SCPO_BOUSS_2019_01_0087
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Yves Surel
Dans Références 2019 (5e éd.), pages 87 à 94
Éditions Presses de Sciences Po
ISBN 9782724625110
DOI 10.3917/scpo.bouss.2019.01.0087
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LASSWELL Harold D., The Decision Process :
Seven Categories of Functional Analysis,
Sophie Jacquot
Voir aussi
Agenda/émergence · Cycle · Décision · Évaluation · Mise en œuvre ·
Politique publique · Process tracing
Approches cognitives
L’approche cognitive et normative des politiques publiques est une
expression générique employée pour classer et rassembler des travaux
qui insistent sur le poids des éléments de connaissance, des idées, des
représentations ou des croyances sociales dans l’élaboration des poli-
tiques publiques. Parmi les auteurs souvent attachés à cette approche,
on peut citer Bruno Jobert et Pierre Muller sur la notion de référentiel
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antérieures (Surel, 2000b).
Origines et caractéristiques
Ainsi, pour Bruno Jobert et Pierre Muller par exemple, la notion
de référentiel a pour intérêt essentiel de déplacer le regard et les hypo-
thèses sur des aspects de l’action publique qui paraissent négligés
jusque-là par les approches d’inspiration marxiste et par la sociologie
des organisations. Plutôt que de voir l’État comme une institution dont
l’action est déterminée par les effets de la structure sociale, et notam-
ment par les conflits de classe, la notion de référentiel tend à montrer
que certains processus, comme la planification, développent des méca-
nismes de socialisation, qui peuvent déboucher sur un ensemble cognitif
et normatif cohérent infusant les politiques publiques. Symétriquement,
plutôt que de voir les politiques publiques résulter d’une agrégation
d’intérêts concurrents entre acteurs publics et privés, comme semblait
le montrer la sociologie des organisations, Bruno Jobert et Pierre Muller
insistent sur la spécificité de la décision publique comme productrice
de médiation sociale, notamment au travers de la formalisation de
conceptions et de diagnostics communs au sein d’un secteur donné.
Les travaux de Pierre Muller sur les politiques agricoles montrent ainsi
comment l’émergence d’un référentiel global modernisateur dans les
années 1950-1960, fondé sur la conviction partagée par des hauts fonc-
tionnaires et des acteurs privés de la nécessité de réformer la société
française, a fait apparaître un référentiel sectoriel dans l’agriculture
visant à moderniser les équipements, les structures et les identités.
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pertinente et compatible avec les transformations des politiques
macroéconomiques la notion de paradigme formulée par Thomas S.
Kuhn à propos du développement scientifique. Selon Peter A. Hall,
un paradigme de politique publique peut se définir comme un « cadre
d’idées et de standards, qui spécifie non seulement les objectifs de la
politique et le type d’instruments qui peut être utilisé pour les
atteindre, mais également la nature même des problèmes qu’ils [les
décideurs] sont supposés traiter » (Hall, 1993, p. 279). Ainsi, d’après
le paradigme de politique publique keynésien, la crise économique
est liée, schématiquement, à une insuffisance de la demande, ce qui
conduit à développer des actions publiques favorables à l’emploi et
à la consommation. Parallèlement, les travaux de Peter A. Hall enten-
dent également dépasser les limites des approches pluralistes, qui
voyaient les politiques publiques comme le résultat d’une confron-
tation des intérêts, et celles des théories de l’apprentissage, qui pos-
tulaient l’inertie de l’action publique. À l’opposé de ces deux courants
de recherche, Peter A. Hall montre que les conflits d’intérêts sont
parfois surdéterminés par des logiques normatives qui peuvent
conduire à des changements brutaux des politiques publiques.
Selon Paul A. Sabatier, le problème posé est d’abord de nature
empirique. Ses travaux ont pour objectif d’expliquer pourquoi et
comment des politiques publiques favorables à la protection de l’envi-
ronnement ont pu être mises en œuvre, malgré les intérêts puissants
et fortement mobilisés des industriels. Il s’oppose, dans ses derniers
travaux surtout, à la rigidité et au formalisme jugé excessif des ana-
lyses en termes de choix rationnel, qui privilégient les intérêts comme
facteurs explicatifs de la genèse et de la mise en place des politiques
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fondée sur des principes normatifs très généraux (conception libérale
contre conception égalitaire par exemple).
basée sur des entretiens avec les acteurs et sur un travail archivistique
plus ou moins important. Les prescriptions de méthode parfois avan-
cées, notamment par Pierre Muller dans son « Que sais-je ? » (2018)
ou par Paul A. Sabatier (référence récurrente à l’analyse « réputa-
tionnelle »), ne sont toutefois pas aussi approfondies que dans
l’ouvrage de Gary King, Robert Keohane et Sidney Verba, Designing
Social Inquiry (1994).
Au-delà de ces distinctions, ce qui rapproche ces travaux, c’est la
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prévalence, plus ou moins prononcée selon les cas, accordée aux
facteurs cognitifs et normatifs, comme éléments pertinents, sinon
exclusifs, dans la détermination des politiques publiques. Certains
auteurs ont proposé de rattacher, de manière inégalement explicite
– Pierre Muller parle de « constructivisme modéré » (2000, p. 194) –,
cette approche cognitive et normative des politiques publiques au
constructivisme, en recourant souvent aux travaux de Peter Berger
et Thomas Luckmann. Cette catégorisation schématique pose sans
doute plus de problèmes qu’elle n’en résout, dans la mesure où elle
atteste le plus souvent d’une vague « affinité élective » plutôt que
d’une mobilisation systématique. Il en est de même de la catégori-
sation parfois employée d’« approche par les idées », qui tend à
négliger la diversité des éléments (croyances, représentations, idéo-
logies, images...) jugés importants pour analyser l’action publique.
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thèse majeure qui associe tout changement significatif de l’action
publique à une transformation des éléments cognitifs et normatifs
caractéristiques d’une politique, d’un problème ou d’un secteur
d’intervention publique donné. L’analyse de Peter A. Hall, exemplaire
sur ce point, montre l’importance du processus de passage d’un para-
digme keynésien à un paradigme monétariste dans la définition du
rôle de l’État et dans la formulation des préceptes dominant la
conduite des politiques macroéconomiques contemporaines.
Ces travaux ont nourri de nombreuses discussions et critiques
qu’il serait fastidieux – et inutile – de rappeler ici. On peut retenir
trois objections principales, qui ont conduit à nuancer fortement, et
parfois à modifier, le contenu même de l’approche cognitive et nor-
mative des politiques publiques. La première série de critiques for-
mulées, à caractère épistémologique et méthodologique, remet en
cause la scientificité d’une approche incapable de définir correcte-
ment ses variables d’analyse, de les identifier de manière rigoureuse
et d’en déduire des hypothèses fiables. En schématisant, on pourrait
reformuler ce reproche en disant que l’approche cognitive et norma-
tive ne donne aucune indication précise sur ce que sont les « idées »,
sur la façon de les repérer dans la réalité sociale et sur leur influence
causale sur les politiques publiques. Une seconde catégorie de criti-
ques tend à considérer ces approches comme trop « abstraites » et
pauvres sociologiquement, dans la mesure où elles négligeraient le
poids des individus et des groupes concernés dans leurs analyses.
Enfin, le poids attribué aux facteurs cognitifs et normatifs dans ces
travaux est considéré parfois comme excessif par rapport à d’autres
variables, censées être plus identifiables et avoir une dimension
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par le repérage des communautés d’acteurs pertinentes, plutôt que
par les idées portées par ces acteurs, que l’on pouvait comprendre les
luttes et les dynamiques évolutives caractéristiques d’une politique
publique donnée (Jobert, 1994 ; Fouilleux et Jobert, 2017). Enfin, der-
nier ajustement possible (parmi d’autres), l’idée défendue par certains
de s’intéresser plus directement aux récits, discours ou narratives pro-
duits par les acteurs, ce qui permettrait d’identifier plus clairement
les éléments empiriques qui soutiennent l’analyse des facteurs cogni-
tifs et normatifs pertinents (voir les travaux de Vivien Schmidt ici
avec l’idée d’institutionnalisme discursif : Schmidt, 2008a).
Au-delà de ces controverses et de ces évolutions, il faut sans doute
rétrospectivement mettre au crédit de cette approche deux éléments
principaux : avoir contribué à mettre en valeur des facteurs et des
dynamiques souvent négligés dans les travaux sur l’action publique
(connaissances scientifiques, expertise, mais aussi croyances, repré-
sentations dominantes et idées plus ou moins partagées par les acteurs
publics et privés concernés) ; et peut-être surtout, avoir fourni des
travaux et des enquêtes empiriquement fouillés et théoriquement sti-
mulants (même si les éléments méthodologiques sont sans doute plus
contestables), qui ont contribué, sans doute largement, au nouveau
« souffle » qu’a connu l’analyse des politiques publiques ces dernières
années. Tout l’enjeu est sans doute aujourd’hui d’intégrer ses pers-
pectives sans les minimiser ou les dénaturer dans des schémas ana-
lytiques plus systématiques, parmi lesquels on pourra citer la notion
de process tracing (Bezès, Palier et Surel, 2018b).
94 Dictionnaire des politiques publiques
Références essentielles
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Yves Surel
Voir aussi
Advocacy Coalition Framework · Forums · Néo-institutionnalisme dis-
cursif · Normes · Paradigme · Récits · Référentiel
Approches économiques
On parle d’approches économiques pour désigner les travaux qui
cherchent à analyser l’action publique à l’aune des concepts et des
méthodes développés par la science économique. Le terme ne doit
donc pas être confondu avec l’économie politique telle que comprise