Collection fondée par Michel BOUVIER
Directeurs de collection :
Michel BOUVIER, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Laurent RICHER, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Perspecti v es
Jean-Pierre CAMBY, professeur associé à l’Université de Versailles
Saint-Quentin
Creuset d’identités culturelles, l’Unesco a consacré en 2003 une définition Jean-Raphaël Pellas
extensive du patrimoine culturel immatériel, en y englobant les pratiques,
représentations, expressions, connaissances et savoir-faire, les instruments,
objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés. L’Unesco ajoute
que ce patrimoine, « transmis de génération en génération, est recréé en
Le patrimoine
permanence par les communautés et groupes en fonction de leur milieu ».
En charge de leur préservation, les États nationaux ont adopté des dispositifs
juridiques et fiscaux mis en exergue dans cet ouvrage.
La sauvegarde du patrimoine culturel immatériel est conçue comme
culturel
Le patrimoine culturel immatériel
comprenant l’identification, la documentation, la recherche, la préservation, la
protection, la promotion, la mise en valeur et la transmission d’un patrimoine
qualifié de « bien commun ». Les stratégies de sauvegarde mises en œuvre
autour du patrimoine culturel inspirent de nouvelles formes de développement
immatériel
plus adaptées aux caractéristiques des territoires, aux structures sociales et
aux ressources disponibles. Un des enjeux sur lesquels l’ouvrage apporte un
éclairage est précisément la mise en valeur de ce patrimoine culturel immatériel
par des dispositifs fiscaux qui préexistent à la convention de 2003. La mise
en valeur de ce patrimoine par l’impôt permet de s’interroger sur les façons
de patrimonialiser des pratiques et des représentations en tenant compte
d’éléments tangibles et sans compromettre leur caractère évolutif et vivant.
Les étudiants et les professionnels du patrimoine culturel peuvent ainsi Enjeux juridiques et fiscaux
appréhender de façon concise la mise en œuvre d’une convention internationale
au miroir d’un droit national diffus.
Jean-Raphaël Pellas est docteur en droit, chercheur associé à l’IEDP de
l’Université Paris-Saclay, chargé de cours à l’École du Louvre, à l’Université de
Bordeaux et dans le master de droit du patrimoine culturel de l’Université de
J.-R. Pellas
Paris-Sud, chargé de mission à FONDAFIP.
www.lgdj-editions.fr
ISBN 978-2-275-07245-6
28 e
systemes_Perspectives_Le patrimoine culturel immateriel.indd 1 29/01/2020 14:51
Jean-Raphaël PELLAS
Docteur en droit, Professeur à l’ISC-Paris,
Chercheur associé à l’IEDP de l’Université Paris-Saclay,
Chargé de cours à l’École du Louvre,
à l’Université de Bordeaux et dans le master de droit
du patrimoine culturel de l’Université de Paris-Sud,
Chargé de mission à FONDAFIP
Le patrimoine
culturel immatériel
Enjeux juridiques et fiscaux
© 2020, LGDJ, Lextenso
1, Parvis de La Défense
92044 Paris La Défense Cedex
www.lgdj-editions.fr
ISBN 978-2-275-07245-6
ISSN 0987-9927
Sommaire
Introduction : La notion de patrimoine culturel immatériel :
de quels droits ? ................................................................................................ 7
PARTIE I
LA CONSISTANCE DU PATRIMOINE CULTUREL IMMATÉRIEL .............. 29
CHAPITRE 1
Les critères d’identification du patrimoine culturel immatériel .... 31
CHAPITRE 2
Les institutions en charge de la sauvegarde du patrimoine
culturel immatériel .................................................................................... 45
PARTIE II
LA MISE EN VALEUR DU PATRIMOINE CULTUREL IMMATÉRIEL ........ 69
CHAPITRE 1
Patrimoine culturel et patrimoine naturel........................................... 71
CHAPITRE 2
Patrimoine vivant et spectacles vivants ................................................ 109
CHAPITRE 3
Le financement des savoir-faire liés à l’artisanat ............................. 137
Conclusion .......................................................................................................... 153
Annexe ................................................................................................................. 157
Bibliographie ...................................................................................................... 159
Index..................................................................................................................... 169
Introduction :
La notion de patrimoine culturel immatériel :
de quels droits ?
A. La notion de patrimoine culturel « matériel »
1. Célébré comme support d’une mémoire collective, le patri-
moine culturel « matériel » a tout naturellement, depuis bien long-
temps, attiré l’attention du public par sa visibilité, sa monumentalité
et sa beauté. Le patrimoine culturel, construction sociale, s’enracine
dans notre pays à la faveur du sacre d’une mémoire collective
« nationale ». La patrimonialisation en tant que processus soulève
des questions épineuses. Dans son ouvrage posthume La mémoire
collective, Maurice Halbwachs évoque, à côté des mémoires indivi-
duelles, l’existence de mémoires collectives : « Si par mémoire his-
torique, on entend la suite des événements dont l’histoire nationale
conserve le souvenir, ce n’est pas elle, ce ne sont pas ses cadres qui
représentent l’essentiel de ce que nous appelons la mémoire collec-
tive. Mais entre l’individu et la Nation, il y a bien d’autres groupes,
plus restreints que celle-ci, qui aussi ont leur mémoire et dont les
transformations réagissent sur la vie et la pensée de leurs
membres1 ». La mémoire collective, comme le mentionne Pierre
Nora, est le souvenir ou l’ensemble de souvenirs d’une expérience
vécue et/ou mythifiée par une collectivité vivante. Entre patrimoine,
mémoire et identité s’établit ainsi une circularité2.
2. En s’écartant d’une analyse diachronique qui va du passé au
présent pour privilégier une analyse synchronique qui permet de
restituer le passé à partir du présent, François Hartog évoque ainsi
une « historicisation immédiate du présent ». Pour lui, « le patri-
moine est une manière de vivre les césures, de les reconnaître et
de les réduire en inventant des sémiophores3 ». Certes, le présent
a échappé à l’évanescence que la fascination du futur avait pu
1. HALBWACHS M., La mémoire collective [1950], 2e éd., PUF, 1968, p. 67.
2. NORA P., Présent, Nation, Mémoire, Gallimard, 2011.
3. HARTOG F., Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Seuil, 2003, p. 205.
Selon Krzystof Pomian, les sémiophores forment la réunion d’objets visibles investis de
signifiants que se donne la société à un moment donné.
Le patrimoine culturel immatériel
engendrer et il a renoué avec un passé revisité. Le phénomène patri-
monial est somme toute consubstantiel au régime d’historicité
occidental4. C’est dans ce contexte que les objets du patrimoine
sont investis des significations qu’une société cherche à se donner.
Pour reprendre une formule célèbre de Jean-Pierre Babelon et
André Chastel : « le patrimoine se reconnaît au fait que sa perte
constitue un sacrifice et que sa conservation suppose des
sacrifices5 ». C’est en quelque sorte cette appropriation par une
autorité investie du droit de patrimonialiser qui fait passer une acti-
vité ou un bien du statut d’objet de civilisation, de produit de la
culture humaine, à celui d’œuvre patrimoniale. Le patrimoine met
en jeu « le droit à définir une communauté humaine par-delà les
générations6 ». Autant dire que le patrimoine culturel est destiné en
priorité à des générations futures7. Il extériorise et rend visibles les
liens qui nous unissent, d’une part, aux générations qui nous ont
précédés et, d’autre part, à celles qui suivent. Il ne s’agit pas d’une
simple filiation. Pour Jean Davallon, la filiation culturelle vient se
substituer à la filiation biologique. « La question n’est plus dès lors
de savoir comment est assurée la continuité pour éviter une rupture,
mais comment elle est construite à partir d’une rupture8 ». Le patri-
moine met ainsi en exergue une communauté de valeurs et de signi-
fications. Il s’agit somme toute d’archiver le présent comme un
passé au profit des générations futures. La définition du patrimoine
culturel proposée par Pierre-Laurent Frier reprend pour l’essentiel
ces éléments : « la notion de patrimoine culturel recouvre l’en-
semble des traces des activités humaines qu’une société considère
comme essentielle pour son identité et sa mémoire collective et
qu’elle souhaite préserver afin de les transmettre aux générations
futures9 ». Juridiquement, la notion de patrimoine reste néanmoins
tributaire d’une conception civiliste. Selon la doctrine juridique fran-
çaise, le patrimoine est défini comme un ensemble constituant une
4. HARTOG F., « Patrimoine et histoire : les temps du patrimoine », in ANDRIEU J.-Y. (dir.),
Patrimoine et société, PUR, 1998, p. 3-17.
5. BABELON J.-P. et CHASTEL A., La notion de patrimoine, L. Levi, coll. Opinion, 1994, p. 101.
6. TORNATORE J.-L., « Le patrimoine, de l’art de représenter le passé à l’art de faire attention »,
in KHAZNADAR C. (dir.), Le patrimoine oui, mais quel patrimoine ?, Actes-Sud/Babel,
coll. L’Internationale de l’imaginaire, 2012, p. 196.
7. Le mot « patrimoine » vient du mot latin « patrimonium », de pater : père, qui signifie
l’héritage du père succédé par les enfants. Mais dans son acception de bien collectif, on
le définit comme l’ensemble des pratiques et des biens culturels matériels et immatériels
appartenant à une communauté.
8. DAVALLON J., « Une filiation inversée ? », in « Transmettre aujourd’hui. Retour vers le futur »,
Espaces Temps 74-75, 2000, p. 6-16.
9. FRIER P.-L., Droit du patrimoine culturel, PUF, coll. Droit fondamental, 1997 p. 13.
8
Introduction : La notion de patrimoine culturel immatériel : de quels droits ?
universalité, ensemble indissociable d’actifs et de passifs, de droits
et d’obligations. Il est unique et indivisible. C. Aubry et C. Rau l’ont
conçu comme une « émanation de la personnalité ». Le patrimoine
est ainsi un concept qui permet de globaliser les éléments constitu-
tifs de la propriété d’une personne.
3. La construction d’un droit du patrimoine culturel dont les
linéaments ont été dévoilés par la thèse de Noé Wagener nous
démontre l’existence et la consolidation d’un monopole étatique en
la matière10. C’est particulièrement au cours de la deuxième moitié
du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle que l’État s’est
emparé de la question patrimoniale au regard des monuments his-
toriques, de l’archéologie, de l’architecture, de l’exportation des
biens culturels mais également du patrimoine naturel. Progressive-
ment, la notion de patrimoine est devenue un concept nomade qui
s’est invité dans les différentes branches du droit et de ses notions
clés. Selon Vincent Négri : « Dans les trajectoires de ce nomadisme,
le patrimoine se confond, par homonymie, avec d’autres notions voi-
sines et tend à collecter toujours plus de catégories, provoquant une
dilation continue du patrimoine culturel11 ». À ce titre, le développe-
ment exponentiel de « nouveaux biens » immatériels bouscule les
catégories traditionnelles du droit et tout particulièrement la notion
juridique de propriété. Il interroge la pertinence à définir éventuelle-
ment de nouveaux régimes juridiques en marge du droit commun de
la propriété. D’une certaine manière, la mise à distance du patri-
moine monumental renouvelle la construction sociale et juridique
du patrimoine. Depuis les années 1980, le curseur du patrimoine
culturel s’est encore déplacé de l’objet au sujet, du bien culturel
aux pratiques culturelles. Le patrimoine culturel se trouve investi
par la configuration de « mémoires sociales » qui opèrent comme
des vecteurs, des supports de recomposition de l’identité. La consé-
quence de ce basculement à la fois spatial et temporel a été perçue
par Pierre Nora comme une nomadisation du concept de patrimoine,
expression de traces à conserver vers une forme de passé vivant
représentative d’une identité nationale12. Dans sa dimension imma-
térielle, le patrimoine culturel convoque un laboratoire de pratiques
culturelles populaires et en dernier lieu des identités culturelles
10. WAGENER N., Les prestations publiques en faveur de la protection du patrimoine culturel, thèse
université Paris-Sud, (dir.) FONBAUSTIER L., 2014.
11. NÉGRI V., « Patrimoine culturel (droit interne) », in CORNU M., ORSI F. et ROSCHFELD J. (dir.),
Dictionnaire juridique des communs, PUF, 2017, p. 904.
12. NORA P., op. cit., p. 94-116.
9
Le patrimoine culturel immatériel
agrégées dans le cadre d’un État-Nation. La patrimonialisation iden-
tifiée selon André Micoud comme « l’ensemble des processus de
collecte et de valorisation par lequel un collectif social décide de
sortir des objets [...] du commerce ordinaire des choses pour leur
accorder un statut d’objets emblématiques de son identité dans le
temps13 » a nourri le dessein de favoriser simultanément leur recon-
naissance internationale et la planification de leur sauvegarde.
B. L’émergence d’un patrimoine culturel « immatériel »
4. Comment délimiter la notion de patrimoine culturel « immaté-
riel » ?
Du point de vue des créations intellectuelles, l’immatériel est à
l’origine du matériel comme la pensée l’est à la parole. Dans l’éven-
tail des patrimoines immatériels, l’accent peut être mis sur la
dimension immatérielle des biens du patrimoine culturel mais éga-
lement sur l’émergence d’un fait social saisi par le droit. L’imbrica-
tion de l’immatériel dans les biens culturels n’est plus à démontrer.
Ainsi, il existe en droit d’auteur un principe essentiel selon lequel la
propriété incorporelle de l’auteur sur son œuvre est indépendante
de la propriété corporelle du support14. Appliquée aux œuvres d’art,
cette indépendance des droits pose un problème dans la mesure où
la forme, objet du droit d’auteur, fait corps avec son support. Nadia
Walravens démontre dans sa thèse que l’art contemporain n’est pas
incompatible avec une approche personnaliste du droit d’auteur15.
Bien plus, certaines œuvres d’art se matérialisent par leur dimen-
sion immatérielle. L’artiste Dan Flavin utilise comme matériau la
lumière colorée qui provient de l’agencement de tubes fluorescents
dans un espace déterminé. La forme de l’œuvre est en quelque sorte
phagocytée par l’espace coloré que les tubes déploient. De manière
plus générale, la corporéité des choses, objets de droit réels et per-
sonnels, a un caractère axiomatique dans la théorie classique de la
propriété. La doctrine juridique contemporaine affirme à l’inverse sa
contingence. Jean-Michel Leniaud constatait que « la perception du
patrimoine à travers les strictes grilles du Code civil a séparé la
13. MICOUD A., « La patrimonialisation : redire ce qui nous relie ? », in BARRÈRE C., BARTHÉLEMY D.,
NIEDDU M. et VIVIEN F.-D., Réinventer le patrimoine. De la culture à l’économie, une nouvelle
pensée du patrimoine, L’Harmattan, 2004, p. 81-97.
14. V. GAUTIER P.-Y., Propriété littéraire et artistique, 11e éd., PUF, coll. Droit fondamental, 2019.
15. WALRAVENS N., L’œuvre d’art en droit d’auteur, Economica, 2005.
10
Introduction : La notion de patrimoine culturel immatériel : de quels droits ?
chose de son contexte et de son usage16 ». L’immatérialité qui s’at-
tache aux biens culturels avait déjà été soulignée en 1796 par Qua-
tremère de Quincy à propos des « rapatriements d’œuvres d’art »
séparés de leur contexte de naissance17. La dématérialisation des
biens culturels pose de nouveaux enjeux. Celle-ci est censée rendre
inappropriée la logique de la propriété et l’économie marchande des
biens, fondée sur la rareté. Les œuvres sont assimilées à des infor-
mations dont la particularité est de pouvoir être partagées indéfini-
ment. L’open data envahit ainsi le droit des archives en y intégrant
les données et non pas uniquement les documents. L’essor de
revendications patrimoniales immatérielles ne tient pas exclusive-
ment à l’existence d’une révolution numérique mais également à
l’émergence d’un concept de patrimoine culturel immatériel. L’ir-
ruption du vivant dans la notion de patrimoine culturel est marquée
du sceau de la convention Unesco 2003 pour la sauvegarde du patri-
moine culturel immatériel. Cette convention opère un changement
de paradigme dans l’approche patrimoniale, davantage construite
autour du lien d’appartenance que sur l’exceptionnalité des biens
qui fut au cœur de la convention Unesco de 1972 relative à la protec-
tion du patrimoine mondial, culturel et naturel. La convention 2003
introduit ainsi une conception anthropologique de la culture qui
prend en compte les communautés à l’origine des traditions popu-
laires et culturelles. Toutefois, la frontière entre le matériel et l’im-
matériel est fluctuante. Un savoir-faire traditionnel aboutit fréquem-
ment à la fabrique d’un objet. Au demeurant, selon les termes du
préambule de la convention 2003, le patrimoine immatériel et le
patrimoine matériel peuvent coexister en tant qu’ils sont « interdé-
pendants ». Le patrimoine culturel immatériel a besoin d’une
empreinte physique pour s’exprimer, de même que le patrimoine
matériel nécessite une dimension immatérielle pour être visible.
Pour Laurier Turgeon : « L’avènement de la notion de patrimoine
immatériel, qui vise à faire le pont avec le patrimoine matériel, invite
à les considérer comme unis dans une étroite interaction, l’un se
construisant par rapport à l’autre. L’immatériel construit le matériel
et, en même temps, le matériel incarne et exprime des valeurs
immatérielles18 ». Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la
16. LENIAUD J.-M., « Du matériel à l’immatériel : vers une nouvelle conception du patrimoine »,
in BENHAMOU F. et CORNU M. (dir.), Le patrimoine culturel au risque de l’immatériel, L’Harmat-
tan, 2010, p. 26.
17. QUATREMÈRE DE QUINCY A., Considérations morales sur la destination des ouvrages de l’art,
Paris, 1815.
18. TURGEON L., « Du matériel à l’immatériel. Nouveaux défis, nouveaux enjeux », Ethnologie
française 2010/3, p. 389.
11
Le patrimoine culturel immatériel
société prend la mesure de l’invisible au prisme de l’humanité mais
également de ses trésors intangibles, immatériels que l’on
dénomme dans un premier temps folklore, savoir-faire ou tradition.
À l’occasion d’un discours prononcé à l’Unesco en 1960, on attribue
à Amadou Hampâté Bâ une phrase désormais emblématique d’une
lutte pour la sensibilisation de la communauté internationale à la
préservation d’un patrimoine culturel ignoré avant d’être saisie par
le droit « En Afrique, quand un vieillard meurt c’est une bibliothèque
qui brûle ». C’est également l’expression d’une farouche opposition
à une culture occidentale dominante.
5. S’agit-il au demeurant de biens culturels au même titre que
ceux qui composent le patrimoine culturel « matériel » ?
Certains auteurs dénient toute qualification de « biens » au patri-
moine culturel immatériel au sens de la convention Unesco de 2003
dans la mesure où il ne s’agit que d’un fait social19. On peut objecter
à ce refus de qualification, une notion évolutive des biens. En pre-
mier lieu, la summa divisio des biens meubles et immeubles instau-
rée par le Code civil en 1804, préside à titre principal au partage des
biens. La distinction a un caractère universel puisqu’elle embrasse,
selon les termes mêmes de l’article 516 du Code civil, « tous les
biens ». Cela signifie que tous les biens sans exception entrent
dans la classification, non seulement les biens corporels mais éga-
lement les biens incorporels, pour lesquels le critère physique de
répartition n’a pas de sens. Il est néanmoins loisible d’objecter que
les biens sont généralement des choses qui sont éminemment
matérielles20. Développée par Frédéric Zenati-Castaing21 et poursui-
vie avec Thierry Revet22, la théorie renouvelée de la propriété se pro-
pose de remédier aux difficultés inhérentes à la conception moderne
des choses. Pour eux, tout ce qui n’est pas une personne peut être
une chose, et toute création de l’homme peut être un bien, car elle
constitue une chose. Il est entendu que ces créations ne se limitent
pas à une existence physique, en effet « les choses ne s’arrêtent pas
au monde tangible ». Redéfinie comme une relation d’exclusivité
entre une personne et sa chose, la propriété laisse apparaître un
spectre élargi des choses susceptibles d’appropriation. Même si
19. POLI J.-F., « Patrimoine immatériel et droits de l’État : questions pour un débat », in
CORNU M., FROMAGEAU J. et HOTTIN C. (dir.), Droit et patrimoine culturel immatériel, L’Harmat-
tan, 2013.
20. SABATHIÉ E., La chose en droit civil, thèse université Paris 2, 2004.
21. ZENATI-CASTAING F., Essai sur la nature juridique de la propriété, contribution à la théorie du
droit subjectif, thèse université Lyon 2, Jean Moulin, 1981.
22. ZENATI-CASTAING F. et REVET T., Les biens, 3e éd., PUF, coll. Droit fondamental, 2008.
12
Introduction : La notion de patrimoine culturel immatériel : de quels droits ?
elles n’ont pas de réalité tangible, les richesses immatérielles,
parmi lesquelles l’on trouve notamment les créations littéraires ou
artistiques mais également les savoir-faire, existent en tant que
valeurs23. La notion de valeur supplante en quelque sorte celle de
l’utilité. Un bien peut donc être défini comme toute chose qui repré-
sente une valeur, c’est-à-dire une conjugaison de l’utilité et de la
rareté d’une chose étant entendu que la rareté conditionne essen-
tiellement le critère de l’utilité. Le droit contemporain de la pro-
priété ne peut ignorer que les valeurs économiques constituent
désormais « des biens ». Le bien est avant tout ce qui est convoité
pour sa valeur24. Ainsi que le rappelle Grégoire Loiseau : « L’irrésis-
tible élan de la propriété incorporelle vient de là : l’activité humaine
fait naître des biens sans corporéité dont la valeur économique
pousse à les faire profiter d’une protection juridique. C’est en effet
la valeur économique qui permet d’envisager une appropriation et
définit par conséquent l’existence d’un bien25 ». C’est au demeurant
cette conception qu’investit la Charte du patrimoine et du développe-
ment de la région Bretagne en énonçant que « le patrimoine est
constitué de biens matériels et immatériels dont la conservation
présente, du point de vue de l’histoire ou de l’art, un intérêt public ».
En second lieu, la notion de « biens » englobe celle des droits26. Le
patrimoine culturel immatériel regroupe l’ensemble des créations
émanant d’une communauté culturelle fondée sur la tradition, expri-
mée par un groupe ou par des individus et reconnue comme répon-
dant aux attentes de la communauté en tant qu’expressions de
l’identité culturelle et sociale de celle-ci. Ces éléments postulent à
la reconnaissance de droits culturels. La notion est débattue27 mais
le lien du patrimoine culturel avec les droits culturels est établi par
l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et
par l’article 15 du Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels. Pourtant, le droit de l’individu au patrimoine
culturel prescrit dans ces textes a longtemps été considéré comme
23. V. MOUSSERON J.-M., RAYNARD J. et REVET T., « De la propriété comme modèle », Mélanges
André Colomer, Litec, 1993, p. 285.
24. PIEDELIÈVRE A., « Le matériel et l’immatériel. Essai d’approche de la notion de bien »,
Mélanges de Juglart, LGDJ, 1986, p. 55.
25. LOISEAU G., « Biens meubles par détermination de la loi ou meubles incorporels », Juris-
classeur Code civil art. 527 à 533, fasc. nº 20, paragraphe 12, 28 mai 2019. V. également :
PERINET-MARQUET H., « Regard sur les nouveaux biens », JCP G 2010, p. 1100 ; REVET T.,
« Les nouveaux biens », in Travaux de l’association H. Capitant, La propriété, Dalloz,
2006, nº 1, p. 271.
26. V. LIBCHABER R., « Biens », Répertoire de droit civil Dalloz, mai 2016.
27. V. PONTIER J.-M., « Sur des notions évanescentes. Droit à la culture et droits culturels »,
RDP 2018, p. 1089.
13
Le patrimoine culturel immatériel
restreint. L’article 15 visait le droit à « participer à la vie culturelle de
la communauté » et à bénéficier du progrès scientifique et culturel.
La sauvegarde du patrimoine culturel immatériel peut être analysée
selon Janet Blake « comme un droit de l’homme en soi de la com-
munauté culturelle et de ses membres dans la construction de leur
identité culturelle et sociale28 ». Par sa fabrique, ce patrimoine
culturel immatériel est à la fois un « fait social » mais également
un « bien » au titre de sa protection juridique quand bien même
celle-ci serait fragilisée.
6. Peut-on qualifier de biens communs les éléments du patri-
moine culturel immatériel ?
Sous le magistère d’Elinor Ostrom, et plus généralement de
l’école de Bloomington, les communs sont revisités selon une
approche économique en rupture avec les paradigmes du tout État
ou bien encore du tout marché. Désireuse d’échapper à la « tragédie
des communs » du biologiste Garrett Hardin29, Elinor Ostrom s’atta-
che à déconstruire les postulats de l’homo oeconomicus et conduit
une réflexion élargie aux biens immatériels alors que l’horizon de
la tragédie des communs se cantonnait aux ressources
naturelles30. Sur le plan économique, les biens communs sont des
ressources partagées par un groupe de personnes. Il s’agit de
biens non-rivaux en ce sens que l’usage par l’un n’interdit pas
l’usage par l’autre. C’est bien d’usage dont il est question car les
biens communs sont circonscrits par leur accès au profit de tous.
Sur le plan juridique, la notion de bien commun est intimement liée
à celle de la propriété31. Marie Cornu souligne cette dialectique :
« Postulant l’existence d’une propriété, l’approche ainsi initiée éva-
cue l’idée que le commun puisse être juridiquement pensé en
dehors de tout schéma propriétaire. Or parmi les ressources qui ali-
mentent la figure du commun, toutes ne sont pas des objets de pro-
priété ou des objets du droit32 ». La spécificité « économique » des
biens culturels communs est d’être non rivaux et non exclusifs,
comme les biens publics purs. Sur le terrain du droit des biens
28. BLAKE J., « Quelques réflexions sur la signification et les conséquences des communautés
à la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel », in Droit et patrimoine culturel imma-
tériel, op. cit., p. 119.
29. HARDIN G., The tragedy of the commons, Science vol. 162, 1968, p. 1243.
30. OSTROM E., La gouvernance des biens communs : pour une nouvelle approche des ressources
naturelles (1990), De Boeck, 2010.
31. V. MISONNE D. et CLIPPELLE (DE) M.-S., dossier « L’actualité des communs », Revue interdisci-
plinaire d’études juridiques 2018/2.
32. CORNU M., « Biens communs (approche juridique) », in Dictionnaire des biens communs,
op. cit., p. 102.
14
Introduction : La notion de patrimoine culturel immatériel : de quels droits ?
culturels, Marie Cornu précise « d’une façon inédite, l’argument du
bien commun est aujourd’hui invoqué pour justifier l’appropriation
publique sur certaines ressources ou encore pour sanctionner les
atteintes portées au patrimoine collectif. Il fait plus nettement émer-
ger l’idée d’un intérêt collectif juridiquement protégé33 ». Mais les
propriétés collectives nécessitent un système de gouvernance com-
plexe à mettre en place. Ainsi, dans le cadre du patrimoine culturel
immatériel, les communautés ne sont pas propriétaires des prati-
ques culturelles mais représentent les dépositaires d’un patrimoine
vivant. De plus, les communautés autochtones ne définissent pas les
liens entre nature et culture de la même manière qu’en Occident.
Elles ne se considèrent pas comme propriétaires des terres mais
elles fabriquent avec elles des liens d’interdépendance. Dans cette
perspective, transposer les règles de la propriété intellectuelle au
patrimoine vivant mis en scène par des communautés est une
gageure dont l’Unesco et l’OMC ont tenté de relever les défis. Fran-
cesca Cominelli s’est attachée à démontrer d’un point de vue holis-
tique que les savoir-faire sont des biens culturels communs34. Avec
raison, l’auteur considère qu’« inclure les savoir-faire traditionnels
dans ce cadre permet donc de sensibiliser les décideurs publics et
les institutions et d’établir des modèles alternatifs de gestion, ni
publics, ni privés. Enfin, mettre en avant la notion de bien commun
aide les membres d’une communauté à comprendre qu’ils ne sont
pas seulement des consommateurs passifs, mais que leur engage-
ment et leur participation sont sollicités pour une gouvernance
appropriée de leur patrimoine35 ». L’approche culturelle adoptée
par la convention Unesco 2003 déplace la focale des droits de pro-
priété intellectuelle d’une communauté vers celle de l’émergence
d’un patrimoine collectif dont sont dépositaires ces communautés.
L’adoption du paradigme des biens communs permet de renforcer
le lien entre le patrimoine culturel immatériel et les communautés.
En définitive, ces communautés administrent un patrimoine « fidu-
ciaire » au profit des générations futures sans que cela soit assimi-
lable à un droit de propriété.
7. Existe-t-il une reconnaissance de ce patrimoine culturel
immatériel en droit interne ?
33. Ibid., p. 105.
34. COMINELLI F., « Le patrimoine culturel immatériel est-il un bien commun ? Le cas de la
pierre sèche en France », Revue de l’organisation responsable 2012/2, p. 83-92.
35. Ibid., p. 89.
15
Le patrimoine culturel immatériel
Le patrimoine culturel immatériel préexiste à son internationali-
sation. Bien des législations ont introduit dans leur droit national des
mesures de protection idoine. L’expérience japonaise de protection
notamment des savoir-faire traditionnels remonte à 195036. En 1964,
le ministre de la Culture de Corée du Sud, désigne les premiers tré-
sors culturels dans quatre catégories, dont deux nous intéressent.
Ils différencient en effet les « trésors culturels immatériels (ou invi-
sibles) » de la « matière ethnographique ». La législation française
est plus sinueuse. Noe Wagener nous rappelle opportunément qu’à
l’occasion de la création du musée des Arts et Traditions populaires
en 1937, Georges-Henri Rivière avait plaidé, sans succès, pour la
création d’une section des « monuments folkloriques » au sein de
la commission des Monuments historiques37. La création d’un
musée de la Parole et des Gestes en 1927 est emblématique d’une
période où l’on prend conscience de l’importance des traditions ora-
les et locales. Créé en 1994 par le ministre en charge de la Culture,
le titre officiel de Maître d’art augure d’une prise de conscience de la
richesse du patrimoine immatériel. Le législateur français fait néan-
moins preuve de méfiance à l’égard d’un patrimoine immatériel
engendré par des communautés patrimoniales. Le Code du patri-
moine adopté par ordonnance le 20 février 2004 ne faisait ainsi
aucune place aux biens culturels immatériels alors qu’une année
plus tôt, l’Unesco adoptait une convention sur la sauvegarde du
patrimoine culturel immatériel. Selon l’article premier du nou-
veau corpus, « le patrimoine s’entend (...) de l’ensemble des biens
immobiliers ou mobiliers relevant de la propriété publique ou privée
qui présentent un intérêt historique, artistique, archéologique,
esthétique, scientifique ou technique ». À juste titre Marie Cornu
précise que « La méthode est d’ordre "compilatoire". Le législateur
ignore ici les biens culturels qui ne seraient pas pris dans une forme
sensible, laissant de côté, à l’exception de la référence au dépôt
légal, le domaine du patrimoine intellectuel38 ». Jusqu’à l’adoption
de la loi relative à la liberté de création, à l’architecture et au
36. KONO T., « La protection juridique du patrimoine culturel immatériel : plusieurs questions
vues sous l’angle de l’expérience japonaise », in CORNU M., FROMAGEAU J. et HOTTIN C., op. cit.,
p. 29.
37. WAGENER N., « La convention de 2003 à l’aune du droit français : mise en perspective his-
torique », communication à la journée d’études Droit comparé du patrimoine culturel
immatériel organisée par l’Académie de la culture de Lettonie dans le cadre du projet
Osmose (Académie de la culture de Lettonie – ISP), Riga, Académie de la culture, 29 juin
2015.
38. CORNU M., « À propos de l’adoption du Code du patrimoine, quelques réflexions sur les
notions partagées », Recueil Dalloz 2005, p. 1452.
16
Introduction : La notion de patrimoine culturel immatériel : de quels droits ?
patrimoine en date du 7 juillet 2016, l’article premier du Code du
patrimoine ne visait que les éléments tangibles du patrimoine définis
au regard de leur intérêt d’art, d’histoire, d’archéologie, d’esthé-
tique, de science ou de technique. Désormais, le législateur se
contente d’ajouter un nouveau paragraphe indiquant que le patri-
moine « s’entend également des éléments du patrimoine culturel
immatériel, au sens de l’article 2 de la Convention internationale
pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, adoptée à
Paris, le 17 octobre 2003 ». Au sens de l’article 2 de la Convention,
on entend par « patrimoine culturel immatériel » les pratiques,
représentations, expressions, connaissances et savoir-faire, ainsi
que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur
sont associés, que les communautés, les groupes et, le cas échéant,
les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine
culturel. La paternité de ce patrimoine culturel immatériel échoit
ainsi aux communautés. Cette codification a une portée symbolique
dès lors que la France, en ratifiant ladite convention le 11 juillet
2006, a reconnu l’existence d’un tel patrimoine et que sa consécra-
tion par la loi ne s’est pas accompagnée par l’instauration d’un
régime juridique spécifique. Il n’en demeure pas moins qu’en reliant
le patrimoine culturel immatériel à la notion anthropologique de
culture, la rédaction nouvelle du Code du patrimoine ouvre ainsi la
voie à une reformulation de la notion même de patrimoine culturel, à
savoir la sauvegarde d’un patrimoine « trace ». L’affirmation de ce
« droit à la protection » est portée par les revendications des com-
munautés en matière de patrimoine culturel immatériel39. Le Code
général de la propriété des personnes publiques (CGPPP) adopté par
l’ordonnance du 21 avril 2006 est tout aussi énigmatique à propos
des biens immatériels publics. L’article 1er privilégie une dimension
organique « Le présent code s’applique aux biens et aux droits, à
caractère mobilier ou immobilier, appartenant à l’État, aux collecti-
vités territoriales et à leurs groupements, ainsi qu’aux établisse-
ments publics ». Qu’entendre en effet exactement par la notion de
biens et de droits à caractère mobilier ou immobilier ? L’expression
désigne-t-elle pour autant, comme classiquement en droit civil,
toute chose susceptible d’appropriation ? Comment expliquer par
ailleurs l’absence de prise en compte des biens immatériels40 ?
39. LI W., La convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. Son application en
droit français et chinois, L’Harmattan, 2013, préf. FROMAGEAU J., p. 117 et s.
40. Philippe Yolka dénonce cette lacune alors que l’on assiste à une dématérialisation des
propriétés in « Naissance d’un code : la réforme du droit des propriétés publiques »,
JCP A 2006, act. 452.
17
Le patrimoine culturel immatériel
Sans doute par une construction historique de la propriété publique
articulée autour d’une approche matérielle des biens publics41. Sou-
lignons néanmoins une prise de conscience tardive des pouvoirs
publics à l’épreuve des transformations de l’économie immatérielle
et de son articulation avec les propriétés publiques à la suite notam-
ment du rapport de Maurice Lévy et de Jean-Pierre Jouyet42. Qu’en
est-il au regard du patrimoine culturel ? Le domaine public mobilier
est en effet appréhendé dans sa seule composante culturelle et
artistique, en cohérence avec le régime législatif de protection que
le Code du patrimoine consacre aux éléments du patrimoine cultu-
rel. Désormais, l’article L. 2112-1 du Code général le définit comme
l’ensemble des biens, propriétés de la personne publique, « présen-
tant un intérêt du point de vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie,
de la science ou de la technique ». Bien que la liste soit énumérative,
la convergence des codes est patente quant aux biens protégés à
l’exclusion néanmoins du patrimoine culturel immobilier.
C. La consécration d’un patrimoine culturel « immatériel »
8. Quelle est la portée de la remise en cause des activités réga-
liennes de l’État ?
La conservation et la mise en valeur du patrimoine culturel sont
longtemps restées des prérogatives de l’État. L’adoption en droit
interne de cette convention Unesco de 2003 conduit-elle à une dilu-
tion de la souveraineté patrimoniale de l’État ? Au cours des trente
dernières années du XXe siècle, le système de valorisation du patri-
moine culturel a été critiqué par les pays non occidentaux aux motifs
qu’il portait des valeurs de beauté et d’art développées à un moment
donné en Europe. L’universalisme porté par ces protagonistes ne
rencontrait pas l’assentiment des pays non occidentaux. Les ressor-
tissants des pays africains asiatiques et sud-américains revendi-
quaient l’inclusion de patrimoines vivants et immatériels. Un an
après l’adoption de la Convention pour la protection du patrimoine
mondial, culturel et naturel, la Bolivie propose d’ajouter un protocole
à la Convention universelle sur le droit d’auteur afin de protéger le
41. V. MALWÉ C., « Propriétés publiques incorporelles », Jurisclasseur administratif,
fasc. nº 410, 1er janv. 2019.
42. LÉVY M. et JOUYET J.-P., L’économie de l’immatériel : la croissance de demain, La Documenta-
tion française, 2006. Ainsi, les dispositions de la circulaire du 18 avril 2007 (JO, 27 avr.
2007, p. 7490) relative à la gestion des actifs immatériels de l’État invitent les gestionnai-
res à tirer un profit économique des ressources immatérielles dont ils ont la charge.
Cette conception économique a été institutionnalisée par la création en 2007 de l’Agence
du patrimoine immatériel de l’État (arrêté du 23 avr. 2007).
18
Introduction : La notion de patrimoine culturel immatériel : de quels droits ?
folklore. Convaincue, l’Unesco met en place en 1982, un Comité
d’experts sur la sauvegarde du folklore. En outre, le programme
des Trésors humains vivants a été initié par l’Unesco en 1993,
comme résultat de la Recommandation sur la sauvegarde de la
culture traditionnelle et populaire adoptée en 1989. L’objectif du pro-
gramme a été la création d’un dispositif concernant les « biens
culturels vivants ». Il incombe alors, selon le texte du programme,
à chaque État membre d’établir ses propres critères et procédures
de sélection des trésors humains vivants. En novembre 1998, le
conseil exécutif de l’Unesco a adopté, lors de sa 155e session, le
règlement relatif à la « proclamation des chefs-d’œuvre du patri-
moine oral et immatériel de l’humanité43 ». Fruit d’un long proces-
sus de négociations politiques, les experts ont considéré que la nou-
velle convention devait être développée dans le cadre de la
Déclaration universelle de la diversité culturelle, adoptée par
l’Unesco en octobre 2001. Au terme de ce processus et de l’adoption
de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immaté-
riel par la 32e conférence générale de l’Unesco le 17 octobre 2003, la
qualification de patrimoine culturel immatériel se concrétise dans
les États membres par un inventaire national complété par deux lis-
tes internationales dont la seconde est adoptée en situation de sau-
vegarde d’urgence. La première liste représentative est davantage,
selon Wang Li, « un registre des éléments du patrimoine culturel
immatériel, qu’un signe de distinction44 ». Avec les nouveaux enjeux
liés au patrimoine culturel immatériel, la question du rôle des com-
munautés devient centrale. La remise en cause de la médiation sys-
tématique de l’État et de ses satellites dans la reconnaissance et la
désignation des patrimoines est patente. On observe ainsi une infle-
xion dans la manière dont sont produits les éléments patrimoniaux.
L’appareil institutionnel de l’État intervient à partir d’un processus
de patrimonialisation de « bottom up ». La sauvegarde du patrimoine
culturel immatériel se déploie au gré d’une politique de labellisation
et d’incitation, vecteurs caractéristiques d’un État stratège. Le jeu
des communautés tend à remettre en cause le rôle de l’État qui
s’est construit sur la base d’une identité nationale. Mais quel sens
attribuer à un tel monopole d’État ? Selon Noé Wagener « à propre-
ment parler, l’État ne "protège" pas le patrimoine culturel ; premiè-
rement, il choisit d’interposer sa puissance souveraine – son pouvoir
43. Le nombre total de chefs-d’œuvre proclamés fut réparti dans plus de 70 pays :
14 en Afrique, 8 dans les États arabes, 30 dans la région Asie Pacifique, 21 en Europe et
17 en Amérique latine et aux Caraïbes.
44. LI W., op. cit., p. 118.
19
Le patrimoine culturel immatériel
de dire le dernier mot – pour imposer ses propres choix de patrimo-
nialisation et, deuxièmement, il justifie ses choix en les présentant
comme protecteurs du patrimoine culturel45 ». Face aux communau-
tés, l’État sélectionne les pratiques culturelles représentatives du
patrimoine culturel immatériel. Ainsi, le dossier relatif à la fête des
vignobles d’Arbois, pour inscription sur la liste représentative du
patrimoine culturel immatériel de l’humanité a été régulièrement
refusé par le ministère de la Culture et de la Communication alors
que le dossier de l’artisanat des parfums à Grasse, en revanche, n’a
pas rencontré de difficultés, sans doute parce qu’il pouvait représen-
ter immédiatement une image d’excellence technique et de savoir-
faire, et un potentiel économique non négligeable. En matière de
patrimoine culturel comme dans le champ des activités culturelles,
cette exclusivité d’action de l’État est néanmoins érodée sous la
pression d’instances supra nationales comme l’Unesco46. La souve-
raineté patrimoniale peut ainsi être partagée entre plusieurs États.
Tel est le cas des itinéraires culturels qui peuvent concerner plu-
sieurs pays à l’instar des chemins de Saint-Jacques de Compostelle.
Cela peut aussi être le cas d’une tradition séculaire exercée dans
plusieurs pays et revendiquée par chacun de ces pays au titre de
sa souveraineté patrimoniale. Tel est le cas de la fauconnerie prati-
quée sous l’Ancien Régime à la cour de France et qui connut son
apogée sous Louis XIII. Au sein d’une candidature commune portée
notamment par la France, la Belgique, l’Espagne, les Émirats Ara-
bes Unis, le Qatar, l’Arabie Saoudite, le Maroc et la Mongolie,
l’Unesco a inscrit en 2010, sur la liste représentative du patrimoine
culturel immatériel de l’humanité, l’art de la fauconnerie47. Le
dépassement de la souveraineté implique ici une coopération des
États48. En outre, pour porter atteinte à la souveraineté patrimoniale,
encore faudrait-il que ces communautés soient titulaires d’un pou-
voir souverain. La consécration d’un droit à l’identité culturelle sup-
pose que celle-ci constitue l’objet d’un droit fondamental défini avec
précision. La reconnaissance d’un droit des minorités à la sauve-
garde de leur identité culturelle ne consacre pas un droit fondamen-
tal. Clémentine Bories le précise avec force : « Le droit des
45. WAGENER N., Les prestations publiques en faveur de la protection du patrimoine culturel,
op. cit., p. 19.
46. V. BORIES C., Le patrimoine culturel en droit international, Pedone, 2011.
47. CHARLEZ A., « La chasse au vol, patrimoine immatériel de l’humanité », Mélanges Jérôme
Fromageau, op. cit., p. 261.
48. L’effet direct en droit interne d’une inscription sur cette liste internationale est incertain
selon les conclusions du rapporteur public Jean-Michel Riou, sur la décision CAA de
Douai, 22 déc. 2016, nº 15DA01448 : JCP A nº 10/11, 13 mars 2017, 2075.
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