tout autrement ; il les traita lui-même avec beaucoup de douceur et d’humanité, et leur concilia, tout le temps que durèrent les opérations militaires, la bienveillance et l’appui de Cimon. Par cette conduite, il enleva insensiblement aux Lacédémoniens l’empire de la Grèce, sans avoir eu besoin ni d’armes, ni de vaisseaux, ni de cavaliers, mais par la bonté et par une sage politique. Si la justice d’Aristide et la douceur de Cimon faisaient aimer les Athéniens aux autres peuples, Pausanias, par son avarice et sa dureté, les leur rendait bien plus aimables encore. Il ne parlait jamais aux capitaines des alliés qu’avec aigreur et avec emportement ; il faisait battre de verges les soldats, ou les forçait de se tenir debout un jour entier, avec une ancre de fer sur les épaules ; personne ne pouvait aller couper de la paille ou puiser de l’eau avant les Spartiates : des esclaves armés de fouets chassaient ceux qui voulaient approcher. Aristide voulut faire, à ce sujet, quelques remontrances ; mais Pausanias fronça le sourcil, lui dit qu’il n’avait pas le temps de l’entendre, et ne l’écouta point.

Dès ce moment, les capitaines de vaisseaux et les généraux grecs, surtout ceux de Chio, de Samos et de Lesbos, pressèrent Aristide de prendre le commandement général, et de recevoir sous sa sauvegarde les alliés, qui désiraient depuis longtemps d’abandonner les Spartiates et de passer aux Athéniens. « Je vois, répondit Aristide, beaucoup de justice dans ce que vous proposez ; je vous crois même dans la nécessité de le faire ; mais il me faut pour garantie quelque acte significatif, et dont l’accomplissement mette vos troupes dans l’impossibilité de reculer. » Alors Uliadès de Samos et Antagoras de Chio, s’étant concertés ensemble, vont attaquer, près de Byzance, la galère de Pausanias, qui voguait à la tête de la flotte, et l’investissent des deux côtés. Pausanias, outré de cette insulte, se lève, les menaçant, d’un ton plein de colère, de leur faire voir bientôt que ce n’est pas son vaisseau qu’ils ont assailli, mais leurs propres patries. Ils lui répondirent qu’il n’avait qu’à se retirer ; qu’il devait remercier la fortune qui l’avait favorisé à Platée ; que le respect seul que les Grecs conservaient encore pour cette victoire les empêchait de tirer de lui une juste vengeance. Ils finirent par quitter les Spartiates, et se joignirent aux Athéniens. Sparte montra, dans cette occasion, une grandeur d’âme admirable : dès qu’elle vit que ses généraux s’étaient laissé corrompre par l’excès du pouvoir, elle renonça volontairement à l’empire, et cessa d’envoyer des généraux pour conduire l’armée ; aimant mieux avoir des citoyens modestes et fidèles observateurs des lois, que de commander à toute la Grèce.

Sous l’empire des Lacédémoniens, les Grecs payaient une taxe pour la guerre ; mais, voulant alors qu’elle fût répartie également sur toutes les villes, ils demandèrent aux Athéniens de leur envoyer Aristide, qu’ils chargèrent de visiter le territoire de chaque ville, d’examiner ses revenus, et de fixer ce que chacun devait payer, en raison de ses facultés et de ses forces. Aristide, armé d’un si grand pouvoir, et établi en quelque sorte seul arbitre des intérêts de toute la Grèce, partit pauvre d’Athènes, et y revint plus pauvre encore. Il fixa chaque imposition non-seulement avec un désintéressement parfait et conformément à la justice, mais sans fouler personne, et avec une entière impartialité. Le nom que les anciens avaient donné au siècle de Saturne, les alliés d’Athènes le donnèrent à la taxe d’Aristide. Ils l’appelèrent, dans leur enthousiasme, l’âge d’or de la Grèce, et surtout lorsqu’ils se virent, peu de temps après, imposés au double et au triple. La taxe d’Aristide était de quatre cent soixante talents[28] : Périclès la porta à peu près à un tiers de plus ; car, suivant Thucydide, au commencement de la guerre du Péloponnèse, les alliés payaient aux Athéniens six cents talents[29] ; et, après la mort de Périclès, les démagogues la firent monter successivement jusqu’à treize cents[30] : non que la guerre fût devenue à ce point dispendieuse et ruineuse par sa longue durée et par les accidents de la fortune ; mais ils faisaient au peuple des distributions d’argent ; ils lui donnaient des jeux et des spectacles ; ils dressaient des statues et bâtissaient des temples.

Aristide, par l’équité de la répartition des tributs, s’était fait une grande et admirable réputation ; mais Thémistocle se moquait, dit-on, des louanges qu’on donnait à son rival. Elles convenaient, selon lui, non pas à un homme, mais à un sac qui garde fidèlement l’or qu’on lui confie. C’était une faible vengeance d’un mot échappé à la franchise d’Aristide. Thémistocle disait un jour que la plus grande qualité d’un général d’armée, c’était, à son avis, de savoir prévoir et pressentir les desseins des ennemis. « Oui, répondit Aristide, cette qualité lui est nécessaire ; mais ce qui est beau aussi, et digne d’un général, c’est d’avoir toujours ses mains pures. »

Aristide reçut le serment des Grecs, et jura lui-même au nom des Athéniens ; et, en prononçant les malédictions contre les infracteurs du serment, il jeta dans la mer des masses de fer ardentes. Mais, dans la suite, les Athéniens étant forcés apparemment, par les circonstances mêmes, de tendre un peu les ressorts de leur autorité, Aristide leur conseilla de rejeter sur lui le parjure, et de conduire leurs affaires suivant qu’il leur serait plus utile. Théophraste dit qu’en général cet homme, d’une si scrupuleuse justice dans tout ce qui le regardait personnellement, comme dans tous ses rapports avec les citoyens, ne consulta souvent, dans l’administration publique, que l’intérêt de sa patrie, qui exigeait, selon lui, de fréquentes injustices. Il ajoute que le conseil délibérant un jour sur l’avis ouvert par les Samiens de faire porter à Athènes, contre les termes du traité, l’argent qui était déposé à Délos : « C’est une injustice, dit Aristide, mais cela est utile. »

Cependant, après avoir procuré à sa patrie l’empire sur des peuples si nombreux, il demeura toujours dans la pauvreté, et ne faisait pas moins de cas de la gloire d’être pauvre que de celle qu’il devait à ses trophées : on en jugera par le trait suivant. Callias, le porte-flambeau, était son parent ; ses ennemis avaient intenté contre lui une accusation capitale : après avoir exposé en termes mesurés leur chef d’accusation, ils alléguèrent un grief étranger au procès : « Vous connaissez, dirent-ils aux juges, Aristide, fils de Lysimachus, l’objet de l’admiration des Grecs. Comment croyez-vous qu’il vive dans sa maison, lorsque vous le voyez venir à vos assemblées avec un manteau si usé ? N’est-il pas à présumer que celui qui gèle de froid en public, meurt de faim chez lui, et qu’il manque des premiers besoins de la vie ? Hé bien ! c’est cet homme que Callias, son proche parent, le plus riche des Athéniens, voit avec indifférence dans ce dénûment de toutes choses, lui, sa femme et ses enfants ! Cependant il a reçu d’Aristide de grands services, et a retiré des avantages considérables du crédit de son parent auprès de vous. » Callias vit que cette inculpation avait particulièrement ému les juges, et qu’ils étaient disposés à le traiter sans indulgence ; il appelle Aristide, et le conjure d’attester, devant le tribunal, qu’il lui avait souvent offert des sommes considérables, et l’avait même pressé de les accepter ; mais qu’il les avait toujours refusées, disant : « Il convient beaucoup plus à Aristide de s’honorer de sa pauvreté, qu’à Callias de ses richesses ; on voit assez de gens qui usent tant bien que mal de leur fortune ; mais on en rencontre peu qui supportent avec courage la pauvreté ; le pauvre en rougit, alors même qu’elle est involontaire. » Aristide attesta la vérité des allégations de Callias ; et, de tous ceux qui l’entendirent, il n’y en eut pas un seul qui ne s’en allât de l’assemblée plus jaloux de la pauvreté d’Aristide que des richesses de Callias. Voilà ce qu’a écrit Eschine, le socratique. Pour Platon, il ne reconnaît, entre tant d’Athéniens qui ont joui dans leur ville d’une grande réputation, qu’Aristide qui fût digne d’estime. « En effet, dit-il, Thémistocle, Cimon et Périclès ont rempli Athènes de portiques, de richesses et de mille superfluités ; mais Aristide a gouverné par la vertu. »

Sa conduite envers Thémistocle est une preuve éclatante de sa modération. Il l’avait eu pour ennemi dans tout le cours de sa vie politique ; et c’est à ses intrigues qu’il avait dû son bannissement. Cependant, lorsque Thémistocle, accusé de trahison contre sa patrie, lui offrait une si belle occasion de se venger, il ne fit paraître aucun ressentiment ; et, pendant qu’Alcméon, Cimon et plusieurs autres faisaient tous leurs efforts pour le faire condamner, Aristide seul ne fit ni ne dit rien qui pût lui nuire : de même qu’il n’avait jamais envié sa fortune, il ne se réjouit pas de son malheur.

Aristide mourut, suivant quelques-uns, dans le Pont, où il avait été envoyé pour les affaires de la république ; d’autres le font mourir de vieillesse à Athènes, honoré et admiré de ses concitoyens. Cratérus le Macédonien[31] raconte comme il suit la mort d’Aristide : « Après la fuite de Thémistocle, dit-il, l’insolence du peuple enhardit une foule de calomniateurs, qui s’attachaient aux meilleurs et aux plus considérables d’entre les citoyens, et les livraient à l’envie de la multitude, fière de sa prospérité et de sa puissance. Aristide lui-même fut condamné pour crime de concussion, à la poursuite de Diophante, du dème Amphitrope, qui l’accusait d’avoir, dans la répartition de la taxe, reçu de l’argent des Ioniens. Comme il n’avait pas de quoi payer l’amende, qui était de cinquante mines[32], il s’embarqua pour l’Ionie, et y mourut. » Mais Cratérus ne donne aucune preuve écrite à l’appui de ses assertions, aucun jugement, aucun décret, lui qui d’ailleurs a coutume de recueillir ces sortes de témoignages et de citer ses auteurs. Il est parlé, chez tous les historiens à peu près qui ont raconté les injustices des Athéniens envers leurs généraux, de l’exil de Thémistocle, de la prison de Miltiade, de l’amende prononcée contre Périclès, de la mort de Pachès, qui, voyant qu’il ne pouvait éviter sa condamnation, se tua lui-même au pied du tribunal ; il y a plusieurs traits semblables qu’ils rapportent avec soin et dans le plus grand détail. Ils n’ont pas oublié le bannissement d’Aristide ; mais nulle part ils ne disent rien de cette condamnation.

D’ailleurs, on montre encore aujourd’hui à Phalère son tombeau, qui fut, dit-on, construit aux frais de la ville, parce qu’il n’avait pas laissé de quoi payer les dépenses de ses funérailles. On raconte aussi que le Prytanée dota ses filles, la ville s’étant chargée de leur mariage et leur ayant donné à chacune trois mille drachmes[33]. Le peuple fit don à son fils Lysimachus de cent mines d’argent[34], d’autant de plèthres[35] de terre plantés d’arbres, et enfin de quatre drachmes[36] par jour. C’est Alcibiade qui avait proposé le décret. Lysimachus laissa en mourant une fille nommée Polycrite : le peuple, au rapport de Callisthène, lui assigna, pour son entretien, la même somme qu’aux vainqueurs des jeux olympiques. Démétrius de Phalère, Hiéronyme de Rhodes, Aristoxène le musicien, et Aristote, si l’on doit ranger parmi les écrits authentiques d’Aristote le livre sur la noblesse, rapportent que Myrto, petite-fille d’Aristide, fut mariée au sage Socrate, quoiqu’il eût déjà une autre femme ; il aurait pris cette seconde, qui était veuve, parce que son extrême pauvreté l’empêchait de trouver un autre mari. Mais Panétius les a suffisamment réfutés dans sa Vie de Socrate. Démétrius de Phalère dit encore, dans son Socrate, qu’il se souvient d’avoir vu un Lysimachus, descendu de la fille d’Aristide, réduit à une telle pauvreté, qu’il gagnait sa vie, près du temple de Bacchus, à expliquer les songes, d’après un tableau dressé à cet usage ; et que lui-même il avait fait donner, par un décret public, à sa mère et à une sœur qu’il avait, trois oboles par jour chacune[37]. Le même Démétrius, lorsqu’il réforma les lois d’Athènes, décréta pour chacune de ces deux femmes, une drachme[38] par jour. Il n’est pas étonnant que le peuple eût tant de soin des pauvres qu’il avait dans sa ville, puisqu’ayant appris qu’une petite-fille d’Aristogiton vivait à Lemnos, dans une telle indigence qu’elle ne pouvait trouver de mari, il la fit venir à Athènes, la maria à un citoyen de noble famille, et lui donna pour dot la terre de Potamos. Athènes, de nos jours encore, a mérité par plus d’un exemple de cette humanité, de cette bonté, l’estime et l’admiration des autres peuples.


  1. Célèbre orateur et grammairien du IVe siècle avant notre ère, qui fut établi commandant à Athènes, en 318, par Cassandre, gouverneur de Macédoine. Il avait composé un grand nombre d’ouvrages dans tous les genres. Il ne nous reste, sous son nom, qu’un de ses traités grammaticaux, intitulé de l’Élocution.
  2. C’était probablement un dialogue à la manière de ceux des philosophes socratiques ; le titre même semble l’indiquer.
  3. C’était celui qui donnait son nom à l’année : on n’inscrivait jamais dans la date des actes publics les noms de ses autres collègues.
  4. Voyez la Vie de Solon dans le premier volume.
  5. Le chorège faisait les frais de la représentation des pièces de théâtre.
  6. Voyez ma Notice sur Eschyle.
  7. Archonte la deuxième année de la 88e Olympiade, 426 avant J.-C.
  8. La mine se composait de cent drachmes : c’était environ 92 fr. 68 c. de notre monnaie.
  9. Ces tyrans étaient les Pisistratides.
  10. Fosse profonde où l’on précipitait les criminels.
  11. Dans la tragédie des Sept devant Thèbes.
  12. Plutarque donne δίκαιος, mais dans le texte même d’Eschyle il y a ἄριστος, brave.
  13. C’est un vers ïambique, tiré probablement de quelque comédie aujourd’hui perdue.
  14. Le porte-flambeau était un des prêtres qui présidaient à la célébration des mystères de Cérès.
  15. Le mot λάκκος signifie un trou profond, une mare, une citerne, un puits, et le mot πλοῦτος, richesse.
  16. L’histoire a conservé ces noms sous leur forme grecque, Poliorcète, Céraunus, Nicator.
  17. Voyez la Vie d’Alcibiade dans le premier volume.
  18. Dans le premier chant de l’Iliade'.
  19. Voyez la Vie de Thémistocle dans le premier volume.
  20. Il avait déjà envoyé Sicinus.
  21. Dans l’Arcadie, au pied du Ménale.
  22. Environ une demi-lieue.
  23. Littéralement possédés des nymphes.
  24. Partie d’août et de septembre.
  25. Environ quatre cent quatre-vingt mille francs de notre monnaie.
  26. Environ cinquante lieues.
  27. Partie de septembre et d’octobre.
  28. Environ deux millions sept cent mille francs.
  29. Environ trois millions six cent mille francs.
  30. Environ sept millions huit cent mille francs.
  31. Historien presque contemporain d’Aristide.
  32. Environ quatre mille cinq cents francs de notre monnaie.
  33. Environ deux mille sept cents francs de notre monnaie.
  34. Environ neuf mille francs.
  35. Le plèthre était une mesure équivalente à dix ares environ.
  36. Environ trois francs soixante-quinze centimes de notre monnaie.
  37. Environ quarante cinq centimes de notre monnaie.
  38. Environ quatre-vingt-douze centimes de notre monnaie.