Atlas des lieux sacrés
Atlas des lieux sacrés
Atlas des lieux sacrés
LE MONT FUJI
Le mont Fuji, c’est la beauté même, la beauté pure, celle d’une nature sauvage
restée inviolée, comme gardée par les dieux, une nature rappelant l’origine de
la planète Terre.
D’un seul coup, au détour d’un chemin, sa masse surgit. Mais pas n’importe
laquelle : une montagne dont les flancs s’étalent très largement de chaque
côté dans une symétrie parfaite autour d’un axe invisible, mais bien réel. Une
masse immobile qui, par cette étonnante géométrie, semble à peine posée sur
le sol, presque en lévitation, pouvant à tout moment s’élever au-dessus des
cinq lacs situés au nord. Au sommet, une neige éternelle, ou presque, d’autant
plus blanche qu’elle se découpe sur un fond d’un bleu pur au meilleur
moment de l’année, sur le ciel du Japon, « le pays du Soleil-Levant ».
Surpris par une telle beauté, le voyageur ne peut pas en détacher son regard.
S’il tourne la tête dans un effort, une force le ramène à la contemplation de
cette montagne magique, comme hypnotisé, à la limite de l’envoûtement.
« Une merveille ! » s’entend-il se dire à lui-même, se murmurer à son oreille
dans un souffle, se prenant à témoin. Son exclamation, comme à peine
étouffée, l’ouvre à une interrogation intérieure, à une méditation sur ce qu’il
est en train de vivre, dans l’instant présent, faisant de lui, simple passant, un
pèlerin à la recherche d’une vérité. Il est profondément secoué par une
émotion jamais ressentie dont il ne sait d’où elle vient.
La beauté du mont Fuji est de l’ordre du sacré, comme tout ce qui est beauté, à
commencer par celle de la nature lorsqu’elle se révèle dans toutes les
variations de ses plus belles splendeurs. De par la masse de cette montagne
qui n’exclut pas son élégance, ni sa majesté, ni sa grâce, bien au contraire, elle
suscite chez le voyageur l’idée de l’infini. Un choc qui ne peut que le renvoyer
à sa finitude. Lui est mortel. Il aurait voulu ne pas ressentir ce sentiment
inquiétant, habitué dans le train-train quotidien de sa vie à mettre sous le
boisseau les interrogations qui le dérangent le plus, comme celles sur la mort.
Le grandiose du mont Fuji semble échapper au temps depuis les origines et
amplifie la vibration de sa beauté jusqu’aux entrailles du voyageur ; il le
plonge inévitablement dans ce sentiment de petitesse de l’homme, dans un
espace-temps qui lui est imposé. Un mystère qui, dans ce présent, se donne à
voir.
Face à la beauté du mont Fuji, le voyageur qui n’était qu’un spectateur en
arrivant ne l’est plus en quelques secondes. Dans une constante errance entre
l’imaginaire et le réel, face à cette révélation d’un beau qui dépasse les
frontières des cultures, il est alors invité à assumer une vérité existentielle, sa
propre vérité, celle d’être simplement ce qu’il est. Dans sa fragilité. Dans sa
redoutable solitude. Mais aussi, peut-être, dans une assomption de lui-même
pour une liberté qui reste à apprivoiser.
La beauté du mont Fuji ébranle le voyageur devenu pèlerin d’une vérité à
découvrir ; elle l’engage plus encore dans sa réflexion sur son rapport au
monde et à lui-même. Dans sa méditation qui devient contemplation, ne
provoque-t-elle pas l’irruption du transcendant ? Le sentiment de finitude
qu’il suscite chez lui ne cache-t-il pas celui de l’infini de Dieu, si Dieu existe ?
La transcendance derrière l’immanence ? Son mystère ne le renvoie-t-il pas à
celui de la vie et, plus, à celui de Dieu ? Terrible mystère, alors ! La beauté du
mont Fuji devient une porte du sacré ; elle provoque un dialogue singulier
entre l’homme, ce voyageur en quête de sens, et Dieu ou ce qui nommerait le
divin.
Selon la religion shintoïste, la plus ancienne du Japon, la vraie histoire du
mont Fuji serait une réponse à la question que se pose le pèlerin sur la vérité
de son destin. Les kami gouverneraient le monde visible et invisible depuis
cette montagne sacrée. Au Japon, ils seraient huit millions, un nombre
signifiant l’infini. En tant que divinités ou esprits, ils peuvent être d’anciens
chefs puissants, comme de précédents empereurs. Dans la croyance,
l’existence des kami ne peut se distinguer de la nature, ils sont présents dans
les montagnes, les arbres, la roche, les sources et autres éléments naturels,
mais ils vivent cachés des humains, dans un monde parallèle. Ils sont redoutés,
car leur influence peut être positive ou négative. Selon les bouddhistes
shugendô – une tradition spirituelle millénaire japonaise où la relation entre
l’homme et la nature est primordiale –, le mont Fuji serait la frontière avec
l’invisible. La secte shinto organise des pèlerinages jusqu’au sommet. Mais,
pour ne pas perturber les kami, l’ascension de la montagne (le sommet est à 3
776 mètres d’altitude, le point culminant du Japon) n’est autorisée dans
l’année que pendant deux mois, les divinités se retirant dans les entrailles du
volcan. Le nom de cet ancien volcan pourrait venir de Fuchi, la déesse du Feu.
INDE • 25° 32’ N - 83° 11’ E
LE GANGE
Varanasi (ex-Bénarès) est le plus saint des lieux saints de l’hindouisme. Dans
toute sa majesté, le Gange y coule ; c’est le fleuve sacré d’Inde. Chaque année,
des millions de pèlerins s’y précipitent dans un immense désordre illustrant
l’impressionnante ferveur, à la mesure du besoin de se purifier de ses fautes.
La déesse vivante Ganga y veillerait.
Dans la religion hindouiste, l’eau a le pouvoir de purification, lieu de passage
entre ce monde et celui des dieux, entre aussi la vie et la mort, la mort faisant
partie de la vie. Cette spiritualité qui accorde un tel symbolisme à l’eau se
retrouve dans bien d’autres religions : selon les Évangiles, Jean le Baptiste
baptisa Jésus dans l’eau du Jourdain.
Les hindous veulent aussi que, une fois mort, le corps du défunt soit
transporté à Varanasi pour y connaître sa dernière existence, mettant fin au
cycle des réincarnations (le samsara) une fois pour toutes et s’en libérant
définitivement (le moksha, c’est-à-dire la délivrance). Enveloppés dans des
tissus aux vives couleurs, les cadavres sont incinérés sur des bûchers, les
cendres dispersées dans le fleuve.
Environ tous les douze ans – la date étant fixée en fonction du positionnement
de certains astres –, de gigantesques rassemblements religieux, sans doute les
plus importants au monde, se tiennent à tour de rôle dans l’une des quatre
autres villes religieuses traversées par le Gange : Haridwar, Prayagraj, Ujjain et
Nashik. C’est la Kumbha Mela. Selon la tradition, les personnes ayant
récemment perdu un parent se font raser la tête. Les croyants posent sur l’eau
des feuilles de bananier sur lesquelles se trouvent des fleurs ou des bougies,
pour une mystérieuse symphonie.
Le voyageur ne peut que ressentir, mêlée peut-être à d’autres sentiments
propres à sa sensibilité, une extrême émotion.
L’histoire du Gange est celle du roi Himavant qui, cherchant la prospérité
pour la terre, implora la déesse Ganga. Il fut exaucé, et la déesse mit les flots
du Gange dans la chevelure d’un dieu, Shiva. Ce dernier libéra ensuite le
fleuve de ses cheveux.
Le Gange est un des plus importants fleuves du monde, notamment en raison
de son débit. Long de 2 500 ou 3 000 kilomètres selon les sources, il prend sa
source au glacier de Gangotri, à l’ouest de l’Himalaya, près du Tibet. Il
alimente plus d’un quart de la population indienne, toute celle du Népal et
une partie du Bangladesh. Il se jette enfin dans le golfe du Bengale en formant
le delta du Gange, le plus grand du monde.
NOUVELLE-ZÉLANDE • 35° 38’ S - 173° 33’ E
LA FORÊT
DE WAIPOUA
Dans le Northland, à la pointe nord de la Nouvelle-Zélande, se trouve une
forêt sauvage et immense, la forêt de Waipoua. Elle est peuplée d’oiseaux rares
comme le magnifique kokako avec son plumage gris cendre et son masque
noir, et le kiwi avec son long bec en forme d’aiguille qui ne sort que la nuit,
deux espèces endémiques en voie de disparition. Cette forêt cache surtout des
arbres géants, les kauris, sans doute les plus anciens du monde. La forêt de
Waipoua est celle des immortels. Il faut y pénétrer pour les découvrir.
Les kauris sont des arbres sacrés pour les Maoris. Le plus haut, le plus
majestueux, le plus imposant, c’est le kauri Tâne Mahuta, l’un des plus
anciens, qui a entre 1 500 et 2 500 ans et qui atteint plus de cinquante mètres
de haut avec une circonférence dépassant à la base la dizaine de mètres : c’est
le seigneur de la forêt.
Dans la mythologie maorie, il assure la liaison, et donc aussi la séparation,
entre le ciel et la terre, apportant la lumière, l’espace et l’air, et donnant ainsi la
vie au monde entier depuis le jour de la création. Tâne est le fils de Ranginui
(le Ciel qui remplit le rôle de père) et de Papatuanuku (la Terre qui remplit le
rôle de mère).
Malheureusement les kauris sont plus que jamais menacés. Déjà, entre le XIXe
et le XXe siècle, une grande partie d’entre eux ont subi un abattage pour
l’utilisation de leur sève et la qualité de leur bois. Aujourd’hui, c’est un
champignon mortel qui s’attaque à leurs racines et provoquent le
dépérissement des arbres. Des mesures exceptionnelles sont prises pour que
les visiteurs ne les transportent pas avec leurs chaussures d’un arbre à l’autre.
Ainsi, les kauris, qui semblaient jusqu’ici invulnérables, se découvrent
paradoxalement extrêmement fragiles.
Au pied de l’arbre kauri, le visiteur ne peut que ressentir sa petitesse et son
besoin de communiquer avec la nature et avec lui-même. La culture maorie est
une leçon : ses légendes et ses coutumes ancestrales l’invitent à respecter
profondément la nature comme étant le lien avec la vie.
Différentes religions et courants spiritualistes ont vénéré ou vénèrent l’arbre,
ce géant vivant de la nature qui, mobilisant les sens à son contact, a la capacité
presque magique de guérir des blessures, de rassurer et de redonner vie à ceux
qui ont été fragilisés.
HAÏTI • 18° 49’ N - 72° 13’ O
LA CASCADE
DE SAUT-D’EAU
L’eau ne fait pas que rafraîchir. En certains lieux, grâce à ses vertus magiques,
elle lave, purifie, restaure. Ce sont des lieux sacrés.
Ainsi, dans la jungle haïtienne, près de Mirebalais, petite commune située à
deux heures de route de Port-au-Prince, la capitale, à chaque week-end de la
mi-juillet, ils sont nombreux, les pèlerins, malades ou non, jeunes ou âgés, à
venir se laver à la cascade grâce à des feuilles de palmier. Par cette démarche
joyeuse, ils viennent demander de l’aide aux esprits afin d’être soignés, de se
protéger du mal, d’obtenir une vie meilleure, mais aussi, dans une certaine
confusion religieuse, pour recevoir la bénédiction de la Vierge Marie.
Certains marchent parfois pendant trois jours, à travers une végétation
magnifiquement préservée, pour accéder enfin à la cascade merveilleuse, tel
un rite de passage, d’initiation. La cascade est approvisionnée par l’eau qui
prend sa source à la montagne Terrible, haut sommet du centre de l’île.
Le site est luxuriant, à l’allure d’un paradis perdu. Les pèlerins se laissent
asperger d’eau parfaitement claire et transparente pour ce bain rituel : l’eau
est miraculeuse. Il s’agit de rafraîchir le corps, mais aussi l’esprit. L’exubérance
où se mêlent foi chrétienne et vaudou est à son comble : bougies, tambours,
chants, rhum participent à ce qui ressemble à une fête religieuse. On y danse,
on y chante, hommes et femmes, ensemble, le plus souvent dénudés, sans
distinction d’origine ou de toute autre différence sociale. La Vierge Marie est
sollicitée, les bras en croix, mais aussi les loas, les esprits de la religion
vaudoue – appelés aussi « les Mystères » ou « les Invisibles » – et plus
particulièrement Erzulie, la déesse de l’amour dans le panthéon local, à qui
l’on vient confier ses désirs de vie meilleure.
À quelques mètres de la cascade, des pèlerins déposent une bougie au milieu
de dizaines d’autres déjà plantées au pied d’un arbre.
La cascade et la mystique ferveur des pèlerins ont le pouvoir de provoquer
chez le voyageur une joie de vivre qui le déborde et l’entraîne, à laquelle se
mêle une espérance soudaine sans qu’il puisse en connaître l’origine.
Face aux épreuves parfois cruelles de la vie, serait-ce une façon archaïque de
réveiller, de soutenir ou d’amplifier sa pulsion de vie face à celle, aussi
inconsciente, de mort, c’est-à-dire d’abandonner la lutte ? Une façon aussi de
communier les uns avec les autres dans le respect des différences pour mieux
se sentir vivant dans son propre corps ?
ÉGYPTE • 28° 32’ N - 33° 58’ E
LE MONT SINAÏ
La beauté du mont Sinaï ou du djebel Musa (la montagne de Moïse) réside
dans son aspect brut, désertique et élevé. Il culmine à 2 285 mètres d’altitude,
au nord-est de l’Égypte, offrant une vue splendide sur le désert environnant. Il
est sacré pour les juifs, mais aussi pour les chrétiens et les musulmans. Un lieu
de silence et de contemplation. Son ascension est quasi mystique.
À son sommet, selon la Bible, Dieu (Yahvé) s’adressa à Moïse à la suite de
l’épisode du Buisson ardent : il lui révéla son nom, « Celui qui est », et lui
communiqua les « Tables de la Loi » ou, autre traduction, « les Dix
commandements » ou encore « les Dix Paroles », la dernière traduction étant
sans doute plus fidèle à l’hébreu, plus positive et plus enthousiasmante aussi,
car elle implique un Dieu qui n’impose pas comme un dictateur, mais ouvre
un chemin.
Dans la Bible, dans l’Ancien comme dans le Nouveau Testament, la montagne
est « le » lieu où Dieu parle. L’évangéliste Matthieu situe d’ailleurs Jésus au
sommet d’une montagne pour retranscrire une somme de Béatitudes dont il
aurait été l’auteur – c’est le fameux « Sermon sur la montagne » – Jésus
actualisant la Parole de Dieu, prenant ainsi la place de Dieu.
Le Coran cite plusieurs fois le mont Sinaï ainsi que la rencontre à son sommet
(une théophanie) entre Moïse et Dieu (Allah). D’après le texte sacré, le
prophète Mahomet appelait Moïse « mon frère Mûsâ ». D’une façon générale,
dans le Coran, la montagne mais également les astres et les végétaux sont
considérés comme faisant partie de l’ensemble de la nature, dont les éléments
sont « signes » du Créateur, Allah.
Au sommet du mont Sinaï, une chapelle et une petite mosquée ont été
construites. À ses pieds, un monastère orthodoxe, le monastère Sainte-
Catherine, a été érigé au VIe siècle, ce qui fait de lui le plus ancien monastère
chrétien au monde. C’est un autre lieu saint : on y garde précieusement une
ronce qui serait un reste du Buisson ardent. Ce monastère abrite surtout une
précieuse collection d’icônes grecques ainsi que plus de trois mille trois cents
manuscrits anciens, rédigés en grec, persan ou hébreu, la plus importante
collection de manuscrits religieux anciens après celle du Vatican.
Le prophète Mahomet aurait séjourné dans ce monastère, lui accordant sa
bénédiction.
Gardé par des Bédouins de génération en génération, le monastère Sainte-
Catherine incarne ainsi le symbole d’une tolérance entre juifs, chrétiens et
musulmans.
NIGÉRIA • 7° 45’ N - 4° 33’ E
LA FORÊT SACRÉE
D’OSUN-OSHOGBO
Dense, immense, envoûtante, la forêt d’Osun longe la rivière Osun, en
périphérie de la ville d’Oshogbo. C’est une des dernières forêts primaires qui
subsistent au sud du Nigéria. Et c’est, par là même, une des dernières forêts
sacrées de la culture yoruba dans ce pays. La coutume voulait que de tels lieux
s’établissent loin des habitations humaines : d’après la religion yoruba, ils
permettent aux hommes de se situer dans l’univers, d’établir un lien spirituel
avec le monde et la nature, et de renforcer les liens symboliques identitaires
entre le peuple yoruba et son panthéon. Il y a un siècle, les forêts sacrées
étaient très nombreuses sur les terres des Yoruba puisque chaque ville avait la
sienne. Depuis, la plupart ont été abandonnées ou considérablement réduites.
La forêt d’Osun est la demeure de la déesse Osun, la déesse de la Fertilité, une
des nombreuses divinités yoruba ; aujourd’hui, elle est toujours vénérée. À
l’ombre des vieux arbres, quarante sanctuaires sont érigés le long de la rivière,
ainsi que deux palais, cinq lieux saints et neuf lieux de culte. Au cours des
quatre dernières décennies, de nombreuses sculptures et autres œuvres d’art
contemporaines, souvent de taille gigantesque, ont été installées. Chaque
année, des milliers d’adeptes de la religion yoruba viennent y célébrer la
déesse avec danses et musiques. Des célébrations quotidiennes sont même
dirigées par des prêtres et des prêtresses. En juillet et août, des processions
festives s’y déroulent afin de renforcer les liens mystiques entre la déesse et la
population d’Oshogbo. Ainsi, la longue tradition religieuse du peuple yoruba
est toujours vivante, florissante et en évolution permanente.
La forêt est d’autre part un herbier naturel. Elle compte plus de quatre cents
espèces de plantes dont la moitié possèdent un pouvoir médicinal. D’ailleurs,
une aventurière et artiste autrichienne, Susanne Wenger, atteinte d’une
tuberculose, aurait été guérie par elles. C’est principalement cette femme qui
réhabilita le site, le parsema d’œuvres d’art et planta en particulier des statues
ici ou là en hommage à la déesse Osun. Par son dynamisme, elle entraîna avec
elle de nombreux autres artistes qui construisirent des œuvres d’art tout à la
fois contemporaines et profondément enracinées dans la vision yoruba du
monde et de la nature. Susanne Wenger devint prêtresse yoruba avant de
décéder à 93 ans en 2009.
LA PLANÈTE TERRE
En quelques siècles, les conditions de vie sur la Terre ont radicalement changé.
La compréhension du monde aussi. Le sacré, ce n’est plus seulement telle
montagne, tel fleuve, telle forêt ou telle cascade, tous habités par le divin, mais
la planète Terre elle-même, en son entier, et la survie de l’homme.
Les chiffres sonnent le glas. Depuis l’ère préindustrielle, la planète a gagné
environ 1,1 °C, multipliant canicules, sécheresses, tempêtes ou inondations,
hausses du niveau de la mer. Les catastrophes climatiques ont déjà chassé de
chez elles trente millions de personnes, trois fois plus que les conflits armés à
travers le monde.
D’après le dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental
sur l’évolution du climat), une synthèse de huit ans de travaux – une bible
pour les années à venir –, publié en mars 2023, il faudrait réduire de 45 % les
émissions de CO2 d’ici 2030 pour espérer limiter la hausse des températures à
1,5 °C. Pari impossible ? Malgré quelques efforts, ici ou là, pouvant paraître
positifs et donc rassurants, les grandes économies ne continuent-elles pas
« comme si de rien n’était » ? N’avancent-elles pas toujours « les yeux
fermés » ? Selon les prévisions, si les objectifs fixés lors de la conférence de
Paris en 2015 ne sont pas atteints d’ici quelques années, les émissions
devraient encore augmenter de 14 % avant la fin de la décennie, conduisant à
un réchauffement catastrophique à la fin du siècle, entre 2,4 et 2,8 °C. Le seuil
critique serait alors dépassé et la situation incontrôlable. Un suicide collectif, à
cause d’un aveuglement ou d’un refus de voir la réalité, dans une sorte de
pulsion autodestructrice ?
Face à l’avenir du climat et à ses dangers, une nouvelle conscience de la
responsabilité de l’homme émerge, notamment chez les jeunes, mais encore
trop lentement. Elle est pourtant absolument nécessaire pour que s’instaure
un nouveau mode d’être, celui-ci passant par la recherche d’une nouvelle
intelligence du monde et de l’homme.
Dans une révolution des idées, et une nouvelle approche du religieux, une
redécouverte du sens sacré resterait à développer, une nouvelle spiritualité à
exprimer, mais sans tomber dans les excès d’hier. Derrière un mouvement
politique écologiste et des positions extrêmes peut en effet se cacher un retour
à un religieux autoritaire et sectaire, un nouvel absolutisme idéalisant la
nature et appelant à la naissance d’un « homme nouveau » et « régénéré », un
fondamentalisme dans un type de révolution imposant la transformation « de
tout en tout ».
LES « MAISONS »
DU DIVIN
Le plus souvent, un lieu déclaré « sacré » en tant que construction ou
architecture est une « Maison » du divin – il est souvent appelé ainsi dans les
textes saints –, c’est-à-dire un bâtiment chargé d’une symbolique représentant
ce divin, rendant visible l’invisible. Les dieux et le Dieu unique ont ou ont eu
chacun la leur : temples, synagogues, églises, mosquées ou autres. Cette
« Maison » est alors significative de la religion concernée. C’est un premier
repère essentiel pour l’homme croyant, comme une deuxième peau tant sa foi
participe de son intimité la plus secrète, au-delà des différentes fonctions de la
première peau qui sont d’abord de protéger le corps de l’extérieur, de servir de
frontière avec ce qui est « autre », l’« étranger ». Ainsi, cette « Maison du
divin », dans le passé et encore aujourd’hui dans des régions du monde en
guerre, peut servir de « refuge » en cas de danger.
Mais surtout, elle participe de l’identité la plus profonde de l’homme. Dans les
rituels qui y sont pratiqués, le langage religieux (les paroles, les
représentations du divin, la musique et les gestes) révèle qui sont ces divinités
ou qui est ce Dieu qu’il désigne. Et, par là même, quel est le rapport entre lui
en tant qu’individu et le monde, entre lui et les divinités ou encore entre lui et
le Dieu unique. Ce langage en tant que tel peut être considéré, en quelque
sorte, comme un prolongement de la « Maison du divin », une troisième peau
où habiter, un autre lieu où advenir, un autre espace permettant de rencontrer
le divin et de penser le monde et la vie. Le langage religieux comme autre
repère tout aussi essentiel pour l’homme croyant que la « Maison du divin »
avec ses murs et ses symboles. Le langage servant de nouveau corps où « être »,
lui. Le religieux qui révèle le besoin de croire trouve son origine dans
l’archaïque de l’homme, sa préhistoire, et reste inscrit chez le croyant comme
chez l’incroyant dans la mémoire de son inconscient, parfois pour le pire ou le
meilleur.
Reste que, cas particulier, l’homme peut basculer dans une sorte de délire où il
se confond en tant qu’individu avec le divin. C’est alors une extase mystique,
un hors de soi, dans le meilleur des cas, ou bien une totale fusion dans une
dilution mortelle du moi. Le danger est alors un enfermement psychique.
L’histoire du fait religieux le raconte suffisamment, faisant du religieux,
souvent, une tragédie.
Ce à quoi, dans son fondement, faisant rupture avec un certain sentiment
religieux, le christianisme répond que le sacré, c’est l’homme lui-même et son
devenir : l’homme est la nouvelle « Maison de Dieu », son « nouveau Temple »,
« la pierre vivante ». Le désir d’un Dieu voulant sa liberté pour qu’il construise
son avenir. C’est alors une autre approche du sacré. Un sacré qui est « le lieu »
ou « les lieux » où l’homme est appelé à naître libre dans une nécessaire
individuation et qui sont à découvrir. C’est une autre mystique à déchiffrer
dans l’évolution des mentalités de la société postmoderne. Serait-ce un autre
type de religion en train d’apparaître ? Peut-être, dans un nouveau besoin de
spiritualité qui n’assujettit pas l’individu, mais le rend autonome en tant que
sujet de sa propre histoire.
Un lieu déclaré « sacré » en tant que construction ou
architecture est une « Maison » du divin, c’est-à-dire un
bâtiment chargé d’une symbolique représentant ce divin,
rendant visible l’invisible.
MEXIQUE • 19° 41’ N - 98° 50’ O
LA CITÉ
DE TEOTIHUACAN
Teotihuacan est « la cité des dieux », celle « où sont nés les dieux », ou même
encore « où les hommes deviennent des dieux ». Ces monuments gigantesques
et massifs ont été construits pour que l’individu mesure de lui-même la force
symbolique du lieu et soit impressionné par l’expression d’un pouvoir
spirituel pouvant être redoutable. Il y a la pyramide du Soleil, immense, haute
de 75 mètres, la pyramide de la Lune, plus petite, et d’autres temples le long de
l’axe symbolique nord-sud appelé « l’avenue des Morts », comme le grand
temple du Serpent à plumes, le temple des Guerriers. Un grand nombre de
monuments étaient décorés de peintures murales représentant des éléments
de la vision du monde des Aztèques.
À l’origine vivait là, vers l’an 100 avant notre ère, un peuple précolombien.
Puis, sur ce site qui avait été abandonné à la suite de révoltes aux
circonstances inconnues – sans doute des incendies et des pillages –
s’installèrent les Aztèques. Un peuple de guerriers. Pour plaire aux dieux et
mériter leur indulgence, pour assurer une cohérence sociale dans la cité, pour
se synchroniser avec l’ordre cosmogonique, pour mériter de bonnes moissons
ou des succès militaires, et pour bien d’autres raisons encore, les prêtres
sacrifiaient par milliers des prisonniers de guerre avec une très grande
violence : ils ouvraient la poitrine de leurs victimes et en extrayaient le cœur
qui continuait de battre pour l’offrir aux dieux. Les animaux considérés
comme sacrés, à haute valeur symbolique telle que le loup, étaient, eux,
enterrés vivants.
La religion polythéiste des Aztèques, dotée d’un panthéon, imposait l’idée
majeure que les forces surnaturelles imprégnaient le monde naturel.
Teotihuacan est une cité qui a vécu dans le temps des dieux : toutes les
structures étaient alignées selon un invisible révélé par les astres et un
calendrier solaire sacré rythmait l’année, pour respecter un ordre cosmique.
Vers l’an 450 de notre ère, plus de cent cinquante mille personnes y auraient
habité. Alors à l’apogée de son développement, la ville s’étendait sur 36
kilomètres carrés ; sans doute la ville la plus grande du monde à cette époque.
Les monuments cérémoniels ne représentaient que 10 % de la superficie
totale.e
Au VII siècle, la ville a été saccagée, incendiée puis abandonnée.
Le voyageur découvrant ce lieu situé à une cinquantaine de kilomètres de
Mexico, impressionné par son gigantisme, lève la tête vers le sommet des
pyramides et regarde le ciel, l’air interrogatif.
TIBET • 29° 39’ N - 91° 07’ E
LE POTALA
Sur le toit du monde, sur un vaste haut plateau tibétain perché à une altitude
de 3 700 mètres, se trouvee le Potala. Ce palais est une véritable forteresse (un
dzong) construite au XVII siècle par le cinquième dalaï-lama (1617-1682).
Depuis, il fut la résidence des dalaïlamas qui lui succédèrent, chefs de la
religion bouddhiste tibétaine, riche d’une tradition séculaire venue d’Inde au
VIIe siècle. Une tradition qui prêche une sagesse pour atteindre la bodhi,
l’« éveil ». Le nom Potala viendrait d’une déesse, celle de la Compassion, dont
les dalaï-lamas sont l’incarnation.
Protégé par une ceinture de murs massifs, de portes et de tourelles, le Potala
se dresse sur la « colline Rouge », au centre de la vallée de Lhassa, entourée
d’impressionnantes montagnes qui culminent à plus de 4 500 mètres. Il se
compose du palais blanc, du palais rouge et de bâtiments annexes. Le palais
blanc comprend notamment la grande salle de cérémonie avec le trône du
dalaï-lama, ses appartements privés et la salle d’audience.
À l’ouest du palais blanc, plus en hauteur, se dresse le palais rouge et ses
stupas dorés contenants les reliques des précédents dalaï-lamas. Et encore
plus à l’ouest, construit au XVIII siècle, on rejoint le Namgyel Dratshang, le
e
monastère privé du dalaï-lama.
À environ 2 kilomètres à l’ouest de Potala, es’élève l’ancien palais d’été du
dalaï-lama, le Norbulingka, construit au XVIII siècle dans un environnement
luxuriant : sa configuration, avec un grand jardin, un monastère et diverses
salles magnifiquement décorées, constitue une œuvre d’art exceptionnelle. Le
Potala et le Norbulingka offrent ainsi un exemple architectural symbolisant
une théocratie, le produit de l’imagination et de la créativité humaines, un des
derniers de notre monde moderne.
Aujourd’hui, Lhassa, capitale du Tibet, est sous le contrôle des militaires
chinois. Presque tous les six mille monastères que comptait le Tibet ont été
détruits. Mais une fête religieuse annuelle, le Shoton, est toujours organisée
pour les Tibétains et les touristes, principalement chinois. Il s’agit d’un
véritable opéra tibétain haut en couleur, avec musique et costumes.
Il y a plus de soixante-dix ans, la Chine prenait le contrôle du Tibet. Le dalaï-
lama s’enfuit vers l’Inde le 17 mars 1959. Malgré la répression sanglante de
2008, les jeunes Tibétains continuent de vénérer le dalaï-lama ; les monastères
alentour, avec leurs nombreux moines, plus nombreux qu’autorisé,
maintiennent leur influence sur les familles. Mais le voyageur se demande :
pour combien de temps ?
ISRAËL • 31° 45’ N - 35° 12’ E
LA CITÉ
DE JÉRUSALEM
Jérusalem, la Ville trois fois sainte. Elle est sainte pour les trois religions du
Livre : juive, chrétienne et musulmane. À la croisée de ces trois cultures. Son
nom ? Yerushalayim pour les juifs, Urshalim pour les Arabes. À l’origine, le
nom d’un dieu local, Shalem, divinité de la Création et du Soleil couchant. À
la racine de ces trois mots anciens du vocabulaire chaldéen, il y a la notion de
complétude chez l’individu, et donc de paix.
Jérusalem, la ville de la paix ? C’est, du moins au départ, comme souvent dans
le choix d’un nom, l’expression d’un désir. Après, il appartient à l’homme de
faire tel ce lieu pour les trois religions, le lieu de Dieu, d’un Dieu unique. Un
laboratoire du vivre ensemble pour rendre possible, dans l’acceptation de la
différence religieuse, un avenir à l’homme sur terre. Sans doute n’y aura-t-il
pas de futur pour l’humanité sans paix entre les religions. Mais aujourd’hui
l’histoire ne prend pas ce chemin. Depuis plusieurs siècles, Jérusalem est le
théâtre de très violents affrontements, souvent tragiques, entre les trois
religions.
Au départ, au IVe siècle avant notre ère, Jérusalem n’était qu’une petite
bourgade de Judée, à l’orée du désert et dans un environnement montagneux ;
un mur de près de 2 mètres d’épaisseur l’entourait pour la protéger. Jusqu’au
jour où le roi David l’a choisie pour capitale. Un peu plus tard, son fils,
Salomon, l’adopta également : il y fit construire sur la plus haute colline un
temple en l’honneur du Dieu d’Israël, Yahvé. Au cours de l’exil, aux yeux des
juifs, Jérusalem prit une signification plus large et plus religieuse : elle
représenta en tant que symbole la Terre promise.
Par la suite, en raison de différentes circonstances, Jérusalem devinte la cité
sainte pour les trois religions qui croient en un Dieu unique. Au IV siècle,
l’empereur Constantin qui s’était fait baptiser y fit construire des lieux saints
en souvenir des derniers jours du Christ ; aussitôt, la ville devint un lieu de
pèlerinage pour les chrétiens. Pour les musulmans, Jérusalem arrive en
troisième position des lieux saints, après La Mecque et Médine. C’est là que,
dans une expérience mystique, le prophète Mahomet aurait effectué son
« voyage nocturne » avant de revenir à La Mecque. Pour prier, avant de se
tourner vers La Mecque, il s’orientait vers Jérusalem.
Cette ville dégage une intense puissance symbolique. Ressentant le poids de
l’histoire et l’extraordinaire fragilité de l’entente entre les hommes, le
voyageur, croyant ou incroyant, ose une prière pour la paix avec ses mots à lui.
ISRAËL • 31° 46’ N - 35° 14’ E
LE MUR
DE JÉRUSALEM
Chargé d’une histoire et d’expressions intenses de foi pendant deux
millénaires, le mur de Jérusalem est devenu le lieu saint des juifs. Le lieu d’une
présence, celle de Yahvé, celui « qui est ou qui fait être », le Créateur. Il est
appelé le « Kabel » par les juifs, le « Mur occidental » ou le « Mur des
lamentations », une expression à l’origine un peu moqueuse, surtout
employée par les chrétiens.e
L’histoire commence au X siècle avant notre ère, lorsque le roi Salomon décida
la construction d’un temple. Ce sera le premier Temple, un bâtiment
relativement modeste. En 586 avant notre ère, il sera détruit par le roi
Nabuchodonosor II, lors de l’invasion des Babyloniens.
En 515 avant notre ère, lors du retour des juifs sur leur terre, le second Temple
sera construit au même endroit par le roi Darius le Grand. Il sera plus tard
considérablement agrandi et embelli sur la décision du roi Hérode, un grand
bâtisseur. Mais les travaux à peine achevés, en 70 après notre ère, sous le règne
de Titus César, l’armée romaine, faisant face à une révolte, détruisit le Temple
et jusqu’à la ville de Jérusalem elle-même.
Ne resta qu’un mur, le mur ouest qui soutenait le second Temple agrandi là où
se trouve maintenant le dôme du Rocher, lieu saint de l’islam.
Depuis, le mur, sauvegardé par la volonté des Romains pour marquer une
trace de leur victoire, est devenu un lieu de mémoire. Aujourd’hui, des milliers
de juifs viennent y pleurer la chute du premier Temple, la perte de leur liberté
et l’exil des enfants d’Israël. C’est l’endroit le plus proche du saint des saints,
lieu de l’ancien Temple où seul le grand prêtre avait le droit de pénétrer une
fois par an, le jour de la fête du Kippour.
En permanence, la ferveur est immense. Chaque année, selon la coutume, des
milliers de petits papiers pliés sont glissés dans les fissures des énormes blocs
de pierre constituant le mur : des prières, écrites dans l’intimité de la relation
entre l’homme et Dieu. Ces papiers ne sont jamais détruits : deux fois par an,
ils sont récoltés pour être enterrés au mont des Oliviers. Eux aussi sont
« saints ».
Par respect, après la prière au pied du mur et la lecture de passages de la
Thora, le Livre saint, les fidèles repartent en reculant, le visage toujours tourné
vers lui.
Pour les musulmans, le mur est également un lieu saint. Le prophète Mahomet
y aurait laissé sa monture, Al-Bouraq, lors de son « voyage nocturne » qui
l’aurait conduit de La Mecque à Jérusalem avant de partir au ciel avec l’ange
Gabriel y rencontrer tous les autres prophètes et prier ensemble.
ISRAËL • 31° 46’ N - 35° 13’ E
L’ÉGLISE DU
SAINT-SÉPULCRE
L’église du Saint-Sépulcre à Jérusalem, également appelée basilique de la
Résurrection, abrite un reste du rocher où aurait été creusée, comme cela se
faisait à cette époque, non loin du lieu des crucifixions, la grotte où le corps de
Jésus fut déposé après sa mort. Aujourd’hui, un amas invraisemblable de
dorures, d’icônes, de chandeliers et de reliquaires couvre l’ensemble et habille
même l’intérieur. Il est gardé par six Églises chrétiennes, selon la diversité des
approches et des cultes : grecque, arménienne, éthiopienne, syrienne, copte et
franciscaine. Mais toutes annoncent la résurrection du Christ.
Pour les chrétiens, le lieu où le corps de Jésus a reposé après sa crucifixion est
celui de la Résurrection. Selon les évangélistes, à l’aube, quand le sabbat fut
passé, des femmes disciples de Jésus se rendirent à son tombeau pour
embaumer le corps. Mais, à leur grande stupéfaction, l’énorme pierre qui le
fermait avait été déplacée. D’autres disciples accoururent. À l’intérieur du
sépulcre, plus de corps. Il n’y avait plus rien à voir : à ce moment, un ange qui
se tenait là leur annonça la Résurrection. « Jésus le Christ » était vivant à
jamais, on le trouverait sur les chemins de la vie, à l’occasion des rencontres
dans le partage et le don à l’autre.
Pour les croyants, le lieu du sépulcre, en particulier la dalle où le corps aurait
reposé, désormais vide, révèle en quelque sorte une « absence-présence » ; il
est sacré.
Aucune preuve historique n’accrédite que ce fut bien le lieu de la sépulture de
Jésus. Seule la tradition locale et orale l’atteste. Les récents examens
scientifiques confirment que le site date bien de l’époque romaine, qu’il
s’agisse de sa tombe ou d’un lieu qui lui ressemble.
L’église du Saint-Sépulcre est située aujourd’hui dans le quartier de la vieille
ville de Jérusalem. Un sanctuaire qui englobe le lieu de la crucifixion, le
Golgotha (le « lieu du crâne » en hébreu), ainsi désigné dans les Évangiles, et
la grotte creusée dans le rocher où le corps de Jésus aurait été déposé. À
l’époque de Jésus, ces deux lieux très proches l’un de l’autre devaient
vraisemblablement se trouver en dehors des murs de Jérusalem, légèrement en
hauteur.
L’église est vénérée depuis le IVe siècle ; on compte chaque année près de 2
millions de visiteurs. Une atmosphère unique y règne : l’odeur de l’encens se
mêle aux chants, aux chuchotements et aux prières des pèlerins. La faible
lueur des bougies éclaire ce lieu chargé de sens pour les chrétiens qui le
considèrent comme le plus sacré.
ISRAËL • 31° 46’ N - 35° 14’ E
LE DÔME
DU ROCHER
Situé sur le sommet de la Ville trois fois sainte, le dôme du Rocher est le
premier édifice de la civilisation islamique. C’est un sanctuaire, et non une
mosquée. Il fut érigé en 688-689 par le calife omeyyade Abd al-Malik à
l’endroit même de l’ancien temple juif, le second Temple ou temple d’Hérode,
rasé en 70 par les Romains. Selon la tradition musulmane, il contient un
rocher deux fois saint, le rocher de la Fondation. Sur lui, Abraham se serait
préparé à sacrifier son fils Isaac pour répondre à ce qu’il croyait être le désir de
Dieu. Et c’est depuis ce même rocher que le prophète Mahomet aurait
commencé, en compagnie de l’ange Gabriel, son « voyage nocturne » (l’isra)
jusqu’au ciel. À cette occasion, il pria avec les autres prophètes. Sur sa
monture, Al-Bouraq (l’éclair), il fut de retour à La Mecque avant le lever du
soleil. Le rocher porterait la trace du pied du prophète Mahomet.
Le sanctuaire est le gardien d’un coffret qui contiendrait un cheveu du
Prophète.
La plupart des très nombreuses inscriptions à l’intérieur comme à l’extérieur
de l’édifice proclament l’unicité de Dieu, la mission du prophète Mahomet,
tout en mettant l’accent sur la figure de Jésus, fils de Marie.
Lors des croisades au Moyen Âge, l’édifice fut transformé en église. Les murs
furent recouverts de peintures religieuses chrétiennes, le croissant placé au
sommet du dôme fut remplacé par une croix, un autel fut dressé dans
l’enceinte du monument. Mais après la prise de Jérusalem par Saladin en 1187,
l’édifice fut rendu aux musulmans.
Au-delà de son caractère religieux, c’est un monument de prestige, affirmant
le triomphe de l’islam dans la ville même du christianisme.
Ce sanctuaire est unique en son genre dans le monde islamique, de par son
architecture exceptionnelle à l’allure byzantine, qui suppose une prouesse
géométrique, basée au départ sur un plan octogonal. Il connut plusieurs
remaniements. Le dôme de 30 mètres de haut a été couvert d’or en 1959-
1960 ; il domine tous les autres lieux sacrés des juifs et des chrétiens.
En face, sur la même grande « esplanade sacrée » (le haram al-charif),
correspondant à peu près à l’esplanade du Temple d’Hérode, se trouve la
mosquée al-Aqsa (la lointaine) ; elle est considérée comme la plus ancienne
mosquée que l’on connaisse. C’est le troisième lieu saint des musulmans, après
La Mecque et Médine.
ISRAËL • 31° 49’ N - 34° 58’ E
L’ÉCOLE DU
VILLAGE NEVÉ SHALOM
Hier, qui étaient les personnes « sacrées » ? Il s’agissait des sorciers, des
chamans, des moines, des prêtres et des prêtresses, ceux qui parlaient le
langage des déesses et des dieux, ou du Dieu unique, les seuls à pouvoir
toucher les objets du culte lors des rituels et entrer dans l’espace réservé au
divin.
Mais aujourd’hui, qui est « sacré » en tant que « personne » ? C’est l’enfant. À
commencer par le nourrisson dans son extrême vulnérabilité, complètement
dépendant des adultes qui en ont la responsabilité, mais aussi en proie à ses
peurs et ses pulsions. L’adulte revit ce temps premier que Freud appellera
l’« infantile », le temps d’une préhistoire avant tout langage, à travers ses rêves
se transformant parfois en cauchemars ; il prend alors conscience du défi de
naître à soi-même, la vraie grande aventure, et regarde autrement son histoire
qui reste à construire.
Dans ce sens, ce qui est aujourd’hui sacré en tant que lieu, c’est l’école, où
qu’elle soit, là où l’enfant apprend à vivre en société en acceptant « l’autre »
dans sa différence, à préparer son avenir et à devenir un citoyen coresponsable
du village planète. Un lieu malheureusement cruellement bombardé en temps
de guerre, comme aussi les hôpitaux et les maternités, provoquant un
sentiment d’horreur. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ces lieux-là sont visés.
Lieu sensible par-dessus tout, l’école et toutes les écoles du monde sont le
creuset d’une humanité à venir.
Il en va ainsi dans un village en Israël appelé le Village de la paix, Nevé Shalom
en hébreu, Wahat as-Salam en arabe. Ce village est situé à mi-distance de
Jérusalem, Tel-Aviv et Ramallah, ville palestinienne, sur une colline en
bordure de la vallée d’Ayalon qui fut le théâtre de nombreuses guerres. L’école
accueille des enfants israéliens et arabes palestiniens dans un bilinguisme
total ; ils sont juifs, musulmans et chrétiens. La soixantaine de familles
israéliennes et arabes croit en la possibilité d’un vivre ensemble dans l’égalité
et la paix pour former les futures générations, chaque personne étant fidèle à
sa propre identité nationale, culturelle et religieuse.
À l’origine de ce projet, un frère dominicain, juif de naissance : il fit le pari de
vivre ensemble, au-delà des différences, pour une intelligence qui redonne
confiance en l’être humain. L’école est lieu de vie, un lieu sacré, une
« Maison ». Mais n’en est-il pas de même pour toute vie, quelle qu’elle soit,
menée jusqu’à son terme ?
LES
REPRÉSENTATIONS
OU LES OBJETS
DU SACRÉ
Il y a des pierres, des vases, des étoffes, des sculptures et même des restes de
corps humain – comme un morceau d’os – qui sont déclarés sacrés par les
religions. C’est le cas des reliques de saints, qui ont connu au Moyen Âge un
véritable succès.
Ils ne sont toujours qu’une pierre, qu’un vase, qu’une
étoffe, qu’une sculpture ou qu’un bout d’os, et pourtant,
hors de la raison, chacun d’entre eux représente un
invisible.
Intouchables sous peine de sacrilège. Inaccessibles. Hors du commun. Ils ne
sont toujours qu’une pierre, qu’un vase, qu’une étoffe, qu’une sculpture ou
qu’un bout d’os, et pourtant, hors de la raison, chacun d’entre eux représente
un invisible, une présence-absence divine. Ils deviennent autre chose sans
cesser d’être eux-mêmes. Ils révèlent un monde inintelligible dans une culture
purement profane et le rendent réel. Ils supposent une réalité absolue qui
transcende ce monde-ci, mais le manifestent dans un langage qui a son propre
vocabulaire. Le symbolique ouvre alors le passage à la transmutation
spirituelle. Une théophanie qui suppose une expérience du sacré proche du
politique et parfois fusionnant avec lui ; elle a organisé très tôt, dès les sociétés
primitives, l’espace de vie des femmes et des hommes.
Souvent, de par leur fonction lors d’un culte ou dans le cadre de rituels,
comme les instruments pour dépecer les victimes à l’occasion de sacrifices
humains, ils ne font que désigner ce qui est sacré, ce pour quoi ils sont
employés. Il en existe qui ne sont que pure imagination, comme le Saint-Graal,
mais ils sont la source de magnifiques légendes qui hantent les esprits à la
recherche de mystères et de raisons d’aimer, au-delà du temps et de l’espace.
Depuis les temps anciens, le sacré, dans sa dimension universelle, participe de
la conscience humaine, face à la condition mortelle qui marque la finitude de
l’homme ; il annonce un salut possible dans l’ordre dee l’espérance.
La sécularisation qui s’est accélérée à partir du XIX siècle dans nombre de
sociétés, en particulier en Occident, a eu comme conséquence de libérer les
esprits en les rendant moins dépendants du religieux, l’individu étant plus
libre dans son adhésion ou pas à une religion et aux formes représentatives
d’un divin. Mais aujourd’hui, face à un monde qui se transforme de plus en
plus vite sans que l’on sache ce qu’il adviendra de l’humain, la peur s’empare
sourdement des esprits et grandit tant au niveau des individus qu’à celui du
collectif. Elle génère une violence dans un premier temps invisible et retenue,
mais qui tend à s’extérioriser au moindre prétexte, au risque de n’être plus
contrôlable et de se retourner contre ses auteurs eux-mêmes. Aussi,
parallèlement et paradoxalement, chez l’individu comme dans la société, un
besoin urgent de réassurance augmente. Face à la postmodernité qui remet en
cause les repères d’hier, l’être est à la recherche d’un divin qui n’en porterait
pas le nom. Des modes comme le bien-être prennent la place des religions,
avec de nouveaux catéchismes en guise de savoir et des rites qui entretiennent
des croyances, pures illusions, du moins momentanément. La recherche du
sens s’inscrit dans une béance de l’esprit et appelle le symbolique à la
rescousse. Un appel au sacré ? Et à quel sacré ?
ARABIE SAOUDITE • 21° 25’ N - 39° 49’ E
LA MECQUE
La Mecque est le centre du monde musulman. Située à l’ouest de l’Arabie
saoudite et à 80 kilomètres de la mer Rouge, c’est la ville natale du prophète
Mahomet dans la tradition islamique. Chaque jour, selon la position du soleil,
horloge du temps, des millions de fidèles, où qu’ils se trouvent sur la planète,
se tournent vers elle pour prier quotidiennement (la qibla) son Dieu, le Dieu
unique, Allah. La Mecque est la ville la plus sainte de l’islam.
Au centre de la grande mosquée Masjid al-Haram (la Mosquée sacrée) se
trouve le « cube », la Kaaba, revêtu d’une étoffe de soie noire (la kiswa), comme
un voile aux inscriptions d’or. Il est vide. Mais ce vide est habité par la
présence de Dieu. Le croyant ne peut adorer que Dieu.
On trouve également la Pierre noire, enchâssée à l’angle sud-est de la Kaaba,
cerclée d’une monture en argent. Elle daterait de l’époque d’Adam et Ève ; le
Prophète l’y aurait installée, selon la tradition islamique. Un repère, comme
une origine. Lors du hadj, le pèlerinage annuel, les milliers de pèlerins venus
du monde entier font sept fois le tour de la Kaaba dans le sens inverse des
aiguilles d’une montre, la Pierre noire marquant le début et la fin de la
« circumambulation ». Ils tentent de l’embrasser pour reproduire le baiser de
Mahomet, ou de la toucher, mais, au passage, une main tendue, celle de droite,
suffit.
Le cinquième pilier de l’islam énonce que chaque croyant doit faire au moins
une fois le pèlerinage à La Mecque, du moins s’il en a les moyens. Seul un
musulman peut pénétrer dans l’enceinte de la mosquée.
Depuis 2021, l’entrée des femmes seules de moins de 45 ans est autorisée.
Auparavant, elles étaient obligées d’être accompagnées par un homme, un
« tuteur » masculin, comme un mari, un frère ou un père.
Avant l’établissement de l’islam, La Mecque était essentiellement une cité
commerçante, entourée de montagnes dans une vallée désertique, mais située
au nœud des voies commerciales qui relient la Syrie et la Palestine au golfe
Arabique, au Yémen et à l’Abyssinie. Sans doute, à l’origine, la Kaaba était un
lieu de culte de la religion arabe locale préislamique. Après la conquête de La
Mecque par le prophète Mahomet en 630, la Kaaba a été vidée des statues qui
faisaient l’objet d’une vénération. Avant cette victoire, les musulmans se
tournaient vers Jérusalem pour leur prière.
CANADA • 52° 05’ N - 131° 12’ O
LES TOTEMS
HAÏDAS
Cinq îles isolées, au bout du monde, cinq frontières entre le monde des
humains et des esprits, telles sont les îles d’Haïda Gwaïi habitées par le peuple
haïda. Leur éloignement leur a permis de développer et de conserver depuis
deux mille ans leur culture, empreinte de mystères et forte d’un héritage
artistique.
Ainsi, dans le village de SGang Gwaay, au milieu d’une végétation luxuriante,
dense et sauvage, d’anciens totems montent la garde. Ces poteaux totémiques
gigantesques, à l’origine finement sculptés, ont une vie, comme les êtres
humains. Parfois placés devant les tombes des anciens chefs, ils se
décomposent année après année, mais très lentement : une fois retourné à la
terre, l’esprit des anciens est libéré.
Pour s’assurer de la longévité du totem, les Haïdas sculptaient dans des cèdres
arrivés à maturité. Leurs outils étaient des pierres aiguisées. Ils ornaient
parfois leurs totems d’immenses yeux très inquiétants.
D’une façon plus générale, dans le nord-ouest du Canada où l’on en trouve un
certain nombre, les totems servaient à honorer un ancêtre, à raconter l’histoire
d’une famille ou d’un clan, ou à préserver la mémoire d’un événement
historique. Chaque famille, chaque clan voulait ainsi transmettre aux
générations futures le récit de leurs origines. Les totems représentaient
l’emblème d’une famille ou d’un clan sous la forme d’un animal qui pouvait
être principalement un aigle, un corbeau, un ours, un castor ou encore un
loup.
Compte tenu de leur âge, les totems les plus anciens sont très fragiles.
D’importantes mesures de conservation ont été décidées, pour lutter en
particulier contre la pollution marine, le changement climatique – humidité
et température – et les dégâts que peuvent causer les nombreux visiteurs.
Mais la culture haïda est toujours vivante. Aujourd’hui, des sculpteurs
autochtones poursuivent cet art pour permettre aux familles et aux clans de
continuer à transmettre leur histoire.
Le site conserve ainsi aujourd’hui une grande valeur spirituelle.
Les totems haïdas sont un rappel. Le voyageur est invité à faire face à l’histoire,
à son histoire, à cette longue histoire qui vient de loin, celle de ses ancêtres
grâce auxquels il est vivant aujourd’hui, une histoire à laquelle il participe
dans l’instant. Et celle à venir qu’il tient en partie entre ses mains.
ÎLE DE BORNÉO • 0° 14’ N - 113° 52’ E
LES STATUES
HAMPATONG
Des statues anthropomorphes, signes des esprits, ont été trouvées sur l’île de
Bornéo où vivent les Dayaks (ou Daya), un terme générique qui regroupe
plusieurs peuples de l’intérieur de l’île. Ce sont les statues Hampatong. Elles
sont de styles différents selon la fonction qui était la leur (la protection, la
commémoration d’événements, un agent cérémoniel, une représentation
d’ancêtres) et selon l’emplacement (devant des villages, des maisons, des
champs ou des tombes). Ces statues ont étée sculptées par les tribus dites des
« coupeurs de tête », entre le XVI et le XIX siècle, dans du bois de bélian, un
e
bois extrêmement dur, épais et lourd dit bois de fer, mais elles ont été
abîmées, creusées profondément de fentes verticales par les pluies des
moussons pendant plusieurs siècles. C’est ainsi qu’on peut les dater
approximativement. Certains affirment que quelques-unes pourraient dater
de mille ans avant notre ère. Elles portent l’empreinte du temps.
En quelques décennies, au cours de la seconde moitié du XXe siècle, beaucoup
de changements sont intervenus chez les Dayaks, qui avaient une triste
réputation. Ils ne vivent plus en autarcie. Beaucoup de jeunes sont attirés par
la modernité, alors que les anciens restent attachés à leur culture. Un certain
nombre se sont convertis au christianisme, d’autres moins nombreux à l’islam,
sans pour autant renier leur identité ; quelques-uns conservent la croyance en
des esprits.
L’une des statues livre son secret. N’est-elle pas un langage en elle-même ? Elle
représente un jeune homme nu, les bras largement ouverts, faisant penser à
une position christique, en signe d’accueil du voyageur. Le personnage est
longiligne, avec de grandes orbites et un nez triangulaire. Située
probablement à l’entrée du village, la statue servait peut-être aussi de
protection, comme pour barrer la route aux mauvais esprits, ou leur montrer
qu’elle n’avait pas peur d’eux, les intimidant ainsi. Ou peut-être s’agissait-il
d’une protection contre les épidémies.
Les paumes des mains du jeune homme sont tournées vers le ciel en guise de
prière, recevant et transmettant des messages entre les humains et les esprits.
Il se tient sur la pointe des pieds, sans doute un danseur, à moins qu’il ne
s’élève dans le ciel, sans pesanteur. Il est possible qu’il ait été vêtu de riches
étoffes.
RÉPUBLIQUE TCHÈQUE • 50° 05’ N - 14° 25’ E
UN VIEUX
CIMETIÈRE JUIF
Une pierre. Des pierres. Un enchevêtrement de pierres, sur cinq à douze
couches par endroits. Elles se dressent, parfois depuis près de six siècles, dans
un silence impressionnant qui rompt avec les bruits de la Vieille Ville, l’ancien
quartier juif de Prague, Josefov, un silence que seuls les oiseaux ne respectent
pas. Ce sont des sépultures. Ce cimetière a été pendant plus de trente ans
l’unique lieu où les juifs avaient le droit d’être enterrés à Prague, pour des
raisons sanitaires, a-t-on dit. Par manque de place, les tombes furent serrées et
empilées les unes sur les autres. La plus ancienne date de 1439 ; c’est ce
qu’indique la pierre tombale du rabbin et poète Avigdor Karo ; la dernière de
1787 : cette année-là l’empereur Joseph II interdit de nouvelles inhumations.
Sous les pierres saintes, des anonymes côtoient des personnalités célèbres de
la communauté juive dee la ville comme Mordecai Maisel, un des dirigeants de
la ville de Prague au XVI siècle qui a construit l’une des synagogues de la ville
portant d’ae illeurs son nom, David Gans, historien et astronome, qui vécut à la
fin du XVI et au début du XVII siècle et dont la tombe fut marquée pour la
e
première fois de l’emblème de la communauté juive, et David Oppenheim,
célèbre rabbin de la ville de Prague au XVIII siècle.
e
Le cimetière juif de Prague est l’une des plus vieilles nécropoles d’Europe.
Le voyageur s’arrête. Le temps semble s’être aussi arrêté. Il regarde, écoute et
éprouve au plus profond de lui-même une émotion jamais jusque-là ressentie ;
un frisson parcourt son corps. Sur ces pierres, il remarque des inscriptions
gravées en hébreu, à déchiffrer : des noms, des prières, un détail sur la vie de la
personne enterrée là. Parmi les inscriptions, des symboles : une couronne
pour la piété, une tirelire pour la bienfaisance, un livre pour un libraire, un
serpent pour un apothicaire, un arbre cassé pour une mort subite et brutale.
Douze mille stèles fichées dans le sol, quelque cent mille corps enterrés, et des
arbres qui laissent passer la lumière du jour. Le voyageur a envie de toucher et
même de caresser les inscriptions, derniers souvenirs de vies passées, mais il
retient son geste, la religion juive l’interdisant ; il se contente de murmurer
dans son cœur des mots traduisant sa détresse ou son espérance.
Il n’y a pas d’avenir pour l’homme sans mémoire.
ITALIE • 45° 04’ N - 7° 41’ E
LE SAINT SUAIRE
Comme le négatif d’une photo, le tissu de lin jauni (4,42 mètres de long sur
1,13 mètre de large) dessine la silhouette d’un homme sans doute crucifié,
condamné à mort, la tête blessée, portant une barbe, le corps ayant été cloué à
une croix et ayant reçu des coups, notamment d’une lance. L’homme,
d’environ 1,75 mètre, aurait pu avoir entre 30 et 45 ans, allongé dans un
linceul, nu, les mains croisées sur le pubis. Une image troublante, qui peut
même ébranler les consciences : ce linceul conservé depuis 1578 dans une
chapelle de la cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Turin pourrait être celui qui
recueillit le corps du Christ après sa crucifixion. Les premières mentions du
linge datent de la seconde moitié du XIV siècle. Depuis, cette étoffe fait l’objet
e
d’une grande piété populaire.
Selon les quatre Évangiles, qui ne rapportent pas les mêmes épisodes de la
crucifixion – selon la signification que chacun veut donner à son récit –, Jésus
aurait été flagellé, aurait reçu une couronne d’épines sur la tête, été cloué par
les mains et les pieds au bois de la croix et blessé par un coup de lance au
thorax. Après la mort, le corps aurait été enveloppé dans un linceul et déposé
dans une grotte, le sépulcre du riche Joseph d’Arimathie, non loin du lieu de
la crucifixion.
Le linceul de Turin, un miracle au sens propre, c’est-à-dire une preuve
irréfutable du sacré ? De nombreuses analyses scientifiques très pointues ont
été effectuées. Inévitablement, les conclusions et les hypothèses opposent
ceux qui affirment le linceul authentique et ceux qui remettent en cause cette
croyance, datant l’étoffe du Moyen Âge ; leurs récits sont épiques, voire
rocambolesques.
L’Église, prudente, n’a jamais vraiment reconnu l’authenticité du saint suaire
de Turin. À l’époque des premières vénérations du linge au XIVe siècle, les
évêques de Troyes réagirent en les interdisant, estimant avoir découvert le
faussaire. Mais en 1390, le pape d’Avignon Clément VII autorisa son
ostentation dans une bulle. Après différentes analyses, le pape Jean-Paul II
qualifia le linceul de « provocation à l’intelligence » et invita les scientifiques à
poursuivre leurs recherches. Aujourd’hui, après que le linge a connu plusieurs
pérégrinations, l’Église le considère comme une « magnifique » icône, une
figure ou une représentation du corps supplicié du Christ, pour l’expression
d’une foi en la résurrection ; elle n’en dit pas plus, laissant à chacun la liberté
de vivre sa foi selon sa sensibilité.
ÉTATS-UNIS • 37° 20’ N - 122° 00’ O
LE PORTABLE
Grâce au téléphone portable, « l’histoire est en marche », a-t-on entendu ! Son
lieu de naissance : la Silicon Valley. Son âge : déjà 50 ans ! Il est vrai
qu’aujourd’hui, sans son smartphone, l’homme est complètement perdu. Le
portable est à la fois son téléphone et son ordinateur, son moyen de paiement
et sa boussole. Son doudou.
La Silicon Valley, « la vallée du silicium » (le silicium étant le matériau de base
des puces électroniques utilisées dans les portables et les ordinateurs), est
encore l’un des principaux lieux où s’invente de fait le monde de demain. Un
monde qui modélisera l’homme. Cette vallée est devenue « sacrée » sans que
l’homme en eût conscience, faute d’avoir perçu ce caractère qui la définit dans
une vision spirituelle à l’égard du futur de l’homme et de ce qu’elle implique.
Avec Internet, l’ordinateur puis le téléphone portable sont devenus des axes
majeurs de la communication : autour d’eux s’organise désormais le monde, le
village-planète. Après l’imprimerie de Gutenberg, une nouvelle ère, celle du
numérique, s’est ouverte ; une révolution dans tous les secteurs, de la politique
à l’art, en passant par l’économie, le social, la médecine et même le religieux.
Face à un monde qui s’enfante dans une accélération à la fois prodigieuse et
inquiétante, les philosophes posent une question redoutable : l’humain
survivra-t-il ?
Ainsi, bientôt, de la Silicon Valley ou d’autres laboratoires du futur sortiront
de nouvelles générations de lunettes virtuelles « augmentées » ou quelques
« métavers », désignant un méta-univers, qui va au-delà du monde réel, un
monde virtuel.
Le risque est que l’homme ne voie plus le monde qu’à travers une image
virtuelle en 3D, avec tous les bénéfices personnels que cela pourra lui
apporter, à lui mais aussi à l’économie et à la société, notamment en matière
d’informations. Une chance extraordinaire pour lui qui, grâce aux nouvelles
technologies, aux neurosciences et à l’intelligence artificielle (IA), va pouvoir
trouver des solutions plus facilement et plus immédiatement pour améliorer
ses conditions de vie et augmenter ses possibilités d’inventer son destin. En
quelque sorte, d’« enchanter » l’univers.
Mais, dans ce nouveau rapport au monde, le danger sera d’enfanter un homme
« sans gravité », à la merci des super-programmateurs, ces nouveaux prêtres
qui organiseront à sa place un monde virtuel dont l’objectif sera de répondre à
tous ses besoins et plaisirs, sans limites et dans l’instant, au bénéfice de
nouveaux marchés et de nouveaux pouvoirs politiques entre les mains de
super-dictateurs aux ambitions, elles aussi, sans limites. Ou un homme à la
merci d’un nouveau dieu, l’IA, qui pensera et décidera à sa place. Dans ce cas,
il se trouvera enfermé dans un monde kafkaïen le réduisant à n’être plus
qu’une puce électronique parmi d’autres au sein d’une société postmoderne.
Paradoxalement, dans un monde dit « désacralisé », le mythe du bonheur sans
fin et de « l’homme augmenté » est plus que jamais de retour, avec l’arrivée de
nouvelles sectes et leurs catéchisme, gourous et adeptes. En réidéalisant le
monde, en croyant échapper ainsi à la finitude au nom de la science, les
conséquences anthropologiques seraient incalculables. Le danger du
transhumanisme n’est-il pas de conduire l’homme à construire une nouvelle
tour de Babel dans laquelle il s’enfermerait pour son plus grand malheur au
sein d’un imaginaire mortifère ? Ce serait l’illustration d’une des
conséquences sinistres à redouter : l’absence de créativité du langage,
l’absence d’accès au symbolique et au jeu des métaphores et des métonymies.
Nous vivrions la mort de la poésie au sens large, de l’art et plus généralement
de la pensée qui se nourrit des vibrations du réel. C’est de la brisure que naît
le désir, l’envie de vivre et de goûter à l’amour de l’autre, d’inventer avec lui un
avenir.
Reste qu’actuellement l’homme, par le fait même de s’interroger sur les
conséquences de l’usage des nouvelles technologies et de l’IA, trouve
l’occasion, voire la chance, de se reposer la question fondamentale de son
identité première : qu’est-ce qu’être humain ? Et celle qui vient à son esprit
immédiatement après : qu’est-ce qu’être libre ? La croyance en une science
toute-puissante qui résoudra toutes les équations les avait enterrées. À l’heure
où il doit prendre ses responsabilités de citoyen d’un monde à construire, un
besoin de spiritualité est en train de se développer, et même une nouvelle
spiritualité est sur le point de naître dans les différentes cultures. Dans cette
évolution des mentalités, de l’homme s’interrogeant sur son futur, la
dimension de la transcendance pourrait trouver en lui un nouvel écho :
transmise par les anciens sous différents langages, elle aurait peut-être
quelque chose à lui dire, non pour lui imposer une « vérité », mais pour une
coopération dans une configuration sociétale radicalement différente, pour
un dialogue à deux entre le divin et lui. Il y aurait alors place pour un sacré
possible, comme une re-connaissance du sacré, dans l’ère de la
postmodernité.
LE LANGAGE
DU SACRÉ
Un signe. Un geste. Un symbole. Un langage.
Depuis les sociétés dites primitives, l’homme a toujours voulu parler aux
divinités ou à Dieu, le Dieu unique.
Pour se rassurer ou demander une protection, un pardon, une rédemption. Il y
a les mythes qui mettent en scène et donnent une explication à l’origine du
monde, de l’homme et du cosmos, mais il y a aussi la prière de l’homme face à
l’inconnu du monde, au mystère de l’existence et de sa finalité, face aussi à la
peur de la mort.
Il existe également, en sens inverse, un Dieu unique qui parle à l’homme, dans
le cadre d’une alliance (une première et une seconde alliance dans la Bible).
Dans le cadre d’une « révélation ». Des textes anciens attestent ce dialogue ou
cette tentative de dialogue, même si parfois Dieu peut sembler sourd aux
appels ; ces textes sont déclarés « saints ». On appelle même les religions qui
s’appuient sur ces textes les « religions du Livre », peut-être d’ailleurs à tort : en
effet, il y a les « Saintes Écritures », autrement dit la Bible, qui, elle, s’interprète,
et le Coran, qui, lui, ne peut s’interpréter.
Commence alors le lent et long travail de déchiffrage du langage du divin. Il y
a un code, il y a même des codes à découvrir selon les cultures nouvelles ou
anciennes. Ceux des « signes » lancés par les divinités ou par le Dieu unique,
signes qui semblent enfermer une part de mystère au-delà des hypothèses des
doctes traducteurs : l’homme est toujours dans une recherche pour mieux
comprendre ce que l’autre ou le grand Autre lui dit. Un signe est vide, il ne fait
que renvoyer à autre chose. Mais quelle est cette « autre chose » si essentielle
qui donnerait si fort le sentiment d’exister dans l’attente d’une réponse faisant
sens pour l’homme ?
S’il y a le sens des signes du divin à déchiffrer, il y a aussi la question du
déchiffrage proprement dit, d’où les disputes incessantes, fructueuses ou
tragiques, entre les religions concernées et au sein même de ces religions.
Dans la religion juive, la pratique du midrash est un passage obligé de la
lecture de la Thora, un travail exégétique qui ouvre en permanence à la
discussion, voire à la dispute. La règle est l’interprétation. Au contraire, dans
la religion musulmane, l’interprétation du texte, celui du Coran délivrant les
paroles mêmes d’Allah retransmises intégralement et automatiquement par le
prophète Mahomet, fait l’objet d’un interdit, interdit qui n’empêche pas les
divisions profondes au sein même de l’islam.
Depuis les premiers temps, les mythes enseignaient à l’homme l’art de
l’énigme, celle du sens de la vie.
Dans notre société postmoderne dite « désacralisée », étonnamment, des
philosophes se demandent si l’âge des Lumières, celui de la raison, a
définitivement enterré le transcendant, si même la déconstruction des idoles,
toujours à poursuivre selon eux, n’a pas, au contraire, ouvert le champ à une
réelle transcendance ?
Pour éviter la guerre ou faire la paix avec soi-même et les autres, dans une
quête de vérité quant aue sens de l’existence humaine et d’un salut possible, il y
a pour l’homme du XXI siècle un nouveau chemin : la sagesse de l’écoute. Une
spiritualité en soi qui se développe progressivement depuis déjà plusieurs
années en marge des religions instituées, sans d’ailleurs pour autant s’y
opposer ou même refuser leur héritage. Se taire pour écouter l’autre, le
monde, s’écouter soi-même qui est aussi un « autre » à découvrir, ou encore,
s’il existe du divin dans le monde, se mettre à l’écoute des divinités ou du Dieu
unique, ou encore à l’écoute de l’Autre avec un grand « A » que nul n’arrivera à
égaler. Écouter l’« autre » dans sa propre langue, accepter ainsi sa différence,
voire l’accueillir pour échanger et même dialoguer avec lui. Tendre l’oreille
aux bruits du monde et ouvrir les yeux sur l’étrangeté de ce qui n’est pas soi.
Un nouveau défi humain, voire plus ? Cette quête d’indépendance d’esprit
passe par une différenciation d’avec « l’autre qui n’est pas moi », c’est-à-dire
par une individuation qui, seule, permet l’accès à sa singularité en tant que
« sujet » et, par là même, de penser par soi-même. Un vrai travail psychique à
faire, semblable à un accouchement de soi, avec parfois l’aide d’un
psychanalyste, qui peut ressembler à une mystique. Ouvrir ainsi un espace où
devenir « ce que je suis » dans ma finitude, et, pourquoi pas, dans l’espérance
d’entrer au-delà de la mort dans un temps qui n’a pas de fin.
Les repères d’hier ne seront pas ceux de demain. L’entre-deux-mondes dans
lequel vit l’homme d’aujourd’hui signe la fin des certitudes, notamment
religieuses et même scientifiques, du moins leur ré-interrogation, et le début
d’un questionnement, dans une recherche incessante du sens à donner à la vie,
pour demain. Tel peut être dans la société postmoderne un nouveau sens du
sacré à vivre.
ROYAUME-UNI • 51° 34’ N - 1° 34’ O
LE CHEVAL BLANC
D’UFFINGTON
Le dessin du mystérieux cheval d’Uffington, creusé dans la partie supérieure
d’une colline de craie du sud de l’Angleterre, n’est visible pratiquement que
du ciel ou, plus difficilement, de la colline lui faisant face, tant il est grand :
100 mètres de long. Il est d’une étonnante élégance et d’une force sûre, le trait
d’une simplicité absolue. Il révèle un art d’une grande modernité par son
abstraction ; il date pourtant d’environ trois mille ans, l’âge du bronze (mille
ans avant notre ère), celui des Celtes ayant vécu dans cette région. Avec son
corps allongé et ses pattes disjointes, le cheval d’Uffington rappelle la figure
d’un cheval observée sur des pièces de monnaie celtiques. Le dessin donne
l’impression que l’animal est en train de courir. C’est sans doute la plus
ancienne figure de craie connue en Angleterre.
Sa symbolique ne cesse d’interroger. Selon une tradition locale, la silhouette
est associée à la figure de saint Georges (saint patron de l’Angleterre) qui
aurait combattu un dragon sur une colline toute proche. De nombreuses
autres interprétations ont couru durant les années. Mais la dernière datation
menée en 1990 situant sa création à la fin de l’âge de bronze a relancé les
hypothèses. Une prière pour les dieux ? Le signe d’un clan ? Le marquage d’un
territoire ? Ou, l’une des dernières hypothèses, un cheval tirant l’attelage du
soleil ? Les spécialistes du néolithique précisent que les peuples érigeaient à
cette époque des ouvrages en fonction des astres. Dans la mythologie, le cheval
sert de monture au Soleil au cours de la journée pour parcourir d’est en ouest
le ciel. Le thème du cheval mythique tirant le soleil à travers le ciel était très
répandu en Europe – et notamment dans les pays nordiques – à l’âge du
bronze.
La première référence date de 1190 par les bénédictins de l’abbaye
d’Abingdon. Reste à savoir comment les hommes ont pu dessiner cette figure
géante, sans doute pour être vue par les dieux ?
Le cheval blanc est un lieu de pèlerinage depuis plusieurse siècles. Il est
régulièrement entretenu par la population locale depuis le XVII siècle. En l’an
2000, une importante rénovation a été effectuée.
Aujourd’hui, des volontaires désherbent régulièrement le sol et grattent la
surface crayeuse. Une grande campagne de décapage est organisée tous les
sept ans environ, à l’occasion d’une grande fête folklorique.
CANADA • 64° 34’ N - 72° 11’ O
LES INUKSUIT
Au milieu des vastes étendues arctiques, loin de toute habitation, dans un
paysage désolé, plat et sans reliefs depuis l’Alaska jusqu’au Groenland en
passant par l’Arctique canadien, le voyageur peut voir apparaître de loin un
inuksuk (singulier de inuksuit). Ce n’est pas qu’un simple empilement de
pierres ou de rochers. C’est aussi une construction « qui a la capacité d’agir
comme un être humain », ce qui est la traduction de inuksuit (une extension
du mot inuk qui veut dire « être humain »).
Un inuksuk participe à la communication entre les hommes ; il fait partie
intégrante de la culture inuite. Il peut avoir plusieurs fonctions selon sa taille
et la figure qu’il représente, simple dalle ou amoncellement de pierres à
l’allure grossière d’une personne avec une tête, des bras et des jambes. Non
seulement l’inuksuk peut indiquer au voyageur ou à un chasseur qui pourrait
être perdu une direction où aller pour poursuivre son chemin, se nourrir et
s’abriter, mais c’est aussi un repère dans la chasse aux caribous qui informe
des passages de troupeaux ou encore un simple indicateur de la profondeur de
la neige ou de la dangerosité d’une plaque de glace.
Cette silhouette imposante, véritable œuvre d’art, délivre, au-delà de sa
fonction pratique, un message à celui qui se met à son écoute et désire
l’entendre : chaque pierre tient grâce aux autres, si l’une d’entre elles est
enlevée, tout l’édifice s’écroule. Les inuksuit, témoins d’une pratique de vie,
participent d’une culture sans lien avec une religion. On peut parler d’une
spiritualité permettant aux hommes, dans un environnement hostile, de vivre
ensemble dans une solidarité nécessaire.
Les inuksuit bravent les intempéries, certains depuis des siècles : symboles des
ancêtres, au nom du respect de ceux qui ont construit ces repères pour
communiquer entre eux, ils sont protégés de génération en génération. Il est
interdit de les détruire. Certains d’entre eux ont été retrouvés dans des sites
archéologiques près du lac Mingo, au sud-ouest de l’île de Baffin, datant de
2 400 à 1 800 ans avant notre ère. Ce site a été désigné lieu historique national
du Canada. Les inuksuit ont été élevés à la fonction de symbole des Inuits du
Canada et figurent en rouge sur le drapeau du territoire appelé Nunavut,
composé à plus de 80 % d’Inuits.
IRAK • 34° 12’ N - 43° 52’ E
LE MINARET
DE SAMARRA
Sur la rive gauche du Tigre, à environ 120 kilomètres au nord de Bagdad, une
tour s’élance à 52 mètres du sol, obligeant le voyageur à lever ses yeux vers le
ciel. Elle dessine une spirale hélicoïdale : pour atteindre son sommet, une
rampe en fait cinq fois le tour, toujours plus haute et plus étroite. À son
sommet domine une plateforme dee seulement 3,5 mètres de diamètre.
Cinq fois par jour, à partir du IX siècle, lorsque Samarra s’était substituée à
Bagdad pour devenir la capitale des califes abbassides, le muezzin y montait
pour appeler à la prière : le temps de Dieu, lorsque tout s’arrête et que Dieu
reprend son droit.
Il est possible qu’un abri en bois ait été construit à son sommet pour protéger
le muezzin. On raconte que le calife Al-Mutawakkil, qui décida de sa
construction ainsi que celle de nombreux palais, y montait au dos d’un âne
blanc pour contempler le paysage ; il ne devait pas avoir le vertige !
L’impressionnante dimension du minaret donne une idée de la taille de la
mosquée al-Mutawakkil qui s’étendait non loin d’elle. Elle fut la plus grande
mosquée au monde pendant quatre cents ans. Entourée d’un mur extérieur en
briques cuites de 10 mètres de haut et de plus de 2 mètres d’épaisseur,
formant un rectangle de 264 mètres de long et de 159 mètres de large, on
pouvait y entrer par seize portes. Des centaines de piliers massifs en briques et
pierres brutes soutenaient le toit plat en bois de la salle de prière. Celle-ci était
décorée de carreaux de céramique bleus et lustrés, de sculptures en stuc et de
mosaïques de verre et d’or flanquées de deux paires de colonnes de marbre
rose. Rien n’était trop beau pour honorer Dieu, et, par la même occasion,
manifester la puissance du calife Al-Mutawakkil. Seules subsistent aujourd’hui
quelques hautes murailles.
À l’époque du calife Al-Mutawakkil, l’Empire abbasside s’étendait de la
Tunisie à l’Asie centrale. Le califat abbasside dura un siècle.
Le gigantisme de la tour permet d’imaginer celui de la tour de eBabel du récit
biblique, comme le fit le peintre de l’école flamande au XVI siècle Pieter
Brueghel. Quelle que soit la religion, toujours plus haut semble être la
consigne pour atteindre Dieu ou les dieux, le ciel étant leur demeure. Et, au-
delà d’une religion, la hauteur reste toujours le signe d’une puissance ou d’un
pouvoir ; dans la tête des hommes, c’est plus fort que la raison, une
symbolique qui traverse toutes les cultures, un langage universel.
IRAK • 32° 32’ N - 44° 25’ E
LA ZIGGOURAT
DE BABYLONE
Le long des rives de la Mésopotamie, les archéologues ont retrouvé de
nombreuses traces des ziggourats, immenses structures faisant penser aux
pyramides, construites en étages de dimensions allant en décroissant,
certaines datant du début du III millénaire avant notre ère ; elles pouvaient
e
atteindre plusieurs dizaines de mètres de hauteur.
Sans doute la plus grande, plus de 90 mètres, se trouvait-elle à l’emplacement
de l’antique ville de Babylone située eà une centaine de kilomètres au sud de
Bagdad. Elle fut construite entre le VI et le Ve siècle avant notre ère : son nom,
Etemenanki, « la demeure du ciel et de la terre ». Elle a pu servir de modèle au
mythe biblique de la tour de Babel. Aujourd’hui, il ne reste qu’un amas de
briques à peine visible, dans un paysage de palmiers. Une ruine, dans tous les
sens du terme, une des dernières traces d’une civilisation perdue.
Le récit biblique est considéré par les historiens des religions comme un texte
fondateur de la civilisation judéo-chrétienne. Un texte à interpréter : Dieu
intervient pour arrêter la construction d’une tour qui devait atteindre le ciel. Il
intervient non pour punir les hommes et les femmes de ce qui pourrait être
leur orgueil, mais pour les libérer d’une unique parole qui les asservissait au
projet fou du roi Nemrod. Ce roi, en leur imposant un mot unique pour se
parler, rendait impossible toute communication entre eux. Il les empêchait de
penser par eux-mêmes. En fait, Yahvé, loin de les blâmer, donne à chacun un
langage leur permettant de penser librement dans leur propre subjectivité, et
en les obligeant à s’écouter pour se comprendre au-delà de leurs différences. Il
leur donne la possibilité de construire une nouvelle cité où chaque citoyen
pourra vivre dans la liberté de son désir, en respectant les autres dans ce qu’on
appelle aujourd’hui un « vivre ensemble », mais en ayant le droit d’interpréter
le sens de la vie avec ses propres mots. Le brouhaha inévitable produit par la
cacophonie des langues étant, du coup, le gage d’une vraie liberté rendue
possible, mais restant à conquérir dans un dialogue devenu aussi possible. La
Bible implique donc un projet politique au sens le plus large, sans imposer un
programme, mais en ne réduisant pas la religion à une affaire personnelle.
D’un point de vue étymologique, « Babel » résonne avec « bafouiller » ou
« bredouiller ». N’est-ce pas l’étape première pour un parler vrai ? « Babylone »
se traduit en akkadien par « les portes de la vie » !
ISRAËL • 31° 44’ N - 35° 27’ E
LES MANUSCRITS
DE LA MER MORTE
L’histoire est à peine croyable, tellement enchanteresse et digne d’une légende
enjolivant la réalité. En 1947, dans la région de Qumran dans le désert de
Judée, à 1 500 mètres de la mer Morte, sur le flanc d’une falaise rougeâtre, un
Bédouin, Mohammad edh-Dhi’b (Mohammad le Loup) de la tribu des
Ta’âmirch, surveillait son troupeau de chèvres lorsqu’il découvrit une grotte
exiguë où se trouvaient huit jarres complètes, scellées d’un couvercle ; l’une
d’elles contenait trois rouleaux de cuir couverts de signes étranges. Ce ne fut
que le début de la plus grande découverte de manuscrits de tous les temps :
huit à neuf cents au total, datant de 150 à 70 ans avant Jésus-Christ, provenant
de plusieurs grottes. Cette découverte constitue une documentation
inestimable sur la Bible hébraïque, sur la communauté religieuse juive des
esséniens près de Qumran, et sur l’époque très agitée politiquement et
spirituellement du début du christianisme. Une mémoire retrouvée.
Commença alors un immense travail de déchiffrage des textes, morceau par
morceau, à partir de l’hébreu et de l’araméen. Une aventure scientifique et
spirituelle menée par des savants du monde entier, représentant des
sensibilités religieuses différentes. Il appartient maintenant aux exégètes
d’interpréter ce qui a d’abord été interprété par les auteurs des textes, la Parole
de Dieu, selon la foi des hommes et des femmes en Yahvé ; en quelque sorte,
une interprétation de l’interprétation. Seul le livre d’Ésaïe a été reconstitué en
entier.
La découverte des manuscrits de la mer Morte a relancé la question des
origines du christianisme, en particulier celle de la relation entre Jésus, qui a
fréquenté cette région désertique, et la communauté essénienne. Il est
possible que Jean qui baptisa Jésus ait été essénien, ou du moins ait vécu dans
la mouvance de l’essénisme, une communauté se situant dans l’attente de la
venue du Messie, la fin du monde étant, pour eux, proche. Selon l’Évangile,
Jésus fréquenta Jean-Baptiste un temps, avant de s’en séparer, emmenant
quelques disciples, dans une sorte de divorce, pour commencer sa vie
publique : Jean baptisait en vue d’accéder au paradis après la mort, Jésus
baptisait pour vivre un paradis dans l’aujourd’hui du temps en s’aimant les
uns et les autres.
La plupart des manuscrits sont au Sanctuaire du livre de l’Israel Museum, à
Jérusalem. Son dôme en céramique blanche rappelle le couvercle des jarres
dans lesquelles ils furent découverts. Les autres manuscrits sont conservés au
musée archéologique d’Amman en Jordanie.
ÉTATS-UNIS • 40° 44’ N - 73° 58’ O
L'ONU
Au-delà des histoires, des cultures, des langues des peuples, toutes différentes,
un lieu a été créé le 24 octobre 1945 à New York pour permettre aux femmes
et aux hommes du monde entier de se parler et, surtout, de « s’entendre »,
dans tous les sens du terme, pour construire la paix entre eux : c’est l’ONU.
Après la Seconde Guerre mondiale, il s’agissait de dire ensemble « plus jamais
ça ! ». Un immense espoir qui a contribué, un temps, à la stabilité. Celui d’un
« âge d’or », dirent certains. Les cinq pays fondateurs étaient la Chine, les
États-Unis, la France, le Royaume-Uni et enfin l’URSS.
Sur le papier, l’ONU porte tous les espoirs, à la limite d’un rêve. Cent quatre-
vingt-treize membres discutent des grandes questions internationales ; chacun
dispose d’une voix. Quinze membres se réunissent au Conseil de sécurité. Sur
le principe, ils sont responsables « de la paix et de la sécurité » dans le monde,
mais aussi de la protection des droits de l’homme, de l’aide humanitaire dans
les pays victimes du changement climatique ou de conflits armés, du
développement durable, de l’action pour la préservation des espèces et contre
le changement climatique proprement dit et, enfin, responsables du respect
du droit international. Au simple énoncé des principaux objectifs, on mesure
immédiatement non seulement l’énormité de la tâche, mais aussi, et surtout,
le fossé qui ne cesse de se creuser entre l’ambition affichée dès l’origine et la
réalité.
Aujourd’hui, un changement radical des rapports de force au niveau
international oblige à rebattre les cartes : la vocation de l’ONU est mise en
échec. La principale critique adressée à cette institution internationale est son
impuissance face à des guerres et des tragédies comme hier le génocide des
Tutsi au Rwanda, le conflit en ex-Yougoslavie de 1991 à 1995, en particulier le
massacre de Srebrenica, l’invasion américaine en Irak et, comme aujourd’hui,
la guerre en Ukraine et la menace d’une intervention chinoise armée à Taïwan.
Sans oublier la menace nucléaire brandie par de plus en plus de pays. Un
nouvel ordre international nécessiterait un lieu pour dialoguer à nouveau
dans toutes les langues, à moins que, autre solution, la Charte des Nations
unies ne soit révisée, comme le réclament plusieurs pays. Il en irait de la paix,
demain.
Un lieu sacré comme espace de dialogue pour un langage diplomatique
adapté aux nouveaux rapports de force est à réinventer. C’est l’avenir des
peuples sur la planète Terre qui est en jeu.
LE TEMPS
SACRÉ
Il y a un temps pour tout, et un temps pour toute chose. Un temps pour
l’homme et un temps pour les divinités ou pour le Dieu unique. Ce qui va
délimiter ces différents temps, c’est le rituel lors des célébrations liturgiques
plus ou moins élaborées selon la religion concernée, en particulier lors des
fêtes ou des pèlerinages. Il y a un temps pour travailler et organiser le monde,
et un temps pour l’action de grâce, les offrandes et la prière. Le mythe se
charge de donner sens à l’organisation du monde et à la place de l’homme.
Mais dans l’histoire de l’humanité, deux types de « Temps sacré » vont
s’opposer.
Le premier est celui du mythe originel des religions primitives et archaïques,
le temps qui se reproduit chaque année : un temps circulaire. Éternel présent
ou présent éternel, le temps premier toujours identique à lui-même puisqu’il
n’est qu’un éternel retour. L’homme est alors condamné à la répétition d’une
histoire, toujours la même, dans sa propre vie. Il est profondément soumis à
un destin qu’écrivent pour lui les dieux et déesses. Il ne peut qu’imiter les
modèles fixés par eux ou par l’Ancêtre, le Grand Autre à l’image du Père
« tout-puissant ». Il s’agit d’une vision pessimiste de l’existence humaine.
L’histoire se dirige vers le chaos, la vie de l’homme n’étant qu’un simple
intermède.
La compréhension du Temps sacré que révèle le rite passe
par une expérience religieuse, un vécu sensible.
À l’opposé, le « Temps sacré » peut être au contraire celui d’une création
toujours en création. En pleine période hellénistique, un peuple, les Hébreux,
développa une autre philosophie de la vie dans laquelle un Dieu unique invite
l’homme à inventer son destin, chaque jour étant radicalement nouveau, sans
retour possible en arrière. Une vision dynamique et optimiste de l’existence
humaine : la place des êtres dans le monde n’est plus prescrite par d’autres
puisqu’elle suppose son implication dans les événements.
L’histoire se dirige alors vers un salut qui est une création nouvelle. Un
nouveau mythe pour certains, une nouvelle aliénation ou, pour d’autres, une
sortie du mythe, voire du religieux en tant que système, dans une libération de
l’individu assumant lui-même son destin.
Dans le premier cas, celui de l’éternel retour, le rite réactualise sans cesse les
événements qui ont constitué l’origine des choses révélant une vérité passée.
Une nostalgie s’abat sur les êtres qui voient leur place déterminée à l’avance et
pour toujours. Dans le second cas, celui de la création en création, le rite
signifie un temps nouveau à construire dans une vérité qui reste à inventer ou
à découvrir. Une aventure commence.
Dans les deux cas, la compréhension du Temps sacré que révèle le rite passe
par une expérience religieuse, un vécu sensible qui interroge le sens, et une
transmission où la liberté de l’individu et sa capacité à comprendre par lui-
même sont en jeu.
Un Temps sacré peut impliquer, dans une compréhension de la vie, passant
par un changement de paramètres ou de logiciel, la possibilité de mettre fin à
l’histoire de l’humanité, au nom d’une « modernité ».
À moins que, demain, le Temps sacré ne se dilue dans des valeurs déterminées
par des pratiques de nouvelles technologies et ne se rendent invisibles dans
une adhésion à des croyances qui n’en porteraient pas le nom.
Ou encore, autre possibilité, que le Temps sacré réactualise une foi portée par
les religions d’hier, mais dans une approche intégrant une nouvelle
connaissance des réalités et de l’évolution des sociétés et des mentalités. Dans
cette perspective d’un Temps sacré rappelant un certain « retour du religieux »
déjà prophétisé, deux options s’ouvrent alors aux « croyants » de demain.Une
première option, verrait une spiritualité où l’individu ferait son marché, celui
du sens devenu un simple produit de consommation, au jour le jour, selon les
caprices du moment et selon un modèle économique dont le maître mot du
catéchisme serait plus que jamais la rentabilité.
Une seconde option poserait une liberté toujours à conquérir grâce à un
dialogue avec ce que l’on nomme depuis les origines des temps le « divin »,
dans une approche qui interroge en permanence le sacré dans le sens de ce
qui libère, précisément, pour faire « fraternité » entre citoyens d’un monde à
construire. La religion est ce qui relie (du latin religare). Mais toute la question
formant un axe spirituel universel est alors quels « liens » – dans leurs
diversités, tenant compte des différentes dimensions de la vie d’un individu en
société (le politique, l’économique, le social, le psychologique et le culturel) –
permettront aux hommes et aux femmes de « croire » en un demain possible
sur la cité-planète et de poursuivre ensemble l’aventure de l’humanité ?
AUSTRALIE • 25° 20’ S - 131° 01’ E
L’ULURU
Comme un iceberg surgi du sol, Uluru est un immense rocher en grès rouge
au-dessus d’une terre plate se prolongeant à l’infini. Le « Temps du rêve »
(Tjukurpa) est le nom de cette période qui a vu surgir cette énorme masse de
348 mètres de haut au-dessus de la plaine. Un nom donné par le peuple
aborigène Anangus d’Australie qui vit depuis toujours sur cette terre
apparemment vide, mais habitée par les esprits, ceux des ancêtres. Au temps
de la création, à partir de leur imaginaire, les êtres du « Temps du rêve » ont
façonné les formes du monde. Selon une légende, le rocher a été un des points
de référence du chemin emprunté par les ancêtres ; il revêt une signification
symbolique particulière dans la transmission de la mémoire du temps, celui
des origines, et la stimulation des esprits.
Les chemins qu’empruntèrent les anciens, les « pistes de rêves », partent et
relient les lieux sacrés entre eux ; ils se rejoignent tous à Uluru. Dans des
grottes, des peintures rupestres les représentent.
C’est particulièrement au coucher du soleil que le rocher sacré offre un
magnifique spectacle : sa couleur devient rouge, et parfois vire au violet. Le
voyageur retient son souffle, vit un moment sublime. La singularité de la
couleur du rocher à ce moment de la journée vient de la présence dans la
roche de grains de feldspath, un minéral qui réfléchit d’une façon vive la
lumière rouge des oxydes de fer en fonction de son exposition au soleil. Classé
sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, le site – un des emblèmes de
l’Australie – abrite des points d’eau et des grottes.
Dans les années 1940, un tourisme s’est assez rapidement développé, avec, au
programme, l’inévitable ascension du rocher. Il ne pouvait y avoir de visite de
l’Australie sans passer par Uluru. La montée était longue, par un chemin de
1,6 kilomètre, et pénible car la pente varie de 30 à 60 degrés. Les vents peuvent
être très forts et la température élevée en été, aussi des accidents mortels se
sont produits. Pour les aborigènes, le rocher étant sacré, c’est un sacrilège que
de l’escalader. Depuis 2019, pour le respect des croyances des autochtones, le
conseil du parc national où est situé le rocher a interdit d’y monter.
Le mot Uluru n’a pas de signification précise. C’est un nom porté par des
familles locales. On le retrouve cependant dans la constitution de mots
voulant signifier la protection, un long sommeil, ou encore la liberté.
ANGLETERRE • 51° 08’ N - 2° 41’ O
LA TOUR
SAINT-MICHEL
Au sommet d’une colline dénudée, la tour Saint-Michel surgit comme une
apparition au-dessus des flots lorsque le pays est envahi d’une brume épaisse,
comme une île semblant sortir d’un imaginaire. Visible à des kilomètres à la
ronde. Un rêve ou une réalité ? La colline se situe près de Glastonbury, dans le
comté de Somerset en Angleterre, au milieu d’une grande et vaste plaine
appelée Summerland Meadows. Des vestiges d’un village voisin prouvent que
des hommes ont habité ce lieu dès l’âge du fer, 300 à 200 ans avant notre ère
et que, entouré d’un marécage, il était facilement protégé de toute attaque. Le
nom celtique Ynys Wydryn signifie « île de verre ».
La tour est mentionnée dans la mythologie celtique, en particulier dans
différentes légendes qui racontent l’histoire mystérieuse du Saint-Graal et de
l’épopée du roi Arthur. Ces récits s’entremêlent sous la plume de différents
auteurs du Moyen Âge comme Chrétien de Troyes ou Robert de Boron. C’est
ici, dans l’île d’Avalon, à l’époque où la colline était entourée d’eau, qu’aurait
été forgée l’épée du roi Arthur, Excalibur. C’est ici également que le roi Arthur
aurait été emmené en barque, pour y être soigné après sa dernière bataille à
Camlann.
À l’abbaye de Glastonbury, les pierres tombales seraient celles du roi Arthur et
de la reine Guenièvre.
Selon le récit de Giraud de Barri, deux cercueils sur lesquels on pouvait lire les
noms du roi Arthur et celui de la reine Guenièvre ont été découverts en 1191.
Quelque part, le Saint-Graal pourrait s’y trouver. Il fut l’objet de la quête des
chevaliers de la Table ronde, dont Lancelot, Perceval, Galaad, Tristan et
Gauvain.
Le Saint-Graal, c’est le temps de l’imaginaire. Le vase sacré aurait recueilli le
sang du Christ, le même vase qui aurait servi lors de la Cène, son dernier
repas. Selon la légende arthurienne, Joseph d’Arimathie l’a transmis à son
beau-frère Hébron. Celui-ci l’a, à son tour, transmis à son fils Alain, qui l’a
transporté dans un lieu inconnu de tous pour l’enterrer quelque part sur l’île
d’Avalon. Seul un chevalier « pur » pourra le déterrer.
La quête du Saint-Graal, c’est le temps de la recherche d’un objet qui restera
toujours hors d’atteinte.
C’est la quête de Parsifal qui inspira l’ultime opéra de Richard Wagner, un
« festival mystique sacré » se terminant en une extase grandiose, celle d’une
« rédemption ».
ESPAGNE • 42° 52’ N - 8° 32’ O
SAINT-JACQUES-
DE-COMPOSTELLE
Le temps des pèlerinages n’est pas ordinaire, c’est un moment pendant lequel
le temps s’arrête. Un temps pour Dieu, ou la divinité. Un temps aussi pour soi.
Toutes les religions ont leurs pèlerinages ; ceux-ci existent depuis des siècles,
ils sont fréquentés d’abord par des croyants, mais de plus en plus aujourd’hui
par des non-croyants. Le temps des pèlerinages répond à une demande
croissante de spiritualité qui ne concerne pas que les croyants. Dans un
monde où tout s’accélère, où il devient de plus en plus difficile de s’arrêter
pour penser par soi-même et répondre à des questions basiques comme « qui
suis-je » et « où vais-je », une pause devient plus que nécessaire, elle est
essentielle. Elle symbolise le besoin de donner du sens à sa vie, en se
réappropriant une liberté volée par le ou les systèmes qui organisent et
structurent la vie, et de décider de l’à-venir. La foi qui implique la confiance –
comme l’origine du mot l’indique –, et qui ouvre une perspective positive de
l’histoire des hommes, peut y contribuer.
C’est ainsi que le pèlerinage catholique de Saint-Jacques-de-Compostelle attire
de plus en plus de monde. Partant de presque toutes les villes d’Europe –
notamment en France Paris, Vézelay, Le Puy ou Arles –, les chemins
empruntés à pied par le voyageur devenu pèlerin convergent tous vers un
même lieu : la cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle où se trouvent les
reliques de l’apôtre Jacques, décapité par le roi Hérode. Marcher aide à
penser ; dans la pensée biblique, se mettre en marche, c’est accepter de
s’interroger, dee réfléchir et de choisir son devenir.
À partir du IX siècle, et surtout au XII siècle, âge d’or du culte des reliques, les
e
pèlerinages connurent un grand succès, les pèlerins allaient de monastère en
auberge, munis d’un bâton, d’un baluchon et d’un grand chapeau, vêtus d’une
tunique et d’un manteau. À leur retour, ils avaient pour coutume de rapporter
une coquille de pectens, renommée par la suite coquille Saint-Jacques.
Aujourd’hui, alors que les autorités catholiques se font beaucoup plus
discrètes sur l’authenticité des reliques et leurs bienfaits, le pèlerinage de
Saint-Jacques-de-Compostelle ouvre à quiconque la possibilité de vivre une
expérience existentielle profonde, et d’échapper au quotidien. Cette démarche
qui touche à l’intime est vraie pour tous les pèlerinages, quelle que soit la
religion.
INDE • 12° 00’ N - 79° 48’ E
LE MATRIMANDIR
Une immense sphère dorée qui émerge de la terre, c’est le Matrimandir, le
temple de la Mère, signifiant l’arrivée d’une nouvelle conscience, au beau
milieu d’un parc appelé parc de l’Unité. Comme un astre, à la fois cœur et âme
de notre galaxie. Le bâtiment de 36 mètres de diamètre est très
impressionnant pour celui qui arrive pour la première fois : il ressemble, avec
ses reliefs très réguliers, comme des centaines de petites alvéoles, à une
gigantesque balle de golf. Selon son inspirateur, le philosophe et poète indien
Sri Aurobindo (1872-1950), la Mère, universelle, veut aider l’humanité à
dépasser ses limites actuelles et à entrer dans une étape nouvelle de son
aventure évolutive, la conscience « supramentale ». En s’appuyant sur la
confirmation par la science que la conscience ne peut rendre compte de toutes
les dimensions du réel, il développa une spiritualité qui se veut en résonance
avec le monde moderne. Pour lui, l’humanité ne peut grandir que si elle
dépasse ses limites et entre dans une évolution de la conscience.
La fondatrice de Matrimandir, Mirra Alfassa, une Française, après avoir rejoint
Sri Aurobindo en Inde au début du XX siècle, fut nommée elle-même la Mère :
e
elle évoqua le lieu, inauguré en 2008, comme le symbole de la réponse divine
au désir humain de perfection, au-delà de toute religion, au-delà de toute
division politique ou philosophique, comme la matrice d’une unité qui
rassemblerait tous les êtres de la Terre.
Aujourd’hui, ce n’est qu’après avoir accepté une sorte de rite initiatique en
gage de bonne volonté (être surtout informé de l’histoire du site et de la
raison de sa construction) que le visiteur peut emprunter le petit chemin
ombragé qui mène au Matrimandir.
Construit avec le soutien de l’Unesco, situé au cœur d’Auroville, le
Matrimandir offre à l’intérieur une gigantesque salle de méditation
parfaitement blanche, vide, avec juste un énorme globe de cristal de près d’un
mètre de diamètre, placé à son sommet pour capter les rayons du soleil grâce à
un jeu de miroirs installés sur le toit. Pas de bougies, d’encens, de fleurs, de
musiques ou de chants ; rien n’indique une religion. Pas un bruit, le silence
absolu pour l’exploration des voies mystiques intimes, dans une concentration
extrême vers la conscience suprême à atteindre.
SUISSE • 46° 14’ N - 6° 03’ E
LE GRAND
CYCLOTRON
Avec le grand cyclotron du CERN, l’Organisation européenne pour la
recherche nucléaire, implanté à Genève, le plus grand et le plus puissant
accélérateur de particules (hadrons) au monde, les scientifiques ouvrent la
connaissance à une dimension nouvelle du réel qui dépasse l’imagination et
les scénarios les plus fous de la science-fiction ; il va permettre de faire un
gigantesque bond en avant dans l’explication de la matière et de la naissance
de l’univers, très proche du Big Bang, et dans les applications futures sur la vie
des êtres humains. La conception de Dieu, de la mort et de la vie éternelle est
toujours possible, mais autrement.
Le grand cyclotron est un tunnel à cheval entre la France et la Suisse, enterré à
une profondeur moyenne de 100 mètres sous terre et faisant une boucle de 26
kilomètres : il accélère les particules à la vitesse de la lumière, provoque une
collision de protons de très haute énergie et extirpe du vide, mais du vide
« quantique », permettant aux scientifiques de se rapprocher des conditions
de l’univers primordial. Parallèle à celle d’Einstein qui, elle, rend compte de la
relativité par sa fameuse équation E = mc , la physique quantique explique
2
que, dans le monde infiniment petit, le vide n’est pas vide, mais contient des
particules virtuelles et qu’une masse, comme tout objet, est d’abord du vide,
mais du vide quantique. Le temps n’existe pas, les éléments appartiennent à la
fois au passé et au futur, le présent n’étant plus que présence. Comprenne qui
pourra, car, selon les chercheurs, celui qui dit comprendre n’a sûrement pas
compris.
Demain, peut-être, grâce au grand cyclotron dont les performances viennent
d’être considérablement améliorées, le mystère de la « matière noire », cette
masse invisible qui absorberait tout, mais qui constituerait une grande part de
l’univers, sera résolu. Une révolution conceptuelle a eu lieu grâce à la
découverte du « boson de Higgs », cette super-particule élémentaire que les
chercheurs ont baptisée la « particule de Dieu » ! Elle est, paraît-il, la clef de
voûte de la structure fondamentale de la matière. Sans elle, les autres
particules ne se rencontreraient jamais, ne pourraient pas créer de protons et
de neutrons qui, combinés aux électrons, forment la matière. Dans le grand
cyclotron, le « boson de Higgs » n’apparaît qu’une fraction de seconde, lors de
collisions à des vitesses colossales entre des milliards de particules. La « force »
nouvelle ?
L’ESPACE
SACRÉ
Il y a la terre et le ciel. Le ciel, cette grande inconnue qui a depuis l’origine
fasciné l’homme au point qu’il y a situé les divinités ou le Dieu unique. Une
tentation d’apprivoiser le divin, du moins pour trouver un sens à cet espace en
y projetant comme sur une feuille blanche tous les rêves et toutes les peurs,
toutes les attentes et les colères.
Depuis la nuit des temps, deux astres aiguisent
l’imagination de l’homme et suscitent chez lui admiration
et crainte.
Depuis la nuit des temps, deux astres aiguisent l’imagination de l’homme et
suscitent chez lui admiration et crainte. Ils sont chargés de symboles selon les
cultures, les mythes et les croyances.
Ainsi, généralement, le jour où le soleil représente le pouvoir et le caractère
divin qui permet la vie ; la nuit où la lune est la déesse de la fécondité et de la
maternité. Ces thèmes sont comme une diagonale commune à la plupart des
religions.
En revanche, cas particulier, pour la croyance shintoïste, la symbolique
s’inverse : le soleil est une déesse à la beauté envoûtante avec un teint blanc et
de longs cheveux noirs ; la lune est son petit frère. Même dans la pensée
judéo-chrétienne, l’espace joue un rôle important. La prière des chrétiens ne
commence-t-elle pas par : « Notre Père qui est aux cieux… ».
Dans le tourbillon de la pensée qui peut flirter avec la magie, et, à la limite,
pour ne pas devenir fou, l’homme a toujours eu besoin de se repérer dans
l’espace grâce au sacré. Il a élu des repères pour se diriger et se donner une
direction vers où aller – donnant ainsi sens à son existence – et une identité.
Au fond, le fou est celui qui n’a pas de limites en l’absence de repères, si ce
n’est le fantasme.
L’orientation implique un point fixe. Les religions primitives avaient leur
centre du monde – le monde étant celui habité par les hommes et les dieux –
qui était l’équivalent de la création, celle qui donne sens à la vie. Les religions
suivantes ont chacune institué également un « centre » vers lequel tout
converge, un centre souvent consacré par un rituel qui est ce par quoi un
dialogue existe entre les dieux ou le Dieu et l’homme. Ce centre est sacré : de
lui dépend un réel qui dépasse la raison, un langage qui permet de décliner sa
croyance ou sa foi grâce à la prière et l’offrande, un langage qui permet
d’entrer dans une logique, celle d’une civilisation. Une différence : dans le
christianisme, introduisant une révolution dans l’histoire de la pensée
religieuse, le centre du monde, ce n’est pas Dieu mais l’homme.
Dans le tourbillon de la pensée qui peut flirter avec la
magie, et, à la limite, pour ne pas devenir fou, l’homme a
toujours eu besoin de se repérer dans l’espace grâce au
sacré.
ANGLETERRE • 51° 10’ N - 1° 49’ O
STONEHENGE
De très lourdes pierres formant un cercle, hautes et comme suspendues par un
fil invisible. Elles fascinent et provoquent chez le voyageur une impression de
mystère dépassant la raison. Il s’agirait sans doute d’un ancien lieu de culte,
d’incinération et d’inhumation.
Le monument, situé au sud de l’Angleterre, au milieu d’une vaste prairie, a faite
l’objet de nombreuses études ainsie que de plusieurs fouilles à partir du XIX
siècle, mais principalement au XX siècle : il n’a pas fini de révéler tous ses
secrets. Des explorations se poursuivent encore. Plusieurs constructions se
sont succédé selon trois ou quatre grandes phases à partir de l’âge du bronze,
3 000 ans avant notre ère, les dernières remontant à l’an 1 000 avant notre ère.
Le plus remarquable est le grand cercle très régulier formé par des pierres
monumentales de grès de sarsen hautes de 4 mètres, larges de plus d’un mètre
et implantées tous les mètres. Le diamètre du cercle mesure 33 mètres.
Certaines pierres sont installées en linteaux, d’où peut-être la signification du
nom, Stonehenge, signifiant selon une hypothèse « pierres suspendues ».
D’autres cercles ont été formés à l’intérieur du premier grand cercle, mais avec
des pierres de dimension plus modeste dites pierres bleues.
Une des grandes inconnues est le mode de transport ayant permis
d’acheminer les pierres. Les carrières de pierres les plus grandes, en grès, et
celles des pierres bleues se seraient situées à une trentaine de kilomètres.
Une des autres inconnues est le rôle de ce monument mégalithique. Les
bâtisseurs avaient une certaine connaissance de l’astronomie. Le jour du
solstice d’été, le soleil se lève sur une grande pierre, la Heel Stone (la pierre
talon), en parfait alignement avec le centre du cercle. Le jour du solstice
d’hiver, il se couche entre trois pierres, un trilithe, la troisième pierre étant
posée sur les deux premières, une architecture fermant le cercle. Parmi les
hypothèses des scientifiques, le monument était un temple ou un sanctuaire
dédié au soleil. Lors des fouilles, des ossements humains incinérés ont été
trouvés. Un monument en hommage à des nobles britanniques tués par les
Saxons ?
Le lieu continue de fasciner les esprits. L’avenir de l’homme et son bonheur ne
dépendraient-ils pas du cosmos ? Encore aujourd’hui, au solstice d’été, des
adorateurs du soleil ou de simples touristes viennent chaque année voir le
soleil se lever, goûter à l’attente du jour nouveau, avec peut-être l’angoisse que,
ce jour-là, le soleil ne se lèvera pas…
ÉGYPTE • 29° 58’ N - 31° 07’ E
LES PYRAMIDES
DE GIZEH
Les trois pyramides du plateau de Gizeh, les trois plus importantes dont celle
de Kheops, mais aussi les autres moins spectaculaires car nettement plus
petites, dessinent un espace sacré, celui de l’univers. Grâce à leur étonnante
connaissance de l’astronomie et à des calculs mathématiques très
sophistiqués, les Égyptiens de l’Antiquité les auraient alignées sur les étoiles,
plus particulièrement sur les trois étoiles de la ceinture d’Orion, en fonction
des points cardinaux. Le Nil était considéré comme une représentation de la
Voie lactée. Parmi les nombreuses hypothèses pour percer le mystère de leur
emplacement, les architectes de l’époque se seraient principalement appuyés
sur les constellations au moment de l’équinoxe d’automne. Une fois embaumé,
installé dans son tombeau de la chambre funéraire qui lui avait été réservée au
sein de la pyramide, le pharaon pouvait ainsi commencer son voyage vers Rê,
le dieu du Soleil, vers l’infini et l’au-delà. Sa vie se poursuivait, elle n’avait été
qu’un début. Pour lui, en rejoignant le monde divin, la vraie vie commençait à
la mort.
La pyramide de Kheops est surtout impressionnante en raison de ses
dimensions (sa base est d’une superficie de 5 hectares, sa hauteur atteignait
147 mètres), mais aussi dans la mesure où elle a été construite sur un plateau
qui l’élève, le plateau de Gizeh situé sur la rive ouest du Nil à proximité des
carrières qui ont servi à l’extraction des blocs acheminés par le fleuve. L’une
des dernières sept « merveilles » du monde antique que le visiteur peut encore
admirer. Les deux autres pyramides sont celle de Khephren, le fils de Kheops,
et celle de Mykérinos, fils de Khephren. À l’origine, les pyramides étaient
recouvertes d’un calcaire blanc et fin qui leur donnait un aspect lisse et qui
reflétait la lumière du soleil.
Les trois pyramides sont gardées par le Sphinx, majestueux et immobile,
comme inébranlable, qui semble regarder l’éternité ; il a été taillé dans un seul
bloc calcaire.
Les pyramides de Gizeh fascinent l’humanité, car les mystères qu’elles
représentent excitent l’imaginaire des visiteurs. Il y a bien sûr ce qu’elles
peuvent cacher encore à l’intérieur de leur masse et le pourquoi de leur
alignement. Il y a aussi celui de leur construction. Plus de 6 millions de tonnes
de calcaire ont été utilisées rien que pour la pyramide de Kheops.
Les mystères des pyramides sont loin d’être épuisés : aujourd’hui les
scientifiques poursuivent leurs recherches, avec des moyens d’exploration très
sophistiqués.
GRÈCE • 38° 28’ N - 22° 30’ E
LE SANCTUAIRE D’APOLLON
Le sanctuaire de Delphes, accroché aux flancs du mont Parnasse au nord de la
Grèce, a été considéré durant des siècles dans la culture grecque et
hellénistique – chez les Celtes également – comme le centre géographique, le
« nombril » (omphalos) du monde, symbole aussi de l’unité du monde grec. Il
fut un des lieux sacrés les plus vénérés et fréquentés pendant plus de mille
ans. Le jeune dieu Apollon aurait choisi ce site pour y bâtir son sanctuaire à
600 mètres d’altitude parce qu’il était le point de jonction entre le ciel (le
Parnasse culmine à 2 459 mètres), la terre où était construit le vaste
sanctuaire et la mer qu’on peut voir au bout de la vallée des oliviers sacrés. Ce
lieu provoque toujours le même choc au voyageur qui déambule à flanc de
montagne entre les nombreux vestiges de sanctuaires, notamment ceux du
temple d’Apollon, ce dieu qui délivra la contrée du cruel serpent Python, en le
tuant par ruse.
Dans le sanctuaire, la parole du dieu était transmise par une pythie, prêtresse
d’Apollon. Elle rendait ses oracles, assise sur un trépied, dans un antre obscur.
Des rites précédaient la consultation. La Pythie était assistée par deux prêtres
nommés à vie et des prophètes qui avaient la charge de traduire ses paroles
afin que l’oracle soit compris. Selon des récits, la Pythie, qui ne recevait que
rarement, était inspirée dans sa vision prophétique par l’inhalation de gaz
s’échappant des entrailles de la terre. Tous les grands hommes du monde
hellénistique accouraient pour la consulter et entendre ses oracles mystérieux.
Sur le fronton du temple d’Apollon, selon des historiens, le visiteur pouvait
lire des maximes l’invitant à réfléchir sur la vie, sur sa vie, et à plonger en lui-
même pour trouver des réponses. L’une d’entre elles ayant été le célèbre
précepte de Socrate : « Connais-toi toi-même. » Outre le temple, le sanctuaire
était composé de multiples bâtiments ayant une fonction précise comme le
théâtre, le stade et le gymnase.
Le sanctuaire de Delphes connut son apogée aux VIe et Ve siècles avant notre
ère. Les traces les plus anciennes indiquent l’existence d’un petit village qui fut
abandonné vers 1 400 avant notre ère.
Maintenant encore, le voyageur, perché entre ciel, terre et mer, ne peut que
s’interroger sur lui-même, à l’invitation de Socrate : il mesure, a-t-on
l’habitude de dire, sa grandeur en regardant la vallée, mais aussi sa petitesse
en levant les yeux vers le sommet des montagnes alentour.
PÉROU • 14° 44’ S - 75° 07’ O
LES LIGNES
DE NAZCA
Ce n’est que du ciel ou du haut de la colline voisine que le voyageur peut
découvrir des lignes inscrites par l’homme sur le sol désertique de Nazca.
Dignes de l’art abstrait, elles forment d’étonnantes figures géométriques
(lignes droites, spirales, ellipses, trapèzes, triangles, etc.) sur un très vaste
espace ; certaines lignes droites sont longues de près de 50 kilomètres. Les
lignes furent formées à l’origine par un simple déplacement de cailloux de
couleur sombre laissant apparaître le sol gypseux, plus clair. Avec le temps, les
pierres se sont oxydées et patinées : elles offrent aujourd’hui comme fond une
couleur rouille très intense d’où se détachent les figures qui peuvent
apparaître blanches par contraste. Les dessins se lisent comme un négatif. Le
premier à remarquer ces lignes fut un conquistador en 1553, mais il les prit
pour des traces de pistes. C’est un anthropologue américain, Paul Kosok, qui,
en 1939, survolant la région pour étudier des systèmes d’irrigation, les repéra
et se mit le premier à les étudier.
Les lignes de Nazca sont un des plus grands mystères d’Amérique du Sud.
Comment ont-elles été dessinées ? L’imaginaire travaille. Est-ce l’œuvre
d’extraterrestres qui auraient dessiné des pistes d’atterrissage ?
Ces géoglyphes ont été réalisés entre 200 ans avant notre ère et 600 ans après
Jésus-Christ. Elles sont l’œuvre de la civilisation nazca, une culture pré-inca.
Les dessins représentent le plus souvent des animaux stylisés (singes, oiseaux,
araignées, condor, etc.), le panthéon religieux des Nazcas.
Mais les scientifiques sont très divisés quant à l’interprétation des lignes dont
le nombre dépasse les huit cents, ainsi qu’à l’interprétation des trois cents
figures géométriques et des soixante-dix dessins d’animaux et de végétaux.
Pour certains, ils sont à comprendre dans un contexte rituel en lien avec
l’environnement : dans cette zone très aride et rocheuse, des rituels pouvaient
être pratiqués pour apaiser les dieux et obtenir d’eux la pluie. Pour d’autres, ils
sont la représentation des étoiles et du mouvement des astres, un gigantesque
calendrier astronomique. Dans les deux cas, peut-être est-ce une façon de se
concilier le ciel, cet inconnu.
Selon les scientifiques, les figures ont pu être dessinées grâce à la technique du
carroyage. En effet, des pieux ont été retrouvés ; ils pouvaient servir pour
quadriller le sol à l’aide de cordages, former sur une grande échelle des carrés
et reproduire des figures dans les mêmes proportions.
MEXIQUE • 20° 40’ N - 88° 34’ O
LA CITÉ DE
CHICHÉN ITZÁ
Dans la péninsule du Yucatán au Mexique, entre le VIIe et le XIe siècle, la cité de
Chichén Itzá fut un haut lieu de cérémonies pour les dieux, sans doute le
principal centre religieux du Yucatán. Pour les honorer en leur présentant des
offrandes, les Mayas construisirent d’immenses temples dont l’orientation, et
donc la valeur symbolique, était en fonction des éléments du ciel, du soleil et
de la lune, selon le jour de l’année. Les rituels pouvaient être cruels : la peur
des dieux du fait de la dépendance des hommes à leur humeur, selon leur
croyance, engendrait ou nourrissait un archaïsme qui plongeait dans le sang
les esprits à l’occasion des sacrifices.
L’édifice le plus important et le plus spectaculaire de la cité, celui le mieux
conservé, est la grande pyramide de Kukulkan. Les quatre faces sont tournées
vers les quatre points cardinaux. Sur chaque face, un escalier comprenant
quatre-vingt-onze marches. Avec la plateforme à son sommet cela fait au total
le nombre de jours dans l’année, trois cent soixante-cinq dans le calendrier
solaire. Pour rester en contact avec les dieux, la civilisation maya développa,
comme d’autres cultures, ses connaissances en astronomie et en architecture.
Au moment des équinoxes, au printemps et à l’automne, le soleil provoque
une ombre qui donne un corps géant à une tête de serpent se trouvant au pied
de la pyramide, le serpent étant le dieu Kukulkan.
De son sommet, le visiteur peut voir d’autres monuments, plus ou moins bien
conservés, qui émergent de la vaste forêt de 300 hectares qui entoure la cité de
Chichén Itzá.
À l’est du temple de Kukulkan, le temple des Guerriers, situé en haut des
marches d’une pyramide haute de 12 mètres et large de 40 mètres. Sur des
colonnes qui supportaient probablement un toit, des sculptures représentent
des guerriers toltèques et des animaux, aigles et jaguars, dévorant des cœurs
humains. C’est à l’entrée de ce temple que les sacrifices humains avaient lieu :
un autel est dressé avec un Chac Mool, un personnage semi-allongé, les
jambes pliées, appuyé sur ses coudes, présentant une sorte de coupe sur son
ventre pouvant servir de pierre sacrificielle. Les prêtres ouvraient la poitrine
de leurs victimes, des prisonniers de guerre, pour donner leur cœur en
offrande aux dieux.
La présence de sources d’eau serait à l’origine du développement de la cité de
Chichén. Chi signifierait « bouche » et chén « puits ». Sans que l’on sache
exactement pour quelle raison, après une grande période d’épanouissement
au Xe siècle, la civilisation maya disparut brutalement au XIe siècle.
QUELQUE PART DANS LE COSMOS
LE TÉLESCOPE
JAMES-WEBB
Juillet 2022. Incroyable, mais vrai. Un frisson d’émerveillement traverse le
corps de celui qui regarde la première photo réalisée par le nouveau télescope
envoyé dans l’espace, le plus puissant jamais construit, James-Webb. Il
frissonne devant l’extraordinaire beauté de la lumière venue des premières
années de l’univers, mais surtout face à l’exploit scientifique.
Une véritable sidération (en latin, l’action ou l’influence des astres) que seul
l’homme éprouve. Il n’y a que l’imagination humaine qui tente d’interpréter
depuis des siècles ce spectacle vertigineux grâce aux récits mythiques, aux
croyances religieuses ou, plus sûrement, aux hypothèses scientifiques. Le
cosmos ouvre sur le sacré, l’infini et le mystère. Mais avec leurs nouveaux
modèles mathématiques, les chercheurs ne font que reculer la problématique
entre science, spiritualité et métaphysique.
Cet événement est une remontée fantastique dans le temps. Sur cette première
photo, des centaines de galaxies, parmi les plus éloignées, et notamment la
plus ancienne, GLASS-z13, située à plus de 13 milliards d’années-lumière, la
première apparue après le Big Bang, croyait-on.
Mais peu de temps après, une nouvelle image envoyée par le télescope James-
Webb révèle six nouvelles galaxies qui défient le temps puisqu’elles seraient
apparues moins d’un milliard d’années après le Big Bang, ce qui pourrait
remettre en cause le modèle actuel permettant d’expliquer l’histoire du
cosmos.
Les chercheurs espèrent expliquer la naissance de l’univers, la formation et
l’évolution des galaxies, et notamment de la nôtre, également les mystérieux et
inquiétants trous noirs supermassifs situés au centre de la plupart des
galaxies. Un fabuleux, mais réel bond scientifique en avant, pour le meilleur
de l’humanité, semble se profiler.
L’observateur devient alors un voyageur dans l’espace et le temps. L’occasion
pour lui de s’interroger à grands frais (11 milliards d’euros) sur sa place dans
l’univers, de se mettre à l’écoute des espaces infinis, même d’un au-delà, et de
ses propres attentes. Sans oublier d’agir pour mieux protéger sa planète bleue,
si fragile, qui dérive dans le cosmos avec son étoile, le soleil, vers on ne sait où.
Ce voyageur dans l’espace et le temps deviendra-t-il demain un pèlerin de
l’humanité à venir, d’une fraternité si fragile toujours à construire, en quête de
sens ? Le devenir de l’homme est aussi sacré que la mémoire de l’histoire, une
histoire qui a permis, jusqu’à aujourd’hui, grâce aux mythes et aux légendes,
aux religions et aux sciences, d’entrer dans la logique de la vie.
REMERCIEMENTS