ANRT-Nature-en-ville-Rapport-dec.2024
ANRT-Nature-en-ville-Rapport-dec.2024
ANRT-Nature-en-ville-Rapport-dec.2024
DÉCEMBRE / 2024
LES CAHIERS FUTURIS
Groupe de travail Transition écologique – Ville durable
Président : Michael Matlosz – Professeur à l’Université de Lorraine – Membre de l’Académie des technologies
Auteur : Nadège Bouquin – ANRT
Conseillère scientifique : Anne Ruas – Université Gustave Eiffel
Directrice de publication : Clarisse Angelier – ANRT
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Nature en ville :
un démonstrateur
de transition écologique
Enjeux de recherche et d’innovation
liés au développement de la nature en ville
LES CAHIERS FUTURIS
Ces travaux sont soutenus financièrement par les souscripteurs FutuRIS :
Le contenu n’engage que la responsabilité de l’ANRT en tant qu’auteur et non celle des institutions qui lui
apportent son soutien.
Présentation du travail et remerciements
Depuis 2020, l’ANRT explore la façon dont la re- L’ANRT et le Président Michael Matlosz remer-
cherche et l’innovation peuvent contribuer à affron- cient chaleureusement l’ensemble des interve-
ter les enjeux climatiques et environnementaux qui nants (annexe A), les membres du Groupe de tra-
conditionnent notre avenir sur la planète. Après un vail (Annexe B), et les membres de FutuRIS pour
colloque dédié à l’analyse de cycle de vie le 10 dé- leur soutien.
cembre 20201, un groupe de travail « Transition éco- Un grand merci aussi à Anne Ruas (Université Gus-
logique » s’est mis en place en 2021. Il s’est penché tave Eiffel), précieuse conseillère scientifique du GT,
sur la question des besoins de recherche en appui au au Groupe Miroir pour le riche travail de coordination
développement du recyclage dans les domaines de et d’appui à l’écosystème, aux responsables du Lab
la construction et du BTP2. Recherche Environnement pour leur accompagne-
ment des travaux du GT, et au Partenariat DUT, avec
En 2022, à la demande du ministère de l’Enseigne- une mention particulière aux responsables du Pilier
ment supérieur et de la Recherche et du ministère de CUE (Circular urban Economies).
la Transition écologique et de la Cohésion des Ter-
ritoires, le Groupe de travail Transition écologique
s’est orienté vers l’accompagnement des transitions
urbaines par la recherche et l’innovation, et a adopté Les propositions formulées dans cette note sont
son intitulé actuel : GT Transition écologique - Ville le fruit des présentations et des échanges au sein
durable. Le GT a travaillé en 2023 sur le thème de la du groupe de travail en 2024. La note n’engage
ville circulaire et régénérative3. pas individuellement ou institutionnellement les
membres du groupe. Elle est portée par l’ANRT,
De ce fait, il s’inscrit aujourd’hui dans l’écosystème dans son rôle d’animation d’échanges collectifs et de
national et européen de recherche et d’innovation force de proposition en direction des responsables
sur la ville durable, en participant notamment : des politiques de recherche et d’innovation.
— au Groupe miroir Ville durable, co-piloté par le
MESR et le MTECT, dont l’objectif est de structu- Pour cette raison, les auteurs des citations ou les
rer et d’animer la communauté française en vue porteurs des projets mentionnés ne sont pas nom-
de développer la participation française aux pro- més : ces citations et exemples ont vocation à il-
grammes européens dédiés ; lustrer des propos synthétisés par la note, et non à
restituer des points de vue particuliers exprimés lors
— au Partenariat européen DUT (Horizon Europe),
des échanges.
en tant que membre associé.
Résumé .......................................................................................................................................... 1
Introduction ................................................................................................................................... 5
Une définition ouverte de la « nature en ville »............................................................................................................................. 5
Nature en ville et adaptation au changement climatique............................................................................................................ 6
Solutions fondées sur la nature : une multifonctionnalité efficace ............................................................................................7
Nature en ville : un emboîtement de problématiques à différentes échelles..........................................................................7
04. Exemple d’une question clé transversale : quelle maintenance de la nature en ville ? ......... 36
1. Questions philosophiques, culturelles et politiques : faire vivre la nature, ou la laisser vivre ? ..................................... 36
2. Questions scientifiques et techniques : quel devenir de la nature en ville ? .................................................................... 37
3. Questions économiques : quels coûts complets, quels systèmes comptables ? ............................................................. 38
4. Questions sociales : quelles compétences collectives, quels nouveaux systèmes d’acteurs, quelles régulations ?...39
Conclusion ..................................................................................................................................... 41
« Va prendre tes leçons dans la nature », disait Léo- des d’organisation et de fonctionnement de la ville,
nard de Vinci. Aujourd’hui, faire davantage place à d’adapter ceux-ci pour faire face aux dérèglements
la nature dans nos villes congestionnées et polluées climatiques et environnementaux actuels et à venir,
permet de joindre l’utile à l’agréable, en réponse à et d’atténuer leurs impacts négatifs à l’échelle des
deux enjeux majeurs : améliorer la santé et le bien- grands équilibres planétaires.
être de citadins toujours plus nombreux ; remédier
aux conséquences des changements climatiques que Ensuite, la recherche et l’innovation ont un rôle
les villes affrontent de plein fouet (canicules, pluies di- majeur à jouer dans ce défi d’une nature plus pré-
luviennes suivies d’inondations, épidémies, etc.). sente et mieux insérée dans la ville. En effet, s’il
semble relativement facile de planter un arbre, tout
Les « solutions fondées sur la nature » apparaissent devient plus compliqué dès lors que l’on se préoc-
ainsi comme des réponses innovantes à un ensemble cupe aussi de sa survie à moyen et long terme : de
de besoins ou de problèmes systémiques. De fait, nombreuses conditions sont à prendre en compte,
le principal atout de la nature en ville est son carac- particulièrement exigeantes en milieu urbain, et qui
tère multifonctionnel : elle est source de bénéfices font appel à des connaissances, des compétences,
multiples pour les écosystèmes urbains, en matière des données, des outils spécialisés. Ces exigences
de climat, d’environnement, de biodiversité, de san- atteignent un seuil encore plus élevé lorsque l’on
té, etc. Favoriser le développement de la nature en s’efforce de maximiser les services écosystémiques
ville est ainsi devenu une piste d’action clé pour tout que « la nature » peut rendre à « la ville », en pre-
décideur urbain. nant en considération les multiples interactions entre
chaque composante de chacune de ces vastes réali-
Quelles sont les conditions pour que cet engage- tés. Bien développer la nature en ville est donc tout
ment en faveur de la nature en milieu urbain produise sauf simple : il y faut des compétences issues d’un
ses meilleurs effets ? Et comment la recherche et grand nombre de disciplines scientifiques, et des
l’innovation peuvent-elles contribuer au dévelop- capacités d’innovation réparties chez une grande di-
pement de la nature en ville, de façon aussi ap- versité de parties prenantes.
préciable et durable que possible ?
Enfin, « bien » développer la nature en ville amène
Telles sont les questions que le Groupe de travail à poser des questions fondamentales de change-
s’est posée au cours des quatre réunions qu’il a ment d’échelle, et derrière cela, de changement
consacrées à ce sujet en 2024. Pour organiser sa ré- de paradigme. Les conditions du « bien-vivre en
flexion, il a choisi de se focaliser sur trois éléments ville » étant, pour la nature, nombreuses et com-
constitutifs de la nature en ville : plexes, c’est à une véritable réflexion systémique que
— l’air, avec les enjeux de climat (chaleur notam- nous invite son développement. Et comme souvent,
ment) et de pollution ; le niveau d’impact est notamment fonction du niveau
d’investissement au sens large : financier, temporel,
— l’eau : flux, réseaux et trames ; gestion des eaux
culturel… L’engouement que suscite la (re)naturation
urbaines (notamment pluviales) ;
urbaine relève aujourd’hui davantage du supplément
— le sol : enjeux des sols et des sous-sols urbains, d’âme que d’une révolution verte. Les bénéfices
substrats précieux de la ville dans son ensemble. identifiés, pour réels qu’ils soient, sont à la mesure
du caractère encore incrémental des initiatives. Il est
L’enjeu de la biodiversité a été traité de façon trans- clair qu’une contribution plus importante de la nature
versale à ces trois éléments. en ville aux attentes sociétales (mieux-vivre en ville,
adaptation au changement climatique et atténuation
de ce changement) dépend de ce que la société est
Trois constats clés ressortent de cette réflexion prête à investir dans ce bourgeonnement. Les diffi-
collective. cultés de mise en œuvre de la politique du Zéro arti-
ficialisation nette (ZAN) sont éclairantes à cet égard.
Tout d’abord, développer la nature en milieu ur- Viser un impact positif plus important de la nature
bain est une piste de travail importante pour la en ville implique un changement de modèle « écolo-
résilience urbaine et la qualité de vie en ville. Cela gique », c’est-à-dire à la fois philosophique, politique,
permet de limiter les nuisances induites par les mo- économique et social.
1
Ces trois constats amènent à envisager la nature en sur la nature (SfN) sont étudiées par les scientifiques
ville comme un véritable démonstrateur de tran- et les innovateurs, pour la régulation des eaux plu-
sition écologique, en tant que système complexe viales par exemple. La rareté croissante de la res-
en marche vers un nouveau modèle, avec l’appui source amène aussi à d’autres types d’interrogations
de la recherche et de l’innovation. quant à ses usages et sa gestion. Enfin, les sols ont
pu être qualifiés de « terres inconnues » par les cher-
Le groupe de travail s’est principalement focalisé cheurs et experts du GT : s’ils suscitent un intérêt
sur un objectif d’amélioration de la ville durable gui- croissant depuis quelques années, la connaissance
dé par le souci de concevoir et de mettre en œuvre qu’on en a demeure très largement en-deçà des
rapidement une diversité de solutions fondées sur questionnements liés à la composition et aux fonc-
la nature. Il a cependant aussi souligné à plusieurs tions de cette « couche » de ville, particulièrement
reprises, comme un fil conducteur tissé dans un en- en tant que substrat de la nature urbaine.
semble de réflexions à visée opérationnelles, l’ambi- Enfin, à la complexité intrinsèque de chacun de ces
tion transformatrice plus profonde du concept de éléments, dont le rôle et les effets varient dans le
développement de la nature en ville, et la nécessité temps et l’espace, s’ajoute celle de leurs nom-
d’associer la recherche et l’innovation à cette ambi- breuses imbrications : c’est bien en tant que sys-
tion. tème que fonctionne la nature en ville, comme on le
voit lorsque l’on prend le cas de la végétation et de
* * * ses besoins en nutriments issus du sol, de l’eau, etc.
Ces solutions « vertes » de la nature en ville doivent
La nature en ville est souvent présentée comme une aussi « faire système » avec les solutions dites
« stratégie sans regret » : du fait de sa multifonction- « grises » (construites, technologiques) et « douces »
nalité, elle permettra de faire mieux que l’existant. (socio-politiques, organisationnelles) : les trois types
Cependant, cela n’est vrai, ou en tout cas avec un de solutions ont à se recombiner en permanence
niveau d’impact significatif, que si les spécifications pour dessiner la ville de demain.
liées à la grande hétérogénéité des réalités concer- Dernier exemple des enjeux systémiques qui sont en
nées sont respectées, ce qui suppose d’abord soi un défi pour la recherche et l’innovation : l’em-
qu’elles soient connues, comprises et quantifiées. boîtement des niveaux de territoires (site, quartier,
Une grande partie des besoins de recherche et d’in- arrondissement, ville, agglomération…), qui contribue
novation se concentre dès lors sur la compréhen- à faire de la ville un puzzle à plusieurs dimensions.
sion et la prise en compte des caractéristiques
clés de la nature en ville, à savoir sa variabilité De ce fait, « la comparaison reste difficile, et la géné-
spatiale et temporelle et sa complexité (emboîte- ralisation ne semble pas atteignable », selon les mots
ment d’écosystèmes à toutes les échelles, articula- d’une intervenante. L’objectif est alors de parvenir à
tions diverses entre ses multiples composantes et ordonner des ensembles de solutions correspon-
avec les autres éléments des systèmes urbains). dant à divers contextes et cas d’usage, à partir de
données aussi nombreuses et fiables que possible,
assorties d’une définition de leurs conditions de per-
tinence. On est donc là dans d’importants enjeux de
Trois pistes de recherche et d’innovation se dé-
métrologie, de compréhension / qualification et
gagent des travaux du GT (parties I, II et III)
de modélisation :
— recueil et fiabilisation de données,
La première piste consiste à caractériser et à mo-
déliser les composantes multifonctionnelles de la — modélisation et simulation, avec la nécessité d’af-
nature en ville. finer et d’intégrer divers modèles,
Il importe de mieux connaître et comprendre ces
— ouverture et partage des données et des mo-
composantes ; le GT en a retenu trois : air, eau et
dèles (conditions clés de passage à l’échelle),
sol (y compris sous-sol). Toutes trois se caractérisent
notamment par le fait que leurs propriétés, leur fonc- — caractérisation et qualification de réalités ur-
tionnement et leurs impacts sont très variables, en baines spécifiques.
fonction des conditions locales et/ou temporelles
dans lesquelles elles sont analysées. De nombreuses La question des compétences disponibles est ici po-
questions, relevant principalement des sciences de sée, pour mener à bien ces travaux mais aussi pour
la matière, de la vie et de l’ingénieur, sont ici posées, le transfert des nouvelles connaissances et des
quant aux spécifications physico-bio-chimiques des solutions vers la société.
trois composantes évoquées, de la végétation, de la
faune souterraine, etc. C’est notamment l’objet de la deuxième piste de
recherche et d’innovation, qui se rapporte au consi-
La composante « Air » fait apparaître notamment dérables besoins d’innovation lié au développement
des enjeux importants de gestion de la chaleur en de la nature en ville : comment co-construire des
ville (« îlots de chaleur urbains » - ICU ; et confort solutions innovantes et des outils d’aide à la dé-
thermique), ainsi que des enjeux de qualité de l’air. cision en la matière ?
Les enjeux liés à l’eau ont évolué historiquement, Il n’est pas envisageable d’attendre que la recherche
avec le passage d’une vision de l’eau urbaine encas- dispose de toutes les réponses aux nombreuses
trée dans le « grand réseau » public à celle d’une questions posées ; les acteurs urbains (collectivités,
2 « ville éponge ». De nombreuses solutions fondées aménageurs, constructeurs, jusqu’aux citoyens) ont
à poser sans tarder les jalons d’une indispensable pétence adaptés d’une part, et de nouvelles mo-
action. Le besoin est alors celui de la meilleure dalités d’interaction, d’autre part, correspondant
convergence possible entre complexité de la réa- davantage aux enjeux de la nature en ville, souvent
lité et simplicité de l’action. Le rapport développe transversaux. Revisiter les frontières, externes ou
à ce propos deux orientations principales et une il- internes, des organisations, ainsi que leur mode de
lustration. fonctionnement ; co-créer la nature en ville avec
les habitants ; assurer une montée en compétence
Promouvoir une recherche en prise avec les en- générale de l’écosystème urbain apparaissent ainsi
jeux et les acteurs de l’innovation urbaine est un comme de véritables sujets de recherche tout autant
premier impératif. Diverses pistes sont indiquées : que d’innovation.
collaborations amont et au long cours entre re-
cherche et entreprises ; documents de vulgarisa- Réinventer les référentiels et les modalités de
tion (guides pratiques, fiches techniques), etc. De l’action publique : au-delà du mot d’ordre, le déve-
même, des exemples d’outils et de solutions inno- loppement de la nature en ville apparaît comme un
vantes, en cours de maturation et de diffusion, sont puissant accélérateur de dynamiques qui peinent à
proposés, pour accompagner l’action et la décision s’imposer dans les politiques publiques. Il interroge
sur le terrain. par exemple les grands choix qui président aux poli-
Deuxième orientation : le développement de mo- tiques d’aménagement et d’urbanisme : quelle vision
dèles à la fois puissants et faciles d’utilisation de la ville, quelles priorités, quels ordres de grandeur
– deux conditions clés pour une utilisation dans de dans les moyens affectés orientent ses transforma-
bonnes conditions de pertinence par des acteurs ur- tions et sa gestion ? Comment les formes urbaines
bains contraints en termes de compétences scienti- tiennent-elles compte, dans leur conception même,
fiques et de temps disponible. Il convient de prioriser des besoins et opportunités de la nature en ville ?
les objectifs attendus, afin d’ajuster correctement D’autres questions, non moins structurantes, portent
le curseur entre pertinence et simplicité. Ainsi, pour sur la capacité à faire fonctionner efficacement une
gagner en pertinence, ces modèles doivent parfois gouvernance multi-niveau ; à développer une trans-
décorréler des dimensions auparavant confondues versalité accrue entre services urbains ; à adapter
au sein d’un même paramètre, tout en simplifiant la des réglementations accompagnant le développe-
prise en compte d’autres dimensions. L’exemple d’un ment de la nature en ville, avec par exemple des
jumeau numérique environnemental montre les dif- seuils moins contraignants pour prendre en compte
férentes facettes de ce défi. la relative variabilité de certaines solutions fondées
Plus largement, l’innovation que représente les sur la nature.
Technosols, substrats artificiels reproduisant les
fonctionnalités des sols naturels4, avec des spécifica- Enfin, la question de modèles économiques ba-
tions ajustées aux divers usages envisagés, illustre la sés sur des coûts complets est cruciale pour per-
façon dont recherche et action s’interpénètrent pour mettre une meilleure vision partagée des coûts et
répondre au besoin de disposer de matériaux adap- bénéfices des diverses actions en faveur de la ville
tés au développement de la nature en ville. durable. Si l’efficacité directe des solutions « grises »
est largement démontrée, on sait que leurs exter-
Ces deux premiers axes portent sur l’offre de nature nalités négatives ne sont souvent que partielle-
en ville, et sur ses conditions de pertinence et d’ef- ment prises en compte ; inversement, des solutions
ficacité. Le troisième axe de recherche et d’innova- « vertes » aux effets moins massifs pourraient se
tion s’intéresse plutôt à la demande sociale de nature voir créditer d’un meilleur rapport coût-efficacité du
en ville : comment mobiliser et outiller les acteurs fait d’une meilleure prise en compte de leurs multi-
de la ville régénérative ? Quelles sont les conditions ples co-bénéfices. Quoi qu’il en soit, la décision et
sociales, politiques, juridiques, économiques, etc. qui l’action, publique et privée, gagneraient à disposer
feront de la société un environnement favorable au d’éclairages économiques plus poussés quant aux
développement de la nature en ville ? investissements nécessaires et aux impacts atten-
dus. Beaucoup reste à faire à cet égard, même si la
Ces questions, bien que moins approfondies par le recherche avance, comme le montre l’exemple d’un
GT, ont néanmoins fait consensus quant au besoin travail sur l’évaluation des coûts de restauration des
de développer les réflexions en ce sens, en faisant sols urbains.
notamment appel aux sciences humaines et sociales.
Diverses problématiques ont été évoquées ; on peut Pour conclure, une question transversale, celle de la
les regrouper en trois axes principaux. maintenance de la nature en ville, fait l’objet d’un
focus spécifique (partie IV).
Comprendre et accompagner la transformation
des systèmes d’acteurs est un levier essentiel pour On le sait, la production initiale d’un objet est sou-
repenser des espaces de responsabilité et de com- vent davantage valorisée que celle de son entretien
au fil du temps, de même qu’un investissement initial
est plus valorisé que des coûts de fonctionnement
4 Les sols remplissent notamment les fonctions suivantes : habitat ou d’amortissement. Or le bon fonctionnement et la
et support de biodiversité, régulation des cycles de substances et durabilité d’un équipement sont évidemment d’un in-
d’énergies (filtrage, stockage, transformation…), production de bio-
masse, support de constructions et infrastructures, source de matière térêt majeur pour les usagers.
première, archivage (conservation d’informations sur l’histoire natu-
3 relle et culturelle.
En matière de nature en ville, l’enjeu de la mainte-
nance est particulièrement crucial : il est question de
sa survie même et de ses conditions de régénéra-
tion. Cet enjeu permet aussi de montrer en quoi les
dimensions scientifiques, techniques et sociales sont
imbriquées.
4
Introduction
« Les villes sont la nature façonnée par l’homme, à friches…) ; modifier les plans d’occupation des sols
son image et à sa ressemblance », a écrit un roman- pour rendre inconstructibles certaines zones (solu-
cier canadien5. Une image pas forcément flatteuse, tions « douces »).
si l’on songe aux maux qui accablent les villes : pollu-
tions multiples (air, eaux, sols…), pics de chaleur, inon- Les travaux du GT se sont concentrés sur l’une
dations, tensions sociales, etc. de ces trois catégories de solutions : les solutions
« vertes » (sachant qu’elles peuvent intégrer des di-
Certes, les villes ont aussi leurs bons côtés, joignant mensions grises et/ou douces).
l’utile à l’agréable. Et elles n’étaient sans doute pas
plus saines ou plaisantes au cours des siècles pré- Toutefois, le Groupe de travail a rappelé, en mes-
cédents, même si le bilan est difficile à faire entre sage préliminaire, la nécessité de combiner ces
les progrès réalisés et les problèmes nouveaux ou trois types de solutions, pour permettre une ap-
renforcés du fait de leur développement et du chan- proche holistique : aucune de ces trois catégories
gement climatique. ne sera à elle seule en mesure de répondre à l’impé-
ratif de rendre la ville plus durable, c’est-à-dire ré-
Les villes ont à faire face à un redoutable défi : celui siliente face aux chocs climatiques, environnemen-
de répondre à des besoins vitaux (physiques et psy- taux et socio-économiques à venir - et si possible,
chologiques) d’une partie de plus en plus importante désirable en tant que lieu de vie pour les humains
de la population mondiale, sachant que : qui y résident.
— La croissance de la population urbaine affecte les Par ailleurs, ces trois types de solution doivent aussi
conditions de vie dans des environnements ur- se combiner à un quatrième : celui de la sobriété,
bains surpeuplés ; pour une indispensable diminution des pressions
anthropiques liées à nos modes de production et
— Le changement climatique va considérablement
de consommation.
accroître les pressions sur ces conditions de vie.
— la terre, renvoyant aux nombreux enjeux des * Scénario intermédiaire (évolution au même
sols et des sous-sols urbains. rythme qu’actuellement) :
+ 2°C en 2050 au niveau mondial par rap-
A noter que la réflexion menée ne prétend pas à l’ex- port à la moyenne 1850-1900
haustivité : de nombreuses dimensions de la nature + 3°C en 2100 au niveau mondial
en ville n’ont pas été directement traitées, telles que
l’agriculture urbaine, les liens entre santé et nature en > Estimation de la Cour des Comptes pour la
ville, les matériaux biosourcés, les approches biomi- France
métiques… + 3,8°C en 2100 en France [estimation de la
Cour des Comptes - France6]
Chacun des trois éléments étudiés fait aujourd’hui Sachant qu’une hausse de 3,5° à horizon 2100 se
l’objet de nombreux travaux scientifiques, dont traduirait par une perte d’activité économique de
beaucoup traversent les frontières disciplinaires 10 points de PIB7
établies. Air, eau et sol urbains suscitent aussi un
foisonnement d’innovations, qui en permettent > Conséquences (en cours) : températures en
une approche à la fois plus respectueuse de leurs hausse avec de fortes vagues de chaleur ; fortes
dynamiques propres et plus efficace en termes de précipitations avec crues et inondations ; séche-
services écosystémiques rendus. Cette recherche resses sévères ; augmentation de la fréquence
et de l’intensité des événements climatiques ex-
et cette innovation ouvrent de nouvelles pistes de
trêmes (tempêtes, ouragans…) ; submersion de
questionnement et de solution, qui sont au cœur de zones côtières ; fonte du permafrost et des ré-
ce rapport. serves glaciaires de la planète ; augmentation des
vecteurs de maladie (bactéries, virus etc.) ; hausse
de la mortalité : chaleur8, catastrophes naturelles,
maladies… ; perte de biodiversité dans tous les mi-
Nature en ville et adaptation au lieux naturels ; difficultés d’accès à l’eau potable,
conflits d’usages ; etc. « Les risques seront de plus
changement climatique en en plus complexes, combinés, en cascade et dif-
ficiles à gérer » (rapport du GIEC).
Au-delà de ces avancées et de ces perspectives > De 2005 à 2015, le nombre de communes
concernant les trois objets considérés, a émergé un exposées à des risques climatiques forts a aug-
constat majeur, qui représente un premier message menté de 131 % (ce qui représente en 2015 16 %
des communes)9
clé.
Accroître la place de la nature en ville constitue > Surcoût de l’effort d’adaptation pour le sec-
teur du bâtiment : 2 à 5 % pour la construction
une voie d’action pertinente et efficace en ma-
neuve et 10 % pour la rénovation du bâti existant,
tière d’atténuation du changement climatique, et par rapport à des opérations sans adaptation. Cela
surtout d’adaptation à ce changement. représente des besoins additionnels par rapport
aux besoins d’investissement publics et privées
L’enjeu de l’atténuation peut se résumer ainsi : les nécessaires à l’atteinte des objectifs de neutralité
villes étant des concentrés d’activité humaine, elle- carbone de 1 à 2,5 milliards pour la construction
même source principale du changement climatique, neuve et 4,8 milliards d’euros pour la rénova-
limiter l’emprise humaine sur les territoires urbains en tion10.
laissant davantage place aux dynamiques naturelles
permet de contribuer (de façon limitée) à réduire
certaines causes du dérèglement climatique.
6 « L’action publique en faveur de l’adaptation au change-
ment climatique », Rapport public annuel 2024 – Synthèses
En matière d’adaptation au changement clima- - Cour des Comptes et Chambres Régionales et Territoriales
tique, le potentiel de la nature en ville est parti- des Comptes.
culièrement important. L’encadré ci-après rappelle 7 Les risques climatiques et leurs coûts pour la France. Une
quelques éléments de cadrage concernant le chan- évaluation macroéconomique. Synthèse. ADEME, novembre
2023.
gement climatique et la nécessité d’y adapter nos
sociétés urbanisées. 8 Entre 2015 et 2020, l’estimation du coût sanitaire des va-
gues de chaleur en France se situe entre 22 et 37 Md€.
Les solutions fondées sur la nature pour la ges- De nombreux défis de connaissance et de com-
tion des eaux en ville préhension
Les SfN interviennent directement sur le cycle de Pour que ces solutions soient pleinement efficaces,
l’eau en milieu urbain en favorisant l’infiltration et la plusieurs défis scientifiques doivent être relevés. L’un
des principaux est de mieux comprendre l’hétéro-
généité spatiale des précipitations, c’est-à-dire la
18 https://renature.brussels/fr/actions/ville-saine/amenagez-en-re- façon dont la pluie varie d’un endroit à l’autre dans
11 duisant-les-allergies-au-pollen
une ville, ainsi que leur variabilité temporelle (ma- perméabilisation conduisant à leur appauvrissement
nière dont les précipitations peuvent changer rapi- en tant que milieu naturel. En dépit d’initiatives ré-
dement, notamment lors d’orages soudains). Ces as- centes telles que la politique de Zéro Artificialisation
pects sont essentiels pour prévoir les précipitations Nette, une intervenante indique que « 24 000 hec-
futures et intégrer les impacts du changement clima- tares de sol sont artificialisés chaque année. Cela si-
tique dans les modèles hydrologiques. gnifie qu’on artificialise l’équivalent de 5 terrains de
L’infiltration et la rétention de l’eau, ainsi que l’éva- foot par heure ! ».
potranspiration, posent également des défis en rai- Les membres du GT ont souligné que les sols urbains
son de l’hétérogénéité des sols et des végétations sont encore largement méconnus et insuffisamment
urbaines, qui influencent la capacité d’absorption de étudiés, même si les recherches ont pris de l’ampleur
l’eau et les besoins en évapotranspiration des diffé- au cours des trente dernières années.
rentes plantes.
À une échelle plus large, les SfN offrent des bé- Une multifonctionnalité à mieux connaître et com-
néfices globaux, tels que la recharge des nappes prendre
phréatiques et l’atténuation des îlots de chaleur ur-
bains (ICU). Cependant, pour maximiser ces béné- Les sols urbains remplissent une multitude de fonc-
fices, il est crucial de comprendre les interactions tions essentielles. La pédologie urbaine, discipline
complexes entre les SfN et le système global de dédiée à l’étude des sols en milieu urbain, cherche
gestion des eaux, en tenant compte des hétérogé- à comprendre cette multifonctionnalité, qui com-
néités locales. Bien que la renaturation du cycle de prend :
l’eau progresse, les infrastructures « grises » exis-
tantes (et à venir) continueront en effet à jouer un — La séquestration du carbone : environ 30 %
rôle important. des espaces urbains sont végétalisés, dont 70 %
sont constitués de sols ouverts. Ces sols peuvent
Les enjeux de recherche et d’innovation incluent une stocker jusqu’à 7 % du stock national de carbone
meilleure compréhension et anticipation des ef- organique, une proportion parfois supérieure
fets de l’urbanisation et des SfN sur le cycle de à celle des sols forestiers équivalents, bien que
l’eau, ainsi que la clarification du rôle du sol, du cette capacité varie selon les conditions locales.
sous-sol et de la végétation dans le devenir des
eaux gérées par ces solutions. — La gestion des eaux pluviales : les sols urbains
jouent un rôle clé dans l’infiltration et le stockage
La recherche est aussi appelée à contribuer active- des eaux pluviales, aidant à prévenir les inonda-
ment à la définition de stratégies et de trajectoires tions et à recharger les nappes phréatiques.
réalistes pour la mise en œuvre des SfN à l’échelle — La production végétale à finalité ornementale,
urbaine. écologique, paysagère et/ou alimentaire.
En conclusion, alors que l’eau devient une ressource — La préservation de la biodiversité : les sols ur-
de plus en plus limitée, il est essentiel de prioriser bains, notamment dans les espaces végétalisés
les bénéfices attendus de la (re)naturation, tant à comme les parcs et jardins, peuvent abriter une
l’échelle locale qu’urbaine. Cela implique également biodiversité importante : macrofaune, groupe le
d’explorer de nouvelles approches, telles que l’utili- plus étudié (vers, mille-pattes…), mais aussi meso-
sation d’eaux non conventionnelles et la séparation faune (acariens, collemboles…), microflore (bac-
à la source des excrétats, pour maximiser l’efficacité téries et champignons) et microfaune, invisible à
de la gestion des ressources en eau et réduire les l’œil nu (nématodes).
impacts environnementaux. — Des usages et valeurs paysagers, culturels et ré-
créatifs
Les SfN offrent un cadre prometteur pour aborder
ces défis, mais leur succès dépendra de la capacité Les activités humaines sont devenues un facteur
à les intégrer de manière holistique dans les stra- dominant dans la formation et l’évolution des sols
tégies de gestion urbaine. urbains, ce qui a conduit au concept d’anthropo-sé-
quences, où les sols évoluent principalement en ré-
ponse aux interventions humaines.
ENJEUX LIÉS AUX SOLS URBAINS Contrairement aux idées reçues, tous les sols ur-
bains ne sont pas dégradés. En réalité, on trouve une
« Sols urbains : terres inconnues ? »19 grande variété de types de sols en milieu urbain, que
l’on peut regrouper en plusieurs catégories en fonc-
Les sols urbains sont de véritables réservoirs de tion de leur degré de modification :
biodiversité et des ressources clés pour le bon fonc-
tionnement des écosystèmes urbain et la résilience — Sols naturels à pseudo-naturels (très peu mo-
urbaine. Or ils ont été fortement mis à mal par le difiés par les activités humaines), comme les
développement de l’urbanisation : pollutions, im- Luvisols dans les forêts urbaines ou les Cambisols
dans les zones d’agriculture urbaine. Ces sols ont
conservé une grande partie de leurs fonctionna-
19 Titre de l’intervention de Christophe Schwartz (INRAE – Universi- lités naturelles.
12 té de Lorraine) – Réunion du GT le 17 juin 2024.
— Sols reconstitués ou construits : Les Anthropo- On l’a vu, le développement de la végétation ur-
sols utilisés en horticulture, avec un apport impor- baine a par exemple des impacts directs, quoique
tant de matières organiques, ou les Technosols complexe, sur la qualité de l’air, la chaleur en ville, la
construits, tels que ceux des toits végétalisés. régulation des eaux pluviales – sans compter les ef-
fets culturels, psychnologiques et sociaux pour les
A noter que certains sols, complètement remaniés citadins.
suite à des constructions ou des remblais, n’entrent
pas complètement dans les catégories précédentes. Par ailleurs, les sols urbains jouent un rôle crucial
dans la gestion des eaux pluviales et le succès de
Ces anthroposéquences témoignent d’une dyna- la végétalisation. L’imperméabilisation des sols em-
mique complexe des sols urbains. L’analyse des sols pêche l’infiltration naturelle de l’eau, entraînant un
parisiens entre 1949 et 2017 montre ainsi que 36 % ruissellement accru qui peut causer des inondations.
de la surface de l’agglomération parisienne a changé La végétalisation, en particulier avec des techniques
d’affectation en 70 ans, principalement en raison de comme les jardins de pluie ou les toits verts, peut
l’urbanisation. permettre une meilleure infiltration tout en réduisant
la quantité d’eau de pluie qui atteint les systèmes
d’égouts. Un sol urbain sain, bien entretenu et riche
Une diversité aussi bien verticale qu’horizontale en matière organique favorise aussi une végétation
plus résiliente et capable de mieux supporter des pé-
La variabilité des sols urbains se manifeste aussi bien riodes de sécheresse ou de fortes pluies.
dans leur profondeur que dans leurs étendues :
Autre exemple d’interaction, entre air (chaleur ur-
— Verticalement, les sols sont composés d’une baine) et sol : « L’implantation urbaine commence
superposition de couches, appelées « hori- à modifier la température du sous-sol. Il y a des îlots
zons », allant de la roche mère à la surface, pré- de chaleur souterrains en ville, alors que souvent, le
sentant chacun des propriétés et des évolutions sous-sol sert à fournir du froid, et dans le futur, le
spécifiques. froid va être un gros besoin ».
— Horizontalement, la diversité des aménage-
Les dimensions de l’air, de l’eau et des sols en milieu
ments urbains (souterrains et de surface) induit
urbain sont donc étroitement interconnectées.
une forte variabilité locale des sols et de leurs
fonctionnalités : à quelques mètres près, les sols
peuvent être très différents les uns des autres sur
Interactions entre approches vertes, grises et
l’ensemble de la superficie de la ville.
douces
Les sols urbains nécessitent ainsi des approches
spécifiques pour maintenir ou restaurer leurs fonc- Les solutions fondées sur la nature ne suffiront pas
tionnalités : désimperméabilisation, décompaction, à compenser les atteintes anthropiques en milieu ur-
amendement, construction… Face à leur complexité bain ; il est donc indispensable de les combiner avec
et leur diversité, la recherche doit se développer afin des solutions dites technologiques (dites «grises»),
de mieux comprendre les liens entre l’état des sols, et des solutions liées à l’organisation et au compor-
leurs fonctions écologiques et les services écosysté- tement humains, dites «douces».
miques qu’ils fournissent, et tester des solutions sur Par exemple, la végétalisation ne peut pas com-
le terrain et développer des outils d’aide à la décision penser les émissions de gaz à effet de serre liés à
pour les gestionnaires publics et privés. aux trois principaux contributeurs que sont les bâti-
ments, la mobilité et l’alimentation. La gestion des
trois dimensions de la nature en ville que sont l’air,
SYSTÈMES, SYSTÈMES DE SYSTÈMES : l’eau et le sol, doit donc aussi s’articuler à la prise
QUELLES INTERACTIONS, QUEL FONCTION- en compte de leviers d’action liés à ces secteurs.
La recherche de synergies, comme dans le cas de
NEMENT ?
l’agrivoltaïsme urbain, est bien entendu souhaitable.
L’approche systémique, essentielle à une compré-
Les solutions fondées sur la nature telles que la
hension pertinente des enjeux de la nature en ville,
végétalisation des toitures et façades, la création
peut être illustrées à travers trois exemples d’inte-
de parcs urbains ou la restauration de cours d’eau
ractions : entre les trois dimensions étudiées ; entre
en ville permettent par exemple de réduire les pol-
approches fondées sur la nature, approches techno-
luants atmosphériques, de réguler les températures,
logiques et approches socio-organisationnelles au
de limiter les inondations et les canicules. Pour un
sens large ; et entre niveaux de territoires.
impact suffisant, cependant, un couplage à des so-
lutions technologiques est généralement néces-
Interactions entre air, eaux et sols urbains saire. Ainsi, pour gérer efficacement les épisodes de
pluie intense et de réduire le risque d’inondations,
L’air, l’eau et le sol fonctionnement en étroite sym- les systèmes de drainage urbain peuvent être op-
biose dans les villes, selon des régulations complexes timisés par l’installation de bassins de rétention, de
en fonction des paramètres de chaque situation lo- réservoirs souterrains ou de stations d’épuration in-
cale et temporelle. novantes. Une rénovation ambitieuse du bâti ancien
13
est également essentielle pour adapter les villes au des écosystèmes régionaux, la ville étant un
climat futur et assurer un confort suffisant à l’inté- maillon dans un réseau écologique plus vaste,
rieur des bâtiments, en évitant un emballement de comprenant par exemple l’amont et/ou l’aval
la consommation d’énergie lié au rafraîchissement d’une rivière, des zones agricoles et forestières
(climatisation). connexes, etc.
Enfin, les solutions « douces », comme l’adaptation Le développement de la nature en ville suppose
des comportements, la planification urbaine durable donc une approche résolument systémique, en
et la mise en œuvre de politiques publiques adap- intégrant non seulement les spécificités des milieux
tées, sont essentielles pour garantir la pérennité des urbains (air, climat, eaux, sols), mais aussi les interac-
initiatives. Par exemple, la sensibilisation des habi- tions entre ces dimensions, les types de solutions
tants à la gestion responsable de l’eau ou à la réduc- déployées, et les niveaux territoriaux.
tion des émissions polluantes peut renforcer l’effica-
cité des SFN et des solutions technologiques. Cette vision holistique appelle l’approfondissement
La combinaison de ces trois types de solutions crée et la mise en relation de nombreuses connaissances
un système d’interactions complexes où chaque à différentes échelles. On peut souligner à cet
approche renforce ou complète les autres. Un éco- égard que les connaissances déjà disponibles
système urbain résilient repose sur l’équilibre de ces sont très hétérogènes : certaines choses sont
différentes solutions. La pertinence des différentes mieux connues que d’autres, ce qui appelle à cibler
solutions et de leur combinaison doit être évaluée au les efforts sur ces dernières. Quelques exemples à
cas par cas, en fonction du territoire concerné. titre d’illustration.
— à l’échelle du confort thermique : système de sac Du fait de ces nombreuses limites ou points de vigi-
à dos par exemple, porté par quelqu’un qui se dé- lance, une intervenante va jusqu’à considérer qu’ « on
place (système Cityfeel de Hepia, en Suisse) ou peut faire ‘parler’ la mesure un peu comme on veut,
dans un panier ajouré (CityClimateX21) ; en ajustant la façon de mesurer ». Il est donc néces-
saire que des protocoles rigoureux soient proposés.
— à l’échelle de l’ICU : en voiture (système Ther-
moroute du Cerema) ou à vélo (exemple d’une Accroître la quantité et la qualité des données
campagne de mesure à l’Université de Dijon ou à représente donc une première piste de progrès. La
l’Université Jean Moulin Lyon 3). suivante s’oriente ainsi vers la construction et l’utili-
sation d’outils performants de simulation et de mo-
Il faut tout d’abord souligner que l’installation et la délisation.
gestion de stations de mesure fixes est souvent
compliquée en milieu urbain : démarches adminis-
15 21 www.cityclimatex.com
MODÉLISATION ET SIMULATION : AFFINER ET Tout d’abord, les matériaux de construction ne sont
INTÉGRER LES MODÈLES SCIENTIFIQUES pas considérés de façon suffisamment fine : une sur-
face en béton dense sera considérée comme une
Une fois les données recueillies, l’enjeu est de les surface en béton poreux.
mettre au service d’une vision aussi complète que
possible des réalités urbaines et de leurs interac- Ensuite, certaines dimensions sont absentes ou
tions, grâce à des outils de modélisation et de simu- insuffisamment présentes dans la conception des
lation performants. Dans une perspective plus opé- modèles. Par exemple, les arbres urbains ne sont
rationnelle, ces méthodes permettent également de pas systématiquement pris en compte dans les mo-
tester et de piloter les évolutions envisagées. dèles de qualité de l’air, ce qui limite la précision des
simulations.
La modélisation informatique est ainsi un outil pré-
cieux pour simuler l’impact de différents aménage- Exemple :
ments urbains sur la température. Le projet ANR sTREEt (Impact of sTress on
uRban trEEs and on city air quality), financé
Exemple : par l’ANR (2019-2014), vise à combler cette
À petite échelle, un outil comme SOLENE- lacune en étudiant l’impact du stress des
Microclimat22, développé par le laboratoire arbres urbains sur la qualité de l’air. Sont inté-
CRENAU (Ecole supérieure d’architecture de grés des paramètres tels que l’effet aérody-
Nantes) et le CEREMA, permet de simuler l’im- namique des arbres, le dépôt de polluants sur
pact des climatisations sur le réchauffement les feuilles, et l’émission de composants orga-
des façades et de l’environnement proche, et, niques volatils (COV).
en retour, l’effet de ce réchauffement sur la
performance des climatiseurs. Un autre exemple est le manque de vision dyna-
Les simulations montrent que les rejets de mique dans les modèles d’analyse microclimatique
climatisation en façade peuvent augmenter ou de la qualité de l’air en ville, souvent basés sur
la température de 2 à 3°C, ce qui se traduit des données thermiques statiques ; une meilleure
par une augmentation de 10 % des besoins en prise en compte des dimensions aérauliques serait
froid des bâtiments. souhaitable.
Plus globalement, les modèles de climat spécifique
À l’échelle de la ville, le modèle TEB (Town Energy à chaque ville, et plus encore les modèles de climat
Balance) de Météo-France, qui prend en compte futur, sont aussi très insuffisants. Comme le sou-
les zones urbaines dans les simulations météorolo- ligne un intervenant, « il y a d’abord un gros travail
giques, permet par exemple de simuler l’effet de la de définition du climat de chaque ville ; et chaque
végétalisation (toits végétalisés, pelouses, arbres) ville aura un autre climat à l’avenir. Les choix que
sur l’ICU. l’on fait aujourd’hui doivent être compatibles avec
aujourd’hui et avec après-demain. Un enjeu scienti-
Une autre solution de modélisation consiste à utiliser fique important est donc la qualification climatique
des modèles géostatistiques. Ils présentent l’avan- des villes à 2050 et 2100. Or ce qui pèche dans de
tage de partir de constats terrains afin de retrans- nombreux endroits en France, c’est de récupérer des
crire en tout point du territoire le confort thermique données climatiques ».
ou la température de l’air.
Ensuite, certaines dimensions sont aujourd’hui in-
Exemple : tégrées de façon trop agrégée dans les modèles,
La thèse de Lucille Alonso (2021)23 met en ce qui ne permet pas d’avoir une vision suffisamment
avant les avantages et les inconvénients à fine des réalités prises en compte. Il conviendrait
adopter une telle approche. Elle a permis d’affiner les modèles, en décorrélant les compo-
également de souligner les erreurs géostatis- santes de ces dimensions, pour mieux comprendre
tiques qui peuvent se présenter en fonction comment chaque facteur contribue au microclimat
de la morphologie urbaine et de la mesure urbain et aux effets plus larges comme les ICU.
terrain.
Exemple :
Cependant, les modélisations actuelles présentent La relation entre le rayonnement solaire, l’éva-
des limites qui sont autant de défis que la re- potranspiration, et la température de surface
cherche et l’innovation s’attachent à relever. On est souvent modélisée de manière agrégée,
peut en citer quatre. ce qui peut masquer des variations impor-
tantes et des interactions complexes.
13 outils de mesure et de simulation de la cha- 31 WSP|BG Ingénieurs Conseils est un bureau d’ingénierie dans le
leur urbaine sur une série de critères : échelles domaine Infrastructures, bâtiment, énergie, industrie, eau et environ-
nement. Il se positionne également sur le conseil aux collectivités lo-
spatiale et temporelle, temps de simulation, cales sur les enjeux liés à la ville, à l’aménagement urbain, la complexité
disponibilité sur le marché, type d’usages, de la gestion urbaine.
30
Cette approche est aujourd’hui reconnue pour sa On retrouve ici la difficulté de dégager des solutions
contribution à la transition écologique, à la dyna- opérationnelles à la fois pertinentes et acceptables,
mique collective et au développement durable des pour des équations complexes faisant intervenir un
territoires40. grand nombre de paramètres de nature différente
– techniques, politiques, économiques, sociaux, etc.
Développer des méthodes innovantes de partage
des connaissances sur les enjeux de la nature en ville L’exemple des friches, déjà évoqué en première
au sein des écosystèmes urbains, les diffuser, les partie, illustre bien cette tension, dans la mesure où
évaluer : cette piste de travail est clairement priori- il s’agit d’espace intermédiaires entre ville et nature
taire pour rapprocher des savoirs qui évoluent rapi- et qui appellent donc arbitrage quant à la façon dont
dement et de considérables besoins d’application de la collectivité les considère et ce qu’elle souhaite en
ces savoir dans des conditions maîtrisées. faire, comme l’a bien montré un intervenant.
Plusieurs bases de données permettent de cartogra-
phier ces friches : Cartofriches (CEREMA), POGEIS
2. Réinventer les référentiels et (Fondation pour la recherche sur la Biodiversité). En
Ile-de-France, on compte 2721 friches potentielles, et
les modalités de l’action publique 776 friches en petite couronne dont Paris, dans 728
communes. Leur superficie va de 100 m2 à 185 ha.
REPENSER LES POLITIQUES D’URBANISME « L’enjeu pour la recherche est de mieux les carac-
ET D’AMÉNAGEMENT tériser, de faire des inventaires du vivant, pour arbi-
trer sur le fait de savoir si on les utilise au titre de la
Les politiques d’aménagement urbain et d’urba- densification ZAN, ou plutôt comme des espaces de
nisme sont bien sûr directement concernées par les nature à préserver ; dans ce cas, ils n’ont pas forcé-
enjeux de développement de la nature en ville. Ces ment besoin d’être « renaturés », même s’ils peuvent
enjeux ont été pris en compte depuis des décen- sembler délaissés, abandonnés, sauvages, mais
nies, selon des référentiels qui ont beaucoup évolué n’est-ce pas cela aussi, la nature en ville ? »
et dont l’histoire fait l’objet de nombreux ouvrages.
Une première remarque : cette histoire conditionne Un autre exemple bien connu est celui de la gestion
largement les trajectoires actuelles et futures, il est de l’eau en ville (et au-delà). Là encore, les repré-
donc important de la connaître, d’en comprendre les sentations et les usages de l’eau sont multiples et
ressorts et de s’appuyer sur elle pour envisager les souvent conflictuels, pour une ressource de plus en
bifurcations à venir, y compris dans leurs dimensions plus en tension. De nombreux arbitrages vont être
les plus technologiques. requis, entre la ville et d’autres milieux, et, en ville,
entre une diversité de besoins domestiques, urbains,
L’objectif n’est pas ici de résumer ces savoirs histo- industriels, etc. Le développement de la nature en
riques mais de pointer quelques-unes des questions ville est porteur de nouveaux besoins qui devront
clés qui se posent aujourd’hui à ces politiques ur- composer avec d’autres, dans le cadre de choix col-
baines, concernant la nature en ville, et qui ont été lectifs complexes.
évoquées dans le cadre du GT.
La question est illustrée par une intervenante Ces questions n’ont pas été au cœur des travaux du
dans le cadre de la présentation du zonage GT, qui a toutefois tenu à en souligner l’importance.
pluvial de la Ville de Paris (Plan Paris Pluie). A noter que des travaux antérieurs du GT ont permis
La Ville de Paris, rappelle-t-elle, « est une or- d’apporter des pistes de réflexion et de solution sti-
ganisation gigantesque, (…). Quand on com- mulantes sur ces enjeux au croisement de l’environ-
mence à parler de co-bénéfices, au-delà des nemental et de l’économique : on peut notamment
bénéfices purement hydrologiques, on va ren- citer la présentation de Benoît Boldron, invité à in-
contrer des problématiques de répartition des tervenir lors d’une réunion du GT le 23 avril 2023,
responsabilités, des financements etc. entre organisée en partenariat avec l’Académie des Tech-
domaines et services concernés. Par exemple, nologies, sur le thème « Ville renaturée et régénéra-
un service des Espaces verts va se deman- tive : des concepts à la réalité, quels enjeux pour la
der si c’est à lui seul de payer pour l’entretien recherche et l’innovation ? »43
d’une bande plantée qui aura des bénéfices
pour la gestion des eaux, la protection de la Les enjeux se concentrent autour de l’appréciation
biodiversité, la santé humaine et la qualité de de la valeur économique des actifs naturels, et sur
vie, etc. On rencontre donc ces freins à l’in- celle des impacts positifs et négatifs des activités hu-
térieur de la collectivité, quand on essaye de maines sur les écosystèmes dans toutes leurs dimen-
développer ce type de solution. » sions (écologiques, sociales…) :
— évaluation d’externalités négatives, pour prise
Cette question renvoie aux types de compétences en charge par leurs émetteurs,
disponibles dans les différents services et à la façon — valorisation d’externalités positives, pour en
dont ils se combinent – ou pas – dans la définition créditer des acteurs contributeurs, etc.
des règles, seuils et approches en matière d’enjeux
transverses : « La question de savoir comment on Un exemple est celui de la réutilisation des sols pol-
écrit la règle est importante – elle est actuellement lués. Beaucoup de friches sont laissées à l’abandon
re-posée, en vue d’une mise à jour du zonage. » car le nouveau propriétaire du site devient celui aussi
Et le besoin d’expertise transversale est égale- de la pollution et doit la traiter avant de pouvoir faire
ment posé : « Il faudrait évaluer s’il vaut mieux une un nouvel usage du sol, compte tenu des protocoles
concentration de sols désimperméabilisé permettant d’évaluation des risques sanitaires. Or, il est souvent
une infiltration plus importante, ou une canalisation moins coûteux et plus simple d’artificialiser de nou-
débordée qui fuit » – évaluation qui se trouve en gé- velles parcelles (dont des parcelles agricoles) que
nérale dissociée entre les deux risques, dès lors qu’ils d’utiliser une friche d’une ancienne installation.
relèvent de deux services différents.
36
La seconde approche part du principe que faire place parle de SfN, on a tendance à ne plus traiter le su-
à la nature en ville suppose de laisser s’exprimer da- jet de la gestion des eaux par exemple qu’à travers
vantage ses cycles et ses modes d’organisation le prisme des services qu’elles vont rendre : infiltra-
propres. L’objectif est donc principalement de mini- tion, évapotranspiration etc. Mais il importe aussi de
miser l’intervention et l’empreinte humaine sur le garder en tête l’objectif de renaturation en soi, de
territoire de la ville, pour permettre aux écosystèmes maintien de la biodiversité – qui a un sens en soi, et
de se reconstituer spontanément. Cela se traduit par qui conditionnera de toute façon le reste. Est-ce que
exemple par le maintien ou la création de friches ur- la végétation qu’on a plantée va survivre ? Comment
baines ou de jardins sauvages, où la végétation lo- va-t-on l’entretenir, la développer, limiter ou gérer les
cale et la biodiversité s’installent sans planification espèces invasives, etc. ? »
stricte, en fonction de leur propre dynamique.
Cette vision met l’accent sur l’autonomie et la ré- Cette réorientation de l’approche débouche sur
silience des milieux naturels, sur leur capacité à se deux autres pistes de travail :
régénérer et à s’adapter, même dans des environne-
ments fortement anthropiques. — celle d’une intervention humaine (scientifique, in-
novante…) davantage focalisée sur les règles d’at-
Un intervenant explicite ce point de vue : « Il faut tribution de l’espace et de ses usages ;
en finir avec une vision exclusivement « ingénierale »
— et bien sûr, celle des modalités de ces arbitrages
du fonctionnement urbain, et privilégier une vision
entre nature et société en ville ; en d’autres termes,
écologique : pour un écologue, ne pas gérer, c’est
« la question de savoir qui décide de cela, quels
aussi gérer. Ne pas intervenir peut être préférable à
choix collectifs, selon quelles modalités, etc. »
la ‘gestionnite’45 à laquelle nous sommes habitués.
Cela renvoie à l’idée que nous devrions passer d’une
Pour conclure, une bonne maintenance de la nature
logique consistant à aménager la nature dans la
en ville appellerait à « laisser davantage vivre »
ville à une autre consistant à aménager la ville à
cette dernière, tout en s’attachant à la « faire
partir de la nature (continuité des trames brunes,
vivre » lorsque cela apparaît nécessaire. En effet,
vertes, bleues, etc). Et plus largement, aux visions
sur ce dernier point, une intervenante rappelle qu’en
émergentes qui prônent de faire cohabiter de fa-
milieu artificialisé, la nature a souvent besoin, pour
çon plus équilibrée les humains et les non-hu-
se maintenir, d’un coup de pouce ou d’un accompa-
mains, dans l’espace et dans le temps. »
gnement. Par exemple, « il existe un a priori fréquent
selon lequel la biodiversité des sols s’installe d’elle-
Le président du GT souligne ainsi la « tension entre le
même en milieu urbain. Si cela peut être vrai dans
besoin d’intervention dans la gestion de la nature ré-
certains cas, d’autres situations sont plus complexes.
introduite ou recréée en ville, et le souhait de ne pas
Par exemple, il est difficile de trouver des vers de
(ou pas trop) intervenir pour la laisser se développer.
terre sur des toitures. De plus, la stabilisation de la
Y a-t-il un juste équilibre entre ceux deux attitudes ? »
biodiversité peut prendre plusieurs années, parfois
quatre à cinq ans, avec des fluctuations importantes
Le souci de combiner le meilleur de nos savoir-faire
avant d’atteindre un équilibre stable. »
technologiques et l’ouverture à de nouveaux enjeux
et modes de fonctionnement apparaît comme un
objectif légitime en l’état actuel de la planète et des
savoirs. L’objectif serait alors de maximiser les bé- 2. Questions scientifiques et
néfices de la nature tout en respectant ses dyna-
miques propres, ce qui suppose un certain retrait de
techniques : quel devenir de la
l’emprise humaine sur la nature en ville. nature en ville ?
En France, estime l’un d’eux, « on a un peu la ‘ges-
tionnite’ aiguë, c’est sans doute lié à notre culture Les parties I à III ont permis d’identifier de nom-
d’ingénieurs : on veut forcément faire quelque breuses pistes de recherche et d’innovation liées au
chose. J’ai vu beaucoup de projets de friches dans développement de la nature en ville. On se conten-
lesquelles on allait mettre des platelages, couper tera ici d’en désigner deux, qui renvoient plus spécifi-
des branches etc., alors que parfois, il faut laisser quement à l’enjeu de la maintenance de cette nature
faire, savoir ne rien faire. (…) [Ces espaces] n’ont en ville.
pas forcément besoin d’être ‘renaturés’, même s’ils
peuvent sembler délaissés, abandonnés, sauvages,
mais n’est-ce pas cela aussi, la nature en ville ? » LE VIEILLISSEMENT DES TECHNOSOLS
Un intervenant rappelle qu’au-delà des besoins di- La conception et les divers usages des Technosols,
rects du citoyen urbain, des intérêts supérieurs sont on l’a dit, représentent une voie de recherche et
en jeu dans ce rééquilibrage des approches : « Il faut d’expérimentation prometteuse en tant que solution
aussi rappeler l’importance de la dimension propre- fondée sur la nature en milieu urbain.
ment écologique, liée à la biodiversité etc. Quand on La question de l’évolution dans le temps de ces
Technosols fait cependant partie des questions pour
lesquelles les éléments de réponse sont encore très
45 La notion de gestionnite étant utilisée de façon péjorative pour
désigner la tendance de certains gestionnaires de la nature à interve-
limités, voire suscitent certaines appréhensions qui
nir de façon jugée excessive sur les milieux, pour les conserver et pour seront autant de nouveaux défis.
37 permettre aux espèces et aux habitats de se maintenir.
On sait ainsi que les éléments comme les sols et Un autre intervenant, renvoyant notamment aux tra-
la végétation perdent certaines fonctionnalités en vaux François Chiron (AgroParisTech), pointe le fait
vieillissant. Mais on est loin de connaître la portée que « ces espèces dites envahissantes renvoient
et l’ensemble des impacts de ce vieillissement – parfois seulement à un problème de perception.
notamment concernant les Technosols ; de même Là aussi, pour les espèces ne posant pas de réel
qu’on ne connaît pas bien la façon dont la biodiver- problème de santé ou de biodiversité, la non-gestion
sité s’y développe, ou pas, dans le temps, en l’ab- peut être préférable à la gestion… »
sence d’intervention humaine. Or ces connaissances
sont essentielles pour savoir quel niveau et quel type Et là encore, les équilibres à trouver entre adaptation
de maintenance, même minimale, sont nécessaires des écosystèmes à de nouvelles espèces adaptées
au bon développement de la nature en ville. aux évolutions climatiques et limitation des nuisibles
Une intervenante note par exemple : « On a pu ob- envahissants sont au cœur des enjeux de la mainte-
server qu’un Technosol d’une dizaine d’années avait nance de la nature en ville, et appellent une connais-
été progressivement contaminé aux métaux lourds, sance plus approfondie des espèces et des situa-
alors que ceux-ci n’étaient pas présents dans l’at- tions. Des travaux sont déjà en cours, par exemple,
mosphère. Au bout de 10 ans, la quantité mesurée comme le mentionne un participant, dans le cadre
dans le Technosol (presque 100 mg/kg de plomb) du PEPR Solu-BioD, avec en particulier un réseau de
s’approchait pourtant du seuil maximal fixé par la Living Labs pour partager des connaissances, expé-
norme. Les contaminations aux polluants émer- rimenter et promouvoir des Solutions fondées sur la
gents tels que les microplastiques sont à regarder nature en matière de biodiversité en ville.
aussi de près. Leur présence peut être assez fré-
quente dans les Technosols, avec des déchets qui en
contiennent. » 3. Questions économiques :
quels coûts complets,
LE DÉVELOPPEMENT D’ESPÈCES INVASIVES quels systèmes comptables ?
La prolifération d’insectes ou de micro-organismes En matière de maintenance de la nature en ville, il
invasifs est devenue un fléau aussi bien dans les villes peut paraître plus économique de laisser faire la
que dans les zones rurales. Les causes de ce phé- nature, puisqu’on n’a alors plus à payer le coût de
nomène sont plus ou moins connues : importation l’entretien des espaces : jardiniers, produits etc. Les
de substrats ou de végétaux exotiques porteurs de situations budgétaires étant généralement tendues,
ces espèces, en vue d’implanter une végétation qui un intervenant souligne l’intérêt « d’avoir une faune
résistera aux impacts futurs du changement clima- et une flore les plus autonomes possibles : il faut arri-
tique, réchauffement climatique propice à la survie ver à se passer d’entretien le plus possible, pour que
et au développement de ces espèces, etc. Par ail- ce développement de la nature en ville au bon ni-
leurs, certaines formes urbaines favorisent l’installa- veau soit économiquement possible. »
tion et le développement d’espèce problématiques
(moustique-tigre). Parmi les autres espèces problé- Mais on arrive très vite au constat que la réalité
matiques pour des raisons sanitaires ou de maintien est plus compliquée, notamment par manque de
de la biodiversité, ont été mentionnés par exemple connaissance suffisamment fine des coûts com-
la fourmi électrique détectée à Toulon et le vers sau- plets, concernant aussi bien les situations actuelles
teur, dans le Sud de la France. que les projections d’autres types de maintenance
– pour lesquels divers scénarios peuvent être envi-
La maintenance de la nature en ville appelle ici divers sagés, allant du laisser-faire intégral à des solutions
travaux de recherche, pour qualifier les réalités ob- fondées sur la nature plus ou moins sophistiquées.
servées et proposer des pistes de solution.
Des travaux récents ou en cours permettent d’avan-
Un intervenant suggère ainsi de faire la part des cer sur ces questions. On peut citer le volet « Eva-
choses entre les espèces qui vont vraiment poser luation économique » du projet Life ARTISAN, pro-
un problème en ville et celles qui s’accommodent jet qui vise à mettre en place un cadre propice au
du milieu urbain sans le perturber. « Le MNHN a déploiement des Solutions d’adaptation au change-
mené une étude sur la perruche à collier, qui a mon- ment climatique fondées sur la Nature46 : il s’agit d’un
tré qu’elle n’allait pas faire décliner les espèces lo- travail de fin d’études réalisé par Auriane Bahuau, qui
cales d’oiseaux ; on peut aussi citer le buddleia (arbre synthétise les méthodes existantes et mobilisables
à papillons) qui s’installe là où d’autres espèces ne pour comparer économiquement les projets de SafN
vont pas. Il y a un donc un double travail à faire : aux solutions grises47.
— sur l’évitement de la prolifération en amont, qui Si « le coût d’entretien des espaces verts par les mai-
peut amener à privilégier des espèces locales par ries est estimé de 1 à 4 euros / an par m2 », selon une
exemple ; intervenante, de nombreux autres éléments ne font
— et sur le choix des méthodes de gestion des dif-
férentes espèces, en fonction des éventuels pro- 46 https://www.ofb.gouv.fr/le-projet-life-integre-artisan
blèmes qu’elles vont poser (ou pas) ».
47 https://www.ofb.gouv.fr/le-projet-life-integre-artisan/documen-
38 tation-life-artisan/evaluation-economique-des-solutions
l’objet d’aucune estimation économique. « Quand nagements urbains, de travailler à ce qu’ils puissent
on ramasse les feuilles mortes des bords de route, s’autogénérer… mais attention à ne pas donner le
qu’en fait-on ? Les considère-t-on comme des maté- sentiment – contre-productif – que la nature peut
riaux écologiques, alors qu’elles sont probablement se gérer elle-même. On est dans des espaces avec
très polluées par le sol et par l’air ? Ce sujet des bi- beaucoup d’injonctions contradictoires, et il faut de
lans des entretiens n’est pas bien traité », note par toute façon la main de l’homme, au moins une vision
exemple la conseillère scientifique du GT. politique, qui se traduit sur le terrain par des équipes,
des agents, des urbanistes, des paysagistes, qui à
Autre angle mort dans l’évaluation des coûts de la un moment vont penser toutes les conditions pour
maintenance ou de la non-maintenance de la na- que la nature en ville, la végétation, les paysages,
ture en ville : « la façon dont les habitants prennent puissent vraiment durer dans le temps. »
part à cette gestion du vivant, des sols etc. dans la
ville. On pourrait imaginer d’évaluer la valeur éco- La conseillère scientifique du GT le souligne : « La
nomique de cette gestion par les habitants », relève question de la maintenance fait appel à d’autres
une intervenante. acteurs que ceux de la conception et de la mise en
place des SfN, et elle peut représenter un véritable
Enfin, même lorsqu’on a progressé sur la capacité à point faible. Pour un toit végétalisé, par exemple,
évaluer économiquement tel ou tel coût écologique il faudrait impliquer les services urbains, les habi-
ou social, reste à aligner l’ensemble des compé- tants, expliquer, former – et on voit qu’on ne sait
tences et des outils pour prendre en compte ces pas très bien comment faire passer ce message,
nouvelles données, et à généraliser la diffusion et au-delà de l’investissement ponctuel réalisé dans la
l’usage de nouvelles normes et de nouveaux sys- mise en place ».
tèmes comptables.
Autre exemple de la recomposition des interactions
Concernant les SfN de gestion des eaux pluviales, sociales autour du développement de la nature en
un intervenant précise : « Au début, on n’avait sans ville : la mise en tension des frontières entre services
doute pas tous les outils pour cette maintenance, à l’intérieur d’une collectivité, déjà évoquée mais qui
notamment financiers. Aujourd’hui, cependant, on est particulièrement vive s’agissant des enjeux de
sait calculer l’amortissement de ces infrastructures maintenance. Comme le fait observer une interve-
fondées sur la nature sur le temps long, provisionner, nante, le fait que ces solutions soient productrices
etc. Reste à mobiliser ces connaissances, mettre en de co-bénéfices fait surgir des problématiques de
place une comptabilité écologique, etc. Et à valoriser répartition des responsabilités, des financements
la capacité à penser l’ensemble du cycle de vie de etc. entre domaines et services concernés. « Par
ces infrastructures, y compris culturellement, au-de- exemple, un service des Espaces verts pourra consi-
là de l’investissement initial. » dérer que les coûts d’entretien d’une bande plantée
qui aura des bénéfices pour la gestion des eaux, la
protection de la biodiversité, la santé humaine et la
4. Questions sociales : quelles qualité de vie, relèvent d’un co-financement avec
trois ou quatre autres services ».
compétences collectives, quels
nouveaux systèmes d’acteurs, Ces divers exemples illustrent le fait que les So-
quelles régulations ? lutions fondées sur la nature peuvent être quali-
fiées d’ « infrastructures relationnelles », selon
le concept proposé par un intervenant. Faisant ré-
Les enjeux de maintenance font intervenir des par-
férence aux travaux de Jewett & Kling48, il rappelle
ties prenantes beaucoup plus diverses que ceux
que toute infrastructure, grise ou verte, implique un
de la production initiale (y compris usagers eux-
tissu de relations qui lui permettent d’exister : cadre
mêmes), avec des enjeux de collaboration plus éle-
juridique, gouvernance, pratiques organisées, etc.
vés : qui paye, qui est responsable, qui agit pour quel
Comme toute infrastructure, les SfN nécessitent
type de maintenance, sachant de plus que les béné-
une activité de maintenance qui est déterminante
fices sont multifonctionnels ? Ces sujets sont sources
pour leur pérennité. Or, souligne-t-il, on prête géné-
de controverses et reconfigurations majeures entre
ralement une attention insuffisante à cette activité.
services (Espaces verts / Eau et assainissement par
Lorsque les compétences ne sont pas disponibles
exemple), et entre catégories d’acteurs, voire, à terme,
directement au sein des collectivités locales, il peut
à la structuration de nouveaux systèmes d’acteurs.
être utile de développer des partenariats pour assu-
rer cette maintenance, par exemple avec des agricul-
Là encore, ce sujet a été abordé dans la partie III,
teurs, des paysagistes, des acteurs environnemen-
même s’il n’a pas été exploré spécifiquement par le
taux, voire de simples usagers de l’infrastructure.
GT. Contentons-nous donc ici de mettre l’accent sur
D’une façon générale, rappelle-t-il, « la question
la transformation du système social local que sup-
de savoir si une infrastructure fonctionne ou non
pose une maintenance efficace de la nature en ville.
est davantage liée au contexte politique (au sens
Le premier met l’accent sur la diversité des com-
pétences à mobiliser pour organiser cette mainte-
48 Jewett, T. & Kling, R. (1991) – « The Dynamics of Computerization.
nance. Une intervenante met ainsi en garde : « Il y a In a Social Science Research Team: A Case Study of Infrastructure.
39 certes l’idée de travailler la circularité dans les amé- Strategies, and Skills » - Social Sci. Computer Rev., 9, 246-275.
large) qu’aux propriétés inhérentes de celle-ci ».
Et il est préférable de privilégier une gestion adapta-
tive, qui n’obère pas les choix futurs.
40
Conclusion
Les parties I, II et III ont mis l’accent sur de nom- nature en ville, condition clé d’une réelle efficacité
breuses pistes de travail renvoyant à des besoins de en tant que solution d’adaptation au changement
connaissance et d’innovation spécifiques concer- climatique ?
nant le développement de la nature en ville, en lien
avec un besoin de connaissances plus appro- La recherche a en tout cas vocation à réfléchir aussi
fondies des diverses composantes de la nature à cette question, qui l’invite à prendre au sérieux la
en ville, notamment du fait de leur variabilité complexité des liens qu’entretiennent ville et nature
spatiale et temporelle. Les éclairages proposés - y compris en se remettant elle-même en question
dans la partie IV sur la question de la maintenance en tant que mode de connaissance et d’interpréta-
illustrent par ailleurs l’importance d’une approche tion du réel. En d’autres termes, la recherche n’a-
systémique pour comprendre et agir sur les t-elle pas aussi vocation à proposer un éclairage
conditions du développement de cette nature différent sur la réalité des besoins respectifs des
urbaine. Celles-ci doivent être abordées de façon divers occupants, humains et non-humains, de
coordonnée entre une diversité de parties pre- notre écosystème Terre ? N’est-ce pas aussi cet
nantes, de disciplines et de niveaux d’action territo- éclairage qui contribue à faire de la nature en ville
riaux et temporels. un démonstrateur de transition écologique ?
Au-delà des questions de granularité fine qui condi- Le mot de la fin revient à un membre du GT :
tionnent la viabilité et la « performance » globale de
la nature en ville, une autre interrogation apparaît en « On ne peut pas planter de la végétation et estimer
filigrane des travaux du groupe : n’est-ce pas vers qu’on a fini. La nature est déjà dans la ville. Il faut
un nouveau modèle ou un nouveau projet, philoso- regarder ce qui est là, ce qu’en font les gens, com-
phique, social, politique et économique, que nous ment on peut l’améliorer, et l’évaluer sur le temps
entraîne la quête d’une véritable intégration de la long – passé et à venir. »
41
Annexe A
Réunions et intervenants
Plusieurs intervenants étaient par ailleurs membres du GT, La renaturation du cycle de l’eau pluviale en ville et le pro-
et/ou ont participé aux travaux au-delà de leur interven- jet GreenStorm (AAP DUT 2022)
tion dans le cadre de l’une des réunions. Laure Fass, ingénieure en systèmes énergétiques, char-
gée d’études et de suivi du plan Parispluie - Ville de Paris
Réunion 1, 27 février 2024 – Introduction et cadrage Le plan Parispluie. Présentation du zonage pluvial parisien,
un outil pour la ville durable
Charlotte Roux, chargée de recherche - Mines Paris-PSL / Christian Piel, géographe, urbaniste, hydrologue - fonda-
lab recherche environnement (ParisTech - Vinci) teur et dirigeant d’Urban Water
La prise en compte des limites planétaires à l’échelle de la Du grand paysage au jardin de pluie : gestion, maîtrise et
ville renaturée valorisation des eaux en milieu urbain
Patrick Stella, maître de conférences - AgroParisTech Antoine Brochet, chercheur post-doctoral (géographie et
science politique) - Institut des Géosciences de l’Environ-
Maxime Trocmé, directeur Déploiement R&D - Vinci (lab nement (CNRS - Grenoble)
recherche environnement (ParisTech - Vinci)
Compétences, leviers et limites de l’action publique terri-
Nature en ville : concepts, enjeux et questions de recherche toriale pour l’intégration de SfN dans le domaine de l’eau
& d’innovation
Marc Barra, écologue - Agence régionale de la biodiversi- Réunion 4, 17 juin 2024 – Terre : sols urbains
té en Île-de-France / Institut Paris Région
Christophe Schwartz, professeur en pédologie urbaine,
Nature en ville : concepts, enjeux et questions de recherche INRAE-Université de Lorraine
& d’innovation
Sols urbains : terres inconnues ?
Réunion 2, 19 mars 2024 – Air et climat urbains Sophie Joimel, maître de conférences - AgroParisTech
Marjorie Musy, directrice de recherche - CEREMA La construction de sols fertiles et les besoins de désim-
perméabilisation des sols urbains pour la végétalisation
Impacts climatiques de la végétation en ville : état des de la ville
connaissances et travaux actuels, enjeux des recherches Robin Dagois, chargé de mission Agronomie, sols urbains
à venir et conduite des végétaux - Plante et Cité
Stéphanie Vallerent, directrice adjointe Climat et Terri-
toire – ACTIERRA Renaturer la ville avec les Technosols : impact sur la bio-
diversité des sols
Lucille Alonso, chef de projet – ACTIERRA Lukas Madl, doctorant en Aménagement et urbanisme,
Université Gustave Eiffel / AREP
Rafraîchissement urbain : solutions innovantes et pistes de
recherche Renaturation, refonctionnalisation, restauration : l’enjeu
Karine Sartelet, directrice de recherche - CEREA - Ecole de choisir la bonne terminologie pour un domaine de re-
des Ponts ParisTech cherche récent
Cécile Brazilier, European Project Manager, DEDALE
Impact de la végétation sur la qualité de l’air
Anthony Danneyrolle, directeur du département Le projet Terroir Urbain
Hydraulique Environnement Ecoconception - ARTELIA Mathilde Salin, doctorante - CIRED / Banque de France
Bioclimatique et qualité de l’air : enjeux opérationnels et Les coûts de la restauration des sols urbains
défis scientifiques Sylvain Riss, directeur Groupe, Digital et BIM – WSP|BG
Ingénieurs Conseils
Réunion 3, 23 avril 2024 – L’eau en ville
Fanny Josse, architecte et doctorante – Université
Pierre-Antoine Versini, directeur de recherche en hydro- Gustave Eiffel / WSP|BG Ingénieurs Conseils
logie - Ecole des Ponts ParisTech
Le jumeau numérique environnemental, un outil d’aide à la
Nature en ville pour la gestion des eaux pluviales : perspec- décision pour répondre à l’objectif ZAN 2050 ?
tives de recherche à travers les échelles urbaines Caroline Gutleben, directrice – Plante et Cité
Jérémie Sage, chercheur en hydrologie urbaine – CEREMA
Evolution des enjeux de la nature en ville et perspectives
pour les villes-nature
42
Annexe B
43
44
33, RUE RENNEQUIN - 75017 PARIS
TÉL. : 01 55 35 25 50
WWW.ANRT.ASSO.FR