Design_conception_creation_vers_une_theo (1)
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URL : http://www.wikicreation-test.fr/fr/articles/934
Manuel Zacklad
Laboratoire Dicen-IDF EA 7339
(Dispositifs d’I fo atio et de Co u i atio à l’È e Nu é i ue en Ile de France)
Conservatoire National des Arts et Métiers – Equipe Innovation
[email protected]
Aujourd’hui, le design est à la fois associé à la création, en particulier dans le design d’auteur,
et à la créativité, notamment, dans la mise en œuvre de démarches de design thinking ou de
co-design dans le cadre de projets d’innovation impliquant de nombreux acteurs. Ces deux
visions sont souvent fortement en tension : les tenants de la création reprochent à ceux de la
créativité d’ignorer les savoirs et savoir-faire spécifiques de la profession, ceux de la
créativité reprochent aux tenants de la création leur éloignement des projets d’innovation en
entreprise et des enjeux managériaux associés.
Pour surmonter cette opposition, nous opérons un double recadrage. En ce qui concerne la
création, nous nous différencions des visions qui restent souvent prisonnières de la référence
exclusive au design d’auteur et au design esthétique. Pour saisir la manière distinctive dont le
design aborde la création, nous montrerons comment il s’appuie sur une posture originale
dans les projets de conception, entre sciences de l’ingénieur et sciences humaines, en
mobilisant des méthodes sensibles et des techniques de concrétisation qui lui sont propres.
En ce qui concerne la créativité, nous nous différencierons des approches qui s’appuient
essentiellement sur une liste d’aptitudes psychologiques ou de traits de personnalité. Sans nier
le fait qu’ils puissent jouer un rôle, nous mettrons sur l’accent sur l’analyse des conditions
d’engagement des acteurs dans le processus de génération d’idées et d’esquisses. Dans ce que
nous appellerons le design de relation, c’est la capacité à réunir des acteurs porteurs de points
de vue complémentaires dans le cadre d’un agencement spatial et temporel adapté que nous
considérons être le moteur de la créativité. A la différence des artistes, qui doivent souvent
cultiver un certain détachement, le designer doit associer différentes parties prenantes, aux
premiers rangs desquels les usagers, pour concevoir des solutions créatives dans des projets
de conception souvent complexes.
Qu’il s’agisse de la création ou de la créativité, nous mettrons donc l’accent sur la manière
dont la science du design se positionne au sein des sciences de la conception dites aussi
sciences de l’artificiel (Simon 69). L’activité de conception peut être définie de manière très
générale comme une activité de résolution de problèmes mal définis (voir sur ce point Visser
2009) mais surtout dans laquelle les attentes du client interfèrent avec la manière de poser le
problème puisque les artefacts à concevoir lui sont destinés, que ce client soit un acteur privé,
public, voire la société dans son ensemble dans le cadre de préoccupations d’intérêt général
(Simon 69). Dans les sciences de la conception, on peut distinguer des phases de conception
amont (p.e. Bouchard 2011), consacrées notamment au développement du concept, de phases
aval, consacrées à la conception détaillée, au test et à l’amélioration. C’est dans les phases
amont, qui sont à la fois moins formalisées et plus stratégiques, que les sciences du design
sont les plus fréquemment sollicitées.
En effet, qu’il s’agisse de la création ou de la créativité, nous mettrons l’accent sur la manière
dont la science du design convoque les apports de nombreuses disciplines, des sciences
humaines et de l’ingénieur, mais aussi des techniques de concrétisation relevant
traditionnellement des arts appliqués, pour parvenir à ses fins. De ce point de vue, notre vision
de la science du design est du même ordre que celle qui prévaut, par exemple, dans les
sciences de l’information et de la communication ou dans les sciences de l’éducation, qui se
définissent comme des inter-disciplines « à objet » combinant différent savoir disciplinaires
plus fondamentaux ou spécialisés pour adresser les questions qui leur sont posées. Cette
approche interdisciplinaire du design qui rejoint celle d’auteurs tel que W. Jonas, qui lui
préfère le terme de transdisciplinarité (Jonas 2011, voir aussi Findeli 2015), nous permettra de
proposer une classification originale des pratiques et des savoirs du design.
De ce point de vue, l’expression de « design industriel » n’est pas très heureuse. Elle s’est
imposée parce que les designers ont d’abord été mobilisés dans le secteur industriel pour du
design d’objet. A une époque où la tendance dominante est celle de la croissance du design
d’interaction, de service, d’organisation, l’utilisation du terme « industriel » est trompeuse.
Pour cette raison, nous proposons de la remplacer par celle de design systémique (cf. par
exemple Jones 2014). Cette dénomination signifie donc que la valeur du travail du designer
est essentiellement indépendante d’un processus de fabrication artisanale et de la signature du
créateur sur l’objet, comme elle peut l’être dans le design d’auteur, mais qu’elle réside dans la
contribution inventive du designer dans les phases amont du travail conception, en
coopération avec d’autres concepteurs, sans que cette contribution ne porte nécessairement
sur des caractéristiques esthétiques des objets, des interfaces ou des services. Cette
contribution mobilise de manière explicite les différentes dimensions de l’artefact, dans le
design de concept, et engage une diversité de contributeurs et de partie prenantes dans le
design de relation.
La réputation de certains designers systémiques (au sens de notre définition) constitue bien
sûr aussi un enjeu important. Mais cette réputation ne s’appuie pas nécessairement sur le côté
« artiste » et la signature de l’auteur. Comme dans d’autre secteurs du conseil ou de
l’architecture, elle est basée sur la réalisation de projets significatifs pour des clients connus,
sur la vision prospective du cabinet, sur son lien à la recherche, etc. Si elle peut s’incarner
dans le nom du directeur, elle est en réalité portée par une équipe et la dimension servicielle
de la prestation peut-être aussi importante que l’objet résultant.
Sans que nous puissions nous appuyer à ce jour sur des données empiriques chiffrées, notre
hypothèse de travail est que le design d’auteur est aujourd’hui une réalité tout à fait marginale
en termes d’emplois. Pour quelques centaines de designers auteurs qui attachent leur nom à
des artefacts en leur conférant une valeur symbolique, on compterait plusieurs milliers de
designers systémiques engagés dans l’industrie ou les services en tant que salariés ou
prestataires, designers dont la créativité est tout aussi remarquable et utile, mais moins visible
que celle des premiers. Notre travail de classification portera donc sur le design systémique
qui correspond, selon notre hypothèse, à l’essentiel des emplois. Le plan de notre
argumentation suivra la classification tridimensionnelle des pratiques du design dont nous
présentons maintenant la structure.
L’intervention d’un designer pourra donc être caractérisée selon plusieurs axes (Fig. 3) : du
point de vue de ses compétences relatives au type d’artefact (objet, interaction, service…), du
point de vue de ses compétences relative au design de concept (forme, fonction,
expérience…) et enfin du point de vue de ses compétences relative au design de relation
(design thinking, co-design…). Un designer expérimenté possède plusieurs compétences dans
ces différents axes.
Classification du
design selon le
t pe d’a tefa t
Design de service
Design visuel et Design Design
Desig d’o jet et/ou
d’i fo atio d’i te a tio d’e vi o e e t
d’o ga isatio
Fig. 2. Décomposition du design systémique selon les axes du design de concept et du design
de relation (axes indépendants).
Figure 3. Positionnement d’une intervention au sein de la classification tridimensionnelle des
pratiques du design : type d’artefact, dimension de l’artefact, modalité d’engagement
relationnelle
La dénomination de ces catégories peut tout à fait être discutée et aménagée, l’objectif étant
essentiellement ici d’avoir un schéma simple, même si les écoles de design elles-mêmes
recourent à des dizaines de dénominations pour leurs cursus de formation, sans pour autant
couvrir l’ensemble des spécialités que nous évoquons ici (cf. par exemple, les dix secteurs de
l’Ecole nationale supérieure des Arts Décoratifs à Paris qui n’incluent pas le design de
service).
• Le desig d’o jet concerné par la conception de tous les artefacts tangibles et non
numériques (ou les composant non numériques de ces artefacts) incluant, par
exemple, au-delà du mobilier et des véhicules, le textile, la matière, la composition
•
florale, etc. ;
Le design visuel et d’i fo atio qui inclut le design graphique, mais aussi la photo, la
vid o et l’a i atio , la visualisation de données, etc.
• Le desig d’i te a tio concerné par la conception amont des interfaces homme-
machine via des écrans ou d’aut es dispositifs, ’est-à-dire les systèmes de
commande des artefacts rendus interactifs par le numérique dans les univers
•
professionnels et quotidiens (interaction homme-machine) ;
Le design de service et/ou d’o ga isatio dans une acception très large
correspondant notamment à la conception amont de processus serviciel incluant les
usagers dans les secteurs privés ou public via une diversité de média, d’o jets,
d’espa es, pouvant inclure les problématiques socio-politiques du design social ;
• Le desig d’e vi o e e t qui inclut à des échelles spatio-temporelles très
différentes, le desig u ai , le desig d’espa e, l’a hite tu e d’intérieur voire la
scénographie.
Dans la suite du texte, nous utiliserons le terme d’artefact pour décrire « l’objet de la
conception », que celui-ci soit un objet tangible, un service, une interface homme machine, un
scénario ou une organisation. Le terme d’artefact ne renvoie dont pas à la notion de « chose
matérielle » mais à celle d’objet résultant d’un « faire humain » même quand le support de ce
faire est purement gestuel et éphémère. Dans la conception amont d’un artefact complexe
différentes pratiques du design pourront être mobilisées : objet, interaction, visuel, etc. qui
pourront, le cas échéant, être confiées à des spécialistes différents.
Chaque dimension du design de concept est liée à un point de vue spécifique sur l’artefact à
concevoir (but, fonction, architecture, forme, focalisation sur l’artefact vs prise en compte de
l’environnement, etc.), à un point de vue spécifique sur ses utilisateurs (cognition, affect,
sociologie, imaginaire, etc.) et à l’utilisation d’outils de représentation et de modélisation
spécifiques (textes, dessins, schémas, objets…). Car, à la différence des ingénieurs qui se
focalisent sur les propriétés techniques de l’artefact, ou des chargés d’étude des différentes
disciplines des sciences humaines et sociales (ergonome, sociologue, anthropologue,
marketeur, etc.), qui se focalisent sur différentes caractéristiques des utilisateurs et du
contexte d’usage, le designer réalise une synthèse entre ces points de vue à l’aide de modèles
et de maquettes.
Comme le soulignent Dubuisson et Hennion (1996, 2013), les propositions du designer, par
rapport à celles d’autres spécialistes, accordent une importance symétrique à l’usager et à
l’objet. C’est selon nous pour réaliser cette synthèse, qu’ils construisent des modèles et
maquettes à l’aide de systèmes de représentation sensibles qui permettent d’engager diverses
parties-prenantes, soit en mode contributif, pour participer à la construction des modèles, soit
en mode évaluatif, pour les critiquer.
Le plus souvent, les classifications des pratiques de design tendent à les ordonnancer dans une
logique de processus. On distingue des phases de définition du problème, d’exploration, de
définition de l’architecture et de prise compte des enjeux esthétiques, en suivant, par exemple,
l’ordre des chapitres de l’ouvrage d’Ulrich (2011). On trouve des descriptions très raffinées
de cette approche par processus dans le champ du « design management ». Mais cette vision
rejoint plutôt selon-nous le champ du design de relation (cf. infra). Notre typologie des
pratiques et des savoirs du design de concept s’appuie plutôt sur l’identification de points de
vue complémentaires sur les artefacts et leurs utilisateurs équipés par des théories et des
savoir-faire différents.
Bien sûr, dans un projet complexe et fortement innovant, toutes ces dimensions doivent être
mobilisées. Mais il est également possible que les interventions du designer soient limitées à
une dimension spécifique dans laquelle son apport n’en sera pas moins déterminant. Par
ailleurs, il est très rare de trouver des designers qui soient également compétents dans toutes
les spécialités. Si les designers expérimentés maitrisent les enjeux liés à chacune des
principales dimensions, ils n’en feront pas moins appel à des professionnels plus pointus de la
forme, de l’usabilité, de l’expérience ou de la symbolique selon les besoins.
D’autres auteurs (Vial 2010) se sont également essayés à cette identification de différentes
dimensions du design :
« Vial introduit l’idée de trois dimensions du design : 1) « l’effet callimorphe » lié à la
beauté formelle de l’objet et dont se réclament la plupart des manifestes de designer
(p. 56) ; 2) « l’effet socioplastique », relatif à la forme sociale, rendu nécessaire par la
valeur d’usage du design et fortement lié à l’idée de sculpture sociale, donc à une
ambition morale du design (p. 61) ; 3) « l’effet d’expérience » qui combine le premier
et le deuxième effet vers « l’expérience utilisateur » (p. 62). » (Alcade 2012).
On retrouve en partie dans cette typologie les notions de forme et d’usage sans identification
spécifique des aspects fonctionnel et symbolique ce qui justifierait ultérieurement une
comparaison plus approfondie. Cette approche rejoint également celle des critères de
conception dans laquelle Danielle Quarante (Quarante 2001 citée par Elsen 2009) identifiait
des facteurs culturels (pouvant correspondre à la dimension symbolique), harmoniques
(forme), fonctionnels (fonction), sociaux (usage) et historiques.
Le design de forme
Le design de forme correspond à un des rôles classiques des designers qui définissent la forme
des artefacts à concevoir (la « parure », Hatchuel 2005). Cette forme a bien sur une
importance considérable dans un nombre significatif de situations d’usage. Elle est
directement liée aux critères esthétiques, au style, à l’identité visuelle de l’artefact et elle
entretient des interactions nombreuses avec la fonction et l’usage. Son importance est d’autant
plus grande qu’il s’agit de conquérir des « clients » qui sont confrontés à un nombre important
d’options également satisfaisantes d’un point de vue fonctionnel. C’est dans ce type de
contexte qu’elle fait plus encore la différence.
Les savoirs du design de forme sont ceux de l’esthétique et de toutes « les techniques de
concrétisation » qui étaient traditionnellement regroupées dans le domaine des « arts
appliqués ». Ces techniques de concrétisation sont nécessaires aux designers pour la
réalisation des visuels et des maquettes et elles relèvent de domaines aussi divers que le
graphisme, la typographie, la photo, la vidéo et les logiciels associés mais aussi le textile, le
bois, le son, etc. Ainsi, le design de forme entretient également des liens avec la technologie,
soit des technologies assez simples quand il est possible de réaliser un prototype opérationnel
de l’artefact, soit des technologies sophistiquées mais essentiellement dédiées au processus de
représentation et pas de fabrication, bien que cette distinction soit parfois plus difficile à tenir
pour les artefacts numériques, notamment dans le design visuel. Dans le domaine du design
d’objet, du design visuel ou du design d’interaction, le design de forme est toujours un enjeu
du projet. Mais sa part peut-être plus ou moins grande par rapport à d’autres spécialités du
design selon les exigences du commanditaire.
Le design de fonction
Le design de fonction se distingue du design de forme parce que l’inventivité se déploie sans
aucune référence aux enjeux esthétiques ou de style pour s’intéresser au « quoi » plutôt qu’au
« comment ». En toute rigueur, le design de fonction intervient d’abord dans les phases de
définition du problème sans se « compromettre » dans les décisions liées aux technologies de
mise en œuvre et d’architecture matérielle qui seront mobilisées dans les phases d’exploration
des solutions (Ulrich 2005). Mais l’approche fonctionnelle s’entend de manière récursive par
rapport aux dimensions de la mise en œuvre (Hoc 87, Zacklad 2003). Ainsi, il est possible de
distinguer une problématique de buts fonctionnels (le « quoi »), de fonctions abstraites,
fonctions générales voire fonctions physiques (p.e Rassumussen 1985), chaque niveau se
distinguant des précédents par la volonté de s’exempter temporairement de décisions relevant
des niveaux « inférieurs » : choix des composants techniques, détails de forme, etc.
Design de concepts
Intitulé des Exemples de domaines du Exemple de savoirs et savoir-faire
spécialités du design ou autres appellations convoqués
design de concept similaires
Design de forme Notamment des catégories Savoirs : esthétique, histoire de l’art …
(dimensions du design visuel mais aussi Savoir-faire : toutes les techniques de
esthétiques et de très nombreuses concrétisation et les outils numériques
d’émotion liées à appellations selon les contemporains associés…
la forme) « objets » quand on se
focalise sur la représentation
de la forme (sonore, espace,
textile, etc.)
Design de fonction La représentation des Savoirs : point de vue de l’artefact : les
(dimensions fonctions de l’artefact et de savoirs des sciences de l’ingénieur dans la
cognitives son utilisabilité en cohérence modélisation amont (analyse
d’usabilité et avec la forme (objet, fonctionnelle, systémique, etc.), point de
d’efficacité) interaction, service) vue de l’utilisateur : savoirs des sciences
humaines et sociales (ergonomie, SIC,
etc.)
Savoir-faire : les savoir-faire des enquêtes,
de la modélisation, et le cas échéant des
arts-appliqués pour la construction de
maquettes sensibles…
Design Design d’usage (autre Savoirs : sociologie des usages,
d’expérience appellation similaire), prise psychologie du travail, SIC,
(dimensions socio- en compte de anthropologie, histoire, marketing,
économique, l’environnement global innovation, urbanisme, etc.
segmentation, d’usage de l’artefact et la Savoir-faire : les mêmes que pour le
accessibilité, valeur associée pour des design de fonction plus les enquêtes
sentiment) types d’usagers (objet,
interaction, service)
Design symbolique Design d’image de marque, Savoirs : les mêmes que dans le design
(dimension identité visuelle, réputation, d’usage en mettant souvent l’accent sur les
imaginaire, les dimensions symboliques dimensions culturelles et la sémiologie…
identification du produit ou du service ou Savoir-faire : enquêtes pour sonder les
sociale, valeurs) plus généralement de la représentations, techniques de
« marque » concrétisation pour réaliser des visuels,
etc.
Tableau 1. Les dimensions du design de concepts
Cette distinction entre des niveaux de mise en œuvre semi-indépendants n’induit pas un strict
ordonnancement temporel dans l’élaboration des plans. Comme l’ont montré les recherches
en sciences cognitives sur les processus de conception, le raisonnement de conception est
opportuniste et multiniveaux (Stefik, 1981, Hoc 1987). Ainsi, peuvent coexister à un moment
donné du projet des ébauches relevant de différents niveaux d’abstraction, fonctions
génériques, fonctions physiques, forme physique, etc., le processus de sélection des ébauches
relevant d’une activité de génération de contraintes aussi importante pour la résolution du
problème que celle de la génération de propositions. De ce fait, la coopération entre les
spécialistes du design, comme avec les autres concepteurs, n’est pas nécessairement linéaire
mais peut relever d’une forme d’ingénierie concourante.
Quand ils adoptent le point de vue de l’artefact, les savoirs du design de fonction sont proches
de ceux des sciences de l’ingénieur, par exemple ceux de l’analyse fonctionnelle. Quand ils
prennent le point de vue de l’utilisateur, ils s’appuient sur les sciences humaines et sociales et
notamment sur l’ergonomie. Le design de fonction, comme toutes les démarches de design
systémique, fait souvent appel à des maquettes sensibles pour illustrer les nouvelles
fonctions : schémas, cartes, légos, boites, etc. Mais l’utilisation de ces méthodes sensibles ne
vise pas à préfigurer l’aspect formel de l’artefact comme dans le design de forme, mais à
faciliter l’engagement des contributeurs dans le processus de conception amont en facilitant
l’appréhension des fonctions qu’il remplira.
Le desig d’expérience
Le design d’expérience (UX design dans le design d’interaction) ou design d’usage, vise à
concevoir les artefacts dans l’objectif de garantir une bonne « expérience utilisateur ». On fait
souvent remonter ce terme au travail de D. Norman (1998) qui exprimait notamment la
nécessité de sensibiliser les ergonomes à d’autres dimensions que les dimensions cognitives :
affect, émotion... Dans une logique de service, cette acception est convergente avec celle
« d’expérience client », qui désigne l’ensemble des dimensions à intégrer dans un processus
commercial en intégrant « l’expérience » du point de vente physique : lumière, confort,
ambiance, contact sensoriel avec les produits, accueil, etc. et celle des interfaces numériques.
D’une certaine manière, la perspective du design d’usage amène à adopter une perspective
« orientée service » pour l’ensemble des artefacts à concevoir même quand ceux-ci sont des
objets ou des logiciels. Par ailleurs, cette prise en compte plus globale de l’environnement
amène à se poser la question de la diversité des usagers en regard de celui-ci, de la variété de
leurs intérêts et motivation, d’où le recours fréquent à la méthode des « persona ».
Le point de vue se déplace de la facilité d’utilisation d’une interface pour atteindre un but
donné à celui de la perspective des fonctions d’usage dans une chaîne de valeur intégrée. Par
1
Dans certains travaux récents on plaide pour une « pensée orientée expérience » (Flach et al. 2017), mais
pour stimulante que soit cette approche elle reste, nous semble-t-il, trop focalisé sur un dialogue exclusif entre
sciences cognitives et design.
exemple, dans la conception amont d’une montre connectée, on ne travaillera pas sur la liste
des fonctions techniques disponibles et l’usabilité de l’interface permettant d’activer ces
fonctions, mais on interrogera, pour une fonction technique donnée, l’accès à la messagerie
électronique, par exemple, comment celle-ci pourrait s’intégrer globalement au sein de
l’ensemble des média et appareils de communication dont disposeraient différents types
d’usagers. Le design d’usage invite ainsi également plus volontiers à s’interroger sur les
nouveaux modèles d’affaire associés à l’artefact selon la « proposition de valeur » dont il peut
être porteur dans l’écosystème considéré.
Le design symbolique
Le design symbolique renvoie à l’investissement des designers dans les aspects les plus
immatériels et culturels des produits et services. Les dimensions fonctionnelles et
expérientielles des artefacts tirent en partie leur effectivité du plan symbolique. En
complément de leur valeur d’usage, les artefacts constituent souvent un langage qui permet
aux consommateurs de se positionner dans une logique d’appartenance sociale (Veblen 1898,
Bourdieu 1979) ou de détournement créatif communautaire (De Certeau 1980). En choisissant
d’utiliser certains produits et services les utilisateurs-consommateurs contribuent
simultanément la définition de leur identité sociale.
A travers la dimension symbolique le sens des artefacts dépend avant tout de procédés de
reconnaissance dans des relations sociales elles-mêmes diverses, conflictuelles, plurivoques
(Le Breton 2010, présentant le symbolisme chez Mauss) mais également d’un système de
représentation lié à un imaginaire collectif, structuré par des mythes ou des archétypes (cf. par
exemple, les approches aussi diverses que celles de C. G. Jung 1988, G. Durand 1960, R., C.
Castoriadis 1975). Cette importance de l’imaginaire fait l’objet d’un renouveau intérêt dans le
domaine de l’innovation comme en témoignent les travaux de P. Musso et de son équipe
(Musso 2005). L’anthropologie, l’histoire, mais aussi la sémiologie et les célèbres études de
Roland Barthes sur la mythologie des produits de consommation (Barthes 57) ou plus près de
nous de Beyaert-Geslin (2012), sont mis à contribution pour tout à la fois décoder et orienter
l’inscription symbolique des artefacts.
Une des difficultés vient du fait que cette dimension symbolique est souvent portée par la
marque qui représente une entreprise ou une famille de produits. Les chargés d’étude et les
designers peuvent donc intervenir soit sur un produit au sein d’une marque soit sur la marque
dans son ensemble. On parle alors souvent « d’image de marque », mais il s’agit plutôt d’une
identité de marque dans laquelle les dimensions proprement formelles, liées par exemple au
graphisme, ne représentent qu’une composante. L’identité de marque peut inclure, par
exemple, un logo, un slogan, du storytelling, des normes graphiques, etc.
Les messages et ces supports d’accompagnement, quand ils n’ont pas une fonction didactique,
comme le manuel d’utilisation, ont le plus souvent une dimension promotionnelle ou
publicitaire. Celle-ci est encore plus marquée quand ils sont destinés à des campagnes média.
Les messages véhiculés peuvent parfois être assez éloignés des caractéristiques fonctionnelles
et d’usage des artefacts, mais s’ils s’avèrent trompeurs par rapport aux caractéristiques de
l’offre, les effets à long terme sont contreproductifs.
Exemple dans la conception d’un service numérique pédagogique
Design symbolique Design d’usage Design de fonction Design de forme
Intervention Conception de la Conception des Conception amont Conception du
du designer représentation de la usages du service des fonctionnalités graphisme des
relation aux pour différents de l’interface et interfaces, du
institutions types d’usagers et des dialogues « look & feel »,
académique légitimes, différentes homme-machine sélection des
image de l’entreprise modalités pour les différents visuels…
(association, d’exploitation : types d’usage
privée…), etc. : formation dans la (utilisation)
intitulé de l’offre, durée, mode
slogan, principes pour « picorage », etc.
le visuel du site, etc.
Autres Anthropologie, Sociologie des Analyse Typographie,
compétences sociologie, usages, sciences de fonctionnelle, photographie,
sémiologie, SIC l’éducation, sciences de colorimétrie,
marketing, l’éducation et sémiotique,
modèles d’affaire didactique, esthétique, styles
ergonomie, d’interface…
architecture de
l’information
Tableau 2. Exemple de la contribution des différentes dimensions du design de concept dans le champ
du design d’interaction pour la conception d’un service numérique pédagogique
Au-delà du processus d’extension terminologique qui peut tendre à annexer des métiers
existants à la sphère du design, il y-a-t-il une spécificité du mode d’intervention des designers
de fonction ou d’expérience quand ceux-ci adoptent le point de vue de l’utilisateur ? Selon
nous, si le designer d’interaction ou d’usage peut effectivement être amené à utiliser les
savoirs de l’ergonome et du sociologue, il se différencie de ces spécialistes par son utilisation
des méthodes sensibles visant à stimuler la créativité des parties prenantes en leur permettant
de se projeter dans les situations cibles. Ces savoir-faire complémentaires sont au cœur de sa
démarche, même quand il ne s’agit pas d’intervenir sur la forme finale de l’objet. Ainsi, là où
l’ergonome aura recours à l’expertise, à l’observation systématique et à l’expérimentation
contrôlée, là où le sociologue réalisera des entretiens et des observations ethnographiques, le
designer d’expérience construira des situations d’engagement permettant de simuler l’usage
des objets, des systèmes et des services, sur des maquettes numériques ou tangibles pour
encourager l’inventivité. Quand les chargés d’étude en ergonomie et en sociologie mettent en
évidence par leurs analyses des tendances ou des propriétés cognitives, perceptives,
émotionnelles, sociales des systèmes, les designers privilégient la génération d’idées,
l’évaluation par les parties prenantes et la définition de pistes de mise en œuvre, même s’ils ne
sont pas toujours en mesure de justifier leurs préconisations autrement qu’en référence aux
situations d’engagement qu’ils auront suscitées.
Nous ne citons cette forme de design de relation que pour mémoire. Tous les designers sont
formés d’une manière ou d’une autre aux principes de base de la gestion de projet qui sont
consubstantiels à l’ensemble des activités de conception. Ces principes impliquent à minima
l’identification des acteurs et de leurs rôles (clients, fournisseurs de premier rang, sous-
traitants, utilisateurs, etc.), une décomposition des tâches et des livrables, une planification
temporelle de la fourniture de ces livrables, une forme de gouvernance qui se traduit par des
relations d’autorité et la mise en place d’instances dédiées au pilotage. A l’intérieur d’un
projet, le designer peut travailler dans le cadre d’un processus séquentiel de manière
relativement isolée. L’engagement des autres acteurs se fait sur la base d’un cahier des
charges et les résultats intermédiaires sont évalués à l’occasion de réunions de présentation
classiques. Le designer de relation en mode projet est essentiellement un chef de projet qui
connait les métiers de la conception et du design. Toutes les autres formes de design de
relation que nous allons aborder maintenant visent à dépasser cette forme de travail
séquentiel, dont les limites sont connues, en suggérant des formes de travail en équipe qui
viennent enrichir les processus créatifs mis en œuvre par les designers et les parties prenantes
qu’ils associent à leur travail.
Le design thinking
Le design thinking est la plus connue des spécialités du design de relation. L’objectif est de
mettre des collectifs en condition de produire de nouvelles idées en tenant compte de
contraintes spatio-temporelles données. Le design thinking pourrait être dénommé design
maïeutique en référence au processus d’accouchement des idées socratique, car le designer
maïeuticien est a priori ignorant et cherche à révéler les savoirs latents par des méthodes
d’exploration systématiques s’appuyant essentiellement sur l’expérience des participants.
Bien sûr, cette explicitation des savoirs vise à déboucher sur des idées créatives relatives au
problème à résoudre, la confrontation entre les points de vue visant à rendre la génération de
propositions encore plus productive. Dans certains cas, le design thinking peut inclure des
phases d’enquête auprès d’utilisateurs, mais cette approche reste rare.
Notons qu’il existe dans la littérature deux acceptions du design thinking (Jonas 2011). Celle
défendue, par exemple, par N. Cross (2011), vise à restituer la manière spécifique de penser
des designers en s’appuyant sur des analyses de leurs pratiques, ce qui correspondrait en
partie à l’objectif général que nous nous assignons dans cet article. L’autre, vise de manière
normative à améliorer les processus de design et plus généralement d’innovation comme dans
la vision d’IDEO (Brown & Wyatt, 2010). Cette acception est celle qui correspond au design
de relation que nous abordons dans ce paragraphe, en retreignant cependant la problématique
du design thinking au processus de créativité coopératif sans y inclure l’ensemble des phases
d’enquêtes pouvant relever potentiellement, selon nous, d’autres acteurs de la conception
(cf.infra).
Le design thinking comporte généralement trois principales phases même si des variantes
existent selon les méthodes par une subdivision des étapes canoniques en sous-catégories :
inspiration, idéation, implémentation (Brown & Wyatt, 2010). La phase d’inspiration consiste
à poser le problème à l’issue d’un « brief », qui dans les approches les plus sophistiquées, vise
aussi à fournir aux participants des éléments de connaissance approfondis relatifs aux enjeux.
Dans la phase d’idéation, les participants génèrent des propositions de solutions en explorant
des alternatives. Il est nécessaire d’être d’abord assez « divergent » pour générer autant
d’options que nécessaire quitte à « sortir du cadre ». La phase d’idéation se conclue
généralement par du classement et une synthèse pour ne retenir qu’une ou deux options qui
seront approfondies. Dans la phase d’implémentation, on esquissera un plan de la solution sur
la base des options sélectionnées. Dans le temps généralement dévolu aux opérations de
design thinking, l’implémentation ne peut pas être une spécification détaillée des artefacts à
concevoir, mais elle peut donner lieu à des maquettes illustrant de manière suggestive l’option
qui aura été choisie.
Toujours en France, pour prendre un autre exemple, la sémiotique et le pragmatisme sont mis
à profit dans le développement de la méthode <Metabolisme> pour « métabolisme de la
pensée » inspirée des concepts de C. S. Pierce (Darras 2017a). Sans se revendiquer
explicitement du Design Thinking cette méthode permet à un chef de projet de conception de
diagnostiquer les écarts cognitifs, sémiotiques et pragmatiques entre les parties prenantes d’un
projet en référence au cycle des étapes de pensée dans les enquêtes créatives : habitude
d’action, doute, enquête, changement d’habitude, apprentissage, nouvelle habitude, etc.
Généralement, le design thinking ne dit rien de la place spécifique que pourraient jouer des
designers de concepts professionnels par rapport à d’autres acteurs. Ceux-ci peuvent avoir
deux statuts : ils sont soit les commanditaires, voir les animateurs de la session de design
thinking mais alors ils n’alimentent pas le processus en idées, soit des participants au
processus, mais alors ils ne doivent pas avoir de statut d’autorité particulier.
Dans les approches actuelles, le co-design conserve cet objectif de confrontation de parties
prenantes porteuses de perspectives hétérogènes sur le problème, mais cette confrontation
peut aussi être mise à profit pour stimuler la créativité dans les phases amont en symétrisant
autant que possible le rôle des utilisateurs et des concepteurs professionnels. Dans certains
dispositifs originaux, les rôles des participants peuvent être distincts. Certains intervenants
sont invités dans les sessions de travail pour introduire des connaissances hétérogènes ou
disruptives et représenter des points de vue différents qui ne sont pas nécessairement ceux de
l’usage. Ces contributions peuvent ne pas être intégrées au processus de génération d’idées
qui peut être réservé à d’autres participants directement concernés par les artefacts à
concevoir (cf. les interventions de CoDesign’IT). Diverses tentatives de formalisation de
l’engagement des parties prenantes existent dont celles de B. Darras et de son équipe
récemment mise à jour (p.e Darras 2017b).
Le design rhétorique
Le design rhétorique ne correspond pas à une catégorie classique du design de relation mais
nous l’identifions néanmoins comme une composante essentielle des projets que nous avons
observés. L’objectif du design rhétorique est de mettre en valeur les propositions des
designers lors de briefs destinés aux clients. Mais il serait limitatif de restreindre cette
spécialité à la conception de diapositives comme dans certaines acceptions du « presentation
design » ou il faut étendre le sens de la « présentation » à l’ensemble des registres expressifs.
Les designers rhétoriques utilisent ainsi tous les ressorts du design de forme (graphisme,
typographie, scénographie, storytelling, etc.) mais cette mise à contribution des techniques
sensibles ne vise pas à concevoir la forme des artefacts cibles, comme dans le design de
concept, mais à contribuer à la forme des présentations intermédiaires de manière à entrainer
l’adhésion des clients ou plus généralement des parties prenantes. Dans certains contextes,
l’expérience des présentations intermédiaires et finales et les changements de perspective
qu’elles peuvent induire chez les bénéficiaires peut-être aussi importantes que l’artefact à
concevoir.
C’est la raison pour laquelle, le design rhétorique relève avant tout du design de relation et pas
du design de concept. A la différence du design thinking ou du co-design il est directement
destiné au client ou aux parties prenantes dans le but d’emporter leur conviction sur les
options de conception choisies dans le projet et ce à différentes phases d’avancement. Bien
sûr, notamment dans un projet de design de forme, plus le travail sera réussi sur un plan
esthétique, plus le travail du designer de présentation sera facilité, puisqu’il pourra
directement utiliser dans ses présentations des éléments de représentation de l’artefact à
concevoir. Mais un bon design rhétorique saura également mettre en valeur d’autres éléments
que les dimensions liées à la forme de l’artefact qui peuvent même être secondaires le projet
(design de fonction, design d’expérience). Les savoir du design rhétorique relèvent des SIC,
de la psychologie sociale, de la sémiotique, de la rhétorique, etc. et de tous les savoir-faire
associés aux techniques de concrétisation qui seront mobilisées par les designers pour
emporter l’adhésion du bénéficiaire.
Design de relations
Intitulé des spécialités Exemple de domaines du Exemples de savoirs et savoir-faire
du design de relation design ou autre appellation convoqués
similaire
Design en mode Associé aux méthodes de Savoir : gestion de projet.
projet gestion de projet classiques Savoir-faire : gestion des délais et des
livrables, relation client, etc.
Design thinking Design maïeutique (autre Savoir : psychologie sociale,
appellation similaire proposée psychologie cognitive, ingénierie des
dans notre texte) connaissances, SIC, gestion de la
conception, etc.
Savoir-faire : animation des groupes,
facilitation graphique, etc.
Design participatif Co-design (autre appellation Savoir : psychologie sociale, SIC,
similaire) gestion de la conception, sociologie
des organisations, sociologie des
sciences, etc.
Savoir-faire : animation des groupes,
savoir-faire de l’enquête, facilitation
graphique et autre, etc.
Design rhétorique Mobilise de nombreux types Savoir : SIC, psychologie sociale,
de design, notamment sémiotique, rhétorique, etc.
graphique, mais porte Savoir-faire : toutes les techniques de
principalement sur la concrétisation pouvant être utilisées
communication du projet et dans le design de forme…
pas sur les caractéristiques de
l’artefact à concevoir
Tableau 3. Les catégories du design de relations
Définition du design
L’approche interdisciplinaire et pluridimensionnelle que nous suivons ici met donc
particulièrement l’accent sur la diversité des savoirs auquel s’alimente le design, que ceux-ci
relèvent des techniques de concrétisation anciennement regroupées dans le champ des arts
appliqués, des sciences de l’ingénieur ou des sciences humaines et sociales. Elle nous permet
également de proposer une définition du design systémique qui permet de cerner sa spécificité
dans les projets de conception :
Le design est une discipline des sciences de la conception qui a comme particularité
l’utilisation de méthodes sensibles permettant (1) de spécifier différents éléments de la
forme, du fonctionnement, de l’architecture, de l’utilisation ou de l’usage d’un artefact
et (2) d’engager des acteurs dans le processus de conception au-delà des rôles formels
auxquels ils sont tenus.
Le designer a deux spécificités : (1) dans le design de concept, il ne sépare pas les
enjeux de spécification logique, matérielle et formelle des artefacts des enjeux
d’utilisation, d’usage et de valeur symbolique et (2) il ne sépare pas ces enjeux de ceux
relatifs à l’implication des acteurs, design de relations, même s’il peut être nécessaire
d’accorder une priorité à l’un ou l’autre des aspects au cours du projet.
Les méthodes sensibles permettent d’élaborer des modèles et d’engager des démarches qui
relèvent d’une « formalité sémiotique »2 (p.e. Zacklad 2005, 2010), qui est indispensable dans
les phases d’ajustement laissant place à la créativité. Cette formalité se différencie, d’une part,
de la formalité logico-mathématique ou computationnelle qui pourrait prévaloir dans la
définition du concept élaborée par les ingénieurs (signification strictement référentielle) et,
d’autre part, d’une formalité de type juridique qui pourrait prévaloir dans la gestion des
relations (stricte conformité à des rôles formels).
2
Ou si ple e t de s’appu e su des od les s ioti ues au se s d’Hjel slev, des s st es de sig es da s
les uels le pla de l’e p essio et elui du o te u o t ha un une structure propre, dit autrement, des
od les ui doive t fai e l’o jet d’u e i te p tatio , do t la sig ifi atio e se duit pas à l’e utio d’u
programme.
lesquelles elles s’appuient, le design, de par son traitement spécifique des problématiques
liées au processus de conception amont, génère des savoirs spécifiques que ne possèdent ni
l’ergonomie, ni la sociologie, ni l’anthropologie pour ne prendre des exemples que dans les
SHS.
Dans le domaine des sciences de l’ingénieur on pensera aux nombreux champs du numérique,
bien sûr, mais aussi, selon les spécialités, à l’acoustique, l’électronique, la chimie, la science
des matériaux, la biologie, etc. Du côté des sciences humaines et sociales nous avons déjà
évoqué à plusieurs reprises l’ergonomie, la psychologie du travail, la sociologie, les SIC, la
sémiologie, l’anthropologie, l’esthétique, le marketing, la gestion de l’innovation, etc. Cette
ouverture permettrait à certains designers de revendiquer des rôles d’ingénieur, d’enquêteur,
de chargé d’étude ou d’experts. Symétriquement, les professionnels souhaitant intervenir
différemment dans les phases amont de la conception peuvent se former aux savoirs et aux
méthodes du design de concept ou de relation pour intervenir en tant que designer dans les
projets.
On l’aura compris, notre point de vue est qu’une meilleure explicitation des savoirs mobilisés
dans les pratiques de la conception amont permet à la fois de mieux valoriser les apports des
différents acteurs des projets, mais aussi de faciliter leur coopération et leur mobilité
professionnelle. Nous pensons aussi que cette coopération est la meilleure garantie de
pertinence pour les projets et que les designers, comme les autres concepteurs, sont toujours
meilleurs quand ils sont associés à d’autres spécialistes.
Remerciements
Nous remercions vivement les collègues du Centre Michel Serres pour l’innovation
d’HESAM, du CNAM, de l’ENSCI, de Codesign-it! et des écoles supérieures d’arts appliquée
(ESAA) pour les échanges qui ont permis cette réflexion. Nous remercions également les
relecteurs de Wikicreation pour leurs remarques constructives.
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