Aller au contenu

Cohomologie cristalline

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

La cohomologie cristalline est une cohomologie de Weil pour les schémas, introduite par Alexander Grothendieck en 1966 et développée par Pierre Berthelot. Elle étend le domaine d'application de la cohomologie étale en considérant les modules sur les anneaux de vecteurs de Witt sur le corps de base.

Motivation et histoire

[modifier | modifier le code]

Les conjectures de Weil

[modifier | modifier le code]

Dans l'étude des variétés différentiables compactes, la formule de Lefschetz permet de calculer le nombre de points fixes d'un morphisme de la variété dans elle-même. Cette formule est une somme alternée de traces, agissant sur les espaces vectoriels de cohomologie de De Rham de la variété considérée.

Les travaux d'André Weil sur les variétés algébriques sur les corps finis ont montré que la connaissance de la fonction zêta de la variété équivaut à celle du nombre de points rationnels qu'elle possède sur toutes les extensions finies du corps de base. Weil a remarqué que les points rationnels sur sont exactement les points fixes de l'endomorphisme de Frobenius itéré . Weil suggère alors qu'une théorie cohomologique pour les variétés sur un corps fini à valeurs dans des espaces vectoriels de dimension finie sur un corps de caractéristique zéro généraliserait naturellement le résultat de Lefschetz.

Les conditions nécessaires d'une telle théorie cohomologique ont été formalisées, et la théorie supposée baptisée « cohomologie de Weil ».

La cohomologie étale ℓ-adique

[modifier | modifier le code]

La construction d'une cohomologie de Weil est un des objectifs que se fixe Alexander Grothendieck, dans les débuts de la théorie des schémas. Ayant défini leur topologie étale, et la cohomologie correspondante, il développe avec ses élèves, pour tout nombre premier ℓ qui ne divise pas q, la cohomologie ℓ-adique.

Soit k un corps, de caractéristique p, et k une clôture algébrique de k. Soit X un schéma séparé de type fini sur k, et ℓ un nombre premier. Les groupes de cohomologie étale de X k sont

Il s'agit d'espaces vectoriels de dimension finie lorsque ℓ est différent de p ou si X est propre.

Vers la cohomologie cristalline

[modifier | modifier le code]

Soit k un corps de caractéristique p > 0, soit X un schéma propre et lisse de dimension d sur k. On dispose de plusieurs théories cohomologiques :

  • Sa cohomologie étale ℓ-adique (à coefficients dans ℤp) : par construction, elle mime les propriétés de la cohomologie « ordinaire », c'est-à-dire correspondant à la topologie de Zariski, cependant elle n'a de sens qu'à la condition que ℓ ≠ p ;
  • Sa cohomologie de Hodge ou sa cohomologie de De Rham : si X/k est propre et lisse, on obtient des k-espaces vectoriels et on ne peut pas compter les points rationnels ;
  • Sa cohomologie de Serre est le faisceau des vecteurs de Witt sur le faisceau structural.

Grâce à la cohomologie étale, Grothendieck a démontré la formule de Lefschetz, qui implique la première conjecture de Weil. La seconde conjecture apparaît comme conséquence de la dualité de Poincaré. Enfin, Pierre Deligne a prouvé les deux dernières conjectures.

Cependant, des questions restantes[1] sont liées à la réduction du schéma en p, ce que la cohomologie ℓ-adique ne permet pas d'approcher.

S'inspirant de travaux de Dwork[2] et Monsky-Washnitzer, Grothendieck propose de relever X en un schéma propre et lisse Z/W(k) (avec k parfait de caractéristique p > 0 et W(k) l'anneau des vecteurs de Witt). On peut alors considérer le complexe de De Rham de Z sur W(k), et prendre son hypercohomologie. L'intuition était que ces groupes ne dépendaient pas du choix, a priori arbitraire, de Z/W(k) relevant X/k.

Définition

[modifier | modifier le code]

Puissances divisées

[modifier | modifier le code]

Soit A un anneau et I un idéal de A. Une structure de puissances divisées (ou PD-structure) sur I est une suite d'applications

pour tout n positif ou nul, telles que[3] :

  • et pour tout  ;
  • si n ≥ 1 et  ;
  • pour  ;
  • pour tout et  ;
  • pour tout et  ;
  • [4] pour tout et tous .

En particulier, si W(k) désigne l'anneau des vecteurs de Witt, (p) est un idéal de W(k) et une PD-structure est donnée par .

Sites et topoi cristallins

[modifier | modifier le code]

Soit k un corps parfait de caractéristique p > 0, et X un k-schéma. On note W = W(k) l'anneau des vecteurs de Witt sur k et

Le site cristallin est un site défini ainsi :

  • Les objets sont les diagrammes commutatifs

avec un ouvert de Zariski, i une immersion fermée de -schémas telle que l'idéal soit muni d'une PD-structure compatible avec la PD-structure canonique sur [5].

  • Les morphismes sont les diagrammes commutatifs formés d'une immersion ouverte et d'un morphisme compatible avec les puissances divisées.
  • Les familles couvrantes sont les familles de morphismes tels que est une immersion ouverte et

La catégorie des faisceaux sur un site cristallin est un topos appelé topos cristallin et noté . En particulier, cette structure garantit la fonctorialité : si est un morphisme de k-schémas, on peut lui associer un morphisme

.

Cohomologie cristalline

[modifier | modifier le code]

Soit F un faisceau sur le site cristallin, et (U, V) un objet du site. En associant à un ouvert W de V les sections de F sur , on définit un faisceau sur V pour la topologie de Zariski. Pour un morphisme

dans le site on obtient un morphisme

qui vérifie notamment une condition de transitivité et tel que est un isomorphisme si V → V’ est une immersion ouverte et . Réciproquement, si on se donne pour tout objet (U, V) du site un faisceau pour la topologie de Zariski sur V, ainsi que pour tout morphisme g comme ci-dessus un morphisme de transition qui vérifie les propriétés évoquées, on définit un faisceau sur le site cristallin. Le faisceau structural associe à tout objet du site cristallin le faisceau .

La cohomologie cristalline est la cohomologie du faisceau structural :

Notes et références

[modifier | modifier le code]
  1. Essentiellement : quelles sont les valuations p-adiques des coefficients des polynômes qui interviennent dans l'expression de la fonction zêta comme fraction rationnelle ? Et que dire de la restriction d'une représentation du groupe de Galois absolu (sur ) à  ?
  2. (en) Bernard Dwork, « On the rationality of the zeta function of an algebraic variety », American Journal of Mathematics, The Johns Hopkins University Press, vol. 82, no 3,‎ , p. 631–648 (ISSN 0002-9327, DOI 10.2307/2372974, JSTOR 2372974, MR 0140494).
  3. L'idée est, informellement, que «  ».
  4. Il s'agit bien d'un nombre entier, qui s'interprète d'un point de vue combinatoire comme le nombre de façons de répartir mn objets en m classes de n.
  5. C'est-à-dire que si on note cette PD-structure, on a si .

Bibliographie

[modifier | modifier le code]
  • (en) Pierre Berthelot et Arthur Ogus, Notes on Crystalline Cohomology, Princeton University Press, coll. « Annals of Mathematics Studies », (zbMATH 0383.14010, lire en ligne)
  • Pierre Berthelot, Cohomologie cristalline des schémas de caractéristique p > 0, vol. 407, Springer-Verlag, coll. « Lecture Notes in Mathematics », , 604 p. (ISBN 978-3-540-06852-5, DOI 10.1007/BFb0068636, MR 0384804)
  • (en) Alexander Grothendieck, « Crystals and the de Rham cohomology of schemes », dans Jean Giraud, Alexander Grothendieck, Steven Kleiman et Michèle Raynaud, Dix Exposés sur la Cohomologie des Schémas, vol. 3, North-Holland, coll. « Advanced studies in pure mathematics », (MR 0269663, lire en ligne), p. 306–358
  • Alexander Grothendieck, SGA 5 (1972)
  • Alexander Grothendieck, Pierre Deligne et Nick Katz, SGA 7 (1972)
  • (en) Luc Illusie, « Report on crystalline cohomology », dans Algebraic geometry, vol. 29, Amer. Math. Soc., coll. « Proc. Sympos. Pure Math. », (MR 0393034), p. 459–478
  • Luc Illusie, « Cohomologie cristalline (d'après P. Berthelot) », dans Séminaire Bourbaki (1974/1975: Exposés Nos. 453-470), Exp. No. 456, vol. 514, Springer-Verlag, coll. « Lecture Notes in Math. », (MR 0444668, lire en ligne), p. 53–60
  • (en) Luc Illusie, « Crystalline cohomology », dans Motives (Seattle, WA, 1991), vol. 55, Amer. Math. Soc., coll. « Proc. Sympos. Pure Math. », (MR 1265522), p. 43–70

Articles connexes

[modifier | modifier le code]