Aujourd'hui, maman est morte
« Aujourd’hui, maman est morte » est l'incipit du roman L'Étranger d'Albert Camus publié en .
Analyse
[modifier | modifier le code]Les premières phrases du roman sont les suivantes[1] :
« Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J'ai reçu un télégramme de l'asile : “Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués.” Cela ne veut rien dire. C'était peut-être hier. »
La narration est ancrée sur le moment d'énonciation plutôt que sur l'événement lui-même, plongeant le lecteur dans l'actualité de la conscience du narrateur, dont le lecteur apprendra par la suite qu'il se nomme Meursault. Les phrases courtes donnent également l'impression que Meursault choisit de se confier au lecteur, oralement[2]. La phrase manque d'informations, et résiste à l'analyse, ne fournissant d'indicateurs ni de temps, « aujourd'hui » étant un marqueur relatif[3], ni d'un autre type. D'emblée, ce narrateur paraît détaché au lecteur, en montrant un certain agacement qui correspond mal à la gravité du moment. Cette impression sera encore, par la suite, celle qu'il fera devant la cour d'assises où il comparaîtra, annonçant déjà l'épilogue tragique.
Postérité
[modifier | modifier le code]Considérée comme l'une des plus célèbres phrases de la littérature française[4],[5], elle est l'objet d'études linguistiques ou analytiques[1],[6], et est utilisée de manière intertextuelle par plusieurs auteurs. Ainsi, en , dans « Je ne suis pas sortie de ma nuit »[a], Annie Ernaux y fait allusion en évoquant en ces termes la mort de sa mère : « La première fois que j'ai écrit “maman est morte”. L'horreur. Je ne pourrai jamais écrire ces mots dans une fiction. »[7] De même, en , dans le court roman Aimer à peine de Michel Quint[b], le narrateur français est désarçonné par une Allemande qui prononce cette phrase par référence à Camus, mais que lui ne reconnaît pas et prend au premier degré comme une confidence[8]. Enfin, en , Charles Berling publie un roman intitulé Aujourd'hui, maman est morte[9],[c] et, en , commence le tournage d'une adaptation au cinéma, avec une distribution composée de François Damiens, Ludivine Sagnier, Emmanuelle Riva et lui-même[10],[11].
Traduction
[modifier | modifier le code]En , The New Yorker publie un long article sur les difficultés de la traduction anglaise d'une phrase en apparence très simple[12],[13],[14] : quel mot utiliser pour « maman », dans quel ordre placer les mots, ou encore quel temps choisir.
Notes et références
[modifier | modifier le code]- Furukawa 2005.
- Jean-Luc Riffault, « Lettres : Lecture analytique 1 », sur lettres.ac-orleans-tours.fr, Académie d'Orléans-Tours (version du sur Internet Archive).
- Jean-François Jeandillou, L'analyse textuelle, Paris, Armand Colin, coll. « Cursus », , 192 p. (ISBN 2-200-01524-0, présentation en ligne).
- Bloom 2012, passage : « For the modern American reader, few lines in French literature are as famous as the opening of Albert Camus’s “L’Étranger” » (« Pour le lecteur américain moderne, peu de phrases dans la littérature française sont aussi célèbres que l'incipit de L'Étranger de Camus »).
- (de) Anne-Catherine Simon, « „Gegendarstellung“: Ein Araber kontert Camus », Die Presse, , passage « Wenige Romananfänge der Literatur sind so berühmt wie dieser » (« Peu de premières phrases sont aussi célèbres que celle-ci »).
- Cornille 1976.
- Yves Reuter, L'analyse du récit, Paris, Armand Colin, , 3e éd., 126 p. (ISBN 978-2-200-61389-1, lire en ligne).
- Annie Coppermann, « L'amour au rendez-vous de l'Histoire », Les Échos, .
- Françoise Dargent, « Charles Berling : les secrets de ma mère », Le Figaro, (consulté le ).
- Samya Yakoubaly, « Charles Berling, son fils Emile : 'Un jeune homme doit se confronter à son père' », sur Pure People, , d'après Version Femina, .
- Marc-André Lussier, « Ludivine Sagnier dans Tristesse Club: triangle familial », La Presse, .
- Bloom 2012.
- Glanert 2019.
- Bérengère Viennot, « Aujourd'hui, mother est morte », sur Slate, .
Références des romans cités :
- Annie Ernaux, « Je ne suis pas sortie de ma nuit », Paris, Gallimard, , 109 p. (ISBN 2-07-074788-3), p. 109.
- Michel Quint, Aimer à peine, Paris, Joëlle Losfeld, coll. « Arcanes », , 76 p. (ISBN 2-84412-115-2).
- Charles Berling et Sophie Blandinières (collab.), Aujourd'hui, maman est morte, Paris, Flammarion, , 179 p. (ISBN 978-2-08-125518-0, 978-2-08-127752-6 et 978-2-08-127753-3, lire en ligne).
Voir aussi
[modifier | modifier le code]Bibliographie
[modifier | modifier le code]- Naoyo Furukawa, chap. 10 « Aujourd'hui, maman est morte : Localisateur temporel ou élément thématique ? », dans Pour une sémantique des constructions grammaticales : Thème et thématicité, Bruxelles/Paris, De Boeck Supérieur, coll. « Champs linguistiques / Recherches », , 197 p. (ISBN 978-2-8011-1360-8), p. 165–180 [lire en ligne].
- Jean-Louis Cornille, « Blanc, semblant et vraisemblance sur l'incipit de L'Étranger », Littérature, no 23 « Paroles du désir », , p. 49–55 (DOI 10.3406/litt.1976.1121, lire en ligne).
Sur la traduction en anglais de la première phrase :
- (en) Ryan Bloom, « Lost in Translation: What the First Line of “The Stranger” Should Be », The New Yorker, .
- Simone Glanert, « 'Aujourd’hui, maman est morte' : Traduction littéraire et droit comparé », Revue Droit et Littérature, no 4, , § I, p. 373–378 [lire en ligne] [lire en ligne] (DOI 10.3917/rdl.004.0371).
Articles connexes
[modifier | modifier le code]- Philosophie d'Albert Camus
- « Longtemps, je me suis couché de bonne heure » : incipit du roman Du côté de chez Swann de Marcel Proust.
Liens externes
[modifier | modifier le code]- « Albert Camus lit un extrait de "L'étranger" », Pages françaises, sur SoundCloud, Institut national de l'audiovisuel, .