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ANRT-Nature-en-ville-Rapport-dec.2024

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Nature en ville :

un démonstrateur de transition écologique


Enjeux de recherche et d’innovation liés au développement de la nature en ville

DÉCEMBRE / 2024
LES CAHIERS FUTURIS
Groupe de travail Transition écologique – Ville durable

Président : Michael Matlosz – Professeur à l’Université de Lorraine – Membre de l’Académie des technologies
Auteur : Nadège Bouquin – ANRT
Conseillère scientifique : Anne Ruas – Université Gustave Eiffel
Directrice de publication : Clarisse Angelier – ANRT

1
2
Nature en ville :
un démonstrateur
de transition écologique
Enjeux de recherche et d’innovation
liés au développement de la nature en ville
LES CAHIERS FUTURIS
Ces travaux sont soutenus financièrement par les souscripteurs FutuRIS :

AIR LIQUIDE - AMPIRIC-AIX-MARSEILLE UNIVERSITÉ - ANR - BERGER-LEVRAULT - BNP PARIBAS


BOUYGUES - CEA - CNRS - DECATHLON - EDF - ENGIE - FRANCE UNIVERSITÉS - GENERAL ELECTRIC
INRIA - INSTITUT MINES TELECOM - INSTITUT PASTEUR - MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION NATIONALE,
DE LA JEUNESSE ET DES SPORTS - MINISTÈRE DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE LA RECHERCHE
RÉGION PAYS DE LA LOIRE - RENAULT - SCHNEIDER ELECTRIC - SNCF - TOTAL ENERGIES - UDICE
VINCI

Le contenu n’engage que la responsabilité de l’ANRT en tant qu’auteur et non celle des institutions qui lui
apportent son soutien.
Présentation du travail et remerciements

Depuis 2020, l’ANRT explore la façon dont la re- L’ANRT et le Président Michael Matlosz remer-
cherche et l’innovation peuvent contribuer à affron- cient chaleureusement l’ensemble des interve-
ter les enjeux climatiques et environnementaux qui nants (annexe A), les membres du Groupe de tra-
conditionnent notre avenir sur la planète. Après un vail (Annexe B), et les membres de FutuRIS pour
colloque dédié à l’analyse de cycle de vie le 10 dé- leur soutien.
cembre 20201, un groupe de travail « Transition éco- Un grand merci aussi à Anne Ruas (Université Gus-
logique » s’est mis en place en 2021. Il s’est penché tave Eiffel), précieuse conseillère scientifique du GT,
sur la question des besoins de recherche en appui au au Groupe Miroir pour le riche travail de coordination
développement du recyclage dans les domaines de et d’appui à l’écosystème, aux responsables du Lab
la construction et du BTP2. Recherche Environnement pour leur accompagne-
ment des travaux du GT, et au Partenariat DUT, avec
En 2022, à la demande du ministère de l’Enseigne- une mention particulière aux responsables du Pilier
ment supérieur et de la Recherche et du ministère de CUE (Circular urban Economies).
la Transition écologique et de la Cohésion des Ter-
ritoires, le Groupe de travail Transition écologique
s’est orienté vers l’accompagnement des transitions
urbaines par la recherche et l’innovation, et a adopté Les propositions formulées dans cette note sont
son intitulé actuel : GT Transition écologique - Ville le fruit des présentations et des échanges au sein
durable. Le GT a travaillé en 2023 sur le thème de la du groupe de travail en 2024. La note n’engage
ville circulaire et régénérative3. pas individuellement ou institutionnellement les
membres du groupe. Elle est portée par l’ANRT,
De ce fait, il s’inscrit aujourd’hui dans l’écosystème dans son rôle d’animation d’échanges collectifs et de
national et européen de recherche et d’innovation force de proposition en direction des responsables
sur la ville durable, en participant notamment : des politiques de recherche et d’innovation.
— au Groupe miroir Ville durable, co-piloté par le
MESR et le MTECT, dont l’objectif est de structu- Pour cette raison, les auteurs des citations ou les
rer et d’animer la communauté française en vue porteurs des projets mentionnés ne sont pas nom-
de développer la participation française aux pro- més : ces citations et exemples ont vocation à il-
grammes européens dédiés ; lustrer des propos synthétisés par la note, et non à
restituer des points de vue particuliers exprimés lors
— au Partenariat européen DUT (Horizon Europe),
des échanges.
en tant que membre associé.

En 2024, le GT Transition écologique - Ville durable a


choisi de réfléchir aux conditions de développement
de la nature en ville, en tant que piste de solution
face aux défis climatiques, environnementaux et so-
ciaux qu’affrontent les villes aujourd’hui. Ce Groupe
de travail s’est réuni à quatre reprises pour écouter
des experts et acteurs du domaine et débattre du
sujet (voir annexe 1).

1 Cf la page web du colloque, site web de l’ANRT.

2 Pistes de recherche pour le développement du recyclage dans une


dynamique circulaire, Les Cahiers FutuRIS, ANRT, février 2022.

3 Organisation d’une Journée d’échange nationale au MESR le 1 er juin


2023, en partenariat avec le MESR, le MTECT et l’ANR: La ville circu-
laire et régénérative. Mieux valoriser les ressources des écosystèmes
urbains : défis et perspectives.
Sommaire

Résumé .......................................................................................................................................... 1

Introduction ................................................................................................................................... 5
Une définition ouverte de la « nature en ville »............................................................................................................................. 5
Nature en ville et adaptation au changement climatique............................................................................................................ 6
Solutions fondées sur la nature : une multifonctionnalité efficace ............................................................................................7
Nature en ville : un emboîtement de problématiques à différentes échelles..........................................................................7

01. Caractériser et modéliser les composantes multifonctionnelles de la nature en ville............. 9


1. Des réalités complexes, hétérogènes dans l’espace et variables dans le temps ............................................................... 9
2. Connaître plus et mieux : enjeux de métrologie, de modélisation et de qualification ....................................................15

02. Co-construire des solutions innovantes et des outils d’aide à la décision............................. 20


1. Promouvoir une recherche en prise avec les enjeux d’innovation urbaine ....................................................................... 20
2. Développer des modèles à la fois puissants et faciles d’utilisation ..................................................................................... 22
3. L’exemple des Technosols : de la terre aux modèles, des modèles aux applications .................................................... 24

03. Mobiliser et outiller les acteurs de la ville régénérative......................................................... 27


1. Comprendre et accompagner la transformation des systèmes d’acteurs ......................................................................... 27
2. Réinventer les référentiels et les modalités de l’action publique...........................................................................................31
3. Modèles économiques : progresser sur la question des valeurs de la nature en ville .................................................... 34

04. Exemple d’une question clé transversale : quelle maintenance de la nature en ville ? ......... 36
1. Questions philosophiques, culturelles et politiques : faire vivre la nature, ou la laisser vivre ? ..................................... 36
2. Questions scientifiques et techniques : quel devenir de la nature en ville ? .................................................................... 37
3. Questions économiques : quels coûts complets, quels systèmes comptables ? ............................................................. 38
4. Questions sociales : quelles compétences collectives, quels nouveaux systèmes d’acteurs, quelles régulations ?...39

Conclusion ..................................................................................................................................... 41

Annexe A : Réunions et intervenants ............................................................................................ 42

Annexe B : Membres du groupe de travail .................................................................................... 43


Résumé

« Va prendre tes leçons dans la nature », disait Léo- des d’organisation et de fonctionnement de la ville,
nard de Vinci. Aujourd’hui, faire davantage place à d’adapter ceux-ci pour faire face aux dérèglements
la nature dans nos villes congestionnées et polluées climatiques et environnementaux actuels et à venir,
permet de joindre l’utile à l’agréable, en réponse à et d’atténuer leurs impacts négatifs à l’échelle des
deux enjeux majeurs : améliorer la santé et le bien- grands équilibres planétaires.
être de citadins toujours plus nombreux ; remédier
aux conséquences des changements climatiques que Ensuite, la recherche et l’innovation ont un rôle
les villes affrontent de plein fouet (canicules, pluies di- majeur à jouer dans ce défi d’une nature plus pré-
luviennes suivies d’inondations, épidémies, etc.). sente et mieux insérée dans la ville. En effet, s’il
semble relativement facile de planter un arbre, tout
Les « solutions fondées sur la nature » apparaissent devient plus compliqué dès lors que l’on se préoc-
ainsi comme des réponses innovantes à un ensemble cupe aussi de sa survie à moyen et long terme : de
de besoins ou de problèmes systémiques. De fait, nombreuses conditions sont à prendre en compte,
le principal atout de la nature en ville est son carac- particulièrement exigeantes en milieu urbain, et qui
tère multifonctionnel : elle est source de bénéfices font appel à des connaissances, des compétences,
multiples pour les écosystèmes urbains, en matière des données, des outils spécialisés. Ces exigences
de climat, d’environnement, de biodiversité, de san- atteignent un seuil encore plus élevé lorsque l’on
té, etc. Favoriser le développement de la nature en s’efforce de maximiser les services écosystémiques
ville est ainsi devenu une piste d’action clé pour tout que « la nature » peut rendre à « la ville », en pre-
décideur urbain. nant en considération les multiples interactions entre
chaque composante de chacune de ces vastes réali-
Quelles sont les conditions pour que cet engage- tés. Bien développer la nature en ville est donc tout
ment en faveur de la nature en milieu urbain produise sauf simple : il y faut des compétences issues d’un
ses meilleurs effets ? Et comment la recherche et grand nombre de disciplines scientifiques, et des
l’innovation peuvent-elles contribuer au dévelop- capacités d’innovation réparties chez une grande di-
pement de la nature en ville, de façon aussi ap- versité de parties prenantes.
préciable et durable que possible ?
Enfin, « bien » développer la nature en ville amène
Telles sont les questions que le Groupe de travail à poser des questions fondamentales de change-
s’est posée au cours des quatre réunions qu’il a ment d’échelle, et derrière cela, de changement
consacrées à ce sujet en 2024. Pour organiser sa ré- de paradigme. Les conditions du « bien-vivre en
flexion, il a choisi de se focaliser sur trois éléments ville » étant, pour la nature, nombreuses et com-
constitutifs de la nature en ville : plexes, c’est à une véritable réflexion systémique que
— l’air, avec les enjeux de climat (chaleur notam- nous invite son développement. Et comme souvent,
ment) et de pollution ; le niveau d’impact est notamment fonction du niveau
d’investissement au sens large : financier, temporel,
— l’eau : flux, réseaux et trames ; gestion des eaux
culturel… L’engouement que suscite la (re)naturation
urbaines (notamment pluviales) ;
urbaine relève aujourd’hui davantage du supplément
— le sol : enjeux des sols et des sous-sols urbains, d’âme que d’une révolution verte. Les bénéfices
substrats précieux de la ville dans son ensemble. identifiés, pour réels qu’ils soient, sont à la mesure
du caractère encore incrémental des initiatives. Il est
L’enjeu de la biodiversité a été traité de façon trans- clair qu’une contribution plus importante de la nature
versale à ces trois éléments. en ville aux attentes sociétales (mieux-vivre en ville,
adaptation au changement climatique et atténuation
de ce changement) dépend de ce que la société est
Trois constats clés ressortent de cette réflexion prête à investir dans ce bourgeonnement. Les diffi-
collective. cultés de mise en œuvre de la politique du Zéro arti-
ficialisation nette (ZAN) sont éclairantes à cet égard.
Tout d’abord, développer la nature en milieu ur- Viser un impact positif plus important de la nature
bain est une piste de travail importante pour la en ville implique un changement de modèle « écolo-
résilience urbaine et la qualité de vie en ville. Cela gique », c’est-à-dire à la fois philosophique, politique,
permet de limiter les nuisances induites par les mo- économique et social.
1
Ces trois constats amènent à envisager la nature en sur la nature (SfN) sont étudiées par les scientifiques
ville comme un véritable démonstrateur de tran- et les innovateurs, pour la régulation des eaux plu-
sition écologique, en tant que système complexe viales par exemple. La rareté croissante de la res-
en marche vers un nouveau modèle, avec l’appui source amène aussi à d’autres types d’interrogations
de la recherche et de l’innovation. quant à ses usages et sa gestion. Enfin, les sols ont
pu être qualifiés de « terres inconnues » par les cher-
Le groupe de travail s’est principalement focalisé cheurs et experts du GT : s’ils suscitent un intérêt
sur un objectif d’amélioration de la ville durable gui- croissant depuis quelques années, la connaissance
dé par le souci de concevoir et de mettre en œuvre qu’on en a demeure très largement en-deçà des
rapidement une diversité de solutions fondées sur questionnements liés à la composition et aux fonc-
la nature. Il a cependant aussi souligné à plusieurs tions de cette « couche » de ville, particulièrement
reprises, comme un fil conducteur tissé dans un en- en tant que substrat de la nature urbaine.
semble de réflexions à visée opérationnelles, l’ambi- Enfin, à la complexité intrinsèque de chacun de ces
tion transformatrice plus profonde du concept de éléments, dont le rôle et les effets varient dans le
développement de la nature en ville, et la nécessité temps et l’espace, s’ajoute celle de leurs nom-
d’associer la recherche et l’innovation à cette ambi- breuses imbrications : c’est bien en tant que sys-
tion. tème que fonctionne la nature en ville, comme on le
voit lorsque l’on prend le cas de la végétation et de
* * * ses besoins en nutriments issus du sol, de l’eau, etc.
Ces solutions « vertes » de la nature en ville doivent
La nature en ville est souvent présentée comme une aussi « faire système » avec les solutions dites
« stratégie sans regret » : du fait de sa multifonction- « grises » (construites, technologiques) et « douces »
nalité, elle permettra de faire mieux que l’existant. (socio-politiques, organisationnelles) : les trois types
Cependant, cela n’est vrai, ou en tout cas avec un de solutions ont à se recombiner en permanence
niveau d’impact significatif, que si les spécifications pour dessiner la ville de demain.
liées à la grande hétérogénéité des réalités concer- Dernier exemple des enjeux systémiques qui sont en
nées sont respectées, ce qui suppose d’abord soi un défi pour la recherche et l’innovation : l’em-
qu’elles soient connues, comprises et quantifiées. boîtement des niveaux de territoires (site, quartier,
Une grande partie des besoins de recherche et d’in- arrondissement, ville, agglomération…), qui contribue
novation se concentre dès lors sur la compréhen- à faire de la ville un puzzle à plusieurs dimensions.
sion et la prise en compte des caractéristiques
clés de la nature en ville, à savoir sa variabilité De ce fait, « la comparaison reste difficile, et la géné-
spatiale et temporelle et sa complexité (emboîte- ralisation ne semble pas atteignable », selon les mots
ment d’écosystèmes à toutes les échelles, articula- d’une intervenante. L’objectif est alors de parvenir à
tions diverses entre ses multiples composantes et ordonner des ensembles de solutions correspon-
avec les autres éléments des systèmes urbains). dant à divers contextes et cas d’usage, à partir de
données aussi nombreuses et fiables que possible,
assorties d’une définition de leurs conditions de per-
tinence. On est donc là dans d’importants enjeux de
Trois pistes de recherche et d’innovation se dé-
métrologie, de compréhension / qualification et
gagent des travaux du GT (parties I, II et III)
de modélisation :
— recueil et fiabilisation de données,
La première piste consiste à caractériser et à mo-
déliser les composantes multifonctionnelles de la — modélisation et simulation, avec la nécessité d’af-
nature en ville. finer et d’intégrer divers modèles,
Il importe de mieux connaître et comprendre ces
— ouverture et partage des données et des mo-
composantes ; le GT en a retenu trois : air, eau et
dèles (conditions clés de passage à l’échelle),
sol (y compris sous-sol). Toutes trois se caractérisent
notamment par le fait que leurs propriétés, leur fonc- — caractérisation et qualification de réalités ur-
tionnement et leurs impacts sont très variables, en baines spécifiques.
fonction des conditions locales et/ou temporelles
dans lesquelles elles sont analysées. De nombreuses La question des compétences disponibles est ici po-
questions, relevant principalement des sciences de sée, pour mener à bien ces travaux mais aussi pour
la matière, de la vie et de l’ingénieur, sont ici posées, le transfert des nouvelles connaissances et des
quant aux spécifications physico-bio-chimiques des solutions vers la société.
trois composantes évoquées, de la végétation, de la
faune souterraine, etc. C’est notamment l’objet de la deuxième piste de
recherche et d’innovation, qui se rapporte au consi-
La composante « Air » fait apparaître notamment dérables besoins d’innovation lié au développement
des enjeux importants de gestion de la chaleur en de la nature en ville : comment co-construire des
ville (« îlots de chaleur urbains » - ICU ; et confort solutions innovantes et des outils d’aide à la dé-
thermique), ainsi que des enjeux de qualité de l’air. cision en la matière ?
Les enjeux liés à l’eau ont évolué historiquement, Il n’est pas envisageable d’attendre que la recherche
avec le passage d’une vision de l’eau urbaine encas- dispose de toutes les réponses aux nombreuses
trée dans le « grand réseau » public à celle d’une questions posées ; les acteurs urbains (collectivités,
2 « ville éponge ». De nombreuses solutions fondées aménageurs, constructeurs, jusqu’aux citoyens) ont
à poser sans tarder les jalons d’une indispensable pétence adaptés d’une part, et de nouvelles mo-
action. Le besoin est alors celui de la meilleure dalités d’interaction, d’autre part, correspondant
convergence possible entre complexité de la réa- davantage aux enjeux de la nature en ville, souvent
lité et simplicité de l’action. Le rapport développe transversaux. Revisiter les frontières, externes ou
à ce propos deux orientations principales et une il- internes, des organisations, ainsi que leur mode de
lustration. fonctionnement ; co-créer la nature en ville avec
les habitants ; assurer une montée en compétence
Promouvoir une recherche en prise avec les en- générale de l’écosystème urbain apparaissent ainsi
jeux et les acteurs de l’innovation urbaine est un comme de véritables sujets de recherche tout autant
premier impératif. Diverses pistes sont indiquées : que d’innovation.
collaborations amont et au long cours entre re-
cherche et entreprises ; documents de vulgarisa- Réinventer les référentiels et les modalités de
tion (guides pratiques, fiches techniques), etc. De l’action publique : au-delà du mot d’ordre, le déve-
même, des exemples d’outils et de solutions inno- loppement de la nature en ville apparaît comme un
vantes, en cours de maturation et de diffusion, sont puissant accélérateur de dynamiques qui peinent à
proposés, pour accompagner l’action et la décision s’imposer dans les politiques publiques. Il interroge
sur le terrain. par exemple les grands choix qui président aux poli-
Deuxième orientation : le développement de mo- tiques d’aménagement et d’urbanisme : quelle vision
dèles à la fois puissants et faciles d’utilisation de la ville, quelles priorités, quels ordres de grandeur
– deux conditions clés pour une utilisation dans de dans les moyens affectés orientent ses transforma-
bonnes conditions de pertinence par des acteurs ur- tions et sa gestion ? Comment les formes urbaines
bains contraints en termes de compétences scienti- tiennent-elles compte, dans leur conception même,
fiques et de temps disponible. Il convient de prioriser des besoins et opportunités de la nature en ville ?
les objectifs attendus, afin d’ajuster correctement D’autres questions, non moins structurantes, portent
le curseur entre pertinence et simplicité. Ainsi, pour sur la capacité à faire fonctionner efficacement une
gagner en pertinence, ces modèles doivent parfois gouvernance multi-niveau ; à développer une trans-
décorréler des dimensions auparavant confondues versalité accrue entre services urbains ; à adapter
au sein d’un même paramètre, tout en simplifiant la des réglementations accompagnant le développe-
prise en compte d’autres dimensions. L’exemple d’un ment de la nature en ville, avec par exemple des
jumeau numérique environnemental montre les dif- seuils moins contraignants pour prendre en compte
férentes facettes de ce défi. la relative variabilité de certaines solutions fondées
Plus largement, l’innovation que représente les sur la nature.
Technosols, substrats artificiels reproduisant les
fonctionnalités des sols naturels4, avec des spécifica- Enfin, la question de modèles économiques ba-
tions ajustées aux divers usages envisagés, illustre la sés sur des coûts complets est cruciale pour per-
façon dont recherche et action s’interpénètrent pour mettre une meilleure vision partagée des coûts et
répondre au besoin de disposer de matériaux adap- bénéfices des diverses actions en faveur de la ville
tés au développement de la nature en ville. durable. Si l’efficacité directe des solutions « grises »
est largement démontrée, on sait que leurs exter-
Ces deux premiers axes portent sur l’offre de nature nalités négatives ne sont souvent que partielle-
en ville, et sur ses conditions de pertinence et d’ef- ment prises en compte ; inversement, des solutions
ficacité. Le troisième axe de recherche et d’innova- « vertes » aux effets moins massifs pourraient se
tion s’intéresse plutôt à la demande sociale de nature voir créditer d’un meilleur rapport coût-efficacité du
en ville : comment mobiliser et outiller les acteurs fait d’une meilleure prise en compte de leurs multi-
de la ville régénérative ? Quelles sont les conditions ples co-bénéfices. Quoi qu’il en soit, la décision et
sociales, politiques, juridiques, économiques, etc. qui l’action, publique et privée, gagneraient à disposer
feront de la société un environnement favorable au d’éclairages économiques plus poussés quant aux
développement de la nature en ville ? investissements nécessaires et aux impacts atten-
dus. Beaucoup reste à faire à cet égard, même si la
Ces questions, bien que moins approfondies par le recherche avance, comme le montre l’exemple d’un
GT, ont néanmoins fait consensus quant au besoin travail sur l’évaluation des coûts de restauration des
de développer les réflexions en ce sens, en faisant sols urbains.
notamment appel aux sciences humaines et sociales.
Diverses problématiques ont été évoquées ; on peut Pour conclure, une question transversale, celle de la
les regrouper en trois axes principaux. maintenance de la nature en ville, fait l’objet d’un
focus spécifique (partie IV).
Comprendre et accompagner la transformation
des systèmes d’acteurs est un levier essentiel pour On le sait, la production initiale d’un objet est sou-
repenser des espaces de responsabilité et de com- vent davantage valorisée que celle de son entretien
au fil du temps, de même qu’un investissement initial
est plus valorisé que des coûts de fonctionnement
4 Les sols remplissent notamment les fonctions suivantes : habitat ou d’amortissement. Or le bon fonctionnement et la
et support de biodiversité, régulation des cycles de substances et durabilité d’un équipement sont évidemment d’un in-
d’énergies (filtrage, stockage, transformation…), production de bio-
masse, support de constructions et infrastructures, source de matière térêt majeur pour les usagers.
première, archivage (conservation d’informations sur l’histoire natu-
3 relle et culturelle.
En matière de nature en ville, l’enjeu de la mainte-
nance est particulièrement crucial : il est question de
sa survie même et de ses conditions de régénéra-
tion. Cet enjeu permet aussi de montrer en quoi les
dimensions scientifiques, techniques et sociales sont
imbriquées.

Quatre facettes de la question de la maintenance


en ville sont ainsi examinées :

— Enjeux philosophiques et politiques : quelles


devraient être les places respectives de l’homme
et de la nature dans la ville ? Faut-il faire vivre la
nature, ou la laisser vivre ? Faut-il développer
la nature en ville, ou s’efforcer de développer
la ville avec et par la nature ? A des approches
« ingénierales » qui peuvent être perçues comme
trop interventionnistes, les écologues font obser-
ver que parfois, ne pas gérer, c’est aussi gérer.

Se posent aussi les questions des modalités des


choix collectifs : qui décide de ces questions,
comment, sur quelles bases ?
— Questions scientifiques et techniques : les
connaissances sont encore très lacunaires
concernant les niveaux et les types de mainte-
nance nécessaires au bon développement de la
nature en ville. Par exemple, les sols ou la végéta-
tion peuvent perdre certaines fonctionnalités en
vieillissant, ou devenir pollués même en l’absence
de pollution aux alentours. Mais on est loin de
connaître la portée et les impacts de ce vieillisse-
ment ou de cette pollution sur les services rendus
et/ou attendus.
— Questions économiques : on est encore loin de
savoir évaluer dans quelle mesure, par exemple,
il est économiquement préférable de laisser faire
la nature ou de l’entretenir, en tenant compte des
divers coûts, à divers horizons, des différentes
options, d’autant plus si l’on intègre les divers
co-bénéfices (y compris la valeur de la biodiversi-
té ou de la nature en soi) et les diverses externa-
lités écologiques et sociales.
— Questions socio-organisationnelles : les en-
jeux de maintenance font intervenir des parties
prenantes beaucoup plus diverses que ceux de
la production initiale (y compris les usagers eux-
mêmes), avec des enjeux de collaboration plus
élevés : qui finance, qui est responsable, qui agit
pour quel type de maintenance, sachant que les
bénéfices sont multifonctionnels et multibénéfi-
ciaires ? Ces questions sont sources de reconfi-
gurations des organisations et des systèmes
urbains. Peuvent aussi se mettre en place de
nouveaux réseaux d’acteurs et de nouvelles pra-
tiques sociales autour du fonctionnement et de
l’évolution des « infrastructures relationnelles »
que peuvent être les solutions fondées sur la na-
ture (parc, mare, etc.).

4
Introduction

« Les villes sont la nature façonnée par l’homme, à friches…) ; modifier les plans d’occupation des sols
son image et à sa ressemblance », a écrit un roman- pour rendre inconstructibles certaines zones (solu-
cier canadien5. Une image pas forcément flatteuse, tions « douces »).
si l’on songe aux maux qui accablent les villes : pollu-
tions multiples (air, eaux, sols…), pics de chaleur, inon- Les travaux du GT se sont concentrés sur l’une
dations, tensions sociales, etc. de ces trois catégories de solutions : les solutions
« vertes » (sachant qu’elles peuvent intégrer des di-
Certes, les villes ont aussi leurs bons côtés, joignant mensions grises et/ou douces).
l’utile à l’agréable. Et elles n’étaient sans doute pas
plus saines ou plaisantes au cours des siècles pré- Toutefois, le Groupe de travail a rappelé, en mes-
cédents, même si le bilan est difficile à faire entre sage préliminaire, la nécessité de combiner ces
les progrès réalisés et les problèmes nouveaux ou trois types de solutions, pour permettre une ap-
renforcés du fait de leur développement et du chan- proche holistique : aucune de ces trois catégories
gement climatique. ne sera à elle seule en mesure de répondre à l’impé-
ratif de rendre la ville plus durable, c’est-à-dire ré-
Les villes ont à faire face à un redoutable défi : celui siliente face aux chocs climatiques, environnemen-
de répondre à des besoins vitaux (physiques et psy- taux et socio-économiques à venir - et si possible,
chologiques) d’une partie de plus en plus importante désirable en tant que lieu de vie pour les humains
de la population mondiale, sachant que : qui y résident.
— La croissance de la population urbaine affecte les Par ailleurs, ces trois types de solution doivent aussi
conditions de vie dans des environnements ur- se combiner à un quatrième : celui de la sobriété,
bains surpeuplés ; pour une indispensable diminution des pressions
anthropiques liées à nos modes de production et
— Le changement climatique va considérablement
de consommation.
accroître les pressions sur ces conditions de vie.

Les villes constituent de fait des cibles privi-


légiées du changement climatique et de ses
conséquences environnementales et socio-éco- Une définition ouverte de la
nomiques. La concentration d’infrastructures et de « nature en ville »
population sur leur territoire permet certes aux villes
de disposer des moyens de développer une certaine
résilience ; mais elle a aussi a le double effet de les De nombreux vocables ou expressions renvoient à la
rendre particulièrement vulnérables et d’amplifier les problématique d’une nature davantage présente en
problèmes, comme le montre l’exemple des « rues ville. Comme on le verra, des approches très diffé-
canyons », enserrées dans des espaces artificiali- rentes peuvent correspondre à des formulations va-
sés qui absorbent ou répercutent les rayonnements riables de cette problématique. Le GT s’est saisi du
thermiques, empêchent la libre circulation de vents sujet de façon ouverte, en considérant l’enjeu global
rafraîchissants, limitent l’absorption d’eaux pluviales des conditions nécessaires à une ville faisant davan-
en excès tout en accélérant leur déversement en tage place à la nature. Des concepts tels que la rena-
surface, etc. turation urbaine, la restauration de la nature en ville,
les solutions fondées sur la nature, la végétalisation
De nombreuses solutions se développent pour faire urbaine, etc. ont ainsi été pris en compte comme au-
face à ces phénomènes délétères. Elles sont globa- tant de façons d’exprimer cette problématique, tout
lement classées en trois catégories : solutions dites en sachant que dans une perspective plus spéciali-
« grises », « vertes » et « douces », correspon- sée, ils ne sont pas équivalents dans leur sens, leur
dant respectivement aux solutions technologiques, portée, l’approche dont ils sont porteurs.
naturelles et socio-organisationnelles. Par exemple,
face à un risque d’inondation, on peut construire Afin de délimiter un champ d’analyse suffisamment
une digue (solution grise) ; désimperméabiliser cer- précis, plutôt que de cibler tel ou tel concept, ce sont
tains espaces pour créer des zones inondables ab- trois « éléments » de la nature en ville qui ont été
sorbant les surplus d’eaux (solutions vertes : noues, abordés successivement, au cours de trois réunions

5 5 Jacques Gobdout, L’Isle au dragon. Seuil / Boréal compact, 1976


dédiées – ces éléments étant entendus ici comme
des « proxys » d’enjeux urbains clés : > 6ème rapport du GIEC
— l’air, renvoyant notamment aux enjeux de climat * Décennie 2011-2020 : la plus chaude depuis en-
et de pollution ; viron 125 000 ans
— l’eau, renvoyant notamment à la gestion des di- * 2019 : taux de concentration de CO2 dans l’at-
vers flux d’eaux urbaines ; mosphère le plus élevé depuis 2 M d’années

— la terre, renvoyant aux nombreux enjeux des * Scénario intermédiaire (évolution au même
sols et des sous-sols urbains. rythme qu’actuellement) :
+ 2°C en 2050 au niveau mondial par rap-
A noter que la réflexion menée ne prétend pas à l’ex- port à la moyenne 1850-1900
haustivité : de nombreuses dimensions de la nature + 3°C en 2100 au niveau mondial
en ville n’ont pas été directement traitées, telles que
l’agriculture urbaine, les liens entre santé et nature en > Estimation de la Cour des Comptes pour la
ville, les matériaux biosourcés, les approches biomi- France
métiques… + 3,8°C en 2100 en France [estimation de la
Cour des Comptes - France6]
Chacun des trois éléments étudiés fait aujourd’hui Sachant qu’une hausse de 3,5° à horizon 2100 se
l’objet de nombreux travaux scientifiques, dont traduirait par une perte d’activité économique de
beaucoup traversent les frontières disciplinaires 10 points de PIB7
établies. Air, eau et sol urbains suscitent aussi un
foisonnement d’innovations, qui en permettent > Conséquences (en cours) : températures en
une approche à la fois plus respectueuse de leurs hausse avec de fortes vagues de chaleur ; fortes
dynamiques propres et plus efficace en termes de précipitations avec crues et inondations ; séche-
services écosystémiques rendus. Cette recherche resses sévères ; augmentation de la fréquence
et de l’intensité des événements climatiques ex-
et cette innovation ouvrent de nouvelles pistes de
trêmes (tempêtes, ouragans…) ; submersion de
questionnement et de solution, qui sont au cœur de zones côtières ; fonte du permafrost et des ré-
ce rapport. serves glaciaires de la planète ; augmentation des
vecteurs de maladie (bactéries, virus etc.) ; hausse
de la mortalité : chaleur8, catastrophes naturelles,
maladies… ; perte de biodiversité dans tous les mi-
Nature en ville et adaptation au lieux naturels ; difficultés d’accès à l’eau potable,
conflits d’usages ; etc. « Les risques seront de plus
changement climatique en en plus complexes, combinés, en cascade et dif-
ficiles à gérer » (rapport du GIEC).

Au-delà de ces avancées et de ces perspectives > De 2005 à 2015, le nombre de communes
concernant les trois objets considérés, a émergé un exposées à des risques climatiques forts a aug-
constat majeur, qui représente un premier message menté de 131 % (ce qui représente en 2015 16 %
des communes)9
clé.

Accroître la place de la nature en ville constitue > Surcoût de l’effort d’adaptation pour le sec-
teur du bâtiment : 2 à 5 % pour la construction
une voie d’action pertinente et efficace en ma-
neuve et 10 % pour la rénovation du bâti existant,
tière d’atténuation du changement climatique, et par rapport à des opérations sans adaptation. Cela
surtout d’adaptation à ce changement. représente des besoins additionnels par rapport
aux besoins d’investissement publics et privées
L’enjeu de l’atténuation peut se résumer ainsi : les nécessaires à l’atteinte des objectifs de neutralité
villes étant des concentrés d’activité humaine, elle- carbone de 1 à 2,5 milliards pour la construction
même source principale du changement climatique, neuve et 4,8 milliards d’euros pour la rénova-
limiter l’emprise humaine sur les territoires urbains en tion10.
laissant davantage place aux dynamiques naturelles
permet de contribuer (de façon limitée) à réduire
certaines causes du dérèglement climatique.
6 « L’action publique en faveur de l’adaptation au change-
ment climatique », Rapport public annuel 2024 – Synthèses
En matière d’adaptation au changement clima- - Cour des Comptes et Chambres Régionales et Territoriales
tique, le potentiel de la nature en ville est parti- des Comptes.

culièrement important. L’encadré ci-après rappelle 7 Les risques climatiques et leurs coûts pour la France. Une
quelques éléments de cadrage concernant le chan- évaluation macroéconomique. Synthèse. ADEME, novembre
2023.
gement climatique et la nécessité d’y adapter nos
sociétés urbanisées. 8 Entre 2015 et 2020, l’estimation du coût sanitaire des va-
gues de chaleur en France se situe entre 22 et 37 Md€.

9 Observatoire national sur les effets du changement cli-


matique, Exposition des populations aux risques climatiques.

10 I4CE (Institute for Climate Econnomics), Vagues de cha-


leur : ce que l’on peut dire des coûts d’adaptation des bâti-
ments, juin 2024.
6
Le développement de la nature en ville est porteur solutions qui peuvent être « low tech » et/ou
de nombreuses solutions face à cet énorme enjeu relativement peu coûteuses en argent, matières
d’adaptation des milieux urbains aux changements premières, énergie, etc. La réalité peut être assez
climatiques. Rappelons par ailleurs qu’indépendam- différente : d’une part, comme on le verra, ces
ment des enjeux climatiques, la nature en ville est solutions ne sont généralement pas aussi simples
un élément important de l’équilibre de l’écosystème qu’on pourrait le penser à première vue, loin de là.
urbain en général, et constitue un facteur clé d’amé- D’autre part, si l’enjeu réel est de transformer en
lioration de la qualité de la vie de ses habitants. profondeur la ville par et avec la nature, les investis-
sements seront nécessairement plus importants.

Néanmoins, il est vraisemblable que la multifonc-


Solutions fondées sur la nature : tionnalité et la quasi-absence d’effets négatifs
des SfN en font des solutions particulièrement
une multifonctionnalité efficace efficaces. Cette efficacité sera probablement
réévaluée à la hausse lorsque l’on aura appris à
mieux évaluer les coûts et les bénéfices com-
Quelles sont les solutions fondées sur la nature, et plets des divers types de solutions : « Les ap-
en quoi permettent-elle d’adapter la ville aux consé- proches comptables classiques ne prennent pas
quences des changements climatiques ? toujours en compte les externalités négatives
de certaines solutions grises ni les avantages
Parmi les principales solutions fondées sur la nature complémentaires rendus par les SfN. Cette ap-
permettant de s’adapter au changement climatique, proche modifie la comparaison entre SfN et solu-
on peut citer la végétalisation urbaine, avec la plan- tions dites grises, à l’avantage des premières. »13
tation d’arbres et autres espèces dans les rues et les
parcs, mais aussi la végétalisation de toits et de murs, — Enfin, les SfN sont « adaptatives et réversibles » :
sur des substrats adaptés ; ou encore la désimper- ces solutions vivantes sont aptes à évoluer en
méabilisation de certains espaces, permettant de re- fonction de contextes locaux et de conditions
trouver des sols fonctionnels, capables par exemple climatiques elles-mêmes changeantes. De plus,
d’absorber et de retenir de fortes pluies. elles peuvent se développer « en synergie avec
d’autres actions existantes, car elles n’entravent
A titre d’exemple, un rapport de l’ADEME, réalisé par pas la recherche ni le déploiement d’autres solu-
TRIBU et le CEREMA11, identifie les huit solutions sui- tions en parallèle de leur mise en œuvre. »14
vantes pour le rafraîchissement urbain, en explicitant
pour chacune les conditions de sa contribution à la Pour ces différentes raisons, « la nature en ville est
lutte contre la chaleur en ville : les parcs, les arbres, en passe de devenir un enjeu clé pour l’atténuation
les pelouses, les prairies, les toitures végétalisées, les et surtout pour l’adaptation au changement clima-
façades végétalisées, les plans d’eau et les rivières, tique » selon l’ADEME.
les ouvrages paysagers de gestion des eaux plu-
viales.

Quatre arguments clés résument ce que peuvent ap-


porter les SfN en milieu urbain, et en quoi elles sont Nature en ville : un emboîte-
présentées comme des « solutions sans regret ». ment de problématiques à dif-
— Les SfN sont porteuses de bénéfices multiples :
férentes échelles
chaque solution agit positivement sur un ensemble
de facteurs ou de problèmes. A titre d’exemple,
« Planter des arbres » est la traduction opération-
végétaliser un espace urbain permet à la fois d’ab-
nelle la plus évidente des arguments visant à faire de
sorber du CO2, de rafraîchir l’air ambiant par om-
la nature en ville une solution d’adaptation aux chan-
brage et par évapotranspiration, de développer
gements climatiques. De nombreuses villes affichent
la biodiversité aussi bien en surface qu’en sous-
des plans en ce sens, y voyant un moyen concret,
sol, d’améliorer la qualité du sol, de contribuer à
simple et apprécié des habitants de répondre aux
la santé et au bien-être humains (moindre chaleur,
enjeux écologiques.
bienfaits psychologiques12), de renforcer l’agré-
ment et la beauté d’un site, d’accroître la valeur
Les travaux du GT ont permis de distinguer des réali-
économique des résidences voisines…
tés nettement plus complexes, à deux égards.
— Développer la nature en ville est une piste d’ac-
tion souvent considérée comme sobre, avec des D’abord, développer la nature en ville n’est tech-
niquement pas simple, en tout cas si l’on veut en
tirer les multi-bénéfices attendus. Pour qu’un arbre
11 CEREMA, Rafraîchir la ville. Des solutions variées, ADEME, mai
2021.
13 L’adaptation au changement climatique et les solutions fondées
12 A noter toutefois que les bénéfices de la nature en ville sur la santé sur la nature, ADEME Stratégie, juillet 2024.
humaine appellent de nombreux travaux complémentaires quant aux
risques et inconvénients dont celle-ci peut être porteuse par ailleurs : 14 L’adaptation au changement climatique et les solutions fondées
7 allergies croissantes, développement de maladies vectorielles… sur la nature, ibid.
grandisse et vive longtemps en bonne santé, par C’est en ce double sens qu’émerge la notion d’une
exemple, et qu’il s’insère de façon la plus contributive nature en ville « démonstrateur de transition éco-
possible à son environnement, il y a de nombreuses logique ».
conditions à prendre en compte, de nombreuses dif-
ficultés à surmonter, et de ce fait, encore de nom- Le rapport présente ces différentes dimensions des
breuses questions pour la recherche et l’innovation. travaux du GT. Celui-ci a soigneusement examiné
le premier niveau de questionnement évoqué, très
Ensuite, ce qui est difficile à l’échelle d’un arbre, ou riche de pistes de travail en soi, tout en relevant au
d’un ensemble de solutions vertes dans un quartier, fil des réunions les enjeux relevant du deuxième ni-
devient une équation d’une extrême complexité veau.
lorsqu’on se projette dans une intégration plus
poussée et plus cohérente de la nature en ville. Pour la clarté du propos, le document est articulé en
Recréer des trames vertes, bleues, brunes dans la quatre parties.
ville, articuler les besoins des plantes, de l’eau, de
l’air et de la terre avec ceux des hommes et des in- Les trois premières explorent les pistes de travail
frastructures : autant de défis qui interpellent l’en- liées à l’air, l’eau et le sol urbains, sous trois angles
semble des sciences, ainsi que l’ensemble des forces différents. Il est cependant essentiel de rappeler
sociales qui œuvrent à organiser et faire vivre une que ces trois angles ont vocation à être associés
ville. dans les travaux à mener, dans la mesure où ils sont
Les enjeux du développement de la nature en ville constitutifs, ensemble, du plus haut niveau d’enjeu
peuvent ainsi se saisir aussi bien à l’échelle de cha- lié à la nature en ville, par essence systémique. C’est
cune de ses composantes (humaines et non-hu- pourquoi la quatrième partie propose un focus sur
maines) qu’à celle du système complet qu’elle repré- une question transverse.
sente – et qui ne se résume pas à l’addition de ces
composantes. Les nombreuses interactions qui font I. Caractériser et modéliser les composantes
de chaque territoire urbain un monde complexe et multifonctionnelles de la nature en ville (en-
spécifique appellent en permanence un ajustement jeux liés principalement aux sciences de la ma-
fin de l’ensemble des dynamiques qui le composent. tière, du vivant et de l’ingénierie)
II. De la recherche à l’innovation : co-construire
Dans cette perspective plus large, l’ambition de
des solutions innovantes et des outils d’aide à la
développer la nature en ville prend une tout autre
décision (enjeux liés au passage de la science à
dimension : bien au-delà de l’objectif de faire une
l’innovation)
place plus importante à la nature, la ville est appe-
lée à se développer par et avec la nature. C’est III. Mobiliser et outiller les acteurs de la ville régé-
alors véritablement un autre défi qui émerge, celui nérative (enjeux liés principalement aux sciences
d’un modèle différent, basé sur une économie des humaines et sociales)
coûts complets, la préservation des communs, des
IV Exemple d’une question clé transversale :
relations science-technique-société rééquilibrées au
quelle maintenance de la nature en ville ?
profit de la recherche de bénéfices collectifs eux-
mêmes redéfinis selon des modalités nouvelles, des
régulations politiques et juridiques alignées sur les
objectifs de la transition écologique de type ODD,
déclinés jusqu’à l’échelle de la ville, etc. Tous ces en-
jeux constituent eux-mêmes, bien sûr, des objets de
recherche majeurs, notamment pour les sciences
humaines et sociales.

Ces deux niveaux d’enjeux illustrent le large spectre


de nouveaux besoins de connaissances et d’innova-
tions qu’appelle le développement de la nature en
ville, selon la vision plus ou moins incrémentale ou
disruptive que l’on se donne.

Ce constat est présent en filigrane dans les travaux


du GT.

Les intervenants et les participants ont exploré les


questions scientifiques de granularité fine qui condi-
tionnent la viabilité et la « performance » globale de
la nature en ville. Ils ont aussi évoqué les interroga-
tions plus fondamentales suscitées par la complexi-
té des liens qu’entretiennent ville et nature, liens
que la recherche a tout autant vocation à analyser,
pour mettre en perspective la diversité des besoins,
humains et non-humains, au sein des villes.
8
Caractériser et modéliser
les composantes
multifonctionnelles
de la nature en ville
01
1. Des réalités complexes, La compréhension et la gestion de la chaleur urbaine
hétérogènes dans l’espace nécessitent l’utilisation d’une diversité d’approches
et d’outils, adaptés à des échelles et à des objectifs
et variables dans le temps différents, pour la mesure, la simulation et la modéli-
sation des situations climatiques urbaines.
Cependant, tous les systèmes présentent, on le ver-
ENJEUX LIÉS À L’AIR ET AU CLIMAT URBAINS ra, des défis scientifiques et technologiques impor-
tants concernant leur fiabilité, du fait de conditions
L’air urbain constitue un premier élément fondamen- d’usage complexes appelant de nombreuses pré-
tal sur lequel peuvent agir les solutions fondées sur cautions dans l’analyse et l’interprétation.
la nature. On peut identifier deux enjeux clés : la ges-
tion de la chaleur en ville, et la qualité de l’air en mi- La végétalisation urbaine fait partie des solutions
lieu urbain. permettant de réduire la chaleur en milieu urbain.

— Les arbres jouent un rôle crucial dans la réduc-


Gestion de la chaleur urbaine tion de la chaleur en ville grâce à l’ombrage qu’ils
procurent et à l’évapotranspiration. À l’échelle
Les vagues de chaleur exercent une pression crois- d’une rue, cet effet dépend de la densité et de
sante sur les milieux urbains. la disposition des arbres. Une simulation par Mé-
téo-France a montré qu’une couverture arborée
Il convient de différencier deux échelles de percep- de 75 % des espaces libres à Paris pourrait abais-
tion et d’intervention. ser la température de la ville de 2,5°C lors de va-
— L’échelle de la ville est celle du fameux « îlot de gues de chaleur.
chaleur urbain » (ICU), qui résulte de l’accumu-
— Les parcs urbains arborés sont généralement
lation de chaleur dans l’environnement bâti. La
plus frais que les zones construites, mais les parcs
température de l’air en ville peut être supérieure
enherbés peuvent parfois être plus chauds que les
de plusieurs degrés à celle des zones rurales,
zones environnantes, notamment s’ils ne sont pas
avec des pics allant jusqu’à 7°C de différence,
irrigués (le bénéfice global restant néanmoins su-
comme observé à Berlin et Nantes.
périeur à celui des zones artificialisées). La taille des
— A une plus petite échelle, celle du corps humain parcs est aussi un facteur important : plus un parc
et de son environnement immédiat (une petite est grand, plus son effet rafraîchissant est signifi-
place par exemple), on mesure le confort ther- catif, bien que cet effet atteigne un seuil au-delà
mique. Celui-ci est influencé par de nombreux duquel il n’augmente plus. Les formes irrégulières
facteurs locaux : humidité, exposition au soleil, et allongées des parcs tendent à limiter l’effet de
présence d’ombre, circulation de l’air, vêtements rafraîchissement, tandis que des formes plus com-
portés... pactes, comme à Göteborg, montrent des réduc-
tions de température allant jusqu’à 5,9°C.
9
— Les toitures et façades végétalisées contri- espèces d’arbres et est exacerbée par le stress
buent également à la réduction de la chaleur hydrique, soulignant l’importance du choix des es-
urbaine. L’impact dépend du type de végétalisa- pèces dans les projets de végétalisation urbaine.
tion : plus les toitures sont « intensives », avec des
substrats épais et une végétation diversifiée, plus Des travaux récents, présentés en réunion, sug-
l’effet rafraîchissant sera important grâce à l’effet gèrent qu’en milieu urbain, les effets négatifs
d’albédo - principalement au-dessus du toit, ces (polluants impactant la santé tels que les PM2.5,
effets peinant à être perceptibles au niveau de la NO2 et O3) l’emporteraient sur les effets positifs.
rue et des piétons.
Par ailleurs, même si le sujet n’a pas été directement
D’une façon générale, la variabilité des situations, des abordé dans le cadre du GT, la végétation urbaine
solutions et de leurs impacts est donc considérable, peut aussi être à l’origine d’un accroissement de ma-
ce qui ouvre d’importantes pistes de recherche et ladies vectorielles apportées par diverses espèces
d’innovation. animales (tiques, moustiques-tigres…)16.

Il ne faut pas oublier cependant les effets indirects


Gestion de la qualité de l’air, lutte contre la pollu- de la végétation sur la pollution. Ainsi, les toitures
et façades végétalisées permettent une optimisa-
tion urbaine
tion de l’utilisation des systèmes de climatisation et
chauffage qui finalement conduit à une diminution
La qualité de l’air en milieu urbain est bien sûr un
de la consommation d’énergie donc d’émission de
enjeu majeur de santé publique. La pollution de l’air,
polluants.
en particulier les particules fines (PM2.5), le dioxyde
d’azote (NO2) et l’ozone (O3), est responsable de
Dans le cadre du projet ANR sTREEt17, des études
nombreux problèmes de santé graves, notamment
approfondies ont été menées pour modéliser l’im-
de maladies respiratoires et cardiovasculaires.
pact des arbres sur la qualité de l’air en milieu urbain,
en prenant en compte leurs effets thermo-radiatifs,
Les arbres urbains, bien qu’offrant de nombreux avan-
aérodynamiques, et de dépôt. Ces études montrent
tages, ont un impact complexe sur la qualité de l’air.
des effets négatifs sur la qualité de l’air :
Leurs effets positifs sur la température ou les
concentrations de CO2 sont bien connus, de même
— Augmentation des concentrations des polluants
que ceux de toutes les zones végétalisées, souvent
émis par le trafic, comme le NO2 et le carbone
présentées comme des « poumons » urbains. Par
suie de près de 5 % en moyenne, avec des pics
exemple, les arbres capturent une partie des parti-
allant jusqu’à 37 % dans les rues à fort trafic.
cules et gaz polluants sur leurs feuilles, contribuant
ainsi à la réduction des concentrations de certains — Augmentation des concentrations urbaines
polluants dans l’air15. d’ozone en fond urbain, et diminution dans les
Cependant, en zone urbaine, ces effets positifs rues des concentrations d’ozone, avec une baisse
sont contrebalancés par d’autres qui sont anta- moyenne de 2,3 % et des réductions pouvant at-
gonistes, en particulier : teindre 23 % dans les rues, à la suite de l’augmen-
tation des concentrations de NO2.
— Des effets aérodynamiques : Les arbres ralen-
— Effet limité du dépôt sec (dépôt de polluant sur
tissent les flux d’air dans les rues, ce qui peut en-
les feuilles) : diminution moyenne de 0,6 %.
traîner une accumulation de polluants émis dans
les rues tels que le NO2 et le carbone suie. Cette — Augmentation des particules organiques et des
concentration accrue de polluants dans les rues particules fines dues aux COVb, notamment en
peut avoir des effets négatifs sur la santé des période de stress hydrique.
habitants, particulièrement dans les zones à fort
trafic. Ces résultats suggèrent que la gestion et l’aménage-
— Des effets allergisants : les allergies liées à la vé- ment des arbres, et plus largement de la végétation,
gétation se développent - et certaines espèces en milieu urbain doit être soigneusement étudiée
végétales sont plus allergènes que d’autres. (espèces, conditions locales…) pour minimiser les im-
pacts négatifs sur la qualité de l’air. Notamment, la
— L’émission de composés organiques volatils bio- plantation d’arbres à fort houppier doit être limitée
géniques (COVb) : Les arbres émettent des COVb, dans les rues à fort trafic, et les espèces sélection-
tels que l’isoprène et les terpènes, en réponse à la nées pour limiter les espèces fortement émettrices
chaleur et à la lumière. Ces composés peuvent ré- de COVb (notamment terpènes). De bonnes pra-
agir avec d’autres polluants pour former des par-
ticules fines et de l’ozone, aggravant la pollution
de l’air. L’émission de ces composés varie selon les
16 Voir par exemple : Fournet Florence, Simard Frédéric, Fontenille
Didier, « Villes vertes et maladies à transmission vectorielle : nou-
velles préoccupations et opportunités », in Eurosurveillance. Jour-
nal de surveillance, d’épidémiologie, de prévention et de contrôle
15 A noter que cette capacité à fixer différents polluants est très des maladies infectieuses. 2024 ; 29(10) :pii=2300548. https://doi.
variable d’une espèce à l’autre et d’un polluant à l’autre. A souligner org/10.2807/1560–7917.ES.2024.29.10.2300548
aussi : les végétaux sont des écrans efficaces dans la dispersion de
certains polluants, ce qui permet de limiter la contamination de l’envi- 17 Projet ANR Street - impact of sTress on uRban trEEs and on city
10 ronnement (ex. barrières végétales le long des axes routiers). air quality – 2019-2024 - https://street.cnrs.fr/
tiques de végétalisation urbaine permettent aussi de rétention de l’eau dans les sols et l’évapotranspira-
limiter les effets allergisants18. tion par les plantes, tout en réduisant le ruissellement
sur les surfaces imperméables. Cela limite les risques
L’efficacité de ces solutions repose sur une com- d’inondation en diminuant le débit de pointe, en ra-
préhension fine des dynamiques urbaines et des lentissant l’écoulement de l’eau, en réduisant le vo-
interactions complexes entre les différents élé- lume d’eau ruisselée et globalement, en réduisant la
ments du milieu urbain. Les outils de simulation et saturation des réseaux classiques lors d’événements
de modélisation doivent être continuellement amé- pluvieux intenses.
liorés et validés pour fournir des recommandations On trouve en ville une diversité de types d’eaux (flu-
fiables aux décideurs. À l’avenir, les politiques pu- viales, pluviales, usées, etc.) qui font l’objet de mo-
bliques devront intégrer ces connaissances pour des des de gestion à la fois spécifiques et plus ou moins
environnements urbains plus résilients. intégrés. Il sera principalement question ici des eaux
pluviales.

ENJEUX LIÉS À L’EAU EN VILLE La conception et l’évaluation des solutions fondées


sur la nature pour la gestion des eaux en ville s’ar-
Les évolutions de la gestion des eaux urbaines ticulent autour de trois phases principales : l’instru-
mentation, la modélisation et la prospective.
L’histoire de la gestion des eaux urbaines témoigne
du passage d’une approche purement technique à — L’instrumentation permet de collecter des don-
une intégration plus holistique des problématiques nées pour comprendre, documenter et évaluer
environnementales et sociales. l’impact des SfN-eau sur l’environnement urbain.
Elle englobe plusieurs dimensions : l’impact sur
Historiquement, la gestion des eaux urbaines s’est les écosystèmes, en tenant compte de la res-
appuyée sur deux principes fondamentaux : tauration, des infrastructures, de la gestion et
de la protection des milieux ; sur les processus
— le grand réseau public : un modèle universel qui thermo-hydriques, qui examinent les interactions
visait à assurer un accès égalitaire aux infrastruc- entre chaleur et eau dans les systèmes urbains ;
tures d’eau, perçues comme des symboles du et sur la biodiversité.
développement urbain et de l’État-Providence. — La modélisation utilise les données collectées
— L’eau désencastrée de son cycle naturel : l’eau pour simuler le comportement des SfN dans di-
était gérée de manière linéaire, souvent décon- vers scénarios urbains. Elle permet de prédire
nectée de son cycle naturel, traitée uniquement l’efficacité des SfN dans la gestion des eaux plu-
comme une ressource ou une menace, et gé- viales, l’atténuation des îlots de chaleur urbains
rée principalement à travers des infrastructures et la préservation de la biodiversité. Par exemple,
grises visant à accélérer son flux. modéliser l’impact d’une toiture végétalisée ou
d’un jardin de pluie permet de comparer ces so-
A partir de la deuxième moitié du XXème siècle, cette lutions naturelles avec des infrastructures plus
approche a montré ses limites, avec des impacts en- traditionnelles, comme les ouvrages en béton.
vironnementaux négatifs, des inégalités croissantes et Les modèles développés sont essentiels pour
une saturation des réseaux. anticiper l’efficacité des SfN et pour optimiser
La gestion de l’eau en ville s’oriente aujourd’hui vers leur conception en fonction des particularités de
une reconnexion du cycle naturel de l’eau avec les chaque milieu urbain.
écosystèmes urbains. Les problématiques hydrolo- — Enfin, la phase de prospective et de planifica-
giques sont associées à d’autres enjeux environne- tion se concentre sur l’intégration des SfN dans
mentaux, sociaux et économiques. Les solutions fon- les stratégies urbaines à long terme. Cette ap-
dées sur la nature visent à rendre la ville plus résiliente proche systémique prend en compte les multi-
face aux événements climatiques. Elles impliquent ples échelles et interactions complexes qui ca-
de gérer les eaux pluviales in situ, en favorisant l’infil- ractérisent le milieu urbain. Elle vise à fournir aux
tration et en transformant la ville en une «ville spon- décideurs les outils nécessaires pour anticiper
gieuse» capable de mieux absorber les précipitations les défis liés à la gestion de l’eau, en intégrant les
grâce à des surfaces perméables et des matériaux na- processus thermo-hydro-mécaniques et en et en
turels. Les collectivités locales jouent un rôle clé dans prenant en compte les questions sociales, juri-
cette gestion, souvent à l’échelle intercommunale. diques et institutionnelles.

Les solutions fondées sur la nature pour la ges- De nombreux défis de connaissance et de com-
tion des eaux en ville préhension

Les SfN interviennent directement sur le cycle de Pour que ces solutions soient pleinement efficaces,
l’eau en milieu urbain en favorisant l’infiltration et la plusieurs défis scientifiques doivent être relevés. L’un
des principaux est de mieux comprendre l’hétéro-
généité spatiale des précipitations, c’est-à-dire la
18 https://renature.brussels/fr/actions/ville-saine/amenagez-en-re- façon dont la pluie varie d’un endroit à l’autre dans
11 duisant-les-allergies-au-pollen
une ville, ainsi que leur variabilité temporelle (ma- perméabilisation conduisant à leur appauvrissement
nière dont les précipitations peuvent changer rapi- en tant que milieu naturel. En dépit d’initiatives ré-
dement, notamment lors d’orages soudains). Ces as- centes telles que la politique de Zéro Artificialisation
pects sont essentiels pour prévoir les précipitations Nette, une intervenante indique que « 24 000 hec-
futures et intégrer les impacts du changement clima- tares de sol sont artificialisés chaque année. Cela si-
tique dans les modèles hydrologiques. gnifie qu’on artificialise l’équivalent de 5 terrains de
L’infiltration et la rétention de l’eau, ainsi que l’éva- foot par heure ! ».
potranspiration, posent également des défis en rai- Les membres du GT ont souligné que les sols urbains
son de l’hétérogénéité des sols et des végétations sont encore largement méconnus et insuffisamment
urbaines, qui influencent la capacité d’absorption de étudiés, même si les recherches ont pris de l’ampleur
l’eau et les besoins en évapotranspiration des diffé- au cours des trente dernières années.
rentes plantes.

À une échelle plus large, les SfN offrent des bé- Une multifonctionnalité à mieux connaître et com-
néfices globaux, tels que la recharge des nappes prendre
phréatiques et l’atténuation des îlots de chaleur ur-
bains (ICU). Cependant, pour maximiser ces béné- Les sols urbains remplissent une multitude de fonc-
fices, il est crucial de comprendre les interactions tions essentielles. La pédologie urbaine, discipline
complexes entre les SfN et le système global de dédiée à l’étude des sols en milieu urbain, cherche
gestion des eaux, en tenant compte des hétérogé- à comprendre cette multifonctionnalité, qui com-
néités locales. Bien que la renaturation du cycle de prend :
l’eau progresse, les infrastructures « grises » exis-
tantes (et à venir) continueront en effet à jouer un — La séquestration du carbone : environ 30 %
rôle important. des espaces urbains sont végétalisés, dont 70 %
sont constitués de sols ouverts. Ces sols peuvent
Les enjeux de recherche et d’innovation incluent une stocker jusqu’à 7 % du stock national de carbone
meilleure compréhension et anticipation des ef- organique, une proportion parfois supérieure
fets de l’urbanisation et des SfN sur le cycle de à celle des sols forestiers équivalents, bien que
l’eau, ainsi que la clarification du rôle du sol, du cette capacité varie selon les conditions locales.
sous-sol et de la végétation dans le devenir des
eaux gérées par ces solutions. — La gestion des eaux pluviales : les sols urbains
jouent un rôle clé dans l’infiltration et le stockage
La recherche est aussi appelée à contribuer active- des eaux pluviales, aidant à prévenir les inonda-
ment à la définition de stratégies et de trajectoires tions et à recharger les nappes phréatiques.
réalistes pour la mise en œuvre des SfN à l’échelle — La production végétale à finalité ornementale,
urbaine. écologique, paysagère et/ou alimentaire.

En conclusion, alors que l’eau devient une ressource — La préservation de la biodiversité : les sols ur-
de plus en plus limitée, il est essentiel de prioriser bains, notamment dans les espaces végétalisés
les bénéfices attendus de la (re)naturation, tant à comme les parcs et jardins, peuvent abriter une
l’échelle locale qu’urbaine. Cela implique également biodiversité importante : macrofaune, groupe le
d’explorer de nouvelles approches, telles que l’utili- plus étudié (vers, mille-pattes…), mais aussi meso-
sation d’eaux non conventionnelles et la séparation faune (acariens, collemboles…), microflore (bac-
à la source des excrétats, pour maximiser l’efficacité téries et champignons) et microfaune, invisible à
de la gestion des ressources en eau et réduire les l’œil nu (nématodes).
impacts environnementaux. — Des usages et valeurs paysagers, culturels et ré-
créatifs
Les SfN offrent un cadre prometteur pour aborder
ces défis, mais leur succès dépendra de la capacité Les activités humaines sont devenues un facteur
à les intégrer de manière holistique dans les stra- dominant dans la formation et l’évolution des sols
tégies de gestion urbaine. urbains, ce qui a conduit au concept d’anthropo-sé-
quences, où les sols évoluent principalement en ré-
ponse aux interventions humaines.
ENJEUX LIÉS AUX SOLS URBAINS Contrairement aux idées reçues, tous les sols ur-
bains ne sont pas dégradés. En réalité, on trouve une
« Sols urbains : terres inconnues ? »19 grande variété de types de sols en milieu urbain, que
l’on peut regrouper en plusieurs catégories en fonc-
Les sols urbains sont de véritables réservoirs de tion de leur degré de modification :
biodiversité et des ressources clés pour le bon fonc-
tionnement des écosystèmes urbain et la résilience — Sols naturels à pseudo-naturels (très peu mo-
urbaine. Or ils ont été fortement mis à mal par le difiés par les activités humaines), comme les
développement de l’urbanisation : pollutions, im- Luvisols dans les forêts urbaines ou les Cambisols
dans les zones d’agriculture urbaine. Ces sols ont
conservé une grande partie de leurs fonctionna-
19 Titre de l’intervention de Christophe Schwartz (INRAE – Universi- lités naturelles.
12 té de Lorraine) – Réunion du GT le 17 juin 2024.
— Sols reconstitués ou construits : Les Anthropo- On l’a vu, le développement de la végétation ur-
sols utilisés en horticulture, avec un apport impor- baine a par exemple des impacts directs, quoique
tant de matières organiques, ou les Technosols complexe, sur la qualité de l’air, la chaleur en ville, la
construits, tels que ceux des toits végétalisés. régulation des eaux pluviales – sans compter les ef-
fets culturels, psychnologiques et sociaux pour les
A noter que certains sols, complètement remaniés citadins.
suite à des constructions ou des remblais, n’entrent
pas complètement dans les catégories précédentes. Par ailleurs, les sols urbains jouent un rôle crucial
dans la gestion des eaux pluviales et le succès de
Ces anthroposéquences témoignent d’une dyna- la végétalisation. L’imperméabilisation des sols em-
mique complexe des sols urbains. L’analyse des sols pêche l’infiltration naturelle de l’eau, entraînant un
parisiens entre 1949 et 2017 montre ainsi que 36 % ruissellement accru qui peut causer des inondations.
de la surface de l’agglomération parisienne a changé La végétalisation, en particulier avec des techniques
d’affectation en 70 ans, principalement en raison de comme les jardins de pluie ou les toits verts, peut
l’urbanisation. permettre une meilleure infiltration tout en réduisant
la quantité d’eau de pluie qui atteint les systèmes
d’égouts. Un sol urbain sain, bien entretenu et riche
Une diversité aussi bien verticale qu’horizontale en matière organique favorise aussi une végétation
plus résiliente et capable de mieux supporter des pé-
La variabilité des sols urbains se manifeste aussi bien riodes de sécheresse ou de fortes pluies.
dans leur profondeur que dans leurs étendues :
Autre exemple d’interaction, entre air (chaleur ur-
— Verticalement, les sols sont composés d’une baine) et sol : « L’implantation urbaine commence
superposition de couches, appelées « hori- à modifier la température du sous-sol. Il y a des îlots
zons », allant de la roche mère à la surface, pré- de chaleur souterrains en ville, alors que souvent, le
sentant chacun des propriétés et des évolutions sous-sol sert à fournir du froid, et dans le futur, le
spécifiques. froid va être un gros besoin ».
— Horizontalement, la diversité des aménage-
Les dimensions de l’air, de l’eau et des sols en milieu
ments urbains (souterrains et de surface) induit
urbain sont donc étroitement interconnectées.
une forte variabilité locale des sols et de leurs
fonctionnalités : à quelques mètres près, les sols
peuvent être très différents les uns des autres sur
Interactions entre approches vertes, grises et
l’ensemble de la superficie de la ville.
douces
Les sols urbains nécessitent ainsi des approches
spécifiques pour maintenir ou restaurer leurs fonc- Les solutions fondées sur la nature ne suffiront pas
tionnalités : désimperméabilisation, décompaction, à compenser les atteintes anthropiques en milieu ur-
amendement, construction… Face à leur complexité bain ; il est donc indispensable de les combiner avec
et leur diversité, la recherche doit se développer afin des solutions dites technologiques (dites «grises»),
de mieux comprendre les liens entre l’état des sols, et des solutions liées à l’organisation et au compor-
leurs fonctions écologiques et les services écosysté- tement humains, dites «douces».
miques qu’ils fournissent, et tester des solutions sur Par exemple, la végétalisation ne peut pas com-
le terrain et développer des outils d’aide à la décision penser les émissions de gaz à effet de serre liés à
pour les gestionnaires publics et privés. aux trois principaux contributeurs que sont les bâti-
ments, la mobilité et l’alimentation. La gestion des
trois dimensions de la nature en ville que sont l’air,
SYSTÈMES, SYSTÈMES DE SYSTÈMES : l’eau et le sol, doit donc aussi s’articuler à la prise
QUELLES INTERACTIONS, QUEL FONCTION- en compte de leviers d’action liés à ces secteurs.
La recherche de synergies, comme dans le cas de
NEMENT ?
l’agrivoltaïsme urbain, est bien entendu souhaitable.
L’approche systémique, essentielle à une compré-
Les solutions fondées sur la nature telles que la
hension pertinente des enjeux de la nature en ville,
végétalisation des toitures et façades, la création
peut être illustrées à travers trois exemples d’inte-
de parcs urbains ou la restauration de cours d’eau
ractions : entre les trois dimensions étudiées ; entre
en ville permettent par exemple de réduire les pol-
approches fondées sur la nature, approches techno-
luants atmosphériques, de réguler les températures,
logiques et approches socio-organisationnelles au
de limiter les inondations et les canicules. Pour un
sens large ; et entre niveaux de territoires.
impact suffisant, cependant, un couplage à des so-
lutions technologiques est généralement néces-
Interactions entre air, eaux et sols urbains saire. Ainsi, pour gérer efficacement les épisodes de
pluie intense et de réduire le risque d’inondations,
L’air, l’eau et le sol fonctionnement en étroite sym- les systèmes de drainage urbain peuvent être op-
biose dans les villes, selon des régulations complexes timisés par l’installation de bassins de rétention, de
en fonction des paramètres de chaque situation lo- réservoirs souterrains ou de stations d’épuration in-
cale et temporelle. novantes. Une rénovation ambitieuse du bâti ancien
13
est également essentielle pour adapter les villes au des écosystèmes régionaux, la ville étant un
climat futur et assurer un confort suffisant à l’inté- maillon dans un réseau écologique plus vaste,
rieur des bâtiments, en évitant un emballement de comprenant par exemple l’amont et/ou l’aval
la consommation d’énergie lié au rafraîchissement d’une rivière, des zones agricoles et forestières
(climatisation). connexes, etc.

Enfin, les solutions « douces », comme l’adaptation Le développement de la nature en ville suppose
des comportements, la planification urbaine durable donc une approche résolument systémique, en
et la mise en œuvre de politiques publiques adap- intégrant non seulement les spécificités des milieux
tées, sont essentielles pour garantir la pérennité des urbains (air, climat, eaux, sols), mais aussi les interac-
initiatives. Par exemple, la sensibilisation des habi- tions entre ces dimensions, les types de solutions
tants à la gestion responsable de l’eau ou à la réduc- déployées, et les niveaux territoriaux.
tion des émissions polluantes peut renforcer l’effica-
cité des SFN et des solutions technologiques. Cette vision holistique appelle l’approfondissement
La combinaison de ces trois types de solutions crée et la mise en relation de nombreuses connaissances
un système d’interactions complexes où chaque à différentes échelles. On peut souligner à cet
approche renforce ou complète les autres. Un éco- égard que les connaissances déjà disponibles
système urbain résilient repose sur l’équilibre de ces sont très hétérogènes : certaines choses sont
différentes solutions. La pertinence des différentes mieux connues que d’autres, ce qui appelle à cibler
solutions et de leur combinaison doit être évaluée au les efforts sur ces dernières. Quelques exemples à
cas par cas, en fonction du territoire concerné. titre d’illustration.

— La discipline « Pédologie – Science du sol »


Interactions entre niveaux de territoires a ainsi été officiellement classée parmi les dis-
ciplines rares par le ministère chargé de la Re-
Les interactions entre les réalités urbaines doivent cherche20. En particulier, la très riche biodiversité
également être pensées à différents niveaux de ter- des sols urbains demeure largement méconnue :
ritoire : du bâtiment à l’îlot, au quartier, à la ville, voire 25 à 60 % des espèces terrestres sont présentes
à la région urbaine. Or chacune de ces échelles fait dans les sols, mais seulement 1 à 3 % des études
intervenir et s’articuler les diverses composantes ur- sur les sols urbains portent sur cette biodiversité.
baines, naturelles ou humaines. On l’a vu par exemple — Concernant les processus de végétalisation des
avec les enjeux de gestion de la chaleur en ville, qui villes, une question importante est celle de la ges-
ne sont pas les mêmes selon que l’on se parle d’ICU tion des différentes strates végétales : strates her-
(îlot de chaleur urbain) ou de confort thermique. bacées, buissonnantes, arbustives, arborées… Or,
comme l’a souligné un intervenant, « beaucoup
La question des trames urbaines illustre bien ces de travaux scientifiques portent sur les arbres,
enjeux émergents d’articulation des différentes leur fonctionnement, les espèces, etc., mais il y
échelles de la ville. en a beaucoup moins sur les autres strates, les
sols et les sous-sols ».
À l’échelle de la parcelle, chaque espace vert,
jardin ou point d’eau joue un rôle crucial dans la D’autres phénomènes méritent également d’être
biodiversité locale, en offrant des habitats pour explorés plus avant, tels que les processus d’éva-
la faune et la flore. Ces espaces doivent aussi potranspiration, les conditions et impacts de la
permettre la circulation des espèces et des végétalisation urbaine, des trames écologiques
ressources, en étant connectés aux espaces urbaines, etc.
voisins.
À l’échelle du quartier, se créent ainsi des cor- Face à cette considérable complexité des compo-
ridors écologiques : rues arborées, façades vé- santes de la nature en ville et de son développe-
gétalisées, cours d’eau urbains permettent aux ment, un enjeu clé est de mieux appréhender et de
espèces de se déplacer et de coloniser de nou- qualifier plus complètement et plus précisément
veaux habitats, renforçant ainsi la résilience éco- le fonctionnement et les interactions de ces di-
logique du quartier. verses composantes, dans diverses conditions.
À l’échelle de la ville, il importe que les docu- D’importants efforts de mesure et d’analyse sont
ments d’urbanisme garantissent cette continui- donc attendus.
té écologique en intégrant ces trames vertes
(parcs, forêts urbaines, alignements d’arbres…),
bleues (milieux aquatiques : rivières, lacs, bas-
sins…) et brunes (sols et sous-sols en capacité
de soutenir la biodiversité). Les infrastructures
urbaines, comme les routes et les bâtiments,
peuvent être conçues ou adaptées pour minimi-
ser les ruptures dans ces trames, par exemple
en intégrant des passages pour la faune ou en
végétalisant les bords de routes.
Ces trames ont enfin vocation à s’inscrire dans 20 MESR - Note du Service de la Coordination des stratégies de l’En-
14 seignement supérieur et de la Recherche, 21 janvier 2023.
2. Connaître plus et mieux : en- tratives en direction d’une diversité d’interlocuteurs
(municipalité, Bâtiments de France, propriétaires fon-
jeux de métrologie, de modéli- ciers…), nécessité de protéger les instruments de la
sation et de qualification curiosité des passants ou des dégradations, etc.

Par ailleurs, « la mesure n’est jamais évidente,


En métrologie, les spécialistes savent que les tem- immédiate et directe : on ne mesure jamais direc-
pératures peuvent varier considérablement à 1 ou tement ce qui est juste en-dessous du capteur : on
2 mètres près, selon les conditions locales. Mais la mesure l’effet d’un environnement, d’un ensemble de
communauté de chercheurs et experts concernés sources qui n’est pas toujours facile à identifier », en
est encore très réduite, alors que les besoins de fonction de la vitesse et de la direction du vent par
mesure et de simulation sont de plus en plus im- exemple.
portants.
La période étudiée est aussi à considérer soigneu-
« Le besoin sociétal a évolué, il y a de nouvelles sement : même si elle est choisie de façon cohé-
questions qu’on ne se posait pas auparavant. De ce rente (exemple : deux mêmes périodes estivales sur
fait, les données ne sont pas assez riches au départ, deux années successives), les résultats peuvent être
avec par exemple des lacunes d’information concer- influencés par des situations non représentatives
nant les conditions de production, conduisant à des d’une réalité moyenne habituelle : des campagnes
approximations qui ne permettent plus de répondre de mesures faites lors d’un été sont difficiles à com-
aux besoins actuels. Mais les compétences dispo- parer à celles faites l’été suivant.
nibles sont encore limitées pour faire face à ces be-
soins de données plus spécifiques, plus nombreuses, Les deux parades à ces limites sont claires.
mieux exploitées ». D’une part, la multiplication de mesures locales in
situ dans les meilleures conditions de cohérence
et de pertinence est essentielle.
RECUEILLIR ET FIABILISER DAVANTAGE DE D’autre part, l’analyse des résultats, pour leur utili-
DONNÉES sation ultérieure, nécessite un niveau de spécialisa-
tion poussé afin de les interpréter avec toute la com-
Le recueil de données en milieu urbain est rendu pétence et la rigueur nécessaires : prise en compte
difficile par les importantes variations locales et/ou des limites de pertinence, correction des biais, etc.
temporelles des conditions environnementales. Les
mesures de paramètres comme la température, l’hu- Au-delà de la mesure par capteurs in situ, la télé-
midité ou la qualité de l’air peuvent être influencées détection par imagerie satellite et thermographie
par des facteurs tels que l’ombre, le vent, la présence infrarouge permet d’analyser les surfaces urbaines
de végétation, et les matériaux de surface, rendant et d’identifier les zones particulièrement exposées à
chaque mesure potentiellement unique et peu repré- la chaleur. Toutefois, ces méthodes, après un traite-
sentative d’un contexte plus large. La composition ment qui nécessite de connaitre l’émissivité de tous
des sols, moins sensible aux variations temporelles, les matériaux de surface ainsi que des paramètres
peut en revanche être très différente à quelques atmosphériques, ne donnent accès qu’aux tempéra-
mètres de distance. tures de surface, qui ne reflètent pas directement la
température de l’air ambiant. Par exemple, le bitume
La question des méthodes et des outils de recueil d’une route peut atteindre des températures très
des données est donc cruciale. Concernant la cha- élevées sans pour autant indiquer la température
leur urbaine, par exemple, des systèmes de cap- de l’air environnant. De plus, « pour une erreur de
teurs multiples et diversifiés, fixes ou mobiles, sont 5 % sur l’émissivité (caractéristique d’émission d’un
nécessaires pour capturer une variété de conditions matériau dans l’infrarouge), on peut aboutir à des
locales, à différentes échelles. Les mesures mobiles, différences de 15°C ! ». La marge d’erreur est donc
par exemples, peuvent être effectuées : potentiellement considérable.

— à l’échelle du confort thermique : système de sac Du fait de ces nombreuses limites ou points de vigi-
à dos par exemple, porté par quelqu’un qui se dé- lance, une intervenante va jusqu’à considérer qu’ « on
place (système Cityfeel de Hepia, en Suisse) ou peut faire ‘parler’ la mesure un peu comme on veut,
dans un panier ajouré (CityClimateX21) ; en ajustant la façon de mesurer ». Il est donc néces-
saire que des protocoles rigoureux soient proposés.
— à l’échelle de l’ICU : en voiture (système Ther-
moroute du Cerema) ou à vélo (exemple d’une Accroître la quantité et la qualité des données
campagne de mesure à l’Université de Dijon ou à représente donc une première piste de progrès. La
l’Université Jean Moulin Lyon 3). suivante s’oriente ainsi vers la construction et l’utili-
sation d’outils performants de simulation et de mo-
Il faut tout d’abord souligner que l’installation et la délisation.
gestion de stations de mesure fixes est souvent
compliquée en milieu urbain : démarches adminis-

15 21 www.cityclimatex.com
MODÉLISATION ET SIMULATION : AFFINER ET Tout d’abord, les matériaux de construction ne sont
INTÉGRER LES MODÈLES SCIENTIFIQUES pas considérés de façon suffisamment fine : une sur-
face en béton dense sera considérée comme une
Une fois les données recueillies, l’enjeu est de les surface en béton poreux.
mettre au service d’une vision aussi complète que
possible des réalités urbaines et de leurs interac- Ensuite, certaines dimensions sont absentes ou
tions, grâce à des outils de modélisation et de simu- insuffisamment présentes dans la conception des
lation performants. Dans une perspective plus opé- modèles. Par exemple, les arbres urbains ne sont
rationnelle, ces méthodes permettent également de pas systématiquement pris en compte dans les mo-
tester et de piloter les évolutions envisagées. dèles de qualité de l’air, ce qui limite la précision des
simulations.
La modélisation informatique est ainsi un outil pré-
cieux pour simuler l’impact de différents aménage- Exemple :
ments urbains sur la température. Le projet ANR sTREEt (Impact of sTress on
uRban trEEs and on city air quality), financé
Exemple : par l’ANR (2019-2014), vise à combler cette
À petite échelle, un outil comme SOLENE- lacune en étudiant l’impact du stress des
Microclimat22, développé par le laboratoire arbres urbains sur la qualité de l’air. Sont inté-
CRENAU (Ecole supérieure d’architecture de grés des paramètres tels que l’effet aérody-
Nantes) et le CEREMA, permet de simuler l’im- namique des arbres, le dépôt de polluants sur
pact des climatisations sur le réchauffement les feuilles, et l’émission de composants orga-
des façades et de l’environnement proche, et, niques volatils (COV).
en retour, l’effet de ce réchauffement sur la
performance des climatiseurs. Un autre exemple est le manque de vision dyna-
Les simulations montrent que les rejets de mique dans les modèles d’analyse microclimatique
climatisation en façade peuvent augmenter ou de la qualité de l’air en ville, souvent basés sur
la température de 2 à 3°C, ce qui se traduit des données thermiques statiques ; une meilleure
par une augmentation de 10 % des besoins en prise en compte des dimensions aérauliques serait
froid des bâtiments. souhaitable.
Plus globalement, les modèles de climat spécifique
À l’échelle de la ville, le modèle TEB (Town Energy à chaque ville, et plus encore les modèles de climat
Balance) de Météo-France, qui prend en compte futur, sont aussi très insuffisants. Comme le sou-
les zones urbaines dans les simulations météorolo- ligne un intervenant, « il y a d’abord un gros travail
giques, permet par exemple de simuler l’effet de la de définition du climat de chaque ville ; et chaque
végétalisation (toits végétalisés, pelouses, arbres) ville aura un autre climat à l’avenir. Les choix que
sur l’ICU. l’on fait aujourd’hui doivent être compatibles avec
aujourd’hui et avec après-demain. Un enjeu scienti-
Une autre solution de modélisation consiste à utiliser fique important est donc la qualification climatique
des modèles géostatistiques. Ils présentent l’avan- des villes à 2050 et 2100. Or ce qui pèche dans de
tage de partir de constats terrains afin de retrans- nombreux endroits en France, c’est de récupérer des
crire en tout point du territoire le confort thermique données climatiques ».
ou la température de l’air.
Ensuite, certaines dimensions sont aujourd’hui in-
Exemple : tégrées de façon trop agrégée dans les modèles,
La thèse de Lucille Alonso (2021)23 met en ce qui ne permet pas d’avoir une vision suffisamment
avant les avantages et les inconvénients à fine des réalités prises en compte. Il conviendrait
adopter une telle approche. Elle a permis d’affiner les modèles, en décorrélant les compo-
également de souligner les erreurs géostatis- santes de ces dimensions, pour mieux comprendre
tiques qui peuvent se présenter en fonction comment chaque facteur contribue au microclimat
de la morphologie urbaine et de la mesure urbain et aux effets plus larges comme les ICU.
terrain.
Exemple :
Cependant, les modélisations actuelles présentent La relation entre le rayonnement solaire, l’éva-
des limites qui sont autant de défis que la re- potranspiration, et la température de surface
cherche et l’innovation s’attachent à relever. On est souvent modélisée de manière agrégée,
peut en citer quatre. ce qui peut masquer des variations impor-
tantes et des interactions complexes.

Enfin, les interactions entre les différents éléments


urbains (qualité de l’air, climat, et hydrologie ur-
22 Outil. https://solenemc.hypotheses.org baine…) nécessitent souvent de combiner plusieurs
23 Lucille Alonso. 2021. Intérêt de la modélisation de la température modèles, pour une analyse suffisamment inté-
de l’air associé à la nécessité de la caractérisation des vulnérabilités grée des impacts observés ou recherchés.
territoriales pour une compréhension systémique du risque aux fortes Ainsi, le couplage de modèles de continuum
chaleurs en milieu urbain sur Lyon et Tokyo. Université Jean Moulin
Lyon 3. https://theses.fr/2021LYSE3008 sol-plante-atmosphère (pour simuler les interac-
16
tions entre les arbres et leur environnement immé- ont été comparés entre eux et avec les don-
diat) avec des modèles de climat urbain et de qualité nées expérimentales sélectionnées dans dif-
de l’air (comme TEB et MUNICH) permet de mieux férents cas d’étude.
comprendre l’impact global des arbres sur la ville.
L’élaboration de normes et de standards permettant
Exemple : une comparaison fiable des résultats à travers dif-
La thèse d’Alice Maison (CEREA-Ecole des férents contextes urbains et climatiques est ainsi un
Ponts ParisTech), sous la direction de Karine enjeu auquel la recherche est appelée à contribuer
Sartelet, a eu pour objectif de quantifier les activement. Cependant, pour que ces benchmarks
différents effets des arbres sur la qualité de soient utiles, il est nécessaire que les chercheurs par-
l’air à Paris : effets thermo-radiatifs, effets tagent leurs données de manière plus ouverte.
aérodynamiques, dépôt de pollution sur les
feuilles, émission de COV.
« Modélisation des impacts des arbres sur la OUVERTURE ET PARTAGE : DES LEVIERS
qualité de l’air, de l’échelle de la rue à la ville » D’IMPACT POUR PASSER À L’ÉCHELLE SUPÉ-
- Thèse soutenue le 28 novembre 2023, à RIEURE
l’Ecole des Ponts ParisTech.
Le partage des données et la comparaison des ou-
tils entre chercheurs, urbanistes, décideurs publics,
VALIDATION DES MODÈLES : VERS DES entreprises etc. sont essentiels pour faire monter
NORMES ET DES PROCÉDURES STANDARDI- en puissance et en pertinence les modèles qui per-
SÉES mettent de piloter le développement de la nature
en ville. L’insuffisance de ce partage des données
La validation des modèles est un aspect critique qui est un problème récurrent dans la recherche en-
est souvent sous-estimé dans la recherche urbaine. vironnementale. La mise à disposition de données
Sans validation rigoureuse, les résultats des simula- de qualité est pourtant essentielle pour valider les
tions restent incertains et peuvent conduire à des modèles, comparer les résultats, et développer des
recommandations inappropriées, pouvant conduire solutions robustes et généralisables. Des initiatives
à des actions contre-productives. comme les plateformes de données ouvertes ou les
La validation d’un modèle consiste à s’assurer que consortiums de recherche collaborative sont des
les simulations produites sont en accord avec les moyens de promouvoir cette culture du partage.
données réelles observées. Cependant, il n’existe
pas de normes universelles pour la validation des Exemple :
modèles de microclimat urbain, ce qui rend difficile Dans le cadre de la gestion des eaux pluviales
la comparaison entre les études et l’évaluation de la en ville, les données sur la performance des
fiabilité des modèles. Contrairement aux modèles solutions basées sur la nature comme les toi-
de thermique du bâtiment, qui disposent de normes tures végétalisées ou les bassins de rétention
reconnues internationalement, les modèles de mi- sont souvent limitées à des études de cas spé-
cro-climatologie manquent en effet de standards cifiques. Le modèle Multi-Hydro développé
clairs. L’Agence Internationale de l’Énergie tente de par l’École des Ponts ParisTech, qui associe 4
combler ce vide en travaillant sur des annexes spé- modules préexistants (précipitation, ruisselle-
cifiques, mais ces initiatives sont encore en dévelop- ment, infiltration, assainissement), permet de
pement. simuler les effets de ces SfN sur la gestion
des eaux pluviales à l’échelle d’un quartier ou
La création de benchmarks est une première étape d’une ville. Il a par ailleurs été couplé avec le
pour standardiser la validation des modèles. Ces modèle de micro-climat SOLENE-Microclimat
benchmarks permettent de comparer les perfor- dans le cadre du projet ANR EVNATURB24.
mances des modèles dans des conditions contrôlées Cependant, pour que ce modèle soit utile, il
et de les ajuster en fonction des résultats obtenus. doit être alimenté par des données fiables
issues de différentes villes et contextes cli-
Exemple : matiques.
Le projet DIAMS (Diagnostic, conception &
Gestion de la Surchauffe urbaine en période
de canicule : apports croisés des outils de si-
mulation Microclimatique et de l’imagerie IRT), CARACTÉRISER ET QUALIFIER DES OBJETS
coordonné par le CEREMA et financé par URBAINS ÉMERGENTS
l’ANR, a pour objectif d’évaluer l’apport de
l’imagerie satellite infrarouge thermique pour Au-delà de la question des données, des interroga-
la simulation des microclimats urbains afin tions plus larges portent sur la caractérisation d’en-
d’évaluer la surchauffe urbaine. tités urbaines encore peu ou mal cernées.
L‘un des volets du projet est ainsi de quali- Le souhait de gérer de façon plus sobre et plus res-
fier les modèles développés ou utilisés par le ponsable un certain nombre d’éléments urbains
consortium sur la base des jeux de données
sélectionnés. Les résultats des modèles de
simulation microclimatique à l’échelle quartier 24 https://anr.fr/Projet-ANR-17-CE22-0002
17
amène à constater qu’il est nécessaire de les considé- portée par les pédologues ou les agronomes,
rer plus attentivement et d’en savoir davantage à leur avec les concepts de « profil de sol », pour les
propos. Les interrogations vont de la désignation de premiers (sol disponible pour la végétation et
ces entités (définitions, enjeux sémantique…) à leur apte à rendre une diversité de services écosysté-
caractérisation selon une variété de dimensions : miques), ou de qualité du sol pour les seconds.
contours ou périmètres, contenus, évolutions, inte-
ractions avec d’autres éléments et leurs impacts, etc. Le besoin de disposer de bases de connais-
sances plus solides pour mieux qualifier un cer-
— Premier exemple : la « pleine terre », que le sens tain nombre de réalités urbaines se reflète dans les
commun associe à l’idée d’un sol non artificiali- nombreux débats sémantiques dans ce domaine.
sé dans lequel se trouverait par exemple plantés Ceux-ci renvoient à la nécessité de construire un vo-
certains arbres en ville, est l’objet de nombreux cabulaire de la nature en ville encore très émergent.
questionnements, au croisement de diverses dis- Ces enjeux de terminologie reflètent des époques
ciplines. Si l’expression est de plus en plus utilisée différentes mais aussi des approches diverses, par-
par les urbanistes ou les aménageurs, les écolo- fois contradictoires, des objectifs et des méthodes à
gues tendent à lui préférer celle de « sol vivant ». employer.
Les critères pour qualifier la « pleine terre » Pour prendre quelques exemples, des termes tels
peuvent être divers : on peut prendre en compte que «verdissement», «renaturation», et « végétalisa-
l’absence de revêtement en surface, la perméa- tion », parfois utilisés de manière interchangeable, ils
bilité, la continuité horizontale (trame brune) ou renvoient à des pratiques et des ambitions distinctes.
verticale (en profondeur), la qualité bio-physi-
co-chimique… – ou tout cela à la fois, comme le
suggère un écologue membre du GT, qui s’inter-
roge par ailleurs : Le concept de « verdissement » évoque
une approche décorative et domestiquée
« Faut-il en avoir une vision dichotomique, de la nature, souvent accompagnée d’un
avec de la pleine terre à certains endroits et impact environnemental non négligeable,
pas à d’autres, ou y a-t-il un gradient, avec en termes de consommation de ressources
divers degrés de pleine terre en ville, qu’il fau- comme l’eau ou l’énergie.
drait cartographier ? On peut ainsi distinguer La « végétalisation du bâti » (toitures et
la pleine terre stricte, dégradée, partielle - ou murs végétalisés, par exemple) est une
absente. » pratique courante, mais elle ne doit pas
être confondue avec la « renaturation ».
Les enjeux opérationnels liés à ces questionne- Cette dernière terminologie se réfère plutôt
ments sont importants. Les documents de planifi- à la restauration d’espaces fortement dé-
cation urbaine commencent à afficher des « coef- gradés, avec un accent particulier sur la ré-
ficients de pleine terre », ce qui les confronte à cupération des fonctions écologiques des
la question de déterminer quel serait un coeffi- sols, impliquant souvent – mais pas toujours
cient optimal à l’échelle d’un quartier. Les études - un retour à un état antérieur ou non arti-
scientifiques sur la question étant encore très peu ficialisé. Cependant, cette définition n’est
nombreuses, un certain nombre de collectivités le pas complètement stabilisée. Par exemple,
fixent de façon arbitraire : 20 %, 30 %... dans le contexte de la politique du Zéro Ar-
tificialisation Nette (ZAN), la renaturation
désigne la compensation de la consomma-
— Deuxième exemple : les friches urbaines, qui tion de sol artificialisé, un concept élargi par
représentent, selon l’écologue cité plus haut, un la loi Climat et résilience de 2021 pour in-
« angle mort » de la connaissance des réalités ur- clure la désartificialisation des sols.
baines à plusieurs égards, à commencer par leur D’autre part, on distingue la restauration
définition même. écologique et la réhabilitation écolo-
• Pour les urbanistes, une friche est un espace ur- gique : la restauration vise à ramener un
bain en attente d’être aménagé ; site à son écosystème originel, tandis que
la réhabilitation cherche à rétablir un cer-
• pour les écologues, c’est plutôt un refuge du vi- tain niveau de fonctionnalité écologique
vant, un espace naturel à préserver dans la ville. sans nécessairement restaurer l’état histo-
Leurs propriétés et leurs usages font aussi ques- rique du site. Ces termes peuvent se che-
tion, contribuant à des visions très différentes du vaucher, notamment lorsque l’on parle de
concept de nature en ville – on y reviendra. re-fonctionnalisation des sols, qui vise à
rétablir leur capacité écologique sans viser
un retour à l’état initial.
— Dernier exemple : la notion de « sol urbain » ren-
voie à des conceptions différentes selon les ap-
proches disciplinaires ou professionnelles. Selon
un intervenant, il faut ainsi favoriser une évolution
de la notion de « sol-surface », correspondant
aux approches foncières des aménageurs et des
18 urbanistes, vers une notion de « sol-matière »,
Enfin, au-delà des questions de définition, la décou- La montée en qualité nécessaire passe ainsi par :
verte progressive de la complexité des formes et
des interactions du vivant en milieu urbain appelle — L’enrichissement des données par de nombreuses
d’une façon générale à un approfondissement des informations relatives à leurs conditions de pro-
connaissances sur toutes ses composantes : air, duction, comme l’a rappelé le président du GT25 ;
eau, sols, faune et flore. « Mieux caractériser la végé-
— Une collaboration et un partage accrus des
tation urbaine et suburbaine, avec le développement
connaissances entre toutes les parties prenantes
d’inventaires des arbres dans les villes » est ainsi pré-
(chercheurs, collectivités, entreprises, etc.) ;
senté comme un enjeu clé par une intervenante.
Il en va de même pour les autres composantes men- — Une validation plus poussée des méthodes et des
tionnées : sols, etc. – et surtout, interactions entre modèles ;
ces composantes, et avec d’autres dimensions de la
— Des compétences scientifiques et technologiques
vie urbaine.
plus spécialisées et résolument plus nombreuses,
dans les domaines de la caractérisation et de la
Acquérir des connaissances plus fines pour mieux
compréhension de la nature en ville.
appréhender et développer la nature en ville est
donc un enjeu considérable.

Pour conclure, un net besoin de montée en quantité


et en qualité (données, connaissances, modèles…)
se manifeste aujourd’hui, pour répondre aux défis de
la complexité et de la variabilité des réalités urbaines.

Il est compréhensible, à ce stade, de nourrir l’ambi-


tion de gagner en reproductibilité des résultats et
des solutions, en généralisation des méthodes, etc.
Toutefois, cette ambition est sans doute illusoire,
prévient une intervenante : « La comparaison et la
généralisation restent difficiles. Généraliser les ap-
proches ne semble pas possible ; ce que l’on pour-
rait peut-être faire en revanche, c’est parvenir à
ordonner des solutions dans différents contextes,
quand on aura mieux compris comment ça
marche. D’où l’intérêt des outils d’études, des proto-
coles de mesure bien mis en place. »

L’adaptation des solutions aux contextes locaux, en


tenant compte des particularités de chaque environ-
nement urbain, doit en tout cas devenir la norme plu-
tôt que l’exception.

C’est aussi l’enjeu des programmes européens, qui


permettent de prendre en compte une diversité de
contextes plus importante. Un intervenant appelle à
renforcer les liens entre programmes européens et
programmes nationaux, en citant l’exemple du pro-
gramme européen Soil Health BENCHMARKS, basé
sur 24 cas multi-échelles et multi-utilisateurs pour
l’observation et la gestion des sols urbains : on peut
ainsi « accéder à des villes avec des histoires, des
climats etc. contrastés, permettant d’identifier des
catégories diverses de cas d’usages ».

A noter cependant que la montée en quantité


seule, sans la montée en qualité, ne serait pas en
soi une réponse pertinente à ce besoin de com-
préhension accrue des réalités urbaines. Comme le
souligne l’intervenante précitée, l’accumulation de
données n’est pas en soi gage de progrès : « Les
résultats deviennent d’autant plus complexes, ce qui 25 Michael Matlosz, Université de Lorraine et Académie des techno-
logies – Réunion du GT le 19 mars 2024 : « Si les données ne sont pas
n’aide pas forcément à la compréhension et encore présentées avec des informations sur leurs conditions de production,
moins à la décision. » Dans certaines études, sur les elles ne sont pas d’une grande utilité, puisque les résultats pouvaient
parcs par exemple, « on trouve de tout en termes de varier considérablement selon ces conditions : capteur placé à un en-
droit ou un mètre plus loin, selon qu’il y a du soleil ou non ce jour-là ou
résultats ; dans ces conditions, il n’est pas facile de à cet endroit précis, etc. Sans ces informations, il pourrait même être
statuer ». contre-indiqué de rassembler des données, tant elles risquent de ne
19 pas être pertinentes ».
Co-construire des solutions
innovantes et des outils
d’aide à la décision
02
1. Promouvoir une recherche en invasives le long du contournement autoroutier de
prise avec les enjeux d’innova- Strasbourg.

tion urbaine A travers ce type de partenariat, la recherche irrigue


des acteurs urbains de façon nourrie et continue
pour inventer de nouvelles solutions fondées sur la
DES COLLABORATIONS FRUCTUEUSES ENTRE nature, permettant de renforcer la capacité des villes
RECHERCHE ET ENTREPRISES à faire face aux bouleversements climatiques et en-
vironnementaux.
Le sujet de la nature en ville mobilise le milieu acadé- On le savait, mais on peut le redire : ces recherches
mique sur un spectre allant du plus fondamental au partenariales au long cours sont les plus aptes à
plus appliqué. Les partenariats avec des entreprises permettre le développement de sujets émergents
ou des collectivités, autour de projets de recherche comme la nature en ville. Elles doivent être soute-
et d’innovation ou dans le cadre de dispositifs colla- nues plus largement dans le cadre de la réalisation
boratifs, sont nombreux et structurants. des grands objectifs de développement durable.

Les enjeux de la nature en ville constituent l’une


des pistes de travail actuelles du Lab Recherche LITTÉRATURE GRISE ET GUIDES PRATIQUES :
Environnement26, qui, comme le rappelle l’un des DES OUTILS PRÉCIEUX
responsables, « vont de la recherche fondamentale
à l’aide à la décision, en passant par le développe- Cette recherche partenariale produit des résultats
ment d’outils et méthodes pour les opérationnels ». qui ont vocation à être très utiles aux acteurs urbains.
Sous sa forme première (publications, données…),
La maturité de ce partenariat de recherche est illus- ceux-ci ne sont toutefois accessibles qu’aux plus
trée par le programme « Recherche et Solutions », spécialisés d’entre eux. Au-delà de ce cercle res-
qui vient rééquilibrer le fait que les chercheurs étaient treint, la littérature scientifique nécessite d’être vul-
souvent à l’origine des propositions de thèmes et de garisée pour pouvoir être diffusée dans de bonnes
projets de recherche : ce programme est en effet conditions d’appropriation.
basé sur les propositions des collaborateurs de Vin-
ci et de ses filiales, invités à suggérer des pistes de Un intervenant, écologue dans une agence régio-
R&D, en lien avec les solutions environnementales nale, note ainsi : « Pour moi, il est important de pou-
proposées par l’entreprise. Par exemple, une thèse voir aller puiser des réponses dans cette littérature
est menée dans ce cadre sur la lutte contre espèces scientifique. Elle n’est pas souvent vulgarisée donc il
y a encore un effort à faire de ce côté : il existe des
réponses scientifiques qu’on ne met pas en œuvre
26 Le Lab Recherche Environnement est le fruit du mécénat de Vinci
avec trois écoles depuis 2008 : Mines Paris-PSL, AgroParisTech et dans les plans d’action urbaine, faute de “traduction”
Ecole des Ponts ParisTech. Trois expertises académiques complémen- opérationnelle. »
taires sont ainsi réunies : énergie et ACV des bâtiments et des quar-
tiers (Mines), écologie urbaine, alimentation et microclimats (Agro),
transports et infrastructures (Ponts). Depuis 2008, cette chaire de Les intervenants abondent : même si elles doivent
20
recherche développe des programmes sur la performance environne- encore être largement développées, les connais-
mentale des bâtiments, des quartiers et des infrastructures.
sances scientifiques sur la nature en ville pourraient sance à Urbalia, filiale de Vinci, à partir de l’outil
et devraient être « rendues disponibles et accessibles Biodo(V)strict®. A l’échelle d’un projet urbain,
à tous via des outils opérationnels et des pratiques d’un îlot, Urbalia réunit l’ensemble de l’ingénierie
vertueuses largement diffusées » : guides méthodo- écologique pour travailler sur tous les enjeux liés
logiques, fiches techniques, kits opérationnels, etc. à la biodiversité urbaine : continuité écologique,
évitement du traitement phytosanitaire des
Cette « traduction » de la science en connaissances arbres, etc., puis d’aller plus loin sur l’aménage-
et méthodes appropriables par les acteurs urbains ment paysager et les travaux associés.
est de plus en plus souvent préconisée comme l’un
des livrables clés des projets de recherche. Elle est EquoVivo : de l’outil à la marque
précieuse pour aider les utilisateurs à gagner en com-
pétence en découvrant les outils et méthodes dispo- EquoVivo est la marque créée par Vinci Construc-
nibles, les conditions dans lesquelles ils peuvent être tion, regroupant tous les savoir-faire accumulés
mis en œuvre. par l’entreprise, dans le cadre du modèle « Evite-
ment, réduction, compensation », lors de grands
Par exemple, le projet DESSERT27, porté par projets d’infrastructure. Vinci a encapsulé ces sa-
le laboratoire Sols et Environnement (Université voir-faire sous cette marque, qui propose des so-
de Lorraine / INRAE) et financé par l’ADEME, a lutions de génie écologique, renaturation, remise
pour objectif d’éclairer les pratiques de désim- à niveau de cours d’eau, recréation de corridors
perméabilisation – un enjeu clé dans le cadre de écologiques, lutte contre les espèces envahis-
la politique de Zéro Artificialisation Nette (ZAN). santes…
Un guide d’aide à la conception d’opérations de
désimperméabilisation sera publié en 2024, afin Revilo : solution de rafraîchissement urbain
de contribuer à diffuser les bonnes pratiques dé-
La solution Revilo a été développée par Eurovia
gagées et d’aider à orienter les décisions des res-
(filiale Routes de Vinci) avec l’Université de Lor-
ponsables urbains.
raine et AgroParisTech, pour travailler sur l’îlot
de fraîcheur urbain. Au-delà de la fabrique de la
De nombreuses institutions ont bien cerné ce besoin
route, de la chaussée, du trottoir, de la place etc.,
et proposent des ressources aussi accessibles et
cette proposition d’Eurovia intègre les questions
pertinente que possible. Le CEREMA, par exemple,
des sols, des revêtements, des Technosols...
a mis en ligne ses « nouvelles collections édito-
riales », réparties en cinq catégories : les références,
Graphab : modélisation des déplacements des
les dossiers, les essentiels, les ressources et les ca-
espèces en milieu urbain
hiers. Et nombreux sont les laboratoires, les agences,
les associations, les fondations, les entreprises etc., L’outil Graphab, développé par l’université de
qui proposent ce type d’informations synthétiques Franche-Comté, a été utilisé par des communes
et opérationnelles, véritable trait d’union entre la comme Strasbourg, qui a modélisé, à partir des
complexité des savoirs formels et le besoin d’action déplacements de l’écureuil roux, son réseau de
appelant à « apprendre en marchant ». continuités écologiques en milieu urbain.

REGREEN : identification du gisement de sols ar-


DES SOLUTIONS INNOVANTES EN COURS DE tificialisés à renaturer
MATURATION
Le projet européen REGREEN vise à identifier les
La recherche contribue aussi directement à la pro- espaces minéralisés pour lesquels une opération
duction de solutions et d’outils opérationnels. De de renaturation permettrait un gain écologique
nombreux exemples ont été fournis au fil des travaux important (amélioration de la fonctionnalité du
du GT. sol, etc.). Il peut utilement accompagner la poli-
tique de ZAN,
Biodi(V)strict® : outil d’aide à l’aménagement
basé sur une approche scientifique de l’évalua- Pour résumer, et en laissant la parole à un interve-
tion de la biodiversité nant, « le fait de transformer des outils scientifiques
en outils opérationnels d’ingénierie est très impor-
Issu des travaux du Lab Recherche Environne- tant. Pour nous, institut de recherche au sein d’une
ment, Biodi(V)strict® est un outil compréhensible école d’ingénieurs, c’est clairement un axe de re-
par les non-spécialistes, rapide et peu coûteux cherche en soi. Derrière cela, les enjeux sont impor-
à utiliser. Il permet d’évaluer le fonctionnement tants : cette donnée devient de l’information, de la
écologique potentiel d’un site, pour tester des connaissance, de la compréhension et in fine, de la
scénarios d’aménagement. Il est actuellement décision. »
utilisé par une filiale de Vinci. L’objectif est celui de l’accélération et du change-
Le partenariat existant entre les trois écoles par- ment d’échelle, pour parvenir à transformer la ville
tenaires du Lab et Vinci a permis donner nais- par la nature, à la hauteur des défis climatiques et
environnementaux.

27 Desimperméabilisation des Sols, Services Ecosystémiques et Ré-


21 silience des Territoires
Parmi les leviers identifiés, la question d’une modé- plexité qui surgit lorsqu’il est question de « simpli-
lisation adaptée à des usages opérationnels à la fois fier » un modèle pour un usage opérationnel - il n’est
urgents et complexes apparaît clé. pas simple de simplifier ! Dans certains cas, l’opé-
ration d’adaptation ne se fait d’ailleurs pas par ré-
duction du plus complexe au plus simple, mais dans
l’autre sens, avec l’ajout de modules à des modèles
2. Développer des modèles à la de base simples.

fois puissants et faciles d’utili- Quelques retours d’expériences et exemples per-


sation mettent d’illustrer les défis que représente cette re-
cherche d’articulation entre complexité et efficacité
opérationnelle.
On l’a dit : la diversité des données à prendre en
compte pour caractériser les composantes de la na-
ture en ville dans des environnements variés conduit DÉCORRÉLER POUR GAGNER EN PERTINENCE
les chercheurs à développer des modélisations
scientifiques qui appellent encore de nombreux dé- Si l’applicabilité à un contexte particulier implique de
veloppements. Mais les chercheurs sont également ne prendre en compte qu’une certaine réalité spéci-
sollicités par les bureaux d’études, les services tech- fique, il importe en revanche que toute cette réalité
niques des villes, etc. pour proposer des modélisa- soit bien considérée.
tions à visée non plus scientifiques mais opéra-
tionnelles : les modèles sont alors des outils d’aide à Ainsi, concernant la prise en compte des effets de
la décision pour concevoir, planifier et accompagner la végétation sur la qualité de l’air et la santé, des
la mise en œuvre des projets de développement de intervenants soulignent la nécessité de « mieux mo-
la nature en ville. déliser les types d’essences et leurs émissions spéci-
fiques », notamment celles de composés organiques
Un enjeu clé est celui de l’équilibre à trouver entre volatils, sans parler des effets de ces émissions et
complexité et simplicité : comment faire en sorte sachant que les végétaux absorbent par ailleurs une
que les modèles développés soient capables de cap- partie des émissions et qu’ils ont également d’autres
turer la complexité des écosystèmes urbains, tout en bénéfices. De nombreuses autres dimensions sont
étant utilisables par des non-spécialistes souvent aussi à prendre en compte si l’on souhaite évaluer
contraints qui plus est par des agendas politiques et le bénéfice du développement de végétaux dans un
économiques serrés ? quartier. « La question est donc bien de tout décor-
réler ; mais comment le faire, avec quel outil global
Les chercheurs travaillent ici main dans la main avec et conceptualisé ? Il n’est pas certain qu’aujourd’hui,
les acteurs techniques de la ville (bureaux d’études, dans la communauté scientifique, on dispose d’un
entreprises, prestataires, etc.) qui font le lien entre tel outil, capable de traiter des co-bénéfices sur le
la recherche et le monde de la décision publique : confort, la chaleur, la dispersion et l’absorption des
élus locaux, responsables d’institutions publiques et polluants, les émissions de composés et la chimie
parapubliques en charge de la gestion urbaine. Leur atmosphérique, le cycle de l’eau, l’isolation du bâti
besoin pressant : disposer d’outils de modélisation, etc. »
de simulation et d’aide à la décision suffisamment
puissants pour prendre en compte efficacement
une grande masse de données complexes et hété- AJUSTER LES MODÈLES AUX BESOINS
rogènes, tout en répondant aux spécifications sui-
vantes : Des choix s’imposent, afin de prioriser les apports
— appropriation simplifiée ; attendus des modèles.
— usage rapide.
Cette question guide les travaux menés par Sonia le
Il importe de noter que cette attente de bons « ré- Mentec dans le cadre de sa thèse28 dont l’objectif est
glages » entre complexité et simplicité n’est pas de concevoir et de valider un modèle pour l’évalua-
seulement une question technique d’adaptation de tion des effets de la végétalisation du milieu urbain
modèles existants : le processus visant à gagner en sur la régulation du microclimat et sa contribution à
pertinence opérationnelle constitue une probléma- l’amélioration de la qualité de l’air.
tique scientifique à part entière, y compris pour les Un état des lieux initial a permis de constater qu’ « il
sciences humaines et sociales. Sur quels paramètres, existe beaucoup de modèles, et plus ils sont détaillés,
à quels niveaux, et comment doivent se faire ces ré- plus il est long et compliqué de les utiliser : pour une
glages ? Autant de questionnements qui appellent simulation d’une journée, par exemple, un certain
d’importants travaux de recherche et d’innovation. modèle doit tourner pendant trois jours ». La thèse
Par exemple, les dimensions liées aux contextes lo- prenant place dans le cadre d’un partenariat avec
caux d’application et aux types d’usages des solu-
tions envisagées doivent être traitées de façon à la
fois approfondie et modulaire. 28 Sonia Le Mentec, « Impact de la végétalisation sur l’îlot de chaleur
urbain et la pollution d’ozone : quantification par une approche de mo-
Comme le savent les spécialistes, mais pas assez les délisation à l’échelle d’un quartier », thèse de doctorat en sciences de
autres acteurs, c’est ainsi un autre niveau de com- l’environnement sous la direction de E. Personne, D. Flick et P. Stella,
22 soutenue le 07.07.2022, Université Paris Saclay.
Vinci, « un choix a été fait, en concertation avec les type de résultats… Certains, comme l’outil
opérationnels de Vinci : celui d’un modèle simple », SOLWEIG, apparaissent assez simples tout
développé à partir d’un modèle de Météo France, en présentant des limites liées à des para-
dans lequel le modèle de végétation utilisé (ISBA) a mètres simplifiés. D’autres sont plus avancés :
été remplacé par celui développé par le laboratoire ENVI-MET, par exemple, « ne peut pas être
d’accueil (SURFATM), qui intègre non seulement les pris en main par tout le monde, il faut com-
échanges de chaleur mais aussi les échanges de pol- prendre la prise en compte des phénomènes
luants. physiques. Les temps de calcul sont plus im-
Au-delà de la thèse, le modèle a continué d’être portants. Par ailleurs, le modèle n’est pas va-
travaillé par le laboratoire à des fins d’application. lidé. Un certain niveau d’expertise est requis
« L’outil n’est pas encore assez développé pour pou- pour une bonne exploitation de ce modèle ».
voir être transmis aux équipes de Vinci. On espère le
faire dans les prochaines semaines ou les prochains Apprendre à concevoir et à manier des modèles
mois, comme on l’a déjà fait pour le modèle de végé- pertinents d’appui à la décision et à l’action est ainsi
tation, qui est disponible et assez simple à utiliser », un défi commun aux chercheurs et aux acteurs qui
expose le co-directeur de thèse. œuvrent à la transformation urbaine par la nature.
Dans cette perspective, les sciences et technologies
numériques occupent bien sûr une place de choix,
DÉVELOPPER UNE GAMME D’OUTILS OPÉRA- comme le montre l’exemple suivant.
TIONNELS

Un certain nombre d’entreprises se sont position- L’EXEMPLE DU JUMEAU NUMÉRIQUE ENVI-


nées sur la conception et la fourniture de solutions RONNEMENTAL30
de modélisation adaptées aux besoins émergents
des villes en matière d’appui à la décision et à l’action La notion de jumeau numérique environnemental
concernant le développement de la nature en ville. représente un cas particulièrement intéressant de
modélisation comme appui à la décision et à l’action
Ingérop, entreprise d’ingénierie et de conseil, publique. Celui qu’a développé WSP|BG Ingénieurs
a ainsi rassemblé au sein d’une filiale dédiée, Conseils31 dans le cadre du GT permet d’illustrer
Actierra, ses activités dans le domaine de cette problématique.
l’écologie et du développement durable, afin
qu’elles bénéficient d’une visibilité propre Le jumeau numérique développé par WSP|BG Ingé-
pour les clients. Pour répondre aux demandes nieurs Conseils est un outil d’aide à la décision pour
de ces derniers, elles ont besoin d’outils pour accompagner les villes vers l’objectif ZAN 2050.
évaluer et proposer des solutions adaptées. Pour rappel, la politique Zéro Artificialisation
« Mais nous ne pouvons pas utiliser les mo- Nette (ZAN) vise à lutter contre l’artificialisation des
dèles de la recherche, qui sont très précis mais sols, mesurée quantitativement par l’augmentation
longs à utiliser : un mois de maquette, 15 jours de la superficie des sols artificialisés et qualitative-
de simulation… Notre verrou est qu’il nous faut ment par la transformation des caractéristiques des
des modèles rapides (quelques jours au maxi- sols naturels. Face à la réglementation issue des lois
mum) mais aussi suffisamment fiables », ex- du 22 août 2021 (Climat et résilience) et du 20 juillet
pose l’intervenante d’Actierra. 2023, les élus sont en forte demande d’outils d’ac-
Partant du constat que de nombreux outils compagnement vers des territoires qu’ils doivent
existent, Actierra s’attache à en développer gérer selon cette nouvelle logique de lutte contre
une vision ordonnée, afin d’en faire un usage l’artificialisation, donc de frein à l’augmentation des
approprié : classement en fonction du coût, surfaces construites et aménagées en « dur » dans
de la dimension opérationnelle, du degré de les territoires.
résolution spatiale…
L’entreprise note que le besoin d’outils est à Le travail engagé par l’entreprise s’inscrit dans le
graduer selon les cas d’usage : « le besoin se- cadre d’une thèse Cifre en urbanisme, débutée par
rait d’outils simplifiés, pour des études amont, Fanny Josse en 202232.
et d’outils plus complets pour la suite ». Par
exemple, concernant le confort thermique, Le jumeau numérique a été défini comme un avatar
on peut citer les outils suivants par ordre de d’un ensemble d’entités physiques, basé sur la
complétude/complexité croissant : Score continuité des données dynamiques et statiques.
ICU, ICETool, UMEP, SOLENE-microclimat,
ENVI-MET.
Pour consolider son approche, Actierra a lan- 30 Cet exemple est basé sur la présentation de Sylvain Riss et Fanny
cé une thèse Cifre29 qui a notamment évalué Josse, WSP / BG Ingénieurs Conseils – Réunion du GT du 17 juin 2024.

13 outils de mesure et de simulation de la cha- 31 WSP|BG Ingénieurs Conseils est un bureau d’ingénierie dans le
leur urbaine sur une série de critères : échelles domaine Infrastructures, bâtiment, énergie, industrie, eau et environ-
nement. Il se positionne également sur le conseil aux collectivités lo-
spatiale et temporelle, temps de simulation, cales sur les enjeux liés à la ville, à l’aménagement urbain, la complexité
disponibilité sur le marché, type d’usages, de la gestion urbaine.

32 Thèse co-encadrée par le laboratoire Lab’Urba, à l’Université


Gustave Eiffel, sous la direction de Bruno Barroca, et par Sylvain Riss
23 29 Convention industrielle de formation par la recherche. pour WSP|BG Ingénieurs Conseils.
Cette continuité est essentielle car elle permet de décrire les facteurs environnementaux externes
simuler, diagnostiquer, surveiller et contrôler le com- complexes ».
portement des composants physiques tout au long
— Les outils numériques contribuent à l’efficacité
de leur cycle de vie.
systémique des actions mises en œuvre ; il reste
cependant du chemin avant de pouvoir intégrer
Les travaux se concentrent sur les données liées aux
et exploiter les données urbaines à la hauteur
sols et à leur artificialisation, tout en les mettant en
de leur richesse physique, chimique, écologique,
relation avec un ensemble de dimensions connexes,
sociale, économique et politique.
qu’elles soient physiques ou socio-économiques.
L’objectif est de développer un outil de simulation — Les initiatives de modélisation de la nature en
facile à utiliser, transparent en termes de données ville appellent un large et vigoureux effort de
et de calculs, et capable de s’adapter rapidement formation, allant du plus spécialisé (davantage
aux évolutions réglementaires. de chercheurs, et des experts avertis pour re-
Parmi les défis à relever, on peut citer ceux qui sont layer leurs résultats) jusqu’au plus vulgarisé. Elus
liés à : locaux, présidents d’associations, responsables
— la multiplicité des interprétations des calculs, d’entreprises impliqués dans des opérations ur-
— la complexité juridique entre le droit de l’environ- baines : chacun a besoin de disposer d’un cer-
nement et le droit de l’urbanisme, tain niveau de compétence, ou a minima d’une
— la diversité des acteurs et décideurs impliqués. certaine sensibilisation aux enjeux, méthodes et
usages de la nature en ville et de sa modélisation :
origine des données, conditions d’utilisation et
Les avantages du jumeau numérique environne- d’interprétation, etc.
mental sont multiples :
Le dialogue entre chercheurs et décideurs peut en-
— Intégration de nombreuses données : en com- core gagner en qualité. Sur ces enjeux à la fois sen-
binant des données issues de diverses sources sibles et urgents, les risques de biais sont à la hauteur
(météorologiques, écologiques, hydrologiques…), des attentes, comme en témoigne une intervenante
il permet de construire une vision réaliste de la chercheuse : « Quand on est sollicités par des col-
complexité des réalités urbaines, en simulant lectivités, par exemple, on marche sur des œufs : on
avec une certaine précision les différentes so- a peur de fournir des résultats qui ne seraient pas
lutions d’aménagement et de gestion de la ville fiables », face à des décideurs toujours friands de
sous contrainte de ZAN. préconisations fiables et simples.
Les progrès en cours devront venir aussi bien de
— Scénarios dynamiques et en temps réel : in-
ceux qui produisent des connaissances toujours plus
tégrant des données en temps réel, le jumeau
fiables et « appropriables », que des utilisateurs qui
numérique permet de réagir rapidement à des
sont appelés à maîtriser leurs conditions de fiabilité.
changements dans l’environnement urbain, par
exemple en ajustant les mesures de gestion des
eaux pluviales en fonction des prévisions mé-
téorologiques, ou en organisant différemment
la planification urbaine en fonction de nouvelles 3. L’exemple des Technosols :
contraintes réglementaires. de la terre aux modèles, des
— Accessibilité et visualisation : une plateforme modèles aux applications
permet d’accéder facilement à l’ensemble des
données statiques et dynamiques ; et grâce à des
outils de représentation, infographie, etc., les dé- Les Technosols construits sont un exemple de solu-
cideurs peuvent voir en temps réel l’impact d’une tion visant à faire face au besoin de sols disposant
intervention urbaine à des horizons divers. de fonctionnalités suffisantes pour répondre à une
diversité de besoins, notamment en ville.
Cependant, malgré ses nombreuses promesses, le
jumeau numérique environnemental fait face à des Ces sols artificiels sont élaborés à partir de matériaux
défis importants. recyclés ou exogènes, afin de reproduire les fonctions
des sols naturels. Les Technosols répondent aux ob-
— Complexité intrinsèque de la représentation des jectifs de la loi Climat et Résilience et du ZAN (Zéro
territoires, système de systèmes dont chacun Artificialisation Nette), en s’inscrivant par exemple
est rapidement évolutif : « Le territoire n’est pas dans des démarches de désimperméabilisation des
un système automatisé qui peut être facilement surfaces urbaines et de restauration écologique : sup-
compris et prédit, mais plutôt un système vivant pression de couches de bitume ou d’asphalte pour
qui évolue constamment à travers les varia- les remplacer par des sols perméables – sols naturels
tions et les développements de ses constructions ou Technosols. Ces derniers peuvent aussi pallier l’in-
physiques, de ses activités économiques et po- suffisance de sols naturels fonctionnels comme subs-
litiques, de ses cadres sociaux et culturels. La trat de végétalisation en ville. D’une façon générale,
technologie de simulation actuelle ne peut tou- ils permettent de recréer des sols fertiles en milieu ur-
jours pas saisir les détails complexes des maté- bain tout en optimisant l’usage de ressources locales
riaux et des dimensions d’une infrastructure, ni et en limitant les impacts environnementaux.
24
Les sols imperméabilisés du fait de l’urbanisation vation de la biodiversité en fonction des objectifs ?
perdent en effet une grande partie de leurs fonc- Par exemple, les enjeux de fertilité ou de risques sa-
tions écologiques : réduction des échanges gazeux, nitaires ne sont pas les mêmes pour de la production
perte de biodiversité, diminution de la capacité de alimentaire ou de la production ornementale. »
rétention d’eau et uniformisation des paysages. Les
Technosols construits offrent une opportunité de Les Technosols sont encore un domaine de recherche
restaurer certaines de ces fonctions en imitant la émergent. La plupart des études se concentrent sur
stratification (« horizons » des sols) et les propriétés des environnements contrôlés en laboratoire, et il
physico-chimiques des sols naturels. Pour cela, les reste beaucoup à apprendre sur leur comportement
matériaux sont triés, analysés et mélangés pour for- à long terme et dans des contextes réels. Une par-
mer des horizons ayant des propriétés spécifiques tie des enjeux pour la recherche se situe donc dans
requises en fonction des usages prévus, concernant l’approfondissement des connaissances en ce sens.
leur densité, leur pH, leur teneur en matière orga- Une autre piste consiste à développer des guides
nique, etc. de bonnes pratiques pour la conception, la gestion
et le suivi des Technosols, avec des indicateurs au
Ces Technosols peuvent être adaptés à divers meilleur niveau de l’état de l’art pour mesurer la bio-
usages urbains : espaces verts, toitures végétali- diversité, la fertilité, la capacité de ces sols à stocker
sées, parcs et agriculture urbaine. Dans tous les cas, et filtrer l’eau, etc.
leur composition et leur structure doivent être
soigneusement modulées selon les conditions pé- On le voit, la conception et la gestion des Techno-
doclimatiques locales, les matériaux disponibles et sols impliquent une approche multidisciplinaire,
les objectifs (végétalisation ornementale, agriculture associant des pédologues, des écologues, des bio-
urbaine, espaces récréatifs…). Par exemple, pour la chimistes et des gestionnaires urbains.
construction de toitures végétalisées, le Technosol
doit rester assez léger donc peu épais ou peu dense.
Des matériaux tels que des briques concassées ont Exemple : Le projet SITERRE33
été utilisés pour le drainage, tandis que des mé-
langes organiques comme le compost ou le marc de Projet financé par l’ADEME entre 2010 et 2015
café sont intégrés pour favoriser la croissance des Enjeu : développer des méthodologies de
plantes. production de sols fertiles en milieu urbain
à partir de matériaux recyclés, comme des
Du fait de leur composition initiale, ou de méca- déchets industriels et urbains.
nismes d’évolution dont la connaissance reste à ap- Les chercheurs se sont basés sur le Catalogue
profondir, les Technosols peuvent être exposés à des européen des Déchets pour identifier et sé-
risques de contamination par des métaux lourds ou lectionner les divers matériaux pouvant entrer
des microplastiques issus des matériaux utilisés dans dans la composition des Technosols.
leur construction. Ces contaminations soulèvent des Sur les 836 déchets recensés, 27 ont été pré-
questions sur l’utilisation de ces sols pour des activi- sélectionnés, puis 11 ont été retenus (6 maté-
tés comme l’agriculture urbaine, où les normes sani- riaux minéraux et 5 organiques ou organo-mi-
taires doivent être strictement respectées. néraux.

La biodiversité des sols est un autre enjeu majeur Objectifs :


pour la réussite des projets de renaturation urbaine. • développer des modèles de prédiction de
Les Technosols doivent ainsi soutenir non seulement la fertilité des mélanges,
la croissance des plantes, mais aussi la diversité des • évaluer et contrôler les risques pour la santé
micro-organismes et des animaux qui composent les des personnes et l’environnement,
écosystèmes souterrains. Cette dimension reste peu • créer un outil d’aide à la décision,
étudiée. La colonisation des Technosols par la bio- • proposer la mise en place d’une nouvelle
diversité peut prendre plusieurs années avant de se filière.
stabiliser. Les expériences montrent que la présence
de vers de terre, par exemple, peut être difficile à Cinq contextes d’usage ont été identifiées
obtenir dans des environnements artificiels comme comme présentant des opportunités fortes
des toitures végétalisées. Cette colonisation dépend pour la construction de sols fertiles (squares
de la qualité des substrats créés, mais aussi de la et parcs, accompagnement des bâtiments pu-
connectivité des espaces dont font partie les Tech- blics, arbres d’alignement, etc.). Pour chaque
nosols (trames brunes, vertes…). usage, un niveau de fonctionnalité optimal du
sol à construire a été défini, renvoyant à divers
De nombreuses questions se posent ainsi concer- paramètres.
nant la préservation de la biodiversité des Techno- 75 mélanges, associant deux ou trois maté-
sols : « comment l’intégrer en amont et en aval ? riaux, ont été testés dans diverses conditions
Comment la caractériser, la mesurer, la suivre ? Le de laboratoire et sur sites. Des évaluations
nombre d’espèces présentes est-il un critère suffi-
sant, ou en faut-il d’autres ? Comment intégrer aus-
si le souhait d’éviter le développement d’espèces 33 Source : Intervenant GT, et VIDAL-BEAUDET Laure, « Une mé-
invasives ? Comment adapter le niveau de préser- thode d’écoconstruction de sols fertiles pour la ville : le programme SI-
25 TERRE », revue Pour, 2018/4 N° 236, p.79-86.
de l’innocuité des mélanges et des sols pour
l’homme pour l’environnement ont également
été menées.

Enfin, un outil multicritère d’aide à la dé-


cision pour accompagner l’élaboration et
la mise en place de Technosols a été conçu,
prenant en compte les contraintes techniques,
économiques et sociétales pour un usage
donné de sol.
Le projet SITERRE a permis de démontrer
l’intérêt des Technosols comme solutions al-
ternatives à la consommation de ressources
naturelles pour l’aménagement d’espaces vé-
gétalisés en milieu urbain. Un ouvrage synthé-
tise les résultats, ainsi que les perspectives de
mise en place d’une filière dédiée et de son
acceptabilité, du cadre règlementaire et des
enjeux de communication associés.

Un nouveau projet, SITERRE 2 (2022-


2026)34, prolonge le premier, en s’orientant
davantage vers les expérimentations en
conditions réelles, l’aide à la décision et la
construction de la filière.

Les Technosols représentent une innovation impor-


tante face aux défis de la désimperméabilisation et
de la renaturation. Des recherches supplémentaires
sont cependant nécessaires pour mieux comprendre
leur comportement à long terme et leurs impacts en-
vironnementaux et sur la santé humaine, dans divers
contextes urbains.

34 Porteur : Plante et Cité. Partenaires : BRGM, IFSTTAR - Université


Gustave Eiffel, Institut Agro - Agrocampus Ouest (EPhor), Université
Lorraine - INRAE - GISFI (Laboratoire Sols et Environnement), UNEP.
26 Financeurs : Ademe (AAP Graine), Région Pays de la Loire.
Mobiliser et outiller
les acteurs de la ville
régénérative
03
Les connaissances et les savoir-faire innovants déve- Ces enjeux de recomposition des écosystèmes liés
loppés plus haut contribuent à répondre à la ques- au développement de la nature en ville sont illustrés,
tion de l’amélioration de l’offre de nature en ville : par exemple, par la thèse de Julie Lombard–Latune,
conditions de pertinence, etc. Il importe aussi de tra- soutenue en 2018.
vailler sur la demande socio-économique (au sens
large) de nature en ville : quelles sont les conditions J. Lombard Latune, « La compensation
de pertinence politiques, juridiques, économiques, écologique : du principe de non-perte nette
sociales, qui feront de la société un environnement de biodiversité à son opérationnalisation.
favorable au développement de la nature en ville ? Analyse de l’action collective »35
Cette question a été abordée de façon moins appro- La thèse analyse les dynamiques d’acteurs
fondie que la précédente, mais le Groupe de travail impliqués dans la mise en œuvre de la com-
a néanmoins évoqué un certain nombre de pistes. pensation écologique, à travers trois projets
de lignes ferroviaires à grande vitesse (LGV).
Elle met en évidence une série d’inadéquation
1. Comprendre et accompagner entre les objectifs visés (limitation des impacts
écologiques, et notamment « non-perte nette
la transformation des systèmes de la biodiversité ») et les logiques d’acteurs
d’acteurs en présence.

REVISITER LES FRONTIÈRES DES ÉCOSYS- Exemples :


TÈMES URBAINS Inadéquations temporelles : par exemple,
les cadres de la gestion foncière ne per-
Le développement de la nature en ville entraîne mettent pas de mettre en œuvre des mesures
d’importantes modifications des dynamiques so- compensatoires suffisamment amont. La pé-
cio-économiques, environnementales et politiques rennité de ces mesures est également insuf-
de l’espace urbain. Il appelle notamment des recom- fisante : stabilité des structures porteuses, fa-
positions majeures des écosystèmes territoriaux, qui çon dont sont assurées les missions de suivi et
passent par une redéfinition des rôles et du position- de contrôle...
nement de leurs divers acteurs. Pouvoirs publics lo- Inadéquations d’échelle : les sites de la com-
caux, acteurs économiques, associations et citoyens, pensation sont de trop petite taille par rapport
chercheurs et experts sont amenés à intégrer de aux espaces d’impact.
nouveaux critères dans leurs missions et actions, et Inadéquations organisationnelles : cohé-
à se coordonner différemment face au défi inédit rence entre les missions et les responsabilités
de concevoir autrement l’aménagement et le fonc- (une entreprise commerciale propriétaire d’un
tionnement de la ville. Apparaissent de ce fait des site n’ayant pas pour vocation première de
frottements, voire des contradictions, qui rendent préserver la biodiversité sur celui-ci), moda-
nécessaires des processus d’ajustements. Ceux-ci
sont évidemment complexes, dans la mesure où ils
bousculent des réalités établies : identités, règles, 35 Thèse de doctorat en géographie, soutenue à l’Université Paris
modèles économiques, etc. Saclay le 20.12.2018 sous la direction de Nathalie Frascalia Lacoste et
27 de Harold Levrel.
lités de contractualisation entre acteurs, etc. On peut aussi citer le projet SITERRE 2
La thèse met ainsi en lumière les limites de (2022-2026)37, porté par Plante et Cité (voir
la mise en œuvre de la compensation éco- l’encadré sur SITERRE 1 en partie précédente).
logique en tant qu’outil de préservation de Cette deuxième étape développe des travaux
la biodiversité dans le cadre des projets d’in- orientés, comme son intitulé l’indique, « Vers
frastructure, limites liées à des problèmes de une filière éco-efficiente de valorisation de dé-
cohérence et de coordination au sein du sys- chets et sous-produits industriels ou urbains
tème d’acteurs. pour développer des sols fertiles ». L’enjeu est
de finaliser un outil prédictif d’aide à la décision
basé sur les études et modélisations de mé-
D’autres exemples, plus opérationnels, portent sur langes de matériaux. Cet outil est basé sur des
la façon dont les écosystèmes existants, et notam- analyses multicritères et des études de cas sur
ment les filières économiques, sont prises en compte des sites pilotes ; au-delà des dimensions liées
dans les projets de recherche visant à développer aux matériaux et aux impacts environnemen-
des solutions urbaines fondées sur la nature. Enjeu : taux, ces analyses intègrent des dimensions
mieux les connaître et accompagner leurs mutations socio-économiques de coût et d’acceptabilité.
dans le cadre du changement de modèle que repré- Parallèlement, une enquête a été menée au-
sente le développement de la nature en ville, pour près des professionnels de la filière pour com-
de meilleures conditions d’appropriation et de mise prendre les pratiques actuelles de construc-
en œuvre. tion de sols et l’évolution des sols construits.
Deux exemples.
On le voit, interagir avec les filières économiques et
Le projet GreenStorm, lauréat de l’Appel à plus largement, les écosystèmes urbains, est un enjeu
projet 2022 du Partenariat européen 2022, bien identifié dans le cadre des projets et pistes de
est dédié à la conception et au déploiement de recherche. Davantage qu’un simple souci de commu-
solutions naturelles pour les eaux de ruisselle- nication sur des évolutions en cours ou sur des résul-
ment, pour des villes résilientes et agréables tats, il s’agit d’impliquer les communautés urbaines
à vivre36. Il aborde la question de la mise en dans les changements auxquels elles vont avoir à
œuvre des solutions fondées sur la nature s’ajuster dans le cadre de la naturation de la ville.
pour la gestion des eaux pluviales urbaines, de
leur performance et de leur résilience pour les
extrêmes climatiques actuels et futurs. L’ob- CO-CRÉER LA NATURE EN VILLE AVEC SES
jectif est d’identifier des solutions efficaces, HABITANTS
ainsi que des leviers pour favoriser leur mise
en œuvre à l’échelle de la ville et maximiser les Parmi les communautés concernées par la naturation
bénéfices associés. de la ville, se trouvent bien sûr les habitants. Les mo-
Au-delà des dimensions scientifiques et dalités de leur implication dans les transformations
techniques sur les bénéfices et impacts hy- urbaines sont explorées depuis longtemps par de
drologiques, thermiques, chimiques etc., une nombreux chercheurs et innovateurs socio-urbains.
partie du projet porte sur l’acceptabilité des Sans prétendre à un état global des pratiques et des
solutions recherchées et les conditions de leur perspectives en la matière, on peut citer quelques
diffusion, à travers cinq cas d’agglomérations pistes évoquées dans le cadre du GT.
européennes.
L’un des enjeux du projet est ainsi de de Une participante rappelle tout d’abord que les
« faire dialoguer et accompagner les parties sciences humaines et sociales ont vocation à être
prenantes pour développer des conceptions en première ligne sur ce champ de la participa-
innovantes de ces SfN, à la fois performantes, tion citoyenne. « Comment sont pris en compte les
résilientes et acceptables (services tech- comportements sociaux dans la mise en œuvre et
niques, riverains…) », et de « dialoguer avec la gestion de la végétalisation ? Végétaliser mieux,
les collectivités pour aboutir à des concep- c’est peut-être aussi prendre en compte les utilisa-
tions plus adaptées aux contextes locaux ». teurs, les habitants. Ne manque-t-il pas un lien entre
Le projet doit permettre « l’expérimentation les équipes d’ingénieurs en charge de tous ces tra-
d’approches plus collaboratives pour la mise vaux et aménagements, et des équipes de SHS qui
en œuvre des SfN dans les projets d’aména- devraient y participer ? », interroge-t-elle à la suite
gement ». d’une présentation des travaux du Lab Recherche
Environnement, impliquant trois écoles d’ingénieurs
aux côtés de Vinci. En réponse, un membre du Lab
acquiesce tout en rappelant que les partenaires du
Lab n’étant pas spécialisés en SHS, les dimensions
sociales sont prises en compte dans une certaine
36 Projet GreenStorm, Design and deployment of stormwater na-
ture-based solutions (NBSSW) for resilient and livable cities (2024- mesure, et appelleraient certainement des appro-
2026) - https://arceau-idf.fr/en/projects/greenstorm fondissements.
14 partenaires de 5 pays (Danemark, France, Grèce, Italie et Suède),
dont 7 partenaires académiques (pour la France : Ecole des Ponts Pa-
risTech, Cerema, et Université Gustave Eiffel), 6 collectivités (pour la
France : département de la Seine-Saint-Denis, Ville de Paris) et une 37 https://www.plante-et-cite.fr/projet/fiche/79/siterre_ii_vers_
28 PME. une_filiere_eco_e
Des travaux portent ainsi sur des questions de com- vantes : quels sont les intérêts des habitants
portements et de représentations sociales en lien pour le projet ? Quel est le contexte géogra-
avec le développement de la nature en ville. phique et socio-économique ? Quelle typolo-
Par exemple, une thèse en cours sur les jardins do- gie d’habitants peut (ou doit) être impliquée
mestiques a notamment pour objectif de déterminer dans le projet (familles, personne sans emploi,
quelles sont les pratiques qui tendent à accroître le communautés issues de l’immigration, étu-
sentiment de connexion à la nature chez les proprié- diants…) ? Comment ?
taires de jardins, un levier potentiel pour augmenter Un nouveau projet est en cours de mise en
le comportement pro-environnemental des urbains. place : un Living Lab français pour la Mis-
Pour aller plus loin, le Lab a prévu le lancement d’un sion Soil de la Commission européenne
appel à manifestation d’intérêt en direction de la (Programme Horizon Europe), en collabora-
communauté SHS, afin de compléter son expertise, tion avec le CEREMA, la Ville de Paris, et le
en particulier sur les questions de sobriété. Transformateur à Saint-Nicolas-de-Redon. Ce
nouvel espace d’innovation ouverte permet-
Au-delà d’une mobilisation du champ disciplinaire des tra d’étudier et d’expérimenter la participation
SHS, une piste importante de progrès réside dans les citoyenne dans la renaturation des sols ur-
approches de co-construction et de co-création des bains, notamment sous des angles juridiques,
innovations urbaines avec les habitants. Divers dis- sociaux et économiques.
positifs proposent des cadres pour la mise en place
et la conduite de ces approches. Parmi ceux-ci, un Expérimentations partagées, ateliers participatifs,
intervenant appelle à « poursuivre le développement initiatives inclusives… Les démarches de co-création
de laboratoires vivants », avec l’objectif de « faire d’espaces urbains (re)naturés permettent de poser
de la recherche autrement et que cette manière de les jalons d’une ville plus « verte » avec et par les
faire de la recherche soit reconnue ». habitants – condition nécessaire pour une transfor-
mation durable. Accompagnées par la recherche
Un exemple de participation citoyenne à travers un en SHS, ces démarches représentent de véritables
Living Lab a été présenté dans le cadre du GT par laboratoires in vivo de la nature en ville. Plus large-
l’association Dédale. ment, la place des sciences humaines et sociales
Fondée en 2002, Dédale se présente comme une peut être renforcée dans les projets urbains et dans
agence d’innovation urbaine et sociale qui intervient des projets de recherche plus interdisciplinaires dans
sur des questions d’urbanisme, de nature en ville, ce domaine.
d’aménagement, de mobilité, mais aussi de culture
et d’éducation, en plaçant les citoyens au cœur de
ses projets. ASSURER UNE MONTÉE EN COMPÉTENCE DE
Les activités de Dédale comprennent la gestion de L’ÉCOSYSTÈME
projets, la recherche et l’expérimentation, la création
d’événements artistiques, les études et l’assistance Pour chaque élu local, chaque président d’associa-
à maîtrise d’ouvrage pour les collectivités locales. A tion impliqué dans la préservation ou le développe-
une dimension activiste, avec des actions comme ment des territoires urbains, chaque responsable
une Guérilla Gardening, a succédé une approche d’entreprise impliqué dans des opérations urbaines,
d’« urbanisme tactique », qui privilégie les modifi- se pose aujourd’hui la question du niveau de com-
cations progressives et expérimentales en vue de pétence nécessaire quant aux enjeux, méthodes et
changements permanents. Par exemple, un événe- usages de la nature en ville. Le dialogue entre cher-
ment « Parking Day » a été suivi d’un projet avec cheurs et décideurs y gagnera autant en qualité
la Ville de Paris pour tester des usages innovants qu’en sérénité.
des zones de parking : transformation d’espaces de Sur des enjeux à la fois sensibles et urgents, en effet,
8 mètres carrés en zones de revégétalisation ou en les risques de biais sont à la hauteur des attentes de
espaces partagés innovants, sur six mois. décideurs toujours friands de préconisations fiables
mais aussi (surtout ?) simples. Souvent, par exemple,
Dédale gère aujourd’hui le Rosa Lab, un tiers- les agences d’urbanismes se tournent vers des outils
lieu de 300 m2 lié à un jardin partagé de 600 qui se basent sur des mesures trop limitées (exemple,
m2, situé dans le nord-est parisien (19ème ar- la température a été mesurée à 15h et le résultat est
rondissement). Cet espace et le quartier en- pris comme base moyenne) ; « les écarts entre les
vironnant est labellisé Smart City Living Lab modèles et les réalités constatées ont été de mau-
par le label européen EnoLL, soutenu par la vaises surprises pour les collectivités, qui maintenant
Commission européenne, qui met l’usager au ont peur ».
centre d’un projet de recherche en collabora- Un autre intervenant le souligne : « Les élus se sai-
tion avec les autres parties prenantes (collec- sissent très vite des outils de vulgarisation, avec
tivités territoriales, laboratoires, secteur pri- toutes les bêtises que cela peut engendrer, du fait de
vé). Le Living Lab est ainsi défini comme « un la non-prise en compte de nombreux paramètres ».
espace de recherches et d’expérimentations Et de citer l’exemple d’une place à Nantes, au pied
sur la ville durable et innovante, où le citoyen, de la Loire, orientée vers des vents dominants qui
l’usager, est au centre des préoccupations et offrent toutes les conditions pour un rafraîchissement
donc des projets que nous proposons ». urbain naturel ; mais la dimension aéraulique n’ayant
Dans ce cadre, se posent les questions sui- pas été prise en compte dans le projet d’aménage-
29
ment, cette possibilité a disparu derrière les seules Parmi les modalités d’appropriation inté-
représentations thermiques. ressantes, on peut donner l’exemple d’un
serious game développé à la suite de la thèse
On peut mentionner aussi l’appétence des élus pour de Julie Lombard Latune sur l’organisation
la plantation d’arbres en ville : cette action concrète, des acteurs de la compensation écolo-
visible par les citoyens et qui leur paraît relativement gique, évoquée plus haut (« Repenser le de-
simple, peut être une porte ouverte à de nombreux sign des écosystèmes Ville-Nature-Société »).
non-sens écologiques et économiques dès lors que Autour de l’objectif de maintien de l’état éco-
ses conditions de faisabilité ne sont pas soigneuse- logique d’un territoire, une diversité d’acteurs
ment étudiées. A été mentionné le cas le cas de huit se positionnent et interagissent : agriculteurs,
ormes importés des Pays-Bas après une croissance forestiers, maires, associations, promoteurs…
de 15 ou 20 ans, et replantés sur une place du Sud Des aménagements divers sont proposés,
de la France, pour un coût total de 300 000 euros donnant lieu à des évaluations de l’atteinte à
(ormes + équipement des fosses), auxquels on peut la biodiversité ; les acteurs peuvent suggérer
ajouter en amont 1,8 M de travaux pour la création des mesures de compensation, ajuster leurs
des fosses. propositions, etc.

Il est donc essentiel qu’au-delà de la production par


les chercheurs de connaissances nouvelles ou de Autre exemple opérationnel : les objectifs et des li-
l’amélioration de celles qui existent, les nombreux mites identifiés par la recherche peuvent être « tra-
utilisateurs qui sont appelés à se les approprier ap- duits » sous forme d’indicateurs clés, faciles à in-
prennent à les comprendre et les mettre en œuvre tégrer par les acteurs. Un intervenant cite la règle
en respectant leurs conditions de validité. des « 3 – 30 – 300 » développée par l’Université
de Colombie-Britannique38 : chaque citadin devrait
A cet égard, de fortes disparités existent au sein des voir 3 arbres par sa fenêtre, avoir 30 %, de cou-
écosystèmes urbains. Du côté des collectivités lo- vert arboré dans son quartier et être situé à moins
cales, « on ne peut pas parler de ‘la’ ville, mais ‘des de 300 m d’un espace vert de haute qualité. Une
villes’ car elles sont très diverses, sur de nombreuses étude a été menée à Barcelone sur l’impact sur la
dimensions. Elles ont aussi des niveaux de compé- santé humaine de la cartographie issue de cette
tences très variables : certaines en ont déjà beau- règle. Cela pourrait être appliqué en France, en
coup, avec d’importants services dédiés, d’autres attendant d’avoir davantage de données et de re-
beaucoup moins, soit parce qu’elles sont plus petites, pères opérationnels.
soit parce qu’elles ont moins investi ces nouveaux su-
jets ; cela conduit à des degrés d’appropriation très Un autre outil moins ponctuel d’accompagnement
divers des enjeux, des objectifs, des outils. » des acteurs est l’Assistance à Maîtrise d’Usage
(AMU), évoqué par une participante doctorante.
Les collectivités commencent à être conscientes Cette approche, utilisée dans le domaine de la for-
de l’importance des besoins en compétences, mation d’adultes, consiste à intégrer les apprenants
comme en témoigne une intervenante. Lors des pro- dans toute l’ingénierie de leur futur dispositif de
grammes POPSU et de la mise en place d’un Obser- formation39.
vatoire sur les enjeux de chaleur urbaine, lorsque les À la fois démarche, méthode et mission profession-
responsables appelaient des collectivités pour leur nelle, l’AMU regroupe des disciplines et compé-
demander si elles voulaient venir partager sur ces tences issues des sciences humaines et sociales (so-
sujets, « certaines ont demandé si elles pouvaient ciologie, psychologie sociale, anthropologie, etc.),
venir accompagnées d’un chercheur – alors que de l’éducation populaire, du design, de l’architec-
c’était même la règle du jeu… ». Dans certains cas, les ture, de l’aménagement spatial, de l’ergonomie,
collectivités disposent de compétences en interne, du coaching... Sur le terrain, l’accompagnement
mais qui restent trop « silotées » et donc difficiles à implique toutes les parties prenantes - habitants et
mobiliser dans de bonnes conditions. professionnels - afin que les usagers aient vérita-
blement leur place et puissent être acteurs de leur
Trouver les bons formats de communication et de cadre de vie bâti, notamment en tissant des liens
formation est donc un enjeu clé, afin que des dé- avec l’expertise technique. Toutes les phases du cy-
cideurs publics et privés s’approprient des repères cle de vie de la production immobilière et tous les
suffisants pour que leurs initiatives soient cohérentes types de bâtiments collectifs sont concernés.
avec l’état de l’art scientifique, technologique et social.

Un intervenant estime ainsi qu’« il faut se demander


comment mettre ces outils dans un contexte qui les
rend utilisables par des parties prenantes très di- 3 8 https://www. scienced i rect.com/science/a rticle/a bs/pi i/
S0048969723063660
verses, des chercheurs jusqu’à la société civile : une
diffusion à 360° est nécessaire puisqu’il s’agit de su- 39 Karine Sautereau, La co-construction de dispositifs de formation
favorisant la transition écologique au sein des organisations. Impac-
jets essentiellement sociétaux. L’enjeu est d’avoir une t(s) de la maîtrise d’usage sur l’engagement des apprenants en for-
approche vraiment systémique, qui ne se limite pas mation, thèse de doctorat en science de l’éducation et de la formation
sous la direction de Sandra Enlart - Equipe Cref-ApForD, Université
aux sciences « techniques » mais inclue les SHS. »
Paris Nanterre, thèse Cifre au Centre-Inffo.

30
Cette approche est aujourd’hui reconnue pour sa On retrouve ici la difficulté de dégager des solutions
contribution à la transition écologique, à la dyna- opérationnelles à la fois pertinentes et acceptables,
mique collective et au développement durable des pour des équations complexes faisant intervenir un
territoires40. grand nombre de paramètres de nature différente
– techniques, politiques, économiques, sociaux, etc.
Développer des méthodes innovantes de partage
des connaissances sur les enjeux de la nature en ville L’exemple des friches, déjà évoqué en première
au sein des écosystèmes urbains, les diffuser, les partie, illustre bien cette tension, dans la mesure où
évaluer : cette piste de travail est clairement priori- il s’agit d’espace intermédiaires entre ville et nature
taire pour rapprocher des savoirs qui évoluent rapi- et qui appellent donc arbitrage quant à la façon dont
dement et de considérables besoins d’application de la collectivité les considère et ce qu’elle souhaite en
ces savoir dans des conditions maîtrisées. faire, comme l’a bien montré un intervenant.
Plusieurs bases de données permettent de cartogra-
phier ces friches : Cartofriches (CEREMA), POGEIS
2. Réinventer les référentiels et (Fondation pour la recherche sur la Biodiversité). En
Ile-de-France, on compte 2721 friches potentielles, et
les modalités de l’action publique 776 friches en petite couronne dont Paris, dans 728
communes. Leur superficie va de 100 m2 à 185 ha.
REPENSER LES POLITIQUES D’URBANISME « L’enjeu pour la recherche est de mieux les carac-
ET D’AMÉNAGEMENT tériser, de faire des inventaires du vivant, pour arbi-
trer sur le fait de savoir si on les utilise au titre de la
Les politiques d’aménagement urbain et d’urba- densification ZAN, ou plutôt comme des espaces de
nisme sont bien sûr directement concernées par les nature à préserver ; dans ce cas, ils n’ont pas forcé-
enjeux de développement de la nature en ville. Ces ment besoin d’être « renaturés », même s’ils peuvent
enjeux ont été pris en compte depuis des décen- sembler délaissés, abandonnés, sauvages, mais
nies, selon des référentiels qui ont beaucoup évolué n’est-ce pas cela aussi, la nature en ville ? »
et dont l’histoire fait l’objet de nombreux ouvrages.
Une première remarque : cette histoire conditionne Un autre exemple bien connu est celui de la gestion
largement les trajectoires actuelles et futures, il est de l’eau en ville (et au-delà). Là encore, les repré-
donc important de la connaître, d’en comprendre les sentations et les usages de l’eau sont multiples et
ressorts et de s’appuyer sur elle pour envisager les souvent conflictuels, pour une ressource de plus en
bifurcations à venir, y compris dans leurs dimensions plus en tension. De nombreux arbitrages vont être
les plus technologiques. requis, entre la ville et d’autres milieux, et, en ville,
entre une diversité de besoins domestiques, urbains,
L’objectif n’est pas ici de résumer ces savoirs histo- industriels, etc. Le développement de la nature en
riques mais de pointer quelques-unes des questions ville est porteur de nouveaux besoins qui devront
clés qui se posent aujourd’hui à ces politiques ur- composer avec d’autres, dans le cadre de choix col-
baines, concernant la nature en ville, et qui ont été lectifs complexes.
évoquées dans le cadre du GT.

Quels ordres de grandeur ?


Quelles priorités ?
Parmi les critères à prendre en compte dans le cadre
Développer la nature en ville soulève des questions des arbitrages à effectuer, les ordres de grandeur
complexes, nécessitant de concilier des priorités et sont à considérer soigneusement. Lorsque l’on est
des objectifs parfois contradictoires. en face de questions multi-dimensionnelles, il est im-
portant de disposer de repères globaux quant aux
L’un des exemples les plus évidents est aujourd’hui impacts probables des choix à effectuer.
celui qui découle de la politique de Zéro Artificiali-
sation Nette. Le ZAN vise à freiner l’étalement urbain Une intervenante cite l’exemple de la végétalisation
pour préserver les sols naturels et agricoles, en favo- de la ville de Paris. La municipalité a fixé des objectifs
risant la densification des villes. Cela implique de pri- clairs de végétalisation pour la mandature : 100 hec-
vilégier la construction en hauteur ou la réhabilitation tares à végétaliser, 170 000 arbres à planter. « Cela
d’espaces déjà urbanisés. Or, densifier la ville pour s’effectue en priorisant les rues, les quartiers. Il y a
répondre aux besoins en logements et en infrastruc- bien sûr des questions de proportion : désimperméa-
tures, dans nos cités où l’espace est souvent compté, biliser / végétaliser 100 m2 sur une rue de 1000 m2
peut amener à réduire l’espace disponible pour la de surface, cela ne pose pas de problème ; en re-
création d’espaces verts et naturels en ville. Les vanche, si l’on parle de 900 m2 sur la même rue, on
arbitrages à faire en termes de politique foncière et peut se trouver en face de risques de fragilisation du
d’usage des sols sont donc particulièrement délicats. sous-sol, du fait de la forte présence de gypse dans
une bonne partie du sous-sol parisien ».
40 Voir le Livre Blanc de l’AMU. Remettre l’humain au cœur du cadre
de vie bâti, financé par la Banque des Territoires, l’IFPEB, Kardham,
Smart Use, Ville et Aménagement Durable, 2020 : https://www.re-
cipro-cite.com/UPLOADS/PAGES/14/DOCS/reciprocite-756382-le-
31 livre-blanc-de-lamu.pdf
Quelles formes urbaines ? La question des « rues canyon » : La
politique ZAN peut amener à ajouter à
Toute la façon de « donner forme » à la ville peut être construire en hauteur, pour densifier la ville
remise en question lorsque l’on s’attache à prioriser (exemple du PLU bioclimatique de Paris).
la nature en ville : on est là au cœur du travail des Mais si des études poussées ne sont pas
aménageurs et des urbanistes, qui proposent des menées quant à l’aménagement de ces
designs urbains plus ou moins favorables aux so- rues sous l’angle de leur végétalisation par
lutions fondées sur la nature. exemple, les effets bioclimatiques de ces
rues peuvent être délétères : accumulation
Quelques exemples illustrent comment la configura- de chaleur, circulation limitée de l’air et de
tion d’une rue, d’un quartier, d’une ville peut être en la pollution… Il faut donc analyser une diver-
soi une solution basée sur la nature. sité de dynamiques afin de les concilier au
mieux : croisement des trafics routiers, des
Un intervenant rappelle que « l’organisation des bâ- vents, des formes urbaines, de la porosité
timents au sein des quartiers, leur forme, leur hau- du bâti. Il faut parvenir à utiliser le végétal
teur etc. sont des sujets de recherche importants. » non pas pour freiner mais plutôt pour gui-
Citant une synthèse de 109 articles scientifiques der le vent de façon optimale dans ces es-
réalisée par le PUCA et le MNHN41 sur les rapports paces urbains.
entre formes urbaines et biodiversité, il souligne qu’il
est important de conserver des connectivités entre
de petits parcs et des rues arborées par exemple. Quelles réglementations ?
L’étude note aussi les lacunes en connaissances sur
l’impact des formes urbaines et biodiversité. Lorsque la recherche a permis d’esquisser des pistes
de solutions pour développer la nature en ville, un
Et de poursuivre : « A l’échelle du projet, il y a aussi enjeu essentiel pour que les innovations puissent
un boulevard d’innovation devant nous sur la prise voir le jour et perdurer est l’adaptation de la régle-
en compte des sols à l’échelle du projet. » Le réflexe mentation existante, souvent conçue pour d’autres
classique des aménageurs est de tout raser au mo- cadres d’organisation et de fonctionnement urbains.
ment du chantier, puis de replanter de nouveaux Même si cette dimension a été peu développée dans
espaces verts. Privilégier la nature en ville voudrait le cadre du GT, une piste de travail importante a été
qu’on fasse l’inverse : insérer les bâtiments dans esquissée : le besoin d’une recherche interdiscipli-
l’existant – ce qui suppose au passage une bonne naire permettant de traiter sous l’angle du droit des
connaissance des sols en amont du projet. enjeux socio-techniques majeurs tels que ceux qui
C’est ce qui a été fait, note-t-il, dans un projet de se rapportent aux sols, à l’eau, au bâti, etc.
ZAC de la Courrouze à Rennes, avec un paysagiste,
Charles Dard, qui a travaillé sur une évaluation préa- La réglementation relève de cadres juridiques for-
lable de la qualité des sols. Cela a permis d’anticiper mels avec leur langage propre, leur codification spé-
les zones de gestion des eaux pluviales, de jardins cifique, mais elle doit aussi s’ouvrir, par la recherche
partagés etc., moins polluées et plus fertiles. notamment, au besoin d’un accompagnement plus
proactif d’enjeux tels que le développement de la
Un autre intervenant mentionne deux exemples liés nature en ville.
au rafraîchissement urbain :
Il est par exemple nécessaire de transcrire dans des
Intervention en tant que bureau d’étude documents d’urbanisme et d’aménagement des
sur la ZAC Arenas à Nice, pour reprendre seuils (ou autres conditions) issus des travaux scien-
un projet que la maîtrise d’ouvrage sou- tifiques qui permettent de mieux qualifier des réalités
haitait orienter vers une direction plus telles que les sols, les végétaux, les eaux, etc.
écologique. Le CEREMA a commencé à travailler sur la carac-
Les études bioclimatiques existantes pré- térisation des sols avec sa méthodologie MUSE
conisaient la mise en place de pavés à ré- (données biophysiques). A partir de là, un interve-
tention d’eau pour restituer de la fraîcheur nant a travaillé sur l’évaluation des scores de pleine
– ce qui posait question pour une ville où il terre, avec divers gradients que l’on peut aujourd’hui
pleut peu. La découverte d’études plus an- qualifier, sur le territoire du centre de la commune
ciennes a permis d’identifier des données de Saint-Germain-en-Laye42. L’objectif est de pro-
aérauliques montrant l’existence d’un vent téger ce qui existe déjà et de l’intégrer dans les
urbain descendant du Mercantour et pou- documents d’urbanisme. Ces travaux ont aussi fait
vant venir rafraîchir ce quartier. Le nouveau émerger un besoin de vérification des données car-
plan masse du quartier a donc été conçu tographiques sur le terrain.
pour qu’il puisse bénéficier de cette solu-
tion low-tech, naturelle. Un autre exemple développé par un intervenant ren-
voie à un besoin de souplesse dans l’application
des normes concernant les solutions « vertes », dont

41 Morgane Flégeau, sous la direction de P. Clergeau, H. Soubelet et


S. Carré, Formes urbaines et biodiversité : un état des connaissances, 42 Projet tutoré d’étudiants du master BEE Paris-Saclay : Danna
32 PUCA – MNHN, 2020. Araujo Arias, Antoine Vallée, Solène Quéinnec, Clément Parant.
la variabilité est par nature plus importante que les compatibles. Il faut pour cela une gouvernance ef-
solutions « grises ». Face à cette variabilité, (cf. pre- ficace, globale et intégrée de l’eau ».
mière partie), comment répondre à des contraintes Les collectivités locales disposent de cinq compé-
réglementaires par définition rigides ? tences liées à l’eau : eau potable ; assainissement ;
gestion des eaux pluviales urbaine ; gestion des
« Chaque commune et chaque aggloméra- milieux aquatiques et prévention des inondations ;
tion a sa propre réglementation. Elle impose défense extérieure contre l’incendie.
de respecter certains seuils : retenue de tant Ces compétences ont tendance à être mutualisées
de mm en cas de pluie, débit maximal, etc. au sein des intercommunalités (métropolisation).
Mais face à la double variabilité spatio-tem- Cette intégration pourrait permettre de penser de
porelle de la pluviométrie d’une part, et des façon plus intégrée la multifonctionnalité de l’eau et
SfN d’autre part (en fonction des conditions l’organisation de sa gestion. « Cependant, cette vo-
initiales dans le temps et de leur agencement lonté de transversalité se traduit encore peu dans
dans l’espace), il est compliqué de garantir le les faits, avec des réglementations différentes selon
respect à 100 % de ces seuils et normes. Des les compétences exercées et du fait du fonctionne-
calculs complexes sont effectués pour éva- ment en silos des collectivités », note l’intervenant.
luer le niveau de capacité de respect de ces Parmi ces compétences, certaines apparaissent plus
réglementations : on pourra ainsi estimer favorables au déploiement des SfN, comme la gestion
qu’on passe de 100 % à 90 % de conformi- des eaux pluviales ou celle du risque inondation, avec
té, par exemple. La reconnaissance de ces des disciplines associées : hydrologie urbaine par
marges permettrait de faciliter l’implanta- exemple, avec des réseaux d’acteurs déjà structurés.
tion de SfN. » Le contexte est moins favorable pour d’autres com-
pétences comme l’eau potable et l’assainissement,
Les outils réglementaires ont bien sûr aussi des li- du fait du poids du paradigme hygiéniste, des
mites. Ainsi, sachant que seulement 10 à 15 % des enjeux de sécurité et du caractère industriel et
espaces verts de la ville sont publics, les leviers commercial de ces services, qui conduit à mettre
peuvent être moins directs sur la majeure partie l’accent sur la valorisation économique de l’eau.
du territoire urbain. Cela étant, les moyens d’inter-
vention ne sont pas pour autant absents, avec par Là encore, l’équilibre entre des échelles micro et
exemple la possibilité de zonages ou de classements macro est une question délicate, avec la nécessité
(y compris à partir d’un seul arbre). Beaucoup de d’interactions « entre des niveaux de responsabilité
collectivités réfléchissent néanmoins à des moyens et de financement à la fois liés et distincts (mise en
d’action plus importants sur ces espaces privés. place/entretien, eau /espaces verts etc). Il n’y a pas
Au-delà de la dimension réglementaire, en effet, des de bonne solution, au-delà d’efforts plus poussés
actions d’information, de sensibilisation et d’inci- d’intégration des acteurs parties prenantes selon les
tation peuvent permettre d’infléchir les décisions et nouvelles logiques, et notamment les citoyens. »
les comportements des acteurs urbains. L’innovation
sociale au service du volontarisme politique est un Au-delà même de ces cadres de gouvernance qui
levier qui mériterait d’être plus largement utilisé. vont de l’Europe au citoyen, se posent aussi la ques-
tion de l’absence d’entités à intégrer dans ces gou-
vernances : en France, souligne l’intervenant, « on a
DÉVELOPPER LA GOUVERNANCE MULTI- des masses d’eaux qui sont « orphelines » de ges-
ÉCHELLE tionnaires ; comment alors agir sur ces masses, ces
nappes, en l’absence d’acteurs en charge ? »
La gestion d’espaces et de réseaux urbains conçus
selon une logique « ingénierale » et technologique On le voit, l’État, les régions et les collectivités lo-
s’articulait bien à l’échelle de la ville en tant qu’es- cales doivent collaborer étroitement pour garantir
pace de gouvernance : implantation d’infrastructures la cohérence de politiques visant à redonner place
« grises », maîtrise du foncier urbain, réglementations à la nature en ville, maximiser l’impact de leurs fi-
locales s’appliquant à l’ensemble des quartiers… Si nancements et assurer une gestion durable de ces
une coordination était bien sûr nécessaire avec les infrastructures vertes. Cette gouvernance mul-
niveaux de la région et de l’Etat, la répartition des ti-échelle est indispensable pour faire en sorte que
compétences pouvait s’effectuer de façon (relative- la gestion des actifs naturels urbains devienne une
ment) cohérente. priorité partagée à toutes les échelles de la ville.
Les SfN, en revanche, s’inscrivent dans des conti-
nuités géographiques et temporelles plus larges,
et se diversifient au sein d’une grande diversité de Décloisonner les services et les organisations
conditions locales spécifiques. Les cadres de gou-
vernance sont appelés à évoluer vers une intégra- Un enjeu plus spécifique mais dont l’impact est sou-
tion beaucoup plus poussée des conditions dans vent souligné est celui de la bonne coordination
lesquelles sont gérés les besoins et les ressources. entre services urbains, qu’il s’agisse de services in-
ternes aux collectivités locales ou de services para-
Un intervenant développe l’exemple de la gestion publics par exemple.
de l’eau : « Un enjeu est d’articuler les différentes
échelles spatiales et temporelles, afin de les rendre
33
On l’a abondamment rappelé, les enjeux de la nature
en ville sont transverses, du fait de la multi-dimen-
3. Modèles économiques : pro-
sionnalité des besoins ou questions et de la multi- gresser sur la question des va-
fonctionnalité des ressources et des solutions. Or leurs de la nature en ville
les organisations institutionnelles sont par nécessi-
té segmentées entre domaines faisant appel à des UNE RECHERCHE OPÉRATIONNELLE EN SHS
acteurs, des compétences, des règles et des mo- QUI SE MOBILISE SUR LE SUJET
dalités d’action spécifiques. Pour aborder la trans-
versalité de la nature en ville, plusieurs voies sont La question des modèles économiques du déve-
possibles : repenser en profondeur les frontières loppement de la nature en ville est clairement po-
entre services ou institutions, mutualiser un cer- sée aujourd’hui, en face de l’affirmation de besoins
tain nombre d’approches et de moyens, renforcer souvent concurrentiels : qu’est-ce qui a de la valeur
la coopération entre services… en matière de nature dans la ville, pour qui, et
comment évaluer et valoriser ces actifs naturels ?
Pour des raisons d’inertie propre aux organisations Vivre à proximité d’un beau parc ou d’un fleuve aux
(qui peuvent être par ailleurs gages de stabilité et berges agréablement aménagées, avoir une vue sur
d’efficacité), ces pistes demeurent insuffisamment une place arborée… autant d’atouts qui sont pris en
exploitées. En l’absence des interactions néces- compte dans le prix des logements urbains. Ils ne
saires, de nombreuses initiatives ne peuvent être pèsent cependant pas lourd dans les grandes lo-
menées à bien dans de bonnes conditions, ou sont giques d’aménagement urbain, face aux pressions
limitées dans leur portée et leur impact. économiques sur le foncier notamment.

La question est illustrée par une intervenante Ces questions n’ont pas été au cœur des travaux du
dans le cadre de la présentation du zonage GT, qui a toutefois tenu à en souligner l’importance.
pluvial de la Ville de Paris (Plan Paris Pluie). A noter que des travaux antérieurs du GT ont permis
La Ville de Paris, rappelle-t-elle, « est une or- d’apporter des pistes de réflexion et de solution sti-
ganisation gigantesque, (…). Quand on com- mulantes sur ces enjeux au croisement de l’environ-
mence à parler de co-bénéfices, au-delà des nemental et de l’économique : on peut notamment
bénéfices purement hydrologiques, on va ren- citer la présentation de Benoît Boldron, invité à in-
contrer des problématiques de répartition des tervenir lors d’une réunion du GT le 23 avril 2023,
responsabilités, des financements etc. entre organisée en partenariat avec l’Académie des Tech-
domaines et services concernés. Par exemple, nologies, sur le thème « Ville renaturée et régénéra-
un service des Espaces verts va se deman- tive : des concepts à la réalité, quels enjeux pour la
der si c’est à lui seul de payer pour l’entretien recherche et l’innovation ? »43
d’une bande plantée qui aura des bénéfices
pour la gestion des eaux, la protection de la Les enjeux se concentrent autour de l’appréciation
biodiversité, la santé humaine et la qualité de de la valeur économique des actifs naturels, et sur
vie, etc. On rencontre donc ces freins à l’in- celle des impacts positifs et négatifs des activités hu-
térieur de la collectivité, quand on essaye de maines sur les écosystèmes dans toutes leurs dimen-
développer ce type de solution. » sions (écologiques, sociales…) :
— évaluation d’externalités négatives, pour prise
Cette question renvoie aux types de compétences en charge par leurs émetteurs,
disponibles dans les différents services et à la façon — valorisation d’externalités positives, pour en
dont ils se combinent – ou pas – dans la définition créditer des acteurs contributeurs, etc.
des règles, seuils et approches en matière d’enjeux
transverses : « La question de savoir comment on Un exemple est celui de la réutilisation des sols pol-
écrit la règle est importante – elle est actuellement lués. Beaucoup de friches sont laissées à l’abandon
re-posée, en vue d’une mise à jour du zonage. » car le nouveau propriétaire du site devient celui aussi
Et le besoin d’expertise transversale est égale- de la pollution et doit la traiter avant de pouvoir faire
ment posé : « Il faudrait évaluer s’il vaut mieux une un nouvel usage du sol, compte tenu des protocoles
concentration de sols désimperméabilisé permettant d’évaluation des risques sanitaires. Or, il est souvent
une infiltration plus importante, ou une canalisation moins coûteux et plus simple d’artificialiser de nou-
débordée qui fuit » – évaluation qui se trouve en gé- velles parcelles (dont des parcelles agricoles) que
nérale dissociée entre les deux risques, dès lors qu’ils d’utiliser une friche d’une ancienne installation.
relèvent de deux services différents.

43 Benoît Boldron, maître de conférence et chercheur associé - Uni-


versité de Toulouse ; et chef de service Habitat public à la Direction
Habitat et Opérations foncières - Toulouse Métropole / Ville de Tou-
louse, Planification urbaine : quelle valeur environnementale pour une
ville contributrice ?. M. Boldron prend notamment l’exemple de « Six
prix pour un cyprès », montrant les variations possibles de prix pour
un cyprès, selon le contexte dans lequel il se trouve et les usages qui
en sont faits. Il propose des méthodes innovantes de taxation foncière
permettant de prendre en compte les contributions environnemen-
tales positives ou négatives des projets urbains sur le tissu existant.
https://www.anrt.asso.fr/sites/default/files/2024-start/presenta-
34 tion_b._boldron.pdf
Insérer les nouvelles valeurs ainsi définies ou réé- peuvent être très différents. Par exemple, l’assainis-
valuées dans la boîte à outils de l’action publique sement du sol et la démolition de bâti sont particuliè-
(normes, taxes, incitations, systèmes de fixation des rement coûteux, tandis que les études préalables et la
coûts et tarifs, etc.) est ensuite un défi qui représente végétalisation sont moins onéreuses (en €/m2).
en soi un important champ de recherche tech- Des facteurs de variabilité des coûts ont également
nique, socio-économique et méthodologique. pu être identifiés, tels que les possibilités d’écono-
mies d’échelle, ou la présence d’amiante lors de la
Là encore, une articulation renforcée entre d’une démolition, le niveau de pollution du sol, etc.
part, les sciences de la matière, du vivant et de l’in-
génieur, et d’autre part, les sciences humaines et so- Le choix de segmenter une opération de désartificia-
ciales, est nécessaire pour que les apports des unes lisation en plusieurs étapes et sous-étapes permet
et des autres se combinent pour donner naissance à ensuite de les agencer entre elles pour créer des iti-
des outils de représentation partagée, de régula- néraires techniques pertinents selon l’état initial d’un
tion et d’incitation aujourd’hui insuffisants. site et l’état estimé. A partir de ces itinéraires tech-
On peut penser que sur ces enjeux, des approches niques, des scénarios ont été développés, représen-
croisées intéressantes se développent au niveau eu- tant le passage d’un état initial fortement artificialisé
ropéen, dans le cadre de programmes de recherche à un état final avec un sol restauré.
et de démonstration. Une meilleure vision sur ces Les coûts totaux de restauration varient de 25 € à
travaux, et bien sûr une participation accrue des ac- 465 € par mètre carré (pour des sols artificialisés
teurs français, serait une piste de progrès. non pollués), pouvant atteindre jusqu’à 1550 € par
mètre carré en cas de forte pollution nécessitant
une excavation et une mise en décharge de déchets
L’EXEMPLE DE L’ÉVALUATION DES COÛTS DE dangereux.
RESTAURATION DES SOLS URBAINS
Pour conclure, l’estimation de ces coûts de restaura-
Une initiative intéressante concernant la probléma- tion permet de :
tique de la mesure des coûts en vue d’une « valorisa-
tion » économique des actifs de la nature en ville est la — valoriser l’importance des sols : on voit que la
recherche menée par des économistes, sur l’évalua- restauration des sols est coûteuse, ce qui souligne
tion des coûts de restauration des sols urbains.44 l’importance d’éviter leur dégradation initiale ;
— mesurer les dettes écologiques associées à la
On a déjà évoqué l’importance de sols urbains fonc- dégradation des sols, pour éventuelle prise en
tionnels, capables de fournir une diversité de ser- charge par provisionnement ou dans le cadre des
vices écosystémiques. Restaurer les sols urbains compensations ;
dégradés est ainsi un enjeu clé dans le cadre des ob-
jectifs « Zéro Net » fixés aussi bien au niveau interna- — contribuer à l’évaluation des besoins en inves-
tional (ODD n°15.3 ; COP 15) qu’européen et national tissement pour atteindre les objectifs de zéro ar-
(ZAN). tificialisation nette (ZAN).

Les chercheurs rappellent tout d’abord l’insuffisance


des connaissances sur la restauration des sols, no-
tamment les sols urbains, et leur caractère dispa-
rate et fragmenté. Ils citent toutefois un rapport de
France Stratégie, publié en 2019, qui propose une
estimation des coûts de restauration des sols, dans
le cadre d’une question plus large sur les leviers de
lutte contre l’artificialisation des sols. Ce rapport es-
time des coûts de renaturation allant de 33 € par
mètre carré pour la seule étape de construction d’un
technosol, à 455 € par mètre carré, en fourchette
haute, pour des restaurations impliquant toutes les
étapes (déconstruction, dépollution, construction de
Technosols). Cette estimation demeure néanmoins
incomplète : sources anciennes ou absentes, mé-
thodologie non décrite. Les chercheurs ont donc
repris la question de savoir comment et à quel coût
restaurer les sols urbains.

Dix étapes de la restauration des sols ont été identi-


fiées. Les résultats montrent que les coûts de chacune

44 Mathilde Salin avec d’autres chercheurs du CIRED. Voir la publica-


tion : Salin, M., Claron, C., Nguyen–Rabot, E., Mondolfo, N., Levrel, H.
(2024). “Les coûts de la restauration des sols urbains.” CIRED Working
35 Papers n°2024-96-FR.
Exemple d’une question
clé transversale :
quelle maintenance
de la nature en ville ?
04
On le sait, la production initiale d’un objet est sou-
vent davantage valorisée que celle de son entre-
1. Questions philosophiques,
tien au fil du temps : c’est vrai d’un bâtiment, avec culturelles et politiques :
le geste architectural initial ou la performance d’une faire vivre la nature,
construction innovante versus la banalité de la main-
tenance ordinaire, comme de réalités moins maté-
ou la laisser vivre ?
rielles, comme la conquête et l’exercice du pouvoir.
Une première question fondamentale est posée :
Or une part majeure de l’intérêt de cet objet pour
le développement de la nature en ville suppose-t-
ses usagers tient à la qualité de l’entretien ultérieur
il plutôt de « faire vivre » la nature, ou de la « lais-
– comme le montre par exemple la question des as-
ser vivre » ? Derrière le choix des mots, s’expriment
censeurs cassés dans les cités défavorisées.
deux visions culturelles et politiques.
En matière de nature en ville, cette question est par-
Une première approche peut être qualifiée d’« ingé-
ticulièrement cruciale, comme l’a bien noté le groupe.
nierie verte ». Elle repose sur une intervention ac-
Elle permet aussi de montrer en quoi les dimensions
tive de l’humain pour intégrer la nature dans la ville.
scientifiques, techniques et sociales sont imbriquées,
Les aménagements sont conçus et planifiés pour
alors même que ces dimensions sont souvent disso-
s’assurer que la végétation prospère dans un envi-
ciées pour des raisons d’analyse, comme c’est le cas
ronnement artificialisé peu propice. Sont ainsi déve-
dans les parties précédentes. En supposant acquise
loppées des solutions de végétalisation, de renatu-
une nature plus présente en ville, quelles sont les
ration, de gestion des eaux pluviales, etc., en vue de
conditions de sa survie, de son intégration durable
répondre à des besoins humains précis : réduction
en milieu urbain, de son développement ? Cette
des îlots de chaleur, gestion des risques, limitation
question renvoie à de multiples niveaux d’interroga-
des pollutions…
tion. On peut en présenter quatre pour en illustrer le
L’objectif ici est d’organiser et de contrôler le déve-
spectre : enjeux philosophiques et politiques ; enjeux
loppement de la nature pour optimiser ses bénéfices
scientifiques et techniques ; enjeux économiques ; et
pour les habitants. Des plantes spécifiques sont choi-
enjeux socio-organisationnels.
sies pour leur résistance et leur capacité à purifier l’air
ou à limiter les effets du changement climatique en
Une précision : la recherche et l’innovation ont vo-
milieu urbain. Cette approche repose sur l’idée que la
cation à aborder l’ensemble de ces enjeux, même si
nature doit être maîtrisée et orientée pour être dura-
l’on a distingué une dimension « scientifique et tech-
blement fonctionnelle. Cette approche sous-tend de
nique » : celle-ci renvoie en fait à un sous-ensemble
nombreuses questions de recherche et pistes d’inno-
de la recherche (sciences et technologies de la ma-
vation présentées en réunion.
tière et de l’univers, du vivant, de l’ingénieur).

36
La seconde approche part du principe que faire place parle de SfN, on a tendance à ne plus traiter le su-
à la nature en ville suppose de laisser s’exprimer da- jet de la gestion des eaux par exemple qu’à travers
vantage ses cycles et ses modes d’organisation le prisme des services qu’elles vont rendre : infiltra-
propres. L’objectif est donc principalement de mini- tion, évapotranspiration etc. Mais il importe aussi de
miser l’intervention et l’empreinte humaine sur le garder en tête l’objectif de renaturation en soi, de
territoire de la ville, pour permettre aux écosystèmes maintien de la biodiversité – qui a un sens en soi, et
de se reconstituer spontanément. Cela se traduit par qui conditionnera de toute façon le reste. Est-ce que
exemple par le maintien ou la création de friches ur- la végétation qu’on a plantée va survivre ? Comment
baines ou de jardins sauvages, où la végétation lo- va-t-on l’entretenir, la développer, limiter ou gérer les
cale et la biodiversité s’installent sans planification espèces invasives, etc. ? »
stricte, en fonction de leur propre dynamique.
Cette vision met l’accent sur l’autonomie et la ré- Cette réorientation de l’approche débouche sur
silience des milieux naturels, sur leur capacité à se deux autres pistes de travail :
régénérer et à s’adapter, même dans des environne-
ments fortement anthropiques. — celle d’une intervention humaine (scientifique, in-
novante…) davantage focalisée sur les règles d’at-
Un intervenant explicite ce point de vue : « Il faut tribution de l’espace et de ses usages ;
en finir avec une vision exclusivement « ingénierale »
— et bien sûr, celle des modalités de ces arbitrages
du fonctionnement urbain, et privilégier une vision
entre nature et société en ville ; en d’autres termes,
écologique : pour un écologue, ne pas gérer, c’est
« la question de savoir qui décide de cela, quels
aussi gérer. Ne pas intervenir peut être préférable à
choix collectifs, selon quelles modalités, etc. »
la ‘gestionnite’45 à laquelle nous sommes habitués.
Cela renvoie à l’idée que nous devrions passer d’une
Pour conclure, une bonne maintenance de la nature
logique consistant à aménager la nature dans la
en ville appellerait à « laisser davantage vivre »
ville à une autre consistant à aménager la ville à
cette dernière, tout en s’attachant à la « faire
partir de la nature (continuité des trames brunes,
vivre » lorsque cela apparaît nécessaire. En effet,
vertes, bleues, etc). Et plus largement, aux visions
sur ce dernier point, une intervenante rappelle qu’en
émergentes qui prônent de faire cohabiter de fa-
milieu artificialisé, la nature a souvent besoin, pour
çon plus équilibrée les humains et les non-hu-
se maintenir, d’un coup de pouce ou d’un accompa-
mains, dans l’espace et dans le temps. »
gnement. Par exemple, « il existe un a priori fréquent
selon lequel la biodiversité des sols s’installe d’elle-
Le président du GT souligne ainsi la « tension entre le
même en milieu urbain. Si cela peut être vrai dans
besoin d’intervention dans la gestion de la nature ré-
certains cas, d’autres situations sont plus complexes.
introduite ou recréée en ville, et le souhait de ne pas
Par exemple, il est difficile de trouver des vers de
(ou pas trop) intervenir pour la laisser se développer.
terre sur des toitures. De plus, la stabilisation de la
Y a-t-il un juste équilibre entre ceux deux attitudes ? »
biodiversité peut prendre plusieurs années, parfois
quatre à cinq ans, avec des fluctuations importantes
Le souci de combiner le meilleur de nos savoir-faire
avant d’atteindre un équilibre stable. »
technologiques et l’ouverture à de nouveaux enjeux
et modes de fonctionnement apparaît comme un
objectif légitime en l’état actuel de la planète et des
savoirs. L’objectif serait alors de maximiser les bé- 2. Questions scientifiques et
néfices de la nature tout en respectant ses dyna-
miques propres, ce qui suppose un certain retrait de
techniques : quel devenir de la
l’emprise humaine sur la nature en ville. nature en ville ?
En France, estime l’un d’eux, « on a un peu la ‘ges-
tionnite’ aiguë, c’est sans doute lié à notre culture Les parties I à III ont permis d’identifier de nom-
d’ingénieurs : on veut forcément faire quelque breuses pistes de recherche et d’innovation liées au
chose. J’ai vu beaucoup de projets de friches dans développement de la nature en ville. On se conten-
lesquelles on allait mettre des platelages, couper tera ici d’en désigner deux, qui renvoient plus spécifi-
des branches etc., alors que parfois, il faut laisser quement à l’enjeu de la maintenance de cette nature
faire, savoir ne rien faire. (…) [Ces espaces] n’ont en ville.
pas forcément besoin d’être ‘renaturés’, même s’ils
peuvent sembler délaissés, abandonnés, sauvages,
mais n’est-ce pas cela aussi, la nature en ville ? » LE VIEILLISSEMENT DES TECHNOSOLS

Un intervenant rappelle qu’au-delà des besoins di- La conception et les divers usages des Technosols,
rects du citoyen urbain, des intérêts supérieurs sont on l’a dit, représentent une voie de recherche et
en jeu dans ce rééquilibrage des approches : « Il faut d’expérimentation prometteuse en tant que solution
aussi rappeler l’importance de la dimension propre- fondée sur la nature en milieu urbain.
ment écologique, liée à la biodiversité etc. Quand on La question de l’évolution dans le temps de ces
Technosols fait cependant partie des questions pour
lesquelles les éléments de réponse sont encore très
45 La notion de gestionnite étant utilisée de façon péjorative pour
désigner la tendance de certains gestionnaires de la nature à interve-
limités, voire suscitent certaines appréhensions qui
nir de façon jugée excessive sur les milieux, pour les conserver et pour seront autant de nouveaux défis.
37 permettre aux espèces et aux habitats de se maintenir.
On sait ainsi que les éléments comme les sols et Un autre intervenant, renvoyant notamment aux tra-
la végétation perdent certaines fonctionnalités en vaux François Chiron (AgroParisTech), pointe le fait
vieillissant. Mais on est loin de connaître la portée que « ces espèces dites envahissantes renvoient
et l’ensemble des impacts de ce vieillissement – parfois seulement à un problème de perception.
notamment concernant les Technosols ; de même Là aussi, pour les espèces ne posant pas de réel
qu’on ne connaît pas bien la façon dont la biodiver- problème de santé ou de biodiversité, la non-gestion
sité s’y développe, ou pas, dans le temps, en l’ab- peut être préférable à la gestion… »
sence d’intervention humaine. Or ces connaissances
sont essentielles pour savoir quel niveau et quel type Et là encore, les équilibres à trouver entre adaptation
de maintenance, même minimale, sont nécessaires des écosystèmes à de nouvelles espèces adaptées
au bon développement de la nature en ville. aux évolutions climatiques et limitation des nuisibles
Une intervenante note par exemple : « On a pu ob- envahissants sont au cœur des enjeux de la mainte-
server qu’un Technosol d’une dizaine d’années avait nance de la nature en ville, et appellent une connais-
été progressivement contaminé aux métaux lourds, sance plus approfondie des espèces et des situa-
alors que ceux-ci n’étaient pas présents dans l’at- tions. Des travaux sont déjà en cours, par exemple,
mosphère. Au bout de 10 ans, la quantité mesurée comme le mentionne un participant, dans le cadre
dans le Technosol (presque 100 mg/kg de plomb) du PEPR Solu-BioD, avec en particulier un réseau de
s’approchait pourtant du seuil maximal fixé par la Living Labs pour partager des connaissances, expé-
norme. Les contaminations aux polluants émer- rimenter et promouvoir des Solutions fondées sur la
gents tels que les microplastiques sont à regarder nature en matière de biodiversité en ville.
aussi de près. Leur présence peut être assez fré-
quente dans les Technosols, avec des déchets qui en
contiennent. » 3. Questions économiques :
quels coûts complets,
LE DÉVELOPPEMENT D’ESPÈCES INVASIVES quels systèmes comptables ?
La prolifération d’insectes ou de micro-organismes En matière de maintenance de la nature en ville, il
invasifs est devenue un fléau aussi bien dans les villes peut paraître plus économique de laisser faire la
que dans les zones rurales. Les causes de ce phé- nature, puisqu’on n’a alors plus à payer le coût de
nomène sont plus ou moins connues : importation l’entretien des espaces : jardiniers, produits etc. Les
de substrats ou de végétaux exotiques porteurs de situations budgétaires étant généralement tendues,
ces espèces, en vue d’implanter une végétation qui un intervenant souligne l’intérêt « d’avoir une faune
résistera aux impacts futurs du changement clima- et une flore les plus autonomes possibles : il faut arri-
tique, réchauffement climatique propice à la survie ver à se passer d’entretien le plus possible, pour que
et au développement de ces espèces, etc. Par ail- ce développement de la nature en ville au bon ni-
leurs, certaines formes urbaines favorisent l’installa- veau soit économiquement possible. »
tion et le développement d’espèce problématiques
(moustique-tigre). Parmi les autres espèces problé- Mais on arrive très vite au constat que la réalité
matiques pour des raisons sanitaires ou de maintien est plus compliquée, notamment par manque de
de la biodiversité, ont été mentionnés par exemple connaissance suffisamment fine des coûts com-
la fourmi électrique détectée à Toulon et le vers sau- plets, concernant aussi bien les situations actuelles
teur, dans le Sud de la France. que les projections d’autres types de maintenance
– pour lesquels divers scénarios peuvent être envi-
La maintenance de la nature en ville appelle ici divers sagés, allant du laisser-faire intégral à des solutions
travaux de recherche, pour qualifier les réalités ob- fondées sur la nature plus ou moins sophistiquées.
servées et proposer des pistes de solution.
Des travaux récents ou en cours permettent d’avan-
Un intervenant suggère ainsi de faire la part des cer sur ces questions. On peut citer le volet « Eva-
choses entre les espèces qui vont vraiment poser luation économique » du projet Life ARTISAN, pro-
un problème en ville et celles qui s’accommodent jet qui vise à mettre en place un cadre propice au
du milieu urbain sans le perturber. « Le MNHN a déploiement des Solutions d’adaptation au change-
mené une étude sur la perruche à collier, qui a mon- ment climatique fondées sur la Nature46 : il s’agit d’un
tré qu’elle n’allait pas faire décliner les espèces lo- travail de fin d’études réalisé par Auriane Bahuau, qui
cales d’oiseaux ; on peut aussi citer le buddleia (arbre synthétise les méthodes existantes et mobilisables
à papillons) qui s’installe là où d’autres espèces ne pour comparer économiquement les projets de SafN
vont pas. Il y a un donc un double travail à faire : aux solutions grises47.

— sur l’évitement de la prolifération en amont, qui Si « le coût d’entretien des espaces verts par les mai-
peut amener à privilégier des espèces locales par ries est estimé de 1 à 4 euros / an par m2 », selon une
exemple ; intervenante, de nombreux autres éléments ne font
— et sur le choix des méthodes de gestion des dif-
férentes espèces, en fonction des éventuels pro- 46 https://www.ofb.gouv.fr/le-projet-life-integre-artisan
blèmes qu’elles vont poser (ou pas) ».
47 https://www.ofb.gouv.fr/le-projet-life-integre-artisan/documen-
38 tation-life-artisan/evaluation-economique-des-solutions
l’objet d’aucune estimation économique. « Quand nagements urbains, de travailler à ce qu’ils puissent
on ramasse les feuilles mortes des bords de route, s’autogénérer… mais attention à ne pas donner le
qu’en fait-on ? Les considère-t-on comme des maté- sentiment – contre-productif – que la nature peut
riaux écologiques, alors qu’elles sont probablement se gérer elle-même. On est dans des espaces avec
très polluées par le sol et par l’air ? Ce sujet des bi- beaucoup d’injonctions contradictoires, et il faut de
lans des entretiens n’est pas bien traité », note par toute façon la main de l’homme, au moins une vision
exemple la conseillère scientifique du GT. politique, qui se traduit sur le terrain par des équipes,
des agents, des urbanistes, des paysagistes, qui à
Autre angle mort dans l’évaluation des coûts de la un moment vont penser toutes les conditions pour
maintenance ou de la non-maintenance de la na- que la nature en ville, la végétation, les paysages,
ture en ville : « la façon dont les habitants prennent puissent vraiment durer dans le temps. »
part à cette gestion du vivant, des sols etc. dans la
ville. On pourrait imaginer d’évaluer la valeur éco- La conseillère scientifique du GT le souligne : « La
nomique de cette gestion par les habitants », relève question de la maintenance fait appel à d’autres
une intervenante. acteurs que ceux de la conception et de la mise en
place des SfN, et elle peut représenter un véritable
Enfin, même lorsqu’on a progressé sur la capacité à point faible. Pour un toit végétalisé, par exemple,
évaluer économiquement tel ou tel coût écologique il faudrait impliquer les services urbains, les habi-
ou social, reste à aligner l’ensemble des compé- tants, expliquer, former – et on voit qu’on ne sait
tences et des outils pour prendre en compte ces pas très bien comment faire passer ce message,
nouvelles données, et à généraliser la diffusion et au-delà de l’investissement ponctuel réalisé dans la
l’usage de nouvelles normes et de nouveaux sys- mise en place ».
tèmes comptables.
Autre exemple de la recomposition des interactions
Concernant les SfN de gestion des eaux pluviales, sociales autour du développement de la nature en
un intervenant précise : « Au début, on n’avait sans ville : la mise en tension des frontières entre services
doute pas tous les outils pour cette maintenance, à l’intérieur d’une collectivité, déjà évoquée mais qui
notamment financiers. Aujourd’hui, cependant, on est particulièrement vive s’agissant des enjeux de
sait calculer l’amortissement de ces infrastructures maintenance. Comme le fait observer une interve-
fondées sur la nature sur le temps long, provisionner, nante, le fait que ces solutions soient productrices
etc. Reste à mobiliser ces connaissances, mettre en de co-bénéfices fait surgir des problématiques de
place une comptabilité écologique, etc. Et à valoriser répartition des responsabilités, des financements
la capacité à penser l’ensemble du cycle de vie de etc. entre domaines et services concernés. « Par
ces infrastructures, y compris culturellement, au-de- exemple, un service des Espaces verts pourra consi-
là de l’investissement initial. » dérer que les coûts d’entretien d’une bande plantée
qui aura des bénéfices pour la gestion des eaux, la
protection de la biodiversité, la santé humaine et la
4. Questions sociales : quelles qualité de vie, relèvent d’un co-financement avec
trois ou quatre autres services ».
compétences collectives, quels
nouveaux systèmes d’acteurs, Ces divers exemples illustrent le fait que les So-
quelles régulations ? lutions fondées sur la nature peuvent être quali-
fiées d’ « infrastructures relationnelles », selon
le concept proposé par un intervenant. Faisant ré-
Les enjeux de maintenance font intervenir des par-
férence aux travaux de Jewett & Kling48, il rappelle
ties prenantes beaucoup plus diverses que ceux
que toute infrastructure, grise ou verte, implique un
de la production initiale (y compris usagers eux-
tissu de relations qui lui permettent d’exister : cadre
mêmes), avec des enjeux de collaboration plus éle-
juridique, gouvernance, pratiques organisées, etc.
vés : qui paye, qui est responsable, qui agit pour quel
Comme toute infrastructure, les SfN nécessitent
type de maintenance, sachant de plus que les béné-
une activité de maintenance qui est déterminante
fices sont multifonctionnels ? Ces sujets sont sources
pour leur pérennité. Or, souligne-t-il, on prête géné-
de controverses et reconfigurations majeures entre
ralement une attention insuffisante à cette activité.
services (Espaces verts / Eau et assainissement par
Lorsque les compétences ne sont pas disponibles
exemple), et entre catégories d’acteurs, voire, à terme,
directement au sein des collectivités locales, il peut
à la structuration de nouveaux systèmes d’acteurs.
être utile de développer des partenariats pour assu-
rer cette maintenance, par exemple avec des agricul-
Là encore, ce sujet a été abordé dans la partie III,
teurs, des paysagistes, des acteurs environnemen-
même s’il n’a pas été exploré spécifiquement par le
taux, voire de simples usagers de l’infrastructure.
GT. Contentons-nous donc ici de mettre l’accent sur
D’une façon générale, rappelle-t-il, « la question
la transformation du système social local que sup-
de savoir si une infrastructure fonctionne ou non
pose une maintenance efficace de la nature en ville.
est davantage liée au contexte politique (au sens
Le premier met l’accent sur la diversité des com-
pétences à mobiliser pour organiser cette mainte-
48 Jewett, T. & Kling, R. (1991) – « The Dynamics of Computerization.
nance. Une intervenante met ainsi en garde : « Il y a In a Social Science Research Team: A Case Study of Infrastructure.
39 certes l’idée de travailler la circularité dans les amé- Strategies, and Skills » - Social Sci. Computer Rev., 9, 246-275.
large) qu’aux propriétés inhérentes de celle-ci ».
Et il est préférable de privilégier une gestion adapta-
tive, qui n’obère pas les choix futurs.

Il s’agit aussi, selon cet intervenant, de « prendre au


sérieux la question des pratiques sociales imbri-
quées à l’infrastructure ». Par exemple, lorsqu’une
infrastructure verte vient remplacer une infrastruc-
ture grise, il est important d’identifier quelles pra-
tiques formelles et informelles étaient adossées à
l’infrastructure préexistante. Ainsi, une digue peut
être aussi le support de pratiques de pêche ou de
baignade, dont la suppression peut être source de
conflits avec les riverains. La mise en place de nou-
velles solutions peut, de son côté, être la source de
nouvelles pratiques non prévues, qu’il faudra éven-
tuellement encadrer.

40
Conclusion

Les parties I, II et III ont mis l’accent sur de nom- nature en ville, condition clé d’une réelle efficacité
breuses pistes de travail renvoyant à des besoins de en tant que solution d’adaptation au changement
connaissance et d’innovation spécifiques concer- climatique ?
nant le développement de la nature en ville, en lien
avec un besoin de connaissances plus appro- La recherche a en tout cas vocation à réfléchir aussi
fondies des diverses composantes de la nature à cette question, qui l’invite à prendre au sérieux la
en ville, notamment du fait de leur variabilité complexité des liens qu’entretiennent ville et nature
spatiale et temporelle. Les éclairages proposés - y compris en se remettant elle-même en question
dans la partie IV sur la question de la maintenance en tant que mode de connaissance et d’interpréta-
illustrent par ailleurs l’importance d’une approche tion du réel. En d’autres termes, la recherche n’a-
systémique pour comprendre et agir sur les t-elle pas aussi vocation à proposer un éclairage
conditions du développement de cette nature différent sur la réalité des besoins respectifs des
urbaine. Celles-ci doivent être abordées de façon divers occupants, humains et non-humains, de
coordonnée entre une diversité de parties pre- notre écosystème Terre ? N’est-ce pas aussi cet
nantes, de disciplines et de niveaux d’action territo- éclairage qui contribue à faire de la nature en ville
riaux et temporels. un démonstrateur de transition écologique ?

Au-delà des questions de granularité fine qui condi- Le mot de la fin revient à un membre du GT :
tionnent la viabilité et la « performance » globale de
la nature en ville, une autre interrogation apparaît en « On ne peut pas planter de la végétation et estimer
filigrane des travaux du groupe : n’est-ce pas vers qu’on a fini. La nature est déjà dans la ville. Il faut
un nouveau modèle ou un nouveau projet, philoso- regarder ce qui est là, ce qu’en font les gens, com-
phique, social, politique et économique, que nous ment on peut l’améliorer, et l’évaluer sur le temps
entraîne la quête d’une véritable intégration de la long – passé et à venir. »

41
Annexe A

Réunions et intervenants

Plusieurs intervenants étaient par ailleurs membres du GT, La renaturation du cycle de l’eau pluviale en ville et le pro-
et/ou ont participé aux travaux au-delà de leur interven- jet GreenStorm (AAP DUT 2022)
tion dans le cadre de l’une des réunions. Laure Fass, ingénieure en systèmes énergétiques, char-
gée d’études et de suivi du plan Parispluie - Ville de Paris

Réunion 1, 27 février 2024 – Introduction et cadrage Le plan Parispluie. Présentation du zonage pluvial parisien,
un outil pour la ville durable
Charlotte Roux, chargée de recherche - Mines Paris-PSL / Christian Piel, géographe, urbaniste, hydrologue - fonda-
lab recherche environnement (ParisTech - Vinci) teur et dirigeant d’Urban Water

La prise en compte des limites planétaires à l’échelle de la Du grand paysage au jardin de pluie : gestion, maîtrise et
ville renaturée valorisation des eaux en milieu urbain
Patrick Stella, maître de conférences - AgroParisTech Antoine Brochet, chercheur post-doctoral (géographie et
science politique) - Institut des Géosciences de l’Environ-
Maxime Trocmé, directeur Déploiement R&D - Vinci (lab nement (CNRS - Grenoble)
recherche environnement (ParisTech - Vinci)
Compétences, leviers et limites de l’action publique terri-
Nature en ville : concepts, enjeux et questions de recherche toriale pour l’intégration de SfN dans le domaine de l’eau
& d’innovation
Marc Barra, écologue - Agence régionale de la biodiversi- Réunion 4, 17 juin 2024 – Terre : sols urbains
té en Île-de-France / Institut Paris Région
Christophe Schwartz, professeur en pédologie urbaine,
Nature en ville : concepts, enjeux et questions de recherche INRAE-Université de Lorraine
& d’innovation
Sols urbains : terres inconnues ?
Réunion 2, 19 mars 2024 – Air et climat urbains Sophie Joimel, maître de conférences - AgroParisTech

Marjorie Musy, directrice de recherche - CEREMA La construction de sols fertiles et les besoins de désim-
perméabilisation des sols urbains pour la végétalisation
Impacts climatiques de la végétation en ville : état des de la ville
connaissances et travaux actuels, enjeux des recherches Robin Dagois, chargé de mission Agronomie, sols urbains
à venir et conduite des végétaux - Plante et Cité
Stéphanie Vallerent, directrice adjointe Climat et Terri-
toire – ACTIERRA Renaturer la ville avec les Technosols : impact sur la bio-
diversité des sols
Lucille Alonso, chef de projet – ACTIERRA Lukas Madl, doctorant en Aménagement et urbanisme,
Université Gustave Eiffel / AREP
Rafraîchissement urbain : solutions innovantes et pistes de
recherche Renaturation, refonctionnalisation, restauration : l’enjeu
Karine Sartelet, directrice de recherche - CEREA - Ecole de choisir la bonne terminologie pour un domaine de re-
des Ponts ParisTech cherche récent
Cécile Brazilier, European Project Manager, DEDALE
Impact de la végétation sur la qualité de l’air
Anthony Danneyrolle, directeur du département Le projet Terroir Urbain
Hydraulique Environnement Ecoconception - ARTELIA Mathilde Salin, doctorante - CIRED / Banque de France

Bioclimatique et qualité de l’air : enjeux opérationnels et Les coûts de la restauration des sols urbains
défis scientifiques Sylvain Riss, directeur Groupe, Digital et BIM – WSP|BG
Ingénieurs Conseils
Réunion 3, 23 avril 2024 – L’eau en ville
Fanny Josse, architecte et doctorante – Université
Pierre-Antoine Versini, directeur de recherche en hydro- Gustave Eiffel / WSP|BG Ingénieurs Conseils
logie - Ecole des Ponts ParisTech
Le jumeau numérique environnemental, un outil d’aide à la
Nature en ville pour la gestion des eaux pluviales : perspec- décision pour répondre à l’objectif ZAN 2050 ?
tives de recherche à travers les échelles urbaines Caroline Gutleben, directrice – Plante et Cité
Jérémie Sage, chercheur en hydrologie urbaine – CEREMA
Evolution des enjeux de la nature en ville et perspectives
pour les villes-nature
42
Annexe B

Membres du groupe de travail

Fanny ALAMELLE, CNRS - IMM Claire GUIHENEUF, CMA


Joël AMOSSÉ, CEREMA Martial HAEFFELIN, IPSL / CNRS
Hasnaa ANISS, UNIVERSITE GUSTAVE EIFFEL Christelle HENAO, AFNOR
Eleni ASSAF-MEDAWAR, ADEME Nathan HENRI, KALLIOPE
Richard AUDOIRE, DASSAULT SYSTEMES Rachida IDIR, CEREMA
Bernard BADIN, LSE NATURAL STONES Djamila IOUALALEN-COLLEU, MTECT
Mariia BAKHAREVA, CSTB Jean-Pascal JOSSELIN, IAU RENNES
Anne-Laure BARON, CDA LA ROCHELLE Rouba KAEDBEY, UNILASALLE
Lucie BAYARD, CARA Zied KBAIER, SATT SAYENS
Béatrice BECHET , UNIVERSITE GUSTAVE EIFFEL Gaël LAMBERTHOD, SCE
Valérie BERT, INERIS Stéphanie LE MEUR, KARDHAM
Gilles BETIS, ESTP Sophie MAILLEY, CEA
Aude BLOM-RAQUIN, UNIVERSITE COTE D’AZUR Frédéric MAISON , NAMR
Olivier BOCQUET, ROUGERIE TANGRAM Patrick MASSIN, CEREA
Camille BONNET, UNIVERSITE DE LA REUNION Caroline MERCADER, PERPIGNAN MEDITERRANEE
METROPOLE
Christophe BORTOLASO, BERGER-LEVRAULT
Dominique MIGNOT, UNIVERSITE GUSTAVE EIFFEL
Mathieu BOUSSOUSSOU, KARDHAM
Caroline MILLAN, COLAS
Charlotte BRACCO, SAINT-GOBAIN
Axel MILLARD, UNIVERSITE DE MONTPELLIER
Olivier CARTERET, THE TINY VILLAGE
Sandra MOLINERO, CONTINENTAL AUTOMOTIVE France
Cyrille CHAZALLON, INSA STRASBOURG
Francesca MORUCCI, ASP MER TYRRHENIENNE
Marine CLAVEL, MAIRIE DE LORIENT
DU NNORD
Gabrielle COSTA DE BEAUREGARD, ALSTOM
Florence NASSIET, COMM. D’AGGLO. LA ROCHELLE
Damien CUNY, UNIVERSITE DE LILLE
Camille PAYRE, EIFER
Louis CUZIN, OCCITANIE EUROPE
Anne PENILLARD, SAINT-GOBAIN RECHERCHE
Paul DAMBREVILLE, UNIVERSITE DE GUYANE
Erwan PERSONNE, AGROPARISTECH
Jérôme DEFRANCE, CSTB
Charlotte PEYRAT VAGANAY, INRIA
Sylvette DENEFLE, AIX MARSEILLE UNIVERSITE
Carole POURCHEZ, MTECT-CGDD-SRI
Dominique DEWEVRE, MANAGERS EN MISSION
Marie RESCAN, CATALAN INSTITUTE FOR
Anne-Valentine DUFFRENE, CENTRALIE LILLE INSTITUT WATER RESEARCH
Alain DUPUY, BRGM Tatiana REYES, ENSAM
Hugo DUWIQUET, ENGIE Elodie ROURE, REGION CENTRE VAL DE LOIRE
Elizabeth EL HADDAD, INRIA Nicole ROUX, UNIVERSITE DE BREST
Lison EPIFANIE, BDCO Karine SAUTEREAU, CENTRE INFFO
Pascal FUGIER, CEA Alexander SCHRAGE, CGDD / MTECT
Anne-Céline GAREL-LAURIN, SGR-PARIS Tudal SINSIN, ALTEREO
Edith GAROT, UNIVERSITE DE LA REUNION Chao Zhong TAN, UNIVERSITE DE TOURS
Giulia GIACCHE, INRAE Laura THUILLIER, OASIIS
Zoé GINTER, UNIVERSITE DE TOURS Christelle TRIBOUT, UPS
Flovic GOSSELIN , UNIVERSITE CATHOLIQUE DE LILLE Arthur VAUGEOIS, AVITEM
Mathilde GRALEPOIS, UNIVERSITE DE TOURS Alan VERGNES, UNIV. PAUL VALERY MONTPELLIER 3
Frédéric GRONDIN, ECOLE CENTRALE DE NANTES Baptiste VIVIER, HOLCIM INNOVATION CENTER

43
44
33, RUE RENNEQUIN - 75017 PARIS
TÉL. : 01 55 35 25 50
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