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Le Train perdu

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Traduction par Louis Labat.
Du mystérieux au tragiquePierre Lafitte, Idéal Bibliothèque (p. 87-100).


LE TRAIN PERDU


La confession d’Herbert de Larnac — aujourd’hui détenu à Marseille sous le coup d’une condamnation à mort, — vient de jeter quelque lumière sur un forfait classé parmi les plus mystérieux du siècle, et sans précédent, je crois, dans les annales judiciaires d’aucun pays. Bien que les cercles officiels gardent en l’espèce une extrême réserve, et nonobstant le peu de renseignements fournis à la presse, certaines indications permettent de considérer les assertions du criminel comme effectivement démontrées, et d’admettre qu’une solution est enfin acquise au plus extravagant des problèmes. Comme il s’agit d’une affaire vieille de vingt ans, et dont une crise politique, en détournant à cette époque l’attention du public, ne laissa pas apparaître toute l’importance, autant vaut sans doute exposer les faits, tels qu’ils se présentent après contrôle. Nous en empruntons le détail aux articles que publièrent dans le temps les journaux de Liverpool, au dossier de l’enquête concernant John Slender le mécanicien, et aux registres mis obligeamment à notre disposition par la London and West Coast Company.

Le 3 juin 1890, un monsieur disant se nommer Louis Caratal demandait à voir M. James Bland, chef de gare de la London and West Coast Central Station, à Liverpool. C’était un homme entre deux âges, court de taille, brun, et cassé en deux comme par une déformation de la colonne vertébrale. Il avait pour compagnon un individu de stature imposante, mais dont les façons respectueuses et le zèle attentif disaient la situation dépendante. Ce compagnon, — ou cet ami, — dont on ne sut jamais le nom, était sûrement étranger et, probablement, si l’on en jugeait à son teint basané, un Espagnol ou un Sud-Américain. On remarqua qu’il portait sous le bras gauche un petit portefeuille de cuir noir ; un employé du bureau central, qui avait de bons yeux, observa même qu’une courroie retenait le portefeuille à son poignet. Dans le premier moment, on ne prêta pas au fait une signification spéciale : les événements devaient se charger de lui en donner une. M. Caratal fut introduit dans le bureau de M. Bland. Son compagnon resta dehors.

L’affaire de M. Caratal se régla très vite. Il arrivait cet après-midi même de l’Amérique Centrale. Des affaires de la plus haute gravité l’appelaient à Paris, sans lui laisser le loisir de perdre une minute. Ayant manqué l’express de Londres, il demandait la formation d’un train spécial. Il ne regardait pas au prix : le temps seul comptait ; et il acceptait les conditions de la Compagnie, pourvu qu’elle fît diligence.

M. Bland pressa un bouton électrique, manda M. Potter Hood, chef de l’exploitation, et arrangea tout en cinq minutes. Le train partirait dans trois quarts d’heure ou une heure. On attela une puissante machine, la Rochdaleno 247 sur les registres de la Compagnie – à deux voitures suivies d’un fourgon pour le conducteur. La première voiture ne devait servir qu’à amortir les oscillations du train. La seconde comprenait, comme d’habitude, quatre compartiments : un salon et un fumoir de première classe ; un salon et un fumoir de deuxième. On attribua aux deux voyageurs le premier compartiment, qui était le plus proche de la machine ; les trois autres restèrent vides. Et l’on désigna comme conducteur James Mc Pherson, employé à la Compagnie depuis plusieurs années. Le chauffeur, William Smith, n’avait que de récents états de service.

M. Caratal, en quittant le bureau du chef de gare, rejoignit son compagnon. Tous les deux manifestaient la plus vive impatience. Après avoir payé le prix demandé, qui était de cinquante livres cinq shillings, au tarif spécial ordinaire de cinq shillings par mille, ils prièrent qu’on leur montrât le compartiment qu’ils devaient occuper ; et ils s’y installèrent tout de suite, bien que sachant qu’il s’écoulerait près d’une heure avant qu’on leur donnât la voie libre.

Entre temps, il se produisait, dans le bureau d’où sortait à peine M. Caratal, une coïncidence singulière. Une demande de train spécial n’a rien de très exceptionnel dans une ville qui est un gros centre de commerce : mais deux en un même après-midi, cela ne se voit pas tous les jours. Or, M. Bland avait à peine congédié le premier voyageur, qu’un second venait lui présenter la même requête. Celui-ci était un M. Horace Moore, personnage d’aspect distingué et d’allures militaires. Une subite et sérieuse indisposition de sa femme le mettait, disait-il, dans l’obligation de partir pour Londres sans différer d’une minute. Son anxiété, sa détresse étaient si évidentes que M. Bland fit ce qu’il pouvait pour lui donner satisfaction. Former un second train spécial, il n’y fallait pas songer, le premier compliquant déjà le service : restait donc que M. Moore partageât les frais de M. Caratal et voyageât dans le compartiment de première classe demeuré vide, si M. Caratal refusait de l’admettre dans le sien. Il ne semblait pas qu’un pareil arrangement dût soulever de difficultés ; pourtant, aux premières ouvertures de M. Potter Hood, M. Caratal répondit par un refus tout net. Il avait payé le train, il entendait le réserver à son seul usage. Aucun argument ne vint à bout de sa résistance. On dut renoncer. M. Horace Moore se retira en proie à la plus vive inquiétude quand il sut qu’il ne lui restait d’autre ressource que le train omnibus de six heures.

À quatre heures trente et une minutes exactement, le train qui emportait M. Caratal et son compagnon quitta la station de Liverpool. La voie était libre : il n’y aurait pas d’arrêt jusqu’à Manchester.

Les trains du réseau London and West Coast empruntent les voies d’une autre compagnie jusqu’à cette ville, que le spécial aurait dû atteindre avant six heures. À six heures un quart, les bureaux de Liverpool éprouvèrent une surprise considérable, voisine de la consternation, au reçu d’un télégramme de Manchester leur annonçant que le train n’était pas encore arrivé. On interrogea la station de Saint-Helens, sise au tiers du parcours entre les deux villes ; on en obtint la réponse suivante :

« James Bland, chef de gare, Central L. and W.C., Liverpool.

« Spécial passé 4 h. 52, comme fixé. – Dowser, Saint-Helens. »

Il était 6 h. 40 lorsqu’arriva ce télégramme. À 6 h. 50 arrivait un second message de Manchester :

« Aucun signe du spécial annoncé. »

Et, dix minutes plus tard, un troisième, encore plus déconcertant :

« Présumons quelque erreur, dans graphique du spécial. Train local de Saint-Helens, qui devait le suivre, vient d’arriver sans en avoir vu trace. Prière télégraphier instructions.Manchester. »

L’affaire prenait un tour invraisemblable. Néanmoins, les bureaux de Liverpool se sentirent, à certains égards, soulagés par ce dernier télégramme. Si le spécial avait eu un accident, on ne pouvait guère admettre que le train local eût passé sans rien remarquer sur la même ligne. Et cependant, que croire ? Où pouvait être le train ? L’avait-on garé pour un motif quelconque afin de laisser passer l’omnibus ? Une telle explication se justifiait, à la rigueur, par la nécessité de quelque petite réparation. On télégraphia à chacune des stations entre Saint-Helens et Manchester. Le chef de gare et le directeur de l’exploitation, tous deux au comble de l’inquiétude, attendirent à l’appareil les dépêches qui devaient les renseigner sur le sort du train. Les réponses arrivèrent dans l’ordre des demandes, qui correspondait à l’ordre des stations à partir de Saint-Helens :

« Spécial passé à cinq heures.Collins Green. »

« Spécial passé à cinq heures six.Earlestown. »

« Spécial passé à cinq heures dix.Newton. »

« Spécial passé à cinq heures vingt.Kenyon Junction. »

« Aucun train spécial passé ici.Barton Moss. »

Les deux chefs de service, abasourdis, se regardèrent.

— J’ai trente ans de carrière, dit M. Bland, et ne me souviens pas d’une histoire pareille.

— C’est, en effet, un cas unique, Monsieur, une affaire inexplicable. Le spécial aura eu sans doute un accident entre Kenyon Junction et Barton Moss.

— Si j’ai bonne mémoire, il n’y a de ce côté aucune voie de garage. Il faut donc que le spécial ait déraillé.

— Mais alors, comment l’omnibus de quatre heures cinquante ne se serait-il aperçu de rien en passant sur la même voie ?

— Nous n’avons pas le choix des hypothèses, Monsieur Hood. Il faut que cela soit. Peut-être le train local aura-t-il fait quelque observation de nature à éclaircir un peu ce mystère. Nous allons, pour plus ample informé, télégraphier à Manchester, et donner des instructions à Kenyon Junction afin qu’on examine la ligne jusqu’à Barton Moss.

La réponse de Manchester ne se fit pas attendre.

« Toujours sans renseignements du spécial. Mécanicien et conducteur omnibus certifient aucun accident entre Kenyon Junction et Barton Moss. Voie libre et présentant rien d’anormal. Manchester. »

— Ce mécanicien et ce conducteur auront de mes nouvelles, grommela M. Bland : ils auront passé sans s’en apercevoir à côté d’une catastrophe ! Évidemment, le spécial aura déraillé sans endommager la ligne. Comment ? C’est, je l’avoue, ce qui me dépasse. Mais cela ne peut pas ne pas être ; et nous allons, d’un instant à l’autre, recevoir de Kenyon Junction ou de Barton Moss un télégramme nous annonçant qu’on a découvert le train au bas d’un remblai.

La prédiction de M. Bland ne se réalisa pas. Au bout d’une demi-heure, l’on recevait du chef de station de Kenyon Junction la dépêche suivante :

« Aucunes traces du spécial manquant. Il est tout à fait certain que passa ici et n’atteignit pas Barton Moss. Avons détaché machine du train marchandises, et j’ai moi-même exploré ligne ; mais ai trouvé partout voie libre et nul signe accident. »

Éperdu, M. Bland s’arrachait les cheveux.

— Mais c’est de la folie, Hood ! criait-il. Un train ne peut pourtant pas, en Angleterre, et au beau milieu du jour, s’évaporer dans l’air ! C’est absurde ! Une machine, un tender, deux voitures, un fourgon et cinq hommes… tout cela perdu sur une ligne directe ! Si dans une heure je n’ai pas un renseignement positif, je prends l’inspecteur Collins et me mets en route.

Le renseignement positif, on l’eut enfin par un nouveau télégramme de Kenyon Junction :

« Regret vous aviser qu’on vient de trouver, parmi fourrés ajoncs, à deux milles un quart station, cadavre John Slater, mécanicien du spécial. Slater, tombé de sa machine, avait dégringolé talus. Blessures têtes, conséquence chute, semblent avoir déterminé mort. Examen minutieux des lieux n’a pas permis relever la moindre trace du spécial manquant. »

J’ai déjà dit qu’une crise politique déchirait à ce moment l’Angleterre. D’autre part, de graves événements survenus à Paris contribuaient à détourner l’attention publique : un énorme scandale menaçait dans son existence le gouvernement français et dans leur honneur un certain nombre de gros personnages. Tout cela occupait surabondamment la presse, en sorte que la disparition du train spécial n’émut pas l’opinion comme elle l’eût fait en des temps moins troublés. Plusieurs journaux de Londres n’y virent qu’une ingénieuse mystification, jusqu’au jour où l’enquête du coroner au sujet de l’infortuné mécanicien, sans donner aucun résultat notable, les convainquit du drame.

Accompagné de l’inspecteur Collins, chef du service de sûreté de la Compagnie, M. Bland partit le soir même pour Kenyon Junction. Leurs recherches, poursuivies tout le jour du lendemain, restèrent infructueuses. Non seulement on ne trouva pas trace du train disparu, mais on n’aboutit pas même à une conjecture acceptable. D’un autre côté, cependant, le rapport de l’inspecteur Collins – que j’ai sous les yeux au moment où j’écris ceci – montrait que les circonstances favorables à une disparition étaient plus nombreuses qu’on n’aurait pu croire.

« Sur toute la longueur entre ces deux points, disait-il, la ligne traverse une région de forges et de houillères. Parmi ces houillères, les unes sont en pleine exploitation, les autres ont été abandonnées. On n’en compte pas moins de douze qui, par un minuscule réseau à voie étroite, roulent leurs wagonnets jusqu’à la grande ligne. Nous n’en tiendrons, naturellement, aucun compte. Mais il y en a sept autres qui ont – ou ont eu – leurs lignes particulières s’embranchant, au moyen d’aiguilles, sur la ligne principale, de façon à assurer le transport direct de la production depuis la mine jusqu’aux grands centres distributeurs. Chacune de ces lignes n’a du reste qu’une longueur de quelques milles. Quatre sur sept appartiennent à des usines épuisées, ou du moins, actuellement inexploitées, savoir : la Redgauntlet, la Hero, la Slough of Despond et la Heartsease, dont la dernière fut, il y a dix ans, une des mines les plus importantes du Lancashire. Nous pouvons en faire abstraction dans nos recherches, car pour prévenir toute éventualité d’accident on a pris soin d’enlever les rails les plus proches de la grande ligne, si bien que le raccordement n’existe plus.

« Restent trois autres voies latérales conduisant :

« (a) Aux Forges de Carnstock ;

(b) À la Mine du Grand Ben ;

(c) À la Mine de Persévérance.

« De ces trois lignes, celle du Grand Ben ne dépasse pas en longueur un quart de mille et finit à un mur de charbon qui attend qu’on en débarrasse l’entrée de la mine. Il n’a été vu ni entendu de ce côté quoi que ce soit de spécial. La ligne des Forges de Carnstock resta bloquée toute la journée du 3 par un chargement de seize wagons d’hématite : elle est à voie simple, et rien n’y pouvait passer. Quant à la ligne de Persévérance, elle est à double voie, et très active à cause du gros débit de la mine. Le 3 juin, le mouvement s’y effectua comme à l’ordinaire. Des centaines d’hommes, et notamment des équipes de poseurs, travaillèrent d’un bout à l’autre de la ligne, laquelle a un développement total de deux milles un quart : on ne concevrait donc pas qu’un train s’y fût engagé à l’improviste sans attirer l’attention générale. Nous ferons remarquer en terminant que cet embranchement est plus proche de Saint-Helens que le point où l’on découvrit le corps du mécanicien, et nous avons tout lieu de croire que le train avait dépassé ce point avant de disparaître.

« En ce qui concerne John Slater, l’état du corps et les blessures qu’il portait n’autorisent aucune hypothèse. La seule chose qu’on puisse dire, c’est que, vraisemblablement, le malheureux tomba de sa machine. Comment il en tomba, et ce que la machine devint après la chute, autant de questions sur lesquelles je ne me sens pas assez qualifié pour émettre une opinion personnelle. »

Et l’inspecteur concluait par l’offre de sa démission, les journaux de Londres l’ayant piqué au vif en l’accusant d’incompétence.

Un mois s’écoula, durant lequel la police et la Compagnie poursuivirent simultanément et vainement leurs recherches. Chaque jour, le public ouvrait les journaux avec la certitude d’y trouver la solution de cet étrange mystère. Mais les semaines succédaient aux semaines, et la solution n’arrivait toujours pas. En plein jour, un après-midi de juin, dans la partie la plus populeuse de l’Angleterre, un train, avec tous ses occupants, avait disparu, aussi complètement que si l’art subtil d’un chimiste l’eût volatilisé en gaz !

Entre les nombreuses hypothèses que proposèrent les journaux ou les particuliers, il y en eut deux ou trois assez plausibles pour éveiller l’intérêt du public. Un amateur logicien à qui ses spéculations avaient valu quelque notoriété essaya, dans le Times, de résoudre le problème d’une façon critique et mi-scientifique. Il suffira que nous donnions ici un extrait de sa lettre ; les curieux la retrouveront tout entière dans le numéro du 3 juillet :

« C’est un des principes élémentaires du raisonnement pratique, écrivait le correspondant du Times, que, l’impossible une fois éliminé, ce qui reste, fût-il improbable, doit contenir la vérité. Nous savons qu’indéniablement le train quitta Kenyon Junction. Nous savons qu’indéniablement il n’atteignit pas Barton Moss. Nous devons considérer comme éminemment invraisemblable, et néanmoins possible, qu’il ait pris l’un des sept embranchements existants ; mais, étant de toute évidence qu’un train ne saurait circuler là où manque le rail, nous pouvons réduire nos improbables aux trois lignes ouvertes, savoir, nommément, celle des Forges de Carnstock, celle du Gros Ben et celle de Persévérance. Existe-t-il une société secrète de mineurs, une Camorra anglaise, capable de détruire d’un seul coup tout un train et tous les gens qu’il transporte ? C’est improbable, mais non pas impossible. Je ne saurais, je l’avoue, suggérer, d’autre solution. Mon sentiment très net, c’est que la Compagnie devrait exercer une surveillance rigoureuse sur ces trois lignes et sur les travailleurs des exploitations qu’elles desservent. Des recherches soigneusement faites chez les prêteurs à gages du district fourniraient peut-être d’utiles données. »

Venant d’un homme dont on reconnaissait l’autorité en ces matières, l’idée émut vivement l’opinion. Mais, en même temps, elle souleva l’opposition violente de ceux qui la jugeaient absurdement diffamatoire pour une catégorie de citoyens méritants et honnêtes. On mit les récalcitrants au défi d’avancer une proposition plus vraisemblable. À cela, il y avait deux réponses toutes prêtes (Times des 7 et 9 juillet). Selon la première, le train, après avoir déraillé, avait dû s’engloutir dans le canal Lancashire-Straffordshire, qui court parallèlement à la voie ferrée sur une centaine de mètres. On y opposa un argument péremptoire : la profondeur du canal, tout à fait insuffisante à l’engloutissement d’un train. La seconde signalait comme suspect le portefeuille qui semblait constituer l’unique bagage des voyageurs et suggérait qu’il avait pu contenir un explosif nouveau, d’une formidable puissance destructive. Mais la plaisanterie était évidente de supposer qu’un train pût être pulvérisé tout entier et les rails ne subir aucun dommage ! Ainsi les recherches aboutissaient à une impasse, quand survint un incident imprévu.

Mrs. Mc Pherson, femme de James Mc Pherson qui avait convoyé le spécial en qualité de conducteur, reçut de son mari une lettre. Cette lettre portait la date du 5 juillet 1890, avec le timbre de New-York, et parvint à destination le 14. On exprima des doutes sur son authenticité ; mais Mrs. Mc Pherson en garantit l’écriture, et le fait qu’elle contenait en billets un envoi de 500 dollars suffit à exclure toute idée de mystification. Elle ne donnait aucune adresse et était conçue en ces termes :


« Chère épouse,

« J’ai beaucoup réfléchi et trouve très dur de vous abandonner, vous et Lizzie. Je tâche de lutter, mais toujours votre idée me tracasse. Je vous envoie un peu d’argent, dont vous ferez vingt livres anglaises. Vous avez avec ça de quoi traverser toutes deux l’Atlantique. Les bateaux de Hambourg, qui font escale à Southampton, sont de très bons bateaux, et moins chers que ceux de Liverpool. Si vous pouviez venir ici et descendre à la maison Johnston, j’essayerais de vous faire tenir un mot qui vous fixe un lieu de rencontre. Pour l’instant, je suis dans les difficultés, et pas très heureux, car d’avoir à vous sacrifier toutes deux, ça me semble rude. Mais assez pour l’instant. Votre Mari qui vous aime.

« James Mc Pherson. » -----


On voulut espérer un moment que cette lettre jetterait enfin un peu de clarté sur l’affaire ; d’autant qu’on établit qu’un voyageur, dont le signalement correspondait à celui du conducteur Mc Pherson, avait pris, le 7 juin, à Southampton, sous le nom de Summers, le paquebot Vistule, qui fait le service entre Hambourg et New-York. Mrs. Mc Pherson et sa sœur Lizzie, se conformant aux prescriptions de la lettre, partirent pour New-York, et firent, dans la maison Johnston, un séjour de trois semaines, mais n’y reçurent de lui aucunes nouvelles. Sans doute avait-il compris, à certaines indiscrétions de presse, que la police se servait d’elles pour l’amorcer. Toujours est-il que, ne le voyant pas venir, les deux femmes durent s’en retourner à Liverpool.

Les choses restèrent donc sans faire un pas jusqu’en cette année 1908 où nous sommes. Si incroyable que le fait paraisse, rien n’était venu, durant ces dix-huit ans, dissiper un tant soit peu l’ombre qui planait sur l’extraordinaire disparition du train portant Caratal et son compagnon. D’une minutieuse enquête sur les deux voyageurs, il ressortait que Caratal était un agent politique et un financier bien connu du Centre Amérique ; qu’il avait manifesté, durant son voyage en Europe, une extrême impatience d’atteindre Paris ; que son compagnon, inscrit au nombre des passagers sous le nom d’Eduardo Gomez, était un homme violent, à réputation de querelleur et de bravache, mais honnêtement dévoué aux intérêts de Caratal, dont il protégeait la faiblesse physique. Il sied d’ajouter qu’on n’avait eu de Paris aucuns renseignements sur les raisons qui avaient pu pousser Caratal à précipiter son voyage. L’affaire en était là quand parut dans les journaux de Marseille la confession d’Herbert de Larnac, condamné à mort pour le meurtre d’un négociant nommé Bonvallot. Nous la reproduisons telle quelle :

« En livrant au public ce document, je ne cède pas à un sentiment de vanité ni de forfanterie. Aussi bien me targuerais-je à bon droit d’une douzaine d’exploits non moins magnifiques. Mais il faut qu’à Paris quelques beaux Messieurs le sachent : si je suis en état de révéler ce qui advint de M. Caratal, je suis capable également de dénoncer les instigateurs et les mobiles du crime, à moins que la mesure gracieuse que j’attends n’intervienne très vite. Tenez-vous pour prévenus, Messieurs, alors qu’il en est temps encore ! Vous connaissez Herbert de Larnac. Vous savez qu’avec lui le geste suit de près la parole. Dépêchez-vous donc, ou vous êtes perdus !

« Pour le moment, je ne prononcerai pas de noms. Si je prononçais des noms, que ne penserait-on pas ! Je me bornerai à dire avec quelle habileté je menai l’entreprise. Je servis loyalement ceux qui usaient de moi ; je ne doute pas qu’ils ne me rendent la pareille ; je l’espère ; et jusqu’au jour où j’aurai la certitude de leur trahison, je m’abstiendrai d’une divulgation qui bouleverserait l’Europe. Par exemple, ce jour-là… Mais inutile que j’insiste !

« Donc, en 1890, avait lieu à Paris un procès fameux, conséquence d’un monstrueux scandale financier et politique. Le degré de monstruosité où atteignait ce scandale, c’est ce qui n’a jamais été su de personne que d’agents très secrets comme moi. Il menaçait l’honneur et l’avenir de quelques-uns des plus « gros bonnets » de France. Vous avez vu un jeu de quilles : elles se dressent guindées, sévères, rigides ; la boule arrive de loin ; et paf ! paf ! paf ! voilà les neuf quilles par terre. Imaginez sous les espèces de ces quilles certains hommes français des plus considérables : M. Caratal fut la boule qu’on vit venir de loin. S’il arrivait, paf ! paf ! paf ! c’était fait d’eux tous. On décida qu’il n’arriverait pas.

« Je n’ai garde de prétendre qu’ils aient tous eu le sentiment des événements nécessaires. Je répète que de grands intérêts, tant financiers que politiques, étaient en jeu. Un syndicat se constitua pour mener l’affaire. Certains y donnèrent leur adhésion qui en connaissaient à peine l’objet. D’autres, en revanche, le comprenaient très bien, et ils peuvent compter sur moi pour n’avoir pas oublié leurs noms. Bien avant son départ du Sud-Amérique, ils savaient, par de nombreux avis, l’imminente arrivée de Caratal, et que son témoignage entraînerait leur ruine. Le syndicat disposait de capitaux sans limites, — je dis : sans limites. Il chargea un agent capable de manier ce levier gigantesque. Il avait besoin d’un homme actif, résolu, s’adaptant aux circonstances ; d’un homme, enfin, tel qu’on en trouve un sur un million. Il choisit Herbert de Larnac, et je conviens qu’il eut raison.

« Je devais choisir à mon tour mes subordonnés, puis utiliser les ressources que donne l’argent et empêcher que Caratal arrivât jamais à Paris. Avec l’énergie qui me caractérise, je n’avais pas reçu mon mandat depuis une heure que déjà je me mettais en devoir de le remplir et prenais à cet égard les mesures les plus efficaces.

« Je dépêchai en Amérique un homme de confiance chargé de « filer » Caratal durant son voyage. Il fût arrivé à temps que jamais le navire n’eût touché le port. Mais il arriva trop tard, et quand le navire, hélas ! avait déjà pris le large. Je frétai un petit brick armé pour barrer la route au navire. Ici encore, j’eus la chance contre moi. Cependant, comme tous les grands organisateurs, j’avais prévu l’insuccès et tenais prête une série de solutions dont l’une ou l’autre devait être la bonne. Il ne faudrait pas croire que j’exagère les difficultés de ma tâche, ni qu’un vulgaire assassinat dût tout résoudre. Nous avions à détruire non seulement Caratal, mais les documents de Caratal, et, par dessus le marché, les compagnons de Caratal, si nous avions lieu de croire qu’il leur eût communiqué ses secrets. Notez bien que, redoutant un attentat, tout ce monde-là se tenait sur le qui-vive. Ainsi, la besogne me convenait à merveille : car c’est là surtout où les autres s’effarent que j’ai la maîtrise de mes moyens.

« J’avais pris mes dispositions pour recevoir Caratal à Liverpool ; et je l’attendais avec d’autant plus d’impatience que, de son côté, autant que je pouvais le savoir, il s’était arrangé pour avoir autour de lui une garde nombreuse lors de son arrivée à Londres. Tout ce qu’il y avait à faire devait se faire entre le moment où il mettrait le pied sur le quai de Liverpool et celui où il arriverait au terminus du chemin de fer London and West Coast. Nous arrêtâmes six plans, tous plus mûris les uns que les autres : les mouvements mêmes de Caratal décideraient lequel des six serait mis en œuvre. Quoi que fît Caratal, nous étions prêts. Qu’il s’arrêtât à Liverpool, nous étions prêts. Qu’il prît un train ordinaire, un express, un train spécial, nous étions prêts. Nous avions tout prévu, et pourvu à tout.

« On entend bien que je ne suffisais pas à tout par moi-même. Savais-je rien des chemins de fer anglais ? Mais il n’est pas de pays au monde où l’argent ne suscite les bonnes volontés ; et je ne mis pas longtemps à m’assurer le concours d’un des plus remarquables cerveaux de l’Angleterre. J’ai dit que je ne prononcerai pas de nom ; mais je ne commettrai pas l’injustice de n’attribuer qu’à moi la réussite. Mon allié anglais méritait cette alliance. Il connaissait à fond le réseau de la London and West Coast et avait sous la main une troupe d’ouvriers intelligents et sûrs. Il conçut l’idée : je n’eus à donner mon avis que sur les détails. Nous achetâmes plusieurs agents de la Compagnie, notamment James Mc Pherson, que nous savions avoir le plus de chances d’être désigné comme conducteur en cas de formation d’un train spécial. Nous sondâmes John Slater, le mécanicien ; mais ayant rencontré de sa part une résistance dangereuse, nous renonçâmes. Rien ne nous garantissait que Caratal dût voyager par train spécial ; la chose, cependant, semblait des plus probables, en raison de l’importance extrême qu’il y avait pour lui à ne pas différer d’un instant son arrivée à Paris. Nous avisâmes en conséquence ; et nous avions mis la dernière main à nos préparatifs bien avant que le steamer fût en vue des côtes anglaises. Particularité amusante : j’avais un de mes agents à bord du bateau-pilote qui conduisit le navire au mouillage.

« Au moment où Caratal descendit à Liverpool, nous comprîmes qu’il flairait le danger et se tenait sur ses gardes. Il amenait avec lui un homme redoutable, du nom de Gomez, armé et disposé à faire usage de ses armes. Ce Gomez portait les papiers secrets de Caratal : évidemment, il les défendrait non moins qu’il défendrait son maître. Caratal l’avait sans doute admis dans ses conseils. Écarter Caratal sans écarter Gomez, c’était gaspiller sa peine. Il fallait de toute nécessité qu’un même sort les roulât l’un et l’autre. La demande d’un train spécial favorisa beaucoup nos desseins. Deux sur trois des hommes composant le personnel du train nous étaient acquis, à des conditions qui leur assuraient l’indépendance pour le reste de leurs jours. Je ne me risquerai pas à prétendre que les Anglais soient plus honnêtes que les gens d’aucune autre nationalité ; mais ils m’ont coûté davantage.

« J’ai déjà parlé de mon agent anglais, — homme de grand avenir si quelque maladie de la gorge[1] ne l’emporte avant l’heure. Il dirigeait tout à Liverpool, cependant que moi même, dans la petite hôtellerie de Kenyon devenue mon poste, j’attendais le signal convenu pour agir. Sitôt décidée la formation d’un train spécial, je reçus de lui une dépêche m’avisant du délai dans lequel j’avais à me tenir prêt. En même temps, sous le nom d’emprunt d’Horace Moore, il sollicitait à son tour, et pour son propre compte, la formation d’un second train spécial, espérant par là se faire admettre à voyager avec Caratal, ce qui, éventuellement, pouvait nous rendre service. Supposé, par exemple, que notre coup manquât, un devoir s’imposait à notre agent : tuer les deux hommes et détruire leurs papiers. Mais Caratal, qui se méfiait, refusa d’admettre personne. Mon agent sortit de la gare par une porte, y rentra par une autre, et s’introduisit à contre-voie dans le fourgon du conducteur Mc Pherson, avec lequel il fit le voyage.

« De mon côté, je ne restais pas inactif. Notre organisation, achevée depuis des jours, n’avait plus besoin que du coup de pouce. L’embranchement par nous choisi se trouvait coupé de la grande ligne : pour l’y raccorder de nouveau, il suffirait de quelques rails remis en place. Nous en posâmes toute la longueur possible sans risquer d’éveiller l’attention ; il n’y aurait plus ensuite qu’à compléter la jonction et rétablir les aiguilles. Les traverses n’avaient jamais été enlevées ; rails, coussinets, rivets, nous avions tout à pied-d’œuvre, l’ayant pris à une voie de garage sur une section abandonnée de la ligne. Grâce à ma petite équipe d’ouvriers spéciaux, tout fut en état bien avant l’arrivée du spécial. Et quand il arriva, il s’engagea si aisément sur la voie latérale, qu’il ne semble pas que les voyageurs aient ressenti la moindre secousse en franchissant l’aiguille.

« D’après nos plans, Smith, le chauffeur, devait chloroformer John Slater, le mécanicien, puis s’éclipser avec les autres. Sous ce rapport, mais sous ce rapport seulement, nos plans échouèrent (car je ne parle pas de la criminelle folie de Mc Pherson le jour où il écrivit à sa femme). Notre chauffeur, en effet, s’y prit si maladroitement que Slater, en se débattant, tomba de la machine. Sans doute notre chance voulut qu’il se rompît le cou dans sa chute ; mais l’accident n’en reste pas moins une tache sur ce qui serait, sans cela, un de ces chefs-d’œuvre qu’on ne peut que contempler avec une admiration muette. Pour peu qu’on s’y connaisse, on verra chez John Slater le seul point faible de nos admirables combinaisons. On peut se permettre d’être franc après un triomphe : c’est pourquoi je proclame, mettant le doigt sur John Slater, que ce fut là notre point faible !

« Mais voici le train spécial engagé sur la voie de deux kilomètres – de plus d’un mille, pour parler exactement, – qui mène, ou, plutôt, menait à la Heartsease, l’une des principales mines de charbon de l’Angleterre. On me demandera comment il se fit que personne ne remarqua le passage du train sur cette ligne hors d’usage. Je répondrai que, sur toute sa longueur, elle court dans une tranchée profonde, et qu’à moins d’occuper le bord du talus on ne pouvait la voir. Il y avait quelqu’un au bord du talus. Il y avait moi. Et je dirai ce que je vis.

« Mon auxiliaire gardait l’aiguille, de façon à commander la direction du train. Il avait avec lui quatre hommes armés ; ainsi, dans le cas d’un déraillement que rendait probable l’état de l’aiguille rongée par la rouille, nous avions la ressource de tomber encore sur les voyageurs. Une fois le train aiguillé, il me passait les responsabilités. J’attendais donc, en armes, moi aussi, et en compagnie de deux hommes également armés, à un endroit qui surplombe l’ouverture de la mine. Quoi qu’il advînt, j’étais prêt.

« Quand le train eut bifurqué sans encombre, Smith ralentit sa marche, puis, le relançant à toute vitesse, sauta de sa machine avant qu’il fût trop tard. Mc Pherson et mon lieutenant anglais firent de même. Peut-être le ralentissement momentané du train éveilla-t-il d’abord l’attention des voyageurs ; mais il avait déjà repris son élan avant que leurs têtes apparussent à la portière. Je souris en imaginant leur stupeur. Représentez-vous vos propres sentiments si, en vous penchant à la portière d’un train de luxe, vous aperceviez tout d’un coup une voie ruinée par le défaut d’usage et d’entretien, et jaunie par la rouille ! Quel arrêt dut se produire dans leur respiration à la seconde où ils constatèrent que ce n’était pas Manchester, mais la mort, qui les attendait au terme de ce trajet sinistre ! Leur train, cependant, lancé à une allure frénétique, courait, roulait, sursautait, avec d’effroyables grincements de roues sur les aspérités de la surface. Je voyais de près leurs visages. Je crois que Caratal priait : quelque chose qui avait l’air d’un rosaire lui pendillait entre les doigts. L’autre mugissait comme un taureau qui renifle le sang de l’abattoir ; il nous vit debout sur le talus, et se mit à nous faire des signes insensés. Puis, l’arrachant à son poignet, il nous jeta son portefeuille. Impossible de se méprendre sur le sens de ce geste : là étaient les documents accusateurs ; et l’on nous promettait le silence si nous faisions grâce de la vie. Nous, n’aurions pas demandé mieux que de pouvoir satisfaire au vœu des deux hommes : mais les affaires sont les affaires ; et le sort du train nous échappait autant qu’à eux.

« Les mugissements cessèrent quand, avec un horrible bruit de ferraille, le train prit la courbe, et que les voyageurs aperçurent, béante, la gueule de la mine. Nous avions enlevé la palissade qui la masquait, de façon à la dégager tout entière. Dans le principe, et en vue de faciliter le chargement du charbon, les rails arrivaient très près de la fosse ; pour en atteindre l’extrémité, nous avions ajouté deux ou trois longueurs de rails qui, au lieu de tomber juste, se projetaient de quelques pieds au-dessus du gouffre. Nous apercevions les deux têtes à la portière, Caratal au-dessous, Gomez au-dessus. La stupeur leur clouait la bouche. Et ils semblaient, l’un et l’autre, incapables de quitter leur place, comme paralysés par l’horreur de ce qu’ils voyaient.

« Je m’étais demandé comment, à toute vitesse, le train aborderait l’abîme vers lequel je l’avais aiguillé. Un de mes collaborateurs estimait qu’il bondirait par dessus le puits de la mine, et peu s’en fallut qu’il ne le franchît en effet. Par bonheur, cependant, il tomba court, et les tampons de la machine allèrent heurter avec un fracas terrible le bord opposé de la fosse. La cheminée vola dans l’air. Tender, voitures, fourgon s’écrasèrent les uns contre les autres, et, avec les débris de la machine, obstruèrent une minute ou deux l’ouverture. Puis, quelque chose céda au milieu, et ferrailles vertes, charbons fumants, tubes de cuivre, roues, boiseries, coussins, la masse entière, broyée, pulvérisée, s’engouffra dans la mine. Nous entendîmes les débris battre, battre, battre les parois ; puis, longtemps après, il y eut un bruit de choc, comme si ce qui restait du train eût touché le fond. La chaudière dut éclater, car une détonation violente se fit entendre, un épais nuage de vapeur et de fumée tournoya au-dessus des profondeurs noires et retomba sur nous en poussière de pluie. Enfin, le nuage se déchira, un soleil printanier en dissipa les touffes légères, et tout rentra dans la paix à la mine de Heartsease.

« Nos plans ainsi menés à bonne fin, nous n’avions plus qu’à en effacer toutes traces. Déjà notre petite troupe d’ouvriers avait, à l’autre bout, enlevé les rails de raccordement et rétabli l’ancien état de choses. Nous n’eûmes pas moins à faire pour notre part à l’entrée de la mine. La cheminée fut, avec le reste des débris, jetée dans le puits ; nous enlevâmes la partie de rails aboutissant à l’orifice et remîmes en place la palissade. Enfin, sans précipitation, mais sans retard, nous quittâmes tous le pays, la plupart à destination de Paris. Mon agent anglais partit pour Manchester, et Mc Pherson pour Southampton, d’où il émigra en Amérique. On sait par les journaux anglais si nous avions accompli notre œuvre et si nous parvînmes à dépister complètement les plus fins limiers de la police.

J’ai dit que Gomez nous avait jeté son portefeuille par la portière : inutile d’ajouter que je le mis en lieu sûr et ne m’en dessaisis qu’en bonnes mains. Il peut cependant être intéressant pour ceux qui m’employèrent d’apprendre que j’en retirai deux ou trois papiers susceptibles de me servir, à l’occasion, comme « souvenirs ». Je ne désire pas les livrer à la publicité ; mais chacun pour soi en ce monde, et quel autre parti me reste-t-il à prendre si mes amis me refusent l’aide que je leur réclame ? Croyez-le bien : Herbert de Larnac contre vous n’est pas moins redoutable qu’avec vous ; et cela ne lui ressemble pas d’aller à la guillotine sans vous avoir vus partir pour la Nouvelle. Dans votre intérêt personnel, sinon dans le mien, hâtez-vous donc, Monsieur de X…, Général Y…, Baron Z… ! Vous remplirez vous-mêmes les blancs en lisant ces lignes ; mais je vous promets qu’à la prochaine édition il n’y aura plus de blancs à remplir.

« P. S. – En me relisant, je m’aperçois d’un oubli. C’est à propos de ce malheureux Mc Pherson qui commit la sottise d’écrire à sa femme et de prendre un rendez-vous avec elle à New-York. On suppose bien que, lorsqu’il s’agissait d’intérêts comme les nôtres nous n’allions pas nous en remettre, à la discrétion ou à l’infidélité d’un individu de cette catégorie. En écrivant à sa femme, il trahit sa parole : nous ne pouvions plus dès lors nous fier à lui ; et nous dûmes aviser à ce qu’il ne revît jamais sa femme. J’ai souvent pensé qu’il serait gentil d’écrire à cette personne pour l’assurer qu’il n’y a pas d’empêchement à ce qu’elle se remarie. »



  1. Allusion à la pendaison.