SCPO_BOUSS_2019_01_0062
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Jacques de Maillard
Dans Références 2019 (5e éd.), pages 62 à 68
Éditions Presses de Sciences Po
ISBN 9782724625110
DOI 10.3917/scpo.bouss.2019.01.0062
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Voir aussi
Acteurs · Approche séquentielle · Approches cognitives · Blame avoi-
dance · Controverse · Effets d’information · Fenêtre d’opportunité ·
Forums · Groupe d’intérêt · Médias et politiques publiques · Pro-
blème public · Sociologie de l’action publique · Traduction
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Apprentissage
Provenant de la psychologie, et plus spécifiquement de la psychologie
cognitive, le terme « apprentissage » (learning) a fait l’objet d’une
utilisation dans les sciences sociales à partir des années 1960. En
France, c’est au sein de la sociologie des organisations que les pre-
miers usages explicites peuvent être repérés, même si le terme est
déjà présent de façon diffuse dans les travaux portant sur la sociali-
sation. Depuis, son usage s’est répandu dans plusieurs domaines des
sciences du politique (sociologie historique de l’État, développement
politique, relations internationales, voire intégration européenne). En
matière d’analyse des politiques publiques, le concept a permis de
contourner les impasses dans lesquelles s’enferraient un certain
nombre d’approches classiques qui abordaient les politiques publi-
ques uniquement à partir des rapports de force entre acteurs. C’est
principalement dans l’ouvrage de Hugh Heclo, consacré aux politi-
ques sociales en Grande-Bretagne et en Suède, qu’il est pour la pre-
mière fois opérationnalisé. Celui-ci démontre qu’il est nécessaire
d’introduire l’incertitude et la mobilisation des savoirs pour
comprendre la conduite des politiques publiques dans les sociétés
contemporaines : « Les gouvernements ne font pas qu’user du pou-
voir [not only power] [...], ils doutent [puzzle] également. Fabriquer
des politiques publiques est une forme d’interrogation collective [col-
lective puzzlement] au nom de la société ; cela demande à la fois de
la décision et du savoir » (Heclo, 1974, p. 304-305).
Apprentissage 63
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Il est d’ailleurs à noter que les nouveaux instruments de politiques
publiques (méthode ouverte de coordination, pilotage par projet,
etc.) valorisent l’apprentissage comme un objectif même de politi-
ques publiques : les rencontres répétées entre les acteurs ou l’échange
de bonnes pratiques sont censés favoriser une action publique repo-
sant sur une meilleure dissémination de l’information (pour la
méthode ouverte de coordination, voir Kerber et Eckardt, 2007).
Penser en termes d’apprentissage conduit aussi implicitement à
replacer l’action publique dans une temporalité, et à analyser de
quelle manière les individus perçoivent les effets et les résultats des
politiques antérieures, et comment ils tentent de modifier le cours
de l’action publique. Sachant, toutefois, que le passé, à la fois sous
forme de structures de décision héritées et de raisonnements routi-
nisés, conditionne fortement les possibilités d’apprentissage, la pers-
pective ouverte par l’apprentissage demande, en conséquence, de
comprendre le changement social et politique sous un autre angle
que celui des ruptures franches et brutales. Il convient cependant de
distinguer une logique d’apprentissage d’une perspective centrée sur
l’importance de l’héritage politique (political inheritance ou policy
legacies) : alors que l’apprentissage désigne les capacités d’adaptation
et de transformation sous contrainte, l’héritage politique enregistre
quant à lui les pesanteurs, les routines, qui contraignent l’interven-
tion des acteurs publics.
64 Dictionnaire des politiques publiques
Clarifications conceptuelles
On peut partir de la définition initiale de Hugh Heclo pour cla-
rifier la conception de l’apprentissage dans l’analyse de l’action
publique : « L’apprentissage peut être considéré comme représentant
un changement relativement durable dans les comportements, qui
résulte de l’expérience ; habituellement cette modification est consi-
dérée comme un changement en réponse à des stimuli perçus »
(Heclo, 1974, p. 306). Cette définition soulève trois questions : Qui
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sont les acteurs de l’apprentissage ? Quelle est la portée de l’appren-
tissage ? Quels sont les contextes de décision qui favorisent
l’apprentissage ?
Les acteurs de l’apprentissage (« Qui apprend ? ») ne sont pas
toujours clairement identifiés ni les mêmes selon les traditions de
recherche. Pour les théoriciens de l’État (state theorists), une problé-
matique en termes d’apprentissage suppose implicitement que l’État
joue un rôle décisif dans la production de l’action publique : les fonc-
tionnaires et les experts et expertes travaillant pour l’État sont les
principaux acteurs concernés par les processus d’apprentissage et
manifestent ainsi leur autonomie à l’égard des pressions sociales exté-
rieures. Beaucoup de travaux développent une conception plus
pluraliste de l’apprentissage : les logiques d’apprentissage sont émi-
nemment plurivoques, mobilisent des acteurs diversifiés, étatiques et
non étatiques, et n’impliquent aucunement une prééminence de l’État
dans les scènes de négociation (de Maillard, 2002). On peut aussi
utilement distinguer les learners et les teachers. Les derniers, souvent
négligés dans la littérature, diffusent certains savoirs et instruments
auprès d’autres acteurs de politiques publiques. Dans cette perspec-
tive, Elizabeth Bomberg (2007) analyse par exemple le rôle joué par
les ONG environnementalistes dans la diffusion des instruments des
politiques environnementales au sein des nouveaux États membres
de l’Union européenne.
La seconde interrogation renvoie aux dimensions de l’apprentis-
sage (« Qu’est-ce qui est appris ? »). On peut distinguer trois types
d’apprentissage (May, 1992). Le premier, instrumental, porte sur la
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soutiennent. Il s’agit d’un apprentissage tactique dans le processus
de fabrication des politiques.
Plus récemment, Claire Dunlop et Claudio Radaelli (2018) ont
précisé les contextes d’action publique conditionnant les apprentis-
sages. Deux dimensions comptent : le niveau d’incertitude des pro-
blèmes (issue tractability), qui désigne la plus ou moins forte
incertitude sur les solutions à apporter, et la certification des acteurs
(certification of actors), qui renvoie à l’existence ou non d’acteurs
considérés comme compétents et indépendants dans le domaine
considéré. Combinant ces deux dimensions, ils identifient quatre
configurations d’action publique, dans lesquelles tant les conditions,
l’ampleur et que les facteurs favorisant l’apprentissage varient consi-
dérablement. Pour le dire vite, on n’apprend pas du tout de la même
façon dans un contexte marqué par une forte incertitude sur le pro-
blème à traiter et des expertes et experts légitimes, où le savoir scien-
tifique occupe donc une place centrale, et dans une situation
caractérisée par une logique de compromis entre des intérêts bien
établis, où l’apprentissage porte surtout sur les coûts et bénéfices de
la coopération.
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macroéconomique de la Grande-Bretagne en 1970 et en 1989. Selon
lui, si la notion d’apprentissage est utile pour ce qui concerne les
changements de premier (modification de niveau d’un instrument)
et de deuxième (modification de l’instrument lui-même) ordres, dans
la mesure où les modifications observées renvoient aux activités des
experts et des fonctionnaires pour adapter les politiques aux condi-
tions socio-économiques en tirant des leçons des expériences passées,
le changement de paradigme opéré en 1979 procède essentiellement
d’une prise de pouvoir de la part de leaders politiques (l’équipe
conservatrice située autour de Margaret Thatcher, soutenue par des
journalistes et des experts séduits par les théories monétaristes). Pour
ce dernier cas (changement de troisième ordre), les changements
politiques sont plus provoqués par des rapports de pouvoir entre des
coalitions différentes que par des processus d’apprentissage par des
fonctionnaires.
Pour ce qui est des travaux situés dans la perspective des coali-
tions de cause, deux hypothèses sous-tendent l’utilisation de la notion
d’apprentissage (ici entendue comme policy-oriented learning) : 1) les
apprentissages au sein d’un système de croyances sont plus probables
que les apprentissages entre les systèmes de croyances ; 2) l’appren-
tissage a beaucoup plus de chances de se faire sur les aspects secon-
daires du système de croyances que sur le noyau central (Sabatier et
Jenkins-Smith, 1993). On trouve une illustration intéressante d’un
tel raisonnement dans l’ouvrage de Daniel Kübler (2000) consacré
aux politiques de la drogue depuis le milieu des années 1970. Il décrit
la genèse de trois coalitions : coalition pour l’abstinence (la drogue
est appréhendée en termes d’ordre public), coalition pour la
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forte concentration de drogués dans un périmètre réduit, la seconde
accepte l’implantation de structures de soins à la condition d’efforts
pour limiter les nuisances sur le voisinage. Il y a ici apprentissage sur
les aspects secondaires des systèmes de croyances respectifs (Kübler,
2000, p. 242-243) : les deux coalitions apprennent à cohabiter dans
l’espace urbain en limitant leurs revendications respectives sans
modifier le noyau dur de leur système de croyances.
Pour appréhender les liens entre apprentissage et changement
d’action publique, S. Moyson, P. Scholten et C. Weible (2017) ont
distingué entre dimensions micro (interindividuelle), méso (organi-
sationnelle) et macro (systémique). Certaines recherches mettent en
évidence l’existence d’apprentissages au niveau micro, au cours des-
quels les individus modifient leurs croyances sur la base de nouvelles
informations, tandis que d’autres se montrent plus sceptiques quant
aux effets macro, les acteurs des politiques publiques ayant tendance
à utiliser le savoir pour défendre leurs objectifs de politiques publi-
ques. Cette distinction selon les niveaux de lecture constitue sans nul
doute une voie à poursuivre.
Autrement dit, ces travaux suggèrent que l’apprentissage n’est pas
la seule cause de changement dans les programmes d’action publique.
Ce sont bien évidemment les rapports de force et les concurrences
qui continuent de peser sur la conduite des acteurs et qui expliquent
largement les compromis trouvés. La conclusion la plus sage est alors
sans doute la reformulation par Peter A. Hall de l’énoncé de Hugh
Heclo : « Beaucoup des acteurs impliqués dans les politiques publi-
ques non seulement doutent mais jouent également du pouvoir [not
only “puzzle” but also “power”] » (Hall, 1993, p. 289).
68 Dictionnaire des politiques publiques
Références essentielles
DUNLOP Claire et RADAELLI Claudio, « The An Advocacy Coalition Framework, Boulder
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and Politics, 46 (2), 2018, p. 255-272. les villes suisses entre ordre et santé. Analyse
HALL Peter A., « Policy Paradigms, Social des conflits de mise en œuvre, Paris, L’Har-
mattan, coll. « Logiques politiques », 2000.
Learning and the State : The Case of Eco-
nomic Policy-Making in Britain », Compa- MAILLARD Jacques de, « Les politiques
rative Politics, 25 (3), 1993, p. 275-298. sociales contractuelles entre conflits et
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HECLO Hugh, Modern Social Politics in Bri-
MAY Peter, « Policy Learning and Failure »,
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p. 331-354.
versity Press, 1974.
MOYSON Stéphane, SCHOLTEN Pierre et
JENKINS-SMITH Hank C. et SABATIER Paul A., WEIBLE Christopher, « Policy Learning and
« The Dynamics of Policy-Oriented Lear- Policy Change : Theorizing their Relations
ning », dans Paul Sabatier et Henri Jenkins- from Different Perspectives », Policy and
Smith (eds), Policy Change and Learning : Society, 36 (2), 2017, p. 161-177.
Jacques de Maillard
Voir aussi
Advocacy Coalition Framework · Changement · Incrémentalisme ·
Path dependence
Approche organisationnelle
La notion d’approche organisationnelle fait référence aussi bien à
une posture, c’est-à-dire à une manière d’appréhender l’action
publique et de définir les objets à étudier, qu’à une méthodologie et
à une approche théorique particulière (Musselin, 2005).