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2006
Sur l'existence d'une compétence exclusive fondée sur les principes dégagés
ayant pour objet une demande d'avis au titre de l'article 300, paragraphe 6, CE,
introduite le 5 mars 2003 par le Conseil de l'Union européenne,
rend le présent
Avis
2 Aux termes de l'article 300, paragraphe 6, CE, «[l]e Parlement européen, le Conseil,
la Commission ou un État membre peut recueillir l'avis de la Cour de justice sur la
compatibilité d'un accord envisagé avec les dispositions du présent traité. L'accord
qui a fait l'objet d'un avis négatif de la Cour de justice ne peut entrer en vigueur que
dans les conditions fixées à l'article 48 du traité sur l'Union européenne».
[...]
a) améliorer et simplifier:
«Pendant une période transitoire de cinq ans après l'entrée en vigueur du traité
d'Amsterdam, le Conseil statue à l'unanimité sur proposition de la Commission ou à
l'initiative d'un État membre et après consultation du Parlement européen.»
8 L'article 293 CE (ancien article 220 du traité CE), qui fait partie de la sixième partie
du traité contenant les dispositions générales et finales, dispose:
«Les États membres engageront entre eux, en tant que de besoin, des négociations
en vue d'assurer, en faveur de leurs ressortissants:
[···]
I - 1157
AVIS 1/03 DU 7. 2. 2006
9 D'autres dispositions du traité ont été utilisées en tant que base juridique
d'instruments communautaires sectoriels qui contiennent des règles de compétence
à titre accessoire. Le Conseil cite, à titre d'exemples, le titre X du règlement (CE)
n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994,
L 11, p. 1), fondé sur l'article 235 du traité CE (devenu article 308 CE), et l'article 6
de la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre
1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une
prestation de services (JO 1997, L 18, p. 1), fondée sur les articles 57, paragraphe 2,
du traité CE (devenu, après modification, article 47, paragraphe 2, CE) et 66 du trai-
té CE (devenu article 55 CE).
quatrième tiret, CE), telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative
à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-
Bretagne et d'Irlande du Nord (JO L 304, p. 1, et — texte modifié — p. 77), par la
convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique
(JO L 388, p. 1), par la convention du 26 mai 1989 relative à l'adhésion du Royaume
d'Espagne et de la République portugaise (JO L 285, p. 1) et par la convention du
29 novembre 1996 relative à l'adhésion de la République d'Autriche, de la
République de Finlande et du Royaume de Suède (JO 1997, C 15, p. 1, ci-après la
«convention de Bruxelles»).
1 3 La Cour de justice est compétente pour interpréter le règlement n° 44/2001 dans les
conditions définies aux articles 68 CE et 234 CE.
La convention de Bruxelles
1 4 Dès lors que, en vertu du protocole danois, le règlement n° 44/2001 ne lie pas le
Royaume de Danemark et n'est pas applicable à son égard, c'est la convention de
Bruxelles qui continue de s'appliquer aux relations entre cet État membre et les
États liés par le règlement n° 44/2001. Il convient toutefois de relever que, le
19 octobre 2005, un accord a été signé à Bruxelles entre la Communauté européenne
et le Royaume de Danemark sur la compétence judiciaire, la reconnaissance et
l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, signature approuvée au
nom de la Communauté par la décision 2005/790/CE du Conseil, du 20 septembre
2005 (JO L 299, p. 61), sous réserve de la décision du Conseil relative à la conclusion
dudit accord.
I - 1159
AVIS 1/03 DU 7. 2. 2006
La convention de Lugano
20 Lors d'une session qui s'est tenue les 4 et 5 décembre 1997, le Conseil a donné
mandat à un groupe ad hoc réunissant les représentants des États membres de
l'Union ainsi que de la République d'Islande, du Royaume de Norvège et de la
Confédération suisse d'engager des travaux en vue de procéder à une révision
parallèle des conventions de Bruxelles et de Lugano. Pour l'essentiel, les discussions
avaient un double objectif, à savoir moderniser le régime de ces deux conventions et
éliminer les divergences entre celles-ci.
I - 1161
AVIS 1/03 DU 7. 2. 2006
21 Le mandat dudit groupe ad hoc avait pour fondement l'article 220 du traité CE et les
travaux de ce groupe se sont achevés au mois d'avril 1999. Ce dernier s'est en effet
mis d'accord sur un texte visant à réviser les conventions de Bruxelles et de Lugano.
Cet accord a été entériné au niveau politique par le Conseil lors de sa 2184e session
qui s'est déroulée les 27 et 28 mai 1999 (Document 7700/99 JUSTCIV 60, du 30 avril
1999).
24 Lors de sa 2455e session, qui s'est déroulée les 14 et 15 octobre 2002, le Conseil a
autorisé la Commission à entamer des négociations en vue de l'adoption de la
nouvelle convention de Lugano, sans préjudice de la question de savoir si la
conclusion de celle-ci relève de la compétence exclusive de la Communauté ou
d'une compétence partagée entre cette dernière et les États membres. Il a également
adopté des directives de négociation.
I - 1162
AVIS RENDU EN VERTU DE L'ARTICLE 300, PARAGRAPHE 6, CE
25 Lors de sa 2489e session, qui s'est tenue les 27 et 28 février 2003, le Conseil a décidé
de soumettre la présente demande d'avis à la Cour de justice.
I - 1163
AVIS 1/03 DU 7. 2. 2006
11 Le point 2 des directives de négociation concerne les dispositions des titres VII
et suivants de l'accord envisagé.
I - 1164
AVIS RENDU EN VERTU DE L'ARTICLE 300, PARAGRAPHE 6, CE
I - 1165
AVIS 1/03 DU 7. 2. 2006
30 Le Conseil, soutenu par les gouvernements espagnol, français et finlandais, ainsi que
par le Parlement et la Commission, estime que la demande d'avis est recevable.
Sur le fond
34 Le Conseil, soutenu sur ce point par l'ensemble des États m e m b r e s ayant soumis des
observations à la Cour ainsi que par le Parlement et la Commission, relève que
la matière de l'accord envisagé entre dans le c h a m p d'application des articles 6 1 ,
sous c), CE et 67 CE. Cette base juridique ne prévoirait pas explicitement u n e
compétence externe de la C o m m u n a u t é .
35 Selon le Conseil, l'ensemble des États membres ayant soumis des observations à la
Cour ainsi que le Parlement et la Commission, pour déterminer s'il existe une
compétence externe implicite, il serait pertinent de se référer à l'avis 1/76, du
26 avril 1977 (Rec. p. 741), tel que précisé par l'avis 1/94, du 15 novembre 1994 (Rec.
p. I-5267), le contenu de ces avis ayant été synthétisé par la Cour dans ses arrêts dits
«ciel ouvert», du 5 novembre 2002, Commission/Danemark (C-467/98, Rec. p. I-
9519, point 56); Commission/Suède (C-468/98, Rec. p. I-9575, point 53); Commis-
sion/Finlande (C-469/98, Rec. p. I-9627, point 57); Commission/Belgique (C-471/98,
Rec. p. I-9681, point 67); Commission/Luxembourg (C-472/98, Rec. p. I-9741,
point 61); Commission/Autriche (C-475/98, Rec. p. I-9797, point 67), et
Commission/Allemagne (C-476/98, Rec. p. I-9855, point 82).
36 Ils exposent que, selon le principe établi dans l'avis 1/76, précité, une compétence
externe implicite existe non seulement dans tous les cas où la compétence interne a
déjà été utilisée en vue d'adopter des mesures s'inscrivant dans la réalisation des
politiques communes, mais également si les mesures communautaires internes ne
sont adoptées qu'à l'occasion de la conclusion et de la mise en vigueur de l'accord
international. Ainsi, la compétence pour engager la Communauté à l'égard d'États
I - 1168
AVIS RENDU EN VERTU DE L'ARTICLE 300, PARAGRAPHE 6, CE
39 Il précise que la nécessité de conclure l'accord envisagé n'a été invoquée ni par les
États membres ni par la Commission. Le Parlement considère qu'une telle nécessité
n'existe pas. En effet, la coopération judiciaire en matière civile visée à l'article 65 CE
pourrait très bien être limitée à des mesures s'adressant aux juridictions et aux
autorités des seuls États membres, sans que ces mesures concernent les relations
avec les États tiers, ainsi que l'énonce ledit article dont le libellé précise que les
mesures envisagées sont adoptées «dans la mesure nécessaire au bon fonctionne-
ment du marché intérieur».
I - 1169
AVIS 1/03 DU 7. 2. 2006
40 Selon le gouvernement allemand, une telle nécessité est en tout état de cause exclue,
dès lors que la réglementation interne n'impose pas la participation simultanée
d'États tiers.
Sur l'existence d'une compétence exclusive fondée sur les principes dégagés dans
l'arrêt AETR
43 Selon le Conseil, l'ensemble des États membres ayant soumis des observations à la
Cour, ainsi que le Parlement et la Commission, la jurisprudence pertinente pour
apprécier le caractère exclusif ou non d'une compétence externe implicite de la
Communauté est l'arrêt du 31 mars 1971, Commission/Conseil, dit «AETR» (22/70,
Rec. p. 263), tel que précisé par les avis 2/91, du 19 mars 1993 (Rec. p. I-1061) et
1/94, précité, la Cour ayant résumé sa position dans les arrêts ciel ouvert, précités,
en y distinguant trois hypothèses.
I - 1170
AVIS RENDU EN VERTU DE L'ARTICLE 300, PARAGRAPHE 6, CE
«17 qu'en particulier, chaque fois que, pour la mise en œuvre d'une politique
commune prévue par le traité, la Communauté a pris des dispositions
instaurant, sous quelque forme que ce soit, des règles communes, les États
membres ne sont plus en droit, qu'ils agissent individuellement ou même
collectivement, de contracter avec les États tiers des obligations affectant ces
règles;
«81 Il convient encore de déterminer dans quelles conditions la portée des règles
communes peut être affectée ou altérée par les engagements internationaux
considérés et, partant, dans quelles conditions la Communauté acquiert une
compétence externe du fait de l'exercice de sa compétence interne.
partie par de telles règles (avis 2/91, précité, point 25). Dans cette dernière
hypothèse, la Cour a jugé que les États membres ne peuvent, hors du cadre des
institutions communes, prendre des engagements internationaux, et ce même
s'il n'existe aucune contradiction entre ceux-ci et les règles communes (avis
2/91, précité, points 25 et 26).
83 C'est ainsi que, lorsque la Communauté a inclus dans ses actes législatifs
internes des clauses relatives au traitement à réserver aux ressortissants de pays
tiers ou qu'elle a conféré expressément à ses institutions une compétence pour
négocier avec les pays tiers, elle acquiert une compétence externe exclusive dans
la mesure couverte par ces actes (avis 1/94, précité, point 95, et 2/92, [du
24 mars 1995, Rec. p. I-521,] point 33).
47 Ledit gouvernement fait valoir, en premier lieu, que le second élément du critère
retenu par la Cour, au point 82 de l'arrêt Commission/Danemark, précité, renvoyant
au point 25 de l'avis 2/91, précité, à savoir la formule «en tout cas d'un domaine déjà
I - 1172
AVIS RENDU EN VERTU DE L'ARTICLE 300, PARAGRAPHE 6, CE
couvert en grande partie par des règles communes», n'est ni clair ni précis, ce qui
engendre des incertitudes et n'est pas acceptable en matière de limitation des
compétences des États membres, alors que, conformément à l'article 5, premier
alinéa, CE, la Communauté ne jouit que de compétences d'attribution.
48 Il relève, en second lieu, que cet élément du critère est difficilement conciliable avec
les cas particuliers d'affectation au sens de l'arrêt AETR, précité, présentés comme
des exemples de ce second élément aux points 83 et 84 de l'arrêt Commission/
Danemark, précité. En effet, cet élément ne serait pas pertinent pour déterminer s'il
existe un effet au sens dudit arrêt AETR lorsque des clauses relatives au traitement
de ressortissants d'États tiers sont insérées dans un acte, puisque l'exclusivité de la
compétence serait circonscrite aux matières spécifiques qui sont réglées par cet acte.
Ce serait plutôt le premier élément du critère général qui serait applicable, c'est-à-
dire la formule «lorsque les engagements internationaux relèvent du domaine
d'application des règles communes». Il en serait de même dans la troisième
hypothèse, relative à la réalisation d'une harmonisation complète, ce qui exclut
nécessairement que le domaine en question soit seulement «en grande partie»
couvert par des règles communautaires. L'abandon de cet élément du critère
permettrait de définir avec davantage de précision l'effet au sens de l'arrêt AETR,
précité, tout en assurant le respect par les États membres de leur devoir de
coopération loyale lorsqu'ils agissent sur le plan international.
50 Le gouvernement italien relève qu'il serait possible d'argumenter dans le sens d'une
extension implicite du règlement n° 44/2001 à l'égard des ressortissants d'États tiers,
I-1173
AVIS 1/03 DU 7. 2. 2006
dès lors que l'article 4 de ce dernier prévoit que, à l'égard de personnes qui ne sont
Cas domiciliées dans la Communauté, la compétence est réglée par la loi de chaque
État membre et que les articles 32 à 37 dudit règlement prévoient un système de
reconnaissance des décisions rendues par les juridictions des autres États membres.
I - 1175
AVIS 1/03 DU 7. 2. 2006
59 Pour déterminer le domaine pertinent, le Conseil, de même que la plupart des États
membres ayant soumis des observations à la Cour, suggère qu'il n'est pas suffisant
de s'en tenir à l'intitulé du domaine, mais qu'il faut comparer concrètement les
champs d'application matériel, personnel et territorial du règlement n° 44/2001 avec
ceux de l'accord envisagé et vérifier si les stipulations de celui-ci affectent les règles
contenues dans la réglementation communautaire. Toutefois, le gouvernement
italien relève que la Cour ne s'est jamais livrée à une appréciation de l'affectation de
dispositions communautaires par les engagements internationaux contractés par les
États membres, mais s'est toujours limitée à comparer les domaines couverts, d'une
part, par un accord international et, d'autre part, par la réglementation
communautaire.
fait qu'une disposition renvoie au traité ne signifierait pas automatiquement que les
questions afférentes au domaine d'application de cette disposition relèveraient de la
compétence communautaire, car le traité ne se contenterait pas de transférer une
certaine compétence à la Communauté, mais il fixerait également des obligations
que les États membres sont tenus de respecter lorsqu'ils exercent leur compétence
propre (voir, notamment, arrêt du 5 novembre 2002, Commission/Royaume-Uni,
C-466/98, Rec. p. I-9427, point 41). Enfin, les conventions conclues par les États
membres en matière de compétence juridictionnelle seraient elles aussi incluses
dans la notion de «loi d'un État membre» utilisée à l'article 4, paragraphe 1, du
même règlement et il ne serait pas justifié de considérer que c'est seulement par
incorporation à celui-ci d'une certaine règle que la Communauté aurait acquis la
compétence exclusive de conclure des accords internationaux dans les matières
ressortissant au domaine d'application de cette règle.
67 Le Conseil et la plupart des États membres qui ont soumis des observations à la
Cour relèvent que le règlement n° 44/2001 prévoit un certain nombre de cas dans
lesquels, par exception au principe figurant à l'article 4, paragraphe 1, de celui-ci, la
compétence des juridictions des États membres est déterminée par les dispositions
de ce même règlement, alors même que le défendeur ne serait pas domicilié sur le
territoire d'un État membre. Il s'agirait:
— des compétences exclusives visées à l'article 22 (par exemple, les litiges relatifs à
des droits immobiliers, à la validité des décisions de personnes morales, à la
validité d'inscription à des registres publics, des litiges en matière d'exécution
de décisions);
68 Selon le Conseil et la plupart des États membres qui ont soumis des observations à
la Cour, l'accord envisagé pourrait, dans la mesure de ces exceptions, altérer la partie
du règlement n° 44/2001 relative à la compétence des juridictions. Ainsi, le
gouvernement allemand estime que les règles de compétence prévues par cet accord
peuvent altérer ou modifier dans leur portée les règles de compétence dudit
règlement et que, pour certaines parties de la nouvelle convention de Lugano, il
existe ainsi une compétence exclusive de la Communauté. Le gouvernement
portugais soutient cependant que l'exception ne saurait compromettre la règle et
qu'il n'est pas nécessaire, à cet égard, d'envisager toutes les situations dans lesquelles
pourrait éventuellement surgir une compétence exclusive de la Communauté.
69 Tel serait également le cas d'une clause telle que l'article 54 ter, paragraphe 2, de la
convention de Lugano, qui prévoirait un certain nombre d'hypothèses dans
lesquelles l'accord envisagé s'appliquerait en tout état de cause (hypothèses de
compétence exclusive, de prorogation de compétence, de litispendance et de
I - 1180
AVIS RENDU EN VERTU DE L'ARTICLE 300, PARAGRAPHE 6, CE
71 À cet égard, l'Irlande formule trois observations. Tout d'abord, il serait difficile de
savoir dans quelle situation concrète une disposition telle que l'article 54 ter,
paragraphe 2, de la convention de Lugano pourrait entraîner un conflit entre le
règlement n° 44/2001 et l'accord envisagé dès lors que toutes les situations prévues
par cette disposition se situent en dehors du champ d'application de ce règlement.
Ensuite, dès lors que cette disposition serait identique audit article 54 ter,
paragraphe 2, dans sa version actuellement en vigueur, et que la Communauté
serait partie à la nouvelle convention de Lugano, qui devrait être un accord mixte, il
ne saurait être soutenu que les États membres contractent avec des États tiers des
obligations qui affectent des règles communautaires. La situation serait donc
différente de celle dans laquelle un État membre contracte des obligations avec des
États tiers sans la participation de la Communauté. Enfin, le fait qu'une clause telle
que ledit article 54 ter, paragraphe 2, a un effet sur des règles communautaires aurait
pour seule conséquence que la Communauté disposerait d'une compétence
exclusive pour négocier cette seule disposition, les États membres restant
compétents au regard des autres dispositions de l'accord envisagé.
I - 1181
AVIS 1/03 DU 7. 2. 2006
74 La Commission conteste dès lors les arguments consistant à fonder une compétence
des États membres sur l'article 4 du règlement n° 44/2001. Elle fait valoir en premier
lieu, soutenue sur ce point par le Parlement, que la règle énoncée à cet article a été
établie par le législateur communautaire et que, dès lors, les États membres ne sont
plus compétents pour décider que, dans leurs relations avec les États tiers, seraient
applicables non plus les lois nationales, mais des règles différentes. Elle relève en
second lieu que toute règle de compétence négociée dans le cadre de l'accord
envisagé, applicable à l'encontre de défendeurs domiciliés en dehors de la
Communauté, affecterait les règles de compétence harmonisées, dès lors que
l'objectif de celles-ci est d'éviter les conflits positifs ou négatifs de compétence et les
cas de litispendance ou de décisions inconciliables.
manière. Le gouvernement allemand, notamment, fait valoir que ledit règlement est
inapplicable aux décisions «étrangères» à la Communauté. Le gouvernement
portugais s'interroge sur la manière dont la reconnaissance mutuelle de décisions
émanant de juridictions d'États membres de la Communauté pourrait être affectée
par l'établissement de règles de reconnaissance des décisions de juridictions d'États
non membres de celle-ci. En effet, le règlement n° 44/2001 vise la reconnaissance et
l'exécution, par un État membre, d'une décision rendue par une juridiction d'un
autre État membre, tandis que l'accord envisagé traite de la reconnaissance et de
l'exécution, par un État membre, d'une décision rendue par une juridiction d'un État
tiers et, par un État tiers, d'une décision rendue par une juridiction d'un État
membre.
77 Le Parlement soutient la même thèse. Selon lui, les règles énoncées dans le
règlement n° 44/2001 seraient également affectées par l'accord envisagé, car le fait
de limiter l'application dudit chapitre III aux seules décisions d'autres États
membres constitue un choix délibéré du législateur. L'obligation de traiter de la
même façon les décisions rendues dans les États contractants de la convention de
Lugano, qui découlera de la nouvelle convention de Lugano, modifierait cette
situation juridique.
— La «clause de déconnexion»
78 Le Conseil et la plupart des États membres qui ont soumis des observations à la
Cour examinent l'incidence éventuelle de la «clause de déconnexion» prévue au
point 2, sous a), des directives de négociation, qui renvoie aux principes établis par
I - 1183
AVIS 1/03 DU 7. 2. 2006
«101 Cette constatation ne saurait être remise en cause par la circonstance que
ledit article 9 [de l'accord bilatéral dit 'de ciel ouvert' conclu en 1995 dans le
domaine du transport aérien entre le Royaume de Danemark et les États-
Unis d'Amérique] impose, pour les transports aériens auxquels est
applicable le règlement [(CEE) n° 2409/92 du Conseil, du 23 juillet 1992,
sur les tarifs des passagers et de fret des services aériens (JO L 240, p. 15)],
de respecter ce règlement. En effet, pour louable qu'ait été cette initiative du
Royaume de Danemark visant à préserver l'application du règlement
n° 2409/92, il n'en reste pas moins que le manquement de cet État membre
résulte du fait qu'il n'était pas autorisé à contracter seul un tel engagement,
même si le contenu de celui-ci n'est pas en contradiction avec le droit
communautaire.»
80 Le Conseil relève que, dans l'avis 2/91, précité, la Cour a pris en considération une
clause figurant dans la convention n° 170 de l'Organisation internationale du travail,
concernant la sécurité dans l'utilisation des produits chimiques au travail, qui
permettait aux membres de celle-ci d'appliquer des règles internes plus
contraignantes. A fortiori conviendrait-il de tenir compte d'une règle telle que
celle énoncée à l'article 54 ter, paragraphe 1, de la convention de Lugano, qui prévoit
l'application des règles internes au lieu de celles de l'accord envisagé.
I - 1184
AVIS RENDU EN VERTU DE L'ARTICLE 300. PARAGRAPHE 6, CE
84 À cet égard, la Commission s'interroge sur la nécessité d'une clause ayant pour objet
de gouverner les relations entre une réglementation instituant un régime
communautaire et une convention internationale qui a vocation à étendre ce
I-1185
AVIS 1/03 DU 7. 2. 2006
régime à des États tiers, ce qui ne devrait pas ipso facto affecter le droit
communautaire existant. Dès lors que l'accord envisagé couvrirait des domaines où
il a été procédé à une harmonisation totale, l'existence d'une clause de déconnexion
serait dénuée de toute pertinence.
I - 1186
AVIS RENDU EN VERTU DE L'ARTICLE 300, PARAGRAPHE 6, CE
89 Le Parlement fait référence aux conclusions de l'avocat général Tizzano dans les
affaires ayant donné lieu aux arrêts ciel ouvert, précités, et conclut que la
Communauté a une compétence exclusive en la matière.
95 A u sujet de l'argumentation fondée sur le fait que l'accord envisagé n e nuira pas à
l'application d u règlement n° 44/2001, mais, au contraire, le renforcera en étendant
I - 1188
AVIS RENDU EN VERTU DE L'ARTICLE 300, PARAGRAPHE 6, CE
9 6 Afin de permettre aux États membres ayant adhéré à l'Union européenne après
le dépôt de la demande d'avis de présenter des observations sur celle-ci, la Cour
a organisé une audience qui a eu lieu le 19 octobre 2004. Le Conseil, les
gouvernements tchèque, danois, allemand, hellénique, espagnol et français, l'Irlande,
les gouvernements néerlandais, polonais, portugais, finlandais et du Royaume-Uni,
ainsi que le Parlement et la Commission, y ont pris part. La plus grande partie des
observations soumises à la Cour relevaient des quatre questions sur lesquelles cette
dernière avait, par lettre, invité les États membres et les institutions à se prononcer
au cours de cette audience. Lesdites questions concernaient:
I-1189
AVIS 1/03 DU 7. 2. 2006
I - 1191
AVIS 1/03 DU 7. 2. 2006
101 Un tel accord bilatéral devrait dès lors être rédigé avec circonspection pour assurer
que ses dispositions ne visent pas les matières régies par le règlement n° 44/2001,
éventuellement grâce à une clause de déconnexion. Les gouvernements allemand,
hellénique et finlandais, notamment, soutiennent que la présence d'une telle clause
est déterminante. En revanche, la Commission estime que l'existence même d'une
clause de déconnexion constitue la preuve évidente d'une affectation au sens de
l'arrêt AETR, précité.
102 Lors de l'audience, le gouvernement espagnol a relevé que, dans des matières autres
que celles couvertes par le règlement n° 44/2001, un État membre conserve la liberté
de conclure des accords avec les États tiers. S'agissant d'accords portant sur les
matières couvertes par ledit règlement, ce gouvernement a demandé à la Cour de
nuancer sa jurisprudence, alléguant que certains États membres peuvent avoir un
intérêt particulier à négocier avec un État tiers sur ces matières pour des raisons soit
de proximité géographique, soit tenant à l'existence de liens historiques entre les
deux États concernés.
103 Selon le Parlement, le choix, dans un accord bilatéral conclu entre un État membre
et un État tiers, d'un critère de rattachement autre que le domicile du défendeur, qui
est celui retenu par le règlement n° 44/2001, affecterait nécessairement ce dernier.
Ainsi, un accord bilatéral utilisant le critère de la nationalité serait incompatible avec
ce règlement dès lors que, selon le texte appliqué et le critère retenu, deux
juridictions distinctes seraient compétentes.
104 En ce qui concerne la nécessité éventuelle d'établir une distinction entre les
dispositions relatives à la compétence judiciaire et celles concernant la recon-
naissance et l'exécution des décisions, plusieurs gouvernements, notamment les
gouvernements tchèque, allemand, hellénique, portugais et finlandais, soutiennent
I - 1192
AVIS RENDU EN VERTU DE L'ARTICLE 300, PARAGRAPHE 6, CE
105 En revanche, le gouvernement espagnol estime qu'il ne faut pas faire une telle
distinction. D'une part, il serait possible de constater que les deux champs
d'application desdites dispositions comportent des parties qui ne sont pas couvertes
par le droit communautaire. D'autre part, les deux catégories de dispositions
formeraient un tout tenant compte du fait que l'objectif du règlement n° 44/2001 est
de parvenir à une simplification en matière de reconnaissance et d'exécution des
décisions.
109 Enfin, s'agissant de la pertinence du seul fait que l'accord envisagé a pour objectif de
reproduire les règles communautaires, la plupart des gouvernements soutiennent
que rien n'interdit aux États membres de retranscrire les dispositions du droit
communautaire dans leurs engagements internationaux pour lesquels il n'y a pas de
compétence externe de la Communauté. La question centrale serait celle de savoir si
l'accord envisagé serait susceptible d'affecter les règles communautaires internes, et
non pas le parallélisme des compétences en tant que tel.
110La demande d'avis, présentée par le Conseil, porte sur le caractère exclusif ou
partagé de la compétence pour conclure la nouvelle convention de Lugano.
I - 1194
AVIS RENDU EN VERTU DE L'ARTICLE 300, PARAGRAPHE 6, CE
ni Le Conseil est l'une des institutions visées à l'article 300, paragraphe 6, CE. L'objet et
les grandes lignes de l'accord envisagé ont été suffisamment décrits ainsi que l'exige
la Cour (avis 1/78, du 4 octobre 1979, Rec. p. 2871, point 35, et 2/94, précité,
points 10 à 18).
m Par ailleurs, selon une interprétation constante de la Cour, l'avis de cette dernière
peut être recueilli sur les questions qui concernent la répartition des compétences
entre la Communauté et les États membres pour conclure un accord déterminé avec
des États tiers (voir, en dernier lieu, avis 2/00, précité, point 3). L'article 107,
paragraphe 2, du règlement de procédure corrobore cette interprétation.
Sur lefond
I - 1195
AVIS 1/03 DU 7. 2. 2006
115 Cette compétence de la Communauté peut être exclusive ou partagée avec les États
membres. En ce qui concerne une compétence exclusive, la Cour a constaté que
l'hypothèse visée dans l'avis 1/76, précité, est celle où la compétence interne ne peut
être utilement exercée qu'en même temps que la compétence externe (voir avis
précités 1/76, points 4 et 7, et 1/94, point 85), la conclusion de l'accord international
étant ainsi nécessaire pour réaliser des objectifs du traité qui ne pouvaient pas être
atteints par l'établissement des règles autonomes (voir, notamment, arrêt
Commission/Danemark, précité, point 57).
116Au point 17 de l'arrêt AETR, précité, la Cour a posé le principe selon lequel, lorsque
des règles communes ont été adoptées, les États membres ne sont plus en droit,
qu'ils agissent individuellement ou même collectivement, de contracter avec les
États tiers des obligations affectant ces règles. Dans un tel cas également, la
Communauté dispose d'une compétence exclusive pour conclure les accords
internationaux.
117 Dans l'hypothèse visée par le présent avis, ce principe est pertinent pour apprécier le
caractère exclusif ou non d'une compétence externe de la Communauté.
118Au point 11 de l'avis 2/91, précité, la Cour a indiqué que ledit principe est également
applicable lorsque des règles ont été adoptées dans des domaines ne relevant pas
d'une politique commune et, notamment, dans des domaines où il existe des
dispositions d'harmonisation.
119 La Cour a rappelé à cet égard que, dans tous les domaines qui correspondent aux
objectifs du traité, l'article 10 CE impose aux États membres de faciliter à la
Communauté l'accomplissement de sa mission et de s'abstenir de toutes mesures
susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts du traité (avis 2/91, précité,
point 10).
I - 1196
AVIS RENDU EN VERTU DE L'ARTICLE 300, PARAGRAPHE 6, CE
121 Dans l'avis 1/94, précité, et dans les arrêts ciel ouvert, précités, la Cour a énoncé
trois hypothèses dans lesquelles elle a reconnu une compétence exclusive de la
Communauté. Ces trois hypothèses, qui ont fait l'objet de larges discussions dans le
cadre de la présente demande d'avis et qui sont rappelées au point 45 du présent
avis, ne sont cependant que des exemples dont la formulation trouve son origine
dans les contextes particuliers pris en considération par la Cour.
122 En effet, statuant en des termes beaucoup plus généraux, la Cour a reconnu une
compétence exclusive de la Communauté, notamment, lorsque la conclusion d'un
accord par les États membres est incompatible avec l'unité du marché commun et
l'application uniforme du droit communautaire (arrêt AETR, précité, point 31) ou
que, en raison de la nature même des dispositions communautaires existantes, telles
que des actes législatifs contenant des clauses relatives au traitement à réserver aux
ressortissants d'États tiers ou à l'harmonisation complète d'une question
déterminée, tout accord en la matière affecterait nécessairement les règles
communautaires au sens de l'arrêt AETR, précité (voir, en ce sens, avis 1/94,
précité, points 95 et 96, ainsi que arrêt Commission/Danemark, précité, points 83
et 84).
I - 1197
AVIS 1/03 DU 7. 2. 2006
125 Dans certains cas, l'examen et la comparaison des domaines couverts tant par les
règles communautaires que par l'accord envisagé suffisent à exclure toute affectation
des premières (avis précités 1/94, point 103; 2/92, point 34, et 2/00, point 46).
126Toutefois, il n'est pas nécessaire qu'il existe une concordance complète entre le
domaine couvert par l'accord international et celui de la réglementation
communautaire. Lorsqu'il y a lieu de déterminer si le critère énoncé par la formule
«d'un domaine déjà couvert en grande partie par des règles communautaires» (avis
2/91, précité, points 25 et 26) est rempli, l'analyse doit se fonder non seulement sur
l'étendue des règles en cause, mais également sur leur nature et leur contenu. Il
importe également de prendre en compte non seulement l'état actuel du droit
communautaire dans le domaine concerné, mais également ses perspectives
d'évolution, lorsque celles-ci sont prévisibles au moment de cette analyse (voir, en
ce sens, avis 2/91, précité, point 25).
I - 1198
AVIS RENDU EN VERTU DE L'ARTICLE 300, PARAGRAPHE 6, CE
128 En définitive, il est essentiel d'assurer une application uniforme et cohérente des
règles communautaires et un bon fonctionnement du système qu'elles instituent
afin de préserver la pleine efficacité du droit communautaire.
129 Par ailleurs, une initiative éventuelle visant à éviter des contradictions entre le droit
communautaire et l'accord envisagé ne dispense pas de déterminer, avant la
conclusion de cet accord, si ce dernier est susceptible d'affecter les règles
communautaires (voir notamment, en ce sens, avis 2/91, précité, point 25, et arrêt
Commission/Danemark, précité, points 101 et 105).
1 3 0 À cet égard, l'existence, dans un accord, d'une clause dite «de déconnexion», selon
laquelle cet accord n'affecte pas l'application, par les États membres, des dispositions
pertinentes du droit communautaire, ne constitue pas une garantie de l'absence
d'affectation des règles communautaires par les dispositions de l'accord grâce à une
délimitation du champ d'application respectif des unes et des autres, mais, au
contraire, peut apparaître comme l'indice de l'affectation de ces règles. Un tel
mécanisme visant à prévenir tout conflit lors de l'exécution de l'accord n'est pas par
lui-même un élément déterminant permettant de résoudre la question de savoir si la
Communauté dispose d'une compétence exclusive pour conclure cet accord ou si la
compétence appartient aux États membres, question à laquelle une réponse doit être
apportée préalablement à la conclusion de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt
Commission/Danemark, précité, point 101).
I-1199
AVIS 1/03 DU 7. 2. 2006
131 Enfin, la base juridique sur laquelle sont fondées les règles communautaires et plus
particulièrement la condition relative au bon fonctionnement du marché intérieur
prévue à l'article 65 CE sont, en tant que telles, sans pertinence pour vérifier si un
accord international affecte des règles communautaires. La base juridique d'une
réglementation interne est en effet déterminée par la composante principale de
celle-ci, alors que la règle dont l'affectation est examinée peut n'être qu'une
composante accessoire de cette réglementation. La compétence exclusive de la
Communauté a pour objet, notamment, de préserver l'efficacité du droit
communautaire et le bon fonctionnement des systèmes institués par ses règles,
indépendamment des limites éventuelles prévues par la disposition du traité sur
laquelle les institutions se sont fondées pour adopter de telles règles.
133 Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu d'effectuer une analyse globale et
concrète en vue de vérifier si la Communauté dispose de la compétence pour
conclure un accord international et si cette compétence est exclusive. À cette fin,
doivent être pris en considération non seulement le domaine couvert tant par les
règles communautaires que par les dispositions de l'accord envisagé, pour autant
que celles-ci sont connues, mais également la nature et le contenu de ces règles et
dispositions, afin de s'assurer que l'accord n'est pas susceptible de porter atteinte à
l'application uniforme et cohérente des règles communautaires et au bon
fonctionnement du système qu'elles instituent.
I - 1200
AVIS RENDU EN VERTU DE L'ARTICLE 300, PARAGRAPHE 6. CE
1 3 5Le règlement n° 44/2001 a été adopté pour remplacer, entre les États membres à
l'exception du Royaume de Danemark, la convention de Bruxelles. Il s'applique en
matière civile et commerciale, dans les limites prévues par son champ d'application
tel que défini à l'article 1 er de ce règlement. L'objectif et les dispositions de celui-ci
étant repris, en grande partie, de ladite convention, il sera fait référence, en tant que
de besoin, à l'interprétation de cette convention par la Cour.
137 Si le texte résultant des travaux de révision des deux conventions susmentionnées
ainsi que les directives de négociation de la nouvelle convention de Lugano sont
connus, il importe de souligner qu'il n'existe pas de certitude quant au texte définitif
qui sera adopté.
I - 1201
AVIS 1/03 DU 7. 2. 2006
139 L'objet d'une règle de compétence des juridictions est de déterminer, dans une
hypothèse donnée, quelle sera la juridiction compétente pour connaître d'un litige.
Pour ce faire, la règle contient un critère permettant de «rattacher» le litige à la
juridiction qui sera reconnue compétente. Les critères de rattachement varient, le
plus souvent, en fonction de l'objet du litige. Mais ils peuvent également tenir
compte de la date d'introduction de l'action, de caractéristiques propres au
demandeur ou au défendeur, ou encore de tout autre élément.
140La pluralité des critères de rattachement utilisés par différents ordres juridiques
génère des conflits entre les règles de compétence. Ceux-ci peuvent être réglés par
des dispositions expresses de la loi du for ou par l'application de principes généraux
communs à plusieurs ordres juridiques. Il peut arriver également qu'une loi laisse au
requérant le choix entre plusieurs juridictions dont la compétence est déterminée en
raison de plusieurs critères de rattachement distincts.
112 Dans les accords internationaux conclus par les États membres ou la Communauté
avec des États tiers, ces règles de conflit de juridictions établissent nécessairement
des critères de compétence des juridictions non seulement des États tiers, mais aussi
des États membres et, par conséquent, portent sur des matières réglées par le
règlement n° 44/2001.
1 4 3Ce règlement, et plus particulièrement son chapitre II, a pour objet d'unifier les
règles de compétence des juridictions en matière civile et commerciale, non
seulement pour des litiges ayant un caractère intracommunautaire, mais également
pour ceux comportant un élément d'extranéité, dans l'objectif d'éliminer les
obstacles au fonctionnement du marché intérieur pouvant découler des disparités
des législations nationales en la matière (voir deuxième considérant du règlement
n° 44/2001 et, s'agissant de la convention de Bruxelles, arrêt du I e ' mars 2005,
Owusu, C-281/02, Rec. p. I-1383, point 34).
144 Ledit règlement contient un ensemble de règles formant un système global, qui
s'appliquent non seulement aux rapports entre différents États membres, dès lors
qu'elles concernent tantôt des procédures pendantes devant des juridictions de
différents États membres, tantôt des décisions rendues par des juridictions d'un État
membre en vue de leur reconnaissance et de leur exécution clans un autre État
membre, mais également aux rapports entre un État membre et un État tiers.
145 Statuant au sujet de la convention de Bruxelles, la Cour a à cet égard rappelé que
l'application des règles de compétence requiert un élément d'extranéité et que le
caractère international du rapport juridique en cause ne doit pas nécessairement
découler, pour les besoins de l'application de l'article 2 de la convention de
Bruxelles, de l'implication, en raison du fond du litige ou du domicile respectif des
I - 1203
AVIS 1/03 DU 7. 2. 2006
146 La Cour a par ailleurs constaté que les règles de la convention de Bruxelles en
matière de compétence exclusive ou de prorogation expresse de compétence sont
également susceptibles de s'appliquer à des rapports juridiques impliquant
uniquement un État contractant et un ou plusieurs États tiers (arrêt Owusu,
précité, point 28). Elle a également relevé, s'agissant des règles de la convention de
Bruxelles en matière de litispendance et de connexité ou de reconnaissance et
d'exécution, qui concernent des procédures pendantes devant des juridictions de
différents États contractants ou des décisions rendues par des juridictions d'un État
contractant en vue de leur reconnaissance et de leur exécution dans un autre État
contractant, que des litiges visés par de telles procédures ou décisions peuvent avoir
un caractère international impliquant un État contractant et un État tiers et avoir
suscité, pour ce motif, le recours à la règle générale de compétence énoncée à
l'article 2 de la convention de Bruxelles (arrêt Owusu, précité, point 29).
147 Il convient, dans ce contexte, de constater que le règlement n° 44/2001 contient des
dispositions réglant sa relation avec les autres dispositions du droit communautaire
existantes ou futures. Ainsi, son article 67 réserve l'application des dispositions qui,
dans des matières particulières, règlent la compétence judiciaire, la reconnaissance
et l'exécution des décisions et qui sont contenues dans les actes communautaires ou
dans les législations nationales harmonisées en exécution de ces actes. L'article 71,
paragraphe 1, dudit règlement réserve également l'application des conventions de
même objet que les précédentes dispositions auxquelles les États membres sont déjà
parties. A cet égard, il résulte du paragraphe 2, sous a), du même article, que le
règlement ne fait pas obstacle à ce qu'un tribunal d'un État membre, partie à une
I - 1204
AVIS RENDU EN VERTU DE L'ARTICLE 300, PARAGRAPHE 6, CE
I - 1205
AVIS 1/03 DU 7. 2. 2006
151 Il résulte ainsi de l'examen du seul règlement n° 44/2001 que, en raison du système
global et cohérent des règles de compétence qu'il prévoit, tout accord international
établissant également un système global de règles de conflit de juridictions tel que
celui élaboré par ce règlement serait susceptible d'affecter lesdites règles de
compétence. Il convient néanmoins de poursuivre l'analyse par l'examen de l'accord
envisagé, afin de vérifier si celui-ci corrobore cette conclusion.
153 Toutefois, si l'identité d'objets et de libellés entre les règles communautaires et les
dispositions de l'accord envisagé sont des éléments à prendre en considération lors
du contrôle de l'existence de l'affectation desdites règles par cet accord, ces éléments
ne peuvent, à eux seuls, démontrer l'absence de celle-ci. Quant à la cohérence
résultant de l'application des mêmes règles de compétence, elle n'est pas synonyme
d'absence d'affectation puisque l'application d'une règle de compétence prévue par
l'accord envisagé peut aboutir à la désignation d'une juridiction compétente autre
que celle qui aurait été désignée en vertu des dispositions du règlement n° 44/2001.
Ainsi, lorsque la nouvelle convention de Lugano contient des articles identiques aux
articles 22 et 23 du règlement n° 44/2001 et conduit sur cette base à la désignation
comme for compétent d'un État tiers partie à cette convention, alors que le
défendeur est domicilié dans un État membre, en l'absence de la convention, ce
dernier État serait le for compétent, alors qu'avec la convention, c'est l'État tiers.
155 Par ailleurs, ainsi que l'a relevé la Commission, une clause de déconnexion dans un
accord international de droit international privé a un caractère particulier et elle est
différente d'une clause de déconnexion classique. En l'espèce, l'objectif n'est pas de
préserver l'application du règlement n° 44/2001 chaque fois que cela est possible,
mais bien de régler de manière cohérente la relation entre ce règlement et la
nouvelle convention de Lugano.
157 Ainsi, l'article 54 ter, paragraphe 2, sous a), de la convention de Lugano prévoit que
celle-ci s'applique en tout état de cause lorsque le défendeur est domicilié sur le
territoire d'un État contractant à cette convention qui n'est pas membre de l'Union
européenne. Or dans le cas, par exemple, où le défendeur est une personne morale
qui possède une succursale, une agence ou un autre établissement sans personnalité
juridique dans un État membre, cette disposition peut affecter l'application du
règlement n° 44/2001, notamment de ses articles 9, paragraphe 2, pour les litiges en
matière de contrats d'assurances, 15, paragraphe 2, pour les litiges en matière de
contrats conclus par les consommateurs, ou 18, paragraphe 2, pour les litiges en
matière de contrats individuels de travail.
158Il en est de même des deux autres exceptions à la clause de déconnexion prévue par-
la convention de Lugano, à savoir, selon l'article 54 ter, paragraphe 2, sous a), in fine,
lorsque les articles 16 et 17 de cette convention, relatifs, le premier, aux
I - 1207
AVIS 1/03 DU 7. 2. 2006
160 Toutefois, il convient de souligner que, ainsi qu'il a été indiqué aux points 151 à 153
du présent avis, les dispositions principales de l'accord envisagé sont susceptibles
d'affecter le caractère global et cohérent des règles de compétence prévues par le
règlement n° 44/2001. Les exceptions à la clause de déconnexion ainsi que la
nécessité d'une présence communautaire lors des négociations, envisagée par
l'Irlande, ne sont que des indices de l'existence d'une affectation des règles
communautaires dans des circonstances déterminées.
162 La plupart des gouvernements qui ont soumis des observations à la Cour
soutiennent que les règles concernant la reconnaissance et l'exécution des décisions
en matière civile et commerciale constituent un domaine separable de celui des
règles de compétence, ce qui justifierait une analyse distincte de l'affectation des
règles communautaires par l'accord envisagé. À cet égard, ils font valoir que le
champ d'application du règlement n° 44/2001 est limité, dès lors que la
reconnaissance ne vise que des décisions rendues dans d'autres États membres, et
que tout accord ayant un champ d'application différent, dans la mesure où il
concernerait des décisions «étrangères à la Communauté», ne serait pas susceptible
d'affecter les règles communautaires.
I - 1209
AVIS 1/03 DU 7. 2. 2006
165 Par ailleurs, les dispositions d u règlement n° 44/2001 prévoient les possibilités de
conflits entre des décisions rendues entre m ê m e s parties par des juridictions
différentes. Ainsi, l'article 34, point 3, dudit règlement précise q u ' u n e décision n'est
pas reconnue lorsqu'elle est inconciliable avec u n e décision rendue entre les m ê m e s
parties dans l'État m e m b r e requis, tandis q u e le point 4 d u m ê m e article prévoit
q u ' u n e décision n'est pas reconnue lorsqu'elle est inconciliable avec u n e décision
r e n d u e antérieurement dans u n autre État m e m b r e ou dans u n État tiers entre les
m ê m e s parties dans u n litige ayant le m ê m e objet et la m ê m e cause, lorsque la
décision rendue antérieurement réunit les conditions nécessaires à sa reconnais-
sance dans l'État m e m b r e requis.
166 En outre, ainsi qu'il a été précisé au point 147 du présent avis, l'article 67 dudit
règlement règle la relation du système institué par celui-ci non seulement avec les
autres dispositions du droit communautaire existantes et futures, mais également
avec les conventions existantes affectant les règles communautaires relatives à la
reconnaissance et à l'exécution, que ces conventions contiennent des règles de
compétence ou des dispositions relatives à la reconnaissance et à l'exécution des
décisions.
167 En effet, s'agissant des conventions auxquelles les États membres sont parties, visées
à l'article 71 du règlement n° 44/2001, le paragraphe 2, sous b), de cet article prévoit,
à son premier alinéa, que «les décisions rendues dans un État membre par un
tribunal ayant fondé sa compétence sur une convention relative à une matière
I - 1210
AVIS RENDU EN VERTU DE L'ARTICLE 300, PARAGRAPHE 6, CE
168 Il ressort ainsi de l'examen du seul règlement n° 44/2001 que, en raison du système
global et cohérent qu'il instaure en ce qui concerne la reconnaissance et l'exécution
des décisions, un accord tel que l'accord envisagé, qu'il contienne des dispositions
relatives à la compétence des juridictions ou à la reconnaissance et l'exécution des
décisions, serait susceptible d'affecter lesdites règles.
170 L'article 26, premier alinéa, de cette dernière convention énonce le principe selon
lequel les décisions rendues dans un État contractant sont reconnues dans les autres
États contractants, sans qu'il soit nécessaire de recourir à aucune procédure. Un tel
principe affecte les règles communautaires, puisqu'il élargit le champ d'application
de la reconnaissance sans procédure des décisions judiciaires, augmentant ainsi le
nombre de cas dans lesquels seront reconnues des décisions rendues par des
juridictions d'États non membres de la Communauté, dont la compétence ne résulte
pas de l'application des dispositions du règlement n° 44/2001.
I - 1211
AVIS 1/03 DU 7. 2. 2006
171 S'agissant de l'existence d'une clause de déconnexion dans l'accord envisagé, telle
que celle figurant à l'article 54 ter, paragraphe 1, de la convention de Lugano, il
n'apparaît pas, ainsi qu'il résulte des points 130 et 154 du présent avis, que sa
présence puisse modifier cette constatation pour ce qui concerne l'existence d'une
compétence exclusive de la Communauté pour conclure ledit accord.
172 Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les règles communautaires relatives à la
reconnaissance et à l'exécution des décisions ne sont pas dissociables de celles
relatives à la compétence des juridictions, avec lesquelles elles forment un système
global et cohérent, et que la nouvelle convention de Lugano affecterait l'application
uniforme et cohérente des règles communautaires en ce qui concerne tant la
compétence judiciaire que la reconnaissance et l'exécution des décisions et le bon
fonctionnement du système global institué par ces règles.
173 Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que la Communauté a une
compétence exclusive pour conclure la nouvelle convention de Lugano.
Signatures
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