Déontologie en milieu professionnel – Automatique
Partie 1 - Cours 1
Plan du cours
Partie 1
- Cours 1 et 2 : Distinction entre éthique, déontologie et droit
Partie 2
- Cours 3 : Stratégies éthiques et argumentation – théorie et exercices
- Cours 4 : Repères philosophiques (Jean-Paul Sartre) et Développement durable et
Numérique responsable (ISIT)
Partie 3
- Cours 5 : Tensions entre éthique et innovation
- Cours 6 : Travail de groupe « voiture autonome »*
- Cours 7 : Poïesis, Praxis, Pratique sociale et repères philosophiques (John Stuart Mill)
– Présentation de groupe
- Cours 8 : Présentation de groupe et exercice sur la Responsabilité
- Cours 9 : Big Data
- Cours 10 : Big Data et IA
*Séance du 22 novembre. Le travail compte pour 4 points de la note finale sur 20.
Introduction
Qu’est-ce que la philosophie et quel rapport entretient-elle avec l’éthique ?
Trois attitudes par rapport à la philosophie
On peut légitimement se demander qu’est-ce que la philosophie et quelle est sa place dans ce
cours d’éthique et de déontologie ? En fait, il faut préalablement préciser qu’il n’existe pas
d’éthique sans philosophie. L’éthique est une discipline entièrement philosophique même si
elle s’est développée dans des horizons réflexifs très différents (on parle d’éthique
environnementale, d’éthique au travail, d’éthique à l’ère du numérique, d’éthique et du droit,
etc.). Qu’est-ce que donc la philosophie dans le rapport qu’elle entretient avec l’éthique ?
Pour répondre à la question qu’est-ce que la philosophie ?, commençons par noter brièvement
quelques attitudes que les individus ont par rapport à la philosophie :
1. La première attitude est celle des individus qui n’ont jamais lu des textes
philosophiques. Nous pouvons schématiquement la résumer de la façon suivante :
« Nous, nous ne connaissons rien à la philosophie. Ce n’est pas fait pour nous. C’est
pour des intellectuels spécialisés. C’est trop difficile. Et personne ne nous en a jamais
parlé : nous avons quitté l’école avant d’en faire ». La première attitude est donc celle
de la pure et simple ignorance. Il ne faut pas prendre cette observation dans un sens
péjoratif. Il s’agit de simplement noter et comprendre une attitude vis-à-vis de cette
discipline qu’est la philosophie.
2. La deuxième attitude n’est pas celle d’un ignorant. La deuxième attitude est celle des
individus qui ont eu des contacts avec la philosophie, mais qui n’ont pas compris son
utilité. On peut résumer cette attitude de la manière suivante : « Oui, nous avons fait
notre classe de philosophie. Mais c’était trop abstrait. Le professeur connaissait son
affaire, mais il était obscur. Nous n’en avons rien retenu. Et, d’ailleurs, à quoi peut bien
servir la philosophie ? ».
3. Notons enfin une troisième attitude. Il s’agit, cette fois, des personnes qui ont aimé la
philosophie, mais n’ont pas du temps pour la pratiquer : « Pardon ! La philosophie m’a
beaucoup intéressé. Il faut dire que nous avions un professeur passionnant. Avec lui,
on comprenait la philosophie. Mais depuis, j’ai dû gagner ma vie. Alors, que voyez-
vous, les journées n’ont que 24 heures : j’ai perdu le contact. C’est dommage ».
Ce qui est intéressant à noter dans toutes ces attitudes, c’est que ces personnes ne
s’identifient pas aux philosophes ou ne se considèrent pas comme étant des philosophes.
Selon eux, la philosophie s’identifie à l’enseignement de la philosophie. Les philosophes sont
les enseignants de philosophie.
Mais en quoi consiste le travail des enseignants de philosophie ? Que font les enseignants de
philosophie ? Eh bien, les enseignants de philosophie lisent et relisent des textes
philosophiques. Cela peut paraître un peu étonnant, mais il n’empêche que, le plus souvent,
le travail des enseignants de philosophie, quand ils ne donnent pas des cours, consiste dans
des lectures et relectures interminables des textes philosophiques. On peut le dire un peu
autrement : le travail des professeurs de philosophie est d’interpréter les textes
philosophiques afin de mieux les comprendre. Cela peut paraître étonnant et même étrange,
mais c’est ainsi que travaillent la plupart des enseignants de philosophie. Je dis que c’est
étonnant parce que jamais un professeur de mathématique ou de physique, ne relira
perpétuellement un Traité de Mathématique ou de Physique. Ils donnent des connaissances,
ils les expliquent ou les démontrent, un point, c’est tout, on n’y revient pas.
La pratique de la philosophie consiste en ce qu’elle revient interminablement aux textes.
Pourquoi ? C’est qu’une œuvre philosophique ne livre pas son sens, son message, à une seule
lecture ; elle est surchargée de sens, elle est par nature inépuisable et comme infinie, elle a
toujours du nouveau à dire pour qui sait l’interpréter. La pratique philosophique n’est pas
simple lecture, ni même démonstration. Elle est interprétation et méditation : elle veut dire
aux grandes œuvres ce qu’elles veulent dire, ou peuvent vouloir dire, dans la Vérité insondable
qu’elles contiennent. Les lectures et interprétations sont infinies, car nous sommes également
tous des singularités qui lisons avec notre bagage de vie.
L’étymologie du mot philosophie
Nous avons vu ce qui pouvait déjà caractériser la démarche philosophique en tant
qu’interprétation de textes philosophiques. Attardons-nous maintenant sur le sens premier
grec de la philosophie : philo-sophia veut dire, d’un point de vue étymologique, amour de la
sagesse.
Dans le célèbre texte Le Banquet de Platon, le philosophe est comparé à l’Amour. Le vrai
philosophe, amoureux de la sagesse, tentera d’approcher celle-ci en la poursuivant toute sa
vie. Cela tient au fait de la distance incommensurable qui règne entre un être fini et un savoir
infini car, nous l’avons vu, la philosophie est liée à la notion d’infini notamment par l’infinité
de lectures possibles d’un texte philosophique. « C’est dans cette prise de conscience de
l’impossibilité d’une union, pourtant constamment recherchée, avec la sagesse infinie que
consiste l’élan guerrier et amoureux du philosophe. (…) L’essence de la philosophia réside
dans la capacité de garder toujours en vie l’amour de la sagesse. »1
Adopter l’attitude d’un chercheur de la vérité, c’est faire montre d’une ouverture perpétuelle.
« En effet, celui qui est sûr de détenir la vérité n’a plus besoin de la chercher, il ne ressent plus
la nécessité de dialoguer, d’écouter l’autre, de se confronter authentiquement à la variété du
multiple. Seul celui qui aime la vérité peut la rechercher constamment. Voilà pourquoi le doute
n’est pas l’ennemi de la vérité, mais un aiguillon qui nous incite continuellement à la
rechercher. »2 Le doute est ce qui peut permettre la tolérance. « Seules la conscience d’être
destinés à vivre dans l’incertitude et la capacité de se considérer humblement comme des
êtres faillibles nous permettent de concevoir une rencontre authentique avec les autres, avec
ceux qui pensent d’une manière différente.3
(…) Et voilà pourquoi ceux qui nient l’idée d’une vérité absolue ne doivent pas être considérés
comme des nihilistes : situés à égale distance des dogmatiques (qui croient posséder la vérité
absolue) et des nihilistes (qui nient l’existence de la vérité), ils aiment tant la vérité qu’ils sont
continuellement à sa recherche. »
L’exemple de Platon et Aristote, tous deux amis, est révélateur de ce qu’est la démarche
philosophique. « Leur préoccupation commune du Bien les unissait ; leur désaccord à son sujet
prouvait qu’ils avaient besoin l’un de l’autre pour le comprendre. »4
Hegel, philosophe allemand du 19e siècle, nous dira que toute idée contient sa propre
contradiction. Et nous avons besoin de la confrontation avec autrui pour prendre conscience
de celle-ci. Cette prise de conscience nous permettra d’avancer en perfectionnant notre idée,
voire en transformant celle-ci. Le développement d’une idée se fait suivant une dissertation
1
Nuccio ORDINE, L’Utilité de l’inutile, Paris : Pluriel, 2016, p. 151-152.
2
Nuccio ORDINE, L’Utilité de l’inutile, Paris : Pluriel, 2016, p. 159.
3
Nuccio ORDINE, L’Utilité de l’inutile, Paris : Pluriel, 2016, p. 160.
4
Allan BLOOM, L’Âme désarmée, Paris : Les Belles Lettres, 2021, p. 494.
thèse-antithèse-synthèse. Il y a la thèse : l’idée directrice. Puis la rencontre de l’antithèse : la
contradiction. Et enfin, le dépassement de la contradiction des deux premiers termes : la
synthèse. Celle-ci devient, au bout d’un certain temps, une nouvelle idée directrice, une
nouvelle thèse. Et le mouvement recommence.
L’homme a une opinion. Il est ensuite confronté à une opposition. Et au final, il apprend de
ses erreurs. Le cycle de l’apprentissage peut recommencer. Le philosophe tâche de vivre selon
cette démarche dialectique dans le déploiement de ses idées. C’est l’erreur rectifiée qui
permet de connaître. Le philosophe est attentif au fait d’apprendre de ses erreurs. A l’image
du scientifique qui, s’il ne rencontre pas de problème, ne se heurte pas à l’échec de sa
première intuition, ne trouvera jamais rien. Avec une expérience réussie on n’apprend pas
grand-chose. Parce que tout simplement on pourra faire par la suite une expérience ratée qui
invalidera notre théorie. On apprend donc plus avec une expérience ratée qu’avec une
expérience réussie.
Pour exprimer concrètement ce qu’est la philosophie, on peut dire ceci : « Philosopher, c’est
être curieux de tout, de l’autre, de ce qui est différent. C’est s’étonner de ce qui nous entoure,
de ce qui nous arrive. C’est donc aussi apprendre à questionner, à sortir des sentiers battus et
à interroger les idées toutes faites. En somme, philosopher, c’est réfléchir par soi-même et
exercer son esprit critique. »5
Par ailleurs, toute question philosophique, même dans sa plus grande simplicité, comporte un
enjeu universel. C’est toujours une question ouverte, susceptible de susciter une infinité de
réponses. Elle nécessite une prise de distance et de réflexion et pousse à l’argumentation.
Ces éléments descriptifs de ce qu’est la philosophie nous montrent en quoi l’éthique repose
sur le questionnement philosophique. Philosopher, c’est exercer son esprit critique, et celui-
ci est à la base de toute réflexion éthique. L’éthique peut, en effet, être infiniment débattue
comme nous allons le voir. De plus, la question éthique est une question philosophique, car
elle s’interroge sur les fondements universels du « bien agir ».
5
Jérôme VERMER, Anne-Lise COMBEAUD et Jean-Philippe THIVET, Philocomix tome 1, Paris : Editions Rue de
Sèvres, 2017, p. 5.
L’éthique et la morale
Qu’est-ce que l’éthique ? Quelle distinction entre l’éthique et la morale ?
Approfondissons la question « Qu’est-ce que l’éthique ? » et voyons ce qui distingue celle-ci
de la morale.
Pour certains auteurs, on ne peut pas distinguer conceptuellement l’éthique de la morale,
comme s’il existait une « essence », une définition unique et spécifique de chacun de ces deux
termes. Une philosophe comme Monique Canto-Sperber montre, d’ailleurs, que la volonté de
séparer ces deux termes est assez récente, une quarantaine d’années tout au plus. Ces deux
termes, l’un d’origine grecque, l’autre latine, renvoient tous deux à l’idée de mœurs.
Néanmoins, même si l’étymologie ne l’impose pas, il peut être utile de poser une distinction
entre ces termes, à condition de bien l’expliciter. C’est ce que fait le philosophe Paul Ricoeur :
« Faut-il distinguer morale et éthique ? A vrai dire, rien dans l’étymologie ou dans l’histoire de
l’emploi des termes ne l’impose. L’un vient du grec, l’autre du latin ; et les deux renvoient à
l’idée intuitive de mœurs (ethos, mores) ; on peut toutefois discerner une nuance, selon que
l’on mette l’accent sur ce qui est estimé bon ou sur ce qui s’impose comme obligatoire. C’est
par convention que je réserverai le terme d’« éthique » pour la visée d’une vie accomplie sous
le signe des actions estimées bonnes et celui de « morale » pour le côté obligatoire, marqué
par des normes, des obligations, des interdictions caractérisées à la fois par une exigence
d’universalité et par un effet de contrainte.
On reconnaîtra aisément dans la distinction entre visée de la vie bonne et obéissance aux
normes l’opposition entre deux héritages : l’héritage aristotélicien, où l’éthique est
caractérisée par sa perspective téléologique (de telos, signifiant « fin ») ; et un héritage
kantien, où la morale est définie par le caractère d’obligation de la norme, donc par un point
de vue déontologique (déontologique signifiant précisément « devoir ») »6
Ethique Morale
- est estimé bon - s’impose comme obligatoire
- visée d’une vie accomplie sous le - côté obligatoire, normes,
signe des actions estimées bonnes interdiction, exigence d’universalité
- téléologique et effet de contrainte
- déontologique
6
Paul RICOEUR, « Ethique et morale » in Lectures 1, Autour du politique, Paris : Seuil, 1991, p. 258.
Ainsi, l’éthique cherche à saisir le fondement de l’action menant vers une vie meilleure.
Comment cela est-il possible ?
1. Attention à soi-même. L’éthique est impossible si on s’ignore soi-même. En effet, il est
impossible d’entrer en contact avec les autres si nous n’entretenons aucun contact
avec nous-même. Pour établir une relation avec les autres, il faut pouvoir se maîtriser
et entretenir un bon rapport avec soi-même. Rappelons-nous de ce grand mot du
Lévitique : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».
2. Le respect de la liberté d’autrui. Respecter autrui — c’est-à-dire « traiter autrui comme
une fin en soi et non pas seulement comme un moyen » — c'est vouloir que ta liberté
ait autant de place sous le soleil que la mienne. Je pense que toi aussi, comme moi, tu
agis, tu penses, tu es capable d'initiative, de donner des raisons pour tes actes, de faire
des projets à longue distance, de composer le récit de ta propre vie.
Attardons-nous sur la pensée d’Aristote et de Kant qui ont mené à ces interprétations des
termes « éthique » et « morale ».
Aristote
Né à : Stagire
Nationalité : Grec
Dates : 384-322 av. J.-C.
Contexte :
Aristote, surnommé le Stagirite, est issu d’une famille plutôt bien lotie. En 367, il débarque à
Athènes et s’inscrit à l’Académie pour y suivre les cours de Platon. De loin, l’un des meilleurs
éléments, Aristote devient tout naturellement l’assistant du maître Platon. Il y enseigne
jusqu’à la mort de celui-ci en 347. Quelques années plus tard, après avoir un peu voyagé, il
devient précepteur d’Alexandre, le fils de Philippe II, roi de Macédoine, le futur Alexandre le
Grand.
En 335, Aristote revient à Athènes et fonde le Lycée qu’il dirigera jusqu’à sa mort en 322.
Œuvres-clés :
- Logique
- Physique
- La Métaphysique
- Ethique à Nicomaque (Aristote la destine à son fils ou à son père, tous deux s’appelant
Nicomaque)
- Politique
Pensée d’Aristote et terme « éthique »
Précepte 1 : L’expérience est toujours tendue vers un accomplissement.
Tout acte tend vers une fin. Et à Aristote de noter : « Du fait qu’il y a des actes, des arts et des
sciences multiples, il y a également des fins multiples : la santé est la fin de la médecine ; le
navire, la fin de la construction ; la richesse, la fin de la science économique […] ».
Cependant, il existe une hiérarchie des sciences : les sciences particulières sont subordonnées
à une science maîtresse (ou architectonique). Par exemple, les sciences des chevaux et des
armes sont subordonnées à la science militaire.
De même, il y a une hiérarchie des fins : certaines visent d’autres fins, qui visent à leur tour
d’autres fins, etc. Quand on parle de « fin », il faut donc aussi distinguer les fins
architectoniques de toutes les autres fins. Par exemple, on peut s’exercer de longues périodes
à tirer. La fin sera le fait de pouvoir se servir d’une arme à feu. Cependant, cette fin-là sera
subordonnée, parmi d’autres, à une fin supérieure, celle de gagner la guerre.
Ceci dit, il doit bien y avoir une fin suprême, sinon nous nous perdrions dans l’infini et nous
voudrions sans jamais rien vouloir. Cette fin, c’est le Bien suprême, autrement dit le bonheur.
Si vous demander à quelqu’un pourquoi au final il fait tout ce qu’il fait, il dira : « pour être
heureux ».
Précepte 2 : Aristote nous dit que les finalités de tous ces actes s’articulent autour d’une fin
dernière qui est le Bien suprême. Celui-ci n’est autre que le bonheur.
Si nous parvenons à saisir ce qu’est le bonheur, nous saurons ce qu’il convient de faire. Dès
lors, qu’est-ce que le bonheur ? Ou, autrement dit, comment devenir heureux ?
Pour Aristote, le bonheur (le Bien) est la fin la plus parfaite, celle qui supplante toutes les
autres. Il s’agit de la fin choisie pour elle-même, jamais en vue d’autre chose. Alors que
l’honneur, le plaisir, l’intelligence sont des biens que nous choisissons pour eux-mêmes mais
en espérant, par leur intermédiaire, devenir heureux, l’inverse n’est pas pensable, c’est-à-dire
l’idée selon laquelle le bonheur serait visé, par exemple, parce qu’il nous procurerait les
honneurs. Le bonheur n’est pas quelque chose qui me permettra ensuite d’accéder à autre
chose.
Par ailleurs, comme le bonheur est le Bien suprême, architectonique, celui qui est visé par-
delà les autres biens, il ne peut être que de l’ordre de l’humain. On ne voit pas un animal
construire un habitat en vue, ensuite, d’y être heureux avec toute sa petite famille. (Attention
ici, ceux qui objecteraient qu’un animal peut aussi être heureux confondent bonheur et
plaisir.)
Le bonheur étant donc le propre de l’homme, il n’est pas à rechercher au sein des activités qui
caractériseraient également d’autres êtres que lui. Exemple : se nourrir, croître (en tant que
simple fait de vivre). On pourrait aussi penser aux sensations, mais celles-ci sont également
l’apanage du cheval, du bœuf… Le bonheur serait plutôt à chercher du côté de la « partie
rationnelle » de l’âme, c’est-à-dire du côté de la vertu.
Précepte 3 : Le bonheur a trait à l’éthique, à la vertu.
Le bonheur est synonyme de bien-vivre et de bien-agir. Il est de l’ordre de la vertu. C’est
pourquoi nous parlons d’éthique.
L’éthique est comprise par Aristote comme la visée et le projet d’une expérience bonne et
réussie. L’éthique est tendue vers le bonheur. On dit, dès lors, d’Aristote qu’il inscrit l’éthique
dans une perspective téléologique. Du fait de cette perspective téléologique, l’éthique est
toujours une quête en avant. C’est en cela que, comme nous l’indiquions plus haut, l’éthique
peut être infiniment débattue. Elle a trait à l’universel.
Le mot éthique vient de « comportement », manière de vivre et d’agir. Précisons ce qu’est
l’éthique selon Aristote : l’existence humaine présente un caractère infini puisqu’elle est à
chaque fois perpétuée et renouvelée à travers la vie inédite de chaque individu. L’existence
est en tant que telle infinie, l’éthique l’est donc aussi. L’éthique, dès lors, peut être l’objet d’un
nombre infini de questions. Elle peut et sera toujours questionnée, et cela, tant qu’il y aura
des hommes. Le lien qui unit intimement éthique et existence réside dans le questionnement
éthique qui sous-tend directement ou indirectement toute pratique ou tout discours humain :
comment vivre, comment bien vivre ?
L’éthique est un engagement, un engagement envers soi, une prise de position envers ce qui
est tenu comme « bon », « valable », « sensé », et qui nous concerne de façon essentielle,
individuellement et collectivement. Une réalité éthique est toujours une prise de position de
l’existence envers elle-même.
Dès lors, la question « qu’est-ce que le bonheur ? » laisse place à une nouvelle question :
qu’est-ce que la vertu ? (ou comment être vertueux ?).
Aristote fait remarquer que la vertu n’a de réalité qu’en acte. On n’est vertueux que si
concrètement on agit selon des principes éthiques (et non si on se contente de les professer)
: de même qu’aux Jeux Olympiques, ce ne sont ni les plus beaux, ni les plus forts qui obtiennent
la couronne, mais ceux-là seuls qui prennent part aux compétitions – de même ce sont ceux
qui dans la vie agissent comme il faut qui deviennent dans la vie possesseurs du Beau et du
Bien.
Précepte 4 : la vertu vise le juste milieu.
Ces actions vertueuses sont celles qui visent le « juste milieu ». Pas d’excès ni dans un sens
comme dans l’autre. Ne pas se priver de manger, ne pas se goinfrer. Ne pas dormir trop, ni
trop peu. « Courage, tempérance, prudence, libéralité, grandeur d’âme, débonnaireté,
douceur forment les traits de caractère du sage aristotélicien. »7
Attention, le juste milieu n’est pas un simple compromis. Le juste milieu est la perfection. Ce
à quoi on ne doit rien ajouter ni ôter. Par exemple, quand l’on dit que le courage est le juste
milieu entre la témérité et la lâcheté, on ne signifie pas qu’il est « absence de crainte » mais
plutôt son affrontement. La tempérance est, quant à elle, le juste milieu entre l’insensibilité
humaine et la débauche.
Précepte 5 : Parmi les vertus, il y en a une plus noble que les autres : la justice.
C’est la vertu de la relation avec les autres ; elle consiste à attribuer à chacun ce qui lui revient.
Précepte 6 : L’éthique suppose responsabilité. Elle voit donc son accomplissement dans la
vie sociale, dans la politique. La recherche du Souverain Bien relève de la politique.
La vertu, comme juste milieu, ne peut s’enseigner. Elle est une disposition acquise par
l’expérience et l’habitude. Elle suppose volonté et responsabilité.
Chez Aristote, la vie responsable n’est possible que dans la cité parce que l’homme est
naturellement fait pour vivre en communauté : « c’est un animal politique » et la cité est la
forme la plus haute de la vie sociale. Autrement dit, faire du bonheur une activité liée à la
vertu mène Aristote à penser que la fin de la Politique est la fin suprême.
Conclusion : Aristote nous montre qu’une vie heureuse relève de la vertu et donc de l’éthique.
Cependant, il ne nous donne pas de règles pour agir bien. Les règles relèvent de la morale.
Revenons donc sur le terme « morale » :
La morale définit les règles pratiques qui régissent l’action des individus.
1/ Voici comment est définie la morale dans le Petit Larousse de 1990: « Ensemble des règles
d’action et des valeurs qui fonctionnent comme normes dans une société ».
2/ André Lalande souligne que la morale « est un ensemble des règles de conduite admises à
une époque ou par un groupe d’hommes » (Vocabulaire critique et technique de la
philosophie, Puf, 2010).
7
http://la-philosophie.com/aristote-ethique-nicomaque
3/ Eric Weil, lui aussi, soutient que « La morale apparaît d’abord, et légitimement, comme le
système des règles que l’homme suit (ou doit suivre) dans sa vie aussi bien personnelle que
sociale (Encyclopaedia Universalis).
Quelles sont ces règles morales régissant l’action des individus ?
1. La règle d’universalisation. Pensons à quelques exemples : 1.a « Si tout le monde
mentait comme moi, la société pourrait-elle encore exister ? ». Non. 1.b « Si tout le
monde peut voter comme moi, la société subsisterait-elle ? ». Oui. Par conséquent : si
ma règle individuelle peut devenir universelle (=être valable pour tous), alors elle
devient une règle morale. (Nous allons développer ce point-là avec Kant ci-dessous.)
2. La règle de l’interdiction. Il est impossible de concevoir une morale sans l’interdit. Par
exemple, on peut penser à l’interdit « tu ne voleras pas » ou « tu ne tueras pas ».
3. Tenir compte des règles précédentes (la tradition, la culture). On ne peut pas inventer
des règles radicalement nouvelles sans tenir compte de celles qui nous précèdent.
Nous nous inscrivons dans le cadre d’une tradition que l’on peut changer, mais que
l’on doit surtout respecter.
Emmanuel Kant
Né à : Königsberg (Prusse-Orientale)
Nationalité : Allemand
Dates : 1724-1804
Contexte
Kant est un philosophe des Lumières. Il écrit d’ailleurs un essai qu’il intitule Qu’est-ce que les
Lumières ?
Selon lui, l’homme doit sortir de l’ « immaturité » dans laquelle il se complait en laissant
d’autres que lui lui indiquer ce qu’il doit penser. L’individu doit penser par lui-même ! Il doit
exercer son entendement, seule façon pour lui d’être un être libre, autonome et responsable.
Œuvres-clés
Critique de la raison pure (1781)
Critique de la raison pratique (1788)
Critique de la faculté de juger (1790)
La morale selon Kant
Pour comprendre la morale kantienne, il nous faut nous attarder sur ce qu’il nomme
l’impératif catégorique qu’il formule comme suit :
« Agis toujours de telle sorte que la maxime de ton action puisse être érigée en loi universelle. »
Précepte 1 : L’idéal de bonheur est à envisager au cas par cas. Il dépend de chacun. Une chose
est sûre et universelle, c’est que nous recherchons tous le bonheur. Mais il en est une autre,
également universelle, c’est qu’il y a autant de bonheurs qu’il y a d’individus.
Précepte 2 : A cette difficulté pour cerner ce qu’est le bonheur et comment y parvenir,
s’ajoute un obstacle pratique : les attentes et les désirs des uns et des autres étant
contradictoires, si chacun ne recherchait que son propre bonheur, il en résulterait des
conflits permanents, ce qui anéantirait toute chance de bonheur.
A la recherche du bonheur il faut donc préférer le fait d’agir (tout au long de sa vie) avec
bonne volonté et avec pour fin le bonheur d’autrui.
Précepte 3 : Même s’il n’y a pas de recette toute faite pour aider les autres à parvenir au
bonheur, il faut néanmoins se faire un devoir de les y aider. Il faut se faire un devoir de
rechercher le bonheur pour les autres. De ce devoir accompli, l’homme peut, par ailleurs, se
retrouver dans un état de contentement qui lui procure un certain respect pour lui et un
certain bien-être. Il faut cependant que son action soit désintéressée. C’est le devoir qui
prime sur le bonheur personnel qui en résultera.
C’est ici qu’il faut s’attarder sur les notions suivantes : acte moral, bonne volonté, devoir,
impératif catégorique.
Précepte 4 : La notion primordiale émergeant de cette importance accordée au devoir est
celle de bonne volonté. La bonne morale relève de la bonne volonté. Les talents, les traits de
caractère que nous avons ne sont pas bons en tant que tels. On peut être courageux et se
servir de ce courage en vue d’objectifs malveillants. Seule la bonne volonté n’a de valeur pour
elle-même. En deux mots : une volonté bonne est une volonté qui entraîne une action
accomplie par devoir.
Précepte 5 : C’est le devoir qui prime dans une action. Lorsque nous agissons pour l’autre, par
exemple, il faut le faire de façon totalement désintéressée. Par exemple : Lorsqu’on rend un
service à quelqu’un, il ne faut pas le faire en espérant la reconnaissance mais plutôt de
manière gratuite, juste pour rendre service. Il faut considérer autrui toujours comme une fin,
jamais comme un moyen (dont le bonheur satisferait l’un de nos désirs par exemple). C’est le
devoir qui doit animer notre action et non pas l’espoir d’en tirer profit. Kant dira que le devoir
ne rend pas heureux. Il rend digne de l’être. Tout est dit.
Agir de façon vertueuse, cela signifie dépasser nos inclinations et nos désirs les plus bas. Cela
relève d’un véritable contrôle de soi. Cela n’est pas naturel en tant que tel.
Précepte 6 : Le véritable devoir est universel. Il ne dépend pas de contingences liées à nos
intérêts, nos envies, nos problèmes personnels. Le devoir est accompli pour lui-même. Le
véritable devoir est distinct de tout mobile sensible. Il commande absolument, toujours et
partout. Kant parle ici de l’impératif catégorique. Celui-ci prend la forme de la loi morale et
s’énonce comme suit : « Agis de telle sorte que la maxime de ta volonté puisse toujours valoir
en même temps comme principe d’une législation universelle ». (Critique de la raison pratique)
En gros, lorsque tu agis, imagine comment tournerait le monde si l’ensemble de l’humanité
agissait comme toi. Il faut agir comme si son action pouvait être érigée en loi universelle. En
somme, pour savoir cela, il faut se servir de sa raison. C’est avec la raison que l’on peut définir
quel est son devoir.
Pour qu’une action soit considérée comme morale, il faut qu’elle soit accomplie
indépendamment de toute contingence extérieure, de tout particularisme. Il faut donc que la
volonté soit autonome, c’est-à-dire universelle, absolue. La volonté doit être indépendante
de tout affect. Par exemple : deux personnes se noient. Choisir de sauver l’une plutôt que
l’autre uniquement parce que la première est une personne proche et l’autre pas, n’est pas
agir suivant la bonne volonté (autonome par rapport aux particularités de la situation). Il faut
agir comme si chaque individu était le représentant du genre humain.
Conclusion : On voit donc ici à travers l’impératif catégorique qu’il s’agit, pour Kant, d’agir
selon des règles morales. Seules celles-ci peuvent assurer une paix relative entre les
hommes.
Ethique et morale: quel rapport entre les deux?
A la différence de l’éthique, la morale définit les règles qui régissent l’action. De fait, l’éthique
réfléchit sur les fondements de l’action humaine sans déterminer plus précisément les règles
de l’action. Celles-ci sont donc définies par la morale.
A partir de cette observation, on notera que l’éthique se rapporte à la morale comme
l’universel se rapporte au particulier. Autrement dit, l’éthique réfléchit la forme universelle de
l’action, alors que la morale détermine le contenu concret de l’action. La forme et le contenu
sont deux niveaux complémentaires. C’est pourquoi l’éthique complète la morale et vice-
versa.