Claude Bouche Salomon Et Saba
Claude Bouche Salomon Et Saba
Claude Bouche Salomon Et Saba
Claude Boucher
PropoSages
12 décembre 2012
Présentation PropoSages 1
La visite que rendit la reine de Saba au roi Salomon n’occupe
dans la Bible que onze versets du chapitre 10 du Ier livre des
Rois.
Et pourtant, depuis qu’elle fut rédigée au VIe siècle avant notre
ère ― donc plusieurs siècles après les événements qu’elle
prétend raconter ― cette fastueuse visite n’a jamais cessé
jusqu’à nos jours d’exciter l’imagination des artistes : peintres,
musiciens, écrivains, qui se sont laissé inspirer par ce fascinant
récit.
Ce sont les échos jamais assourdis de ce texte que cette
conférence se propose de vous faire entendre.
Présentation PropoSages 2
Le titre :
La Bible lue sous les regards de l’art et de la raison
Raison :
Placer l’analyse et l’interprétation de la Bible sous
l’éclairage de la rationalité contemporaine : exégèse
éclairée par l’histoire, l’archéologie et la science
Art :
Faire ressortir l’extrême fécondité des textes bibliques,
qui ont sans cesse inspiré jusqu’à nos jours la production
culturelle du monde occidental
Présentation PropoSages 3
Ier livre des Rois
Raconte la mort de David, l’accession au trône de son fils Salomon
et, après sa mort, la division en deux royaumes : Israël au nord,
Juda au sud.
Chronologie traditionnelle
vers ~970 : Salomon accède au trône
vers ~931 : schisme
Présentation PropoSages 4
VIE DE SALOMON
intrigues de sa mère pour qu’il devienne roi
doit lutter pour assurer son trône contre ses demi-frères qui
avaient un droit de préséance
sa réputation de sagesse : jugement exemplaire
mais, si l’on en croit le texte, son règne aurait été marqué par la
démesure :
il avait 700 épouses et 300 concubines
son empire s’étendait de l’Euphrate jusqu’à la frontière de
l’Égypte
les rois voisins lui payaient un tribut et le servirent tous les jours
de sa vie
Présentation PropoSages 5
Vie de Salomon (suite)
les enfants de Juda et d’Israël étaient aussi nombreux que les grains
de sable au bord la mer, et ils vivaient dans la paix jouissant des
plaisirs de la vie
répercussions géopolitiques actuelles
à Jérusalem, l’argent était aussi abondant que les pierres
Salomon possédait une flotte qui parcourait les mers environnantes
et rapportait des quantités invraisemblables d’or
avec l’aide de Hiram, roi de Tyr (Liban), il fit construire le temple de
Jérusalem et son palais.
Présentation PropoSages 6
La reine de Saba
Présentation PropoSages 8
La reine de Saba - suite
Le IIe livre des Chroniques reprendra à peu près dans les mêmes
termes ce récit. Matthieu (12, 42) et Luc (11, 31) l’appelleront la
Reine du Sud.
D’où venait-elle ?
deux principales hypothèses ont été élaborées :
elle venait :
a) du Yémen au sud-ouest de la péninsule Arabique
b) de l’Éthiopie
ces deux territoires sont à peu près situés à la même latitude et
sont séparés par la mer Rouge
Présentation PropoSages 9
La reine de Saba - suite
a) les Sabéens (peuple bien identifié historiquement) habitaient la Felix Arabia
(l’Arabie heureuse), région fertile de la péninsule Arabique, par opposition
aux régions désertiques du reste de l’Arabie.
Mais les Sabéens n’entrent dans l’histoire qu’au ~VIII e siècle, donc bien après
le moment où Salomon aurait régné
b) des légendes qui circulent dans l’Église copte éthiopienne affirment que
Ménélik Ier, premier roi éthiopien, serait né des amours de Salomon et de la
reine de Saba
Présentation PropoSages 10
Hailé Sélassié, le dernier roi éthiopien, déposé par un coup
d’État en 1974, affirmait être le 125e successeur de Ménélik
Ces croyances confortèrent les prétentions au trône des rois
éthiopiens, mais ne constituent pas une preuve historiquement
irréfutable de cette prétention
Ce qui est certain :
◦ il existait naguère en Éthiopie un groupe qui s’appelait les Bet
Israël (maison d’Israël) et qui se disait d’origine juive
◦ les autres Éthiopiens les appelaient les Falashas (exilés ou
immigrés)
Présentation PropoSages 11
Le Coran (sourate 27, intitulé Les Fourmis, v. 22 – 44) raconte la visite
de la reine de Saba au roi Salomon (appelé Sulayman)
Le récit coranique diffère appréciablement du récit biblique.
La reine et son peuple sont présentés comme des idolâtres qui
adorent le Soleil plutôt que Dieu.
Le verset 44 propose un pieux happy end.
Éblouie par la splendeur du palais de Salomon et par la vérité qui
émane de lui, la reine s’écrie :
« Seigneur, je me suis fait tort à moi-même. Désormais, je me
soumets avec Sulayman à Allah, maître de l’univers. »
Le sol devant le trône royal était en cristal ; croyant que c’était de
l’eau, la reine souleva sa robe pour ne pas se mouiller en
s’approchant du trône.
Selon des légendes arabes, des ragots étaient parvenus aux oreilles du
roi, affirmant que la reine avait des jambes velues qui se terminaient
en sabots d’animal.
Par le reflet de ce plancher de cristal, le roi put se rincer l’œil et en
avoir le cœur net : la reine de Saba avait de belles jambes tout à fait
normales.
Présentation PropoSages 12
Cette sourate 27 est mêlée d’éléments magiques :
Présentation PropoSages 13
Quel était le nom de la reine de Saba ?
Ni la Bible, ni le Coran ne le mentionnent.
Selon un hadith [commentaire des actes et des paroles de
Mahomet], elle s’appelait Balkis ou Bilqis.
Les Éthiopiens l’appellent Makeda.
Flavius Joseph (Antiquités juives, VIII, 6 : 5) la nomme Nicaulis et
prétend qu’elle régnait sur l’Égypte et l’Éthiopie.
Une légende perse prétendait qu’elle était la fille d’un roi de
Chine et d’une péri.
Ce personnage mystérieux ne pouvait que stimuler la créativité
des artistes à venir, dans tous les domaines : beaux-arts,
musique et littérature.
Présentation PropoSages 14
LA LITTÉRATURE
Le Ier livre des Rois, où l’on trouve le récit de la vie de
Salomon et de la visite de la reine de Saba, acquit à peu près
la forme sous laquelle nous le connaissons vers la fin du ~VIe
siècle à la suite de rédactions successives de documents
antérieurs aujourd’hui disparus.
On soupçonne que se trouvent à la source de maints épisodes
qu’on y lit des récits folkloriques d’origine populaire.
Il en sera de même de la sourate coranique numéro 27 dite
Les fourmis.
Par la suite, les commentateurs juifs, byzantins, arabes,
persans, éthiopiens et les auteurs occidentaux broderont au
gré de leur imagination autour du personnage de cette
mystérieuse reine.
Présentation PropoSages 15
Boccace (Giovanni Boccacio) (1313 – 1375), auteur du
Décaméron, écrit en 1361 – 1362 De mulieribus claris (Des
dames de renom), un recueil de 106 biographies de femmes
réelles ou imaginaires.
au 43e rang, on trouve la biographie de Nicaula, reine
d’Éthiopie
on dit qu’elle habitait l’île de Méroé sur le Nil, qu’elle était
aussi reine d’Arabie et d’Égypte, qu’elle était
originaire d’une région appelée Saba et qu’elle rendit
visite au roi Salomon
Présentation PropoSages 16
Kebra Nagast (La Gloire des Rois) récit épique rédigé en guèze,
datant du XIVe siècle
porte sur la rencontre de Salomon et de Makeda et sur le roi
Ménélik, le fils qui serait né de cette rencontre
sans fondement historique, mais il a permis aux souverains
éthiopiens d’affermir leur autorité et de donner une assise
culturelle et religieuse à leur peuple
nous apprend comment l’Arche d’Alliance fut, par des moyens
magiques, transportée d’Israël en Éthiopie, ce qui assurera, le
temps venu, la suprématie spirituelle de l’Éthiopie sur le
royaume d’Israël, tout comme lui sera soumis l’empire de Rome
on y trouve des citations extraites de l’Ancien et du Nouveau
Testament, des Pères de l’Église et des auteurs talmudiques,
ainsi que des légendes qui coururent dans les folklores juif et
musulman
bref, c’est une macédoine rédigée par des compilateurs
imaginatifs et patients
Présentation PropoSages 17
Au début des années 1930 naît en Jamaïque un mouvement
religieux appelé rastafari.
Ses adeptes révèrent l’empereur Hailé Sélassié comme une
réincarnation de Jésus, le fils de Dieu.
Ils rejettent la société occidentale, surnommée Babylone, tandis
que l’Afrique, et plus particulièrement l’Éthiopie, est appelée
Sion et proclamée le berceau de l’humanité.
C’est là, croient-ils, qu’était situé le paradis terrestre .
Ces croyances se répandirent à la faveur de la popularité de la
musique reggae.
Elles alimentèrent les revendications de divers groupes radicaux,
comme les suprémacistes noirs américains et suscitèrent auprès
des adolescents du monde entier, au grand dam de parents
horrifiés, des modes capillaires ou vestimentaires excentriques.
Il existerait à l’heure présente à travers le monde plus d’un
million d’adeptes rastafariens dont près de cent mille en
Jamaïque, le pays où naquit ce mouvement.
Présentation PropoSages 18
Jean de Meung (1250 -1305), le second auteur du Roman de la
Rose (vers 1275), avait écrit une œuvre misogyne, où il opposait
Amour à Nature et Raison.
Influencée par Boccace, pour répondre aux auteurs misogynes,
Christine de Pisan (1363 – 1430) écrivit en 1405 La Cité des
Dames, où, entourée de Raison, Droiture et Justice, elle entend
défendre les femmes contre les calomnies dont elles sont
l’objet.
Elle trace le portrait de femmes qui, au cours de l’histoire, ont
honoré leur état par leur courage, leur science, leur hardiesse,
leur vertu.
Parmi ces femmes, elle mentionne l’impératrice Nicaule,
descendante des Pharaons, qui régna sur un empire qui
comprenait l’Arabie, l’Éthiopie, l’Égypte et Méroé, où « toute
richesse abonde et qu’elle gouverna avec une sagesse
exemplaire. […] Elle fut si sage et son empire si grand que
même l’Écriture sainte fait état de sa grande puissance. »
Présentation PropoSages 19
1531, Francfort , auteur inconnu
Zwolff Sibylle Weissagungen. Die Kunigin von Saba, Kung Solomo
gethane Propheccie
(Douze propos de sagesse des sibylles. La reine de Saba, le roi
Salomon d’après les prophéties)
Présentation PropoSages 21
En 1843, Gérard de Nerval (1808 – 1855) entreprend un long
voyage qui le mènera en Égypte, au Levant et dans l’Empire
ottoman.
Dans le récit de ce voyage publié en 1853 sous le titre Voyage
en Orient, il insère un hors-d’œuvre intitulé Histoire de la
reine du matin et de Soliman, prince des génies .
Cet épisode met en scène un conteur populaire qui, à Istamboul,
durant une douzaine de nuits de ramadan, raconte cette histoire.
Ce récit inspirera le livret de l’opéra de Gounod : La Reine de
Saba.
Nerval se permet quelques variantes et quelques malices à l’égard
des récits reçus de la Bible et du Coran.
Si Salomon parvient aussi facilement à résoudre les énigmes de la
reine, c’est parce que Sadoc, le grand-prêtre du roi hébreu en a
payé rubis sur l’ongle les solutions au grand-prêtre des Sabéens.
Présentation PropoSages 22
Mais comment Soliman ne serait-il pas amoureux d’une reine
décrite en ces termes :
Présentation PropoSages 23
Après les hommages réciproques, la conversation s’engage et la
reine met Soliman en boîte en relevant les contradictions qui
parsèment ses écrits.
Dans l’Écclésiaste, dit-elle, vous blâmez les paresseux, puis,
plus loin, vous vous écriez : « Que retirera l’homme de tous ses
travaux ? Ne vaut-il pas mieux manger et boire ? L’industrie est
une inquiétude inutile, puisque les hommes meurent comme les
bêtes et leur sort est le même. » Vous invitez votre peuple à
jouir de la vie chaque jour avec des femmes, car il vous sied
d’abrutir votre peuple afin de commander plus sûrement à des
esclaves. Dans le Cantique, vous chantez joyeusement les
charmes de la Sulamite, alors que, dans l’Ecclésiaste, vous
écrivez : « La femme est plus amère que la mort ; son cœur est
un piège et ses mains sont des chaînes. Le serviteur de Dieu la
fuira, et l’insensé y sera pris. »
Au temps où Nerval écrivait, les exégètes croyaient presque tous
que Salomon était l’auteur du livre de l’Ecclésiaste et du
Cantique des cantiques, d’où ces citations sont extraites.
Présentation PropoSages 24
Le récit que Nerval met dans la bouche de ce conteur s’alimente à
des sources très diverses : la Bible, le Coran et les folklores du
Proche et du Moyen-Orient.
De nombreux éléments magiques sont mêlés au récit.
La sourate 27 (Les Fourmis) exploitait déjà cette veine : Soliman
commandait aux oiseaux dont il connaissait le langage.
Le cours du texte de Nerval n’empruntera pas la voie heureuse que
d’autres courants narratifs prêtaient à cette rencontre entre la
reine du Midi et le roi d’Israël.
La reine ne sera jamais éprise de Soliman. Elle soupçonne que
l’intérêt qu’il lui porte ne vient que de son ambition d’adjoindre à
son empire le royaume de Saba.
Après tout, qu’est-il ce vaniteux Soliman ?
Son père ne descend-il pas d’une aventurière moabite, et n’est-il
pas le fils du berger
Daoud et de Bethsabée, la veuve adultère du centurion Urie ?
Elle deviendra amoureuse d’Adoniram qui vient d’une longue
succession d’artisans, d’artistes et de créateurs.
Présentation PropoSages 25
Dans La tentation de saint Antoine (version définitive 1874) de
Gustave Flaubert (1821 – 1880), la séduisante reine apparaît
dans les fantasmes délirants de l’ermite. Elle lui dit :
Ah ! bel ermite ! bel ermite ! mon coeur défaille ! À force de
piétiner d’impatience il m’est venu des calus au talon, et j’ai
cassé un de mes ongles ! J’envoyais des bergers qui restaient sur
les montagnes la main étendue devant les yeux, et des
chasseurs qui criaient ton nom dans les bois, et des espions qui
parcouraient toutes les routes en disant à chaque passant :
« L’avez-vous vu ? » La nuit, je pleurais, le visage tourné vers la
muraille. Mes larmes, à la longue, ont fait deux petits trous dans
la mosaïque, comme des flaques d’eau de mer dans les rochers,
car, je t’aime ! Oh ! oui ! beaucoup !
Présentation PropoSages 26
Léopold Sédar Senghor (1906 - 2001), le grand écrivain et
homme d’État sénégalais, écrivit une radieuse Élégie pour la
reine de Saba (parue en 1978 à la fin des Élégies majeures)
Pour Senghor, cette reine symbolise le peuple noir et l’Afrique
tout entière.
Elle incarne le concept de négritude – essence de la culture noire
– dont il se fit par ses discours et ses actions le porte-parole,
l’illustrateur et l’ambassadeur.
À ses yeux, la négritude apparaissait comme la voix privilégiée
pour toute personne de race noire d’accéder à l’universel.
Dans cette élégie au ton sensuel, où s’élève la voix du séducteur
séduit, l’auteur retrouve l’éblouissant lyrisme du Cantique des
cantiques.
Présentation PropoSages 27
Et la plus belle est la fille du Roi des rois, la Reine-Enfant, reine du
Sud ombreux et du matin en l’an de l’ascension. Son nom est cousu
dans les bouches : j’en donne les masques mouvants. Elle a l’éclat
du diamant noir et la fraîcheur de l’aube, et la légèreté du vent.
Comme l’antilope volante elle bondit au-dessus des collines, et son
talon clair dans l’air est un panache de grâce
Séduit par les rêves d’une adolescence qui refusait de le quitter,
André Malraux (1901 – 1976) entreprenait au début de 1934 de
découvrir loin au nord du Yémen les ruines prétendument
grandioses de la capitale de la reine de Saba.
L’auteur du Royaume farfelu était en quête d’une nouvelle source
d’inspiration.
Présentation PropoSages 28
À cette époque, le pays est parcouru par des tribus hostiles, et seul
un avion permettrait, croit-il, sur la foi de cartes qui se contredisent
et de récits anciens, d’aller chercher, au voisinage de Marib, cette
hypothétique capitale.
Malraux parvient à convaincre un ancien pilote de guerre, qui
convainc à son tour le propriétaire d’un monomoteur dernier cri de
lui prêter son aéroplane (comme on disait alors).
On recrute un mécanicien averti, indispensable en cas de pannes ou
d’avaries.
Le quotidien L’Intransigeant accepte de publier les reportages de
Malraux – il y en aura sept – et met à sa disposition des appareils qui
se prêteront à la prise de photos aériennes.
Le trio part vers Le Caire, où Malraux prononce une conférence de
presse devant les archéologues, historiens ou géographes français
résidant en Égypte.
Présentation PropoSages 29
Les experts tentent de le dissuader : la reine de Saba est un personnage
légendaire qui aurait vécu bien avant l’époque où les Sabéens entrèrent
dans l’histoire. Autant partir à la recherche du château de la fée Mélusine !
Tel que nous le connaissons, le livre des Rois, où sa visite au roi Salomon
est brièvement mentionnée, fut rédigé au moins trois cents ans après les
événements qu’il prétend raconter dans le but évident d’exalter la figure
d’un roi que la durée, la rumeur et l’imagination populaire avaient grandi,
puis que des impératifs politiques avaient, à des fins de propagande,
monté en épingle.
Malraux n’entend pas les choses de cette oreille.
Pour lui, comme l’écrit Olivier Todd, les choses ne sont ni vraies, ni
fausses, mais « vécues dans la réalité supérieure du fabuleux historique ».
Il s’agit de convaincre les autres avant de se convaincre soi-même. Ou
inversement.
Il ajoute aux mirages des sables du désert les mirages autrement
trompeurs de l’imagination
Présentation PropoSages 30
Il lui suffit de dissimuler la banalité du réel sous les
flamboyantes étoffes d’une prose qui éblouit. Car, en ce
domaine, il n’est pas à court de moyens :
Avec ses courtes broussailles d’où fusent, malgré la brume qui
nous entoure, les ombres du matin, la côte est encore pleine de
présences antiques et de démons. Comme au Tibet, comme en
Mongolie, comme en Perse, il y a ici du surnaturel. Ce n’est pas
pour rien que se sont réfugiées sur les neiges de l’Asie centrale
et dans le désert que nous cachent encore ces montagnes en
arrêt, les dernières grandes légendes du monde. […]
Présentation PropoSages 31
Depuis des années, Salomon avait fui Jérusalem. Asservis au sceau
dont le dernier caractère ne peut être lu que par les morts, ses
démons l’avaient suivi à travers le désert. Et dans la vallée de Saba,
le Roi qui avait écrit le plus grand poème du désespoir humain
regardait, mains croisées sous le menton et appuyées sur le haut
bâton de voyage, les démons qui depuis tant d’années élevaient le
palais de la Reine. Il ne gougeait plus jamais, montrant seulement de
l’index le sceau tout-puissant. Son ombre, chaque soir, s’étendait
jusqu’aux confins du désert. […] Un insecte vint, qui cherchait du
bois. Il vit le bâton royal, attendit, prit confiance, commença à le
forer. Bâton et roi tombèrent en poussière : le Seigneur du silence
avait voulu mourir debout pour asservir à jamais à la Reine tous les
démons qu’il gouvernait.
Présentation PropoSages 32
Au fil de la plume, le reporter archéologue s’était magiquement
transformé en poète mythologue.
En réalité, les photos aériennes rapportées de cette expédition
paraîtront peu convaincantes.
Malraux avait certes survolé au voisinage de Marib quelques oasis,
quelques ruines ensablées, quelques hameaux habités par
d’humbles bergers et caravaniers – les photos aériennes en font
foi –, mais il n’avait pas découvert les splendeurs évanouies de la
reine de Saba.
La plume exaltée de l’auteur du Miroir des limbes comble les
lacunes de la réalité.
Sans qu’aucune source connue ne vienne étayer cette description,
voici ce que devient le cortège de la reine :
[En entrant dans la Bible, la reine Balkis] y vient de l’inconnu, avec
son éléphant couvert de plumes d’autruche, ses cavaliers verts sur
des chevaux pie, sa garde de nains, sa flotte de bois bleu, ses
coffres couverts de peau de dragon, ses bracelets d’ébène […], ses
énigmes, sa légère claudication et son rire qui a traversé les
siècles.
Présentation PropoSages 33
Devant l’épitaphe de l’inexistant tombeau de la reine, il lit :
J’ai déposé son cœur enchanté sur des roses, et j’ai suspendu au
baumier une boucle de ses cheveux. Et celui qui l’aimait serre sur
son cœur la boucle, et s’enivre de tristesse en la respirant…
La civilisation des Sabéens nous a, il est vrai, laissé des ruines
impressionnantes qui ont valu au site archéologique de l’ancienne
Marib l’honneur d’être classé par l’UNESCO au rang des trésors
culturels de l’humanité.
Mais ces ruines sont bien postérieures au moment où aurait vécu la
reine de Saba, et ce n’est pas André Malraux qui les explorées.
Alors que, chez Malraux, un insecte innommé gruge le bâton du roi
en une durée indéterminée, mais manifestement brève, dans la
narration de Nerval, Soliman, afin de se protéger contre leur
voracité, conjure (au sens magique du mot) tous les insectes.
Présentation PropoSages 34
À l’exception du plus petit d’entre eux qu’il avait oublié : le ciron.
Soliman, sentant la perte de ses forces, se retira dans un palais
inaccessible construit par ses djinns et s’endormit sur un trône d’or
et d’ivoire porté par quatre piliers de chêne. Ce sommeil dura des
siècles. Le ciron s’avança mystérieux… invisible… Il s’attacha à l’un
des piliers qui soutenaient le trône, et le rongea lentement,
lentement, sans jamais s’arrêter. L’ouïe la plus subtile n’aurait pas
entendu gratter cet atome, qui secouait derrière lui, chaque année,
quelques grains d’une sciure menue. Puis tout à coup le pilier rongé
fléchit sous le poids du trône, qui s’écroula avec un fracas énorme.
Ce fut le ciron qui vainquit Soliman et qui le premier fut instruit de
sa mort ; car le roi des rois précipité sur les dalles ne se réveilla
point.
Présentation PropoSages 35
Le Coran décrit en ces termes la mort de Soliman :
Lorsque nous eûmes décrété sa mort, les Djinns ne s’aperçurent
pas de son décès, avant que la Bête de la terre ayant rongé son
bâton, son corps ne s’écroulât.
(Sourate 34, v. 14).
Tandis que la Bible plus sobrement décrit sa mort par ces mots :
La durée du règne de Salomon sur tout Israël fut de quarante
ans. Puis Salomon se coucha avec ses pères et on l’enterra dans
la Cité de David, son père, et son fils Roboam régna à sa place.
(I Rois, 11, 42 – 43)
Présentation PropoSages 36
Marek Halter (1936 - ), écrivain d’expression française d’origine
polonaise, entreprit à partir de 2003 de rédiger des biographies
romancées de femmes de la Bible. L’une d’elles fut la reine de
Saba.
Lorsqu’il écrit cette biographie, l’auteur se laisse inspirer par la
Bible, le Coran, les folklores de ces régions et les œuvres
littéraires qui l’ont précédé.
Mais, quoi qu’il prétende dans sa 4e de couverture, il ne s’est
pas laissé guider par les « dernières fouilles archéologiques ».
L’auteur prête à l’histoire et à l’archéologie des dos
suffisamment larges pour permettre à son imagination de se
déployer sans contraintes.
Il la voit noire et, dans un geste digne de Salomon, partage le
royaume de la reine entre l’Afrique et l’Asie en le situant de part
et d’autre des deux rives de la mer « Pourpre ».
Il appelle la reine Makéda et sa mère Bilqîs.
Présentation PropoSages 37
Le récit est divisé en cinq parties et un bref épilogue.
Les quatre premières parties se déroulent tour à tour en Arabie
méridionale et à Axoum, la capitale africaine du royaume.
Cette ville d’Éthiopie fut, à partir du Ier siècle, le centre politique
et religieux d’un royaume qui s’étendait sur les deux rives de la
mer Rouge, mais rien ne permet de faire remonter l’histoire de
ce pays, jusqu’au temps où cette reine aurait vécu.
La cinquième partie du roman portera enfin sur la rencontre
attendue entre Makéda et le roi d’Israël et de Juda.
Grâce au plancher cristallin du palais de Salomon, nous serons à
nouveau éclairés sur les racontars mensongers qui avaient couru
sur l’apparence des jambes de la jeune reine.
Soulevant sa tunique afin de passer sans trop se mouiller ce qui
lui apparaissait comme un bassin d’eau, elle révéla au roi les
chevilles, les mollets et les pieds les plus ravissants du monde.
Présentation PropoSages 38
Salomon résolut avec facilité toutes les énigmes que la reine lui
proposa.
On dit de toi que tu es le maître des oiseaux. Connais-tu cet oiseau
qui n’a ni chair, ni sang, ni plumes, ni duvet ? Jamais on ne sait s’il
est mort ou vif, car il demeure immobile dans sa couleur d’or et de
lait.
- Reine du Midi, tu me parles d’un œuf ! […]
- Quel est ce frôlement qui est le rien, ce rien qui n’a même pas
l’apparence d’une fumée et pourtant qui emplit jusqu’à éclater celui
qui le perçoit ?
- Le désir du désir, belle du Midi, toi qui devant mes yeux es montée
du désert en colonnes de fumée.
Présentation PropoSages 39
Et c’est à la suite de cette épreuve que durant trois nuits et deux
jours ils s’aimèrent sans quitter la chambre où ils s’étaient
réfugiés, et c’est ainsi que Ménélik fut conçu, et que par la suite
la reine revint en son royaume, ayant accepté YaHWeH pour son
dieu.
Dix-sept ans plus tard, à l’instigation de sa mère, le fils rend
visite à son père qui lui remet l’Arche d’Alliance et les rouleaux
de la Torah qu’elle contient.
Présentation PropoSages 40
La trace de cette Arche sera perdue jusqu’à ce que l’archéologue de
choc, Indiana Jones, bravant les traquenards de la Gestapo,
parvienne, aidé par la ravissante Marion Belloq, à ravir l’Arche à la
soldatesque nazie qui convoitait le précieux objet.
Autrement dit, par la vertu de l’imaginaire de M. Halter aidé par celui
de MM. Spielberg et Lucas, si vous savez mettre une sourdine à votre
raison critique, en lisant La reine de Saba et en visionnant Les
Aventuriers de l’Arche perdue, vous risquez de passer quelques
moments de suspense agité.
Présentation PropoSages 41
Salomon auteur et magicien
La tradition attribuait à Salomon la rédaction de nombreux
psaumes et d’ouvrages de la Bible comme les livres de
l’Ecclésiaste, des Proverbes, de la Sagesse, ainsi que du Cantique
des cantiques.
Les exégètes sérieux d’aujourd’hui se gardent bien d’affirmer de
telles attributions.
On lui attribuait aussi la rédaction d’ouvrages apocryphes
comme le Testament de Salomon, qui décrit comment le roi
construisit le Temple de Jérusalem en commandant à des
démons par le moyen d’un anneau magique que lui avait remis
l’archange Michel.
Dans ses Antiquités juives (VIII, ii, 5), Flavius Josèphe prétend
que Dieu avait accordé à Salomon le don de combattre les
démons afin de guérir les êtres humains des maladies dont ils
sont atteints.
Présentation PropoSages 42
Salomon auteur et magicien
Ces traitements consistaient essentiellement en incantations et en
exorcismes destinés à chasser les démons qui hantaient les malades
et causaient les maladie
Le Testament de Salomon a donné naissance à une avalanche de
grimoires de pensée magique dont le plus célèbre est appelé La clé
de Salomon.
Selon l’introduction, cet ouvrage aurait été écrit par Salomon à
l’intention de son fils Roboam, à qui il avait commandé de cacher le
manuscrit dans son tombeau.
Longtemps après, le livre fut retrouvé par des philosophes
babyloniens chargés de réparer le tombeau.
Mais nul ne parvint à le déchiffrer. L’un d’eux suggéra d’invoquer le
Seigneur.
Un ange leur apparut qui accepta d’en révéler la signification à une
condition : que le texte demeure caché aux yeux des indignes et des
méchants.
Présentation PropoSages 43
Rien de cela n’est historiquement fondé.
La plus ancienne version de La clé de Salomon que nous possédons
fut rédigée en latin vers le XVe siècle à partir d’écrits empruntés aux
alchimistes arabes et aux kabbalistes juifs [partisans d’une
interprétation symbolique et allégorique de la Bible].
On y trouve des conjurations et des invocations destinées à forcer
les démons et les esprits des morts à réaliser les vœux des
magiciens pour leurs propres avantages ou ceux de leurs clients :
retrouver des objets perdus, devenir invisible, être comblé de
richesses, obtenir les faveurs des personnes de l’autre sexe, etc.
Présentation PropoSages 44
Une des tartes à la crème de ce type de documents est le pentacle
de Salomon, une étoile à cinq ou six branches – c’est selon ! –
entourée de symboles divers. Chaque semaine, des hebdos
populaires continuent à proposer sans vergogne de pareils leurres à
des régiments de gobe-mouches.
En revanche, si, sans être le moins du monde dupes des
exploiteurs de cette richesse naturelle inépuisable qu’est la
crédulité humaine, nous nous laissons sciemment emporter par
l’ivresse et l’enchantement que procurent ces contes forgés au
cours des âges par l’imaginaire de l’Orient, nous goûterons à des
joies sans pareilles.
Des légendes, qui coururent au Moyen Âge tant chez les juifs que
chez les musulmans et les chrétiens, faisaient état, sous le nom de
sceau de Salomon, d’un anneau magique qui, entre autres vertus,
assurait la puissance du roi et le rendait invisible.
Présentation PropoSages 45
Mais, soit qu’il eût égaré cet anneau, soit qu’il en eût été
temporairement dépossédé, il se vit ravir sa royauté et dut entreprendre
une longue errance appuyé sur un bâton, le seul bien qui lui fût
demeuré.
Durant ce temps, un démon, qui avait pris l’apparence du roi, occupa
le trône d’Israël et de Juda. Le Coran se fera l’écho de ces légendes. On
peut y lire (Sourate 38, 34 – 38) :
Oui, nous avons éprouvé Sulayman en plaçant un fantôme sur son
trône, mais il se repentit par la suite. Il dit : « Seigneur, pardonne-moi.
Accorde-moi un royaume tel qu’il n’en existera plus pour personne
après moi. Tu es en vérité le continuel Donateur. » Nous lui avons
soumis les vents qui soufflaient doucement sur son ordre là où il les
dirigeait, et tous les démons constructeurs et plongeurs.
Présentation PropoSages 46
Dans des légendes arabes, l’esprit qui dépouille Salomon de son
anneau et de sa puissance s’appelle Sakhr, le démon de la Mer. Il
était parvenu à s’emparer de cet anneau en séduisant l’une des
innombrables femmes du roi, à la suite de quoi il aurait régné à
sa place durant quarante jours (certaines sources disent
quarante ans), tandis que Salomon errait dans la plus
douloureuse misère.
Mais, un jour, Sakhr avait, par négligence, jeté l’anneau dans la
mer. Un poisson, qui passait par là avala l’anneau ; un pêcheur
captura le poisson et le servit par pitié à Salomon qui mourait de
faim. C’est ainsi que le roi dépouillé reprit possession de
l’anneau magique et put sans peine chasser le démon
usurpateur et remonter sur son trône.
Ce motif de l’objet jeté à la mer et retrouvé de manière fortuite
apparaîtra dans maintes œuvres littéraires.
Présentation PropoSages 47
CONTES DES MILLE ET UNE NUITS
Présentation PropoSages 48
Quand il eut descellé le vase, une immense fumée s’en échappa qui,
en se condensant, se transforma en un éfrit dont les pieds traînaient
dans la poussière et la tête touchait aux nuages.
Ce djinn s’était rebellé contre le Très-Haut et contre son serviteur, le
roi Soleïman. Pour le punir, le roi l’avait enfermé dans ce vase et le
génie, pour se venger de cet enfermement, qui avait duré plus de
mille huit cents années, s’était promis de faire périr la première
personne qui viendrait le délivrer.
Afin d’échapper au sort qu’il lui réservait, le pêcheur mit en doute le
récit de l’éfrit et affirma qu’il ne croyait pas, alors qu’il était si grand,
qu’il ait pu tenir tout entier dans ce vase.
« Est-ce que, par hasard, tu en douterais ? » dit l’éfrit. Ce à quoi le
pêcheur répondit : « En effet, je ne le croirai jamais, à moins de te
voir de mes propres yeux entrer dans le vase ! »
Présentation PropoSages 49
À ce moment, Schéhérazade vit apparaître le jour et cessa son récit,
afin que chacun put vaquer à ses tâches journalières.
Mais, quand la quatrième nuit fut venue…
Tout en se lamentant sur son misérable sort, il jeta une quatrième
fois – ce serait la dernière pour ce jour – son filet dans les eaux.
Après qu’il eut à grand-peine dégagé son filet, qui était empêtré
dans les rochers, il en retira un vase de cuivre dont l’embouchure
était fermée par un couvercle de plomb marqué du sceau du grand
Soleïman, fils de Daoud.
Quand il eut descellé le vase, une immense fumée s’en échappa qui,
en se condensant, se transforma en un éfrit dont les pieds traînaient
dans la poussière et la tête touchait aux nuages.
Présentation PropoSages 50
Ce djinn s’était rebellé contre le Très-Haut et contre son serviteur, le
roi Soleïman. Pour le punir, le roi l’avait enfermé dans ce vase et le
génie, pour se venger de cet enfermement, qui avait duré plus de
mille huit cents années, s’était promis de faire périr la première
personne qui viendrait le délivrer.
Dans l’espérance d’échapper au sort qu’il lui réservait, le pêcheur
mit en doute le récit de l’éfrit et affirma qu’il ne croyait pas, alors
qu’il était si grand, qu’il ait pu tenir tout entier dans ce vase.
« Est-ce que, par hasard, tu en douterais ? » dit l’éfrit. Ce à quoi le
pêcheur répondit : « En effet, je ne le croirai jamais, à moins de te
voir de mes propres yeux entrer dans le vase ! »
Présentation PropoSages 51
À ce moment, Schéhérazade vit apparaître le jour et cessa son récit,
afin que chacun put vaquer à ses tâches journalières.
Mais, quand la quatrième nuit fut venu
Tout en se lamentant sur son misérable sort, il jeta une quatrième
fois – ce serait la dernière pour ce jour – son filet dans les eaux.
Après qu’il eut à grand-peine dégagé son filet, qui était empêtré
dans les rochers, il en retira un vase de cuivre dont l’embouchure
était fermée par un couvercle de plomb marqué du sceau du grand
Soleïman, fils de Daoud.
Quand il eut descellé le vase, une immense fumée s’en échappa qui,
en se condensant, se transforma en un éfrit dont les pieds traînaient
dans la poussière et la tête touchait aux nuages.
Présentation PropoSages 52
Ce djinn s’était rebellé contre le Très-Haut et contre son serviteur, le
roi Soleïman. Pour le punir, le roi l’avait enfermé dans ce vase et le
génie, pour se venger de cet enfermement, qui avait duré plus de
mille huit cents années, s’était promis de faire périr la première
personne qui viendrait le délivrer.
Afin d’échapper au sort qu’il lui réservait, le pêcheur mit en doute le
récit de l’éfrit et affirma qu’il ne croyait pas, alors qu’il était si grand,
qu’il ait pu tenir tout entier dans ce vase.
« Est-ce que, par hasard, tu en douterais ? » dit l’éfrit. Ce à quoi le
pêcheur répondit : « En effet, je ne le croirai jamais, à moins de te
voir de mes propres yeux entrer dans le vase ! »
À ce moment, Schéhérazade vit apparaître le jour et cessa son récit,
afin que chacun put vaquer à ses tâches journalières.
Mais, quand la quatrième nuit fut venue…
Présentation PropoSages 53
Au nombre des histoires inspirées par l’anneau de Salomon,
l’une des plus amusantes est sortie de la plume de Rudyard
Kipling. Elle est intitulée Le papillon qui tapait du pied (The
Butterfly that stamped) et provient d’un recueil intitulé Histoires
comme ça (Just So Stories) publié en 1902.
Écoutons l’auteur :
Il existe trois cent cinquante-cinq histoires sur Suleiman-bin-
Daoud, mais celle-ci n’en fait pas partie. Ce n’est pas l’histoire
du Vanneau qui découvrit l’Eau, ni de la Huppe qui protégeait de
la chaleur Suleiman-bin-Daoud. Ce n’est pas l’histoire du Pavé
en Verre, ni du Rubis avec le Trou de Travers, ni des Lingots
d’Or de Balkis.
C’est l’histoire du Papillon qui Tapait du Pied.
Présentation PropoSages 54
Des mille femmes qui composaient le harem de Suleiman, neuf cent
quatre-vingt-dix-neuf passaient leur temps à se quereller et à
casser les oreilles du roi avec leurs cris et leurs chamailleries.
Une seule, sa préférée, la Toute Belle Balkis, demeurait à l’écart de
ces disputes dont elle s’affligeait. Un jour, alors que le roi et Balkis
se promenaient dans les jardins du palais, ils aperçurent un couple
de papillons qui se disputaient.
Pour l’impressionner et affirmer son autorité, le papillon mâle disait
à sa compagne qu’il lui suffirait de taper du pied pour que le palais
et les jardins qui l’entouraient disparaissent instantanément.
Amusé par cette incroyable vantardise, Suleiman appela le papillon
qui vint se poser sur sa main. « Comment oses-tu, lui dit le roi,
raconter de pareilles balivernes à ton épouse, alors qu’en tapant du
pied tu ne pourrais même pas faire plier un brin d’herbe. – J’ai voulu
l’impressionner et la faire taire, car vous savez comment sont les
femmes », répondit le papillon.
Tout en riant à gorge déployée, le roi promit de l’aider s’il en
ressentait éventuellement le besoin.
Présentation PropoSages 55
Mais la reine, qui avait tout entendu, sortit du bosquet où elle
s’était cachée, et commanda à la papillonne :
« Viens ici, petite bonne femme. » Prenant son courage à deux ailes,
la petite bonne femme vint se poser sur la blanche main de Balkis.
La conversation s’engagea entre elles et la papillonne expliqua que,
sans être dupe, pour avoir la paix elle avait fait semblant de croire
son mari, en ajoutant : « Vous savez comment sont les hommes. »
Balkis lui suggéra de le mettre au défi d’accomplir sa menace la
prochaine fois qu’il la formulerait.
Quand l’épouse du papillon retrouva son mari, ils furent prompts à
reprendre leurs querelles et, pour la faire taire, le papillon mâle
menaça une nouvelle fois de taper du pied et de faire disparaître
jardins et palais. « C’est ça, tape du pied, tape, dit la papillonne. –
J’ai promis au roi de ne pas le faire et je ne peux pas briser ma
promesse. – Je n’en crois rien, tape, tape. »
Embarrassé, le papillon vint trouver le roi qui, en tournant l’anneau
magique qu’il portait au doigt, fit apparaître quatre énormes djinns
et il leur commanda, quand ils verraient le papillon taper du pied,
de faire disparaître palais et jardins.
Présentation PropoSages 56
Ainsi fut fait : la papillonne et les femmes du roi furent tellement
impressionnées par cet événement qu’elles se promirent de ne
jamais plus se quereller.
Kipling termine son récit pas ces mots :
Alors Suleiman-bin-Daoud se leva de son siège sous le
camphrier et dit : « Ô ma Dame et Douceur de mes Jours, […]
grâce à votre sagesse, j’ai accompli cette magie par amusement
à cause d’un petit papillon, et voilà qu’elle m’a délivré des
tracasseries de mes tracassières épouses. Dites-moi donc, ô ma
Dame et Cœur de mon Cœur, d’où vous vient tant d’habileté ? »
Et Balkis la Reine, belle et grande, plongea ses yeux dans les
yeux de Suleiman-bin-Daoud et, penchant un peu la tête sur le
côté comme faisait le papillon, elle dit : « C’est premièrement, ô
mon Seigneur, que je vous aime et deuxièmement, ô mon
Seigneur, que je sais comment sont les femmes. » Alors ils
remontèrent ensemble vers le palais et vécurent heureux
pendant très longtemps.
Présentation PropoSages 57
Comme on peut le constater, depuis les jours innombrables où,
à la veillée autour des bûchers de la nuit ,des conteurs
populaires narraient à de vaillants écouteurs et à de belles
écouteuses les exploits de bergers qui abattirent des géants
puis, après un temps d’épreuves, devinrent rois, les
personnages de David et de Salomon n’ont jamais manqué de
nourrir l’imaginaire des lignées diverses des enfants d’Abraham.
S’écartant d’une vénérable tradition qui attribuait à ces récits
une historicité littérale garantie par la voix du Ciel, au XXe siècle
des archéologues, des historiens, des exégètes contestèrent
l’authenticité de ces récits.
Il est vrai qu’il y a de nombreuses raisons de douter de cette
historicité. Mais, tout compte fait, l’authenticité des récits qui
furent inspirés par les personnages de David et de Salomon
importe moins que la féconde influence que leurs figures ont
exercée dans les cultures juive, perse, arabe et chrétienne.
Présentation PropoSages 58
Blaise Cendrars avait écrit en 1913 La prose du Transsibérien et
de la petite Jehanne de France.
Pierre Lazareff, le fameux journaliste français, lui demanda un
jour :
« Dis-moi franchement, Blaise, l’as-tu vraiment pris ce fameux
train ? »
Cendrars répondit sans hésiter : « Quelle importance cela a-t-il?
Ce qui est important, c’est qu’à vous je l’aie fait prendre ! »
FIN
Présentation PropoSages 59
BRÈVE BIBLIOGRAPHIE
Présentation PropoSages 60